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Décisions

CJUE, gr. ch., 8 septembre 2020, n° C-265/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Recorded Artists Actors Performers Ltd

Défendeur :

Phonographic Performance (Ireland) Ltd, Minister for Jobs, Enterprise and Innovation, Ireland, Attorney General

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

K. Lenaerts

Présidents de chambre :

J.-C. Bonichot, M. Vilaras, E. Regan, M. Safjan, P. G. Xuereb, L. S. Rossi , I. Jarukaitis

Vice-président :

R. Silva de Lapuerta

Juges :

L. Bay Larsen, T. von Danwitz, C. Toader, D. Šváby, N. Piçarra

Avocat général :

E. Tanchev

CJUE n° C-265/19

8 septembre 2020

LA COUR (grande chambre) : La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8 de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 2006, L 376, p. 28), lu à la lumière, en particulier, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, adopté à Genève le 20 décembre 1996 et approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6, ci-après le « TIEP »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Recorded Artists Actors Performers Ltd (ci-après « RAAP ») à Phonographic Performance (Ireland) Ltd (ci-après « PPI ») ainsi qu’au Minister for Jobs, Enterprise and Innovation (ministre de l’Emploi, de l’Entreprise et de l’Innovation, Irlande), à l’Ireland (Irlande) et à l’Attorney General, au sujet du droit de ressortissants d’États tiers à une rémunération équitable et unique lorsqu’ils ont contribué à un phonogramme qui est utilisé en Irlande.

 Le cadre juridique

 La convention de Vienne sur le droit des traités

3 L’article 19 de la convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331), énonce :

« Un État, au moment de signer, de ratifier, d’accepter, d’approuver un traité ou d’y adhérer, peut formuler une réserve [...] »

4 L’article 21 de cette convention dispose :

« 1. Une réserve établie à l’égard d’une autre partie conformément aux articles 19, 20 et 23 :

a) [m]odifie pour l’État auteur de la réserve dans ses relations avec cette autre partie les dispositions du traité sur lesquelles porte la réserve, dans la mesure prévue par cette réserve ; et

b) [m]odifie ces dispositions dans la même mesure pour cette autre partie dans ses relations avec l’État auteur de la réserve.

2. La réserve ne modifie pas les dispositions du traité pour les autres parties au traité dans leurs rapports inter se.

[...] »

 La convention de Rome

5 La convention internationale sur la protection des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion, a été faite à Rome le 26 octobre 1961 (ci-après la « convention de Rome »).

6 L’Union européenne n’est pas partie à cette convention. En revanche, tous ses États membres, à l’exception de la République de Malte, le sont.

7 L’article 2 de ladite convention dispose :

« 1. Aux fins de la présente Convention, on entend, par traitement national, le traitement que l’État contractant sur le territoire duquel la protection est demandée accorde, en vertu de sa législation nationale :

a) aux artistes interprètes ou exécutants, qui sont ses ressortissants, pour les exécutions qui ont lieu, sont fixées pour la première fois, ou sont radiodiffusées, sur son territoire ;

b) aux producteurs de phonogrammes qui sont ses ressortissants, pour les phonogrammes qui sont, pour la première fois, publiés ou fixés sur son territoire ;

[...]

2. Le traitement national sera accordé, compte tenu de la protection expressément garantie et des limitations expressément prévues dans la présente Convention. »

8 Aux termes de l’article 4 de la même convention :

« Chaque État contractant accordera le traitement national aux artistes interprètes ou exécutants toutes les fois que l’une des conditions suivantes se trouvera remplie :

a) l’exécution a lieu dans un autre État contractant ;

b) l’exécution est enregistrée sur un phonogramme protégé en vertu de l’article 5 ci-dessous ;

[...] »

9 L’article 5 de la convention de Rome dispose :

« 1. Chaque État contractant accordera le traitement national aux producteurs de phonogrammes toutes les fois que l’une des conditions suivantes se trouvera remplie :

a) le producteur de phonogrammes est le ressortissant d’un autre État contractant (critère de la nationalité) ;

b) la première fixation du son a été réalisée dans un autre État contractant (critère de la fixation) ;

c) le phonogramme a été publié pour la première fois dans un autre État contractant (critère de la publication).

2. Lorsque la première publication a eu lieu dans un État non contractant mais que le phonogramme a également été publié, dans les trente jours suivant la première publication, dans un État contractant (publication simultanée), ce phonogramme sera considéré comme ayant été publié pour la première fois dans l’État contractant.

3. Tout État contractant peut, par une notification déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, déclarer qu’il n’appliquera pas, soit le critère de la publication, soit le critère de la fixation. Cette notification peut être déposée au moment de la ratification, de l’acceptation ou de l’adhésion, ou à tout autre moment ; dans ce dernier cas, elle ne prendra effet que six mois après son dépôt. »

10 L’article 17 de cette convention prévoit :

« Tout État dont la législation nationale, en vigueur au 26 octobre 1961, accorde aux producteurs de phonogrammes une protection établie en fonction du seul critère de la fixation pourra, par une notification déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en même temps que son instrument de ratification, d’acceptation ou d’adhésion, déclarer qu’il n’appliquera que ce critère de la fixation aux fins de l’article 5 [...] »

 Le TIEP

11 L’Union et ses États membres sont parties au TIEP. Cet accord international est entré en vigueur pour l’Union ainsi que pour certains États membres, dont l’Irlande, le 14 mars 2010. Pour les autres États membres, il est entré en vigueur à une date antérieure. Au total, cent États environ sont parties au TIEP.

12 L’article 1er, paragraphe 1, du TIEP est libellé comme suit :

« Aucune disposition du présent traité n’emporte dérogation aux obligations qu’ont les Parties contractantes les unes à l’égard des autres en vertu de la [convention de Rome]. »

13 L’article 2 du TIEP énonce :

« Aux fins du présent traité, on entend par :

a) “artistes interprètes ou exécutants” les acteurs, chanteurs, musiciens, danseurs et autres personnes qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, interprètent ou exécutent de toute autre manière des œuvres littéraires ou artistiques ou des expressions du folklore ;

b) “phonogramme” la fixation des sons provenant d’une interprétation ou exécution ou d’autres sons, ou d’une représentation de sons autre que sous la forme d’une fixation incorporée dans une œuvre cinématographique ou une autre œuvre audiovisuelle ;

c) “fixation” l’incorporation de sons, ou des représentations de ceux-ci, dans un support qui permette de les percevoir, de les reproduire ou de les communiquer à l’aide d’un dispositif ;

d) “producteur d’un phonogramme” la personne physique ou morale qui prend l’initiative et assume la responsabilité de la première fixation des sons provenant d’une interprétation ou exécution ou d’autres sons, ou des représentations de sons ;

[...] »

14 Aux termes de l’article 3 du TIEP, intitulé « Bénéficiaires de la protection prévue par le présent traité » :

« 1. Les Parties contractantes accordent la protection prévue par le présent traité aux artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes qui sont ressortissants d’autres Parties contractantes.

