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Décisions

Cass. com., 16 septembre 2020, n° 18-11.034

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

TDF (SAS), TDF Infrastructure Holding (SAS), TDF Infrastructure (SAS)

Défendeur :

Présidente de l'Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie de l'Industrie et du Numérique

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Poillot-Peruzzetto

Avocat général :

Mme Pénichon

Avocats :

SCP Piwnica et Molinié, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Cass. com. n° 18-11.034

16 septembre 2020

Faits et Procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 décembre 2017), saisie par la société Itas Tim, opérateur de diffusion de services audiovisuels concurrent de la société TDF, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), après avoir notifié des griefs, a, par décision n°16-D-11 du 6 juin 2016 (la décision de l'Autorité), dit qu'il est établi que la société TDF, en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition, devenue TDF Infrastructure Holding, et Tyrol Acquisition 2, devenue TDF Infrastructure, en leurs qualités de sociétés mères de la société TDF, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce et celles de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), d'une part, en mettant en œuvre une communication trompeuse et dénigrante auprès des collectivités locales (article 1er) et, d'autre part, en mettant en œuvre une politique de remise tarifaire dite « de plaque géographique » en faveur des éditeurs de programmes télévisuels dits opérateurs de « multiplex » qui s'approvisionnent auprès de la société TDF pour une part importante, ou pour la totalité, des sites de diffusion d'une zone géographique déterminée (article 2).

2. L'Autorité a infligé, solidairement, aux sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure (les sociétés TDF) une sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l'article 1er et une autre au titre des pratiques visées à l'article 2.

3. Sur le recours des sociétés TDF, la cour d'appel a annulé l'article 1er de la décision de l'Autorité, mais seulement en tant qu'il a dit établi que les sociétés TDF avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE en mettant en œuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales. Elle a, en conséquence, réduit la sanction pécuniaire infligée au titre de la pratique de communication trompeuse. Enfin, la cour d'appel a rejeté tous les autres moyens d'annulation ou de réformation de la décision de l'Autorité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

5. Les sociétés TDF font grief à l'arrêt de rejeter leur recours contre la décision de l'Autorité en ce qu'elle disait qu'il est établi qu'elles ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du code de commerce et celles de l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une remise de plaque géographique et en ce qu'elle leur a infligé solidairement une sanction pécuniaire d'un montant de 9 millions d'euros, alors :

« 1°) que les rabais d'exclusivité ou de fidélité sont ceux dont l'octroi est lié à la condition que le client s'approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante : qu'en affirmant que « appréciée au niveau de chaque plaque géographique, la remise de plaque réunit toutes les caractéristiques d'un rabais d'exclusivité au sens de la jurisprudence des juridictions de l'Union », après avoir retenu que « le bénéfice de chaque remise de plaque (…) ne pouvait être qualifié de rabais d'exclusivité », la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

2°) que face à des rabais d'exclusivité, le juge est notamment tenu d'analyser l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent ainsi que le taux de couverture du marché par la pratique contestée ; qu'en affirmant au contraire que « dès l'instant où les concurrents de la société TDF (…) sont tous des opérateurs d'envergure nationale, le constat que la remise de plaque a produit un effet d'éviction, fut il limité à une seule plaque, suffit à conclure au bien-fondé du grief n°3 », la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

3°) que pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un rabais d'exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu non seulement d'analyser, l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent et le taux de couverture du marché par la pratique contestée, ainsi que les conditions et les modalités d'octroi des rabais en cause, leur durée et leur montant, mais aussi d'apprécier l'existence éventuelle d'une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu'en se bornant à affirmer que « la remise de plaque a eu potentiellement un effet d'exclusion de la concurrence » ou encore « qu'afin d'établir le caractère abusif d'une pratique, l'effet anticoncurrentiel de celle-ci sur le marché doit exister, sans être nécessairement concret, la démonstration d'un effet anticoncurrentiel potentiel étant suffisante », après avoir admis que « l'Autorité ne pouvait présumer, comme elle l'a fait, que les remises de plaque étaient constitutives d'un abus de position dominante », la cour d'appel qui a statué par des motifs impropres à démontrer concrètement l'existence d'une éventuelle stratégie d'éviction de TDF, n'a pas légalement justifié sa décision de base légale au regard des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

