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Décisions

CJUE, 1re ch., 3 septembre 2020, n° C-186/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Supreme Site Services GmbH, Supreme Fuels GmbH & Co KG, Supreme Fuels Trading Fze

Défendeur :

Supreme Headquarters Allied Powers Europe

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

J.-C. Bonichot

Juge :

N. Jääskinen

CJUE n° C-186/19

3 septembre 2020

LA COUR (troisième chambre)

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 24, point 5, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure opposant Supreme Site Services GmbH, établie en Suisse, Supreme Fuels GmbH & Co KG, établie en Allemagne, et Supreme Fuels Trading Fze, établie aux Émirats arabes unis (ci–après, ensemble, les « sociétés Supreme ») au Supreme Headquarters Allied Powers Europe (ci-après le « SHAPE »), établi en Belgique, au sujet de la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire.

 Le cadre juridique

 Le droit international

3 Aux termes de l’article I, sous a), du protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l’Atlantique Nord, signé à Paris le 28 août 1952 (ci–après le « protocole de Paris ») :

« Par “Convention”, on entend la Convention signée à Londres le 19 juin 1951 par les États parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces ».

4 L’article XI du protocole de Paris prévoit :

« 1. Sous réserve des dispositions de l’article 8 de la Convention, un quartier général suprême peut ester en justice, tant en demandant qu’en défendant. Toutefois, il pourra être convenu entre le quartier général suprême ou tout quartier général interallié subordonné autorisé par lui, d’une part, et l’État de séjour, d’autre part, que ce dernier lui sera subrogé devant les tribunaux de cet État pour l’exercice des actions auxquelles le quartier général sera partie.

2. Aucune mesure d’exécution ou tendant soit à l’appréhension, soit à la description de biens ou fonds, ne peut être prise contre un quartier général interallié, si ce n’est aux fins définies au paragraphe 6 a. de l’article 7 et à l’article 13 de la Convention. »

 Le droit de l’Union

5 Les considérants 10, 34 et 36 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (10) Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies, [...]

[...]

(34) Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [de Bruxelles, du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)], le règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1),] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l’interprétation par la Cour de justice de l’Union européenne de la convention de Bruxelles de 1968 et des règlements qui la remplacent.

[...]

(36) Sans préjudice des obligations des États membres au titre des traités, le présent règlement devrait être sans incidence sur l’application des conventions et accords bilatéraux conclus entre un État tiers et un État membre avant la date d’entrée en vigueur du règlement (CE) no 44/2001 qui portent sur des matières régies par le présent règlement. »

6 L’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii). »

7 L’article 4, paragraphe 1, du même règlement est ainsi libellé :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

8 Aux termes de l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

[...]

5) en matière d’exécution des décisions, les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution. »

9 L’article 35 de ce règlement prévoit :

« Les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un État membre peuvent être demandées aux juridictions de cet État, même si les juridictions d’un autre État membre sont compétentes pour connaître du fond. »

10 L’article 73, paragraphe 3, dudit règlement énonce :

« Le présent règlement n’affecte pas l’application des conventions et accords bilatéraux conclus entre un État tiers et un État membre avant la date d’entrée en vigueur du règlement (CE) no 44/2001 qui portent sur des matières régies par le présent règlement. »

 Le droit néerlandais

11 L’article 700 du Nederlandse Wetboek van Burgerlijke Rechtsvordering (code de procédure civile néerlandais, ci-après le « code de procédure civile ») dispose :

« 1) La pratique d’une saisie conservatoire nécessite l’autorisation du juge des référés du tribunal dans le ressort duquel se trouvent un ou plusieurs des biens concernés et, si la saisie ne porte pas sur des biens, du tribunal dans le ressort duquel est domicilié le débiteur ou la personne ou l’une des personnes au titre de laquelle est effectuée la saisie.

2) L’autorisation est demandée par la voie d’une requête dans laquelle sont indiquées la nature de la saisie à pratiquer, ainsi que la nature du droit invoqué par le requérant et, dans l’hypothèse où ce droit est une créance pécuniaire, également le montant ou, si celui-ci n’a pas encore été déterminé, son montant maximal, sous réserve des exigences spécifiques imposées par la loi pour le type de saisie concernée. Le juge des référés rend sa décision après un examen sommaire. [...]