2. Par “ressortissants d’autres Parties contractantes” il faut entendre les artistes interprètes ou exécutants ou les producteurs de phonogrammes qui répondraient aux critères requis pour bénéficier de la protection prévue par la [c]onvention de Rome si toutes les Parties contractantes dans le cadre du présent traité étaient des États contractants au sens de cette convention. En ce qui concerne ces critères de protection, les Parties contractantes appliquent les définitions pertinentes de l’article 2 du présent traité.

3. Toute Partie contractante qui fait usage de la faculté prévue à [l’article 5, paragraphe 3,] de la [c]onvention de Rome ou, aux fins de l’article 5 de cette convention, à son article 17 adresse une notification dans les conditions prévues dans ces dispositions au directeur général de l’[OMPI]. »

15 L’article 4 du TIEP, intitulé « Traitement national », prévoit :

« 1. Chaque Partie contractante accorde aux ressortissants d’autres Parties contractantes, au sens de l’[article 3, paragraphe 2, du présent traité], le traitement qu’elle accorde à ses propres ressortissants en ce qui concerne les droits exclusifs expressément reconnus dans le présent traité et le droit à rémunération équitable prévu à l’article 15 de ce traité.

2. L’obligation prévue [au paragraphe 1 du présent article] ne s’applique pas dans la mesure où une autre Partie contractante fait usage des réserves autorisées aux termes de l’[article 15, paragraphe 3,] du présent traité. »

16 L’article 15 du TIEP, intitulé « Droit à rémunération au titre de la radiodiffusion et de la communication au public », est libellé comme suit :

« 1. Les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes ont droit à une rémunération équitable et unique lorsque des phonogrammes publiés à des fins de commerce sont utilisés directement ou indirectement pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public.

2. Les Parties contractantes peuvent prévoir dans leur législation nationale que la rémunération équitable unique doit être réclamée à l’utilisateur par l’artiste interprète ou exécutant ou par le producteur du phonogramme, ou par les deux. Les Parties contractantes peuvent adopter des dispositions législatives fixant les conditions de répartition de la rémunération équitable unique entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes faute d’accord entre les intéressés.

3. Toute Partie contractante peut déclarer, dans une notification déposée auprès du directeur général de l’OMPI, qu’elle n’appliquera les dispositions [du paragraphe 1 du présent article] qu’à l’égard de certaines utilisations, ou qu’elle en limitera l’application de toute autre manière, ou encore qu’elle n’appliquera aucune de ces dispositions.

4. Aux fins du présent article, les phonogrammes mis à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement sont réputés avoir été publiés à des fins de commerce. »

17 L’article 23, paragraphe 1, du TIEP dispose :

« Les Parties contractantes s’engagent à adopter, en conformité avec leur système juridique, les mesures nécessaires pour assurer l’application du présent traité. »

18 Aux termes de l’article 33 du TIEP :

« Le directeur général de l’OMPI est le dépositaire du présent traité. »

19 Si les ratifications du TIEP par les États membres de l’Union, par l’Union elle-même et par de nombreux États tiers n’ont pas été assorties d’une réserve en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de cet accord international, certains États tiers, parmi lesquels les États-Unis d’Amérique, la République du Chili, la République de Singapour, la République populaire de Chine, le Commonwealth d’Australie, la Fédération de Russie, la République de Corée, le Canada, la République de l’Inde et la Nouvelle-Zélande ont, en revanche, formulé de telles réserves.

20 Ainsi, notamment, les notifications nos 8, 66 et 92 relatives au TIEP comportent les déclarations suivantes :

« Conformément à l’[article 15, paragraphe 3, du TIEP], les États-Unis d’Amérique n’appliqueront [l’article 15, paragraphe 1, de ce traité] qu’à l’égard de certains actes de radiodiffusion et de communication au public par des moyens numériques pour lesquels une redevance directe ou indirecte est perçue au titre de la réception, ou pour d’autres retransmissions et communications sur phonogramme numérique, comme le prévoit la loi des États-Unis d’Amérique. »

« [...] La République populaire de Chine ne se considère pas liée par le paragraphe 1 de l’article 15 du [TIEP]. [...] »

« [...] Conformément à l’[article 15, paragraphe 3, du TIEP], [...] la République de l’Inde déclare que la disposition de [l’article 15, paragraphe 1, de ce traité] relative à la rémunération équitable et unique aux artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes ne sera pas appliquée en Inde. »

 La directive 2006/115

21 Les considérants 5 à 7, 12 et 13 de la directive 2006/115 énoncent :

« (5) La continuité du travail créateur et artistique des auteurs et artistes interprètes ou exécutants exige que ceux-ci perçoivent un revenu approprié et les investissements, en particulier ceux qu’exige la production de phonogrammes et de films, sont extrêmement élevés et aléatoires. Seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits concernés permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d’amortir ces investissements.

(6) Ces activités créatrices, artistiques et d’entrepreneur sont dans une large mesure le fait de personnes indépendantes. L’exercice de ces activités devrait être facilité par la mise en place d’une protection juridique harmonisée dans [l’Union]. [...]

(7) Il convient de rapprocher les législations des États membres dans le respect des conventions internationales sur lesquelles sont fondées les législations relatives au droit d’auteur et aux droits voisins de nombreux États membres.

[...]

(12) Il est nécessaire d’introduire un régime qui assure une rémunération équitable, à laquelle il ne peut être renoncé, aux auteurs et aux artistes interprètes ou exécutants, qui doivent conserver la possibilité de confier la gestion de ce droit à des sociétés de gestion collective qui les représentent.

(13) Cette rémunération équitable peut être acquittée sur la base d’un ou de plusieurs paiements à tout moment, lors de la conclusion du contrat ou ultérieurement. Elle devrait tenir compte de l’importance de la contribution apportée au phonogramme et au film par les auteurs et les artistes interprètes ou exécutants concernés. »

22 L’article 8 de cette directive, qui relève du chapitre II de celle-ci, intitulé « Droits voisins du droit d’auteur », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Les États membres prévoient un droit pour assurer qu’une rémunération équitable et unique est versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public, et pour assurer que cette rémunération est partagée entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés. Ils peuvent, faute d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, déterminer les conditions de la répartition entre eux de cette rémunération. »

23 L’article 11 de ladite directive, intitulé « Applicabilité dans le temps », énonce :

« 1. La présente directive s’applique à tous phonogrammes, œuvres protégées par le droit d’auteur, exécutions, émissions et premières fixations de films visés dans la présente directive dont la protection par la législation des États membres sur le droit d’auteur et les droits voisins n’avait pas encore pris fin le 1er juillet 1994, ou qui répondaient à cette date aux critères de protection prévus par la présente directive.