4°) que pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un rabais d'exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d'apprécier l'existence éventuelle d'une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu'en considérant que les requérantes ne démontrent pas positivement l'absence d'effet concret de la pratique sur le marché, ainsi que le souligne justement l'Autorité dans ses observations, quand il incombait, au contraire, à l'Autorité de la concurrence d'établir l'existence d'une stratégie d'éviction de TDF, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

5°) que pour établir le caractère anticoncurrentiel d'un rabais d'exclusivité, le juge de la concurrence est désormais tenu d'apprécier l'existence éventuelle d'une stratégie visant à évincer les concurrents au moins aussi efficaces ; qu'en reprochant à la société TDF d'avoir abusé de sa position dominante en instituant des remises de plaques géographiques prétendument assimilables à des rabais d'exclusivité, tout en admettant qu'aucune relation de cause à effet ne peut être démontrée entre les pratiques de remises de plaques et les disparitions, de plusieurs sociétés du secteur, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé de plus fort les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »  

Réponse de la Cour  

6. En premier lieu, l'arrêt énonce d'abord que, selon la jurisprudence de l'Union européenne, les rabais d'exclusivité, dont l'octroi est subordonné à la condition que le client s'approvisionne pour la totalité ou une partie importante de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante, sont présumés incompatibles avec l'objectif d'une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu'ils ne reposent pas, sauf circonstances exceptionnelles, sur une prestation économique justifiant cet avantage financier mais tendent à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement et à barrer l'accès au marché aux autres producteurs, de tels rabais tendant en effet à empêcher, par la voie d'un avantage financier, l'approvisionnement des clients auprès des producteurs concurrents (CJUE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, C-85/76, point 89 ; 9 novembre 1983, Michelin/Commission, C-322/81, point 71 ; 19 avril 2012, Tomra e.a./Commission, C-549/10 P, point 70 ; 6 septembre 2017, Intel/Commission, C-413/14 P, point 137). Il en déduit que, pour apprécier si un rabais peut être qualifié de rabais d'exclusivité, il convient de prendre en considération les besoins du client sur le marché sur lequel le fournisseur détient une position dominante.

7. L'arrêt relève ensuite que, du point de vue des besoins du client, la remise litigieuse se distingue des rabais d'exclusivité des arrêts Hoffmann-Laroche et Intel en ce que, dans ces affaires, ces besoins étaient appréciés sur le marché géographique retenu tandis que dans le système de rabais litigieux, les besoins de l'opérateur de multiplex sur une seule plaque géographique donnée sont pris en compte pour qu'il puisse, ou non, bénéficier de la remise de plaque, indépendamment du choix de cet opérateur sur les autres plaques. Ayant constaté que le bénéfice de chaque remise de plaque n'était pas subordonné à la condition que l'opérateur de multiplex confie la totalité ou une partie importante de ses besoins de diffusion à la société TDF sur le marché de gros aval, qui est un marché national, l'arrêt retient que le système de rabais mis en place par la société TDF ne peut être qualifié de rabais d'exclusivité dont le caractère abusif est présumé lorsqu'ils émanent d'une entreprise en position dominante et en déduit qu'il lui incombe de rechercher si le système de remise de plaque en cause est constitutif d'un abus de position dominante. Il rappelle qu'afin de déterminer si une entreprise en position dominante a exploité de manière abusive cette position en appliquant un système de rabais, qui n'est ni un rabais d'exclusivité, présumé constituer un abus au sens de l'article 102 du TFUE, ni un rabais de quantité, lequel n'est pas, en principe, de nature à enfreindre ce même article, il faut apprécier l'ensemble des circonstances, notamment les critères et les modalités de l'octroi du rabais, et examiner si ce rabais tend, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l'acheteur, ou à restreindre dans son chef, la possibilité de choix, en ce qui concerne ses sources d'approvisionnement, à barrer l'accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée. L'arrêt énonce ensuite qu'il est de jurisprudence constante des juridictions de l'Union que des rabais accordés pour des quantités individualisées correspondant à la totalité ou à la quasi-totalité de la demande ont le même effet que des clauses expresses d'exclusivité, en ce sens qu'ils amènent le client à s'approvisionner pour la totalité ou pour la quasi-totalité de ses besoins auprès de l'entreprise en position dominante.