[...] »

12 Aux termes de l’article 705, paragraphe 1, du code de procédure civile :

« Le juge des référés ayant autorisé la saisie peut, par voie de référé, annuler la saisie à la demande de tout intéressé, sous réserve de la compétence du juge de droit commun. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Le SHAPE est une organisation internationale établie à Mons (Belgique) en vertu du protocole de Paris. Un quartier général régional, à savoir l’Allied Joint Force Command Brunssum (commandement des forces interarmées Brunssum, ci-après le « JFCB »), placé sous l’autorité du SHAPE, est établi à Brunssum (Pays-Bas).

14 Par résolution du 20 décembre 2001, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé la création de la Force internationale d’assistance à la sécurité (ci-après la « FIAS ») afin de renforcer la sécurité en Afghanistan.

15 L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) a assumé, à partir du 11 août 2003, le commandement stratégique, la direction et la coordination de la FIAS.

16 Ainsi qu’il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour, les sociétés Supreme ont, sur le fondement des deux « accords généraux de passation de commande » (Basic Ordering Agreements, ci-après les « accords BOA ») signés respectivement le 1er février 2006 et le 15 mars 2007, fourni des carburants au SHAPE pour les besoins de la mission de la FIAS en Afghanistan. Les accords BOA sont arrivés à leur terme le 30 novembre 2014.

17 Afin de garantir le paiement de tous les frais découlant desdits accords, au cours du mois de novembre 2013, le JFCB et les sociétés Supreme ont signé une convention de séquestre, dans le cadre de laquelle ces dernières sont également désignées en qualité de « fournisseur ».

18 Selon les termes de cette convention :

« PRÉAMBULE :

[...]

B. À l’expiration des contrats, certains réajustements, factures impayées ou frais ultérieurs [...] pourront être dus [aux sociétés] Supreme par les clients OTAN agréés [...], ou des montants dus en raison de trop-perçus resteront dus et recouvrables par l’OTAN et les clients OTAN agréés.

C. Les parties reconnaissent que le paiement des frais éventuels prévus dans les contrats à l’expiration des [accords] BOA bénéficiera de mécanismes de facturation limités.

En outre, il est possible qu’à l’expiration des contrats, l’OTAN ou les clients OTAN agréés ne disposent pas des fonds nécessaires pour payer les frais approuvés. Afin de régler ces questions d’ordre pratique, les parties sont convenues d’établir un compte séquestre en vertu des dispositions de la convention de séquestre pour couvrir les demandes d’indemnisation ou les autres réajustements et de conclure la convention de séquestre telle qu’exposée ci-dessous.

LES PARTIES CONVIENNENT ce qui suit :

[...]

2. La création d’un compte séquestre

[...]

2.2 Il y a lieu de constater que l’OTAN et les clients OTAN agréés demeurent propriétaires des fonds déposés, qui sont calculés en application du dépôt fiduciaire (point 3.2), à compter du paiement par l’OTAN ou les clients OTAN agréés. Tout transfert de propriété des fonds déposés peut uniquement être exécuté pour couvrir des demandes d’indemnisation autorisées ou d’autres réajustements.

[...]

4. Les obligations du fournisseur

[...]

4.4 Le fournisseur transmet les demandes directement au groupe de travail “libération des fonds” et ne dispose d’aucune revendication, droit ou titre sur le dépôt fiduciaire.

[...] »

19 À la suite des audits financiers réalisés par le JFCB auprès des sociétés Supreme, ces dernières ont, pour l’année 2013, remboursé environ 122 millions de dollars des États-Unis (USD) (environ 112 millions d’euros) à l’OTAN en raison de montants trop perçus. Le montant remboursé a été versé sur un compte séquestre ouvert, en vertu des dispositions de la convention de séquestre, auprès de la banque BNP Paribas, à Bruxelles (Belgique).

20 Le 1er décembre 2015, les sociétés Supreme ont assigné en paiement le SHAPE et le JFCB devant le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg, Pays-Bas) aux fins du prélèvement des montants réclamés sur des fonds déposés sur ce compte séquestre (ci-après la « procédure au fond »). Les sociétés Supreme ont étayé cette demande en affirmant qu’elles avaient fourni du carburant au SHAPE sur le fondement des accords BOA pour les besoins de la mission de la FIAS en Afghanistan et que le SHAPE et le JFCB n’avaient pas respecté les obligations de paiement qui leur incombaient.

