CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 16 septembre 2020, n° 19/19386
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gifi Mag (SAS)
Défendeur :
IDF Management (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte sous seing privé à effet au 1er avril 2010, la SAS IDF management a conclu avec la SAS Gifi Mag un contrat de gérance-mandat d'une durée d'un an avec tacite reconduction, pour l'exploitation d'un magasin situé à Sérignan (34).
Par lettre du 14 janvier 2013, la société Gifi Mag a informé la société IDF management que le contrat ne serait pas renouvelé à l'échéance du 31 mars 2013.
Par acte extrajudiciaire du 25 septembre 2013, la société IDF management a assigné en indemnisation la société Gifi Mag devant le tribunal de commerce de Bordeaux, sur le fondement de la rupture brutale de relations commerciales établies.
C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Bordeaux, par jugement du 23 janvier 2015, a :
- débouté la société Gifi Mag de son exception d'incompétence ;
- retenu sa compétence ;
- au fond,
- condamné la société Gifi Mag à payer à la société IDF Management la somme de 87 916,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ;
- débouté le société IDF management de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral ;
- débouté la société IDF management de sa demande de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence ;
- débouté la société IDF management de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné la société Gifi Mag à payer à la société IDF management la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la Société Gifi Mag aux dépens.
La société Gifi Mag ayant interjeté appel de cette décision, la cour d'appel de Paris, par arrêt du 17 janvier 2018, a :
- confirmé le jugement, sauf en ce qu'il a :
Condamné la société Gifi Mag à payer à la société IDF management la somme de 87 916,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
Débouté la société IDF management de sa demande de dommages et intérêts au titre de la clause de non-concurrence,
- l'infirmant sur ces points,
- statuant à nouveau,
- débouté la société IDF management de sa demande de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie,
- prononcé la nullité de l'article 15.2 du contrat de gérance-mandat,
- condamné la société Gifi Mag à payer à la société IDF management la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, au titre du préjudice né du respect de la clause de non-concurrence nulle,
- y ajoutant,
- débouté la société IDF management de ses demandes de dommages et intérêts ;
- condamné la société IDF management aux dépens d'appel pouvant recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC ainsi qu'à payer à la société Gifi Mag la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- rejeté toute autre demande.
La société Gifi Mag s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.
La chambre commerciale de la Cour de cassation, par arrêt du 2 octobre 2019 (n° 18-15.676) a rejeté le pourvoi incident de la société Gifi Mag mais, sur le pourvoi principal de la société IDF management, a partiellement cassé l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, seulement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts formée par cette société pour rupture brutale d'une relation commerciale établie et en ce qu'il a statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 9 juin 2020 l'affaire a été fixée à bref délai par la Cour d'appel de Paris.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 juin 2020, la société Gifi Mag demande à la Cour de :
- vu les articles 517, 48, 73 et suivants du code de procédure civile,
- vu les articles L. 146-1 et suivants et l'ancien article L. 442-6 I 5° du code de commerce, - vu les articles 1134 et suivants du code civil,
- vu la convention du 28 septembre 2012,
- vu les conclusions responsives communiquées par la Société GLA Holding devant le Tribunal de Commerce de Béziers le 10 juin 2013 (pièce IDF management n°25),
- vu le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux en date du 23 janvier 2015 (RG 2013F01278),
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a :
- condamnée à payer à la société IDF management la somme de 87 916,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie,
- condamnée à payer à la société IDF management la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamnée aux dépens,
- et statuant à nouveau :
- débouter la société IDF management de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions, dès lors que :
C’est à bon droit que la société concluante a procédé au non-renouvellement du contrat de gérance-mandat du 28 septembre 2012, pareille situation n'ouvrant droit à aucune indemnisation, y compris sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,
La relation contractuelle ayant existé entre les parties ne constitue pas des relations commerciales, ni de relations commerciales établies, la cessation de la relation n'ayant en outre pas été brutale puisqu'un préavis de deux mois et demi a été octroyé,
Le dirigeant de la société IDF management a expressément reconnu judiciairement par conclusions produites devant le Tribunal de Commerce de Béziers n'avoir eu aucune croyance dans la stabilité de la relation contractuelle liant les Sociétés IDF management et la société concluante,
