Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 septembre 2020, n° 18/27189

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SIPP (SARL)

Défendeur :

Marionnaud Lafayette (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Paris, du 13 nov. 2018

13 novembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 13 novembre 2018 qui a :

- dit que, soumise à des appels d'offres réguliers et effectifs, la relation commerciale entre la SARL SIPP et la SAS Marionnaud Lafayette n'est pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

- débouté la société SIPP de toutes ses demandes,

- condamné la société SIPP à verser à la SAS Marionnaud Lafayette la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société SIPP aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 77,84 euros dont 12,76 euros de TVA.

Vu les conclusions de la SARL SIPP, appelante, déposées sur le RPVA et notifiées le 25 janvier 2019, tendant :

vu l'absence d'appel d'offres réels et conformes et aboutis dans les délais

vu les suspensions et retards et annulations des appels d'offres

vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

- à la voir déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- à voir réformer le jugement,

Statuant à nouveau,

- à voir juger l'existence de relations entre SIPP et Marionnaud établies par application de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

- à voir juger que Marionnaud n'a pas accordé à SIPP un préavis écrit,

Subsidiairement, eu égard à la durée d'une relation contractuelle dans le cadre d'une relation établie depuis plus de sept ans au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

- juger que le préavis accordé était inférieur à la durée prévue contractuellement par application des articles 1134 et 1147 du code civil et en référence à ceux accordés par Marionnaud.

En tout état de cause,

- condamner Marionnaud à payer à SIPP à titre de dommages-intérêts. Visant à réparer le préjudice matériel distinct subi par cette dernière, la somme de 232 028 euros représentant la marge brute et la somme de 22 041,47 euros les indemnités accessoires,

- condamner Marionnaud à payer à SIPP la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens recouvrés par Maître X, Avocat à la Cour, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions de la société Marionnaud Lafayette, intimée, déposées sur le RPVA et notifiées le 28 mars 2019 tendant, vu le jugement rendu le 13 novembre 2018, les conclusions n° 1 et les pièces s'y rapportant de la société SIPP, ses conclusions en réponse et les pièces s'y rapportant, et vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, à voir :

- à titre principal, confirmer le jugement déféré, et partant de :

* dire et juger que, soumises à des appels d'offres successifs et effectifs réalisés en 2011, en 2013/2014 et en 2016, la relation commerciale entre elle et SIPP n'est pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce,

* dire et juger qu'elle n'a donc commis aucune faute au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

* débouter en conséquence SIPP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre subsidiaire,

* dire et juger, qu'à supposer que la relation commerciale puisse être considérée comme établie, SIPP a, en tout état de cause, du fait de l'annonce par écrit en novembre 2016 du lancement d'un nouvel appel d'offres qui vaut point de départ du préavis et de l'arrêt effectif des relations au 30 avril 2017, bénéficié d'un préavis écrit suffisant au regard de l'ancienneté de la relation et des autres circonstances de l'espèce ;

* dire et juger qu'elle n'a commis aucune faute au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;

* dire et juger manifestement infondée l'affirmation de SIPP selon laquelle "le préavis accordé par Marionnaud serait inférieur à la durée prévue contractuellement par application des articles 1134 et 1147 du code civil et en référence à ceux accordés par Marionnaud" ;

* débouter en conséquence SIPP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

A titre très subsidiaire,

* constater, dire et juger que SIPP ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque.

* en conséquence, débouter SIPP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

En tout état de cause,

- condamner SIPP à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers frais et dépens, et admettre la SELARL Y au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les parties ont accepté la procédure sans audience qui leur a été proposée.

SUR CE LA COUR

Sur l'existence de relations commerciales établies

La société SIPP soutient que, ainsi que l'a retenu le juge des référés, il existe bien entre les parties une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, nonobstant l'existence de contrats à durée déterminée d'un an et d'appels d'offres, au regard de la succession des contrats et des appels d'offres qu'elle a toujours remporté. Elle dit que le renouvellement tacite des contrats exclut toute précarité de la relation et que la suspension, report ou retard des appels d'offres leur ôte tout caractère sérieux, faisant état d'une fausse mise en concurrence avec d'autres sociétés.

La société Marionnaud-Lafayette (ci-après Marionnaud) conteste toute relation commerciale établie en raison des trois appels d'offres successifs et effectifs que cette société a organisé depuis 2011, plaçant ainsi la relation commerciale dans une situation de précarité, peu important que le partenaire ait été retenu plusieurs fois de suite dans ce cadre.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Il n'est pas en débat que ces dispositions sont applicables en l'espèce, compte tenu de la date de la rupture brutale alléguée, antérieure au 25 avril 2019, date de publication de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce qui, en son article 2, les remplace par les dispositions de l'article L. 442-1 II du même code.

