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Décisions

Cass. 1re civ., 9 septembre 2020, n° 19-21.955

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SNCF réseau (EPIC), SNCF (EPIC)

Défendeur :

Entropia-conseil (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Rapporteur :

Mme Canas

Avocat général :

M. Chaumont

Avocats :

SCP Spinosi et Sureau, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret

T. com. Paris, du 17 déc. 2018

17 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2019), la société Entropia-conseil, qui a pour activité le conseil en organisation et en management d'entreprises, a réalisé diverses prestations pour le compte de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) SNCF réseau, en exécution de bons de commande soumis aux stipulations du cahier des clauses générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles du groupe SNCF.

2. Elle a saisi le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5°, et L. 420-1 et suivants du code de commerce, aux fins d'obtenir la condamnation des EPIC SNCF réseau et SNCF à l'indemniser des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies et de pratiques anticoncurrentielles.

3. Les EPIC SNCF réseau et SNCF ont soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les quatre premières branches du moyen

Enoncé du moyen

5. Les EPIC SNCF réseau et SNCF font grief à l'arrêt de rejeter leur exception d'incompétence, alors :

« 1°) que la décision du Tribunal des conflits du 4 mai 2009, n° 3714, Editions Jean-Paul Gisserot, porte sur la compétence du Conseil de la concurrence, désormais Autorité de la concurrence, agissant sous le contrôle de l'autorité judiciaire ; qu'en se fondant sur cette décision, pour juger que le litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire, après avoir pourtant constaté que l'action de la société Entropia-conseil porte sur la réparation éventuelle qui résulterait du prétendu préjudice qu'elle aurait subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies et de pratiques anticoncurrentielles, une telle action n'ayant pas pour objet de saisir l'Autorité de la concurrence aux fins de faire sanctionner des pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

2°) que les litiges nés à l'occasion de la résiliation d'un marché public relèvent de la seule compétence des juridictions administratives en leur qualité de juge du contrat en application du principe d'absorption de la responsabilité délictuelle par la responsabilité contractuelle ; qu'en se fondant néanmoins, pour juger que le litige relève de la compétence de la juridiction judiciaire, sur le caractère délictuel des actions introduites par la société Entropia-conseil, la cour d'appel a violé l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

3°) que le critère de la détachabilité permet de déterminer, en présence d'une pratique anticoncurrentielle, si le juge administratif a ou non vocation à être compétemment saisi en sa qualité de juge du contrat ; qu'en se bornant à constater que les pratiques anticoncurrentielles des personnes publiques sont détachables du régime du contrat qui en est le support, sans rechercher si les pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence dont faisait état la société Entropia-conseil étaient « détachables » du contrat, ces pratiques étant pourtant en lien avec l'exécution de ce contrat administratif, et plus particulièrement, avec sa résiliation, dont elles sont intrinsèquement indissociables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, ensemble le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

4°) que les dispositions du code de commerce relatives à une rupture brutale des relations commerciales établies ne sont pas applicables aux relations contractuelles nées d'un marché public ; qu'en se fondant néanmoins sur ces dispositions pour juger que le litige relève de la compétence du juge judiciaire, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, ensemble l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles :

6. Lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. L'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce Tribunal.

7. Le présent litige, qui n'entre pas dans le champ du transfert de compétence au profit de la juridiction judiciaire résultant de la combinaison des articles L. 410-1, L. 464-7 et L. 464-8 du code de commerce, limité au contentieux relatif aux décisions rendues par l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles, présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse. En effet, si, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur (Com., 6 février 2007, pourvoi n° 04-13.178, Bull. 2007, IV, n° 21 ; Com., 18 octobre 2011, pourvoi n° 10-28.005, Bull. 2011, IV, n° 160), l'action engagée par la société Entropia-conseil à l'encontre des EPIC SNCF réseau et SNCF paraît ressortir à la juridiction judiciaire, le caractère administratif des marchés antérieurement passés entre les parties, retenu par les juges du fond au regard de certaines de leurs clauses, pourrait conduire à admettre la compétence de la juridiction administrative pour en connaître, dès lors que le Conseil d'Etat et le Tribunal des conflits ont reconnu, en cette matière, un effet attractif de compétence au contrat administratif, cependant limité à la seule phase précontractuelle (CE, 19 décembre 2007, société Campenon-Bernard e.a., n° 268918, Rec. p. 507 ; TC, 16 novembre 2015, Région Île-de-France, n° 4035). Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l'article 35 du décret susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

ORDONNE le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits ;  

Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir si le litige opposant la société Entropia-conseil aux établissements publics à caractère industriel et commercial SNCF réseau et SNCF relève ou non de la compétence de la juridiction judiciaire.