TUE, 9e ch. élargie, 5 octobre 2020, n° T-255/17
TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Les Mousquetaires, ITM Entreprises
Défendeur :
Commission européenne, Conseil de l’Union européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gervasoni (rapporteur)
Juges :
M. Madise, M. da Silva Passos, Mme Kowalik Bańczyk, M. Mac Eochaidh
Avocats :
Me Jalabert-Doury, Me Chemama, Me Mebarek
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
I. Cadre juridique
1 L’article 20 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection », dispose :
« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.
2. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants :
a) accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;
b) contrôler les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support ;
c) prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents ;
d) apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ;
e) demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.
3. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de l’inspection, ainsi que la sanction prévue à l’article 23 au cas où les livres ou autres documents professionnels qui sont requis seraient présentés de manière incomplète et où les réponses aux demandes faites en application du paragraphe 2 du présent article seraient inexactes ou dénaturées. La Commission avise, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.
4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.
5. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci doivent, à la demande de cette autorité ou de la Commission, prêter activement assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission. Ils disposent à cette fin des pouvoirs définis au paragraphe 2.
6. Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection.
7. Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue au paragraphe 6 requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif.
8. Lorsqu’une autorisation visée au paragraphe 7 est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection. Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles [101] et [102 TFUE], ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice. »
II. Antécédents du litige
2 La première requérante, Les Mousquetaires, est la société holding du groupe Les Mousquetaires, qui exerce ses activités dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire en France et en Belgique. La seconde requérante, ITM Entreprises (ci-après la « seconde requérante » ou « Intermarché ») est sa filiale.
3 Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre Intermarché et notamment Casino, qui exerce également ses activités dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire, la Commission européenne a adopté, le 9 février 2017, la décision C(2017) 1057 final ordonnant à Intermarché ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1/2003 (affaire AT.40466 – Tute 1).
4 Le dispositif de cette décision se lit comme suit :
« Article premier
[…] Intermarché […] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] dans les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante, dans le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque et dans les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante. Ces pratiques concertées consistent en :
a) des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, et ICDC […] et/ou ses membres, notamment Casino, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France, et
b) des échanges d’informations, au moins depuis 2016, entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France.
Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise […]
Intermarché autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission pour procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre concerné pour les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires et autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.
Article 2
L’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après.
Article 3
Intermarché […] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle sont destinataires de la présente décision.
Cette décision est notifiée, juste avant l’inspection, à l’entreprise qui en est destinataire, en vertu de l’article 297, paragraphe 2, [TFUE]. »
5 Ayant également reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre notamment Intermarché et d’autres entreprises ou associations d’entreprises, la Commission a adopté, le 9 février 2017, la décision C(2017) 1061 final ordonnant à Intermarché ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1/2003 (affaire AT.40467 – Tute 2) (ci-après, prise ensemble avec la décision du 9 février 2017 mentionnée au point 3 ci-dessus, les « décisions du 9 février 2017 »).
6 Le dispositif de la décision du 9 février 2017 mentionnée au point 5 ci-dessus se lit comme suit :
« Article premier
[…] Intermarché […] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] dans les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et dans le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque.
Ces pratiques concertées consistent en des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment AgeCore et/ou ses membres, Coopernic et/ou ses membres et Eurelec et/ou ses membres, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France et l’Allemagne.
Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise […]
Intermarché autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission pour procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre concerné pour les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires et autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.
Article 2
L’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après.
Article 3
Intermarché […] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle sont destinataires de la présente décision.
Cette décision est notifiée, juste avant l’inspection, à l’entreprise qui en est destinataire, en vertu de l’article 297, paragraphe 2, [TFUE]. »
7 Ayant été informée de cette inspection par la Commission, l’Autorité de la concurrence française a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d’Evry (France), afin de lui demander l’autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie dans les locaux des requérantes. Par ordonnance du 17 février 2017, le juge des libertés et de la détention a autorisé les visites et saisies sollicitées à titre préventif. Aucune des mesures prises lors de l’inspection n’ayant nécessité l’usage des « pouvoirs de contrainte » au sens de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement n° 1/2003, cette ordonnance n’a pas été notifiée aux requérantes.
8 L’inspection a débuté le 20 février 2017, date à laquelle les inspecteurs de la Commission, accompagnés de représentants de l’Autorité de la concurrence française, se sont présentés dans les locaux d’Intermarché.
9 À la suite de doutes relatifs à la qualité d’employé d’Intermarché ou des Mousquetaires de l’une des personnes visées par l’inspection, la Commission a adopté, le 21 février 2017, deux autres décisions ordonnant aux Mousquetaires de se soumettre à une inspection, sur le fondement des mêmes motifs que ceux visés dans les décisions du 9 février 2017 [décision C(2017) 1361 final de la Commission, du 21 février 2017, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1/2003 (affaire AT.40466 – Tute 1) et décision C(2017) 1360 final de la Commission, du 21 février 2017, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement n° 1/2003 (affaire AT.40467 – Tute 2) (ci-après les « décisions du 21 février 2017 »)].
10 Dans le cadre de l’inspection, la Commission a procédé notamment à une visite des bureaux, à une collecte de matériel, en particulier informatique (ordinateurs portables, téléphones mobiles, tablettes, périphériques de stockage), à l’audition de plusieurs personnes et à la copie du contenu du matériel collecté.
11 Les requérantes ont adressé à la Commission plusieurs courriers datés du 24 février 2017, dans lesquels elles ont formulé des réserves quant aux décisions d’inspection et au déroulement de l’inspection menée sur leur fondement, en contestant notamment la copie de documents relevant de la vie privée des membres de leur personnel. Ces réserves ont été complétées par un courrier adressé à la Commission le 13 avril 2017, demandant en particulier la restitution de certains des documents copiés.
III. Procédure et conclusions des parties
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.
13 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juillet 2017, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 22 septembre 2017, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Conseil a déposé son mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.
14 Dans la requête, les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– adopter une mesure d’organisation de la procédure ordonnant à la Commission de préciser les présomptions et de produire les indices dont elle disposait pour justifier l’objet et le but des décisions des 9 et 21 février 2017 (ci-après les « décisions attaquées ») ;
– annuler les décisions du 21 février 2017 ;
– à titre subsidiaire, annuler les décisions du 9 février 2017 ;
– annuler la décision par laquelle la Commission a, d’une part, appréhendé et copié les données contenues sur les outils de communication et de stockage contenant des données relevant de la vie privée des utilisateurs de ces outils et, d’autre part, rejeté la demande de restitution desdites données présentée par les requérantes ;
– condamner la Commission et le Conseil aux dépens.
15 Dans la réplique, les requérantes ont précisé, s’agissant de leur chef de conclusions visant les décisions du 9 février 2017, qu’elles demandaient, à titre principal, à ce que ces décisions soient déclarées inexistantes en raison de leur absence de notification régulière et, à titre subsidiaire, à ce qu’elles soient annulées.
16 La Commission, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
17 Sur proposition de la neuvième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant la neuvième chambre élargie.
18 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, invité la Commission à produire une version non confidentielle des indices d’infractions présumées dont elle disposait à la date des décisions attaquées et demandé aux requérantes de prendre position sur les indices produits. La Commission et les requérantes ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
19 Les requérantes ont, dans le cadre de leurs observations, demandé au Tribunal d’adopter une mesure d’instruction, telle que prévue à l’article 91 du règlement de procédure, par laquelle serait ordonné à la Commission de produire la version confidentielle des indices susvisés. La Commission a marqué son accord à cette demande de mesure d’instruction, sous réserve que seuls les représentants des requérantes aient accès aux indices communiqués, dans des conditions limitées et moyennant la conclusion d’un engagement de confidentialité stipulant qu’ils ne pourraient pas révéler le contenu de la version confidentielle des indices à leurs clients.
20 Les représentants des requérantes se sont opposés aux conditions d’accès aux indices proposées par la Commission, en estimant que de tels engagements de confidentialité ne leur permettraient pas d’assurer pleinement la défense de leurs clientes, et ont demandé au Tribunal d’organiser une réunion informelle afin de débattre de la suite de la procédure.
21 Par de nouvelles mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a, dans le prolongement des critiques formulées par les requérantes à l’encontre des indices produits, posé plusieurs questions à la Commission et a demandé aux requérantes de prendre position sur certaines des réponses de la Commission. La Commission et les requérantes ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
22 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
23 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 10 décembre 2019, les requérantes ont présenté un mémoire d’observations complémentaires fondé sur des faits nouveaux qui seraient intervenus depuis la clôture de la phase écrite de la procédure. La Commission a présenté ses observations sur ce mémoire dans le délai imparti par le Tribunal sans contester sa recevabilité.
24 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2019, la Commission a présenté une « réponse complémentaire » à l’une de ses précédentes réponses aux questions du Tribunal. Le Tribunal a versé cet acte au dossier, sans préjudice de sa recevabilité, et a demandé aux requérantes de présenter leurs observations sur ledit acte, ce qu’elles ont fait dans le délai imparti en contestant notamment la recevabilité de la réponse complémentaire de la Commission.
25 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 30 janvier 2020.
IV. En droit
26 Dans la mesure où l’inspection litigieuse a été menée sur le fondement à la fois des décisions du 9 février 2017 et des décisions du 21 février 2017, ainsi que l’a confirmé la Commission lors de l’audience (voir également point 9 ci-dessus), il convient d’examiner les moyens invoqués au soutien du présent recours et de se prononcer sur ledit recours sans tenir compte de la distinction entre conclusions principales et conclusions subsidiaires effectuée par les requérantes, et ce d’autant que ces dernières ont nuancé cette distinction au cours de l’instance en demandant l’annulation des décisions du 9 février 2017 « en tant que de besoin ». Par ailleurs, compte tenu de l’identité des motifs entre la décision du 9 février 2017 et celle du 21 février 2017 relatives à l’affaire AT.40466 (Tute 1), d’une part, et entre la décision du 9 février 2017 et celle du 21 février 2017 relatives à l’affaire AT.40467 (Tute 2), d’autre part, à l’exception de la désignation du destinataire principal de l’inspection, la filiale Intermarché dans un cas et sa société mère Les Mousquetaires dans l’autre (voir point 9 ci-dessus), il sera distingué ci-après entre les décisions des 9 et 21 février 2017 relatives à l’affaire AT.40466 (ci-après, prises ensemble, la « première décision attaquée ») et les décisions des 9 et 21 février 2017 relatives à l’affaire AT.40467 (ci-après, prises ensemble, la « seconde décision attaquée »).
27 Les requérantes invoquent, en substance, cinq moyens au soutien de leur recours. Le premier est fondé sur une exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, le deuxième est tiré de l’absence de notification régulière des décisions attaquées, le troisième de la privation de leur droit de se défendre contre l’inspection, le quatrième de la méconnaissance de l’obligation de motivation et le cinquième est tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.
28 La Commission, soutenue par le Conseil, estime qu’aucun de ces moyens n’est fondé. Elle invoque, en outre, à titre liminaire, l’irrecevabilité de la requête, au motif que celle-ci contient plusieurs moyens et griefs relatifs au déroulement de l’inspection litigieuse, lesquels seraient irrecevables dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision d’inspection. Soutenue par le Conseil, la Commission conteste par ailleurs spécifiquement la recevabilité du premier moyen. Elle fait valoir enfin, en substance, l’irrecevabilité du quatrième chef de conclusions.
29 Il convient, dès lors, de commencer par examiner l’ensemble des fins de non-recevoir soulevées par la Commission et le Conseil.
A. Sur la recevabilité
1. Sur la recevabilité du quatrième chef de conclusions
30 Il convient de considérer que ce quatrième chef de conclusions tend à l’annulation, d’une part, de la prétendue décision de la Commission d’appréhender et de copier des données relevant de la vie privée de certains salariés et dirigeants des requérantes et, d’autre part, d’une décision de rejet de la demande de restitution de ces données présentée par les requérantes (voir point 14, quatrième tiret, ci-dessus).
31 À la lecture de la requête et de la réplique, et ainsi que le confirment les écritures de la Commission, la première partie de ce chef de conclusions peut être interprétée comme visant un refus de protéger la confidentialité des données privées en cause.
32 Quant à l’intérêt à agir des requérantes contre ce refus, contesté par la Commission, il y a lieu de souligner que, au titre de l’obligation pour toute entreprise de veiller à la protection des personnes qu’elle emploie ainsi que de leur vie privée [voir notamment, s’agissant de l’obligation de protection de la vie privée des personnes physiques lors du traitement de données à caractère personnel, directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO 1995, L 281, p. 31), remplacée par le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil, du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46 (règlement général sur la protection des données) (JO 2016, L 119, p. 1)], une entreprise inspectée peut être amenée à demander à la Commission de ne pas appréhender, dans les locaux de l’entreprise, certaines données pouvant porter atteinte à la vie privée de ses salariés ou de ses dirigeants ou à solliciter de la Commission la restitution de ces éléments. Dans un tel contexte, de telles demandes ne sont pas exclusivement réservées, comme le fait valoir à tort la Commission, aux membres du personnel concernés. Pour le même motif, cette entreprise peut être considérée comme ayant un intérêt à contester devant le juge de l’Union le refus opposé par la Commission à ses demandes.
33 Quant à la nature d’acte attaquable du refus de protéger la confidentialité des données privées en cause, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci. En principe, les mesures intermédiaires dont l’objectif est de préparer la décision finale ne constituent pas des actes attaquables (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, points 9 et 10, et du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 115 et 116).
34 Dans le contexte spécifique des inspections de la Commission et plus généralement des procédures en matière de concurrence, le contrôle juridictionnel sur les conditions dans lesquelles une inspection a été conduite relève en règle générale d’un recours en annulation formé, le cas échéant, contre la décision finale adoptée par la Commission en application de cette disposition (voir arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 132 et jurisprudence citée).
35 Il ressort toutefois également de la jurisprudence que les actes pris au cours de la procédure préparatoire qui constituent en eux-mêmes le terme ultime d’une procédure spéciale distincte de celle qui doit permettre à la Commission de statuer sur le fond et qui produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci constituent également des actes attaquables (arrêts du 11 novembre 1981, IBM/Commission, 60/81, EU:C:1981:264, points 10 et 11, et du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 116).
36 Il a ainsi été jugé, dans le contexte des procédures en matière de concurrence, qu’une décision de la Commission qui rejetait une demande de protection d’un document déterminé au titre de la confidentialité de la communication entre avocats et clients mettait fin à une procédure spéciale distincte de celle qui devait permettre à la Commission de statuer sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et constituait, dès lors, un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée).
37 De même, quoique le juge de l’Union n’ait pas, à ce jour, déclaré un tel recours recevable, il peut être considéré que le Tribunal a admis la possibilité qu’un recours soit formé dans les mêmes conditions par l’entreprise inspectée contre une décision rejetant la demande de protection des membres de son personnel au titre de leur vie privée. En effet, après avoir rappelé l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287), et la jurisprudence qui y est citée, le Tribunal a, tout en mentionnant la possibilité d’une « décision refusant […] le bénéfice de [la] protection [au titre de la vie privée] », constaté qu’une telle décision n’avait pas été adoptée en l’espèce. Il s’est fondé pour ce faire sur la circonstance que les parties requérantes n’avaient ni fait valoir lors de l’adoption de la décision de copie des données en cause que des documents leur appartenant bénéficiaient d’une protection semblable à celle conférée à la confidentialité des communications entre avocats et clients, ni identifié les documents précis ou les parties de documents en cause (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 129 et 130).
38 Les requérantes soutiennent précisément en l’espèce que le refus visé par la première partie du quatrième chef de conclusions de leur requête pourrait être assimilé à celui qui a été considéré comme formant un acte attaquable par cette jurisprudence.
39 Il peut certes être considéré que, lorsqu’une entreprise invoque le droit au respect de la vie privée de ses salariés ou de ses dirigeants pour s’opposer à l’appréhension du matériel informatique ou d’outils de communication et à la copie des données qui y sont contenues dans le cadre du déroulement d’une inspection, la décision par laquelle la Commission rejette cette demande produit des effets juridiques à l’égard de cette entreprise, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir point 37 ci-dessus). Cette décision affecte, en effet, les conditions dans lesquelles elle assure la protection des personnes qu’elle emploie et de leur vie privée. En outre, une telle décision lui refuse, le bénéfice de la limitation de l’inspection aux « documents professionnels », qui est requise tant par l’article 20, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1/2003 que par la jurisprudence (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 80 et jurisprudence citée).
