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Décisions

CA Riom, 3e ch. civ. et com., 9 septembre 2020, n° 18-02213

RIOM

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

V 33 (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chalbos

Conseillers :

M. Kheitmi, Mme Theuil-Dif

Avocat :

SELARL PARALEX

TGI Puy en Velay, du 25 sept. 2018

25 septembre 2018

Suivant facture datée du 7 novembre 2014, Monsieur Patrick B. et Madame Thérèse B. ont acheté auprès de l'enseigne MONSIEUR BRICOLAGE à Brioude deux pots de peinture 'trafic extrême' de la marque V33 pour un montant de 151,80 euros. Monsieur B. a appliqué cette peinture le 20 novembre 2014 sur l'escalier intérieur, la tablette de 4 fenêtres et le plateau de bar en bois de sa maison à Saint-Ilpize. Dans les semaines suivant l'application de la peinture, Monsieur et Madame B. se sont plaints de divers troubles de santé et Monsieur B. s'est vu diagnostiquer une hypersensibilité chimique due à une exposition prolongée à la peinture.

Par courrier en date du 27 février 2015, Monsieur B. a contacté le service consommateurs du fabricant de la peinture, la société V33, afin de l'informer des difficultés rencontrées.

Par courrier électronique du 9 mars 2015, la société V33 a informé Monsieur B. qu'elle mandatait un artisan pour éliminer la peinture appliquée sur l'escalier, le plateau de bar et les appuis de fenêtre et qu'elle prendrait en charge le coût de ces travaux.

Le 16 mars 2015, Monsieur Michael L., artisan mandaté par la société V33 a informé cette dernière qu'il ne pouvait pas effectuer la remise à nu de l'escalier et des rambardes, que le coût serait trop élevé, sans garantie de pouvoir enlever la peinture à 100% et sans possibilité d'effectuer un cloisonnement hermétique, et qu'il était préférable de changer l'escalier et les éléments mis en peinture.

Par courrier électronique du 24 mars 2015, la société V33 a invité Monsieur B. à lui faire parvenir un devis établi par une entreprise de la région pour le remplacement de l'escalier.

Un devis a été établi le 31 mars 2015 pour un montant de 22 612,70 euros.

Monsieur et Madame B. ont saisi leur assureur, la compagnie AVIVA, afin d'organiser une expertise amiable contradictoire. Le cabinet EUREXPO-PJ, mandaté par AVIVA, a établi un rapport le 16 juin 2015 co-signé par le cabinet ELEX, expert mandaté par le GAN, assureur de la société V33, concluant à l'engagement de la responsabilité de la société V33 et à l'évaluation des dommages à hauteur de 26 399,27 euros correspondant au coût du remplacement de l'escalier et de la remise en peinture.

Par acte en date du 27 juin 2018, Monsieur Patrick B. a fait assigner la société V33 devant le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay aux fins d'entendre déclarer cette société responsable de l'intégralité de leurs préjudices et aux fins d'indemnisation.

Par jugement du 25 septembre 2018, le tribunal de grande instance du Puy-en-Velay a :

-déclaré la SA V33 responsable des préjudices subis par Monsieur Patrick B. et Madame Thérèse B.,

Avant dire droit sur la réparation du préjudice corporel de Monsieur Patrick B.,

- ordonné une expertise médicale de Monsieur Patrick B. et désigné pour ce faire Monsieur Pierre O. en qualité d'expert, avec la mission classique en la matière,

Avant dire droit sur la réparation du préjudice matériel de Monsieur Patrick B. et de Madame Thérèse B.,

- ordonné une expertise confiée à Monsieur Pierre M., avec pour mission de :

- prendre connaissance de tous documents, dont les devis, factures, paiements intervenus entre les parties,

- se faire remettre par les parties tous autres documents utiles,

- se rendre sur les lieux après avoir convoqué les parties, sur le lieu de résidence de Monsieur Patrick B. et de Madame Thérèse B.,

- examiner et décrire l'état des ouvrages sur lesquels a été appliquée par Monsieur Patrick B. la peinture litigieuse et décrire l'aménagement de leur sous-sol par ce dernier et son épouse,

- réunir tous les éléments d'information permettant de :