8. Ayant estimé, au terme de son analyse, que la remise de plaque réunissait toutes les caractéristiques d'un rabais d'exclusivité, la cour d'appel qui a, d'abord, en raison de ses caractéristiques propres, exclu cette qualification permettant de présumer son caractère abusif et a, ensuite, par l'examen des conditions d'octroi et de mise en œuvre de cette remise, retenu qu'en pratique, elle produisait le même effet qu'un rabais d'exclusivité, consistant, pour le client, à être incité à s'approvisionner pour la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins auprès de la société TDF, n'a pas méconnu les conséquences légales de ses constatations.

9. En deuxième lieu, s'agissant de la forte position dominante sur le marché aval de diffusion de la société TDF, l'arrêt se fonde sur la taille des sociétés ou groupes concurrents, sur la forte notoriété de la société TDF, sur le capital d'informations et de relations qu'elle détient du fait de sa qualité d'ancien opérateur historique de la diffusion hertzienne, sur son intégration verticale sur tout le territoire, sur sa qualité d'opérateur incontournable, ainsi que sur le caractère limité du contre-pouvoir de ses clients et constate que les parts de marchés détenues par la société TDF sur le marché de gros aval sont très fortes en volume comme en valeur. S'agissant du taux de couverture du marché pertinent par la pratique en cause, il relève que les remises de plaque ont concerné 40% du total des points de diffusion et qu'elles ont concerné, pour la clientèle de certains « multiplex », la quasi-totalité du déploiement du réseau complémentaire numérique.

10. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel ne s'est pas bornée, pour apprécier l'existence d'un effet d'éviction anticoncurrentiel, à retenir que, dès l'instant où les concurrents de la société TDF sont tous des opérateurs d'envergure nationale, la remise de plaque avait produit un effet d'éviction, fût-il limité à une seule plaque, mais a, contrairement à ce que soutient le moyen pris en sa deuxième branche, examiné l'importance de la position dominante de la société TDF et le taux de couverture de la pratique.  

11. En troisième lieu, l'arrêt retient, d'abord, que la société TDF ne démontre pas positivement l'absence d'effet concret de la pratique sur le marché. Après avoir, ensuite, relevé que l'Autorité avait constaté que la remise de plaques vise à l'approvisionnement exclusif pour la totalité ou une grande partie des besoins du client multiplex sur une plaque géographique donnée, confère des taux loin d'être négligeables, puisque variant entre 3 et 23 % et conduit à d'importantes économies en fin de contrat du fait que les accords de prestation de service de diffusion sont conclus par les opérateurs multiplex avec la société TDF généralement pour une durée de cinq ans, la remise leur étant accordée pour cette même durée, il en déduit que la remise proposée en contrepartie de la diffusion des programmes des opérateurs à partir d'au moins 70 % des sites de diffusion de chacune des plaques est une puissante incitation faite aux opérateurs de multiplex qui s'adressent de toutes façons à la société TDF pour une part significative de leurs besoins de diffusion, de sorte que le système a eu potentiellement un effet d'exclusion lors des appels d'offres et, lorsque la société TDF les a emportés, pendant la durée des contrats conclus. Il relève que, selon l'ARCEP, nonobstant la régulation sectorielle sur le marché de gros amont, le développement de la concurrence sur le marché de gros aval est resté limité et souligne que le constat du succès d'un concurrent, la société Itas Tim, comme le fait que la concurrence se soit développée pendant la période couverte par la pratique, n'écartent pas l'effet d'éviction dès lors qu'à défaut de la pratique litigieuse, le développement de la concurrence aurait été plus important.  

12. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à examiner l'existence d'une stratégie d'éviction eu égard à sa démonstration des effets potentiels de la pratique en cause sur la concurrence sur le marché de gros aval, réduite dans son intensité et limitée dans son développement, ni à en démontrer les effets concrets, et qui n'a pas inversé la charge de la preuve en observant que, face à l'établissement de l'effet potentiel de la pratique sur la concurrence, la société TDF ne démontrait pas positivement son absence d'effet concret, a pu statuer comme elle a fait.

13. Et en l'absence de doute raisonnable quant à l'interprétation du droit de l'Union européenne sur les questions soulevées par le moyen, il n'y a pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.  

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen de ce même pourvoi  

Enoncé du moyen  

15. Les sociétés TDF font grief à l'arrêt de rejeter tous les autres moyens d'annulation ou de réformation de la décision de l'Autorité et spécialement celui contestant l'imputation aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, désormais TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2, à présent TDF Infrastructure SAS, des pratiques qui sont reprochées à la société TDF, alors  « que si la détention de la totalité du capital d'une filiale par une société mère laisse présumer que cette dernière exerce une influence déterminante sur la politique commerciale de sa filiale, cette présomption d'imputabilité à une société mère du comportement d'une filiale n'est pas irréfragable et ne dispense pas le juge de motiver spécialement sa décision ; que la circonstance que la société mère constitue une « holding pure », sans fonctions opérationnelles, est de nature à renverser la présomption d'influence déterminante : qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 102 du TFUE, L. 420-2 du code de commerce et L. 464-2 du code de commerce. »

Réponse de la cour  

16. L'arrêt retient exactement que le fait de se revendiquer holdings financières et de soutenir n'avoir, en conséquence, aucune implication quelconque dans la gestion opérationnelle de la société TDF, n'est pas, à lui seul, de nature à permettre aux sociétés Tyrol Acquisition 1 et Tyrol Acquisition 2, qui détenaient directement ou indirectement la quasi-totalité du capital de la société TDF, de renverser la présomption de leur influence déterminante sur les pratiques suivies par cette dernière.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen de ce même pourvoi

Enoncé du moyen  

18. Les sociétés TDF font grief à l'arrêt de fixer le montant de l'amende infligée solidairement aux sociétés TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques, et aux sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés mères de la société TDF SAS, à la somme de 8,2 millions d'euros au titre du grief n°1, alors :

1°) que le juge de la concurrence ne peut pas intégrer dans les termes de son analyse des valeurs des ventes sans lien avec l'infraction ; que la valeur des ventes prise en compte pour déterminer l'assiette de la sanction correspond aux ventes réalisées par la société sanctionnée sur le marché concerné par la pratique répréhensible ; qu'en considérant que l'Autorité avait pu valablement retenir comme valeur des ventes au titre du grief n°1, non seulement l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros amont auprès des opérateurs tiers, mais également l'ensemble du chiffre d'affaires réalisé en France par la vente de services de diffusion de la TNT sur le marché de gros aval auprès des clients MUX quand les pratiques qualifiées d'abus de position dominante au titre du grief n°1 ne se sont déployées que sur le seul marché de gros amont, la cour d'appel qui a relevé artificiellement le montant de l'assiette de la sanction, a méconnu le principe de proportionnalité de la sanction en violation de l'article L. 464-2 du code de commerce, et du communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ;

2°) qu'en affirmant que « ni l'ANFR ni aucune autorité publique n'a encouragé les pratiques objet du deuxième volet du grief n°1 », après avoir admis qu'au vu de l'analyse de l'ANFR dont elle avait connaissance, la société TDF « était fondée à considérer que les centres qu'elle exploitait restaient protégés par les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et des communications électroniques, nonobstant le fait qu'elle-même n'était plus un service de l'Etat depuis sa privatisation en 2004 », ou encore que, contrairement à ce que l'autorité a retenu « les décrets de servitudes n'avaient pas disparu de l'ordre juridique en 2009 et 2010 », ce dont il résultait que l'ANFR et les pouvoirs publics ont encouragé la prétendue instrumentalisation des servitudes en laissant penser que TDF pouvait encore les utiliser librement, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

