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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 20 août 2020, n° 19/02454

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Caillard

Conseillers :

Mme Chenot, Mme Michel

Avocat :

Me Boiche-Callus

T. com. Orléans, du 16 mai 2019

16 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :

La société d'exploitation des établissements X (la société X) qui exerce à Sens depuis 1977 une activité de grossiste en mercerie, bonneterie, confection, textile, et était gérée par M. X décédé en 2017 puis par Mme Y précédemment co-gérante, a confié à M. Z à compter du 1er février 2014 un mandat d'agent commercial pour la commercialisation de ses produits dans les départements de l'Aube, Cher, Loiret, Nièvre, Seine-et-Marne, Yonne, Paris et Val de Marne, moyennant une rémunération fixe mensuelle de 3 500 HT soit 4 200 TTC.

M. X, gérant de la société X, a convoqué à deux reprises M. Z à un entretien par courriers recommandés avec accusé de réception les 1er juin 2017 et 26 juillet 2017 et lui a proposé une modification de sa rémunération, afin qu'elle comprenne une partie fixe à hauteur de 2 000 TTC jusqu'à 15.000 de chiffre d'affaires et une partie variable de 13 % au-delà de ce chiffre d'affaires. M. Z n'a pas accepté cette proposition. Il s'est ensuite plaint du non-paiement à échéance de sa rémunération et a fait assigner la société X devant le tribunal de commerce d'Orléans par acte du 20 octobre 2017, avant de se désister de cette instance.

Après avoir adressé à M. Z le 25 janvier 2018 un courrier recommandé relevant divers manquements de ce dernier à ses obligations, puis deux autres courriers des 15 et 27 février 2018 s'étonnant de son absence de réponse, auxquels l'intéressé a répondu les 25 février et 2 mars 2018 en contestant tout manquement de sa part, la société X lui a notifié par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2018 la rupture pour faute grave et sans préavis de son contrat d'agent commercial.

Par courrier du 24 mars 2018 M. Z a contesté cette rupture qu'il estime nulle et non avenue. Après un nouveau courrier de la société X en date du 28 mars 2018 l'invitant à cesser toute activité et à rendre le matériel de la société, celle-ci a récupéré le matériel de M. Z le 4 avril 2018.

Par acte du 14 mai 2018, M. Z a fait assigner la société X devant le tribunal de commerce d'Orléans afin de voir constater l'absence de faute grave de sa part à l'origine de la rupture du contrat d'agence commercial et de condamner la société X à lui payer diverses sommes au titre de l'indemnité de rupture du contrat d'agence, d'indemnité de préavis, et de commissions sur les opérations antérieures et postérieures à la cessation du contrat, outre la communication du chiffre d'affaires des années 2015, 2016, 2017 réalisé par la société X.

Par jugement en date du 16 mai 2019, le tribunal de commerce d'Orléans a :

Dit que la rupture de contrat de M. Z ne relève pas de la faute grave, mais d'une cause réelle et sérieuse.

Débouté M. Z de sa demande d'indemnité de 84 000 euros.

Condamné la SARL société d'exploitation des établissements X à payer à M. Z la somme de 10 500 euros HT au titre de son préavis pour la période allant du 21 mars 2018 au 21 juin 2018.

Débouté M. Z de sa demande de commissions de 10 500 euro HT sur les périodes antérieures et postérieures à la cessation du contrat.

Débouté M. Z de sa demande de communication des chiffres de la société d'exploitation des établissements X sous astreinte ;

Rejeté les autres demandes des parties ;

Débouté les parties au titre de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné les parties à supporter à parts égales les entiers et dépens, y compris les frais de greffe taxés et liquidés à la somme de 64,68 euros.

M. Z a formé appel de la décision par déclaration du 8 juillet 2019 en intimant la société d'exploitation des établissements X, et en critiquant tous les chefs du jugement. Dans ses dernières conclusions du 3 juin 2020, il demande à la cour de :

Vu les articles L. 134-7, L. 134-11, L. 134-12 et suivants du Code de commerce

Vu les articles 138, 139 et 142 du Code de Procédure Civile

Vu les pièces versées aux débats,

Dire M. Z recevable et bien fondé en son appel.

Réformer le jugement du tribunal de commerce d'Orléans en date du 16 mai 2019.