2. La présente directive s’applique sans préjudice des actes d’exploitation accomplis avant le 1er juillet 1994.

[...] »

24 La directive 2006/115 a codifié et abrogé la directive 92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle (JO 1992, L 346, p. 61). Elle ne fixe pas de délai de transposition, mais fait référence, à son article 14 et à son annexe I, partie B, aux délais de transposition de la directive 92/100 et des directives ayant modifié celle-ci. Ces délais ont expiré, respectivement, le 1er juillet 1994, le 30 juin 1995 et le 21 décembre 2002.

25 Le libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 est identique au libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100.

 Le droit irlandais

26 Le Copyright and Related Rights Act 2000 (loi sur le droit d’auteur et les droits voisins de 2000), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « CRR Act »), prévoit, à son article 38, paragraphe 1 :

« [L]orsqu’une personne se propose de

a) diffuser un enregistrement sonore en public, ou

b) d’inclure un enregistrement sonore dans une émission de radiodiffusion ou un service de programme câblé,

elle peut le faire de plein droit si

i) elle accepte de procéder à des paiements à un organisme de gestion des droits d’auteur au titre d’une telle diffusion ou d’une telle inclusion dans une émission de radiodiffusion ou un service de programme câblé,

ii) satisfait aux exigences prévues au présent article. »

27 L’article 184 du CRR Act, qui figure dans la partie II de celui-ci, dispose :

« 1. Une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique, un enregistrement sonore, un film, une disposition typographique d’une édition publiée ou une base de données originale est éligible à la protection du droit d’auteur lorsqu’elle ou il est légalement mis(e) à la disposition du public pour la première fois

a) sur le territoire national ; ou

b) dans tout pays, territoire, État ou région auquel la disposition pertinente de la présente partie s’applique.

2. Aux fins du présent article, la mise à disposition du public d’une œuvre de manière légale dans un pays, un territoire, un État ou une région est réputée être la première mise à disposition légale du public de cette œuvre même en cas de mise à disposition légale du public de manière simultanée ailleurs ; et à cette fin, la mise à disposition légale du public d’une œuvre dans les 30 jours précédents est réputée être simultanée. »

28 L’article 208, paragraphe 1, de cette loi, qui relève de la partie III de celle-ci, énonce :

« Un artiste a le droit de recevoir, de la part du titulaire du droit d’auteur sur un enregistrement sonore, une rémunération équitable lorsque l’enregistrement sonore de l’intégralité ou d’une partie substantielle d’une interprétation ou d’une exécution qui remplit les conditions et a été mise à disposition du public à des fins de commerce, est

a) diffusé en public ; ou

b) inclus dans une émission de radiodiffusion ou un service de programme câblé. »

29 L’article 287 de ladite loi, qui relève également de cette partie III, dispose :

« Dans la présente partie et dans la partie IV

on entend par “pays remplissant les conditions”

a) l’Irlande,

b) un autre État membre de l’[Espace économique européen (EEE)], ou

c) dans la mesure où un décret prévu à l’article 289 le prévoit, un pays désigné en vertu de cet article ;

on entend par “particulier remplissant les conditions”, un citoyen ou le sujet d’un pays remplissant les conditions, ou un particulier qui y est domicilié ou y réside habituellement ; et

on entend par “personne remplissant les conditions”, un citoyen irlandais ou un particulier ayant son domicile ou sa résidence habituelle en Irlande. »

30 L’article 288 de la même loi précise :

« Une interprétation ou une exécution est une interprétation ou une exécution remplissant les conditions aux fins des dispositions de la présente partie [III] et de la partie IV si elle est réalisée par un particulier ou une personne remplissant les conditions, ou a lieu dans un pays, un territoire, un État ou une région remplissant les conditions, conformément au présent chapitre. »

31 L’article 289, paragraphe 1, du CRR Act énonce :

« Le gouvernement peut, par décret, désigner comme pays remplissant les conditions, qui bénéficient de la protection prévue par la présente partie [III] et la partie IV, tout pays, territoire, État ou région pour lequel le gouvernement est convaincu que des dispositions ont été ou seront prises dans sa loi accordant une protection adéquate aux interprétations ou exécutions irlandaises. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

32 La requérante au principal, RAAP, société de droit irlandais, est une entreprise de gestion collective des droits d’artistes interprètes ou exécutants.

33 La première partie défenderesse au principal, PPI, également société de droit irlandais, est une entreprise de gestion collective des droits de producteurs de phonogrammes.

34 RAAP et PPI ont conclu un contrat qui stipule les modalités selon lesquelles les droits exigibles, en Irlande, pour la diffusion en public, dans les bars et autres lieux accessibles au public, ou pour la radiodiffusion de musique enregistrée doivent, après avoir été payés par les utilisateurs à PPI, être partagés avec les artistes interprètes ou exécutants et, à cette fin, être partiellement reversés par PPI à RAAP. Elles sont, toutefois, en désaccord sur la portée de ce contrat s’agissant des droits payés à PPI dans les cas où la musique diffusée a été interprétée ou exécutée par un artiste qui n’est ni ressortissant ni résident d’un État membre de l’EEE.

35 À cet égard, RAAP estime que tous les droits exigibles doivent, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et aux accords internationaux auxquels cette directive fait référence, être partagés entre le producteur du phonogramme et l’artiste interprète ou exécutant. La nationalité et le lieu de résidence de l’artiste sont, selon elle, dépourvus de pertinence à cet égard.

36 En revanche, selon PPI, le régime établi par le CRR Act, selon lequel les artistes interprètes ou exécutants qui ne sont ni ressortissants ni résidents d’un État membre de l’EEE, et dont les interprétations ou exécutions ne proviennent pas non plus d’un enregistrement sonore réalisé dans l’EEE, n’ont pas le droit de recevoir une quote-part des droits qui deviennent exigibles lorsque ces interprétations ou exécutions sont diffusées en Irlande, est compatible tant avec la directive 2006/115 qu’avec les accords internationaux auxquels cette directive fait référence. Rémunérer ces artistes pour l’exploitation en Irlande des phonogrammes auxquels ils ont contribué méconnaîtrait l’approche de réciprocité internationale légitimement adoptée par l’Irlande. En particulier, si la position de RAAP était suivie, les artistes interprètes ou exécutants des États-Unis seraient rémunérés en Irlande, alors même que, selon PPI, cet État tiers n’octroie que très partiellement le droit à une rémunération équitable aux artistes interprètes ou exécutants irlandais.