21 Le SHAPE et le JFCB ont soulevé une exception d’incompétence du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg), en invoquant l’immunité de juridiction. Par décision du 8 février 2017, ce tribunal s’est déclaré compétent pour connaître des demandes des sociétés Supreme. Le 4 mai 2017, le SHAPE a interjeté appel de cette décision. Ainsi qu’il a été précisé lors de l’audience devant la Cour, par arrêt du 10 décembre 2019, le Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc, Pays-Bas) a annulé le jugement du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) et s’est déclaré incompétent pour connaître du litige en raison de l’immunité de juridiction dont jouiraient le SHAPE et le JFCB. Cet arrêt a été attaqué devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

22 Parallèlement à cette procédure au fond, deux autres procédures ont été engagées devant le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg).

23 À la demande des sociétés Supreme, dans le cadre d’une première procédure non contradictoire, le juge des référés du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) a, par décision du 14 avril 2016, autorisé les sociétés Supreme à pratiquer une saisie-arrêt conservatoire auprès de la banque BNP Paribas, à Bruxelles sur les fonds déposés sur le compte séquestre à hauteur d’un montant de 217 857 167 USD (environ 200 855 593 euros). La saisie conservatoire a été exécutée le 18 avril 2016.

24 Le 17 mars 2017, dans le cadre d’une seconde procédure, à savoir l’action en référé au principal, le SHAPE a saisi le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) afin d’obtenir la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire autorisée par la décision du 14 avril 2016 et d’interdire aux sociétés Supreme de procéder de nouveau à une saisie conservatoire sur le fondement de faits identiques. Au soutien de ses demandes, le SHAPE a invoqué l’immunité d’exécution.

25 Par décision du 12 juin 2017, le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) a fait droit aux demandes du SHAPE.

26 Cette décision a été confirmée le 27 juin 2017 par le Gerechtshof ‘s‑Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) qui a fondé sa compétence pour connaître des demandes du SHAPE sur l’article 35 du règlement no 1215/2012 ainsi que sur l’article 705 du code de procédure civile, selon lequel, si le juge néerlandais a accordé une autorisation de pratiquer une saisie, il est compétent pour l’annuler.

27 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que le Gerechtshof ‘s‑Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) a jugé que l’intérêt du SHAPE au maintien de l’immunité d’exécution prévalait sur l’intérêt des sociétés Supreme au recouvrement de leur créance et n’était pas contraire à l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950.

28 Le 21 août 2017, les sociétés Supreme ont formé un pourvoi en cassation contre cette dernière décision devant le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas).

29 Cette juridiction expose, d’abord, que la saisie-arrêt conservatoire exécutée par les sociétés Supreme en Belgique a déjà fait l’objet d’une mainlevée, après qu’une juridiction belge eut, en application de la convention conclue entre le Royaume de Belgique et le Royaume des Pays-Bas sur la compétence judiciaire territoriale, sur la faillite, ainsi que sur l’autorité et l’exécution des décisions judiciaires, des sentences arbitrales et des actes authentiques, signée à Bruxelles le 28 mars 1925 (ci-après la « convention bilatérale de 1925 »), accordé l’autorisation d’exécuter les décisions du 12 juin 2017 du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) et du 27 juin 2017 du Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc). Néanmoins, la juridiction de renvoi estime que les sociétés Supreme gardent un intérêt à agir car le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) n’a pas seulement autorisé la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire, mais il a également interdit aux sociétés Supreme de pratiquer de nouveau une telle mesure sur le compte séquestre.

30 Ensuite, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) précise qu’elle est tenue d’examiner d’office si la juridiction d’un autre État membre était exclusivement compétente, en vertu de l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012. Toutefois, avant de procéder à une telle analyse, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’action en référé introduite par le SHAPE relève du champ d’application matériel du règlement no 1215/2012.

31 À cet égard, en premier lieu, la juridiction de renvoi se demande si la circonstance que, dans la procédure de mainlevée, le SHAPE s’est fondé sur l’immunité d’exécution pouvait conduire à considérer qu’il avait agi dans l’exercice de la puissance publique, de sorte que le litige ne relèverait pas du champ d’application matériel du règlement no 1215/2012. Cette juridiction se pose également la question de savoir quelle incidence peut avoir, sur la qualification du litige de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, le fait que la saisie-arrêt conservatoire a été autorisée au titre d’une créance née d’un rapport contractuel qui fait l’objet de la procédure au fond.