40 À cet égard, il convient de relever que, aux points 51 et 52 de l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287), le Tribunal a, dans l’hypothèse où la Commission aurait, préalablement à l’accomplissement de certains actes de copie de documents, été saisie d’une demande de protection au titre d’un droit prévu par le droit de l’Union, considéré qu’une décision tacite de rejet s’était concrétisée dans l’acte matériel de copie et de jonction au dossier des documents copiés.
41 Toutefois, en l’espèce, les requérantes n’ont pas fait valoir, préalablement à l’adoption des actes litigieux, que le matériel appréhendé et les données copiées par la Commission devaient bénéficier d’une protection au titre du droit au respect de la vie privée de leurs salariés ou de leurs dirigeants. En effet, c’est postérieurement à la copie desdites données et à la restitution du matériel susceptible de contenir de telles données, à savoir le 24 février, puis le 13 avril 2017, que les requérantes ont invoqué la protection des données en cause au titre du respect de la vie privée de leurs salariés ou de leurs dirigeants.
42 Il peut être relevé, à cet égard, que n’est pas attentatoire au droit à une protection juridictionnelle effective le fait d’exiger de l’entreprise visée par une décision d’inspection qu’elle accomplisse certaines démarches pour préserver ses droits et son accès aux voies de recours permettant d’en assurer le respect, notamment la démarche consistant à formuler des demandes de protection auprès de la Commission (voir points 36, 37 et 40 ci-dessus). Il en est d’autant plus ainsi que cette dernière est tenue d’accorder un bref délai à l’entreprise pour consulter ses avocats avant d’effectuer des copies aux fins, le cas échéant, de formuler de telles demandes (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 89).
43 Il s’ensuit, en l’espèce, que la Commission n’a pas été mise en mesure, lorsqu’elle a appréhendé le matériel en cause puis copié les données qu’il contenait, d’adopter une décision par laquelle elle aurait rejeté une telle demande de protection formulée par les requérantes.
44 La présente affaire se distingue, dès lors, de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287). En effet, en l’absence de demande de protection préalable formulée par les requérantes, l’appréhension du matériel en cause et la copie des données contenues dans ce matériel n’ont pas pu donner lieu à l’adoption d’une décision susceptible de recours par laquelle la Commission aurait rejeté, même implicitement, une telle demande de protection (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 120 à 125).
45 Par conséquent, les requérantes ne peuvent prétendre, dans les circonstances de l’espèce, que, à la date d’introduction du présent recours, la Commission avait adopté explicitement ou implicitement, dans le cadre du déroulement de l’inspection, un acte produisant des effets juridiques de nature à affecter leurs intérêts, en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.
46 Il peut être ajouté qu’il en serait de même si la première partie du quatrième chef de conclusions devait être interprétée comme visant une simple décision de la Commission d’appréhender et de copier des données relevant de la vie privée de certains salariés et dirigeants des requérantes En effet, ainsi qu’il résulte du point 44 ci-dessus, en l’absence de demande de protection préalable formulée par les requérantes, les actes matériels d’appréhension et de copie effectués en l’espèce au cours de l’inspection litigieuse n’ont pas pu, en tant que tels, donner lieu à des actes susceptibles de recours.
47 Quant à la seconde partie du quatrième chef de conclusions, dirigée contre le prétendu rejet de la demande de restitution des données privées en cause, il y a lieu de relever que cette demande de restitution, qu’elle soit datée du 24 février 2017, ainsi que les requérantes l’ont fait valoir dans leurs écritures, ou du 13 avril 2017, comme il a été mentionné lors de l’audience, n’a pas été formulée de manière suffisamment précise pour permettre à la Commission de prendre utilement position à son égard, de sorte que les requérantes n’avaient pas reçu, à la date d’introduction du présent recours, à laquelle doit s’apprécier la recevabilité de celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission, T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 34, et du 22 juin 2016, Whirlpool Europe/Commission, T‑118/13, EU:T:2016:365, point 49), de réponse de la Commission susceptible de constituer un acte attaquable. En effet, les requérantes se sont bornées à mentionner de « nombreux documents portant atteinte à l’intimité de la vie privée de leurs auteurs », en évoquant de manière générale qu’étaient en cause des « messages, personnels, carnets d’adresses, appels téléphoniques, etc. » et en reconnaissant, dans leur demande du 13 avril 2017, qu’elles « analys[aient] actuellement les multiples pièces copiées par les agents de la Commission » pour déterminer celles qui étaient concernées par cette atteinte.
48 Le quatrième chef de conclusions doit, par conséquent, être rejeté en ses deux branches comme irrecevable.
2. Sur la recevabilité des moyens et des griefs relatifs au déroulement de l’inspection
49 La Commission soutient que la requête est irrecevable au motif que celle-ci contient plusieurs moyens et griefs relatifs au déroulement de l’inspection litigieuse, lesquels seraient irrecevables dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision d’inspection. Elle réitère, en outre, ce même motif d’irrecevabilité à l’égard du moyen tiré de l’absence de notification régulière des décisions attaquées (deuxième moyen), du grief relatif à l’obligation de secret qui aurait été imposée aux requérantes, du grief critiquant l’absence d’information relative au droit au silence, du grief tiré de la privation de la faculté d’opposition des requérantes (ensemble des griefs du troisième moyen), du grief relatif à la méconnaissance du droit au respect de la vie privée de plusieurs membres du personnel des requérantes ainsi que du grief critiquant l’ampleur des recherches effectuées en termes de nombre de bureaux visités comme de comptes de messagerie, de téléphones et d’ordinateurs visés (griefs invoqués au soutien du cinquième moyen).
50 Il ressort effectivement d’une jurisprudence constante qu’une entreprise ne saurait se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures d’inspection au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette inspection (arrêts du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, point 413 ; du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 55, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 22).
51 Cette impossibilité de se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement des opérations d’inspection au soutien de conclusions dirigées contre une décision d’inspection ne fait que refléter le principe général selon lequel la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, de telle sorte que des actes postérieurs à une décision ne peuvent pas en affecter la validité (ordonnance du 30 octobre 2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 R et T‑253/03 R, EU:T:2003:287, points 68 et 69 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, points 45 et 46 et jurisprudence citée).
52 Il s’ensuit que, si, comme le prétend la Commission, les griefs et moyens concernés devaient être écartés, ils devraient l’être au motif de leur caractère inopérant et non de leur caractère irrecevable.
53 En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, la Commission a précisé, ainsi qu’il a été pris acte au procès-verbal de l’audience, d’une part, qu’elle s’en remettait à la sagesse du Tribunal quant au caractère irrecevable ou inopérant des griefs et des moyens en cause et, d’autre part, que son allégation d’irrecevabilité ne concernait pas en tant que tels les quatrième et cinquième moyens, tirés respectivement de la méconnaissance de l’obligation de motivation et de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.
54 Il en résulte que la requête ne saurait être déclarée irrecevable pour le motif allégué par la Commission, ni a fortiori qu’elle devrait l’être en son entier.
55 Il en résulte également que doivent, en revanche, être déclarés inopérants sur le fondement de la jurisprudence susvisée les moyens et griefs énumérés au point 49 ci-dessus. En effet, ces moyens et griefs contiennent tous des critiques dirigées contre des actes ou des comportements de la Commission relevant du déroulement de l’inspection litigieuse, c’est-à-dire de l’utilisation des décisions attaquées ayant ordonné ladite inspection et d’une appréciation des éléments qui y sont contenus allant au-delà de ces éléments proprement dits (voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 54, et du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 61) ou, à tout le moins, contre des actes ou des comportements postérieurs à ces décisions (voir, en ce sens, arrêt du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, point 35).
56 Ainsi, la notification des décisions attaquées étant par définition postérieure et extérieure à leur adoption, les prétendues illégalités entachant cette notification invoquées au soutien du deuxième moyen ne peuvent être utilement invoquées à l’appui d’une critique de la légalité desdites décisions (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 39 ; du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T‑43/92, EU:T:1994:79, point 25, et ordonnance du 24 juin 1998, Dalmine/Commission, T‑596/97, EU:T:1998:138, point 39). De même, l’ensemble des griefs du troisième moyen ainsi que les griefs susvisés avancés au soutien du cinquième moyen ont tous trait à des actions (rappels et menaces, injonctions au secret, visites de bureaux, blocage de comptes de messagerie, exigence de remises d’ordinateurs et de téléphones contenant des données personnelles et privation de leur usage, réalisation d’investigations hors la présence des utilisateurs de ces ordinateurs et téléphones, blocage de messageries et exigence de remise du téléphone d’un tiers) ou à des omissions (d’informations) de la Commission au cours de l’inspection (voir, à propos du défaut de mesures de précaution évitant la prise de connaissance de certains documents par la Commission, arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 64). Ils ne peuvent donc davantage affecter la légalité des décisions attaquées.
57 L’ensemble de ces moyens et griefs ne pourraient pas, s’ils étaient fondés, conduire à l’annulation des décisions attaquées, de sorte qu’ils doivent être écartés comme étant inopérants. Il s’ensuit par ailleurs qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’allégation par les requérantes de l’irrecevabilité de l’annexe B.21 du mémoire en défense, laquelle a été communiquée par la Commission principalement aux fins de contester le bien-fondé desdits moyens et griefs.
3. Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité
58 La Commission fait valoir que l’exception d’illégalité opposée par les requérantes, au motif du non-respect par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 du droit à un recours effectif, est irrecevable à trois titres.
59 Premièrement, la Commission, soutenue par le Conseil, prétend que le moyen soulevé est insuffisamment précis, dès lors que les requérantes n’auraient pas exposé avec précision quels étaient les griefs dirigés contre l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, qui fixe le régime juridique applicable aux décisions d’inspection et non celui applicable au déroulement des inspections.
60 Deuxièmement, selon la Commission, également soutenue par le Conseil, le lien de connexité entre les décisions attaquées et l’acte de portée générale en cause ferait défaut. En effet, les requérantes n’auraient pas établi en quoi le fait que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 ne prévoit pas l’existence d’un recours contre le déroulement d’une inspection entraînerait l’illégalité d’une décision d’inspection, qui constitue un acte distinct des actes pris pendant le déroulement de l’inspection. La Commission critique, dans la duplique, la pertinence de la jurisprudence citée par les requérantes au soutien de la recevabilité de leur exception d’illégalité. Elle souligne également qu’aucun acte de droit dérivé n’établit de voie de recours juridictionnel spécifique, les voies de recours étant prévues uniquement par le traité.
61 Troisièmement, sous couvert de contester l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, les requérantes critiqueraient en réalité la jurisprudence bien établie du Tribunal et de la Cour relative aux voies de recours prévues par le traité, laquelle ne permettrait pas de contester le déroulement d’une inspection en dehors de certains cas de figure limités.
62 Quant à la première fin de non-recevoir soulevée, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Selon une jurisprudence constante, qui s’applique également aux moyens fondés sur une exception d’illégalité (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, points 87 à 91 et jurisprudence citée), cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêt du 25 janvier 2018, BSCA/Commission, T‑818/14, EU:T:2018:33, points 94 et 95 et jurisprudence citée).
63 En l’espèce, les requérantes ont clairement et précisément explicité en quoi consistait le grief qu’elles faisaient valoir à l’encontre de la disposition contestée du règlement n° 1/2003, en indiquant son fondement juridique, textuel et jurisprudentiel, ainsi que les arguments circonstanciés venant à son soutien, sans qu’il y ait lieu de solliciter d’autres informations. Il peut d’ailleurs être relevé que, au vu de l’argumentation présentée par la Commission dans le mémoire en défense et dans la duplique, celle-ci a manifestement été en mesure de comprendre les contestations formulées par les requérantes.
64 Il convient d’ajouter que ne remet pas en cause le respect en l’espèce des exigences de précision et de clarté de l’exception d’illégalité la circonstance alléguée par la Commission que la disposition dont l’illégalité est excipée (fixant le régime juridique des décisions d’inspection) ne fixerait pas les règles critiquées par l’exception (relatives au déroulement des inspections) (voir, à cet égard, points 67 à 74 ci-après).
65 La première fin de non-recevoir opposée à l’exception d’illégalité (voir point 59 ci-dessus) doit, dès lors, être écartée.
66 Quant aux deux autres fins de non-recevoir opposées à l’exception d’illégalité (voir points 60 et 61 ci-dessus), il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une exception d’illégalité soulevée de manière incidente en vertu de l’article 277 TFUE, à l’occasion de la contestation au principal de la légalité d’un acte tiers, n’est recevable que dès lors qu’il existe un lien de connexité entre cet acte et la norme dont l’illégalité prétendue est excipée. Dans la mesure où l’article 277 TFUE n’a pas pour but de permettre à une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. Il en résulte que l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours (voir arrêt du 12 juin 2015, Health Food Manufacturers’ Association e.a./Commission, T‑296/12, EU:T:2015:375, point 170 et jurisprudence citée). Il en résulte également qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question. L’existence d’un tel lien peut toutefois se déduire du constat que la décision attaquée repose essentiellement sur une disposition de l’acte dont la légalité est contestée, même si cette dernière n’en constituait pas formellement la base juridique (voir arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑308/04, EU:T:2007:347, point 33 et jurisprudence citée).
67 Ainsi, en l’espèce, si l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 devait être déclaré illégal, les décisions attaquées, adoptées sur le fondement de cette disposition, perdraient toute base juridique et devraient être annulées, et ce indépendamment du motif d’illégalité retenu de ladite disposition.
68 Il s’ensuit qu’il ne peut être déduit de l’argumentation avancée au soutien tant de la deuxième que de la troisième fin de non-recevoir que l’exception d’illégalité est irrecevable.
69 En effet, par cette argumentation, la Commission, soutenue par le Conseil, critique en substance l’absence de lien entre le motif d’illégalité invoqué (absence de contrôle juridictionnel effectif du déroulement des inspections) et les décisions attaquées (décisions ordonnant une inspection), en faisant valoir, d’une part, que les règles régissant le contrôle juridictionnel du déroulement des inspections ne fondent pas les décisions attaquées (deuxième fin de non-recevoir) et, d’autre part, que de telles règles résulteraient de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 263 TFUE et ne devraient pas figurer dans l’article 20 du règlement n° 1/2003 sur lequel les décisions attaquées sont fondées (troisième fin de non-recevoir).
70 En tout état de cause, même à supposer que la recevabilité d’une exception d’illégalité soit subordonnée à l’établissement d’un lien entre le motif d’illégalité allégué et les décisions attaquées, il ne saurait être considéré qu’un tel lien fait défaut en l’espèce.
71 Comme le soulignent pertinemment les requérantes, ce ne sont pas en tant que tels les actes postérieurs aux décisions d’inspection régies par l’article 20 du règlement n° 1/2003, relevant de l’exécution de ces décisions et du déroulement de l’inspection, qui sont visés par l’illégalité excipée. Sont critiquées les lacunes dans les voies de droit permettant le contrôle de ces actes et existant dès l’adoption des décisions d’inspection, lesquelles sont, selon les requérantes, imputables à l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003.
72 À l’instar de ce qu’a jugé le Tribunal dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission (T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 50 et 108), à propos de la nécessité alléguée d’obtenir un mandat judiciaire préalable à l’adoption d’une décision d’inspection, les requérantes sollicitent en l’espèce l’identification par le Tribunal d’une nouvelle exigence formelle qui conditionnerait la légalité d’une telle décision, consistant en la garantie de voies de recours spécifiques dès son adoption permettant le contrôle juridictionnel des mesures prises en application de ladite décision, et qui devrait ce faisant figurer dans l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003.
73 N’est pas en cause, à ce stade, la question différente de la détermination des voies de droit permettant d’assurer le contrôle juridictionnel effectif du déroulement des inspections et de leur formalisation au sein de l’article 20 du règlement n° 1/2003, qui relève de l’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité. En effet, l’examen de la recevabilité de l’exception d’illégalité n’implique pas de déterminer selon quelles modalités et par quel type de dispositions devrait être établi le contrôle juridictionnel du déroulement des inspections. C’est dans le cadre de la vérification de la conformité de l’article 20 du règlement n° 1/2003 au droit à un recours effectif et, ainsi, de l’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité que cette question devra être tranchée. Il est remarquable, à cet égard, que la Commission se réfère, au soutien de sa troisième fin de non-recevoir, à son argumentation relative au bien-fondé de l’exception d’illégalité ainsi qu’à l’arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission (T‑446/05, EU:T:2010:165, points 123 à 152), qui a rejeté l’exception d’illégalité soulevée dans cette affaire comme non fondée.