37 En raison de ce désaccord, RAAP estime que les sommes que PPI lui verse sont insuffisantes et a introduit un recours contre cette dernière devant la High Court (Haute Cour, Irlande), la juridiction de renvoi.

38 Cette juridiction observe que, par l’effet combiné de ses articles 38, 184, 208, 287 et 288, le CRR Act exclut, sauf dans la situation, qui ne s’est pas encore réalisée, de l’adoption d’un décret en vertu de son article 289, que les artistes interprètes ou exécutants, ressortissants d’États tiers à l’EEE et n’ayant pas leur domicile ou leur résidence dans l’EEE, puissent recevoir une quote-part des droits qui sont exigibles lors de la diffusion en Irlande de leurs interprétations ou exécutions enregistrées en dehors de l’EEE, avec pour conséquence que les producteurs de phonogrammes, y compris ceux établis en dehors de l’EEE, bénéficient de l’intégralité de ces droits.

39 Ainsi, dans le cas d’enregistrements sonores impliquant des producteurs de phonogrammes et des artistes interprètes ou exécutants des États-Unis, ces producteurs pourraient bénéficier de l’intégralité des droits devant être payés en Irlande par les utilisateurs.

40 Ladite juridiction expose que cette situation tient au fait que les critères d’éligibilité à une rémunération, figurant dans le CRR Act, sont différents pour les producteurs de phonogrammes et pour les artistes interprètes ou exécutants. Or, il serait douteux qu’une telle législation nationale soit compatible avec l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, dès lors que cette disposition exige que les États membres prévoient une rémunération équitable et unique versée par l’utilisateur qui doit être partagée entre le producteur du phonogramme et l’artiste interprète ou exécutant.

41 La juridiction de renvoi relève à cet égard que le CRR Act, qui traite de manière égale tous les artistes interprètes ou exécutants qui sont des ressortissants ou résidents d’un État membre de l’Union, voire de l’EEE, respecte les règles du traité FUE prohibant toute discrimination. Il n’en demeurerait pas moins que le CRR Act doit également être compatible avec l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, qui énonce en termes généraux que chaque État membre doit assurer qu’une rémunération équitable soit partagée « entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes concernés ». Il y aurait lieu de déterminer dans quelle mesure et de quelle manière cette directive doit être interprétée au regard de la convention de Rome, à laquelle l’Irlande est partie, et du TIEP, auquel tant l’Irlande que l’Union sont parties.

42 Il importerait, par ailleurs, de préciser quelles sont les conséquences des réserves émises par certains États tiers, tels que les États-Unis d’Amérique, en vertu du TIEP. Cette problématique soulèverait notamment la question de savoir si un État membre de l’Union dispose d’un pouvoir discrétionnaire en vue de réagir à ces réserves.

43 Au vu de l’enjeu du litige au principal, le ministre de l’Emploi, de l’Entreprise et de l’Innovation ainsi que l’Irlande et l’Attorney General ont été associés à la procédure en tant que deuxième, troisième et quatrième parties défenderesses au principal.

44 Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’obligation pour une juridiction nationale d’interpréter la directive [2006/115] à la lumière du but et de l’objectif de la convention de Rome et/ou du TIEP se limite-t-elle aux notions expressément mentionnées dans [cette] directive ou, à titre subsidiaire, s’étend-elle aux notions qui ne figurent que dans ces deux accords internationaux ? En particulier, dans quelle mesure l’article 8 de la directive [2006/115] doit-il être interprété à la lumière de l’obligation de “traitement national” prévue à l’article 4 du TIEP ?

2) Un État membre dispose-t-il d’un pouvoir discrétionnaire pour fixer les critères permettant de déterminer quels artistes interprètes ou exécutants satisfont à la définition d’“artistes interprètes ou exécutants [...] concernés” au sens de l’article 8 de la directive [2006/115] ? En particulier, un État membre peut-il restreindre le droit à une quote-part de la rémunération équitable aux cas dans lesquels i) l’interprétation ou l’exécution a lieu dans un pays de l’[EEE], ou ii) les artistes interprètes ou exécutants sont domiciliés ou résidents dans un pays de l’EEE ?

3) De quel pouvoir discrétionnaire dispose un État membre pour répondre à une réserve formulée par une autre partie contractante en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du TIEP ? En particulier, l’État membre est-il tenu de reprendre les termes précis de la réserve formulée par l’autre partie contractante ? Une partie contractante est-elle tenue de ne pas appliquer la règle des 30 jours énoncée à l’article 5 de la convention de Rome dans la mesure où le producteur de la partie ayant formulé une réserve pourrait alors percevoir une rémunération au titre de l’article 15, paragraphe 1, mais pas les artistes interprètes ou exécutants du même enregistrement ? À titre subsidiaire, la partie qui répond à une réserve est-elle autorisée à accorder aux ressortissants de la partie ayant formulé cette réserve des droits plus généreux que ne l’a fait ladite partie, en d’autres termes, la partie qui répond à une réserve peut-elle octroyer des droits qui ne font pas l’objet d’une réciprocité ?

4) Est-il permis en toute circonstance de limiter le droit à une rémunération équitable aux producteurs d’un enregistrement sonore, c’est-à-dire de refuser le droit aux artistes interprètes ou exécutants dont les interprétations ou exécutions ont été fixées dans cet enregistrement sonore ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et deuxième questions

45 Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doit, à la lumière de la convention de Rome et/ou du TIEP, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exclue, dans le cadre de la transposition dans sa législation des termes « artistes interprètes ou exécutants [...] concernés » figurant à cette disposition et désignant les artistes ayant droit à une partie de la rémunération équitable et unique qui y est visée, les artistes ressortissants d’États tiers à l’EEE, à la seule exception de ceux qui ont leur domicile ou leur résidence dans l’EEE et de ceux dont la contribution au phonogramme a été réalisée dans l’EEE.

46 À cet égard, il y a lieu de rappeler à titre liminaire que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2000, Linster, C‑287/98, EU:C:2000:468, point 43 ; du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar, C‑482/09, EU:C:2011:605, point 29, ainsi que du 1er octobre 2019, Planet49, C‑673/17, EU:C:2019:801, point 47).