Déterminer les possibilités d'ôter la peinture sur les escaliers, appuis, fenêtres et plateau de bar et sur tous autres endroits de la maison des époux B. où elle aurait été appliquée, sans que ne persiste plus aucune trace de peinture ni risque d'inhalation de composants de ladite peinture pour les occupants de la maison,

Vérifier la faisabilité et estimer le coût de chacune de ces possibilités et leurs chances respectives de garantir un retrait total de la peinture litigieuse,

Vérifier les pièces de la maison susceptibles, depuis la pose de la peinture litigieuse et jusqu'à la solution de réparation, d'être fréquentées par les demandeurs, sans risque d'être confrontés à la peinture et à ses effets nocifs,

Réunir tous les éléments sur la date d'aménagement de leur sous-sol par les demandeurs, la date depuis laquelle ils y résident et l'accès aux autres pièces de la maison qu'ils peuvent se ménager,

Estimer le préjudice de jouissance qu'ils subissent depuis l'application de la peinture litigieuse et qu'ils subiront pendant le coût des travaux jusqu'à leur finalisation,

- plus généralement, faire toutes suggestions utiles à la solution du présent litige et notamment dire s'il existe toujours un péril grave et imminent,

- ordonné le paiement par la SA V33 d'une provision de cinq mille euros à Monsieur Patrick B. sur la réparation de son préjudice corporel,

- dit qu'il est sursis à statuer sur les autres chefs de demande, spécialement sur la demande en réparation d'un préjudice moral et sur la demande de publication du présent jugement au journal « 60 millions de consommateurs » ainsi qu'au journal « UFC que choisir » aux frais de la SA V33,

- réservé les frais et dépens de l'instance,

- ordonné le renvoi de l'affaire à l'audience de mise en état du 11 janvier 2019.

Le tribunal a retenu à cet effet :

- que leur concordance, la date de survenance des troubles constatés chez Monsieur B. et du reste également, bien que dans une moindre mesure, chez Madame B., leur persistance dans le temps pour Monsieur B. établissent suffisamment les présomptions graves, précises, permettant de caractériser la défectuosité du produit, et par ailleurs, le lien de causalité entre cette défectuosité et la survenance de soucis de santé depuis lors persistants, de même que le principe d'un préjudice matériel, tous invoqués en demande,

- qu'alors même qu'elle aurait été fabriquée dans le respect des règles de l'art ou des normes existantes ou fait l'objet d'une autorisation administrative, la peinture utilisée par Monsieur B. constitue bien un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du Code civil qui aura porté atteinte à la sécurité à laquelle Monsieur B. pouvait légitimement s'attendre et causé, dans des proportions qui restent à vérifier, des préjudices de santé et matériels.

La société V33 a interjeté appel de cette décision par déclaration du 8 novembre 2018.

Par conclusions déposées et notifiées le 10 mars 2020, la société V33 demande à la cour, vu les articles 1245 et suivants du Code civil de :

À titre principal,

- réformer le jugement déféré en l'ensemble de ces dispositions,

- dire et juger que les époux B. ne rapportent pas la preuve que la peinture fournie par la société V33 présentait un danger anormal, constitutif d'une défectuosité,

- dire et juger que les époux B. ne rapportent pas la preuve que la défectuosité alléguée est en relation de causalité directe, certaine et exclusive, avec la survenance des pathologies qu'ils ont présentées postérieurement à l'application de la peinture litigieuse,

- dire et juger que les époux B. ne rapportent pas la preuve d'un défaut d'information en relation de causalité avec les troubles de santé allégués,

- dire et juger, par voie de conséquence, que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux de la société V33 ne sont pas réunies,

- débouter par voie de conséquence Monsieur et Madame B. dans l'ensemble de leurs demandes et prétentions dirigées à l'encontre de la société V33,

- condamner in solidum Monsieur et Madame B. à régler à la société V33 une somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum Monsieur et Madame B. aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SELARL K. M. B. D. par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

À titre subsidiaire,

- réformer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions,

- dire et juger que les fautes commises par Monsieur B. quant aux conditions d'utilisation de la peinture fabriquée par la société V33 emportent une exclusion de son droit à indemnisation, ainsi que du droit à indemnisation de Madame B., et ce, par application des dispositions de l'article 1245-12 du Code civil,

- débouter par voie de conséquence Monsieur et Madame B. dans l'ensemble de leurs demandes et prétentions dirigées à l'encontre de la société V33,