74 Il s’ensuit par ailleurs qu’est également indifférente la circonstance alléguée par la Commission, au demeurant partiellement inexacte, selon laquelle aucun acte de droit dérivé ne prévoit de voie de recours spécifique. En effet et à titre d’illustration, le règlement n° 1/2003 lui-même prévoit, en son article 31, la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union européenne sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte, pour supprimer, réduire ou majorer lesdites amende ou astreinte. De même, le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p 1), au même titre que d’autres actes ayant créé des organes ou des organismes de l’Union, prévoit les recours pouvant être formés devant le juge de l’Union contre les décisions des chambres de recours instituées au sein de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Certes, ces voies de droit s’inscrivent dans le prolongement de celles établies dans le traité et ne sont pas, en ce sens, des voies de recours autonomes non prévues par le traité, ce qu’elles ne pourraient d’ailleurs pas être. Toutefois, en l’espèce, les requérantes ne réclament pas la création de telles voies de recours autonomes. Il y a lieu de considérer, en effet, qu’elles contestent l’absence dans l’article 20 du règlement n° 1/2003 de dispositions conférant aux mesures relevant du déroulement d’une inspection la nature d’actes susceptibles de recours en vertu du traité, à l’instar de ce que prévoit l’article 90 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne pour les actes d’enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), et imposant la mention de ce recours possible dans la décision d’inspection, comme doit être mentionné, en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, le recours ouvert devant le juge de l’Union contre la décision d’inspection elle-même.
75 Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 opposée par les requérantes doit être déclarée recevable. Il en résulte également que doit être examiné ci-après uniquement le bien-fondé des moyens tirés d’une exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, de la méconnaissance de l’obligation de motivation et de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile des requérantes.
B. Sur le bien-fondé
1. Sur l’exception d’illégalité de l’article 20 du règlement n° 1/2003
76 Les requérantes excipent de l’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, au motif qu’il méconnaîtrait l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).
77 En particulier, les requérantes font valoir que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 viole le droit à un recours effectif. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») et sur celle des juridictions de l’Union, elles relèvent que le contrôle juridictionnel du déroulement des inspections ne pourrait être effectué que dans le cadre de recours en annulation dirigés contre la décision finale de sanction adoptée par la Commission en application de l’article 101 TFUE, contre une décision sanctionnant une obstruction à l’inspection ou contre une décision individuelle de la Commission prise au cours ou dans le prolongement de l’inspection. Or, de telles possibilités de contester le déroulement d’une inspection ne seraient pas certaines, ne seraient pas ouvertes dans un délai raisonnable, ne permettraient pas un contrôle effectif et efficace des conditions de ce déroulement et n’offriraient pas un « redressement approprié » aux entreprises qui en font l’objet. Les requérantes ajoutent que, dans les systèmes juridiques ayant institué un recours en contestation des conditions du déroulement des décisions d’inspection, tels que le système français, de tels recours sont plus fréquents que ceux contestant les décisions d’inspection. Elles précisent, à cet égard, que, en l’absence de notification en l’espèce d’une ordonnance de visite et saisie les visant, elles auraient été dans l’impossibilité d’exercer cette voie de recours nationale.
78 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial » :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi […] »
79 Il ressort par ailleurs des explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17), qui, selon l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être dûment prises en considération par les juridictions de l’Union (voir arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 20 et jurisprudence citée), que l’article 47 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 13 de la CEDH.
80 Comme le souligne pertinemment le Conseil, cette correspondance entre les dispositions de la Charte et celles de la CEDH n’implique pas que le contrôle de légalité à effectuer en l’espèce doive l’être au regard des dispositions de la CEDH. Il ressort effectivement de la jurisprudence, en particulier de l’arrêt du 14 septembre 2017, K. (C‑18/16, EU:C:2017:680, point 32 et jurisprudence citée), cité par le Conseil, que si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite CEDH, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union, de sorte que le contrôle de légalité doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte.
81 Néanmoins, il résulte tant de l’article 52 de la Charte que des explications relatives à cet article que les dispositions de la CEDH et la jurisprudence de la Cour EDH relatives à ces dispositions doivent être prises en compte lors de l’interprétation et de l’application des dispositions de la Charte dans une espèce donnée (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, EU:C:2010:811, points 35 et 37 et jurisprudence citée, et du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107, point 50). En effet, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la CEDH et les explications relatives à cet article précisent que le sens et la portée des droits garantis par la CEDH sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH et de ses protocoles, mais aussi par la jurisprudence de la Cour EDH.
82 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH s’étant prononcée sur le respect de la CEDH, notamment de ses articles 6 et 13, à propos de visites domiciliaires et, en particulier, des arrêts de la Cour EDH du 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE :ECHR :2008 :0221JUD 001849703, ci-après l’« arrêt Ravon »), du 21 décembre 2010, Société Canal Plus et autres c. France (CE :ECHR :2010 :1221JUD 002940808, ci-après l’« arrêt Canal Plus »), du 21 décembre 2010, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz c. France (CE :ECHR :2010 :1221JUD 002961308, ci-après l’« arrêt Primagaz »), et du 2 octobre 2014, Delta Pekárny a.s. c. République tchèque (CE :ECHR :2014 :1002JUD 000009711, ci-après l’« arrêt Delta Pekárny »), invoqués et analysés par les parties, les principes suivants :
– il doit exister un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision ou des mesures concernées (arrêts Ravon, point 28, et Delta Pekárny, point 87) (ci-après la « condition d’effectivité ») ;
– le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d’irrégularité, soit de prévenir la survenance de l’opération, soit, dans l’hypothèse où une opération irrégulière aurait déjà eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié (arrêts Ravon, point 28, et Delta Pekárny, point 87) (ci-après la « condition d’efficacité ») ;
– l’accessibilité du recours concerné doit être certaine (arrêts Canal Plus, point 40, et Primagaz, point 28) (ci-après la « condition de certitude ») ;
– le contrôle juridictionnel doit intervenir dans un délai raisonnable (arrêts Canal Plus, point 40, et Primagaz, point 28) (ci-après la « condition du délai raisonnable »).
83 Il en ressort également que le déroulement d’une opération d’inspection doit pouvoir faire l’objet d’un tel contrôle juridictionnel effectif et que le contrôle doit être effectif dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (arrêt Delta Pekárny, point 87), ce qui implique la prise en compte de l’ensemble des voies de droit disponibles et ainsi une analyse globale de ces voies de droit (voir, en ce sens, arrêts Ravon, points 29 à 34 ; Canal Plus, points 40 à 44, et Delta Pekárny, points 89 à 93). L’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité ne saurait donc être limité à l’analyse des carences, dénoncées par les requérantes, de l’article 20 du règlement n° 1/2003, mais doit reposer sur la prise en considération de l’ensemble des voies de recours à la disposition d’une entreprise faisant l’objet d’une inspection.
84 Il importe de relever, à titre liminaire, que, contrairement à ce que prétend la Commission, la jurisprudence de la Cour EDH rappelée aux points 82 et 83 ci-dessus ne saurait être considérée comme étant dépourvue de pertinence en l’espèce.
85 Certes, la Commission n’a pas eu recours en l’espèce à la « force publique » ou aux « pouvoirs de contrainte » des autorités nationales sur le fondement des paragraphes 6 à 8 de l’article 20 du règlement n° 1/2003. En atteste notamment le fait que l’ordonnance du juge français ayant autorisé ces visites et saisies, demandée à titre préventif par la Commission, n’a pas été notifiée aux requérantes (voir point 7 ci-dessus). Néanmoins, comme le soutiennent à juste titre les requérantes, elles ont été contraintes de se soumettre aux décisions d’inspection, qui sont obligatoires pour leurs destinataires, qui peuvent donner lieu à l’infliction d’une amende en cas de non-respect [article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement n° 1/2003] et qui impliquent notamment l’accès à tous leurs locaux ainsi que le contrôle et la copie de leurs documents professionnels [article 20, paragraphe 2, sous a) à d), du règlement n° 1/2003], ce qui suffit à caractériser une intrusion dans le domicile des entreprises inspectées justifiant que soient garantis les droits reconnus par la jurisprudence susvisée de la Cour EDH aux entreprises faisant l’objet de visites domiciliaires (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65 ; Cour EDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, CE :ECHR :2013 :0314JUD 002411708, point 106). Il n’est, dès lors, pas déterminant que l’inspection ait été menée en l’espèce sans l’intervention préalable d’un juge autorisant le recours à la force publique et il peut même être considéré que cette absence d’intervention juridictionnelle préalable justifie a fortiori le nécessaire respect des garanties posées par la jurisprudence de la Cour EDH au stade du contrôle juridictionnel a posteriori de la décision ordonnant l’inspection (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 66 et jurisprudence de la Cour EDH citée). Il importe de souligner, au surplus, que, lorsque le juge de l’Union a été amené à se prononcer sur le respect des droits fondamentaux d’entreprises inspectées, il s’est toujours appuyé sur la jurisprudence de la Cour EDH (arrêts du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 41 à 48 ; du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 109 à 114, et du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91).
86 Il convient, dès lors, de vérifier le respect du droit à un recours effectif par le système des voies de droit permettant la contestation du déroulement d’une inspection en matière de droit de la concurrence à la lumière de la jurisprudence susvisée de la Cour EDH.
87 Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH et qu’il a été dit au point 83 ci-dessus, cette vérification doit reposer sur une analyse globale des voies de droit susceptibles de donner lieu au contrôle des mesures prises dans le cadre d’une inspection. Il est, dès lors, indifférent que, prise individuellement, chacune de ces voies de droit ne remplisse pas les quatre conditions requises pour que soit admise l’existence d’un droit à un recours effectif.
88 Sept voies de droit ont été évoquées par les parties. Il s’agit :
– du recours contre la décision d’inspection ;
– du recours contre la décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement n° 1/2003 ;
– du recours contre tout acte remplissant les conditions jurisprudentielles de l’acte susceptible de recours qu’adopterait la Commission à la suite de la décision d’inspection et dans le cadre du déroulement des opérations d’inspection, tel qu’une décision rejetant une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée) ;
– du recours contre la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE ;
– de l’action en référé ;
– du recours en responsabilité extracontractuelle ;
– des demandes pouvant être adressées au conseiller-auditeur.
89 Il y a lieu de relever que, à l’exception des demandes adressées au conseiller-auditeur qui ne saurait être qualifié de « tribunal » au sens de la CEDH, au motif notamment qu’il ne possède qu’un pouvoir de recommandation [article 4, paragraphe 2, sous a), de la décision 2011/69/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29)], ainsi que le soulignent les requérantes, chacune de ces voies de droit permet de porter devant un juge des contestations relatives à une opération d’inspection.
90 En effet, premièrement, il ressort de la jurisprudence et il n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes que les conditions dans lesquelles une inspection s’est déroulée peuvent être critiquées dans le cadre d’un recours en annulation formé contre la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 132 ; voir, également, arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91 et jurisprudence citée). Ce contrôle de légalité des décisions finales ne souffre, à l’exception de l’irrecevabilité des moyens qui auraient dû être formés contre la décision d’inspection (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, points 408 à 415), d’aucune restriction en termes de moyens invocables et ainsi d’objet du contrôle. Il permet en particulier la vérification du respect par la Commission de l’ensemble des limites s’imposant à elle lors du déroulement d’une inspection (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 79 à 82) et il a été considéré comme garantissant l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif sur les mesures d’inspection, tel que requis par la Cour EDH (arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91).
91 Deuxièmement, il ressort également de la jurisprudence et le présent recours atteste qu’une décision d’inspection est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 97 et 111). Ce contrôle est d’ailleurs prévu par l’article 20 du règlement n° 1/2003 lui-même (paragraphes 4 et 8), qui en impose la mention dans la décision d’inspection. Or, d’une part, le contrôle de légalité de la décision d’inspection, portant notamment sur la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence, peut conduire, en cas de constat d’illégalité, à ce que l’ensemble des mesures prises en application de la décision soient elles-mêmes considérées comme étant entachées d’illégalité, notamment comme n’étant pas nécessaires (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑621/16, non publié, EU:T:2018:367, point 40 et jurisprudence citée). D’autre part, dans l’hypothèse où une décision d’inspection serait adoptée à la suite d’autres inspections et où les informations obtenues dans le cadre des inspections précédentes auraient fondé cette décision d’inspection, le contrôle de légalité de ladite décision peut notamment porter sur la conformité des mesures prises en application des décisions d’inspection antérieures avec le champ de l’inspection défini dans ces décisions (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 138 à 160) et conduire à son annulation en cas de non-conformité constatée (arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 56 à 67 et 71 ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 63).
92 Troisièmement, il y a également lieu de relever que, à l’instar de toute décision de sanction infligée en vertu du règlement n° 1/2003, une décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement n° 1/2003 peut faire l’objet d’un recours en annulation. Peut alors notamment être invoqué, au soutien de ce recours, le caractère illégal de la sanction au motif que la mesure prise au cours de l’inspection à laquelle l’entreprise sanctionnée ne se serait pas soumise, telle une demande de production d’un document confidentiel ou une demande d’explication adressée à un membre de son personnel, serait elle-même illégale (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 126).
93 Quatrièmement, il y a lieu de rappeler que, en vertu de la jurisprudence issue de l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée), une décision rejetant explicitement ou implicitement une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients présentée au cours d’une inspection constitue un acte attaquable (voir point 36 ci-dessus). Cette voie de recours a été ouverte précisément parce que le juge de l’Union a considéré que la possibilité dont disposait l’entreprise d’intenter un recours contre une éventuelle décision constatant une infraction aux règles de concurrence ne suffisait pas à protéger adéquatement ses droits, dès lors que, d’une part, la procédure administrative pouvait ne pas aboutir à une décision de constatation d’infraction et, d’autre part, le recours ouvert contre cette décision ne fournissait de toute façon pas à l’entreprise le moyen de prévenir les effets irréversibles qu’entraînerait la prise de connaissance irrégulière de documents protégés par la confidentialité (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 47 et jurisprudence citée).
94 De même, quoique le juge de l’Union n’ait pas, à ce jour, déclaré un tel recours recevable, il peut être considéré que le Tribunal a admis la possibilité qu’un recours soit formé dans les mêmes conditions contre une décision rejetant une demande de protection au titre de la vie privée des membres du personnel de l’entreprise inspectée (voir point 37 ci-dessus).
95 Il y a lieu de considérer en effet que ni les dispositions des traités ni le libellé de l’article 20 du règlement n° 1/2003 n’excluent la possibilité pour une entreprise d’introduire un recours en annulation contre de tels actes accomplis dans le cadre du déroulement d’une inspection, à condition de remplir les exigences découlant de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
96 Cinquièmement, alors même que, conformément à l’article 278 TFUE, l’ensemble des recours mentionnés ci-dessus ne sont, en principe, pas suspensifs, il est possible d’obtenir, en vertu de cette même disposition, le sursis à l’exécution des actes contestés dans le cadre de ces recours. En particulier, une telle demande de sursis peut conduire à la suspension des opérations d’inspection, étant précisé toutefois que, dans la mesure où la décision d’inspection est en principe notifiée et portée à la connaissance de l’entreprise inspectée le jour auquel l’inspection débute, seul le recours à la procédure prévue par l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure permet, si les conditions d’octroi d’un sursis provisoire sont réunies, d’obtenir un tel résultat (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 98). En effet, le président du Tribunal peut, sur le fondement de cette disposition, faire droit à la demande de sursis avant d’entendre la Commission et ainsi ordonner le sursis quelques jours seulement après le dépôt de la demande et avant la fin de l’inspection.
97 Il y a lieu d’ajouter qu’une demande en référé peut également être présentée parallèlement au recours dirigé contre une décision rejetant une demande de protection au titre de la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients. En attestent les ordonnances du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros [C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566], et du 30 octobre 2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 R et T‑253/03 R, EU:T:2003:287). Il peut, en effet, être considéré que, dans cette ordonnance du président de la Cour, ce dernier, tout en annulant l’ordonnance du président du Tribunal ayant ordonné le sursis demandé, n’a pas exclu que, en l’absence d’engagement pris par la Commission de ne pas permettre à des tiers d’avoir accès aux documents en cause, puissent être ordonnés le sursis à l’exécution de la décision rejetant la demande de protection de la confidentialité des communications entre les sociétés concernées et leurs avocats ainsi que la conservation des données confidentielles concernées au greffe de la juridiction jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours principal [voir, en ce sens, ordonnances du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566, point 42 et points 1 et 2 du dispositif, et du 17 septembre 2015, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑386/15 P(R), EU:C:2015:623, point 24]. Il ne saurait, dès lors, être considéré que le référé n’offre aucun redressement possible contre les éventuelles irrégularités commises par la Commission au cours du déroulement d’une inspection indépendamment de la décision l’ayant ordonnée.