32 Dans l’hypothèse où le litige relèverait du champ d’application du règlement no 1215/2012, la juridiction de renvoi s’interroge, en deuxième lieu, sur le fait de savoir si la mainlevée d’une saisie pratiquée sur autorisation d’un juge relève du chef de compétence exclusive portant sur l’exécution d’une décision, prévue à l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012. Les doutes de cette juridiction sont nourris par le fait que, d’une part, les exceptions à la règle générale de compétence sont d’interprétation stricte et, d’autre part, les procédures ayant un lien étroit avec la procédure d’exécution relèveraient de l’article 24, point 5, de ce règlement. Cette juridiction s’interroge également sur l’incidence que peut avoir, pour l’analyse de cette deuxième question, la circonstance que le SHAPE avait invoqué l’immunité d’exécution. De l’avis de ladite juridiction, il est permis d’envisager que les juridictions de l’État membre dans lequel une saisie conservatoire a été exécutée contre une organisation internationale sont les mieux placées pour apprécier si la saisie est contraire à l’immunité d’exécution dont se prévaut cette organisation sur le fondement d’un traité ou du droit international coutumier qui lie cet État membre.

33 En troisième lieu, la juridiction de renvoi se demande, dans le cas où l’immunité d’exécution invoquée par le SHAPE pourrait influer sur l’application du règlement no 1215/2012, dans quelle mesure le juge saisi est tenu d’apprécier si le recours à cette immunité est fondé. Plus particulièrement, elle s’interroge sur la question de savoir comment la règle selon laquelle le juge doit apprécier tous les éléments dont il dispose, y compris les contestations émises par le défendeur à cet égard, s’applique en l’occurrence.

34 Dans ces conditions, le Hoge Raad der Nederlanden (Cour suprême des Pays-Bas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) a) Le règlement [no 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens qu’une affaire telle que celle de l’espèce, dans laquelle une organisation internationale demande

i) la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire pratiquée dans un autre État membre par la partie adverse et

ii) d’interdire à la partie adverse de pratiquer de nouveau une saisie conservatoire, sur la base des mêmes faits,

et invoque au soutien de ces demandes l’immunité d’exécution, doit être considérée, en tout ou en partie, comme [relevant de la] matière civile ou commerciale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, [de ce règlement] ?

b) Le fait que le juge d’un État membre a autorisé la saisie au titre d’une créance que la partie adverse affirme détenir sur l’organisation internationale, créance qui fait l’objet d’une procédure au fond pendante dans cet État membre dans le cadre d’un litige contractuel concernant le paiement de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix effectuée par une organisation internationale liée à la première, a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la première question sous a), et, si oui, laquelle ?

2) a) En cas de réponse affirmative à la première question, sous a), l’article 24, initio et point 5, du règlement no 1215/2012, doit-il être interprété en ce sens que, lorsque le juge d’un État membre a accordé une autorisation de pratiquer une saisie-arrêt conservatoire et que cette saisie est ensuite pratiquée dans un autre État membre, les juridictions de l’État membre dans lequel est pratiquée la saisie-arrêt conservatoire sont exclusivement compétentes pour connaître d’une demande de mainlevée de cette saisie ?

b) Le fait que l’organisation internationale a invoqué l’immunité d’exécution au soutien de sa demande de mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire a-t-il une incidence sur la réponse à donner à la deuxième question, sous a), et, si oui, laquelle ?

3) Si le fait que l’organisation internationale a invoqué l’immunité d’exécution au soutien de ses demandes a une incidence sur les réponses à apporter, d’une part, à la question de savoir s’il s’agit d’une matière civile ou commerciale au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, et, d’autre part, à la question de savoir s’il s’agit d’une demande relevant du champ d’application de l’article 24, initio et point 5, [de ce règlement], dans quelle mesure le juge saisi est-il tenu d’apprécier si le recours à l’immunité d’exécution est fondé et faut-il à cet égard appliquer la règle selon laquelle il est tenu d’apprécier tous les éléments dont il dispose, y compris, en l’espèce, les contestations émises par la partie défenderesse, ou toute autre règle ? »

 Sur la demande de réouverture de la procédure orale

35 À la suite du prononcé des conclusions de M. l’avocat général, le SHAPE a, par acte déposé au greffe de la Cour, demandé que soit ordonnée la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, elle fait valoir, en substance, que M. l’avocat général a, aux points 90 et 100 à 103 de ses conclusions, fondé son appréciation sur une interprétation erronée des éléments de fait et de droit liés au fonctionnement des organisations internationales.

