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Décisions

Cass. crim., 9 septembre 2020, n° 18-86.726

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soulard

Rapporteur :

M. Wyon

Avocat général :

Mme Moracchini

Avocats :

SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Paris, 1er prés., du 23 mai 2018

23 mai 2018

Faits et procédure  

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.  

2. Par ordonnance du 21 mai 2014, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Paris a autorisé les agents des services de l’Autorité de la concurrence à procéder, en application des dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce, à des opérations de visite et de saisies dans les locaux de plusieurs sociétés, dont la société X, aux fins d'établir si cette entreprise se livrait à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 1°, 2°, 3° du code de commerce et 101-1 a) et b) du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ces opérations de visite et de saisies se sont déroulées dans les locaux de la société X les 27 et 28 mai 2014.  

3. La société X a formé un recours contre ces opérations. Par ordonnance du 8 novembre 2017, le conseiller délégué par le premier président de la cour d’appel a fait partiellement droit à ses demandes, annulant certaines saisies de correspondances, qu’il a estimées protégées par le principe du secret des rapports avocat-client.   

4. Le 14 novembre 2017, la société X a déposé une requête aux fins d’occultation, demandant notamment au premier président de décider que dans la version publique de l’ordonnance du 8 novembre 2017, c’est-à-dire dans la version de la décision qui pourra être consultée au greffe de la cour d’appel et dont les tiers pourront obtenir copie, les passages relatifs aux documents dont la saisie a été annulée soient occultés, et de dire que ces passages devront également être occultés dans la version publique de l’ordonnance faisant droit à la requête, ou faire en sorte que cette ordonnance identifie les passages devant être occultés en citant uniquement les premiers et derniers mots du passage en question.  

5. Le premier président a rejeté cette requête par ordonnance du 23 mai 2018.

Examen du moyen 

Énoncé du moyen  

6. Le moyen est pris de la violation des articles L. 450-4 du code de commerce, 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, 11-2 et 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972, 451 et 455 du code de procédure civile, 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 591 du code de procédure pénale, du principe de proportionnalité et de mise en balance des intérêts, du « principe de l’intelligibilité des décisions de justice » ;  

7. Le moyen critique l’arrêt attaqué en ce que l’ordonnance attaquée a rejeté la requête en occultation formée par la société X, alors :  

« 1°) que le droit des tiers d’obtenir copie des décisions de justice prononcées publiquement n'est pas un droit absolu ni illimité, et doit être mis en balance avec le droit des parties au respect de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client ; qu’aussi, même en l’absence de texte le prévoyant expressément, lorsque la saisie de pièces couvertes par le secret avocat-client a été annulée par une décision de justice, il incombe au juge saisi à cette fin de mettre en balance le droit des tiers à prendre connaissance des décisions de justice prononcées publiquement et le droit des parties au respect de la confidentialité des échanges entre un avocat et son client, à l’effet de déterminer si tout ou partie des énonciations de la décision d’annulation, relatant le contenu des pièces dont la saisie a été annulée, ne doit pas être occulté dans les copies à destination des tiers ; qu’au cas d’espèce, en déniant par principe la possibilité qu’une telle occultation soit ordonnée, en se retranchant pour ce faire derrière l’absence de texte le prévoyant, et en s’abstenant de procéder à la mise en balance des intérêts des parties et des tiers, le juge du fond a violé les textes susvisés ;  

2°) que si le juge saisi d’un recours contre le déroulement d’opérations de visites et saisies domiciliaires autorisées sur le fondement de l’article L. 450-4 du code de commerce doit procéder à un contrôle in concreto des pièces dont il est soutenu que la saisie était illicite, pour méconnaître le secret des échanges entre un avocat et son client, ce qui conduit à ce que le contenu de ces pièces soit divulgué et analysé dans sa décision, cette considération est indifférente quant au point de savoir si, vis-à-vis des tiers susceptibles d’obtenir copie de la décision, ces éléments couverts par le secret doivent ou non être occultés ; qu’au cas d’espèce, en repoussant la demande d’occultation motif pris de ce que le juge saisi du recours avait été contraint de procéder à l’analyse in concreto des pièces dont il était soutenu qu’elles avaient été illégalement saisies, le juge du fond, qui a statué par un motif inopérant, a violé les textes susvisés ;  

3°) que le « principe de l’intelligibilité des décisions de justice » concerne les parties à l’instance et les juridictions susceptibles de contrôler la décision rendue, et non les tiers ; qu’au cas d’espèce, en repoussant la demande d’occultation à l’égard des tiers au motif inopérant qu’elle pourrait avoir pour effet de porter atteinte à ce principe, le juge du fond a violé les textes susvisés ;  

4°) que l’intelligibilité d’une décision de justice n’est pas nécessairement compromise par l’occultation d’une partie de ses motifs dès lors que cette dernière n’altère pas le raisonnement suivi par le juge ; que tel est le cas lorsque l’occultation ne concerne que le contenu d’une pièce dont la saisie a été annulée pour avoir contrevenu au secret des relations entre un avocat et son client, la connaissance de ce contenu n’étant pas nécessaire à la compréhension du motif de l’annulation ; qu’au cas d’espèce, en décidant au contraire qu’une occultation porterait en général atteinte au « principe de l’intelligibilité des décisions de justice », à le supposer applicable aux tiers, le juge du fond a de ce point de vue encore violé les textes susvisés. »

Réponse de la Cour  

8. Pour rejeter la requête en occultation présentée par la société X, l’ordonnance attaquée énonce que l'examen par le premier président d'un recours en vue de l'annulation de certaines saisies doit être effectué in concreto, et qu’au cas présent, il ne s'agissait pas d'apprécier l'hypothèse classique d'échanges de correspondances avocat-client, mais une stratégie globale de défense, l'appréciation in concreto des documents, en les citant dans l'ordonnance, étant dès lors d'autant plus indispensable pour lui permettre de procéder à l'annulation de la saisie de ces documents.  

9. Le premier président relève également qu'en l'absence de mise en oeuvre de la procédure dite des scellés provisoires, il lui appartient d'identifier et, le cas échéant, d'écarter les documents susceptibles de bénéficier du privilège légal.  

10. Il ajoute qu’outre le fait qu'aucun texte, à sa connaissance, ne permet en matière civile, sauf dans l'hypothèse d'une erreur matérielle, d'occulter une partie de la motivation d'une décision de justice par une seconde décision, une telle occultation porterait atteinte au principe de l'intelligibilité des décisions de justice.  

11. En statuant ainsi, le premier président n’a méconnu aucun des textes visés au moyen, dès lors qu’hormis les cas prévus par les articles 462 à 464 du code de procédure civile, aucune disposition légale ou réglementaire ne permet au juge, après qu’il a rendu sa décision, de modifier la motivation de celle-ci, tant dans la minute que dans les expéditions susceptibles d’en être délivrées.  

12. Ainsi, le moyen n’est pas fondé.  

13. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.  

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.