98 Sixièmement, même en l’absence d’adoption d’un acte susceptible de recours lors des opérations d’inspection, si l’entreprise inspectée estime que la Commission a commis des illégalités lors de l’inspection et que ces illégalités lui ont causé un préjudice de nature à engager la responsabilité de l’Union, il lui est possible d’introduire à l’encontre de la Commission un recours en responsabilité non contractuelle. Cette possibilité existe dès avant l’adoption d’une décision clôturant la procédure d’infraction et même dans l’hypothèse où l’inspection n’aboutirait pas à une décision finale pouvant faire l’objet d’un recours en annulation. Un tel recours en responsabilité ne relève pas, en effet, du système de contrôle de la validité des actes de l’Union ayant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, mais est ouvert lorsqu’une partie a subi un préjudice du fait d’un comportement illégal d’une institution, et ce même si ce comportement ne s’est pas matérialisé par un acte attaquable (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 133 ; du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 99, et du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 92).
99 En outre, il peut être considéré que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection constitué de l’ensemble des voies de droit décrites précédemment satisfait aux quatre conditions rappelées au point 82 ci-dessus.
100 S’agissant, premièrement, de la condition d’effectivité, il y a lieu de relever, et il n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes, que les voies de droit susvisées donnent lieu à un contrôle approfondi intervenant tant sur les questions de droit que sur les questions de fait (voir, s’agissant en particulier des décisions d’inspection, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 33 et 34, et, s’agissant plus généralement des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 62).
101 Il importe de souligner, en outre, que, si chacune de ces voies de droit ne permet pas, prise individuellement, de réaliser un contrôle du bien-fondé de l’ensemble des mesures prises lors de l’inspection, leur exercice combiné, qui ne pose pas de problème de recevabilité, permet un tel contrôle, ainsi qu’il ressort de l’énumération, aux points 89 à 98 ci-dessus, des diverses mesures prises au cours du déroulement des inspections et des divers droits des entreprises inspectées susceptibles d’être contrôlés lors de l’examen des différents recours concernés. En particulier, les requérantes ne peuvent valablement soutenir qu’aucune voie de droit ne couvrirait l’hypothèse dans laquelle les inspecteurs prendraient copie de documents sortant du champ de l’inspection. En effet, dans le cas où l’inspection en cause ne déboucherait pas sur une décision de constat d’infraction et de sanction, mais sur l’ouverture d’une nouvelle enquête et l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection, les entreprises inspectées pourraient former un recours en annulation contre ladite décision en contestant la légalité des indices l’ayant fondée comme ayant été irrégulièrement obtenus lors de l’inspection précédente (voir point 91 ci-dessus).
102 Il s’ensuit que sont dépourvues de pertinence les allégations des requérantes fondées sur des arrêts de la Cour EDH ayant constaté une violation du droit à un recours effectif au motif que l’une des voies de recours susvisées faisait défaut. En particulier, ne sont pas transposables au cas d’espèce les constatations de la Cour EDH dans son arrêt Delta Pekárny (points 82 à 94), dès lors que la législation tchèque en cause n’avait pas institué de voie de recours spécifique permettant de contester les décisions d’inspection. En effet, la seule possibilité dont disposaient les entreprises inspectées pour soulever des questions concernant la légalité de l’inspection était une action ayant pour objet les conclusions au fond de l’autorité de la concurrence et, dans ce cadre, des questions comme la nécessité, la durée ou l’étendue de l’inspection ainsi que sa proportionnalité ne pouvaient pas être examinées (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 37), alors qu’elles auraient pu l’être dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision d’inspection.
103 S’agissant, deuxièmement, de la condition d’efficacité, il peut être constaté que les voies de droit susvisées permettent un contrôle tant préventif grâce à l’action en référé, empêchant que les opérations d’inspection ne soient finalisées (voir point 96 ci-dessus), que curatif et postérieur à la réalisation des opérations d’inspection, grâce aux autres voies de droit. Il y a lieu de souligner, à cet égard, que la jurisprudence de la Cour EDH n’exige pas la réunion d’un contrôle a priori et a posteriori, dès lors qu’elle les envisage à titre alternatif (voir point 82 ci-dessus). Ainsi, même si, comme le font valoir les requérantes en l’espèce, l’action en référé n’aurait pas l’efficacité requise, il reste que les recours pouvant être introduits a posteriori fournissent, en tout état de cause, au justiciable un redressement approprié.
104 Ainsi, en cas d’annulation de la décision d’inspection, la Commission se voit empêchée d’utiliser à l’effet de la procédure d’infraction aux règles de concurrence tous les documents ou pièces probantes qu’elle a réunis dans le cadre de cette inspection (arrêts du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 49, et du 12 décembre 2012, Almamet/Commission, T‑410/09, non publié, EU:T:2012:676, point 31). En particulier, une telle annulation entraîne inévitablement celle de la nouvelle décision d’inspection qui aurait été adoptée exclusivement sur le fondement des documents saisis à l’occasion de la première inspection irrégulière (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑621/16, non publié, EU:T:2018:367, points 39 et 40).
105 De même, dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale de la Commission, la conséquence du constat d’une irrégularité dans le déroulement de l’inspection réside dans l’impossibilité pour la Commission d’utiliser les éléments de preuve ainsi recueillis aux fins de la procédure d’infraction (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 45 et jurisprudence citée), ce qui peut conduire à l’annulation de la décision constatant et sanctionnant l’infraction, lorsque les éléments de preuve concernés sont déterminants aux fins de ces constatation et sanction.
106 En outre, même dans l’hypothèse où une décision de constatation et de sanction d’infraction n’aurait pas été adoptée, il convient de rappeler que sont encore ouvertes, d’une part, la voie de la demande d’annulation de certaines mesures adoptées au cours de l’inspection (voir points 36 et 37 ci-dessus) et, d’autre part, la voie de la demande indemnitaire (voir point 98 ci-dessus). Or, ces deux voies de droit permettent d’obtenir, respectivement, la disparition de l’ordre juridique des mesures d’inspection annulées et l’indemnisation du préjudice subi du fait desdites mesures, dès avant et indépendamment de la clôture de l’éventuelle procédure d’infraction subséquente. Il convient de préciser, à cet égard, que, dans la mesure où l’appréciation des voies de recours et du caractère approprié du redressement qu’elles permettent doit être effectuée de manière globale (voir point 83 ci-dessus) et où d’autres voies de droit empêchent la Commission d’utiliser les documents irrégulièrement copiés, il est indifférent que la voie indemnitaire ne l’empêche pas. Il ne saurait en particulier être déduit de l’arrêt Ravon que la Cour EDH exigerait, pour constater l’efficacité du contrôle juridictionnel des opérations d’inspection, que les recours en cause se soldent par une décision d’interdiction de l’utilisation des pièces et des témoignages obtenus. En effet, la Cour EDH s’est bornée, dans cet arrêt, à appliquer la méthode d’appréciation globale des voies de recours disponibles en jugeant que le recours indemnitaire ne suffisait pas à compenser les insuffisances des autres voies de recours, notamment des recours en annulation prévus par la législation française en cause (arrêt Ravon, point 33), lesquels ne présentaient pas l’efficacité des recours en annulation possibles devant le juge de l’Union.
107 S’agissant, troisièmement, de la condition de certitude, elle est principalement contestée par les requérantes au motif qu’il ne serait pas certain que les actes susceptibles d’être contestés par les diverses voies de droit susvisées soient adoptés. En particulier, la Commission n’adopterait pas nécessairement une décision constatant une infraction et sanctionnant son auteur à la suite d’une inspection. Toutefois, la condition de certitude doit être interprétée non comme nécessitant l’ouverture de l’ensemble des voies de droit théoriquement possibles dans toutes les hypothèses et quelles que soient les mesures prises à la suite de l’inspection, mais comme exigeant l’ouverture de celles à même de contester les mesures produisant des effets négatifs à l’égard de l’entreprise inspectée au moment où lesdits effets se produisent. Partant, dans l’hypothèse où de tels effets négatifs ne consisteraient pas en une décision de constat ou de sanction d’infraction, l’absence de possibilité de recours contre cette décision ne saurait être considérée comme portant atteinte à l’exigence d’un recours certain contre les mesures prises lors d’une inspection.
108 Une autre interprétation ne peut être déduite des arrêts Canal Plus et Primagaz (voir point 82 ci-dessus). En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Cour EDH n’a pas jugé, dans ces arrêts, que l’accessibilité du recours contre la décision autorisant l’inspection était rendue incertaine du fait des incertitudes entourant l’adoption d’une décision au fond par l’autorité de concurrence. Elle s’est notamment bornée à constater, dans les circonstances particulières du régime transitoire institué par le législateur français, que l’action permise par ce régime contre l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire était conditionnée par l’existence d’un recours pendant contre la décision au fond, ce qui créait une conditionnalité rendant effectivement l’accessibilité de ladite action incertaine (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 48). Il peut être relevé au surplus qu’une telle conditionnalité n’existe pas dans le système des voies de recours en matière d’inspections de la Commission. En effet, article 101 TFUE et ne pourrait d’ailleurs pas l’être, eu égard au délai de recours fixé par l’article 263 TFUE.
109 S’agissant, quatrièmement, de la condition du délai raisonnable, il y a lieu de relever que les requérantes ne fondent pas leur allégation du non-respect de cette condition sur la durée des instances devant le juge de l’Union et admettent par ailleurs l’existence de délais de recours. Elles critiquent uniquement la durée importante pouvant séparer l’inspection de la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE.
110 Or, il ne saurait être déduit d’un tel délai, qui peut certes atteindre plusieurs années, que les recours permettant de contester le déroulement des inspections devant le juge de l’Union ne garantissent pas une protection juridictionnelle effective. En effet, d’une part, est uniquement critiqué le délai séparant l’adoption des mesures d’inspection de la date de leur contestation possible dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale adoptée au titre de l’article 101 TFUE, qui ne constitue que l’une des voies de recours permettant leur contestation. D’autre part et surtout, le temps pendant lequel les mesures d’inspection en cause sont maintenues doit être mis en perspective avec le fait que, jusqu’à cette décision finale, la Commission ne prend pas position de manière définitive sur l’existence d’une infraction et la sanction subséquente de l’entreprise inspectée. Si, en revanche, d’autres conséquences dommageables devaient se produire pour l’entreprise inspectée pendant ce délai, telles qu’un comportement préjudiciable de la Commission ou l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection sur la base des informations recueillies, il serait loisible à ladite entreprise de saisir le juge, immédiatement et sans attendre l’issue de la procédure d’infraction, d’un recours en indemnité ou en annulation de la nouvelle décision d’inspection.
111 Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’illégalité de l’article 20 du règlement n° 1/2003, fondée sur la violation du droit à un recours effectif, doit être écartée comme non fondée.
112 Il convient d’ajouter que, dans la mesure où les requérantes font valoir, en outre, que les circonstances particulières de l’espèce ne permettent pas de considérer que les décisions attaquées font l’objet d’un recours effectif, en renvoyant à cet égard à leurs arguments exposés au soutien de leurs autres moyens, il y a lieu de renvoyer également à l’examen de ces autres moyens ci-après, sans procéder à l’examen distinct de cette allégation.
2. Sur la méconnaissance de l’obligation de motivation
113 Premièrement, les requérantes soutiennent que, contrairement aux exigences de l’article 296 TFUE, de l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 et de la jurisprudence, les décisions attaquées ne font pas apparaître avec suffisamment de précision l’objet et le but de l’inspection. En effet, les échanges d’informations visés seraient si larges que les décisions attaquées habiliteraient en pratique la Commission à se saisir de toute pratique horizontale illégale d’échange d’informations avec l’un quelconque des nombreux acteurs de la distribution en Europe. Deuxièmement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir manqué à son obligation d’énoncer précisément les présomptions qu’elle entendait vérifier et d’indiquer de manière circonstanciée le fait qu’elle disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction. En effet, d’une part, les décisions attaquées ne feraient pas apparaître ce qui est recherché ainsi que les éléments sur lesquels doit porter l’inspection et n’expliqueraient pas en quoi le comportement des requérantes pourrait relever des pratiques suspectées. D’autre part, les décisions attaquées ne feraient pas non plus apparaître de manière circonstanciée que la Commission disposait d’indices matériels suffisamment sérieux pour suspecter une infraction. Les requérantes soulignent, à cet égard, qu’il serait étonnant que les inspecteurs se soient presque exclusivement intéressés à la France et qu’ils se soient focalisés sur la centrale d’achat commune à Intermarché et à Casino, qui ne serait pas mentionnée dans les décisions attaquées. Les requérantes demandent, pour ce motif, au Tribunal d’enjoindre à la Commission de préciser les présomptions et de produire les indices en cause (voir point 14 ci-dessus). Troisièmement, les requérantes soutiennent que les décisions attaquées ne justifieraient pas le choix de la date de l’inspection, laquelle s’est déroulée à quelques jours d’une échéance légale majeure dans le secteur de la grande distribution en France, alors que cela affecterait nécessairement leur capacité à assurer l’organisation de leur défense à l’égard de ladite inspection.
114 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit en outre être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 et jurisprudence citée).
115 Il convient, dès lors, de tenir compte en l’espèce du cadre juridique dans lequel se déroulent les inspections de la Commission. Les articles 4 et 20 du règlement n° 1/2003 confèrent, en effet, des pouvoirs d’inspection à la Commission dans le but de lui permettre d’accomplir sa mission de protéger le marché intérieur des distorsions de concurrence et de sanctionner d’éventuelles infractions aux règles de concurrence dans ce marché (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 33 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 42 et jurisprudence citée).
116 Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement les décisions d’inspection de la Commission, l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 dispose que celles-ci doivent indiquer la date à laquelle l’inspection commence, les sanctions prévues aux articles 23 et 24 dudit règlement et le recours ouvert devant la Cour contre la décision d’inspection, mais aussi l’objet et le but de l’inspection.
117 Il ressort de la jurisprudence que la Commission doit, pour ce faire, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection. Plus précisément, la décision d’inspection doit contenir une description des caractéristiques de l’infraction suspectée, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées, ainsi que les secteurs couverts par la prétendue infraction concernée par l’enquête ainsi que des explications quant à la manière dont l’entreprise est présumée être impliquée dans l’infraction (voir arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, points 58 et 59 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 75 et 77 et jurisprudence citée).
118 Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps les droits de la défense. Il est, en effet, important de mettre en mesure les entreprises visées par les décisions d’inspection leur imposant des obligations, qui comportent des ingérences dans leur sphère privée et dont le non-respect peut les exposer à de lourdes amendes, de percevoir les motifs de ces décisions sans efforts d’interprétation démesurés, de façon qu’elles puissent exercer leurs droits efficacement et en temps opportun (voir, à propos des décisions demandant des renseignements, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 42). Il s’ensuit par ailleurs que la portée de l’obligation de motivation des décisions d’inspection, telle que précisée au point 117 ci-dessus, ne peut en principe être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’investigation (arrêts du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, EU:C:1989:379, point 8, et du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 42).
119 Néanmoins, les inspections interviennent par définition à un stade préliminaire, auquel la Commission ne dispose pas d’informations précises lui permettant de qualifier les comportements en cause d’infraction et impliquant la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37, et du 26 octobre 2010, CNOP et CCG/Commission, T‑23/09, EU:T:2010:452, points 40 et 41 et jurisprudence citée). Ainsi, pour sauvegarder l’effet utile des inspections et pour des raisons tenant à leur nature même, il a été admis que la Commission n’était tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle disposait à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 80 et jurisprudence citée ; conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:223, points 48 et 49).