- condamner in solidum Monsieur et Madame B. à régler à la société V33 une somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner in solidum Monsieur et Madame B. aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct au profit de la SELARL K. M. B. D. par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

À titre infiniment subsidiaire,

-confirmer le jugement déféré en ce qu'il a sursis à statuer quant à l'indemnisation du préjudice matériel, du préjudice de jouissance et du préjudice moral dans l'attente du dépôt des rapports d'expertise,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a sursis à statuer quant à la demande visant à la publication de la décision dans les journaux à grande diffusion et débouter les époux B. de cette demande,

- confirmer le jugement déféré au titre de la provision allouée à Monsieur B. d'un montant de 5 000 euros,

- réduire l'indemnité susceptible d'être allouée aux époux B. au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à une somme de 1 500 euros,

- statuer ce que de droit s'agissant des dépens de première instance et d'appel.

La société V33 fait valoir à l'appui de ses prétentions :

- que les éléments de preuve retenus par le premier juge étaient manifestement insuffisants à caractériser des présomptions graves, précises et concordantes, s'agissant de la défectuosité du produit et de sa relation causale avec les troubles de santé allégués par les époux B. ; que le produit doit présenter un défaut interne, un défaut de fabrication ou de conception, auquel est assimilé le défaut d'information, mais que le seul fait que le produit ait été le révélateur de désordres existants ne suffit pas à reconnaître son caractère défectueux ; qu'il n'existe pas la moindre preuve scientifique de la dangerosité anormale de la peinture qui a été appliquée par les époux B. ;

- que le produit est en parfaite conformité avec les normes françaises et communautaires ;

- que le recours à des présomptions graves, précises et concordantes ne peut permettre d'établir que l'existence d'un lien de causalité entre le fait d'un produit et le dommage et non pas la défectuosité du produit, laquelle doit être objectivement démontrée ;

- que le rapport d'expertise établi le 16 juin 2015 par le cabinet EUREXO-PJ est dénué de toute valeur probante au titre de la démonstration de la relation de causalité entre l'exposition de la peinture et la survenance des troubles de santé présentés par les époux B. ; que le cabinet EUREXO-PJ ne dispose d'aucune compétence médicale ou médico-légale pour se prononcer sur la cause des troubles de santé présentés par les époux B. ; que ces conclusions ont été retenues sur la base d'éléments déclaratifs et conditionnels ne reposant pas sur une démonstration scientifique ;

- que les époux B. apportent des certificats médicaux qui se fondent sur les signes objectifs de la symptomatologie alléguée par eux, sur leurs déclarations, sans que des vérifications ne soient réalisées quant à la véracité des éléments déclaratifs exprimés par eux ; que les éléments médicaux dont se prévalent les époux B. concernent des pièces médicales qui ont été établies dans le cadre d'une démarche de prescription et qui ne sauraient être suffisantes à caractériser des présomptions graves, précises et concordantes, quant à la relation de causalité, directe, certaine et exclusive, entre les troubles de santé présentés par les époux B. et l'exposition à la peinture fabriquée par la société V33 ;

- que Monsieur B. a pris attache avec le service consommateurs de la société V33 à compter du 27 février 2015, soit environ 3 mois après l'utilisation du produit, afin d'exposer les troubles de santé qu'il imputait à son exposition à la peinture, que la prise en charge de la symptomatologie alléguée a débuté le 19 janvier 2015 ; qu'il n'est fait état d'aucune consultation médicale à la suite de l'apparition des premiers symptômes, alors que Monsieur B. disait qu'ils étaient apparus dans les jours qui ont suivi l'application de la peinture ; que les hypothèses quant aux causes des troubles de santé présentés en particulier par Monsieur B. peuvent être multiples, que ce soit au titre de ses antécédents médicaux, mais encore au titre d'un événement intercurrent et tout à fait étranger à l'exposition de la peinture, ou par la mise en œuvre d'autres travaux au sein de sa maison d'habitation ;

- que c'est par pure mesure de précaution et dans le cadre d'un geste strictement commercial qu'elle a proposé la remise à nu des éléments d'intérieur, cette proposition ne constituant en aucun cas une reconnaissance de responsabilité de la société V33 ;