47 En application de cette jurisprudence, la Cour a souligné qu’il ne revient pas aux États membres de définir les notions figurant sans renvoi exprès au droit des États membres dans les directives en matière du droit d’auteur et des droits voisins, telles que les notions de « public » et de « rémunération équitable » (arrêts du 6 février 2003, SENA, C‑245/00, EU:C:2003:68, point 24 ; du 7 décembre 2006, SGAE, C‑306/05, EU:C:2006:764, point 31, et du 30 juin 2011, VEWA, C‑271/10, EU:C:2011:442, points 25 et 26).

48 Il en va de même des termes « artistes interprètes ou exécutants [...] concernés » figurant à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115. Cette directive n’effectuant aucun renvoi aux droits nationaux en ce qui concerne la portée de ces termes, ceux-ci doivent être interprétés de manière uniforme dans toute l’Union, en tenant compte du libellé de cette disposition, de son contexte et des objectifs poursuivis par cette directive.

49 Concernant le libellé de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, il y a lieu de relever que cette disposition ne précise pas expressément si les termes « artistes interprètes ou exécutants [...] concernés » font référence aux seuls artistes interprètes ou exécutants qui ont la nationalité d’un État sur le territoire duquel cette directive s’applique ou s’ils font référence tout autant aux artistes interprètes ou exécutants qui ont la nationalité d’un autre État.

50 S’agissant du contexte dans lequel cette disposition s’insère et des objectifs de la directive 2006/115, il y a lieu de relever qu’il ressort de ses considérants 5 à 7 que cette dernière vise à assurer la continuité du travail créateur et artistique des auteurs et artistes interprètes ou exécutants, en prévoyant une protection juridique harmonisée qui garantit la possibilité de percevoir un revenu approprié et d’amortir les investissements, « dans le respect des conventions internationales sur lesquelles sont fondées les législations relatives au droit d’auteur et aux droits voisins de nombreux États membres ».

51 Il s’ensuit que les notions figurant dans cette directive doivent être interprétées d’une manière conforme aux notions équivalentes contenues dans ces conventions (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, point 55 ; du 10 novembre 2016, Vereniging Openbare Bibliotheken, C‑174/15, EU:C:2016:856, point 33, ainsi que du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 53).

52 Parmi lesdites conventions figure le TIEP, auquel l’Union et tous ses États membres sont parties contractantes.

53 Aux termes de l’article 2, sous a), du TIEP, la notion d’« artistes interprètes ou exécutants » fait référence à l’ensemble des personnes « qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, interprètent ou exécutent de toute autre manière des œuvres littéraires ou artistiques ou des expressions du folklore ». Il ressort, au demeurant, de l’article 2, sous b), de cet accord international qu’un phonogramme consiste notamment en la fixation des sons provenant d’une telle interprétation ou exécution.

54 L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 confère à ces personnes un droit à caractère compensatoire, dont l’élément déclencheur est la communication au public de l’interprétation ou de l’exécution de l’œuvre fixée sur un phonogramme publié à des fins de commerce (voir, en ce sens, arrêt du 31 mai 2016, Reha Training, C‑117/15, EU:C:2016:379, points 30 et 32).

55 Il résulte, plus précisément, de cette disposition que la législation de chaque État membre doit assurer, d’une part, qu’une rémunération équitable et unique soit versée par l’utilisateur lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme, est utilisé pour une radiodiffusion par le moyen des ondes radioélectriques ou pour une communication quelconque au public et, d’autre part, que cette rémunération soit partagée entre l’artiste interprète ou exécutant et le producteur du phonogramme.

56 Tout en laissant la possibilité à chaque État membre de déterminer, faute d’accord entre les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes, les modalités de répartition de ladite rémunération, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 comporte néanmoins l’obligation claire et inconditionnelle d’accorder à ces artistes et ces producteurs le droit à une rémunération équitable, devant être partagée entre eux. Ainsi qu’il découle des considérants 5, 12 et 13 de cette directive, la quote-part de la rémunération versée à l’artiste interprète ou exécutant doit être appropriée en reflétant l’importance de la contribution de ce dernier au phonogramme.

57 Ce droit à caractère compensatoire constitue, ainsi qu’en témoigne l’intitulé du chapitre II de la directive 2006/115, dont relève l’article 8 de celle-ci, un droit voisin du droit d’auteur.

58 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 80 de ses conclusions, l’obligation prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 d’assurer une rémunération qui est équitable et partagée entre le producteur du phonogramme et l’artiste interprète ou exécutant, s’applique lorsque l’utilisation du phonogramme ou d’une reproduction de celui-ci a lieu dans l’Union.

59 Cela est le cas lorsque la communication du phonogramme, en tant qu’élément déclencheur du droit voisin susmentionné, s’adresse à un public situé dans un ou plusieurs États membres. En effet, à défaut de précision dans cette directive quant à son champ d’application territorial, ce dernier correspond à celui des traités, énoncé à l’article 52 TUE (arrêt du 4 mai 2017, El Dakkak et Intercontinental, C‑17/16, EU:C:2017:341, points 22 et 23 ainsi que jurisprudence citée). Sous réserve de l’article 355 TFUE, ce champ d’application consiste dans les territoires des États membres.

60 Par ailleurs, pour que cette obligation prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 s’applique, le phonogramme doit répondre aux critères d’application dans le temps énoncés à l’article 11 de cette directive.

61 En revanche, ladite directive, qui fait référence sans autre précision aux « artistes interprètes ou exécutants » et aux « producteurs de phonogrammes », n’établit aucune condition selon laquelle l’artiste interprète ou exécutant ou le producteur du phonogramme devrait avoir la nationalité d’un État membre de l’EEE, ou son domicile ou lieu de résidence dans un tel État, ou encore une condition selon laquelle le lieu de réalisation du travail créateur ou artistique devrait se rattacher au territoire d’un État membre de l’EEE.

62 Au contraire, le contexte dans lequel s’insère l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 et les objectifs de cette directive, rappelés au point 50 du présent arrêt, ainsi que la primauté des accords internationaux conclus par l’Union sur les autres catégories d’actes de droit dérivé, découlant de l’article 216, paragraphe 2, TFUE (arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 50), commandent d’interpréter ledit article 8, paragraphe 2, dans la mesure du possible, d’une manière conforme au TIEP (voir, par analogie, arrêt du 18 mars 2014, Z, C‑363/12, EU:C:2014:159, point 72). Or, cet accord international, qui fait partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union (voir, notamment, arrêts du 30 avril 1974, Haegeman, 181/73, EU:C:1974:41, point 5, et du 11 avril 2013, HK Danmark, C‑335/11 et C‑337/11, EU:C:2013:222, points 28 à 30), oblige, en principe, l’Union et ses États membres à accorder le droit à une rémunération équitable et unique tant aux artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes qui sont ressortissants d’États membres de l’Union qu’à ceux qui sont ressortissants d’autres parties contractantes au TIEP.