120 En l’espèce, les requérantes font valoir que la motivation des décisions attaquées serait insuffisante quant à l’indication de l’objet et du but de l’inspection litigieuse, à la communication des indices ayant justifié l’inspection, à l’indication de la date de l’inspection ainsi qu’à l’explication de leur implication dans les infractions présumées.
a) Quant à l’objet et au but de l’inspection
121 Il convient de rappeler que, aux fins de concilier la garantie de l’efficacité des inspections et la protection des entreprises inspectées, le juge de l’Union, d’une part, a jugé que la décision d’inspection devait indiquer le marché présumé en cause, les secteurs couverts par la prétendue infraction ainsi que la nature des restrictions de concurrence suspectées (voir point 117 ci-dessus) et, d’autre part, a estimé que la Commission n’était tenue ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de l’infraction présumée (voir point 119 ci-dessus).
122 Ainsi, en l’espèce, s’agissant, premièrement, de la description des secteurs couverts par les prétendues infractions, il ressort des termes mêmes des décisions attaquées que les marchés visés sont, s’agissant de l’infraction décrite à l’article 1er, sous a), de la première décision attaquée ainsi qu’à l’article 1er, premier alinéa, de la seconde décision attaquée, « les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et […] le marché de [la] vente de services aux fabricants de produits de marque » et, s’agissant de l’infraction décrite à l’article 1er, sous b), de la première décision attaquée, « les marchés de [la] vente aux consommateurs de biens de consommation courante », étant précisé que les biens de consommation courante concernés par la première infraction sont spécifiés comme étant ceux relevant des « secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien » [article 1er, sous a), de la première décision attaquée et article 1er, deuxième alinéa, de la seconde décision attaquée].
123 Les requérantes ne contestent d’ailleurs pas cette description, mais font valoir que l’objet et le but des inspections décidées sont définis de manière si large que les décisions attaquées habiliteraient les agents de la Commission à mener une véritable « expédition exploratoire » (« fishing expedition » selon l’expression anglaise plus connue) sans qu’aucune limite soit fixée à leurs pouvoirs.
124 D’une part, il y a lieu de relever, à cet égard que la question de savoir si les inspecteurs ont procédé à une telle expédition exploratoire dépend du caractère suffisant des indices dont la Commission disposait lors de l’adoption de la décision d’inspection pour justifier une ingérence dans la sphère d’activité privée des entreprises inspectées et doit donc être examinée dans le cadre du moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 58). En d’autres termes, par leur argument, les requérantes critiquent en réalité le bien-fondé des décisions attaquées et non leur motivation insuffisante.
125 D’autre part et surtout, même à supposer que les décisions attaquées couvrent une part très importante, voire la « quasi-totalité [des] activités [des requérantes] au niveau paneuropéen », ainsi que les requérantes l’allèguent, il convient de rappeler qu’il a été jugé que la circonstance qu’un nombre important de comportements de l’entreprise inspectée puisse être visé par l’inspection ne portait pas atteinte à l’exigence de délimitation des secteurs concernés. En effet, selon le Tribunal, au terme d’un raisonnement qui relève certes davantage du bien-fondé que de la motivation de la décision d’inspection, il n’y a pas lieu de rejeter d’emblée la possibilité qu’une inspection porte sur l’ensemble des comportements d’une entreprise (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 176 ; voir également, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 52 et 53).
126 S’agissant, deuxièmement, de la délimitation géographique des marchés concernés, elle vise, d’une part, « plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France » [article 1er, sous a), de la première décision attaquée] et la « France » [article 1er, sous b), de la première décision attaquée] ou, d’autre part, « notamment la France et l’Allemagne » (article 1er de la seconde décision attaquée) et correspond ce faisant à une délimitation suffisante du marché concerné au regard de la jurisprudence mentionnée aux points 117 et 119 ci-dessus. En outre, l’emploi de l’adverbe « notamment » a été jugé par le Tribunal comme ne posant pas de problème au regard de l’obligation de motivation de la Commission à propos de la description des comportements anticoncurrentiels (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2014, ONP e.a./Commission, T‑90/11, EU:T:2014:1049, point 231), de sorte qu’il peut être considéré qu’il en est a fortiori ainsi s’agissant de la délimitation du ou des marchés concernés.
127 S’agissant, troisièmement, de la nature des restrictions en cause, celles-ci sont clairement spécifiées dans les décisions attaquées comme couvrant des « échanges d’informations » dont l’objet est lui-même précisé, à savoir certains « rabais » et « prix » (article 1er des décisions attaquées) ainsi que certaines « stratégies commerciales futures » (article 1er de la première décision attaquée), eux aussi précisés par l’indication des marchés de produits et de services concernés. La Commission a par ailleurs indiqué que de tels échanges, s’ils étaient avérés, correspondraient à des « pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] ».
128 Il peut être ajouté que les échanges d’informations et plus généralement les pratiques concertées étant le plus souvent de nature secrète, exiger la fourniture de détails relatifs aux échanges en cause reviendrait à nier totalement la nature préliminaire des inspections de la Commission, qui implique la faculté de rechercher des éléments d’information qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés au moment de la décision d’inspection (voir point 119 ci-dessus). En particulier, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la prétendue connaissance du secteur par la Commission, laquelle doit au demeurant être relativisée au regard du questionnaire envoyé aux fournisseurs en vue des entretiens (voir point 176, deuxième tiret, ci-après) leur demandant de nombreux éclaircissements sur son fonctionnement, n’implique pas que celle-ci soit informée des dysfonctionnements de ce secteur, le cas échéant, contraires au droit de la concurrence.
129 Il est par ailleurs indifférent que la Cour et le Tribunal aient pu juger, à propos d’autres décisions d’inspection de la Commission, qui comportaient davantage de détails concrets quant aux comportements anticoncurrentiels en cause, que lesdites décisions étaient suffisamment motivées (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 11). Il s’ensuit que ne remet pas davantage en cause les considérations qui précèdent la circonstance, alléguée par les requérantes, que la Commission ait décrit de manière plus circonstanciée les présomptions d’infractions en cause dans sa décision C(2019) 3762, du 13 mai 2019, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux, de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil (AT.40466 – Tute 1).
130 Il peut en être conclu qu’il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir rempli en l’espèce son obligation d’énoncer précisément les présomptions qu’elle entendait vérifier. Il s’ensuit par ailleurs qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de mesure d’organisation de la procédure ordonnant à la Commission de préciser les présomptions à l’origine des décisions attaquées.
131 Pour l’ensemble de ces raisons, le grief relatif à la motivation insuffisante de l’objet et du but de l’inspection décidée doit être écarté.
b) Quant aux indices ayant justifié l’inspection
132 Il y a lieu d’écarter d’emblée le grief des requérantes reprochant à la Commission de ne pas leur avoir communiqué les indices à l’origine des décisions attaquées, eu égard à l’absence d’obligation de la Commission d’indiquer dans une décision d’inspection les indices ayant justifié ladite inspection. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante se prononçant sur les éléments devant être communiqués à l’entreprise inspectée en vue d’assurer la protection de ses droits de la défense à l’égard de la Commission que cette dernière n’est pas tenue de lui indiquer, dans la décision d’inspection ou au cours de l’inspection, les indices ayant justifié ladite inspection. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, points 45, 50 et 51 ; du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 48 ; du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 69 ; du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 37 ; du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 81, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, points 45 et 46). Ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 78 et jurisprudence citée).
133 Il reste que, si la Commission n’a pas l’obligation d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, les indices la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE, elle est tenue, afin d’établir le caractère justifié de l’inspection, de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée (voir arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 60 et jurisprudence citée ; arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 172).
134 Or, en l’espèce, il ressort clairement des considérants 8 des décisions attaquées et des informations relatives aux infractions présumées données dans lesdites décisions, comme consistant en des pratiques d’échanges d’informations portant notamment sur les rabais et les stratégies commerciales futures, que la Commission a fait apparaître de manière circonstanciée qu’elle estimait disposer d’indices matériels sérieux l’ayant amenée à suspecter les pratiques concertées en cause.
135 En attestent en effet, outre les précisions relatives à l’objet des échanges d’informations suspectés, aux considérants 4 et 5 de la première décision attaquée ainsi qu’au considérant 5 de la seconde décision attaquée, celles données au considérant 8 des décisions attaquées, introduites par les termes « D’après les renseignements dont dispose la Commission » et relatives aux modalités des échanges, aux personnes impliquées (qualité et nombre approximatif) ainsi qu’aux documents litigieux (nombre approximatif, lieu et forme de leur conservation).
136 Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir spécifié le type de renseignements en cause et leur provenance. En effet, outre le fait que de telles précisions ne sont pas indispensables pour faire apparaître de manière circonstanciée la détention d’indices matériels sérieux, la communication des précisions en cause risquerait de compromettre sérieusement les possibilités pour la Commission d’obtenir des informations provenant de sources souhaitant conserver l’anonymat, telles que celles à l’origine de l’inspection litigieuse. Or, il importe de rappeler que l’aptitude de la Commission à garantir l’anonymat à certaines de ses sources d’information revêt une importance cruciale dans la perspective d’une prévention et d’une répression efficaces des pratiques anticoncurrentielles prohibées (arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 64).
137 Par ailleurs, il importe de préciser que les considérations qui précèdent sont limitées à l’examen du caractère suffisant de la motivation des décisions attaquées et répondent uniquement à la question de savoir si la Commission a mentionné dans ses décisions les informations requises par la jurisprudence, à savoir celles attestant qu’elle estimait disposer d’indices matériels sérieux de l’existence des pratiques concertées présumées. En revanche, n’est pas traitée dans ce cadre la question de savoir si la Commission a, à juste titre, estimé qu’elle disposait de tels indices matériels suffisamment sérieux, laquelle sera abordée lors de l’examen du moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.
138 Il convient, par conséquent, d’écarter le grief tiré de l’absence de communication des indices ayant justifié l’inspection ainsi que des informations relatives à ces indices.
c) Quant à la date de l’inspection
139 Il y a lieu de rappeler que l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003 prévoit que la décision d’inspection doit indiquer la date à laquelle l’inspection commence (voir point 116 ci-dessus). En revanche, il n’est pas exigé, et il ne ressort pas davantage de la jurisprudence ayant interprété cette disposition, que la Commission doive au surplus justifier le choix de la date retenue.
140 Les arguments avancés par les requérantes, fondés principalement sur les conséquences dommageables causées par la date choisie en l’espèce, ne sauraient conduire à ajouter à l’obligation pour la Commission de motiver ses décisions d’inspection celle de motiver le choix de la date retenue pour débuter l’inspection.
141 Il importe de rappeler, en effet, que l’obligation de motivation vise à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle sur ladite mesure (voir point 114 ci-dessus). Or, ainsi qu’il ressort de l’examen du moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile, qui sera effectué aux points 167 à 171 ci-après, l’absence de justification de la date retenue pour débuter l’inspection n’empêche ni les requérantes de contester ladite date, ni le Tribunal de contrôler la justification de cette date.
142 Par conséquent, le grief relatif à l’absence de justification de la date retenue pour débuter l’inspection doit être écarté.
d) Quant à la participation des requérantes aux infractions présumées
143 En tant que garantie fondamentale pour la préservation des droits de la défense de l’entreprise inspectée, la jurisprudence exige que la décision d’inspection contienne des explications quant à la manière dont l’entreprise est présumée être impliquée dans l’infraction (voir point 117 ci-dessus).
144 Il y a lieu de considérer, en l’espèce, que les décisions attaquées contiennent les explications requises à cet égard.
145 En particulier, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait être reproché à la Commission une insuffisance de motivation des décisions attaquées, au motif qu’elles ne viseraient pas nommément Intermarché Casino Achats (ci-après « INCA »), qui aurait pourtant été principalement visée par les mesures d’inspection adoptées sur le fondement desdites décisions. En effet, indépendamment même du fait que cet argument dépasse le cadre formel de l’examen du respect de l’obligation de motivation, il y a lieu de préciser qu’INCA est une entreprise commune formée par Casino et Intermarché et qu’elle est, à ce titre, une « société directement ou indirectement contrôlée par [les requérantes] », visée par l’article 1er des décisions attaquées.
146 Par ailleurs, contrairement à ce que laissent entendre les requérantes, en se contentant de soutenir que les décisions attaquées « n’explicitent absolument pas en quoi [leur] comportement pourrait relever des pratiques suspectées », les requérantes sont directement ou indirectement désignées et à plusieurs reprises comme ayant pris part aux échanges d’informations litigieux (voir considérants 4 et 5 et article 1er de la première décision attaquée ainsi que considérant 5 et article 1er de la seconde décision attaquée).
147 Par conséquent, le grief relatif à l’insuffisance de motivation des décisions attaquées pour ce qui a trait à la participation des requérantes aux infractions suspectées doit être écarté, de même que doit l’être, partant, le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation dans son ensemble.
3. Sur la violation du droit à l’inviolabilité du domicile
148 Le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile constitue un principe général du droit de l’Union qui est désormais exprimé à l’article 7 de la Charte, lequel correspond à l’article 8 de la CEDH (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 19 et jurisprudence citée).
149 Selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. Cette exigence de protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne concerne tant les personnes physiques que les personnes morales (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 83 et jurisprudence citée).
150 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose par ailleurs que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
151 Il importe également de préciser que, s’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que la protection prévue à l’article 8 de la CEDH peut s’étendre à certains locaux commerciaux, il n’en demeure pas moins que cette Cour a jugé que l’ingérence publique pourrait aller plus loin pour des locaux ou des activités professionnels ou commerciaux que dans d’autres cas (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 20 et jurisprudence de la Cour EDH citée). La Cour EDH a néanmoins constamment rappelé qu’un degré acceptable de protection contre les ingérences attentatoires à l’article 8 de la CEDH impliquait un cadre légal et des limites stricts (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 73 et jurisprudence de la Cour EDH citée).
152 S’agissant plus particulièrement des pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, en cause en l’espèce, il a été jugé que l’exercice de tels pouvoirs constituait une ingérence évidente dans le droit de l’entreprise inspectée au respect de sa sphère d’activité privée, de son domicile et de sa correspondance (arrêts du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 169).
153 Il convient, dès lors, de vérifier si les décisions attaquées remplissent les conditions requises par l’article 7 de la Charte.
154 Les requérantes font valoir, à cet égard, que les décisions attaquées seraient, d’une part, disproportionnées et, d’autre part, arbitraires, en ce que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour justifier l’inspection décidée.
a) Sur le respect du principe de proportionnalité
155 Il convient de rappeler que, selon le considérant n° 24 du règlement n° 1/2003, la Commission doit être habilitée à procéder aux inspections « qui sont nécessaires » pour déceler les accords, décisions et pratiques concertées interdits par l’article 101 TFUE. Il s’ensuit, selon la jurisprudence, qu’il appartient à la Commission d’apprécier si une mesure d’inspection est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence (arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 17 ; voir également, s’agissant d’une décision demandant des renseignements, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 66 et jurisprudence citée).
156 Il reste que cette appréciation est soumise au contrôle du juge et, en particulier, au respect des règles régissant le principe de proportionnalité. Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 117, et du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 22).
157 Les requérantes font valoir, en substance, une ingérence disproportionnée dans leur sphère d’activité privée compte tenu de la durée de l’inspection litigieuse et de la date retenue pour l’inspection.
1) Quant à la durée de l’inspection
158 Les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir fixé de date limite pour la réalisation des opérations d’inspection, en rappelant qu’une telle absence de limitation temporelle était considérée par la jurisprudence comme une ingérence disproportionnée dans le droit à l’inviolabilité du domicile. Elles ajoutent que le juge français, ainsi que cela est d’ailleurs également prévu par d’autres systèmes juridiques nationaux, a fixé une date limite dans son ordonnance susvisée du 17 février 2017 (voir point 7 ci-dessus), ce qui confirmerait que l’indication d’une telle date ne porterait pas atteinte à l’effectivité des inspections.
159 Les décisions attaquées prévoient effectivement, en leur article 2, que « [l]’inspection peut débuter le [20 ou 21] février 2017 ou peu de temps après », sans fixer de date à laquelle l’inspection doit avoir pris fin.
160 Il convient de rappeler qu’une telle mention est conforme à l’article 20, paragraphe 4, du règlement n° 1/2003, lequel exige seulement que la décision d’inspection « fixe la date à laquelle elle commence » (voir point 116 ci-dessus).
161 Il y a lieu de relever, en outre, que le Tribunal a jugé que l’absence de précision quant à la date de fin de l’inspection ne signifiait pas que celle-ci pouvait s’étendre dans le temps de façon illimitée, la Commission étant, à cet égard, tenue au respect d’un délai raisonnable, conformément à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans/Commission, T‑449/14, sous pourvoi, EU:T:2018:456, point 69).