36 Conformément à cet article 83, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée, ou lorsqu’une partie a soumis, après la clôture de cette phase, un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision de la Cour, ou encore lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2013, Carratù, C‑361/12, EU:C:2013:830, point 18, et du 11 avril 2019, Bosworth et Hurley, C‑603/17, EU:C:2019:310, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

37 En revanche, le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (arrêt du 15 février 2017, W et V, C‑499/15, EU:C:2017:118, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

38 En l’occurrence, l’argumentation invoquée par le SHAPE à l’appui de sa demande de réouverture de la procédure consiste à critiquer les conclusions présentées par M. l’avocat général dans la présente affaire. Or, étant donné que la Cour n’est pas liée par celles-ci, il n’est pas indispensable de procéder à la réouverture de la procédure orale chaque fois que l’avocat général soulève un point sur lequel les parties au principal sont en désaccord avec lui (arrêt du 3 avril 2014, Weber, C‑438/12, EU:C:2014:212, point 30).

39 Dans ces conditions, la Cour considère, l’avocat général entendu, qu’elle dispose en l’occurrence de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi et que tous les arguments nécessaires pour trancher l’affaire en cause ont été débattus entre les parties et les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

40 Par conséquent, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

41 Le SHAPE excipe de l’irrecevabilité des première et deuxième questions pour autant qu’elles concernent la demande de mainlevée, à savoir la première question, sous a), i) et la deuxième question sous a) et b), aux motifs que celles-ci sont devenues hypothétiques dans la mesure où la saisie-arrêt conservatoire accordée à la demande des sociétés Supreme par décision du 14 avril 2016 du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) a déjà été levée à la suite des décisions prononcées en première instance et en appel, par le même tribunal et par le Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) respectivement les 12 et 27 juin 2017, et exécutées après l’autorisation accordée par une juridiction belge en application de la convention bilatérale de 1925.

42 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Il n’est possible pour la Cour de refuser de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale, au sens de l’article 267 TFUE, que lorsque, notamment, les exigences concernant le contenu de la demande de décision préjudicielle figurant à l’article 94 du règlement de procédure ne sont pas respectées ou lorsqu’il apparaît, de manière manifeste, que l’interprétation ou l’appréciation de la validité d’une règle de l’Union, demandées par la juridiction nationale, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal ou lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 14 juin 2017, Online Games e.a., C‑685/15, EU:C:2017:452, point 42 ainsi que jurisprudence citée).

43 Or, il ne ressort pas des circonstances de l’affaire au principal que les questions préjudicielles portant sur la demande de mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire, posées par la juridiction de renvoi, n’ont aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, d’autant plus qu’il revient exclusivement à cette juridiction de déterminer les limites du contrôle dont elle est investie dans le cadre du recours en cassation contre la décision du 27 juin 2017 du Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc) ayant confirmé la décision du 12 juin 2017 prononcée par le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) et faisant droit à la demande de mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire formulée par le SHAPE.

44 Dans ce contexte, ainsi qu’il a été également relevé par M. l’avocat général, au point 31 de ses conclusions, la question de savoir si les juridictions néerlandaises ont une compétence internationale au titre du règlement no 1215/2012 pour statuer sur cette demande de mainlevée ne paraît ni hypothétique ni manifestement dépourvue de rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal.

45 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant recevable.

 Sur la première question 

46 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de cette disposition, une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, et engagée parallèlement à une procédure au fond portant sur une créance résultant d’un non-paiement allégué de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix assurée par cette organisation.

47 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans la mesure où le règlement no 1215/2012 abroge et remplace le règlement no 44/2001 qui a lui-même remplacé la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention (ci-après la « convention de Bruxelles de 1968 »), l’interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments juridiques vaut également pour le règlement no 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d’« équivalentes » (arrêt du 29 juillet 2019, Tibor-Trans, C‑451/18, EU:C:2019:635, point 23 et jurisprudence citée).

48 Afin d’apporter une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de décomposer l’examen de la première question en trois points et d’analyser, d’abord, l’incidence de la nature de l’action en référé au principal sur son rattachement à la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, pour examiner, ensuite, les critères dégagés par la jurisprudence afin de qualifier une action comme relevant de la même matière et, enfin, le rôle joué par le privilège de l’immunité dans le cadre de cette qualification.