Le réformant partiellement,

Constater l'absence de faute grave, de la part de M. Z, à l'origine de la rupture du contrat d'agent commercial le liant à la société d'exploitation des établissements X.

En conséquence,

Condamner la société d'exploitation des établissements X à payer à M. Z les sommes suivantes :

. 84 000 à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agence,

. 10 500 HT à titre de commissions sur les opérations antérieures et postérieures à la cessation du contrat

Ordonner la communication du chiffre d'affaires des années 2015, 2016 et 2017 réalisé par la société d'exploitation des établissements X, sous astreinte de 150 par jour de retard à compter de la signification de la présente décision.

Le confirmant pour le surplus,

Condamner la société d'exploitation des établissements X à payer à M. Z la somme de 10 500 HT au titre de l'indemnité de préavis.

En tout état de cause,

Débouter la société d'exploitation des établissements X de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires

Condamner la société d'exploitation des établissements X à payer à M. Z la somme de 4 000 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

La Condamner aux entiers dépens.

Il prétend n'avoir commis aucune faute grave et répond aux manquements invoqués par la société X en indiquant :

- qu'il transmettait quotidiennement à sa mandante les bons de commande signés par les clients, ce qui établit son activité quotidienne,

- que son contrat d'agent commercial ne lui impose pas d'adresser un compte rendu hebdomadaire de son activité ou d'échanger une fois par mois sur son activité, M. Z étant, en tant qu'agent commercial, indépendant et libre d'organiser son activité,

- que c'est la société X qui a manqué à son devoir d'information, en ne l'informant du décès de M. X que 15 jours plus tard et en ne lui communiquant pas les tarifs 2018,

- que le chiffre d'affaires de la société prétendument en baisse ne résulte pas seulement de l'activité des agents commerciaux mais dépend aussi des tarifs imposés par le mandant qui sur le long terme doit faire preuve d'un bon professionnalisme vis à vis des clients, ce qui en l'espèce fait défaut, ces derniers soulignant le sérieux de M. Z et se plaignant au contraire des retards, erreurs ou absences de livraison imputables à la société X ; qu'en outre, la société X s'est séparée de deux commerciaux mais a conservé M. Z et ne lui a jamais reproché un chiffre d'affaires insuffisant avant 2018,

- que c'est à tort que la société X prétend que le portefeuille de clients de M. Z se limitait aux 35 clients d'origine alors qu'il travaillait avec plus de 50 clients.

Il ajoute que la rupture de son contrat a été brutale en l'absence de préavis et fait valoir que le tribunal n'a pas tiré toutes les conséquences financières de l'absence de cause grave.

Il réclame enfin la communication des chiffres d'affaires de la société afin de lever le doute allégué par la société X quant à sa réelle contribution dans les résultats de la société et car il en a besoin pour effectuer les formalités légales de comptabilité de son entreprise et indiquer son chiffre d'affaires, la société X ne publiant plus ses comptes de résultat au greffe du tribunal de commerce malgré son obligation légale.

La société d'exploitation des établissements X demande à la cour, par dernières conclusions du 30 avril 2020 de:

Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de Commerce,

Vu les pièces communiquées,

Accueillir la société d'exploitation des établissements X en ses moyens, fins et prétentions,

Statuant sur l'appel principal de M. Z contre le jugement prononcé par le Tribunal de Commerce d'Orléans le 16 mai 2019,

Débouter M. Z de toutes ses prétentions,

Recevant la société d'exploitation des établissements X en son appel incident,

Infirmant partiellement le jugement entrepris,

- Dire que les agissements de M. Z dans l'exécution de son mandat d'agent commercial qu'ils aient été révélés avant ou après la rupture du mandat, sont constitutifs de fautes graves,

En conséquence,

- Dire bien fondée la rupture pour faute grave, sans préavis et sans indemnité, du contrat d'agent commercial de M. Z,

- Débouter M. Z de sa demande d'indemnité de préavis à hauteur de 10 500,

- Condamner M. Z à verser à la société d'exploitation des établissements X la somme de 4 000 pour ses frais irrépétibles de première instance en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- Condamner M. Z aux entiers dépens de première instance,

Confirmer le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau,

- Condamner M. Z à verser à la société d'exploitation des établissements X la somme de 4 000 pour ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. Z aux entiers dépens d'appel.