162 Il s’ensuit un encadrement temporel, délimité par la date de début d’inspection fixée dans la décision d’inspection et par la limite du délai raisonnable, qui garantit suffisamment l’absence d’ingérence disproportionnée dans la sphère d’activité privée des entreprises.
163 Une telle délimitation temporelle permet au surplus de garantir pleinement l’effectivité des pouvoirs d’enquête de la Commission. En effet, la limite du délai raisonnable étant appréciée a posteriori et en fonction des circonstances de l’espèce, elle permet de prendre en compte la circonstance que la durée de l’inspection ne peut être connue à l’avance, puisqu’elle dépend du volume d’informations collectées sur le site et d’éventuels comportements d’obstruction commis par l’entreprise concernée.
164 Il peut certes être admis, à la suite des requérantes, que la fixation d’une durée d’inspection a priori ne remet pas en cause, en tant que telle, l’effectivité des inspections. Néanmoins, aux fins de garantir cette effectivité eu égard à la circonstance mentionnée au point 163 ci-dessus, cette durée fixée a priori serait probablement plus longue que la durée effective de l’inspection en l’espèce, en l’occurrence moins de cinq jours, ce qui n’irait pas dans le sens d’une garantie contre des ingérences disproportionnées.
165 Il peut être ajouté que la jurisprudence de la Cour EDH citée par les requérantes n’est pas susceptible de remettre en cause ces considérations. En effet, elle porte sur des opérations de visite ou de saisies effectuées sous la contrainte, impliquant une ingérence plus importante que l’inspection qui a été décidée en l’espèce sans que les agents de la Commission aient fait usage de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement n° 1/2003 et des moyens de contrainte nationaux auxquels il permet d’avoir recours (voir point 85 ci-dessus). Il est ainsi remarquable que l’ordonnance du juge des libertés et de la détention visée aux points 7 et 158 ci-dessus, adoptée en l’espèce à titre préventif pour être utilisée en cas d’opposition à l’inspection, mais qui ne l’a pas été en l’espèce en l’absence d’une telle opposition (article 20, paragraphe 7, du règlement n° 1/2003), fixe une date limite de réalisation des opérations de visite et de saisie.
166 Le grief relatif à la durée de l’inspection doit, partant, être écarté.
2) Quant à la date de l’inspection
167 Les requérantes critiquent la fixation du début de l’inspection par les décisions attaquées dans les jours et heures précédant l’expiration du délai légal pour la finalisation par elles d’importantes négociations commerciales.
168 Il y a lieu de considérer que les requérantes n’établissent pas les inconvénients démesurés et intolérables qu’elles allèguent. Or, elles ne sauraient, à cet égard, se contenter de simples affirmations auxquelles n’est associé aucun véritable élément probatoire (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 103).
169 En effet, les requérantes établissent uniquement que plusieurs responsables des achats ont été privés de leurs téléphones et ordinateurs professionnels pendant un jour et demi au maximum. Or, quand bien même ces personnes joueraient un rôle important dans les négociations en cause, cette durée de privation de certains de leurs outils de travail est très courte au regard de la durée habituelle de ce type de négociations, en moyenne de cinq mois (du 1er octobre au 1er mars de l’année suivante). Il n’est par ailleurs pas allégué, ni a fortiori établi, que ces personnes étaient dans l’incapacité de mener lesdites négociations pendant cette période et pendant toute la durée de l’inspection, notamment au moyen de contacts directs sur place. Il en résulte ainsi tout au plus une gêne dans le déroulement des négociations concernées. Il en est d’autant plus ainsi que les articles de presse produits par les requérantes attestent de l’importance des dernières heures avant l’échéance du 1er mars et que l’inspection litigieuse a pris fin en l’espèce deux jours ouvrables avant ladite échéance auxquels s’ajoutait un week-end, pour lequel les requérantes reconnaissent elles-mêmes que leurs employés avaient été mobilisés de longue date. Il n’est, dès lors, pas déterminant que, ainsi que l’allèguent les requérantes, l’inspection aurait mobilisé entièrement son service juridique.
170 En outre, comme l’a expliqué la Commission dans ses écritures et ainsi que l’ont d’ailleurs admis les requérantes, la date retenue en l’espèce l’a été à dessein, aux fins d’avoir accès au maximum d’employés et de dirigeants concernés par les infractions suspectées, dont la présence serait garantie tant par la fin des congés scolaires que, surtout, par l’imminence de la date butoir du 1er mars pour la conclusion des accords commerciaux susvisés.
171 Il en résulte que le grief relatif à la date de l’inspection retenue doit être écarté ainsi que, par voie de conséquence, l’ensemble des griefs critiquant le caractère disproportionné des décisions attaquées.
b) Sur la détention d’indices suffisamment sérieux par la Commission
172 Il convient de rappeler que la Commission n’a pas l’obligation d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE, dès lors qu’une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que le législateur et le juge de l’Union ont entendu établir entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir point 132 ci-dessus).
173 Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission ne doit pas être en possession d’éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE antérieurement à l’adoption d’une décision d’inspection. En effet, aux fins de respecter le droit des entreprises inspectées à l’inviolabilité de leur domicile, une décision d’inspection doit viser à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée de situations de fait et de droit déterminées à propos desquelles la Commission dispose déjà d’informations, constituant des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, points 82 à 84 et jurisprudence citée).
174 Il appartient alors au juge de l’Union, aux fins de s’assurer que la décision d’inspection ne présente pas un caractère arbitraire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait et de droit susceptible de justifier une inspection, de vérifier si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 43, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 48).
175 Il convient, dès lors, de déterminer quels étaient les indices détenus par la Commission et sur la base desquels elle a ordonné l’inspection litigieuse, avant de procéder à l’appréciation de leur caractère suffisamment sérieux pour suspecter les infractions en cause et justifier légalement l’adoption des décisions attaquées.
1) Sur la détermination des indices en possession de la Commission
176 Il convient de préciser que, en réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal le 3 décembre 2018 ainsi que les 13 mai et 25 septembre 2019, en vue de vérifier si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux justifiant l’adoption des décisions attaquées, celle-ci a produit, les 10 janvier, 5 juin et 18 octobre 2019, les documents suivants :
– des comptes rendus d’entretiens tenus en 2016 et en 2017 par la Commission avec treize fournisseurs des produits de consommation courante concernés qui concluent régulièrement des accords avec Casino et Intermarché (annexes Q.1 à Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019, ci-après les « comptes rendus ») ;
– des échanges de courriers électroniques visant à établir les dates des entretiens concernés et comprenant le questionnaire de la Commission ayant servi de base à ces entretiens (annexes R.1 à R.14 de la réponse de la Commission du 5 juin 2019) ;
– un courrier électronique du 22 novembre 2016 émanant du directeur général d’une association de fournisseurs, retraçant les mouvements et les rapports entre les enseignes de la grande distribution au sein notamment d’associations de grands distributeurs, circonstances qui seraient « de nature à réduire le niveau d’incertitude qui prévaut […] entre certains acteurs de la distribution » (annexe Q.14 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019, telle que complétée par les réponses de la Commission des 5 juin et 18 octobre 2019 ; ci-après le « courrier du directeur de l’association N »), accompagné de plusieurs annexes, à savoir une présentation schématique des participants et du déroulement de la « convention Intermarché » du 21 septembre 2016 (annexe Q.15 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) (ci-après la « convention Intermarché » ou la « convention »), un tableau récapitulant les transferts d’enseignes entre alliances internationales accompagné de plusieurs tableaux indiquant pour chaque alliance internationale les sources potentielles d’informations pouvant résulter de transferts de collaborateurs, de transferts d’enseignes ou d’accords locaux entre enseignes membres d’alliances différentes (annexe Q.16 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), un article de presse datant d’octobre 2016 reprenant les propos d’un directeur d’enseigne (annexe Q.17 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) et un tableau retraçant les mouvements de personnel entre les enseignes (annexe Q.18 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) ;
– plusieurs tableaux reprenant les passages pertinents des documents produits en annexe à la réponse de la Commission du 10 janvier 2019 en vue de présenter de manière synthétique les indices relatifs à chacune des infractions suspectées, à savoir :
– les échanges entre ICDC (Casino) et AgeCore (Intermarché) portant sur les rabais sur les marchés de l’approvisionnement et les prix de vente de services aux fabricants de produits de marque au niveau européen, notamment en France [article 1er, sous a), de la première décision attaquée ; tableau 1 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019] (ci-après la « première infraction »),
– les échanges entre Casino et Intermarché portant sur les stratégies commerciales futures en France [article 1er, sous b), de la première décision attaquée ; tableau 2 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019] (ci-après la « deuxième infraction »),
– les échanges au niveau européen entre AgeCore (Intermarché), d’une part, et Coopernic et Eurelec, d’autre part (article 1er de la seconde décision attaquée ; respectivement tableaux 3 et 4 de la réponse de la Commission du 5 juin 2019) (ci-après la « troisième infraction »).
177 La Commission a par ailleurs déposé, le 19 décembre 2019, une « réponse complémentaire » à la question du Tribunal du 13 mai 2019 (voir point 24 ci-dessus). Cette réponse comprenait, d’une part, une note interne de la direction générale de la concurrence de la Commission du 16 décembre 2016 faisant état des entretiens susvisés menés avec les fournisseurs et des suspicions d’infractions déduites, qui attesterait selon la Commission qu’elle détenait des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter lesdites infractions à la date des décisions attaquées, et, d’autre part, divers documents visant à établir la date de finalisation des comptes rendus. Les requérantes considèrent que cette réponse complémentaire, produite sans justification par la Commission après la clôture de la phase écrite de la procédure, est tardive et, par suite, irrecevable.
178 Il convient de rappeler que, selon l’article 85, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les preuves sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires, les parties principales pouvant encore, à titre exceptionnel, produire des preuves avant la clôture de la phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.
179 Certes, une telle justification de la présentation tardive d’éléments de preuve après le premier échange de mémoires ne saurait être exigée lorsque ceux-ci sont produits en réponse à une mesure d’organisation de la procédure dans le délai requis pour cette réponse (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2018, OY/Commission, T‑605/16, non publié, EU:T:2018:687, points 31, 34 et 35, et du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, point 57).
180 Cependant, dans les hypothèses où l’élément de preuve produit ne répond pas à la demande du Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, points 49, 50, 54 et 55, et du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 54) ou l’est après l’expiration du délai de réponse fixé par la mesure d’organisation de la procédure (arrêt du 9 avril 2019, Close et Cegelec/Parlement, T‑259/15, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:229, point 34), l’obligation de justification de la tardiveté retrouve à s’appliquer.
181 Or, en l’espèce, quand bien même il devrait être considéré, comme l’affirme la Commission, que sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019 visait à compléter celle du 5 juin 2019 et non celle du 10 janvier 2019, qui répondait déjà à une demande du Tribunal la priant de produire les indices ayant justifié l’adoption des décisions attaquées, il y a lieu de relever que cette réponse complémentaire a été déposée plus de six mois après l’expiration du délai imparti par le Tribunal dans sa mesure d’organisation de la procédure du 13 mai 2019, expirant le 5 juin 2019.
182 Il s’ensuit qu’il appartenait à la Commission de justifier la production tardive des pièces annexées à sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019 et que la nécessité d’une telle justification en l’espèce ne saurait être remise en cause par la jurisprudence citée par la Commission lors de l’audience.
183 En effet, dans les arrêts cités, étaient concernées soit des pièces produites dans le délai imparti par la mesure d’organisation de la procédure qui ne l’ont, dès lors, pas été tardivement (arrêts du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, points 35 et 57 ; du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:135, points 26, 36 et 40, et du 28 mars 2019, Pometon/Commission, T‑433/16, sous pourvoi, EU:T:2019:201, points 27, 28 et 328), soit des pièces déposées spontanément en justifiant dûment leur dépôt tardif (arrêt du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, points 32 et 58).
184 Or, en l’espèce, la Commission n’a fourni aucune justification de la tardiveté du dépôt de sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, se contentant de présenter dans ce document ses excuses au Tribunal pour les désagréments que ce dépôt pourrait causer. Par ailleurs, même à supposer que doive être prise en compte la justification avancée lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, selon laquelle la tardiveté du dépôt serait due à un dysfonctionnement interne de la Commission, une telle justification ne saurait valablement fonder la recevabilité de la réponse complémentaire en cause. En effet, une telle allégation, qui se réfère à des difficultés purement internes, ne correspond pas à des circonstances exceptionnelles de nature à permettre la production d’éléments de preuve à l’issue du second échange de mémoires [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Biogena Naturprodukte/EUIPO (ZUM wohl), T‑236/16, EU:T:2017:416, point 19] et n’est au surplus aucunement démontrée par des éléments de preuve qu’aurait rapportés la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 66 et 67). En outre, la date du principal document produit le 19 décembre 2019, à savoir la note interne de la Commission du 16 décembre 2016 (voir point 177 ci-dessus), indique que celle-ci le détenait avant même l’introduction de l’instance et qu’elle était en mesure de le produire avant la clôture de la phase écrite de la procédure, dans les délais fixés pour le dépôt de ses mémoires, et a fortiori en réponse aux mesures d’organisation de la procédure ultérieures. Par ailleurs, si les requérantes ont été mises en mesure par le Tribunal de présenter leurs observations sur la réponse complémentaire de la Commission du 19 décembre 2019, en particulier sur sa recevabilité, par écrit et lors de l’audience, conformément au principe du caractère contradictoire de la procédure, cette circonstance ne saurait exonérer la Commission de son obligation de présenter les éléments au soutien de la légalité des décisions attaquées dans les conditions fixées par le règlement de procédure.
185 Il peut encore être ajouté, même si la Commission ne s’en est pas prévalue, que les pièces annexées à la réponse complémentaire du 19 décembre 2019 ne sauraient être qualifiées de preuves contraires non visées par la règle de forclusion de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure (ordonnances du 21 mars 2019, Troszczynski/Parlement, C‑462/18 P, non publiée, EU:C:2019:239, point 39, et du 21 mai 2019, Le Pen/Parlement, C‑525/18 P, non publiée, EU:C:2019:435, point 48). En effet, le Tribunal a donné l’occasion à la Commission, par ses mesures d’organisation de la procédure des 13 mai et 25 septembre 2019, de répondre aux objections émises par les requérantes quant à la détention d’indices justifiant l’inspection litigieuse, ce que la Commission aurait, dès lors, pu faire par ses réponses des 5 juin et 18 octobre 2019, et ce d’autant que le principal document produit le 19 décembre 2019 datait du 16 décembre 2016 (voir point 184 ci-dessus).
186 La réponse complémentaire de la Commission du 19 décembre 2019 doit, par conséquent, être écartée comme irrecevable.
187 Il en résulte que, aux fins de l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices ayant justifié l’adoption des décisions attaquées, seuls seront pris en compte ceux exposés au point 176 ci-dessus.
2) Sur l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices en possession de la Commission
188 Invitées à présenter leurs observations sur les indices produits par la Commission à la demande du Tribunal (voir point 18 ci-dessus), les requérantes ont fait valoir que les documents en cause devaient être écartés des débats, car entachés d’irrégularités formelles et de problèmes de crédibilité, compte tenu en particulier de l’absence d’enregistrement des entretiens ayant donné lieu aux comptes rendus produits, de l’incitation à la critique lors de ces entretiens, de l’absence d’établissement de la date desdits comptes rendus, de leur réalisation a posteriori et de manière unilatérale par la Commission et de la production tardive de certains des documents en cause, notamment ceux censés fonder la seconde décision attaquée. Elles contestent, à cet égard, la jurisprudence invoquée par la Commission au soutien de son allégation selon laquelle la date pertinente pour l’évaluation de la possession d’indices pour les infractions suspectées est celle des entretiens avec les différents fournisseurs et non celle à laquelle elle a établi le compte rendu de ces entretiens. Les requérantes estiment enfin que, compte tenu notamment de leur degré de généralité, de leur caractère allusif et des faits objectifs et publics sur lesquels ils portent (mouvements de personnel et d’alliances, rencontres officielles), les documents produits ne constituent pas des indices matériels sérieux des infractions présumées identifiées dans les décisions attaquées.
189 Il importe de souligner, à titre liminaire, que l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices à la disposition de la Commission doit être effectuée en prenant en compte la circonstance que la décision d’inspection s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire, destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et à prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure.