La société IDF management n'a jamais dégagé de marge en exécution du contrat de gérance mandat conclu avec la société concluante,
- condamner la société IDF management à lui payer la somme de 5 000 euros au bénéfice au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 27 mai 2020, la société IDF management prie la Cour de :
- vu les articles 1134, 1147, 1149 et 1382 du code civil ;
- vu l'article L 442-6 I 5° du code de commerce ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- dire que le préavis de deux mois que lui a accordé la société Gifi Mag dans le cadre de la rupture du contrat de gérance-mandat est insuffisant ;
- dire que la rupture par la société Gifi Mag du contrat de gérance-mandat signé avec la société IDF management est brutale ;
- réformer le jugement entrepris ;
- dire qu'elle aurait dû se voir accorder par la société Gifi Mag un préavis de 8 mois,
- en conséquence ;
- condamner la société Gifi Mag à lui payer la somme de 128 106 euros au titre de sa perte de marge ;
- condamner la société Gifi Mag à payer à la société IDF management la somme de 10 000 euros au titre du préjudice moral ;
- confirmer le jugement entrepris ;
- débouter la société Gifi Mag de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts à hauteur de 15 000 euros ;
- condamner la société Gifi Mag à lui payer la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
SUR CE,
A l'appui de son appel, la société Gifi Mag fait valoir qu'un préavis de deux mois et demi a été accordé et soutient que :
- les dispositions de l'article L. 146-4 du code de commerce consacrent le droit de ne pas renouveler le contrat de gérance-mandat à son échéance, ce qui est exclusif de tout droit à indemnité, à la différence de la résiliation du contrat par le mandant pour laquelle une indemnité est obligatoirement versée, sauf faute grave du gérant, ces dispositions étant rappelées par l'article 9 de la convention litigieuse ;
- de ce fait, il n'y a pas eu de rupture brutale, le contrat ayant pris fin en l'absence de renouvellement à son échéance ;
- l'arrêt de cassation rendu en l'espèce ne vise pas l'hypothèse de l'absence de renouvellement du contrat de gérance-mandat, alors que celle-ci doit être distinguée de la résiliation du contrat ;
- l'arrêt partiellement cassé a justement retenu que le régime spécial instauré par la loi du 2 août 2005 dont est issue l'article L. 146-4 du code de commerce évince l'application du régime général et commun de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ;
- de toutes manières, les demandes de la société IDF management, fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, doivent être rejetées faute d'acquisition en l'espèce des critères d'application de ce texte :
En l'absence de stabilité des relations relations commerciales en cause : le dirigeant de la société IDF management ayant expressément affirmé judiciairement avoir eu la crainte de voir le contrat litigieux ne pas être renouvelé ;
En l'absence même de relation commerciale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce : le contrat de gérance-mandat n'ayant créé aucune relation d'approvisionnement entre les parties, la société Gifi Mag n'ayant jamais vendu de marchandises à la société IDF management qui n'a jamais exercé d'activité commerciale propre, le fonds de commerce étant resté la propriété de la société Gifi Mag ;
En l'absence de relations commerciales établies : la nature du contrat de gérance-mandat à durée déterminée étant incompatible avec la notion de stabilité.
Toutefois et en droit, il s'évince des motifs de l'arrêt de cassation rendu en l'espèce que, contrairement à cette analyse : « si le régime institué par les articles L. 146-1 et suivants du code de commerce prévoit, en son article L. 146-4, le paiement d'une indemnité minimale au profit des gérants-mandataires en cas de résiliation du contrat sans faute grave de leur part, il ne règle en aucune manière la durée du préavis à respecter, que le même texte laisse à la convenance des parties, ce dont il se déduit qu'ont vocation à s'appliquer les règles de responsabilité instituées par l'article L. 442-6, I, 5 du même code lorsque le préavis consenti est insuffisant au regard de la durée de la relation commerciale établie entre les parties et des autres circonstances ».
Sur ce point, il n'y a donc pas lieu de réserver au non-renouvellement du contrat à l'échéance un sort différent de celui de la résiliation du contrat.
C'est pourquoi, il ne sera pas retenu que les dispositions de l'article L. 146-4 du code de commerce évincent l'application de l'article L. 442-6, I, 5°.
Et s'agissant de l'acquisition des critères d'application de l'article L. 442-6, I, 5°, l'arrêt de cassation fait également grief à l'arrêt partiellement cassé d'avoir écarté l'application de l'article L. 442-6, I, 5° par des motifs péremptoires, en retenant que le contrat en cause n'impliquait pas de flux d'affaires entre les parties, faisant ainsi obligation aux juges du fond de se livrer à une analyse concrète des relations ayant existé entre les parties.