Elle fait valoir qu'en sa qualité d'agent commercial, M. Z agissait au nom et pour le compte de son mandant et devait à ce titre, bien qu'étant un professionnel indépendant, rendre compte à la société X de l'exécution de son mandat. Elle soutient qu'il a commis des fautes réitérées pendant l'exécution de son mandat en ce que :

- il ne respectait pas les instructions de vente, les tarifs et la politique commerciale des Etablissements X et notamment, accordait systématiquement et sans consulter la société des remises aux clients dès la première commande, alors qu'il savait que son mandant n'autorisait pas cette pratique ainsi qu'un envoi en franco de port à chaque commande,

- malgré les demandes réitérées de son mandant, il ne communiquait à cette dernière aucune information sur ses clients et l'état du marché, ne rendait aucun compte de son activité à la société X et refusait systématiquement les rendez-vous proposés par elle pour échanger sur son activité et le marché, ou les demandes ou réclamations des clients,

- il ne justifiait d'aucune activité de démarchage et de prospection, ou même de visite et de suivi de la clientèle actuelle et selon plusieurs témoignages, ne se déplaçait pas pour certains clients, prenant leurs commandes uniquement par téléphone.

Elle souligne que ces manquements ont persisté malgré plusieurs rappels à l'ordre et que M. Z a en outre commis dans l'exécution de son mandat d'autres fautes qui ne se sont révélées qu'après la rupture du contrat puisqu'il ressort de ses pièces que plusieurs clients lui ont signalé des erreurs dans les livraisons ou des commandes incomplètes, et qu'il n'a jamais fait remonter ces informations, privant sa mandante de toute possibilité d'améliorer la qualité du service fourni aux clients. Elle ajoute que dès janvier 2016 et alors qu'aucun différend n'existait, M. Z a fait attester certaines clients contre la société X et leur a soumis un questionnaire sur la société, sans que celle-ci ait été consultée sur l'opportunité de faire cette enquête, et informée de son envoi et de ses résultats, ce qui caractérise un manquement au devoir de loyauté.

Elle expose encore que contrairement à ce qu'ont indiqué les premiers juges, elle n'a jamais reproché à M. Z au titre de la faute grave de réaliser un chiffre d'affaires insuffisant mais lui fait grief d'avoir manqué à ses obligations d'information et de coopération loyale avec son mandant. Elle ajoute que la notion de 'cause réelle et sérieuse' utilisée par le tribunal ne s'applique qu'à la rupture du contrat de travail et que le tribunal se contredit dans ses motifs, excluant la faute grave puis indiquant qu'elle est caractérisée.

Elle indique encore que c'est à tort que M. Z soutient d'une part, avoir rempli son obligation d'information en adressant quotidiennement à son mandant des bons de commande, alors que ceux-ci sont illisibles, incomplets et envoyés au fil de l'eau et ne permettent pas de suivre l'activité de M. Z et ses démarches de prospection, d'autre part, avoir perçu sa rémunération avec retard au point de devoir assigner la société X en octobre 2017, alors qu'à cette date, sa rémunération était réglée.

Elle estime encore que la rémunération de M. Z qui était fixe n'a pas le caractère de commission au sens des articles L. 134-6 et L. 134-7 du Code de commerce et que ce dernier ne peut donc revendiquer de droit à commission trois mois avant et après la rupture du contrat. Elle indique enfin qu'elle publie ses comptes annuels mais avec déclaration de confidentialité ce que permet l'article L. 232-15 du Code de commerce et que M. Z n'a pas besoin de connaître le chiffre d'affaires de la société X pour déterminer son propre chiffre d'affaires et faire sa comptabilité puisque sa rémunération est fixe.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 4 juin 2020.

L'audience du 4 juin 2020 n'a pu se tenir compte tenu de l'état d'urgence sanitaire déclaré par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. Un message a été adressé aux parties le 18 mai 2020 leur rappelant qu'en application des dispositions de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020, la procédure se déroulera sans audience et l'affaire mise en délibéré, sauf opposition de l'une ou l'autre des parties dans un délai de quinze jours. En l'absence d'opposition dans le délai imparti, l'affaire a été mise en délibéré au 20 août 2020.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

A titre liminaire, la cour indique qu'il n'y a pas lieu d'écarter les pièces n° 4 à 14 produites par M. Z, la société X ne formant pas cette demande dans le dispositif de ses conclusions qui seul saisit la cour et rappelle qu'elle en appréciera la force probante, comme pour les autres pièces produites.