190 Partant, il ne saurait à ce stade être exigé de la Commission, préalablement à l’adoption d’une décision d’inspection, qu’elle soit en possession d’éléments démontrant l’existence d’une infraction. Un tel niveau de preuve est requis au stade de la communication des griefs à une entreprise, suspectée d’avoir commis une infraction aux règles de la concurrence, et pour les décisions de la Commission dans lesquelles elle constate l’existence d’une infraction et inflige des amendes. En revanche, pour adopter une décision d’inspection en vertu de l’article 20 du règlement n° 1/2003, il suffit que la Commission dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’existence d’une infraction (arrêts du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 149, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 66). Doivent ainsi être distingués, d’une part, les preuves d’une infraction et, d’autre part, les indices de nature à faire naître une suspicion raisonnable quant à la survenance de présomptions d’infraction (voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 43) ou, selon une autre terminologie également retenue par la jurisprudence, susceptibles de créer un commencement de soupçon portant sur un comportement anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, points 153 et 155).
191 Par conséquent, il y a lieu de vérifier en l’espèce si, au moment de l’adoption des décisions attaquées, la Commission détenait de tels indices matériels sérieux susceptibles de créer une suspicion d’infraction. N’est pas exigé dans ce cadre l’examen de la détention de preuves de nature à établir l’existence des infractions concernées.
192 Cette distinction a des conséquences sur les exigences relatives à la forme, à l’auteur et à la teneur des indices justifiant les décisions d’inspection, lesquelles sont toutes considérées par les requérantes comme n’ayant pas été respectées en l’espèce.
i) Sur la forme des indices ayant justifié les décisions attaquées
193 Il résulte de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision d’inspection que ces derniers ne sauraient être soumis au même degré de formalisme que celui tenant notamment au respect des règles imposées par le règlement n° 1/2003 et par la jurisprudence rendue sur son fondement quant aux pouvoirs d’enquête de la Commission. Si le même formalisme était requis pour la collecte des indices précédant une inspection et le recueil des preuves d’une infraction, cela impliquerait en effet que la Commission doive respecter des règles qui régissent ses pouvoirs d’enquête alors qu’aucune enquête au sens du chapitre V du règlement n° 1/2003 n’a encore été formellement ouverte et que la Commission n’a pas encore fait usage des pouvoirs d’enquête qui lui sont conférés en particulier par les articles 18, 19 et 20 du règlement n° 1/2003, c’est-à-dire n’a pas adopté de mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, notamment une décision d’inspection.
194 Cette définition du point de départ d’une enquête et de la phase d’instruction préliminaire est issue d’une jurisprudence constante, encore confirmée récemment (arrêt du 12 juillet 2018, The Goldman Sachs Group/Commission, T‑419/14, sous pourvoi, EU:T:2018:445, point 241), mais déjà consacrée antérieurement par des arrêts de la Cour (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 182, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, point 38), comme du Tribunal (arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 288), dont certains prenaient appui sur la jurisprudence de la Cour EDH.
195 Ont ainsi été considérées comme pouvant, en principe, constituer des indices justifiant valablement une inspection une dénonciation faite dans le cadre d’une plainte écrite (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 95), laquelle peut conduire à l’ouverture d’une enquête par la Commission même si elle ne remplit pas les conditions prévues pour les plaintes à l’article 7, paragraphe 2, du règlement n° 1/2003 [paragraphe 4 de la communication de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au titre des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 65)], de même qu’une dénonciation orale dans le cadre d’une demande de clémence (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 74).
196 De même, en l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’était pas tenue de respecter les prescriptions imposées par l’article 19 du règlement n° 1/2003 et l’article 3 du règlement (CE) n° 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), telles qu’interprétées par l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), et n’avait donc pas l’obligation d’enregistrer les entretiens avec les fournisseurs ayant donné lieu aux comptes rendus selon les modalités fixées par ces dispositions (voir point 176, premier tiret, ci-dessus).
197 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 1/2003, relevant du chapitre V dudit règlement intitulé « Pouvoirs d’enquête », « [p]our l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête ».
198 L’article 3 du règlement n° 773/2004 précise :
« 1. Lorsque la Commission interroge une personne avec son consentement, conformément à l’article 19 du règlement (CE) n° 1/2003, elle indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien.
2. L’entretien peut être réalisé par tout moyen de communication, y compris par téléphone ou par voie électronique.
3. La Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration. »
199 Il ressort certes de ces dispositions et de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 84 à 91), qu’il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle, au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête de sa part, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre des entretiens formels et des entretiens informels qui échapperaient à cette obligation.
200 Toutefois, il doit être relevé que cette obligation ne s’impose pas s’agissant d’entretiens menés avant l’ouverture d’une enquête par la Commission, laquelle peut notamment être marquée par l’adoption d’une décision d’inspection.
201 En effet, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 19 du règlement n° 1/2003, les entretiens concernés sont ceux visant la « collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », qui par définition doit avoir été ouverte et dont l’objet doit avoir été fixé avant que ne soient menés lesdits entretiens (voir également, en ce sens, le manuel de la procédure en matière de politique de la concurrence de la direction générale « Concurrence » de la Commission, chapitre 8, paragraphes 4, 5 et 22).
202 De même, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), l’entretien à propos duquel la Cour a estimé que s’appliquait l’obligation d’enregistrement, au titre de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et de l’article 3 du règlement n° 773/2004, avait eu lieu après l’ouverture d’une enquête marquée par l’adoption de décisions d’inspection (arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission, T‑286/09, EU:T:2014:547, points 4 à 6). Il ne saurait, partant, en être déduit que cette obligation d’enregistrement s’impose également à des entretiens préalables à l’ouverture d’une enquête.
203 Cette limitation de l’obligation d’enregistrement aux entretiens intervenant dans le cadre d’une enquête ressort également des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788, points 232 et 233). L’avocat général Wahl a estimé qu’il ne résultait pas de la prescription par les dispositions combinées de l’article 19 du règlement n° 1/2003 et de l’article 3 du règlement n° 773/2004 de l’enregistrement des renseignements collectés lors d’entretiens portant sur l’objet d’une enquête que la Commission n’était jamais en mesure de nouer des contacts informels avec des tiers. Il s’est fondé, à cet égard, sur le libellé clair de l’article 19 du règlement n° 1/2003 lui-même pour considérer que seuls les propos se rapportant à l’objet d’une enquête relevaient du champ d’application de cette disposition et que la Commission n’était tenue d’aucune obligation d’enregistrer les propos qu’elle échangeait avec les tiers, lorsqu’ils ne concernaient pas l’objet d’une enquête donnée.
204 S’il en était autrement, il serait gravement porté atteinte à la détection des pratiques infractionnelles par la Commission et à la mise en œuvre de ses pouvoirs d’enquête à cet effet. La Commission a ainsi souligné, lors de l’audience, les potentiels effets dissuasifs que pouvait avoir un interrogatoire formel, tel que prévu par l’article 3 du règlement n° 773/2004, sur la propension de témoins à fournir des informations et à dénoncer des infractions, étant précisé que de telles informations représentent une part importante des indices à l’origine de l’adoption de mesures d’enquête, telles que des inspections.
205 Or, en l’espèce, les entretiens avec les fournisseurs se sont tenus avant l’ouverture d’une enquête au titre du règlement n° 1/2003. Eu égard au questionnaire sur la base duquel ils ont été menés, interrogeant les fournisseurs sur leurs rapports avec les alliances de distributeurs et, de manière totalement ouverte, sur leur connaissance de possibles impacts de ces alliances sur la concurrence, il ne saurait, en effet, être considéré que ces entretiens impliquaient, à l’égard des requérantes et a fortiori à l’égard des fournisseurs, un quelconque reproche d’avoir commis une infraction. En atteste également la mention figurant dans les courriers électroniques envoyés par la Commission aux fournisseurs en vue de les inviter aux entretiens litigieux. Selon ce passage, en effet, dont la lecture a été faite lors de l’audience par la Commission, « [s]i l’information s’avère pertinente pour une enquête, elle sera officiellement demandée par la Commission à un stade ultérieur dans le cadre d’une telle enquête ».
206 Il s’ensuit que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs ne sauraient être écartés comme entachés d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 19 du règlement n° 1/2003 et l’article 3 du règlement n° 773/2004. Il n’y a, dès lors, pas lieu de se prononcer sur l’allégation de la Commission selon laquelle les comptes rendus constitueraient des enregistrements conformes à ces dispositions.
207 Il en résulte par ailleurs que ne peut prospérer l’argument avancé par les requérantes selon lequel la Commission ne détenait pas, à la date d’adoption des décisions attaquées, les indices issus de ses entretiens avec les treize fournisseurs, faute d’avoir établi la date des comptes rendus desdits entretiens.
208 En effet, ainsi qu’il ressort de ce qui précède et que le souligne pertinemment la Commission, la date pertinente à prendre en compte pour la détermination de la détention d’indices à la date des décisions attaquées est celle des entretiens avec les fournisseurs qui ont fait l’objet des comptes rendus. C’est à cette date que les informations retranscrites par la suite dans les comptes rendus ont été communiquées à la Commission et que cette dernière pouvait être considérée comme les détenant. Les comptes rendus rédigés ensuite, même s’ils permettent de déterminer la teneur des entretiens avec les fournisseurs et doivent être pris en compte à ce titre, ne sont pas les documents permettant d’établir la date à laquelle la Commission détenait les indices résultant des entretiens. En d’autres termes, les entretiens avec les fournisseurs ne sont pas devenus des « indices » à la disposition de la Commission à partir du moment où ils ont fait l’objet de comptes rendus par la Commission, mais étaient des « indices » à la disposition de la Commission dès la date où ils ont eu lieu.
209 À cet égard, il est pertinent de rappeler ici, à l’instar de la Commission, la jurisprudence certes rendue dans le contexte spécifique des procédures de clémence, mais dont la portée dépasse ce contexte, compte tenu du caractère général du concept interprété, celui de la « possession » d’éléments de preuve, et de l’interprétation logique, raisonnable et d’effet utile qui en a été retenue. Selon cette jurisprudence en effet, la possession par la Commission d’un élément de preuve équivaut à la connaissance de son contenu [arrêts du 9 juin 2016, Repsol Lubricantes y Especialidades e.a./Commission, C‑617/13 P, EU:C:2016:416, point 72, et du 23 mai 2019, Recylex e.a./Commission, T‑222/17, sous pourvoi, EU:T:2019:356, point 87 (non publié) ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, points 77 à 83]. Ainsi, en l’espèce et par analogie, les entretiens de la Commission avec les treize fournisseurs peuvent être considérés comme impliquant la connaissance des informations communiquées lors de ces entretiens et la détention des informations en cause à la date desdits entretiens.
210 S’il en était autrement, cela reviendrait à considérer que les indices pouvant justifier des inspections ne pourraient revêtir uniquement une forme orale, alors qu’une obligation de transcription formelle non seulement n’est pas requise à ce stade par les dispositions pertinentes (voir points 200 à 206 ci-dessus), mais au surplus pourrait compromettre l’efficacité des enquêtes de la Commission en obligeant cette dernière à avoir recours à la procédure d’enregistrement prévue par l’article 3 du règlement n° 773/2004 (information préalable, mise en place d’un procédé d’enregistrement, mise à disposition d’une copie de l’enregistrement pour approbation, fixation d’un délai d’approbation) et ainsi à retarder la date de l’inspection, alors qu’il est primordial d’adopter rapidement les décisions d’inspection après la communication d’informations sur de potentielles infractions pour minimiser les risques de fuite et de dissimulation de preuves (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, points 61 et 62).
211 Il peut, dès lors, être conclu que la Commission s’est valablement fondée sur les dates de ses entretiens avec les treize fournisseurs pour établir qu’elle détenait les indices issus de ces entretiens à la date des décisions attaquées.
212 En outre, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les éléments de preuve produits par la Commission en annexe à sa réponse du 5 juin 2019 (annexes R.1 à R.13) non seulement sont recevables, en ce qu’ils ont été produits en réponse à la première question posée par le Tribunal à propos de la problématique spécifique de la date des indices détenus, mais également établissent effectivement que les entretiens avec les treize fournisseurs ont eu lieu avant les 9 et, a fortiori, 21 février 2017, dates de l’adoption des décisions attaquées.
213 Tout d’abord, ces annexes attestent de prises de rendez-vous par courriers électroniques pour des entretiens à des dates antérieures au 9 février 2017, comprises entre le 4 octobre 2016 et le 8 février 2017.
214 Est indifférente la circonstance que, pour deux des fournisseurs interrogés, le dernier échange avec la Commission ait eu lieu la veille de l’adoption des décisions du 9 février 2017. En effet, la date pertinente est celle des échanges qui, dans la mesure où ils sont intervenus le 8 février 2017, restent antérieurs à la date d’adoption des décisions attaquées, intervenue les 9 et 21 février 2017.
215 En tout état de cause, même si devait être prise en compte la date d’établissement des comptes rendus, il ne peut être déduit de la date de ce dernier échange, comme le font les requérantes, que la Commission a nécessairement rédigé l’ensemble des comptes rendus après le 9 février 2017. D’une part, seuls deux fournisseurs, et ainsi deux comptes rendus sur treize, sont concernés. D’autre part, la Commission a indiqué avoir rédigé les comptes rendus en vue de satisfaire à ce qu’elle estimait être une obligation d’enregistrement des déclarations des fournisseurs en vertu de l’article 3 du règlement n° 773/2004 (voir point 206 ci-dessus), ce qui conforte son allégation selon laquelle lesdits comptes rendus ont été rédigés au fur et à mesure des échanges, soit dès le début de ces échanges datant majoritairement de la fin de l’année 2016. Les deux comptes rendus en cause étaient ainsi rédigés, à tout le moins en partie, à la date des décisions attaquées, voire même pouvaient raisonnablement être considérés comme comportant à cette date l’essentiel des données figurant dans leur version finalisée, dès lors qu’il ressort de ces comptes rendus que le dernier échange du 8 février 2017 faisait suite à d’autres et visait à obtenir quelques dernières précisions. Il importe de rappeler, à cet égard, l’impératif de célérité qui guide l’adoption des décisions d’inspection pour minimiser les risques de fuite à la suite de dénonciations (voir point 210 ci-dessus).
216 Il peut également être ajouté que, même si devaient être prises en compte l’allégation et les pièces justificatives fournies par la Commission, dans sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, en vue d’établir que les comptes rendus auraient été finalisés – et non établis – entre la date du dernier entretien et le 9 février 2017, cette finalisation concomitante à la date des décisions du 9 février 2017 ne permettrait pas de remettre en cause les considérations qui précèdent. En effet, il peut être déduit de la note interne de la Commission du 16 décembre 2016, jointe en annexe à cette réponse complémentaire, comprenant une synthèse très détaillée des informations recueillies au cours des entretiens, que la Commission avait, dès cette date, établi des comptes rendus déjà très aboutis, quoique non finalisés.
217 Ensuite, les éléments de preuve produits en l’espèce pour établir la date à laquelle les entretiens ont été fixés suffisent à démontrer que les entretiens en cause ont eu lieu avec les treize fournisseurs aux dates fixées. En attestent les dates indiquées dans les agendas électroniques des agents concernés de la Commission (reproduits dans les parties finales des annexes R.1 à R.13 de la réponse de la Commission du 5 juin 2019) qui correspondent aux dates indiquées dans les courriers électroniques visant à fixer ces dates échangés entre la Commission et des interlocuteurs extérieurs (reproduits dans les parties initiales des annexes R.1 à R.13), interlocuteurs dont la qualité de fournisseur découle clairement du questionnaire joint en annexe à ces courriers, intitulé « Questions sur les alliances d’achats entre détaillants aux fournisseurs de produits approvisionnant les détaillants ».
218 Enfin et pour les mêmes motifs, en particulier les liens évidents entre le questionnaire susvisé et les éléments repris dans les comptes rendus, il peut être considéré que les échanges fixés dans les courriers électroniques sont bien ceux ayant donné lieu aux comptes rendus. En effet, les comptes rendus suivent tous un plan contenant en substance les mêmes subdivisions (notamment alliances avec lesquelles le fournisseur a conclu des accords et contreparties, échanges d’informations, transferts de personnel), qui atteste que sont reprises à tout le moins une partie des réponses au questionnaire (essentiellement partie I, comprenant les questions 1 à 10, et partie III du questionnaire, regroupant les questions 15 à 18).
219 Il résulte ainsi de tout ce qui précède que la Commission disposait à la date des décisions attaquées des indices synthétisés au sein des comptes rendus et que ces derniers peuvent être pris en compte dans l’analyse de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux, sans qu’il y ait lieu de déterminer précisément les dates de création et de finalisation des comptes rendus.
