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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 septembre 2020, n° 18/22616

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Les Coopérateurs de Normandie-Picardie (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Lille, du 5 sept. 2017

5 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE

Par un jugement du 5 septembre 2017, le tribunal de commerce de Lille Métropole a :

- rejeté les demandes en irrecevabilité soulevées par les Coopérateurs de Normandie-Picardie et dit M. X recevable et bien fondé en son action,

-dit que la rupture des relations commerciales par la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie n'a pas respecté la durée minimale de préavis déterminée par les contractants et que le contrat aurait dû poursuivre ses effets jusqu'au 31 décembre 2014,

- condamné la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie à payer à ce titre à M. X une indemnité de 26 058,54 euros, augmentée des intérêts légaux à compter du 1er juillet 2014, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.

M. X a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 octobre 2018.

Par des conclusions notifiées le 2 juillet 2019, M. X prie la cour, vu l'article 442-6 du code de commerce :

- d'infirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que la rupture des relations commerciales par la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie n'a pas respecté la durée minimale de préavis déterminée par les contractants et que le contrat aurait dû poursuivre ses effets jusqu'au 31 décembre 2014 ;

* condamné la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie à lui verser la somme de 26 058,54 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 1er juillet 2014 ;

Statuant à nouveau,

- dire et juger que la rupture des relations commerciales par la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie n'a pas respecté la durée raisonnable de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce,

- condamner cette société à lui verser la somme de 327 505,50 euros avec intérêts légaux à compter du 30 juin 2014,

- débouter la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie de son appel incident et de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner cette société à lui verser 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par des conclusions notifiées le 3 avril 2019, la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie, au visa des dispositions combinées des articles 1134 et 1382 du code civil, dans leur rédaction applicable à l'affaire, L. 442-6 du code de commerce, L. 3223-1 et L. 3223-3 du code des transports, 700 du code de procédure civile ; les décrets n° 2002-566 du 17 avril 2002, n° 2014-644 du 19 juin 2014 et son annexe ; ensemble la jurisprudence citée et les pièces jointes, le jugement du 5 septembre 2017, de:

- déclarer M. X recevable mais mal fondé en son appel et l'en débouter :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* dit que le contrat aurait dû se poursuivre jusqu'au 31 décembre 2014, et débouté M. X du surplus de ses demandes à ce titre ;

* retenu le référencement par rapport au seul résultat net, et débouté M. X du surplus de ses demandes à ce titre ;

* liquidé le montant de l'indemnité à la somme de 26 058,54 euros et débouté M. X du surplus de ses demandes à ce titre ;

- réformer le jugement pour le surplus et débouter M. X de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. X lui payer 7 000 euros sur ce fondement ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel.

SUR CE LA COUR

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Une relation commerciale « établie » présente un caractère « suivi, stable et habituel » et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

En l'espèce, les relations commerciales entre les parties consistant en une prestation de location de véhicule avec chauffeur, ont commencé par la conclusion d'un contrat le 12 novembre 1979 pour une période de 12 mois tacitement reconductible. Le dernier contrat écrit a pris effet le 1er mai 1991 jusqu'au 31 décembre 1991 renouvelable par tacite reconduction pour une période d'un an, sauf préavis de 3 mois avant l'échéance par l'une ou l'autre des parties (pièces 1 à 8).

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 janvier 2014, la société les Coopérateurs de Normandie-Picardie a résilié le contrat à effet du 30 juin 2014 (pièce 9).

L'existence d'une relation commerciale établie entre les parties n'est plus contestée par l'intimée qui indique « ne pas reprendre le moyen d'irrecevabilité tiré de la radiation de M. X du RCS ».

M. X soutient justement que la nature contractuelle des relations des parties n'empêche pas l'engagement de la responsabilité de nature délictuelle au titre de l'article L. 442-6 du code de commerce.

