CA Grenoble, ch. com., 17 septembre 2020, n° 18/00023
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Antenor Immobilier Grenoble (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Gonzalez
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
Avocats :
Me Roguet, Me Descheemaker
Faits et procédure :
Le 16 décembre 2013, X a signé un contrat d'agent commercial avec la société Antenor Immobilier, agence immobilière exerçant son activité à Grenoble et dans sa région, lui donnant mandat de représentation auprès de la clientèle qu'il démarchait.
Le 21 juillet 2014, la société Antenor a résilié le contrat d'agent commercial et a signifié un préavis d'une durée d'un mois avec un droit de suite de six mois.
Le 14 janvier 2015, Monsieur X a sollicité par lettre recommandée avec accusé de réception le paiement d'une indemnité de cessation de contrat pour la somme de 20.316,04 euros. Le 16 mars 2015, la société Antenor lui a indiqué ne rien devoir au titre de la cessation de contrat mais qu'au contraire, il restait lui devoir la somme de 5.079,76 euros au titre d'un trop perçu de commissions.
Par acte du 27 juillet 2015, X a assigné la société Antenor devant le tribunal de commerce de Grenoble aux fins de, vu les articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, voir dire qu'il n'a commis aucune faute à l'issue de son contrat d'agent commercial, que l'indemnité de fin de contrat lui est acquise et en conséquence, voir condamner la société Antenor à lui payer la somme principale de 20.316,64 euros.
Par jugement du 17 novembre 23017, le tribunal de commerce de Grenoble :
- s'est déclaré compétent pour connaître de la question du calcul de l'indemnité de fin de contrat ;
- a condamné la société Antenor à payer à Monsieur X la somme de 20.316,64 euros à ce titre,
- a débouté la société Antenor de toutes ses autres demandes,
- a condamné la société Antenor à payer à Monsieur X la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
La société Antenor a relevé appel de cette décision par déclaration du 21 décembre 2017.
La clôture est intervenue le 19 décembre 2019.
Prétentions et moyens de la société Antenor Immobilier :
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 6 mars 2018, la société Antenor demande à la cour, au visa des articles L. 134-12 et suivants du code de commerce :
- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée au paiement de l'indemnité de fin de contrat, l'a déboutée de ses demandes et condamnée à une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- statuant à nouveau, de constater que Monsieur X n'a perçu aucune rémunération au cours de l'exécution de son contrat d'agent commercial,
- par conséquent, de constater que Monsieur X, suite à la cessation de son contrat d'agent, n'a subi aucun préjudice correspondant à la perte de ses rémunérations qui s'avèrent inexistantes,
- de débouter Monsieur X de ses prétentions, et de le condamner à lui rembourser la somme de 5.079,17 euros au titre des indemnités de droit de suite indûment perçues ;
- en tout état de cause, de le condamner à lui payer 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Elle expose :
- avoir offert une première expérience professionnelle à Monsieur X qui n'avait aucune expérience en matière de vente immobilière, avec accompagnement personnalisé et formation en parallèle ; que l'intimé s'en enregistré comme agent commercial en matière immobilière et a commencé à bénéficier d'un suivi permanent ; qu'il a ensuite bénéficié d'un contrat d'agent commercial à compter du 6 janvier 2014 ; que la commission prévue par le contrat en son article 11 était la seule rémunération à laquelle Monsieur X pouvait prétendre, assumant tous les frais de sa prospection et de son organisation par dérogation à l'article 2000 du code civil ; qu'il a été prévu qu'il pourra effectuer des remises à la clientèle uniquement sur la part des honoraires lui revenant sauf accord express du mandant ;
- que quelques mandats ont été signés début 2014 par elle et Monsieur X, toujours suivi et accompagné dans le cadre de sa formation, compte tenu de son jeune âge et de son statut de jeune diplômé ; que l'intimé a rapidement montré des difficultés dans la réalisation de sa mission à s'adapter à la réalité du terrain, se destinant davantage à des fonctions de management d'équipes ; qu'il n'a pas apporté des garanties suffisantes pour la bonne réalisation de ses missions de sorte qu'elle a résilié le contrat avec effet au 20 août 2014 après expiration du préavis ;
- que l'intimé n'a perçu aucune commission pendant le contrat, mais qu'il a reçu postérieurement à sa résiliation la somme de 10.158,32 euros au titre du droit de suite à valoir sur six ventes alors qu'en application de l'article 12 du contrat concernant le « droit de suite », le mandant à droit à une rémunération de 50 % des commissions qu'il aurait perçues au titre d'opérations auxquelles il a participé si ces commissions ont été acquises pendant l'exécution du contrat.