63 En effet, d’une part, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, du TIEP, les parties contractantes à ce dernier doivent conférer aux artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes le droit à une rémunération équitable et unique lorsque des phonogrammes publiés à des fins de commerce sont utilisés pour la radiodiffusion ou pour une communication quelconque au public. Ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, observé aux points 72 et 73 de ses conclusions, la transposition de cette obligation dans le droit de l’Union était, lors de l’entrée en vigueur du TIEP pour l’Union, à savoir le 14 mars 2010, d’ores et déjà assurée par l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, qui a remplacé sans modification l’article 8, paragraphe 2, de la directive 92/100.

64 D’autre part, l’article 4, paragraphe 1, du TIEP précise que chaque partie contractante doit accorder ce droit indistinctement à ses propres ressortissants et aux « ressortissants d’autres Parties contractantes », au sens de l’article 3, paragraphe 2, de celui-ci.

65 Cette dernière disposition énonce que l’expression « ressortissants d’autres Parties contractantes » fait référence aux artistes et producteurs qui répondraient aux critères requis pour bénéficier de la protection prévue par la convention de Rome si toutes les parties contractantes au TIEP étaient États contractants à cette convention, les termes figurant dans ces critères ayant la portée définie à l’article 2 du TIEP.

66 Dès lors que le TIEP reprend ainsi, par l’effet conjoint de son article 3, paragraphe 2, et de son article 4, paragraphe 1, les critères figurant dans la convention de Rome, ces critères sont pertinents pour déterminer la portée de l’article 15 du TIEP, auquel cet article 4, paragraphe 1, est expressément lié.

67 À cet égard, il y a lieu de relever que, en vertu de l’article 4 de la convention de Rome, tout artiste interprète ou exécutant ressortissant d’un État contractant à cette convention doit bénéficier du traitement national accordé par les autres États contractants à leurs propres ressortissants lorsque, notamment, l’exécution est enregistrée sur un phonogramme qui est protégé en vertu de l’article 5 de ladite convention. Tel est notamment le cas, ainsi qu’il ressort du paragraphe 1, sous a), de cet article 5, lorsque le producteur du phonogramme est un ressortissant d’un État contractant à la convention de Rome autre que celui sur le territoire duquel le phonogramme est utilisé.

68 Il résulte de l’ensemble de ces considérations que le droit à une rémunération équitable et unique, reconnu à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, qui assure, dans le droit de l’Union, l’application de l’article 15, paragraphe 1, du TIEP, ne peut être réservé, par le législateur national, aux seuls ressortissants des États membres de l’EEE.

69 Certes, il ressort de l’article 15, paragraphe 3, du TIEP que toute partie à cet accord international peut, en notifiant une réserve au directeur général de l’OMPI, déclarer qu’elle ne reconnaît pas le droit à une rémunération équitable prévu à l’article 15, paragraphe 1, dudit accord ou que, tout en reconnaissant ce droit, elle en limitera l’application sur son territoire. Ainsi que l’énonce l’article 4, paragraphe 2, du TIEP, l’obligation prévue à l’article 15, paragraphe 1, de cet accord international ne s’applique pas dans la mesure où de telles réserves ont été notifiées.

70 Toutefois, ainsi qu’il résulte du registre des notifications de l’OMPI, l’Union, ses États membres et un grand nombre d’États tiers parties contractantes au TIEP n’ont pas notifié de réserve en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du TIEP et sont, par conséquent, mutuellement liés par l’article 4, paragraphe 1, et l’article 15, paragraphe 1, de cet accord international.

71 Dans ces conditions, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 ne saurait, sous peine de méconnaître ledit accord, nullement être mis en œuvre par un État membre de manière à exclure du droit à une rémunération équitable tous les artistes interprètes ou exécutants qui sont ressortissants d’États tiers à l’EEE, à la seule exception de ceux qui ont leur domicile ou résidence dans l’EEE ou dont la contribution au phonogramme a été réalisée dans l’EEE.

72 Cette conclusion n’est pas infirmée par le fait que certains États membres ont notifié une réserve en vertu de l’article 5, paragraphe 3, ou de l’article 17 de la convention de Rome et transmis celle-ci au directeur général de l’OMPI en vertu de l’article 3, paragraphe 3, du TIEP. En effet, s’il découle de l’article 1er de cet accord international qu’aucune de ses dispositions ne saurait soustraire les États membres à leurs obligations au titre de la convention de Rome (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, point 50), il n’en demeure pas moins que, par nature, une telle réserve permet uniquement de restreindre les engagements pris par un État membre au titre de cette convention, mais ne crée aucune obligation pour ce dernier. Il s’ensuit qu’elle ne saurait en aucun cas être regardée comme une obligation dudit État susceptible d’être entravée par l’interprétation de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 exposée au point 68 du présent arrêt.

73 La conclusion formulée au point 71 du présent arrêt n’est pas non plus infirmée par la circonstance, invoquée par l’Irlande dans ses observations présentées devant la Cour, que des particuliers, tels que les artistes interprètes ou exécutants ou la société de gestion collective de leurs droits, ne peuvent se prévaloir directement des articles 4 et 15 du TIEP devant les juridictions irlandaises en raison de l’absence, relevée par la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, point 48), d’effet direct de ces dispositions.

74 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a observé au point 127 de ses conclusions, cette circonstance ne diminue en rien la nécessité d’interpréter l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 d’une manière conforme à cet accord international (voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2012, SCF, C‑135/10, EU:C:2012:140, points 48, 51 et 52). Tout particulier intéressé peut invoquer l’article 8, paragraphe 2, de cette directive devant les juridictions irlandaises pour mettre en cause, dans le cadre d’un litige tel que celui en cause au principal, auquel l’Irlande est d’ailleurs associée en tant que partie défenderesse, la compatibilité de la législation irlandaise avec cette disposition. Dans le cadre d’un tel litige, les juridictions irlandaises ont l’obligation d’interpréter ladite disposition d’une manière conforme au TIEP.

75 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux première et deuxième questions posées que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doit, à la lumière de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 15, paragraphe 1, du TIEP, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exclue, lors de la transposition dans sa législation des termes « artistes interprètes ou exécutants [...] concernés » figurant à cet article 8, paragraphe 2, et désignant les artistes ayant droit à une partie de la rémunération équitable et unique qui y est visée, les artistes ressortissants d’États tiers à l’EEE, à la seule exception de ceux qui ont leur domicile ou leur résidence dans l’EEE et de ceux dont la contribution au phonogramme a été réalisée dans l’EEE.