3°) qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la cour d'appel a réduit le degré de gravité du grief n°1 dans la mesure seulement où elle a « écarté l'accusation selon laquelle la société TDF se serait présentée comme un service de l'Etat et jugé non établie la pratique objet du troisième volet du grief n°1 » ; qu'en affirmant, pour refuser de considérer le rôle des pouvoirs publics comme une circonstance atténuante, de la pratique d'instrumentalisation des servitudes que « la cour a tenu compte tant du rôle qu'a joué l'ANFR que du maintien dans l'ordre juridique des décrets de servitude pendant la durée des pratiques, en écartant certain des aspects du deuxième volet du grief n°1, ce qui l'a, entre autres, conduite à retenir un moindre degré de gravité, se traduisant par un pourcentage de la valeur des ventes de 7 % au lieu de 9 % (de sorte que) rien ne justifie d'en tenir compte une seconde fois à titre de circonstance atténuante » quand il ressort au contraire de l'arrêt attaqué que la réduction de la gravité de l'infraction n'était pas justifié par le deuxième volet du grief n°1 et par le comportement des pouvoirs publics ayant maintenu les servitudes existantes, mais seulement par le fait que TDF ne s'est jamais présentée comme un service de l'Etat contrairement à ce qui était soutenu par le troisième volet du grief, la cour d'appel a violé l'article L. 464-2 du code de commerce ;

Réponse de la cour  

19. En premier lieu, après avoir relevé que si le point 33 du communiqué « sanction » précise que la référence retenue pour donner une traduction chiffrée à l'appréciation de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie est la valeur de l'ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l'infraction vendues par l'entreprise durant son dernier exercice comptable complet de participation à celle-ci, le point 39 ajoute que la méthode peut être adaptée dans les cas particuliers où cette référence aboutirait à un résultat ne reflétant manifestement pas l'ampleur économique de l'infraction ou le poids relatif de chaque participant, l'arrêt relève que les barrières instaurées par la société TDF pour s'opposer à l'implantation de pylônes concurrents avaient pour finalité principale d'empêcher ou limiter la concurrence par les infrastructures sur le marché de gros aval, de sorte que le lien entre les marchés amont et aval est établi.

20. Rappelant ensuite que, selon les points 33 et 34 du communiqué « sanction », les ventes à prendre en compte sont toutes celles réalisées en France pour l'ensemble des catégories de produits ou services en relation avec l'infraction, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'établir que chaque vente prise en compte est directement affectée par l'infraction, l'arrêt relève que les services de diffusion hertzienne terrestre en mode numérique dont l'ensemble est commercialisé sur le territoire métropolitain constituent les services en relation avec le grief n°1.

21. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a justement déduit que les ventes réalisées en France sur le marché de gros aval étaient en relation avec l'infraction, de sorte que leur prise en compte dans l'assiette de la sanction ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité.

22. En second lieu, après avoir relevé que les servitudes mises en place en application des articles L. 54 et L. 57 du code des postes et télécommunications électroniques, qui ont pour finalité de protéger les installations en bénéficiant contre les risques de perturbation des émissions et réceptions radioélectriques, n'emportent pas impossibilité absolue d'implanter un pylône électrique dans la zone couverte puisqu'est prévue la possibilité d'une autorisation d'implantation, et en avoir déduit que, même si elle était fondée à considérer que les centres qu'elle exploitait restaient protégés par ces servitudes, la société TDF avait la possibilité d'émettre un avis favorable, l'arrêt relève que cette dernière s'est opposée, sans analyse au cas par cas et sur le fondement d'une opposition de principe, aux projets d'implantation de pylônes concurrents, et retient qu'elle a ainsi, par une instrumentalisation des servitudes constitutive d'une politique de communication trompeuse auprès des collectivités locales, cherché à faire obstacle à l'implantation de pylônes de ses concurrents. C'est donc sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations que la cour d'appel a retenu que ni l'ANFR ni aucune autorité publique n'avait encouragé les pratiques d'instrumentalisation des servitudes radioélectriques à l'occasion des avis rendus aux collectivités locales sous le couvert d'une consultation en tant que service de l'Etat, ce qui rend inopérant le grief de la troisième branche, qui critique des motifs surabondants.