49 S’agissant, en premier lieu, de l’influence de la nature de l’action en référé au principal sur son rattachement à la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, il importe, d’abord, de constater, ainsi qu’il ressort des éléments du dossier soumis à la Cour, que cette action tend à l’obtention des mesures provisoires afin de sauvegarder une situation de fait soumise à l’appréciation du juge dans le cadre de la procédure au fond engagée entre les mêmes parties. Il peut, dès lors, être considéré qu’une telle action porte sur des « mesures provisoires ou conservatoires », au sens de l’article 35 du règlement no 1215/2012, à condition qu’elle relève du champ d’application de ce règlement.

50 En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour portant sur l’interprétation de l’article 24 de la convention de Bruxelles de 1968, transposable à l’interprétation des dispositions équivalentes figurant à l’article 35 du règlement no 1215/2012, qu’il convient d’entendre par « mesures provisoires ou conservatoires » les mesures qui, dans les matières relevant du champ d’application dudit règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder des droits dont la reconnaissance est, par ailleurs, demandée au juge du fond (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C‑261/90, EU:C:1992:149, point 34).

51 En ce qui concerne, ensuite, l’articulation entre la procédure au fond et les mesures provisoires et conservatoires, il convient d’observer que les parties et les intéressés ayant déposé des observations devant la Cour ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’action en référé porte sur la matière civile et commerciale et relève, à ce titre, du champ d’application du règlement no 1215/2012. À cet égard, les sociétés Supreme et le gouvernement hellénique ont soutenu, en substance, que, pour déterminer si l’action en référé au principal relève du champ d’application du règlement no 1215/2012, il convient de se rapporter aux caractéristiques de la procédure au fond, tandis que le SHAPE a fait valoir que l’analyse doit porter sur les caractéristiques propres de la mesure provisoire et conservatoire en cause au principal. En revanche, la Commission européenne ainsi que les gouvernements néerlandais et belge ont privilégié l’analyse des droits dont la mesure provisoire et conservatoire vise à assurer la sauvegarde.

52 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, les mesures provisoires ou conservatoires sont aptes à sauvegarder des droits de nature fort variée, de sorte que leur appartenance au champ d’application de la convention de Bruxelles de 1968 est déterminée non pas par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles assurent la sauvegarde (arrêts du 27 mars 1979, de Cavel, 143/78, EU:C:1979:83, point 8, ainsi que du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C‑261/90, EU:C:1992:149, point 32).

53 La Cour a également jugé que, dès lors que l’objet d’une demande de mesures provisoires porte sur une question relevant du champ d’application matériel de la convention de Bruxelles de 1968, cette dernière s’applique et, partant, son article 24 est susceptible de fonder la compétence du juge des référés, même si une procédure au fond a déjà été engagée ou peut l’être, car les mesures provisoires sont adoptées parallèlement à une telle procédure et visent, en substance, à la sauvegarde des mêmes droits que celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 1998, Van Uden, C‑391/95, EU:C:1998:543, points 33 et 34).

54 Il résulte de cette jurisprudence, transposable, ainsi qu’il a été rappelé au point 47 du présent arrêt, à l’article 35 du règlement no 1215/2012 que l’appartenance des mesures provisoires et conservatoires au champ d’application matériel de ce règlement doit être déterminée non pas par leur nature propre, mais par la nature des droits dont elles visent à assurer la sauvegarde au fond.

55 S’agissant, en deuxième lieu, des critères dégagés par la jurisprudence afin de qualifier une action comme relevant ou non de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, il importe de rappeler que la Cour a examiné les éléments qui caractérisent la nature des rapports juridiques entre les parties au litige ou l’objet de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2002, Baten, C‑271/00, EU:C:2002:656, point 29, du 18 octobre 2011, Realchemie Nederland, C‑406/09, EU:C:2011:668, point 39 et du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 32 ainsi que jurisprudence citée) ou, alternativement, le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée (voir, en ce sens, arrêts du 11 avril 2013, Sapir e.a., C‑645/11, EU:C:2013:228, point 34, du 12 septembre 2013, Sunico e.a., C‑49/12, EU:C:2013:545, point 35 ainsi que du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 35 et jurisprudence citée).

56 Ainsi, si certains litiges opposant une autorité publique à une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application du règlement no 1215/2012 lorsque le recours juridictionnel porte sur des actes accomplis  iure gestionis, il en est autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de la puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 33 et jurisprudence citée).

57 En effet, la manifestation de prérogatives de puissance publique par l’une des parties au litige, en raison de l’exercice par celle-ci de pouvoirs exorbitants par rapport aux règles applicables dans les relations entre les particuliers, exclut un tel litige de la « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 34 et jurisprudence citée).