 Sur la troisième question

76 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 15, paragraphe 3, du TIEP et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doivent être interprétés en ce sens que les réserves notifiées par des États tiers en vertu de cet article 15, paragraphe 3, ayant pour effet la limitation, sur leurs territoires, du droit à une rémunération équitable et unique prévu à l’article 15, paragraphe 1, du TIEP conduisent, dans l’Union, à des limitations, pouvant être établies par chaque État membre, du droit prévu à cet article 8, paragraphe 2, à l’égard des ressortissants de ces États tiers.

77 Ainsi qu’il est exposé dans la décision de renvoi, la pertinence de cette question pour résoudre le litige au principal réside dans la circonstance que les réserves notifiées conformément à l’article 15, paragraphe 3, du TIEP par certains États tiers, dont les États-Unis d’Amérique, pourraient réduire la portée des obligations de l’Irlande et ainsi constituer un élément dont il convient de tenir compte pour examiner la compatibilité avec le droit de l’Union de la situation, créée par le CRR Act, dans laquelle l’utilisation en Irlande de phonogrammes contenant des enregistrements sonores d’artistes ressortissants d’États tiers est susceptible de donner lieu à une rémunération pour le producteur qui n’est pas partagée avec l’artiste. Le CRR Act aurait, notamment, pour effet de limiter le droit voisin du droit d’auteur des artistes des États-Unis sur le territoire irlandais.

78 À cet égard, il y a lieu de relever à titre liminaire que, ainsi qu’il a été relevé aux points 19 et 20 du présent arrêt, plusieurs États tiers ont, par une réserve fondée sur l’article 15, paragraphe 3, du TIEP, déclaré qu’ils ne se considéraient pas liés par l’article 15, paragraphe 1, de celui-ci. D’autres États tiers, dont les États-Unis d’Amérique, ont déclaré qu’ils appliqueraient cet article 15, paragraphe 1, de manière limitée.

79 Chacune de ces réserves réduit dans la même mesure, pour l’Union et ses États membres, l’obligation prévue à l’article 15, paragraphe 1, du TIEP à l’égard de l’État tiers qui a formulé la réserve. Cette conséquence est énoncée à l’article 4, paragraphe 2, du TIEP qui doit être interprété à la lumière des règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les parties contractantes (voir, en ce sens, arrêts du 25 février 2010, Brita, C‑386/08, EU:C:2010:91, point 43, et du 27 février 2018, Western Sahara Campaign, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 58). Parmi ces règles figure le principe de réciprocité codifié à l’article 21, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur le droit des traités. En vertu de ce principe, une réserve formulée par une partie contractante à l’égard des autres parties contractantes modifie la disposition de l’accord international sur laquelle elle porte pour l’État auteur de la réserve dans ses relations avec ces autres parties et modifie cette disposition dans la même mesure pour lesdites parties dans leurs relations avec l’État auteur de la réserve.

80 Il découle de ces éléments que, en vertu des règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre les parties contractantes, l’Union et ses États membres ne sont pas tenus d’accorder, sans limitation, le droit à une rémunération équitable et unique prévu à l’article 15, paragraphe 1, du TIEP aux ressortissants d’un État tiers qui exclut ou limite, par la voie d’une réserve notifiée conformément à l’article 15, paragraphe 3, de cet accord international, l’octroi d’un tel droit sur son territoire.

81 L’Union et ses États membres ne sont pas non plus tenus d’accorder, sans limitation, le droit à une rémunération équitable et unique aux ressortissants d’un État tiers qui n’est pas partie contractante au TIEP.

82 Il convient de relever, à cet égard, que le refus d’États tiers d’octroyer, pour l’ensemble ou certaines des utilisations sur leurs territoires de phonogrammes publiés à des fins de commerce, le droit à une rémunération équitable et unique aux producteurs des phonogrammes et aux artistes interprètes ou exécutants ayant contribué à ceux-ci, peut avoir pour conséquence que les ressortissants des États membres actifs dans le commerce, souvent international, de la musique enregistrée ne perçoivent pas un revenu approprié et amortissent plus difficilement leurs investissements.

83 Un tel refus est, en outre, susceptible de porter atteinte à la possibilité pour les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes des États membres de l’Union de participer à ce commerce sur un pied d’égalité avec les artistes interprètes ou exécutants et les producteurs de phonogrammes de l’État tiers ayant notifié une réserve conformément à l’article 15, paragraphe 3, du TIEP, en créant une situation dans laquelle ces derniers artistes et producteurs perçoivent des revenus dans tous les cas où leur musique enregistrée est diffusée dans l’Union tandis que cet État tiers se distancie, par cette réserve notifiée en vertu de l’article 15, paragraphe 3, du TIEP, non seulement de l’article 15, paragraphe 1, de cet accord international, mais également de l’article 4, paragraphe 1, de celui-ci, qui prévoit l’obligation de traitement égal au sujet du droit à une rémunération équitable pour l’utilisation des phonogrammes publiés à des fins de commerce.

84 Il s’ensuit que la nécessité de préserver des conditions équitables de participation au commerce de la musique enregistrée constitue un objectif d’intérêt général susceptible de justifier une limitation du droit voisin du droit d’auteur prévu à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 à l’égard des ressortissants d’un État tiers qui n’octroie pas ou qui n’octroie que partiellement ce droit.

85 Cela étant, ce droit à une rémunération équitable et unique constitue, dans l’Union, ainsi qu’il ressort du point 57 du présent arrêt, un droit voisin du droit d’auteur. Il fait, dès lors, partie intégrante de la protection de la propriété intellectuelle consacrée à l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, par analogie, arrêts du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien, C‑314/12, EU:C:2014:192, point 47 ; du 7 août 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 41, ainsi que du 29 juillet 2019, Pelham e.a., C‑476/17, EU:C:2019:624, point 32).

86 Par conséquent, en vertu de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice de ce droit voisin du droit d’auteur doit être prévue par la loi, ce qui implique que la base légale qui permet l’ingérence dans ledit droit doit définir elle-même, de manière claire et précise, la portée de la limitation de son exercice [voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, WebMindLicenses, C‑419/14, EU:C:2015:832, point 81 ; avis 1/15 (Accord PNR UE-Canada), du 26 juillet 2017, EU:C:2017:592, point 139 et arrêt du 16 juillet 2020, Facebook Ireland et Schrems, C‑311/18, EU:C:2020:559, points 175 et 176].

87 La simple existence d’une réserve dûment notifiée conformément à l’article 15, paragraphe 3, du TIEP ne remplit pas cette exigence, parce qu’une telle réserve ne permet pas aux ressortissants de l’État tiers en cause de savoir de quelle manière précise leur droit à une rémunération équitable et unique serait, en conséquence, limité dans l’Union. À cet effet, il faut une règle claire du droit de l’Union lui-même.