M. Z produit en pièce 1 une "attestation" de M. X, gérant de la société X, établie le 23 octobre 2014 dont il ressort qu'il a "embauché M. Z depuis le 1er février 2014 en qualité d'agent commercial avec un salaire mensuel de 4 200 TTC".

Le contrat d'agent commercial liant les parties n'est contesté par aucune d'elles même s'il n'a pas été conclu par écrit et si l'attestation susvisée utilise les termes de « embauché » et « salaire ».

La profession d'agent commercial est une profession réglementée, régie par les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce qui disposent notamment :

- article 134-1 : « L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé de façon permanente de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, achat, location, ou prestations de services, au nom et pour le compte de producteurs industriels, commerçants ou d'autres agents commerciaux. »

- article L. 134-4 : « Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat ».

- article L. 134-5 : « Tout élément de la rémunération variant avec le nombre ou la valeur des affaires constitue une commission au sens du présent chapitre.

Les articles L. 134-6 à L. 134-9 s'appliquent lorsque l'agent est rémunéré en tout ou partie à la commission ainsi définie (...) »

- article L. 134-6 : « Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission définie à l'article L. 134-5 lorsqu'elle a été conclue grâce à son intervention ou lorsqu'elle a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre. (...) »

- article L. 134-7 : « Pour toute opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission, soit lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat, soit lorsque, dans les conditions prévues à l'article L. 134-6, l'ordre du tiers a été reçu par le mandant ou par l'agent commercial avant la cessation du contrat d'agence. »

- article L. 134-11, au sujet du contrat d'agent commercial conclu à durée indéterminée :

« (...) Lorsque le contrat d'agence est à durée indéterminée, chacune des parties peut y mettre fin moyennant un préavis. (...)

La durée du préavis est d'un mois pour la première année du contrat, de deux mois pour la deuxième année commencée, de trois mois pour la troisième année commencée et les années suivantes. (...)

Ces dispositions ne s'appliquent pas lorsque le contrat prend fin en raison d'une faute grave de l'une des parties ou de la survenance d'un cas de force majeure. »

- article L. 134-12 : « En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.

L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.

Les ayants droit de l'agent commercial bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent. »

- article L. 134-13 : « La réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans les cas suivants :

1°) La cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

2°) La cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou la maladie de l'agent commercial, par suite desquels la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée ;

3°) Selon un accord avec le mandant, l'agent commercial cède à un tiers les droits et obligations qu'il détient en vertu du contrat d'agence. »

Il résulte de ces dispositions que l'agent commercial est un mandataire indépendant et à ce titre, doit comme tout mandataire, respecter le mandat qui lui a été confié et accomplir avec diligence sa mission et en rendre compte au mandant, mais bénéficie d'une indépendance dans l'organisation de son travail.

En cas de rupture du contrat d'agent commercial, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi sauf dans l'une des trois hypothèses prévues par l'article L. 134-13 du Code de commerce, et notamment, quand la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.

La faute grave s'entend de la faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel. Des manquements contractuels de l'agent commercial ne le privent du droit à réparation prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce que s'ils revêtent la qualification de faute grave et c'est au mandant de rapporter la preuve d'une telle faute.

Sur la faute grave

Il est constant qu'en l'espèce, c'est le mandant, la société X qui a pris l'initiative de la rupture du contrat d'agent commercial, qu'elle a notifié à M. Z par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 mars 2018. M. Z a assigné la société X le 14 mai 2018 en réclamant une indemnité de rupture à hauteur de 84 000 et a donc notifié au mandant dans le délai d'un an à compter de la rupture du contrat, qu'il entendait faire valoir ses droits.

Pour s'opposer à toute indemnisation de M. Z, la société X souligne qu'elle n'invoque pas la réalisation d'un chiffre d'affaires insuffisant par M. Z, de sorte que cette question ne sera pas étudiée, mais des manquements répétés de sa part à ses obligations d'information et de loyauté, constituant selon elle une faute grave.