L'appelante soutient :
- que les agents commerciaux ont droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi en cas de cessation du contrat, calculée au regard des commissions acquises pendant son exécution, se calculant donc sur la base de leurs seules rémunérations avant la cessation des relations contractuelles, et non postérieurement ;
- que l'article 6 de la loi Hoguet prévoit que l'agent immobilier ne voit ses commissions acquises que lorsque l'acte définitif de vente est signé par les deux parties, de sorte que s'il n'a vu aucune vente se réaliser, il n'a acquis aucune commission, les actes définitifs de vente étant intervenus postérieurement à la fin du contrat ;
- qu'en l'espèce, le contrat d'agent commercial a duré sept mois et demi, entre le 6 janvier 2014 et le 20 août 2014, alors qu'aucun acte définitif de vente n'est intervenu pendant cette période au titre des mandats gérés par l'intimé, de sorte qu'aucune commission n'a été perçue ;
- que Monsieur X confond indemnité compensatrice et droit de suite dont il a bénéficié, ce droit prévu par l'article 12 du contrat ayant pour but d'indemniser le travail effectué par l'agent pendant l'exécution du contrat, qui aurait abouti à une réitération de la vente postérieurement à sa cessation ;
- subsidiairement, que l'intimé n'a subi aucun préjudice au regard de l'article L. 134-12 du code de commerce, puisque l'indemnité compensatrice a un caractère réparateur et ne correspond pas à une compensation de la propriété de la clientèle qui reste acquise au mandant ; que si cette indemnité est souvent calculée selon l'usage de la moyenne de deux années de commissions brutes perçues, son montant reste soumis à l'appréciation souveraine du juge du fond, notamment compte tenu de la durée du contrat ; que le contrat a duré 7 mois et demi alors que l'intimé n'avait aucune expérience et aucun portefeuille de clients préexistant ; qu'il n'a été impliqué que dans six ventes et ne peut revendiquer un droit sur une clientèle inexistante ;
- que le jugement déféré doit être ainsi infirmé, les premiers juges ayant retenu que le contrat d'agent commercial a été résilié à la seule initiative du mandant, sans qu'une faute de l'intimé ne soit justifiée ni une cause réelle et sérieuse, ce qui l'a privé de la possibilité de développer cette activité et de constituer un portefeuille de clients susceptible de générer des commissions et lui cause ainsi un préjudice, devant être réparé par une indemnité calculée sur deux années de commissions brutes perçues ; qu'en effet, le tribunal de commerce a méconnu le principe selon lequel l'indemnité compensatrice est calculée au regard des commissions acquises pendant le mandat ;
- reconventionnellement, que l'article 11 du contrat a prévu que l'intimé percevra sur les affaires réalisées par son intermédiaire, 50 % des honoraires nets HT effectivement encaissés par le mandant, ou lui restant après paiement des honoraires éventuellement dus à d'autres confrères ou intermédiaires ; qu'en cas de cessation du contrat, l'article 12 prévoit que ce droit de suite est conditionné à la conclusion définitive des affaires en cours dans un délai de six mois suivant la date d'expiration du mandat, et sous réserve qu'elles soient la suite et la conséquence du travail de prospection réalisé par le mandataire ; que dans l'hypothèse où le suivi des affaires a été en partie réalisé par un autre collaborateur, le droit de suite est réduit de moitié ; que l'intimé a perçu une somme totale de 10.158,33 euros alors qu'il n'aurait dû en percevoir que la moitié et qu'il doit ainsi lui restituer ce trop perçu.
Prétentions et moyens de X :
Aux termes de ses dernières conclusions déposées par voie électronique le 29 mai 2018, il demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris,
- de débouter en conséquence la société Antenor Immobilier de ses prétentions,
- de la condamner à lui payer 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.