88 Dès lors que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 constitue une règle harmonisée, il appartient au seul législateur de l’Union et non aux législateurs nationaux de déterminer s’il y a lieu de limiter l’octroi, dans l’Union, de ce droit voisin du droit d’auteur à l’égard des ressortissants d’États tiers et, dans l’affirmative, de définir cette limitation d’une manière claire et précise. Or, ainsi que l’a souligné la Commission dans ses observations, ni cette disposition ni aucune autre disposition du droit de l’Union ne contient, en l’état actuel du droit de l’Union, une limitation de cette nature.

89 Il convient d’ajouter que l’Union dispose de la compétence externe exclusive visée à l’article 3, paragraphe 2, TFUE pour négocier avec des États tiers de nouveaux engagements réciproques, dans le cadre du TIEP ou en dehors de celui-ci, portant sur le droit à une rémunération équitable et unique pour les producteurs de phonogrammes publiés à des fins de commerce et les artistes interprètes ou exécutants contribuant à ces phonogrammes.

90 Tout accord à ce sujet serait, en effet, susceptible d’altérer la portée de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, qui est une règle commune de l’Union. Il existerait une concordance complète entre la matière visée par un tel accord ciblé et celle, identique, visée à cet article 8, paragraphe 2. L’existence d’une telle concordance complète constitue l’une des situations, parmi d’autres, dans laquelle l’Union dispose de la compétence externe exclusive visée à l’article 3, paragraphe 2, TFUE [voir, notamment, arrêts du 4 septembre 2014, Commission/Conseil, C‑114/12, EU:C:2014:2151, points 68 à 70, et du 20 novembre 2018, Commission/Conseil (AMP Antarctique), C‑626/15 et C‑659/16, EU:C:2018:925, point 113].

91 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question posée que l’article 15, paragraphe 3, du TIEP et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doivent, en l’état actuel du droit de l’Union, être interprétés en ce sens que les réserves notifiées par des États tiers en vertu de cet article 15, paragraphe 3, ayant pour effet la limitation, sur leurs territoires, du droit à une rémunération équitable et unique prévu à l’article 15, paragraphe 1, du TIEP, ne conduisent pas, dans l’Union, à des limitations du droit prévu à cet article 8, paragraphe 2, à l’égard des ressortissants de ces États tiers, de telles limitations pouvant cependant être introduites par le législateur de l’Union, pourvu qu’elles soient conformes aux exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. Ledit article 8, paragraphe 2, s’oppose dès lors à ce qu’un État membre limite le droit à une rémunération équitable et unique à l’égard des artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes ressortissants desdits États tiers.

 Sur la quatrième question

92 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit à une rémunération équitable et unique qui y est prévu soit limité de manière à ce que seul le producteur du phonogramme perçoive une rémunération, sans la partager avec l’artiste interprète ou exécutant qui a contribué au phonogramme.

93 À cet égard, étant donné que, ainsi qu’il découle du libellé même de l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115, tant les artistes interprètes ou exécutants que les producteurs de phonogrammes ont droit à une rémunération équitable et unique, l’exclusion de certaines catégories d’artistes interprètes ou exécutants du bénéfice d’une quelconque rémunération pour l’utilisation de phonogrammes ou de reproductions de ceux-ci auxquels ces artistes ont contribué porte nécessairement atteinte au respect de ce droit.

94 Cette rémunération ayant comme caractéristique essentielle d’être « partagée » entre le producteur du phonogramme et l’artiste interprète ou exécutant, elle doit donner lieu à une répartition entre eux. Si, ainsi qu’il a été établi au point 56 du présent arrêt, l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 laisse à chaque État membre la possibilité de déterminer les conditions de cette répartition, cette disposition ne permet, en revanche, pas à un État membre d’écarter la répartition de la rémunération à l’égard de certaines catégories d’artistes interprètes ou exécutants et de faire bénéficier, ainsi, les producteurs des phonogrammes auxquels ces artistes ont contribué de l’intégralité de la rémunération générée par l’utilisation de ces phonogrammes ou de reproductions de ceux-ci.

95 Il convient d’ailleurs de relever qu’une telle exclusion compromettrait l’objectif de la directive 2006/115, rappelé au point 50 du présent arrêt, consistant à assurer la continuité du travail créateur et artistique des auteurs et artistes interprètes ou exécutants, en prévoyant une protection juridique harmonisée qui garantit la possibilité pour ceux-ci de percevoir un revenu approprié et d’amortir leurs investissements.

96 Partant, il y a lieu de répondre à la quatrième question posée que l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit à une rémunération équitable et unique qui y est prévu soit limité de manière à ce que seul le producteur du phonogramme concerné perçoive une rémunération, sans la partager avec l’artiste interprète ou exécutant qui a contribué à ce phonogramme.

 Sur les dépens

97 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1) L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle, doit, à la lumière de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 15, paragraphe 1, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exclue, lors de la transposition dans sa législation des termes « artistes interprètes ou exécutants [...] concernés » figurant à cet article 8, paragraphe 2, et désignant les artistes ayant droit à une partie de la rémunération équitable et unique qui y est visée, les artistes ressortissants d’États tiers à l’Espace économique européen (EEE), à la seule exception de ceux qui ont leur domicile ou leur résidence dans l’EEE et de ceux dont la contribution au phonogramme a été réalisée dans l’EEE.

2) L’article 15, paragraphe 3, du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes et l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doivent, en l’état actuel du droit de l’Union, être interprétés en ce sens que les réserves notifiées par des États tiers en vertu de cet article 15, paragraphe 3, ayant pour effet la limitation, sur leurs territoires, du droit à une rémunération équitable et unique prévu à l’article 15, paragraphe 1, du traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes, ne conduisent pas, dans l’Union européenne, à des limitations du droit prévu à cet article 8, paragraphe 2, à l’égard des ressortissants de ces États tiers, de telles limitations pouvant cependant être introduites par le législateur de l’Union, pourvu qu’elles soient conformes aux exigences de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Ledit article 8, paragraphe 2, s’oppose dès lors à ce qu’un État membre limite le droit à une rémunération équitable et unique à l’égard des artistes interprètes ou exécutants et producteurs de phonogrammes ressortissants desdits États tiers.

3) L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2006/115 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que le droit à une rémunération équitable et unique qui y est prévu soit limité de manière à ce que seul le producteur du phonogramme concerné perçoive une rémunération, sans la partager avec l’artiste interprète ou exécutant qui a contribué à ce phonogramme.