- que la preuve scientifique de l'imputabilité médicale des troubles de santé allégués à l'exposition à la peinture n'est pas établie, ce qui rend de facto superfétatoire toute analyse d'un prétendu défaut d'information en relation de causalité avec la survenance du dommage ; que s'agissant de l'information délivrée quant aux conditions d'utilisation de la peinture litigieuse et quant à l'innocuité du produit en cas d'exposition, l'étiquette figurant sur les pots de peinture achetés par Monsieur B. informait parfaitement l'utilisateur de la destination du produit, la peinture devant être appliquée pour des sols très exposés, tels que garages, sous-sol, celliers, buanderies' soit des lieux non fréquentés habituellement par les personnes et particulièrement ventilés, et ce, compte-tenu d'un taux d'émission de substances volatiles dans l'air important, proscrivant de toute évidence l'application de la peinture dans des lieux de vie ; que les risques pour la santé, même en cas d'utilisation normale de la peinture ou en cas d'exposition répétée au produit (dessèchement ou gerçures de la peau, allergies) sont clairement définis ; que s'agissant de l'absence d'information portant sur le port d'un masque de protection, cette carence dans l'information n'a pas été à l'origine des troubles de santé présentés par les époux B. ;

- que les troubles de santé allégués résultent d'une utilisation inappropriée du produit par les époux B., car la peinture a été appliquée sur des éléments mobiliers, tels que des appuis de fenêtres, ou un plateau de bar, et sur des éléments intérieurs faisant partie des pièces de vie des époux B. tels que les escaliers, et ce alors que la peinture était normalement destinée à être appliquée au niveau de sols concernant des lieux peu fréquentés par les personnes ; que si la défectuosité de la peinture fabriquée par la société V33 était de nature à engager sa responsabilité, le droit à indemnisation de Monsieur et Madame B. doit être exclu compte-tenu de la gravité des fautes commises quant aux conditions d'utilisation du produit, par application des dispositions de l'article 1245-12 du code civil qui autorise une telle exclusion lorsque le dommage a été causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime.

Par conclusions déposées et notifiées 8 avril 2020, Monsieur Patrick B. et Madame Thérèse B. demandent à la cour, vu les articles 1386-1 et suivants du Code civil, 1355 et 1382 du Code civil de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et dans ces conditions :

- dire et juger que la société V33 est entièrement responsable de l'ensemble des préjudices subis par Monsieur et Madame B.,

- en conséquence, concernant les préjudices matériel, moral et de jouissance, condamner la société V33 à payer et porter à Monsieur et Madame B. les sommes suivantes :

- 26 399,27 euros au titre de leur préjudice matériel ; dire que ladite somme sera indexée suivant l'indice du coût de la construction à compter du jugement à intervenir,

- 5 000 euros au titre de leur préjudice moral,

- 28 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance, somme à parfaire à la date du jugement à intervenir,

Concernant le préjudice corporel subi par Monsieur B.,

-dire et juger que la société V33 est entièrement responsable du préjudice corporel présenté par Monsieur B.,

- en conséquence, dire et juger que la société V33 devra indemniser Monsieur B. de ce poste de préjudice,

- avant dire droit, sur la liquidation du préjudice corporel de Monsieur B., ordonner une expertise médicale confiée à tel médecin expert avec la mission classique en la matière,

- dire que l'expert ainsi nommé pourra demander à s'adjoindre tout sapiteur qu'il jugera utile,

- fixer une indemnité provisionnelle à valoir sur le préjudice corporel de Monsieur B. qui ne saurait être inférieure à la somme de 7 000 euros,

- dire et juger que le jugement à intervenir sera publié dans des journaux à grandes diffusions tel que « 60 millions de consommateurs », « UFC que choisir », aux frais de la société V33,

- condamner la même à payer et porter aux concluants la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Monsieur et Madame B. soutiennent à cet effet :

- que le défaut d'information est assimilé à un défaut du produit ; que Monsieur B. n'a pas reçu une information adaptée quant à l'utilisation et l'application de la peinture « trafic extrême » notamment quant aux risques que pouvait présenter ce produit pour sa santé ; que sur les pots de peinture dont il a fait l'acquisition, ne figure aucune indication quant aux risques de développer une allergie après la pose de la peinture ; qu'il était indiqué sur les pots de peinture: « « Destination »: supports ciment, béton, plancher, brique » , usage intérieur et extérieur abrité pour garage, sous-sol, cellier, buanderie, escalier » ; que conformément à ces indications, il a appliqué la peinture à l'intérieur de son domicile sur un sol en bois, sur son escalier, ce qui n'était pas insensé compte tenu des consignes ;