L'intimée se prévaut de l'article 18-1 du décret n° 2014-644 du 19 juin 2014 portant approbation du contrat type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises qui prévoit que « (...) en cas de succession de contrat dormant une relation suivie, chacune des parties peut mettre un terme à la relation par l'envoi d'une lettre recommandée avec avis de réception, moyennant un préavis d'un mois quand le temps déjà écoulé depuis la relation n'est pas supérieur à six mois. (...) Le préavis à respecter est de trois mois quand la durée de la relation est d'un an et plus. Pendant la période de préavis, les parties poursuivent l'exécution du contrat en cours jusqu'à son terme » et sollicite la confirmation du jugement entrepris lequel, au visa de cet article, a dit que le contrat aurait dû poursuivre ses effets jusqu'au 31 décembre 2014, faisant valoir que M. X a dès lors bénéficié d'un préavis de 11 mois.

Elle dénie toute brutalité de la rupture invoquant le caractère du délai parfaitement raisonnable au regard des relations contractuelles des parties mais aussi des circonstances de la rupture.

A cet égard, elle fait valoir que l'exclusivité de la relation contractuelle concerne le véhicule mis à la disposition du locataire par le loueur, lequel s'interdit de louer le même véhicule à d'autres clients pendant la durée du contrat, et non la relation contractuelle elle-même Elle ajoute que M. X réclame un préavis de 37 mois pour 37 années de relations contractuelles alors qu'il dit être arrivé à l'âge de la retraite et a sollicité sa radiation du Registre du Commerce dès le 30 juin 2014 et que plusieurs entretiens depuis le mois de septembre 2013 ont précédé l'envoi de la lettre de rupture pour évoquer les difficultés de l'entreprise et la nécessité de diversifier son activité, un contrat de travail avec une société de transport lui ayant même été proposé.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

En l'espèce, M. X se prévaut justement d'une relation commerciale établie d'une durée de 37 ans.

Le préavis de 5 mois qui lui été accordé par lettre recommandée avec avis de réception du 29 janvier 2014 après 37 ans de relations commerciales, qui aurait dû être maintenu jusqu'au 31 décembre 2014 en application du contrat, est insuffisant et revêt un caractère brutal au regard de la durée des relations commerciales établies ayant existé entre les parties sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable à la cause. A cet égard, la circonstance que la société intimée ait incité l'intéressé à diversifier son activité quelques mois avant l'envoi de la lettre de rupture est indifférente, de même que le choix de M. X, âgé de 61 ans, de prendre sa retraite après toutes ces années d'exercice à temps plein de son activité en indépendant auprès de cette société, étant observé que l'évaluation doit intervenir au moment de la rupture.

Au vu de ces éléments, un préavis de 18 mois aurait dû lui être accordé.

Le préjudice résultant d'une rupture brutale correspond au taux de marge brute non obtenu pendant les mois de préavis manquants, calculé à partir des comptes de résultats des trois années précédant la rupture dont à déduire les frais variables non engagés du fait de celle-ci.

En l'espèce, le tribunal a justement tenu compte de la cessation totale de son activité d'indépendant par M. X le 30 juin 2014 pour retenir que le préjudice de celui-ci ne pouvait être déterminé par référence à la marge brute dégagée par son activité, n'ayant plus de charges d'exploitation depuis le 1er juillet et évalué le préjudice subi par rapport au résultat net de sa société calculée sur la base de la moyenne des résultats des trois exercices précédents, soit une somme mensuelle moyenne de 4 343,09 euros.

La somme de 56 460,17 euros (4 343,09 euros x 13) sera ainsi allouée à M. X en réparation de son préjudice subi au titre de la rupture brutale.

La société intimée condamnée à lui verser cette somme avec intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2017, date du jugement entrepris au regard du caractère délictuel de l'indemnité.

L'intimée qui succombe, est déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et est condamnée à payer à M. X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la somme allouée à ce titre par le tribunal.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME dans les limites de l'appel, le jugement sauf en ce qu'il a limité au 31 décembre 2014 la fin du délai de préavis et condamné la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie à payer à ce titre à M. X une indemnité de 26 058,54 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 1er juillet 2014 ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

FIXE à 18 mois le délai de préavis qui aurait dû être accordé à M. X ;

CONDAMNE en conséquence la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie à payer à ce titre à M. X une indemnité de 56 460,17 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 5 septembre 2017 ;

CONDAMNE la société Les Coopérateurs de Normandie-Picardie aux dépens d'appel et à payer à M. X la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.