58 En troisième lieu, se pose la question de savoir si l’invocation, dans le cadre d’un litige, par une organisation internationale du privilège tiré de l’immunité d’exécution exclut d’office ce litige du champ d’application du règlement no 1215/2012.

59 En ce qui concerne, d’une part, le principe de droit international coutumier relatif à l’immunité juridictionnelle des États, il convient de rappeler que la Cour a jugé que, en l’état actuel de la pratique internationale, l’immunité juridictionnelle des États n’a pas de valeur absolue, mais elle est généralement reconnue lorsque le litige concerne des actes de souveraineté accomplis iure imperii. En revanche, elle peut être exclue si le recours juridictionnel porte sur des actes qui ne relèvent pas de la puissance publique (arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 56 et jurisprudence citée).

60 En ce qui concerne, d’autre part, l’immunité juridictionnelle des organismes de droit privé, la Cour a jugé que celle-ci ne s’oppose pas à l’application du règlement no 1215/2012, lorsque la juridiction saisie constate que de tels organismes n’ont pas eu recours aux prérogatives de puissance publique (voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 58).

61 Cette jurisprudence portant sur l’immunité juridictionnelle des États et des organismes de droit privé est transposable dans le cas où le privilège tiré de l’immunité est invoqué par une organisation internationale, indépendamment de la question de savoir s’il s’agit de l’immunité juridictionnelle ou de l’immunité d’exécution. La circonstance que, à la différence de l’immunité juridictionnelle des États, fondée sur le principe par in parem non habet imperium (arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 56 et jurisprudence citée), les immunités des organisations internationales sont, en principe, conférées par les traités constitutifs de ces organisations n’est pas de nature à remettre en cause cette interprétation.

62 Dès lors, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 72 de ses conclusions, le privilège de l’immunité invoqué par une organisation internationale en vertu du droit international ne constitue pas d’office un obstacle à l’application du règlement no 1215/2015.

63 Par conséquent, afin de déterminer si un litige impliquant une organisation internationale ayant invoqué le privilège tiré de l’immunité d’exécution relève ou non du champ d’application matériel de ce règlement, il y a lieu d’examiner si, au regard des critères mentionnés au point 55 du présent arrêt, cette organisation exerce des prérogatives de puissance publique.

64 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 67 de ses conclusions, le seul fait que le juge national déclare avoir une compétence internationale, au regard des dispositions du règlement no 1215/2012, ne porte pas atteinte à la protection de l’immunité invoquée, sur le fondement du droit international, par l’organisation internationale partie à ce litige.

65 En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour que l’objet de la saisie-arrêt conservatoire, dont la mainlevée a été demandée par l’action en référé au principal, consistait à assurer la sauvegarde des droits de créance nés d’un rapport juridique de nature contractuelle, à savoir des accords BOA conclus entre le SHAPE et les sociétés Supreme. Ces accords, bien qu’ils portent sur la fourniture de carburants au SHAPE pour les besoins d’une opération militaire dirigée par l’OTAN pour le maintien de la paix et de la sécurité en Afghanistan, fondent, entre les parties au principal, un rapport juridique de droit privé dans le cadre duquel celles-ci ont assumé des droits et des obligations librement consentis.

66 L’utilisation ultérieure faite par le SHAPE des carburants fournis dans le cadre de l’exécution des accords BOA n’est pas, ainsi qu’il a été soutenu par la Commission dans ses observations écrites et qu’il a été également relevé par M. l’avocat général au point 103 de ses conclusions, de nature à influer sur la nature d’un tel rapport juridique. En effet, la finalité publique de certaines activités ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour qualifier ces activités comme étant accomplies iure imperii, dans la mesure où elles ne correspondent pas à l’exercice de pouvoirs exorbitants au regard des règles applicables dans les relations entre les particuliers (arrêt du 7 mai 2020, Rina, C‑641/18, EU:C:2020:349, point 41 et jurisprudence citée).

67 En ce qui concerne le fondement et les modalités d’exercice de l’action intentée, il convient, également, d’observer que la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire est poursuivie devant la juridiction de renvoi au moyen d’une action en référé qui trouve son fondement dans les règles de droit commun, à savoir l’article 705, paragraphe 1, du code de procédure civile.

68 Il ressort de ce qui précède que, sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, ni le rapport juridique existant entre les parties à une action telle que celle au principal ni le fondement et les modalités d’une telle action ne peuvent être considérés comme révélateurs de l’exercice de prérogatives de puissance publique, au sens du droit de l’Union, de sorte qu’une action de ce type relève de la notion de « matière civile et commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 et entre dans le champ d’application de ce règlement.