Elle invoque les manquements suivants, détaillés dans son courrier de rupture du contrat en date du 21 mars 2018 et complétés dans ses conclusions par des manquements que M. Z aurait commis pendant l'exécution de son mandat mais dont elle n'aurait eu connaissance qu'après la rupture, notamment grâce aux pièces produites en justice par M. Z :

- M. Z aurait refusé de se conformer aux instructions de sa mandante, en accordant aux clients des conditions tarifaires et des remises contraires à la politique commerciale de la société X,

- il aurait refusé toute communication avec la société X, la privant de l'information indispensable pour conduire sa politique commerciale,

- il n'aurait pas collaboré de manière loyale avec son mandant,

- il aurait fait preuve d'une inertie totale dans le démarchage et la prospection de clientèle et se serait contenté de travailler avec les 35 clients qu'il avait dès l'origine.

Sur le premier point, M. Z en sa qualité de mandataire, doit, tout en étant indépendant dans l'exercice de sa profession, suivre les conditions tarifaires fournies par la société X ainsi que la politique commerciale donnée par cette dernière concernant notamment les remises et escomptes accordés aux clients.

S'il s'est plaint de ne pas avoir obtenu les tarifs 2018, il ne conteste pas avoir eu ceux des années précédentes ni avoir eu connaissance de la politique commerciale de la société concernant les remises et les "envois franco de port".

Il ressort des attestations concordantes établies par M. W, salarié de la société X et Mme A, ancienne salariée ayant quitté la société X en août 2015, que M. Z accordait très souvent des remises et "des envois en franco de port" sans consulter au préalable la direction, Mme A ajoutant qu'il refusait de vendre les produits de l'entreprise autres que la mercerie, notamment la lingerie, les vêtements, malgré les demandes de la direction.

M. Z ne conteste pas ces faits dans ses conclusions. Outre des rappels à l'ordre verbaux, ainsi qu'il ressort des témoignages versés aux débats, ces manquements ont été notifiés par écrit à M. Z par courrier du 25 janvier 2018 et ce dernier n'indique pas dans ses courriers en réponse accepter d'en tenir compte pour l'avenir.

La société X insiste en second lieu dans son courrier du 21 mars 2018 de rupture du contrat sur le refus, par M. Z de toute communication avec la société X, la privant de l'information indispensable pour conduire sa politique commerciale. Elle lui fait notamment grief de ne pas échanger avec elle sur son activité, l'état du marché, les demandes ou réclamations des clients, sur les cessations d'activité ou changements d'adresse des clients.

Si la loi n'impose aucune fréquence quant aux contacts devant avoir lieu entre l'agent commercial et son mandant et si, en l'absence de contrat écrit, il n'est pas établi de règles particulières sur ce point qui auraient été notifiées à M. Z lui imposant par exemple, un compte rendu hebdomadaire ou un rendez-vous mensuel, ce dernier devait néanmoins en sa qualité de mandataire, rendre compte à son mandant de manière régulière de l'exécution de son mandat.

M. W atteste qu'en trois ans, M. Z ne s'est présenté au siège qu'à trois reprises et précise qu'il lui a été demandé à ce dernier "à plusieurs reprises et avec insistance" de venir voir M. X pour faire le point, et qu'il répondait à chaque fois qu'il n'avait pas le temps. Mme B atteste pour sa part que M. Z ne souhaitait pas échanger sur la question des visites de la clientèle et le démarchage de nouveaux clients, indiquant qu'il n'avait pas le temps.

Contrairement à ce qu'indique l'appelant, l'attestation de Mme B, qui indique que M. Z passait au départ chaque lundi au bureau de la facturière pendant quelques mois avant que leur relation se dégrade, n'est pas contradictoire avec l'attestation de M. W qui évoque les visites de M. Z au siège de la société, le "siège" désignant la direction de la société, ainsi qu'il ressort de l'attestation de sa gérante qui confirme qu'en trois ans, M. Z est allé trois fois M. X.

M. W, Mme B et Mme A indiquent de manière concordante que M. Z souhaitait travailler seul et ne souhaitait pas de contact avec la société et son personnel.