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

En l'espèce, Marionnaud qui exploite des magasins de parfumerie, a confié à SIPP des prestations de gardiennage.

La relation commerciale entre les parties a débuté par la conclusion d'un protocole d'accord cadre gardiennage et surveillance humaine signé le 6 janvier 2009 d'une durée d'un an renouvelable à défaut de renonciation et d'un contrat d'application signé le 6 janvier 2010 d'une durée d'un an renouvelable. (Pièces 1 et 2 de l'appelante)

Le 27 septembre 2011, Marionnaud a adressé à SIPP une lettre lui faisant part de sa décision de « ne pas poursuivre [leurs] relations commerciales sur les bases courantes mais de soumettre la fourniture de ces prestations à un appel d'offre afin de bénéficier de la meilleure offre du marché » et lui notifiant la cessation de leurs relations commerciales à effet du 31 janvier 2012 (pièce 8 de l'appelante).

A la suite d'un premier appel d'offres à laquelle SIPP a participé (sa lettre du 26 octobre 2011) (pièce 4 de l'intimée), un contrat de prestation de services de gardiennage et de surveillance humaine a été signé le 19 septembre 2013, pour une durée de deux ans, à compter du 1er février 2012 avec une possibilité de reconduction expresse (pièce 3 de l'appelante).

Par lettre du 27 septembre 2013, un second appel d'offres a été annoncé mettant un terme à la relation contractuelle avec SIPP au 31 janvier 2014 (pièce 5 de l'intimée).

La relation contractuelle s'est poursuivie jusqu'à ce que par courrier du 22 septembre 2014 (pièce 4 de l'appelante), Marionnaud mette un terme à la relation à la date du 31 janvier 2015, et relance la procédure d'appel d'offres.

SIPP qui a répondu à cet appel d'offres (son courrier du 3 octobre 2014 pièce 11 de l'appelante) a été retenue et un nouveau contrat a été signé le 1er février 2015 d'une durée d'un an à compter de cette date avec possibilité de reconduction tacite pour une durée d'un an (pièce 5 de l'appelante).

Le 7 novembre 2016, Marionnaud a lancé une nouvelle procédure d'appel d'offres.

Par courriel du 18 janvier 2017, Marionnaud a demandé l'accord de SIPP pour une prorogation de 2 mois de la période contractuelle, ce que cette dernière a accepté (pièces 25 et 26 de l'appelante).

Le 29 mars 2017, Marionnaud a informé SIPP que son offre n'était pas retenue. (Pièce 27 de l'appelante)

Ainsi, SIPP qui a participé à trois appels d'offres, et qui a été retenue successivement deux fois avant d'échouer la troisième fois, avait parfaitement connaissance de la précarité de sa relation commerciale avec Marionnaud, soumise à des appels d'offres réguliers.

A cet égard, l'absence d'effectivité des appels d'offres de nature à permettre raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires ne peut se déduire de la circonstance que la durée des contrats ait donné lieu à des aménagements et que les appels d'offres aient été reportés ou aient pris du retard.

De même, le fait que l'intéressée ait été retenue dans le cadre des deux premiers appels d'offres ne saurait suffire à démontrer la stabilité des relations commerciales.

Également, SIPP ne démontre pas que les deux premiers appels d'offre n'auraient été que de pure façade. En effet, la circonstance que seul le 3e appel d'offres a donné lieu à la remise d'un calendrier officiel le 21 novembre 2016 ne peut suffire, alors que Marionnaud justifie que les appels d'offres ont donné lieu à la transmission d'un cahier des charges et que plusieurs candidatures sont intervenues (pièces 6 à 8 de l'intimée).

Enfin, il importe peu qu'un membre de la société Marionnaud ait pu donner à SIPP des consignes sur la conduite à tenir et ait donné son avis au décideur ainsi qu'il résulte du courriel du 23 septembre 2014 d'un responsable de SIPP (pièce 34 de l'appelante), ne peut dès lors que le choix revient au décideur.

Dès lors, le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que soumise à des appels d'offres réguliers et effectifs, la relation commerciale entre SIPP et Marionnaud n'est pas une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce et en ce qu'il a débouté en conséquence SIPP de ses demandes d'indemnisation.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

SIPP qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel et est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle est en revanche condamnée à verser à Marionnaud la somme de 5 000 euros sur ce fondement, en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement,

DÉBOUTE la société SIPP de ses demandes,

LA CONDAMNE aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SELARL LEXAVOUE Paris-Versailles dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile et à payer à la société Marionnaud-Lafayette la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.