Or, les relations d'affaires entre les parties ont consisté en l'espèce dans la mise en œuvre du contrat conclu entre les parties pendant trois ans, durée pendant laquelle il est établi que le magasin de Sérignan a effectivement travaillé, de manière stable et régulière, générant un chiffre d'affaires significatif sur toute cette période.
Le renouvellement des contrats à durée déterminée a légitimement fait naître chez le mandataire la croyance en la stabilité de ces relations, la circonstance que la rupture ait été ou non prévisible étant indifférente.
Les rapports d'affaires ayant existé entre les parties consistent notamment, selon le contrat de gérance-mandat exécuté, dans :
- la gestion du fonds de commerce appartenant au mandant, au nom et pour le compte de celui-ci, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires,
- la surveillance du niveau des stocks et la fixation des prix de vente en référence à ceux conseillés par le mandant, avec possibilité de les modifier dans certaines conditions,
- l'entretien des locaux et du matériel appartenant au mandant,
- l'embauche et la gestion du personnel par le mandataire, pour les besoins de l'exploitation du fonds.
Peu important l'absence de relation d'approvisionnement par achat-vente, ces rapports d'affaires caractérisent une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6-I-5°.
S'agissant de l'existence d'une rupture brutale de cette relation commerciale établie, les moyens soutenus par la société Gifi Mag au soutien de son appel ne font que réitérer sous une forme nouvelle, mais sans justification complémentaire utile, ceux dont le premier juge a connu et auxquels il a répondu par des motifs exacts que la Cour adopte, sans qu'il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail d'une discussion se situant au niveau d'une simple argumentation.
A ces justes motifs, il sera ajouté ce qui suit.
Il ne peut être retenu qu'en pratique la société IDF management avait eu la possibilité effective, pendant les deux mois et demi du prévis octroyé par le mandant, de changer de secteur de distribution pour se réorienter tout en respectant l'obligation contractuelle d'exclusivité interdisant à l'ancien mandataire gérant de concurrencer l'activité dans laquelle était exploité le fonds.
Les premiers juges doivent être approuvés d'avoir retenu que la relation commerciale pendant trois années avait été de forte intensité, qu'elle avait été marquée par la forte dépendance économique de la société IDF management à l'égard de la société Gifi Mag, si bien que celle-ci aurait dû respecter un préavis de 6 mois, tandis que le préavis avait été de 2 mois et demi.
La perte de bénéfice subie du fait de la brutalité de la rupture, en l'absence de coûts variables tel que montré par les comptes de la société IDF management pour les années 2011, 2012 et 2013 et les factures produites, s'évalue pour cette activité de prestation de service au montant des commissions perdues sur la durée du préavis non effectué, soit 3 mois et demi.
Le tribunal de commerce a exactement retenu que les commissions perdues, au vu des éléments comptables fournis, pouvaient s'évaluer à 25 119 euros par mois, soit 87 916,50 euros pour 3,5 mois.
Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef, le surplus de la demande de la société IDF management qui réclame 8 mois de préavis, ce qui est excessif, devant être rejeté.
S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour préjudice moral formée par la société IDF management à hauteur de 10 000 euros, celle-ci soutient que le manque de loyauté de la société Gifi Mag a occasionné un préjudice moral du fait que les administrateurs de la société IDF management ont démissionné de leur emploi pour s'investir pleinement dans le réseau Gifi.
Toutefois, l'arrêt de la présente Cour rendu entre les parties le 17 janvier 2018 a définitivement confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait débouté la société IDF management de cette prétention, d'où il suit que cette demande déjà jugée ne peut pas être examinée de nouveau.
Dès lors que la société Gifi Mag succombe pour l'essentiel, aussi bien en première instance qu'en cause d'appel, d'une part le jugement entrepris sera confirmé quant aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile ; d'autre part, en appel, la société Gifi Mag sera également tenue aux dépens et en équité, elle devra verser à la société IDF management une indemnité de procédure complémentaire tel que précisé au dispositif du présent arrêt.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
CONFIRME le jugement entrepris :
- en ce qu'il a condamné la société Gifi Mag à payer à la société IDF management la somme de 87 916,50 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie,
- en ce qu'il a statué sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
CONDAMNE la société Gifi Mag à payer à la société IDF Management une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en appel,
CONDAMNE la société Gifi Mag aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.