69 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, et engagée parallèlement à une procédure au fond portant sur une créance résultant d’un non-paiement allégué de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix assurée par cette organisation, relève de la notion de « matière civile ou commerciale », pour autant que cette action n’est pas exercée en vertu de prérogatives de puissance publique, au sens du droit de l’Union, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

 Sur la deuxième question

70 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, relève de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre dans lequel la saisie-arrêt conservatoire a été exécutée.

71 Il ressort des termes de l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 que les juridictions de l’État membre du lieu de l’exécution des décisions sont, en matière d’exécution des décisions, seules compétentes sans considération du domicile des parties.

72 Selon la jurisprudence de la Cour, relèvent du champ d’application de l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 les actions qui visent à faire trancher une contestation relative au recours à la force, à la contrainte ou à la dépossession de biens meubles et immeubles en vue d’assurer la mise en œuvre matérielle des décisions et des actes (arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 52).

73 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le SHAPE ne conteste pas les mesures prises par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, en application de la convention bilatérale de 1925, afin de procéder à l’exécution des décisions respectivement du 12 juin 2017 du rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) et du 27 juin 2017 du Gerechtshof ‘s-Hertogenbosch (cour d’appel de Bois-le-Duc), mais demande à la juridiction de renvoi de procéder à la mainlevée de la saisie-arrêt conservatoire décidée antérieurement dans le cadre d’une procédure ex parte par le rechtbank Limburg (tribunal de Limbourg) ainsi qu’à l’interdiction de la pratiquer de nouveau sur le fondement de mêmes faits. Or, force est de constater qu’une procédure telle que celle au principal, qui n’est pas en soi relative à l’exécution de décisions au sens de l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 n’est pas couverte par le champ d’application de cette disposition et ne relève donc pas de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre dans lequel la saisie-arrêt conservatoire a été exécutée.

74 Par ailleurs, la circonstance qu’une organisation internationale, telle que le SHAPE, invoque, au soutien de son action en référé, l’immunité d’exécution ne fait pas obstacle à l’examen par le juge de sa compétence internationale au titre du règlement no 1215/2012. En effet, la question de savoir si l’immunité invoquée par une organisation internationale s’oppose à la compétence de la juridiction saisie pour connaître d’une telle action ou à adopter des mesures d’exécution contre une telle organisation intervient à un stade ultérieur, après la détermination de la compétence internationale de cette juridiction.

75 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, ne relève pas de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre dans lequel la saisie-arrêt conservatoire a été exécutée.

 Sur la troisième question

76 La troisième question porte, en substance, sur l’étendue du contrôle exercé par le juge national sur le bien-fondé de l’invocation d’une immunité d’exécution par une organisation internationale, dans l’hypothèse où il ressortirait de la réponse apportée aux première et deuxième questions que l’immunité d’exécution ainsi invoquée est déterminante aux fins de la qualification d’une action en référé telle que celle au principal comme relevant de la « matière civile ou commerciale », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, ou aux fins de l’éventuelle application de la règle de compétence exclusive prévue à l’article 24, point 5, de celui-ci.

77 Dès lors qu’il a été répondu à ces questions dans le sens que l’invocation d’une immunité d’exécution n’exclut pas d’office une telle action du champ d’application du règlement no 1215/2012 et n’influe pas sur les critères de détermination de la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre pour connaître de cette action, il n’y a pas lieu d’examiner la troisième question.

 Sur les dépens

78 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits, et engagée parallèlement à une procédure au fond portant sur une créance résultant du non-paiement allégué de carburants fournis pour les besoins d’une opération de maintien de la paix assurée par cette organisation, relève de la notion de « matière civile ou commerciale », pour autant que cette action n’est pas exercée en vertu de prérogatives de puissance publique, au sens du droit de l’Union, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

2) L’article 24, point 5, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action en référé, introduite devant une juridiction d’un État membre, dans le cadre de laquelle une organisation internationale invoque son immunité d’exécution afin d’obtenir tant la mainlevée d’une saisie-arrêt conservatoire, exécutée dans un État membre autre que celui du for, que l’interdiction de pratiquer de nouveau une telle saisie sur le fondement de mêmes faits ne relève pas de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre dans lequel la saisie-arrêt conservatoire a été exécutée.