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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 7, 24 juillet 2020, n° 20/08006

PARIS

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Le Quellec

Avocats :

Me Ferla, Me Pitti-Ferrandi

CA Paris n° 20/08006

24 juillet 2020

Par acte du 25 juin 2020 reçu le jour même, le Syndicat National des Fabricants d’Isolants en Laines Minérales Manufacturées (ci-après le FILMM) a déposé, par son conseil muni d’un pouvoir spécial, une requête en récusation pour défaut d’impartialité tendant à voir demander à M. Le Premier président de :

- constater la défaut d’impartialité de M. X, rapporteur désigné dans l’affaire enregistrée sous les numéros 09/0061 F et 10/0043 F relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des isolants thermiques dont est saisie l’Autorité de la concurrence, en ce qu’il a été investi de façon successive et dans la même affaire de missions de poursuite et d’instruction au titre de ses fonctions d’inspecteur de la DNECCRF et de rapporteur auprès de l’Autorité ;

- constater que le défaut d’impartialité de M. X porte une atteinte grave aux droits de la défense du FILMM dans le cadre de la procédure d’instruction de l’affaire susvisée;

en conséquence :

- déclarer recevable et bien-fondée la requête en récusation présentée à l’encontre de M. X, rapporteur ;

- ordonner à l’Autorité de la concurrence de procéder à la récusation et au remplacement de M. X par tout autre rapporteur dans l’affaire susvisée ;

- demander à l’Autorité de la concurrence en cas de récusation de M. X, d’écarter et/ou de déclarer non avenus les notifications de grief et rapport en date du 25 octobre 2018 et du 20 novembre 2019 établis par M. X seul ;

- ordonner qu’il soit sursis à toute décision de l’Autorité de la concurrence jusqu’à la décision du Premier président de la cour d’appel de Paris relative à la présente requête en récusation par application de l’article 345 alinéa 3 du code de procédure civile ; et,

- inviter l’Autorité de la concurrence à surseoir aux débats et à ne pas tenir de séance sur le fond de l’affaire tant que le Premier président de la cour d’appel de Paris n’aura pas statué sur la requête en récusation;

A titre subsidiaire :

- inviter l’Autorité de la concurrence à procéder, à titre provisoire, jusqu’à la décision du Premier président de la cour d’appel de Paris relative à la présente requête, au remplacement de M. X par tout autre rapporteur dans l’affaire susvisée en amont de la séance de l’Autorité de la concurrence du 2 juillet 2020.

À l’appui de sa demande, le FILMM se fonde sur les articles 6 §1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ainsi que sur les articles 341 et suivants du code de procédure civile.

Il se prévaut de la recevabilité de sa requête en récusation à l’encontre d’un rapporteur de l’Autorité en application de l’article 341 du code de procédure civile en ce qu’il contribue au jugement final et est assimilable à un juge d’instruction, en ce que la requête a été formée dans les délais prescrits par l’article 342 du même code, dès lors que ce n’est qu’avec l’arrêt de la Cour de cassation, 2e chambre civile, du 4 juin 2020 n° 19-13.775 que la procédure de récusation a été étendue en l’absence de disposition spécifique, aux autorités administratives indépendantes lorsqu’elles se prononcent dans le cadre d’une procédure de sanction. Il invoque le défaut d’impartialité objective et fonctionnelle des services d’instruction en désignant M. X comme rapporteur pour instruire l’affaire devant l’Autorité alors qu’il avait précédemment exercé les fonctions de poursuite dans la même affaire en tant qu’agent de la DNECCRF. Il fait valoir que le rapporteur a eu connaissance pendant plus de 4 ans de correspondances avocat-client qui ont ensuite été exclues du dossier sur décision judiciaire, que le défaut d’impartialité s’est encore manifesté lorsque les services de l’instruction ont déclassé des pièces confidentielles pour favoriser la partie saisissante, lorsque le rapporteur s’est positionné dans le débat scientifique et lorsqu’il a choisi de ne recueillir les observations de la Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages qu’à la fin de la procédure.

Par ordonnance du 1 juillet 2020 le délégataire du 1er premier président a ordonné le sursis à statuer par l’Autorité de la concurrence jusqu’à la décision statuant sur la demande de récusation et réservé les dépens.