23. En conséquence, le moyen, pour partie inopérant, n'est pas fondé pour le surplus.

Et sur le moyen unique du pourvoi incident relevé par l'Autorité

Enoncé du moyen

24.L'Autorité fait grief à l'arrêt d'annuler l'article 1er de sa décision mais seulement en tant qu'il a dit établi que la société TDF SAS, en tant qu'auteur des pratiques, et les sociétés Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, en leur qualité de sociétés-mères, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, en mettant en œuvre une communication dénigrante auprès des collectivités locales, de reformer l'article 5 de la décision n°16-D-11 en tant qu'il avait infligé au titre des pratiques visées à l'article 1er une sanction pécuniaire d'un montant de 11,6 millions, de dire que la pratique visée par le troisième volet du grief n°1 n'était pas établie et d'infliger, au titre de la pratique de communication trompeuse visée à l'article 1er de la décision n°16-D-11, solidairement, aux sociétés TDF SAS, Tyrol Acquisition 1 SAS, devenue TDF Infrastructure Holding SAS, et Tyrol Acquisition 2 SAS, devenue TDF Infrastructure SAS, une sanction pécuniaire d'un montant de 8,2 millions d'euros, alors :

« 1°) que la personne visée par le dénigrement ne doit pas nécessairement être nommée, du moment qu'elle est aisément identifiable ; qu'en l'espèce, le courriel envoyé par la société TDF mentionnait les risques de perturbation radioélectrique, du fait de l'implantation d'un pylône d’« une société concurrente » ; que le secteur de la diffusion de la télévision par voie hertzienne étant restreint et le nombre d'acteurs présents sur ce marché étant réduit, ces « sociétés concurrentes » étaient aisément identifiables, à savoir les sociétés Itas Tim et TowerCast ; que la cour d'appel a constaté que le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales visait tout projet d'implantation "d'un pylône concurrent" ; qu'en énonçant cependant que ce courriel type « se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, certes incomplète, et à ce titre trompeuse, mais neutre en ce qu'elle n'est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce ;

2°) que le courriel type envoyé par la société TDF aux collectivités locales énonçait « dans certains cas une Déclaration Préalable est déposée par une société concurrente afin de pouvoir ériger un nouveau pylône à proximité immédiate du site TDF existant. […] Il est donc nécessaire de nous aviser de la chose afin d'anticiper toute perturbation » ; qu'ainsi ce courriel n'évoquait que les perturbations résultant de l'implantation d'un nouveau pylône concurrent à côté d'un pylône existant appartenant à la société TDF ; qu'en affirmant cependant qu'il se déduisait de ce courriel que « le risque de perturbation résult[ait] de toute implantation d'un nouveau pylône à côté d'un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l'un et de l'autre », la cour d'appel l'a dénaturé et a ainsi violé le principe qui interdit au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°) qu' en ne présentant que les perturbations liées à l'installation de pylônes concurrents, sans préciser que les mêmes perturbations pouvaient être observées dans l'hypothèse où la société TDF hébergeait plusieurs émetteurs (service de mutualisation) sur l'un de ses pylônes, cette société a orienté son courriel contre les sociétés concurrentes d'une façon dénigrante ; qu'en affirmant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour  

25. L'arrêt relève souverainement que le courriel se borne à une présentation des conséquences de la colocalisation de deux pylônes, neutre en ce qu'elle n'est pas orientée contre les sociétés concurrentes de la société TDF, de sorte que le risque de perturbation résulte de toute implantation d'un nouveau pylône à côté d'un premier pylône, quels que soient les exploitants respectifs de l'un et de l'autre. Il en déduit que le courriel ne constitue pas une critique de l'entreprise poursuivant le projet d'implantation d'un nouveau pylône ou de ses produits ou services.

26. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu retenir que le caractère dénigrant du courriel, qu'elle n'a pas dénaturé, n'était pas démontré.  

27. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et incident ;

Condamne les société TDF, TDF Infrastructure Holding, TDF Infrastructure aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés TDF, TDF Infrastructure Holding et TDF Infrastructure et les condamne à payer à la présidente de l'Autorité de la concurrence la somme globale de 3 000 euros.