Il soutient :
- que depuis 1991, le principe est que toute cessation du contrat d'agent ouvre droit à une indemnité pour réparer le préjudice subi comprenant la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, calculée sur la totalité de ces rémunérations sans qu'il y ait lieu de distinguer selon leur nature ; que la société Antenor a mis fin au contrat sans qu'il ait commis aucune faute ;
- que la jurisprudence adopte un mode de calcul en la fixant à deux années de commissions brutes perçues par l'agent ; qu'il a perçu 10.158,32 euros de commissions de sorte qu'il a droit à une indemnité représentant le double de ce qu'il a ainsi perçu ; que si l'appelante conteste cette valeur au motif que l'indemnité doit être calculée sur les seules rémunérations perçues avant la rupture du contrat, et qu'il n'aurait ainsi droit à aucune indemnité compensatrice, il a cependant bien perçu des commissions au titre des ventes réalisées, alors que la jurisprudence ne distingue pas entre commission et droit de suite, qui sont toutes les deux des rémunérations, le processus de vente étant long ;
- qu'il a subi un préjudice puisqu'il a investi son énergie et son temps pour le développement de ses affaires, n'a commis aucune faute, avait les diplômes et aptitudes nécessaires pour la profession, alors que suite à la rupture du contrat, il n'a pas eu d'indemnités Pôle emploi, a dû retourner vivre chez sa mère, ne pouvant plus assumer un logement ;
- concernant la demande reconventionnelle de la société Antenor, qu'elle n'a fait aucune demande de restitution en dehors de la présente procédure ; que si l'article 12 du contrat prévoyait la possibilité de réduire son droit à rémunération en cas de cessation du mandat, si le suivi des affaires était réalisé par un autre collaborateur, il a assuré le suivi de toutes les ventes concernées, puisque les compromis ont été signés avant la résiliation du contrat et qu'il ne restait qu'à aviser les parties de la date de la signature de l'acte authentique ; que c'est pour cette raison de l'appelante a accepté ses factures et les a payées ; qu'elle ne justifie ainsi pas du bien-fondé de cette réclamation.
ll convient pour un plus ample exposé des prétentions et arguments des parties de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision :
Aux termes de l'article L. 134-12 du code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. L'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, s'il entend faire valoir ses droits.
En l'espèce, le contrat a été résilié à l'initiative de la société Antenor, sans qu'il ne soit justifié d'une faute, la lettre du 21 juillet 2014 notifiant à l'intimé la fin de la relation n'invoquant aucun motif. L'intimé a fait valoir ses droits avant l'expiration du délai prévu à l'article précité.
Selon le décompte produit par l'appelante, elle a versé 10.158,33 euros au titre des commissions dues au titre de six ventes intervenues entre le 14 mai et le 27 août 2014 (dates des compromis), réitérées entre le 11 septembre et le 6 novembre 2014 par actes authentiques.
Le contrat d'agent commercial signé le 16 décembre 2013 a prévu une commission de 50 % des honoraires HT encaissés par l'appelante. Ces honoraires perçus par l'agence sont diminués de moitié si un tiers intervient à la transaction et l'agent commercial n'a alors droit qu'à 25 % de la totalité de la commission.
Tous les mandats et actes authentiques de vente ne sont pas produits, ni par l'appelante ni par l'intimé. Ce dernier fonde sa demande en paiement sur cinq factures concernant les honoraires concernant six ventes : Fasola (5.000 euros TTC), Costard et Sci Ami Investissement (7.500 euros TTC), Retornaz (7.130 euros TTC), Domestico (8.000 euros TTC), Gervais (6.000 euros TTC). A l'exception de ces deux dernières ventes, l'intimé a cependant précisé dans ses factures que l'intégralité des commissions n'est pas due. Il n'en a en conséquence revendiqué que 25 % (soit la moitié de la commission encaissée par l'agence), ainsi que prévu dans le contrat d'agent commercial.
Ces factures correspondent au propre tableau de ces commissions établi par l'appelante. Il en résulte qu'elle a ainsi encaissé 20.316,67 euros de commissions, dont 50 % revenant à l'intimé, soit 10.158,33 euros.