Il est en outre établi que M. Z a été convoqué le 1er juin 2017 à un entretien avec M. X qu'il a honoré mais qu'il a ensuite décliné une nouvelle invitation proposée le 26 juillet 2017 en précisant qu'il le recontacterait début août 2017 pour une visite dans ses locaux, ce qu'il n'allègue pas avoir fait. La société X indique dans un courrier du 6 février 2018 adressé à M. Z lui avoir proposé, sans y parvenir deux dates pour un rendez-vous en février 2018 sans réponse de sa part, et lui avoir demandé des compte-rendu hebdomadaires d'activité en 2018 qu'il n'a pas non plus effectués. Mme B précise ne plus avoir eu de contact avec M. Z depuis août 2017 alors que sa mission consistait notamment dans la réception des commandes des clients.

M. X ne conteste pas ces éléments dans ses conclusions. Il estime toutefois n'avoir commis aucune faute au motif qu'il a scrupuleusement et régulièrement adressé chaque jour à la société X les bons de commande reçus des clients, dans lesquels étaient mentionnés les entreprises, villes, noms visités et remarques de la clientèle.

Cet envoi régulier par M. Z des bons de commande des clients, qui est admise par la société X est toutefois insuffisant pour rendre compte de l'ensemble de son activité, dont il n'est pas contesté qu'elle va au-delà de la seule négociation et réception de commandes, mais englobe aussi la négociation de nouveaux contrats, ce qui suppose un minimum d'échanges sur l'état du marché, les attentes des clients et les démarches de prospection réalisées en vue de rechercher de nouveaux clients acquis. La cour constate en outre que les quelques bons de commande produits par cette dernière sont peu lisibles, très succincts et sans récapitulatif permettant d'avoir une vision régulière de l'activité (pièce 24 produite par l'intimée).

La société X, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 janvier 2018 a demandé à M. Z de lui adresser un compte rendu hebdomadaire de son activité. Dans un courrier du 6 février 2018, elle indique ne pas avoir reçu ces compte-rendu. M. Z n'a pas prétendu dans ses courriers en réponse ou dans ses conclusions les avoir adressés, ne serait-ce que pour partie s'il estimait que la fréquence hebdomadaire était excessive.

Par ailleurs, les développements de M. Z sur le fait que c'est la société X et non lui qui aurait manqué à ses obligations notamment d'information et de paiement de sa rémunération ne font pas disparaître ses propres manquements, ce d'autant que les manquements de la société X évoqués par M. Z sont limités dans le temps puisqu'il se plaint d'une part de l'absence de communication des tarifs 2018, étant rappelé que le contrat a été rompu en mars 2018, d'autre part de l'absence de paiement régulier de sa rémunération courant 2017, la société X justifiant toutefois en pièce 10 avoir réglé cette rémunération, mais parfois en deux versements mensuels, et M. Z s'étant désisté de son action en paiement engagée par acte du 20 octobre 2017.

Il est ainsi établi que M. Z n'a eu que trois rencontres avec la direction de la société, ne rendait pas compte de son activité sous d'autres formes, hormis l'envoi des bons de commande et que cette très grande réticence de l'intéressé à informer son mandant a été observée pendant toute la durée de l'exécution de son mandat et a persisté en dépit de demandes verbales, ainsi qu'en atteste M. W, puis écrites. Le caractère répété de ce manquement a porté atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun, la société X n'ayant aucune visibilité sur l'activité de son agent commercial hormis par l'envoi de bons de commande au fil de l'eau et ne pouvant échanger avec lui sur l'état du marché, les perspectives de développement commercial, la prospection de nouveaux clients, ce qui à terme, a rendu impossible le maintien du lien contractuel et constitue une faute grave.

En troisième lieu, il ressort des attestations produites par l'intimée que M. Z dénigrait et rabaissait l'entreprise et le personnel d'une façon systématique auprès de ses clients, ce qui constitue un manquement à l'obligation de loyauté (attestation de Mme A), refusait de s'occuper des clients de l'entreprise qui n'étaient pas les siens (attestation de Mme A), était très incorrect avec le personnel de son mandant (attestations de M. W et de Mme B).