- que la société V33 leur a adressé un courrier en date du 9 mars 2015 qui proposait notamment de faire intervenir un professionnel à leur domicile afin d'éliminer la peinture appliquée sur l'escalier, le plateau de bar et les appuis de fenêtres ; qu'un tel courrier constitue un aveu extrajudiciaire et une reconnaissance de responsabilité ;

- que dans l'exercice souverain de son pouvoir d'appréciation, le juge du fond peut retenir l'existence d'indices graves, précis et concordants pour juger la société V33 responsable au sens de l'article de 1386-1 et suivants du code civil ; que la preuve du caractère défectueux du produit peut donc être rapportée par des présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ; que leurs troubles de santé sont apparus dans les jours ayant suivi l'application de la peinture produite par la société V33 ; que la proximité temporelle entre l'application de la peinture et l'apparition des troubles de santé constitue un indice quant au lien de causalité entre leur préjudice et le défaut du produit fabriqué par la société V33 ; que les pièces médicales qu'ils produisent témoignent de ce qu'ils n'avaient pas d'antécédents médicaux personnels ou familiaux en relation avec l'apparition de leurs symptômes ;

- que Monsieur B. démontre n'avoir commis aucune négligence fautive ; qu'il s'est conformé à la notice sur l'étiquetage des pots de peinture 'trafic extrême', sur laquelle ne figuraient pas les risques et effets indésirables voire néfastes d'une application sur un élément autre que le sol ; qu'il s'est montré extrêmement précautionneux et s'est équipé d'un masque de protection en l'absence de toute préconisation du port de cet équipement ;

- sur la réparation des préjudice matériel, moral et de jouissance, que le remplacement de l'escalier, des appuis de fenêtres, du bar, ainsi que leur remise en peinture représentent un coût total de 26 399,27 euros, qu'ils ont été contraints de déménager et d'emménager dans leur garage depuis le mois de décembre 2014 ; que ces conditions de vie sont inacceptables ; qu'ils vivent dans le sous-sol depuis 28 mois, leur préjudice de jouissance peut-être évalué à 28 000 euros sur la base de la valeur locative de leur maison ;

- sur le préjudice corporel subi par Monsieur Patrick B., que ce dernier a subi une dégradation de son état de santé suite à l'application de la peinture « trafic extrême » ; qu'il présente des rougeurs sur les joues, un assèchement des yeux, des crises d'asthme, des gonflements dans le cou, des maux dans le haut du palais ; qu'il ne présentait aucun problème de santé avant la survenance du fait traumatique ; que depuis l'application de la peinture litigieuse, il se sent diminué, isolé, et dans l'incompréhension la plus totale en raison de la dégradation soudaine et brutale de son état de santé, ce qui impacte son quotidien ; qu'alors qu'il affectionnait particulièrement le bricolage il lui est désormais impossible de s'adonner à cette activité ; qu'il ressent rapidement des brûlures et une gêne lors de l'émanation de poussières quelconques.

La procédure a été clôturée le 29 avril 2020 et l'affaire retenue selon la procédure sans audience prévue par l'article 8 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020.

MOTIFS :

Il n'est pas contesté par la société V33 que Monsieur B. a appliqué à son domicile sur un escalier intérieur, des appuis de fenêtre et un plateau de bar, fin novembre 2014, de la peinture pour sols « trafic extrême », achetée le 7 novembre 2014 suivant ticket de caisse versé aux débats, et dont elle est le producteur au sens de l'article 1386-1 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Monsieur Patrick B. a adressé au service consommateurs de la société V33 le 27 février 2015, sur les conseils du centre antipoison de Lyon et après avis du médecin de ce centre, un courrier aux termes duquel il expose :

- que quelques jours après l'application de la peinture trafic extrême V33, son état de santé s'est dégradé, qu'il a ressenti des gonflements du cou, des lèvres, des douleurs dans le haut du palais, des rougeurs sur les joues, un assèchement des yeux,

- qu'il a consulté son médecin traitant qui lui a prescrit des prises de sang, analyses de salive, radiographies, prise de corticoïdes et allergènes qui n'ont donné aucun résultat,