Par écrit du 7 juillet 2020, la Présidente de l’Autorité de la concurrence a fait connaître ses observations concluant au rejet.

Par écrit du 8 juillet 2020, la Présidente de l’Autorité de la concurrence a indiqué que M. X, rapporteur n’a pas souhaité présenter d’observations et s’en remet au mémoire déposé par l’Autorité.

Le Parquet général près la cour d’appel de Paris a transmis son avis le 22 juillet 2020 aux fins d’incompétence du premier président pour procéder à la récusation d’un rapporteur de l’Autorité de la concurrence, d’irrecevabilité de la requête et de son rejet sur le fond.

SUR CE :

En vertu des articles 6,§ 1, de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et L. 111-8 du code de l'organisation judiciaire, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation portée contre elle en matière pénale, matière à laquelle sont assimilées les poursuites en vue de sanctions ayant le caractère d'une punition.

Lorsqu'elle est amenée à prononcer une sanction, l’Autorité de la concurrence est une juridiction au sens des articles susvisés de sorte que, même en l'absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander la récusation d’un juge.

Par suite la requête tendant à la récusation de M. X, rapporteur à l’Autorité de la concurrence, distincte de la remise en cause de la régularité de la procédure suivie devant l’Autorité, relève de la compétence du premier président de la cour d’appel en application de l’article 344 du code de procédure civile.

L’article 342 du même code dispose que : « La partie qui veut récuser un juge ou demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant une autre juridiction de la même nature doit, à peine d’irrecevabilité, le faire dès qu’elle a connaissance de la cause justifiant la demande. En aucun cas la demande ne peut être formée après la clôture des débats. »

En l’espèce, le FILMM demande la récusation de M. X, rapporteur à l’Autorité de la concurrence pour défaut d’impartialité en ce qu’il avait précédemment exercé les fonctions de poursuite en tant qu’agent de la DNECCRF, en ce qu’il a eu connaissance de correspondances avocat-client dont l’annulation de la saisie a été prononcée, en ce qu’il a communiqué à la partie saisissante des pièces confidentielles lors de la première notification de grief du 28 juillet 2014, en ce qu’il a dans la seconde notification de grief du 10 octobre 2018 pris part dans le débat scientifique et en ce qu’il a sollicité tardivement les observations de la DHUP.

Il convient de relever que le FILMM n’a pas formé sa requête en récusation dès qu’il a eu connaissance de la cause justifiant sa demande.

En effet force est de constater que M. X a été désigné rapporteur dans l’affaire 09/0061 F et 10/0043 F le 11 mai 2009 ; que le FILMM a par courrier du 4 juin 2014, demandé au rapporteur général de l’Autorité la désignation d’un nouveau rapporteur, compte tenu des fonctions précédemment exercées par M. X à la DGCCRF ; qu’il avait donc connaissance depuis 2014 de la cause justifiant la demande de récusation pour le motif de partialité fonctionnelle invoqué. Par ailleurs le FILMM reconnaît avoir reçu la première notification de grief en date du 28 juillet 2014 et le 12 août 2015 un premier rapport, puis avoir reçu une seconde notification de grief le 25 octobre 2018 et un second rapport le 25 novembre 2019, ayant ainsi connaissance à ces dates de la cause justifiant la demande de récusation pour les autres motifs de partialité invoqués.

Il n’est pas justifié d’une circonstance de fait ou de droit qui aurait empêché le FILMM de déposer une requête en récusation dès sa connaissance de la cause justifiant sa demande, étant relevé à cet égard qu’une évolution de la jurisprudence ne constitue pas une impossibilité d'agir.

En formant sa requête en récusation le 25 juin 2020, le FILMM qui avait connaissance de la cause justifiant sa demande dès le mois de juin 2004 et au plus tard en novembre 2019 n’a pas formé sa demande de récusation dès qu’il a eu connaissance de la cause justifiant la demande. Il résulte de ce qui précède que la requête n’est pas recevable.

PAR CES MOTIFS

DÉCLARONS la requête en récusation formée par le Syndicat national des fabricants d’isolants en laines minérales manufacturées irrecevable.