Il est aussi établi par les propres pièces de l'appelant (15 à 20) qu'il a soumis à certains de ses clients un questionnaire de satisfaction, sans alléguer ni a fortiori établir que la société était à l'origine de cette démarche ou au moins informée. M. Z est totalement taisant sur ce point dans ses écritures et notamment ne contredit pas sa mandante lorsqu'elle indique n'avoir jamais été informée des résultats de ce questionnaire avant l'envoi de ces pièces dans le cadre de l'instance judiciaire. Il ne donne aucune précision sur le contexte dans lequel il a adressé cette enquête, et la manière dont il l'a présentée à la clientèle, ni sur le nombre de clients auxquels il l'a adressée.

Ces comportements de M. Z, réalisés à l'insu de la société X pendant l'exécution de son mandat caractérisent un grave manquement au devoir de loyauté qui porte également atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel.

Il résulte de ces développements que même si de nombreux clients attestent du professionnalisme de M. Z à leur égard (pièces 4 à 14 produites par l'appelant), ce dernier a commis à l'égard de son mandant, dans l'exécution de son contrat d'agent commercial, divers manquements à ses obligations de tenir compte de la politique commerciale de l'entreprise, de rendre compte de son mandat et de loyauté, qui sont suffisamment graves et répétés en dépit de mises en garde verbales puis écrites, pour constituer une faute grave à l'origine de la cessation du contrat d'agent commercial, au sens des articles L. 134-11 in fine et L. 134-13 du Code de commerce. Le jugement sera en conséquence infirmé.

Sur les demandes financières

La cessation du contrat ayant été provoquée par la faute grave de M. Z, ce dernier, en application des dispositions susvisées n'a pas droit à l'indemnité de préavis prévue par l'article L. 134-11 du Code de commerce ni à la réparation du préjudice subi prévue par l'article L. 134-12 du même code. Il doit donc être débouté de ces demandes par infirmation du jugement s'agissant de l'indemnité de préavis, et par confirmation pour ces motifs substitués aux siens s'agissant de l'indemnité de rupture.

L'article L. 134-5 dispose que tout élément de la rémunération variant avec le nombre ou la valeur des affaires constitue une commission au sens du présent chapitre et que les articles L. 134-6 à L. 134-9 s'appliquent lorsque l'agent est rémunéré en tout ou partie à la commission ainsi définie.

Or, il ressort de l'attestation de M. X produite en pièce 1 par M. Z que la rémunération de ce dernier était entièrement fixe, sans aucune partie variable. Elle n'a donc pas le caractère de commissions et la demande formée à ce titre en application des articles L. 134-6 et L. 134-7 du Code de commerce doit être rejetée, par confirmation du jugement.

Sur la demande de communication des chiffres d'affaires de la société X

M. Z ne justifie pas de la nécessité de connaître le chiffre d'affaires de la société X pour déterminer son propre chiffre d'affaire et faire sa comptabilité puisqu'il ne percevait pas de rémunération variable en fonction du chiffre d'affaires de la société. En outre dès lors que les griefs formés et retenus contre lui ne concernent pas le chiffre d'affaires qu'il a réalisé, la connaissance du chiffre d'affaires de la société X n'est pas non plus justifiée à ce titre.

Cette demande sera donc rejetée par confirmation du jugement sur ce point.

Sur les autres demandes

M. Z succombant en toutes ses demandes, il sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel et versera à la société X la somme de 2000 au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et la somme de 2500 au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

- Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :

* débouté M. Z de sa demande d'indemnité de 84 000 euros.

* débouté M. Z de sa demande de commissions de 10 500 euro HT sur les périodes antérieures et postérieures à la cessation du contrat,

* débouté M. Z de sa demande de communication des chiffres de la société d'exploitation des établissements X sous astreinte ;

- Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

- Dit que la cessation du contrat d'agent commercial conclu entre les parties a été provoquée par la faute grave de M. Z ;

- Déboute en conséquence M. Z de sa demande de paiement de la somme de 84 000 à titre d'indemnité de rupture et la somme de 10 500 HT au titre de l'indemnité de préavis ;

- Condamne M. Z à verser à la société d'exploitation des établissements X une indemnité de 2 000 au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et une indemnité de 2500 au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour ;

- Condamne M. Z aux entiers dépens de première instance et d'appel.