- que ce médecin l'avait envoyé consulter le docteur V. à Issoire, ORL, qui lui avait confirmé que ses muqueuses avaient été attaquées et lui avait prescrit un scanner qui n'avait rien révélé de problématique,

- que les deux praticiens l'avaient dirigé vers le docteur B.-D., allergologue à Issoire, qui avait constaté qu'il avait développé une hypersensibilité chimique multiple liée à une exposition prolongée à une peinture contenant une résine de sol,

- que cette réaction lui avait également provoqué des crises d'asthme, d'insomnie et des angoisses,

- qu'il n'existait aucun traitement spécifique et que le docteur B.-D. préconisait de faire démonter et évacuer les deux escaliers, appuis de fenêtres et le plateau du bar,

- qu'il était contraint de vivre dans son garage et que les symptômes réapparaissaient dès qu'il essayait de revenir vivre dans la maison.

Les termes de ce courrier sont corroborés par la production d'un rapport médical adressé le 19 janvier 2015 par le docteur B.-D., pneumologue, au docteur LE B., médecin traitant, dont il ressort que Monsieur B. n'avait pas d'antécédents atopiques ou respiratoires personnels ni familiaux, pas d'exposition tabagique ni professionnelle mais avait des antécédents de chirurgie de cloison à deux reprises qui ont pu fragiliser ses muqueuses nasales, que quelques jours après l'exposition à une peinture contenant une résine, étaient apparus des symptômes très évocateurs d'une hyperréactivité des muqueuses nasales avec des manifestations de type inflammatoire tout à fait significatifs.

Le docteur B.-D. précise que son examen clinique met en évidence des muqueuses nasales légèrement inflammatoires, que l'exploration fonctionnelle respiratoire fait apparaître un fond d'asthme latent associé correspondant au même mécanisme inflammatoire et que les tests cutanés réalisés conduisent à écarter un mécanisme allergique associé ou favorisant.

Il conclut que Monsieur B. a développé une hypersensibilité chimique multiple liée à une exposition prolongée à une peinture contenant une résine de sol, qu'il n'y a pas de traitement spécifique, qu'il faudra absolument arriver à le soustraire à tout environnement contenant des produits toxiques ou chimiques et essayer de restaurer l'intégrité de sa muqueuse avec une corticothérapie nasale et inhalée.

Il ressort également du rapport du docteur B.-D. que Monsieur B. lui a été adressé par le docteur LE B., médecin traitant, ce qui confirme que Monsieur B. a engagé des consultations médicales et examens médicaux dès avant le 19 janvier 2015, soit dans un laps de temps assez bref après l'exposition à la peinture fin novembre 2014.

Le docteur LE B., qui a ainsi examiné Monsieur B. avant de l'adresser au docteur B.-D., a confirmé ultérieurement par certificat en date du 27 avril 2015 que Monsieur B. a présenté une allergie avec hypersensibilité chimique des muqueuses rhinopharyngées, oculaires, buccales, due à une exposition prolongée à une peinture contenant une résine de sol.

Ces éléments médicaux, et en particulier l'avis spécialisé du docteur B.-D. reposant d'une part sur une analyse des doléances de Monsieur B. et d'autre part sur les propres constatations et connaissances du praticien, constituent, compte tenu de la nature et la date d'apparition des symptômes, une preuve suffisante de l'existence d'un lien d'implication entre l'exposition prolongée de Monsieur B. à la peinture litigieuse à compter du 20 novembre 2014 et les problèmes de santé qu'il a présentés à la suite de cette exposition.

Si ce praticien a mentionné des antécédents de chirurgie de cloison qui ont pu fragiliser les muqueuses nasales de Monsieur B., il ne remet pas pour autant en cause le lien de causalité qu'il relève entre les troubles constatés chez le patient et l'exposition à la peinture.

Il appartient encore à Monsieur et Madame B. de rapporter la preuve d'une défectuosité du produit à l'origine de leur dommage conformément aux dispositions de l'article 1386-9 ancien du code civil.

Aux termes de l'article 1386-4, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Le défaut du produit peut notamment être constitué par une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par les utilisateurs.

L'article 1386-10 précise que le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou de normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative.

En l'espèce, Monsieur et Madame B. invoquent une défectuosité consistant non pas en une toxicité anormale ou tout autre défaut intrinsèque du produit mais en une insuffisance d'information relative à l'utilisation et aux dangers afférents à l'application de la peinture.

