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Décisions

CA Colmar, 2e ch. civ. A, 28 mai 2020, n° 19/04096

COLMAR

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pollet

Conseillers :

M. Robin, Mme Garczynski

TGI Mulhouse, du 27 août 2019

27 août 2019

Selon un contrat 'Renault rent location de véhicules' en date du 12 octobre 2018, la société Guy F. a mis à la disposition de M. S. un véhicule BMW moyennant paiement d'une somme mensuelle de 340 euros. M. S. ayant cessé de payer les échéances mensuelles à compter de mars 2019, la société Guy F. l'a fait assigner en référé aux fins de restitution du véhicule.

Par ordonnance en date du 27 août 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse a ordonné à M. S. de procéder à la restitution du véhicule, dans le délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance et sous astreinte de 100 euros par jour de retard, constaté que la demande reconventionnelle de M. S. tendant à l'instauration d'une expertise n'avait plus d'objet et condamné M. S., outres aux dépens, à payer à la société Guy F. une somme de 1 000 euros au titre des frais exclus des dépens.

Se fondant sur les dispositions de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, le juge des référés a jugé que l'obligation de M. S. de restituer le véhicule n'était pas sérieusement contestable, dès lors que le seul document valant contrat entre les parties faisait état d'une location, et non d'une vente comme le soutenait M. S., et que celui-ci ne justifiait ni de l'immatriculation du véhicule à son nom, ni du paiement des loyers depuis mars 2019, ni de défauts affectant le véhicule. Il a par ailleurs retenu que, du fait de l'obligation de restituer le véhicule, la demande d'expertise du véhicule était sans objet.

M. S. a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration en date du 9 septembre 2019.

Il demande à la cour :

- de déclarer irrecevable, pour n'avoir pas été soumise au premier juge, la demande additionnelle de la société Guy F. en paiement de la somme de 3 400 euros au titre de loyers impayés,

- d'infirmer l'ordonnance entreprise, en déboutant la société Guy F. de l'ensemble de ses demandes et en ordonnant une expertise du véhicule litigieux

- de condamner la société Guy F., outre aux dépens, à lui payer une somme de 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

Il fait valoir, en premier lieu, que, contrairement à l'opinion du premier juge, la qualification du contrat conclu entre les parties fait l'objet d'une contestation sérieuse, plusieurs éléments plaidant en faveur d'une vente plutôt que d'une location : la commune intention des parties aurait été de conclure une vente à crédit, le terme 'location' figurant dans le contrat ne suffirait pas à prouver sa qualification, le contrat ne précisait pas, comme le prévoit l'article 1709 du code civil, la durée de la prétendue location et il ne prévoyait pas le paiement d'un dépôt de garantie, les factures initialement établies par la société Guy F. mentionnaient des 'acomptes sur achat' et non des loyers, le véhicule a été soumis, comme dans le cas d'une vente, à un contrôle technique, il n'a été immatriculé au nom de la société Guy F. qu'après la conclusion du contrat et il a été assuré par l'acquéreur, alors qu'en cas de location, il incombe au loueur d'assurer le véhicule. En cas de doute sur la qualification du contrat, M. S. soutient qu'en application de l'article L. 211-1 du code de la consommation, le contrat devrait être interprété dans le sens qui lui est favorable

En second lieu, M. S. soutient que la restitution du véhicule loué supposait la résiliation du contrat de location, dont le prononcé excédait les pouvoirs du juge des référés.

Il affirme enfin que le véhicule était affecté de défauts le rendant dangereux et justifiant l'instauration d'une expertise.

M. S. s'oppose à la demande de dommages et intérêts formée par la société Guy F., contestant avoir de mauvaise foi fait obstacle à la restitution du véhicule. Il soutient qu'il était fondé à conserver celui-ci dans l'attente de l'issue de son appel et de la mesure d'expertise qu'il sollicitait.

La société Guy F. conclut à la confirmation de l'ordonnance déférée et demande en outre la condamnation de M. S. à lui payer la somme de 3 400 euros aux titres des loyers impayés de mars à décembre 2019, celle de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, et celle de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés pour assurer sa défense en cause d'appel.

Elle reprend à son compte la motivation de l'ordonnance entreprise concernant le caractère non sérieux de la contestation portant sur la qualification du contrat, ajoutant qu'une location a été conclue en raison de l'incapacité de M. S. à payer le prix du véhicule, qu'une telle location pouvait être stipulée sans précision de sa durée, que l'erreur matérielle affectant l'objet des factures, en ce qu'elles visaient des acomptes et non des loyers, a été rectifiée, que le contrôle technique du véhicule est obligatoire en cas de location comme de vente et que l'obligation d'assurer le véhicule incombait, selon le contrat, au locataire.

Indiquant avoir repris possession du véhicule le 3 décembre 2019, la société Guy F. réclame le paiement des loyers échus jusqu'à cette date, outre des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que lui a causé la mauvaise foi de M. S..

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique

- le 26 mars 2020 pour M. S.,

- le 3 février 2020 pour la société Guy F..