Il est constant que l'intimé n'a reçu, au cours de la relation contractuelle, aucun paiement. Au titre des articles L. 134-9 et 134-10 du code de commerce, la commission est acquise dès que le mandant a exécuté l'opération ou devrait l'avoir exécutée en vertu de l'accord conclu avec le tiers ou bien encore dès que le tiers a exécuté l'opération. La commission est acquise au plus tard lorsque le tiers a exécuté sa part de l'opération ou devrait l'avoir exécutée si le mandant avait exécuté sa propre part. Elle est payée au plus tard le dernier jour du mois qui suit le trimestre au cours duquel elle était acquise. Le droit à la commission ne peut s'éteindre que s'il est établi que le contrat entre le tiers et le mandant ne sera pas exécuté et si l'inexécution n'est pas due à des circonstances imputables au mandant.
Rien n'indique que ces dispositions ne concernent que le paiement des commissions au cours de l'exécution du contrat d'agent commercial et non le paiement des commissions résultant de ventes conclues pendant l'exécution du contrat, mais régularisées par acte authentique après son expiration. L'agent commercial a ainsi droit au paiement des commissions pour les affaires qu'il a conclu pendant l'exercice du mandat, même si elles n'ont été régularisées qu'après sa cessation. Il s'agit d'un droit de suite.
A ce titre, l'article 12 du contrat stipule qu'en cas de cessation du mandat d'intérêt commun, l'agent commercial bénéficie d'un droit de suite des affaires en cours, au titre des commissions qu'il aurait pu percevoir dans le cas où le contrat n'aurait pas expiré, mais réduit de moitié, cette réduction étant fondée sur le fait que le suivi des affaires en cause est en partie réalisé par un autre collaborateur.
En conséquence, au titre des affaires effectivement réalisées, l'intimé pouvait prétendre à une indemnité de 10.158,33 euros (les commissions normalement dues s'il avait continué à exercer son mandat lors de la réitération des ventes), mais réduite de moitié en raison de la confirmation des ventes après cessation de ses fonctions, soit une indemnité totale de 5.079,17 euros. Il n'appartient pas à la cour de vérifier si l'intimé avait effectivement totalement finalisé les contrats lors de la fin de son mandat, l'article 12 prévoyant un forfait.
Après la fin du mandat, l'article L. 134-12 du code de commerce dispose que l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Cette indemnité vise à indemniser le préjudice subi par l'agent commercial en raison de la perte du bénéfice de la valeur attachée à la clientèle qu'il a contribué à développer, et dont le mandant conserve l'exploitation. Elle est ainsi différente de l'indemnité prévue au titre du droit de suite, qui vise seulement à régulariser le paiement des commissions dues au titre des affaires effectivement réalisées pendant le mandat, mais non définitives lors de sa cessation. Elle n'est pas calculée sur les commissions dues au titre de ventes conclues pendant le mandat et réitérées après son expiration, mais au regard de l'activité totale générée par l'agent commercial et en fonction de la durée de cette activité.
En l'espèce, les relations contractuelles ont été de courte durée, puisque si le contrat d'agent commercial a pris effet le 16 décembre 2013, il a été résilié avec effet au 21 août 2014. Il est constant que l'intimé n'avait pas d'expérience, et qu'il n'a apporté aucune clientèle. Le volume de vente réalisé indique qu'il n'a pas constitué une clientèle pendant l'exercice du mandat, ainsi que soutenu par l'appelante. Il ne peut en conséquence prétendre au paiement d'une indemnité à ce titre, aucun préjudice ne pouvant être caractérisé.
L'appelante a payé, après la cessation du mandat, la somme de 10.158,33 euros, alors qu'en application de l'article 12 du contrat, l'intimé ne pouvait prétendre qu'à la moitié de cette somme au titre du droit de suite. En conséquence, elle est bien fondée à demander la restitution de 5.079,17 euros.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.
Succombant en ses demandes, Monsieur X sera condamné à payer à la société Antenor Immobilier la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles du L. 134-9, L. 134-10 et L. 134-12 code de commerce ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau :
Déboute Monsieur X de ses prétentions ;
Condamne Monsieur X à rembourser à la société Antenor Immobilier la somme de 5.079,17 euros au titre des indemnités de droit de suite indûment perçues ;
Condamne Monsieur X à rembourser à la société Antenor Immobilier la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur X aux dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.