Les développements de la société V33 sur l'absence de preuve d'un vice de conception ou de fabrication ou d'une dangerosité anormale du produit ainsi que sur la conformité du produit aux normes françaises et communautaires sont en conséquence inopérants.

La société V33 prétend que la peinture litigieuse doit être appliquée dans des lieux non fréquentés habituellement par les personnes et particulièrement ventilés compte-tenu d'un taux d'émission de substances volatiles dans l'air important, proscrivant l'application de la peinture dans des lieux de vie ; que les troubles de santé allégués résultent d'une utilisation inappropriée du produit par les époux B., car la peinture a été appliquée sur des éléments mobiliers, tels que des appuis de fenêtres, ou un plateau de bar, et sur des éléments intérieurs faisant partie des pièces de vie des époux B. tels que les escaliers, alors que la peinture était normalement destinée à être appliquée au niveau de sols concernant des lieux peu fréquentés par les personnes ;

Elle verse aux débats la reproduction de l'étiquette des pots de peinture achetés par Monsieur B..

Le produit est présenté comme une peinture sol à tenue très longue durée aux passages répétés de voitures et haute résistance aux chocs, rayures et taches, applicable directement sur béton et ciment.

La notice d'utilisation figure sur l'étiquette à l'arrière du pot dans un encadré sur fond clair.

La rubrique « destination » comporte les mentions suivantes :

« supports : ciment, béton, plancher, brique...

Usage intérieur et extérieur abrité pour garage, sous-sol, cellier, buanderie, escalier... »

La rubrique « performances » précise que le produit est une peinture à base de résine alkyde uréthane pour une protection renforcée des sols très exposés et détaille les qualités de haute résistance aux passages répétés de voitures, aux chocs, rayures et taches et la possibilité d'application directe sur sols ciment et béton préparés.

Les rubriques « préparation », « conseils V33 » et « application » énoncent des explications purement techniques sur la préparation du support et l'application du produit.

Sous ces rubriques figurent sur un bandeau foncé et en très petits caractères difficilement lisibles (même après remise à l'échelle, par la cour, de la pièce communiquée en dimension réduite) les « précautions d'usages » énoncées dans les termes suivants :

« R10 : INFLAMMABLE. R52/53 : Nocif pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique.

R66 : l'exposition répétée peut provoquer dessèchement ou gerçures de la peau. S2 : conserver hors de la portée des enfants.

S29 : ne pas jeter les résidus à l'égout. S46 : en cas d'ingestion consulter immédiatement un médecin et lui montrer l'emballage ou l'étiquette.

S51 : utiliser seulement dans des zones bien ventilées.

Contient de la méthyléthylcétoxime.

Peut déclencher une réaction allergique.

Valeur limite UE pour ce produit (cat A/i) : 500 g/l (2010)

Ce produit contient max 428 g/l COV. »

À gauche de ce paragraphe sur les précautions d'usage figure un encadré intitulé « engagement V33 éco-responsable » mentionnant que le produit est formulé en respectant les engagements d'entreprise éco-citoyenne de V33 et répond aux exigences de performances techniques garanties, respect de l'environnement et des personnes, conformité réglementaire, transparence de l'information et comportant, sous la mention « COV Composés Organiques Volatils présents dans le produit prêt à l'emploi » une illustration avec un curseur plaçant la peinture sol « trafic extrême » au 5ème niveau sur une échelle de 6 degrés allant de < 30 g/l à > 500 g/l.

À droite du même paragraphe figure un pictogramme « émissions dans l'air intérieur » avec la lettre C et la précision, encore une fois en très petits caractères : « information sur le niveau d'émission de substance volatiles dans l'air intérieur présentant un risque de toxicité par inhalation sur une échelle de classe allant de A+ (très faibles émissions) à C (fortes émissions). »

Ainsi, même si l'étiquette comporte effectivement une information sur le fait que la peinture litigieuse est un produit à fortes émissions de composés volatils organiques présentant un risque de toxicité par inhalation, que l'exposition répétée peut provoquer dessèchement ou gerçures de la peau, qu'elle doit être utilisée seulement dans des zones bien ventilées et qu'elle peut déclencher une réaction allergique, cette information apparaît insuffisante, d'une part dans sa forme, en ce que, comme il a été relevé précédemment, ces mentions sont imprimées en très petits caractères difficilement lisibles à l'œil nu, et d'autre part dans son contenu, au regard des précisions données par la société V33 dans le cadre de la présente instance.