L'affaire a été fixée à l'audience du 3 avril 2020, laquelle n'a pu avoir lieu en raison de la période d'état d'urgence sanitaire en vigueur. Conformément à l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et avec l'accord des avocats, le président a décidé que la procédure se déroulerait sans audience. Le 30 avril 2020, l'affaire a été mise en délibéré au 28 mai 2020.

MOTIFS

Sur la demande de restitution du véhicule

Cette demande est fondée sur les dispositions de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, selon lesquelles le juge des référés peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ordonner l'exécution de l'obligation, même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le contrat de location emporte transfert au locataire de la jouissance de la chose louée, et l'obligation, pour le locataire, de restituer la chose suppose la résiliation du contrat.

En l'absence de clause résolutoire produisant effet de plein droit, la résiliation du contrat est, en cas de contestation, soumise à l'appréciation, par le juge, de la gravité de l'inexécution imputée au débiteur par le créancier qui se prévaut de la résiliation. En effet, si, selon l'article 1226 du code civil, le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification, après avoir, sauf urgence, mis préalablement le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, le débiteur peut saisir le juge à tout moment pour contester la résolution, le créancier devant, alors, prouver la gravité de l'inexécution.

En l'espèce, la société Guy F. a mis en demeure M. Guy S., par lettre recommandée avec accusé de réception du 15 avril 2019, de payer les loyers des mois de mars et avril 2019, avant le 30 avril 2019 et, dans le cas contraire, de ramener le véhicule au garage Guy F.. Cette mise en demeure n'ayant pas été suivie d'effet, le contrat s'est trouvé résilié, à l'initiative de la société Guy F.. Toutefois, cette résiliation n'était pas définitivement acquise, pouvant être à tout moment contestée devant le juge par M. S..

L'appréciation de la gravité de l'inexécution reprochée au débiteur, en tant qu'elle justifie ou non la résiliation du contrat, relève de la compétence du juge du fond et excède les pouvoirs du juge des référés.

L'ordonnance déférée doit donc être infirmée en ce qu'elle a ordonné la restitution du véhicule sous astreinte.

Il sera toutefois constaté que, le véhicule ayant été restitué le 3 décembre 2019, la demande de restitution est devenue sans objet.

Sur la demande d'expertise

M. S. ne produisant aucun élément de preuve des vices qui, selon lui, affectaient le véhicule et celui-ci ayant été restitué, il ne justifie pas d'un intérêt légitime à ce que le véhicule fasse l'objet d'une expertise. L'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise.

Sur la demande additionnelle en paiement de loyers

Selon l'article 566 du code de procédure civile, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

La demande en paiement des loyers échus jusqu'à la résiliation du contrat de location ou d'une indemnité pour la période comprise entre la résiliation et la restitution de la chose louée constitue un accessoire de la demande de résiliation.

Elle est donc recevable, bien que formée pour la première fois en cause d'appel.

Quelle que soit la qualification donnée au contrat en l'espèce, M. S. s'est engagé à payer 340 euros par mois en contrepartie de la mise à sa disposition du véhicule. Il ne justifie d'aucun motif de nature à le dispenser du paiement de cette somme, en l'absence, notamment, de toute preuve de vices du véhicule.

L'obligation de M. S. de payer la somme mensuelle de 340 euros n'étant pas sérieusement contestable, il sera condamné à payer à la société Guy F., à titre de provision, la somme de 3 400 euros, à valoir sur les loyers ou indemnités dus pour la période de mars à décembre 2019.

Sur la demande de dommages et intérêts

La société Guy F. ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct de celui indemnisé par la somme de 3 400 euros qui lui est allouée à titre de provision. Sa demande de dommages et intérêts sera donc rejetée.

Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens

Eu égard à la solution donnée au litige, l'ordonnance déférée sera confirmée en ce qu'elle a condamné M. S. aux dépens de première instance et à payer à la société Guy F. la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. S., qui succombe en plus grande part en cause d'appel, sera condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société Guy F. en cause d'appel, ces condamnations entraînant le rejet de la demande de M. S. tendant à être indemnisé de ses propres frais exclus des dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant sans audience, par arrêt contradictoire,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 27 août 2019 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Mulhouse, sauf en ce qu'elle a ordonné à M. Christian S., sous astreinte, de procéder à la restitution à la société Guy F. du véhicule de marque BMW modèle 320 Touring immatriculé BM-325-ZD ;

Statuant à nouveau dans cette limite,

DIT n'y avoir lieu à référé du chef la demande de restitution du véhicule ;

CONSTATE que cette demande est devenue sans objet suite à la restitution du véhicule le 3 décembre 2019 ;

Ajoutant à l'ordonnance déférée,

CONDAMNE M. Christian S. à payer à la société Guy F. la somme de 3 400 € (trois mille quatre cents euros) à titre de provision à valoir sur les loyers ou indemnités dus pour la période de mars à décembre 2019 ;

REJETTE la demande de la société Guy F. en dommages et intérêts ;

CONDAMNE M. Christian S. à payer à la société Guy F. la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) au titre des frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;

REJETTE la demande de M. Christian S. formée en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.