La mention d'un « risque de toxicité par inhalation » sans autre précision est peu explicite, d'autant que, comme le soulignent les époux B., la notice ne comporte aucune préconisation de port d'un masque de protection.

L'avertissement que l'exposition répétée peut provoquer dessèchement ou gerçures de la peau évoque un risque d'irritation des mains pour les personnes utilisant ce type de peinture à titre habituel.

La mention « peut provoquer une réaction allergique » figure sur tous les produits d'usage courant comportant un composant allergène et n'attire pas particulièrement l'attention de l'utilisateur.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, la mention « utiliser seulement dans des zones bien ventilées » incite à aérer la pièce dans laquelle la peinture est appliquée mais ne permet pas à l'utilisateur de déduire que la peinture litigieuse doit être appliquée dans des lieux non fréquentés habituellement par les personnes et que son application est proscrite dans les pièces à vivre.

Une telle allégation est en outre démentie par les indications données, de manière beaucoup plus apparente, sur la destination du produit, par la mention « Usage intérieur et extérieur abrité pour garage, sous-sol, cellier, buanderie, escalier... » dont il ressort clairement que la peinture peut être appliquée sur un escalier intérieur.

Par ailleurs, même si le produit est présenté comme une peinture pour sol, aucune mention de la notice n'interdit l'utilisation de la peinture sur d'autres éléments intégrés au bâti tels que des appuis de fenêtre ou un plateau de bar.

Il n'existe en outre aucune mention permettant à l'utilisateur de comprendre que les émissions toxiques se poursuivent dans l'air ambiant après l'application et le séchage du produit.

La défectuosité du produit consistant en un défaut d'information est ainsi caractérisée.

Le lien de causalité entre la défectuosité et le dommage est également établi en ce que l'insuffisance de l'information sur la toxicité du produit, les risques liés à son utilisation et la contre-indication de son utilisation dans des pièces fréquentées habituellement par les personnes ont conduit Monsieur B. à choisir ce produit, à l'utiliser sans avoir conscience des risques encourus, pour un usage que le fabricant considère comme inapproprié et qui l'expose durablement au risque.

L'absence de préconisation du port d'un masque de protection a également un rôle causal même si Monsieur B. a effectivement utilisé un masque, en ce qu'elle donne à l'utilisateur une fausse assurance sur l'innocuité du produit.

Par ailleurs, et du fait précisément de cette insuffisance d'information, aucune faute ne peut être reprochée à Monsieur B. pour avoir utilisé la peinture dans des pièces habituellement fréquentées par les personnes.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société V33.

Le jugement sera pareillement confirmé en ce qu'il a, par des motifs pertinents que la cour adopte, ordonné une expertise avant dire droit sur le préjudice corporel de Monsieur B. et sur le préjudice matériel de Monsieur et Madame B., ordonné le paiement par la SA V33 d'une provision de cinq mille euros à Monsieur Patrick B. sur la réparation de son préjudice corporel, dit qu'il est sursis à statuer sur les autres chefs de demande, spécialement sur la demande en réparation d'un préjudice moral et sur la demande de publication du présent jugement au journal « 60 millions de consommateurs » ainsi qu'au journal « UFC que choisir » aux frais de la SA V33, réservé les frais et dépens de l'instance, les délais impartis aux époux B. pour consigner et à l'expert pour déposer son rapport étant en tant que de besoin prorogés d'un an.

L'affaire sera renvoyée devant le tribunal judiciaire du Puy en Velay pour la poursuite des mesures d'expertise et la liquidation des préjudices et pour qu'il soit statué sur les demandes réservées.

Partie succombante, la société V33 sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par mise à disposition au greffe, contradictoirement,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf à proroger d'un an, en tant que de besoin, les délais impartis aux époux B. pour consigner et à l'expert pour déposer son rapport,

Renvoie la cause et les parties devant le tribunal judiciaire du Puy en Velay pour la poursuite des mesures d'expertise et la liquidation des préjudices et pour qu'il soit statué sur les demandes réservées,

Condamne la société V33 à payer à Monsieur et Madame B. la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.