220 Il s’ensuit que doivent être écartées l’ensemble des critiques formelles mettant en cause les indices présentés par la Commission.
ii) Sur les auteurs des indices ayant justifié les décisions attaquées
221 Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante relative à l’appréciation des preuves d’une infraction, le seul critère pertinent pour apprécier ces preuves réside dans leur crédibilité, étant précisé que la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu et qu’il convient, notamment, d’accorder une grande importance à la circonstance qu’un document a été établi en liaison immédiate avec les faits ou par un témoin direct de ces faits (voir arrêts du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 45 et jurisprudence citée, et du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, point 95 et jurisprudence citée).
222 L’application de ces critères d’appréciation des preuves d’une infraction aux indices justifiant une inspection ne saurait conduire à exclure le caractère d’indice suffisamment sérieux de l’ensemble des indices n’émanant pas directement des entreprises inspectées. Cela ferait obstacle à toute qualification d’indice suffisamment sérieux pour des déclarations ou des documents émanant de tiers et, ce faisant, priverait la Commission de l’essentiel de ses possibilités de mener des inspections.
223 En effet, si les preuves des infractions sont le plus souvent des preuves directes émanant des entreprises auteures de ces infractions, les indices permettant de suspecter des infractions émanent en général de tiers aux infractions, qu’il s’agisse d’entreprises concurrentes ou victimes des agissements infractionnels ou d’entités publiques ou privées sans aucun lien avec ces agissements (experts ou autorités de concurrence par exemple).
224 Ainsi, en l’espèce, contrairement à ce que prétendent les requérantes, la circonstance que les indices produits émanent de tiers aux entreprises inspectées, en l’occurrence les fournisseurs qui auraient des rapports tendus avec Casino et Intermarché, le directeur d’une association défendant les intérêts des fournisseurs et la Commission qui décidera de l’éventuelle sanction des requérantes, ne suffit pas à exclure leur qualification d’indices suffisamment sérieux.
225 S’agissant, premièrement, de la valeur probante des déclarations des fournisseurs reprises dans les comptes rendus, il importe de souligner que ces fournisseurs ont des relations commerciales avec les distributeurs et peuvent ainsi pâtir directement du comportement infractionnel suspecté de ces derniers. Ils peuvent donc avoir un intérêt à voir sanctionner les distributeurs. Toutefois, en raison précisément des relations commerciales qu’ils entretiennent avec les distributeurs, ils ont, à la différence de simples concurrents des auteurs d’infraction, une connaissance directe des effets le cas échéant attribuables à cet éventuel comportement infractionnel. Dans cette mesure, la prudence requise par la jurisprudence quant à l’interprétation des dénonciations d’entreprises à l’égard d’autres entreprises lorsque les premières ont un intérêt à voir sanctionner les secondes (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, Mitsubishi Electric/Commission, T‑133/07, EU:T:2011:345, point 88) ne saurait pleinement trouver à s’appliquer aux déclarations des fournisseurs, en particulier lorsque, comme en l’espèce, ces derniers font état de données factuelles précises issues des relations commerciales qu’ils entretiennent avec les auteurs présumés de l’infraction. Est par ailleurs indifférente, à cet égard, la circonstance relevée par les requérantes que la Commission ne se serait pas montrée préoccupée par les fonctions des personnes entendues, dès lors que celle-ci ne saurait s’immiscer dans la désignation des personnes le mieux à mêmes de répondre au questionnaire, laquelle incombe aux seuls fournisseurs.
226 S’agissant, deuxièmement, de la valeur probante du courrier du directeur de l’association N, contestée par les requérantes, la Commission a précisé, en réponse à plusieurs questions posées par le Tribunal, que cette association regroupait des fournisseurs.
227 Il en résulte certes que la prudence dans la prise en compte de ce courrier, requise par la jurisprudence citée au point 225 ci-dessus, peut plus difficilement être atténuée pour ledit courrier, dans la mesure où il est probable que les propos du directeur ne soient que des propos rapportés ne traduisant pas une connaissance personnelle et directe des relations commerciales concernées.
228 Cependant, le courrier du directeur de l’association N ne peut pour autant être considéré comme dépourvu de toute valeur probante. En effet, il repose sur des données factuelles publiques relatives à la convention Intermarché, aux mouvements d’enseignes entre les alliances ainsi qu’aux mouvements de personnel entre les enseignes, ainsi que l’admettent d’ailleurs les requérantes. Or, contrairement à ce que prétendent les requérantes, ces données, reprises en annexe au courrier du directeur (annexes Q.15, Q.16, p. 1, et Q.18 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), peuvent utilement, par leur caractère objectif, compléter d’autres informations plus subjectives issues de l’interprétation desdites données (voir, pour la prise en compte de données publiques en plus d’une dénonciation, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 84, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 57).
229 S’agissant, troisièmement, de la valeur probante des comptes rendus établis par la Commission, il y a lieu de rappeler que ces comptes rendus visent à matérialiser et ainsi à établir les informations communiquées par les fournisseurs à la Commission (voir point 208 ci-dessus). Or, ces informations, qui seules constituent les indices proprement dits ayant fondé les décisions attaquées, n’émanent pas de la Commission, mais de dénonciations de fournisseurs, dont il convient de rappeler la valeur probante compte tenu des relations commerciales directes qu’entretiennent les fournisseurs avec les auteurs présumés des infractions suspectées (voir point 225 ci-dessus).
230 Il doit être relevé, en outre, que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, il ne peut davantage être déduit de la teneur des questions adressées aux fournisseurs et de la garantie de confidentialité que leur aurait octroyée la Commission que cette dernière les aurait incités à dénoncer les infractions suspectées. En effet, d’une part, il est notoire que le secteur concerné est fortement sujet aux représailles commerciales, de sorte qu’il est naturel que, lorsque la Commission décide de prendre contact avec des intervenants de ce secteur, elle prenne cette précaution minimale de leur assurer la confidentialité de leurs déclarations. D’autre part, il ne saurait être déduit de la seule circonstance que la Commission, conformément à son rôle d’autorité chargée de veiller au respect du droit de la concurrence de l’Union, s’interroge sur l’existence d’éventuelles infractions dans certaines des questions posées que le destinataire desdites questions sera nécessairement incité à conforter ces interrogations.
231 Il importe également de rappeler que la Commission est, en vertu des traités, l’institution chargée d’assurer le respect, en toute impartialité, du droit de la concurrence de l’Union et que le cumul par la Commission des fonctions d’instruction et de sanction des infractions aux règles de concurrence ne constitue pas en soi une violation de l’exigence d’impartialité (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, EU:T:2012:325, point 66 et jurisprudence citée). Il ne saurait, partant, être présupposé, sans preuve, ni même commencement de preuve à l’appui, que la Commission instruit le présent dossier à charge en incitant les fournisseurs à la dénonciation des pratiques des distributeurs pour obtenir des indices du caractère infractionnel des pratiques des distributeurs.
232 Il résulte de ce qui précède que l’ensemble des arguments déduisant de la qualité des auteurs des indices communiqués que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour mener l’inspection litigieuse doivent être écartés.
iii) Sur la teneur des indices ayant justifié les décisions attaquées
233 Il résulte de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision d’inspection que ces derniers ne doivent pas démontrer l’existence et le contenu d’une infraction ainsi que ses parties prenantes, sauf à priver de toute utilité les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 20 du règlement n° 1/2003 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59).
234 Partant, la circonstance que les éléments retenus puissent faire l’objet d’interprétations divergentes ne saurait empêcher qu’ils constituent des indices suffisamment sérieux, dès lors que l’interprétation privilégiée par la Commission apparaît plausible (voir, par analogie, pour une décision de demande de renseignements, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59). Dans l’appréciation de ce caractère plausible, il convient de garder à l’esprit que le pouvoir d’inspection de la Commission implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 62 et jurisprudence citée).
235 Il importe également de rappeler que les différents indices permettant de suspecter une infraction doivent être appréciés non isolément, mais dans leur ensemble, et qu’ils peuvent se renforcer mutuellement (voir arrêts du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, point 54 et jurisprudence citée, et du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 150 et jurisprudence citée).
236 En particulier, s’agissant des infractions suspectées en l’espèce, à savoir des pratiques concertées (voir notamment les considérants 6 des décisions attaquées), il est de jurisprudence constante que, comme cela ressort des termes mêmes de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 118, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 1865). La réunion de trois éléments constitutifs est donc requise.
237 Quant à la preuve de ces trois éléments constitutifs, il y a lieu de rappeler que le concept de « pratique concertée » a été introduit dans les traités aux fins de permettre l’application du droit de la concurrence à des collusions ne prenant pas la forme d’un accord formel de volontés et, par là même, plus difficiles à identifier et à établir. Ainsi que le juge de l’Union l’a souligné à maintes reprises, si l’article 101 TFUE distingue la notion de « pratique concertée » de celle d’« accord entre entreprises », c’est dans le dessein d’appréhender sous les interdictions de cet article une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite et ainsi sans réunir tous les éléments d’un accord, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 64, et du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, EU:T:2006:103, point 132).
238 De même et plus généralement, il doit être rappelé que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir sont notoires. Il est donc usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation qui y est afférente soit réduite au minimum. Même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences qui, considérées ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 55 à 57, et du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 42).
239 Il s’ensuit que le juge de l’Union a admis, dans certaines hypothèses, que la charge de la preuve des trois éléments constitutifs d’une pratique concertée soit allégée pour la Commission.
240 Ainsi, un parallélisme de comportements sur le marché peut, à certaines conditions, être considéré comme apportant la preuve de l’existence d’une concertation, en l’occurrence si la concertation en constitue la seule explication plausible (arrêts du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, point 71, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 143).
241 De même, il y a lieu de présumer, sauf preuve contraire qu’il incombe aux parties intéressées de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 121, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04, EU:T:2008:415, point 118). En d’autres termes, la preuve de la réunion des deux premiers éléments constitutifs d’une pratique concertée permet, dans certains cas, de présumer son troisième élément constitutif.
242 Ce régime probatoire spécifique des pratiques concertées n’est pas sans conséquences sur les conditions requises pour considérer que sont réunis des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence de telles pratiques. En particulier, compte tenu de la nécessaire distinction entre preuves d’une pratique concertée et indices justifiant des inspections aux fins du recueil de telles preuves, le seuil de reconnaissance de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux doit nécessairement se situer en deçà de celui permettant de constater l’existence d’une pratique concertée.
243 C’est ainsi à la lumière de ces considérations qu’il doit être répondu aux arguments que les requérantes fondent sur la teneur des informations à la disposition de la Commission pour en déduire que celle-ci ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux pour adopter les décisions attaquées. Il convient, pour ce faire, d’examiner les indices détenus par la Commission pour chacune des trois infractions suspectées, en commençant par ceux se rapportant aux première et troisième infractions, compte tenu des similitudes entre ces deux infractions.
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la première infraction
244 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que cette première infraction est caractérisée comme suit à l’article 1er, sous a), de la première décision attaquée :
« […] des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment ICDC […] et/ou ses membres, notamment Casino et AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France »
245 Il convient d’écarter d’emblée le grief contestant la fusion du marché de la vente de services aux fournisseurs, qui serait de dimension internationale, et du marché de l’approvisionnement des distributeurs, qui se limiterait au niveau national, lors de la présentation des indices relatifs à la première infraction pour en déduire que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux relatifs à cette infraction.
246 Il ressort certes du tableau 1 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019 que celle-ci n’a pas distingué entre le marché de l’approvisionnement en biens de consommation courante et le marché de la vente de services aux fournisseurs pourtant mentionnés distinctement dans la première décision attaquée, en expliquant dans ce tableau que les « rabais [sur le marché de l’approvisionnement] p[ouvaient] aussi être considérés comme des prix de vente de services aux fournisseurs de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien ». Toutefois, cette mention signifie simplement que, conformément à la jurisprudence et en particulier à l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596, point 62), la Commission n’a, à ce stade, pas encore déterminé quelle forme prenait le montant bénéficiant aux distributeurs au détriment des fournisseurs et sur lequel elle soupçonnait les distributeurs de s’accorder, ce qu’elle admet d’ailleurs en précisant, dans sa réponse du 5 juin 2019, qu’elle utilise, dans les annexes jointes, uniquement le terme « rabais », « sans préjuger si une enquête approfondie conclurait qu’il s’agi[ssait] de rabais sur les marchés de l’approvisionnement ou de prix de vente de services aux fabricants ». Il convient, en effet, de rappeler que, selon ledit arrêt, le pouvoir d’inspection de la Commission implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir également point 234 ci-dessus). Il ne saurait partant être déduit de l’absence de distinction entre les deux marchés visés à l’article 1er, sous a), de la première décision attaquée, a fortiori sans autre élément à l’appui, que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux relatifs à l’un de ces deux marchés.
247 Quant aux critiques adressées par les requérantes aux indices se rapportant à la première infraction, il y a lieu de relever que la Commission a communiqué au Tribunal un certain nombre d’indices, qu’elle détenait lors de l’adoption de la première décision attaquée, relatifs à un parallélisme de comportements entre ICDC (Casino) et AgeCore (Intermarché), caractérisé en l’occurrence par la concomitance et la convergence de leurs demandes de rabais aux fournisseurs.
248 Or, les informations en cause constituent des indices suffisamment sérieux de l’existence d’une telle concomitance et convergence.
249 En effet, parmi les treize fournisseurs interrogés, dont dix affirment entretenir des relations commerciales avec à la fois ICDC et AgeCore, huit d’entre eux ont fait état de manière circonstanciée de demandes de rabais identiques de la part d’ICDC (Casino) et d’AgeCore (Intermarché) (à savoir les entreprises A, B, C, D, E, G, H et J ; annexes Q.1, Q.2, Q.3, Q.4, Q.5, Q.7, Q.8 et Q.10 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), l’un mentionne l’alignement d’AgeCore sur ses concurrents sans les désigner nommément (entreprise I ; annexe Q.9) et deux fournisseurs évoquent de manière générale avoir été confrontés à des demandes de rabais similaires émanant d’alliances de distributeurs différentes (entreprises L et M, annexes Q.12 et Q.13).
250 Il peut être ajouté que, contrairement à ce que font valoir les requérantes, les données figurant dans les comptes rendus, telles que complétées par les données communiquées le 5 juin 2019, permettent d’identifier les dates des demandes concomitantes de rabais. Il est ainsi possible de déduire, notamment des annexes Q.1 et Q.3 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019, que les demandes de rabais concomitantes ont eu lieu entre 2015, date de la création d’ICDC, et 2016, date de la communication de l’information relative à ces demandes. Les comptes rendus permettent également d’identifier le marché des produits concernés, ce dernier résultant de la circonstance que les entreprises interrogées sont des fournisseurs des requérantes, lesquelles distribuent des produits alimentaires, d’hygiène et d’entretien. Quant à la portée géographique de l’infraction suspectée, elle se déduit de la qualité d’alliance internationale d’ICDC et d’AgeCore, dont les requérantes elles-mêmes soulignent qu’elles ont été créées pour négocier en commun les services proposés par les distributeurs aux fournisseurs au niveau international et donc dans plusieurs États membres de l’Union. Il est, en outre, indifférent que le montant des rabais en cause n’ait pas été communiqué, dès lors qu’a été mentionnée la circonstance que ce montant était identique.
251 Il ne saurait par ailleurs être reproché à la Commission de ne pas avoir vérifié les allégations de concomitance et de convergence en cause en envoyant des demandes de renseignements aux fournisseurs concernés. Il importe de rappeler, en effet, qu’il ne lui incombait pas de recueillir des preuves de ces concomitance et convergence, mais simplement, à ce stade, d’avoir à sa disposition des indices suffisamment sérieux desdites concomitance et convergence, lesquelles résultent à suffisance des déclarations en ce sens d’une majorité des fournisseurs interrogés.
252 Au surplus, la Commission ne s’est pas contentée de communiquer des indices relatifs à ce premier élément constitutif d’une pratique concertée qu’est le parallélisme de comportements sur le marché, lequel peut d’ailleurs, sous certaines conditions, permettre de présumer la présence du deuxième élément constitutif d’une pratique concertée qu’est la concertation (voir point 240 ci-dessus). Elle a indiqué avoir aussi eu à sa disposition des indices relatifs à l’existence d’une telle concertation, consistant en l’occurrence en des échanges d’informations, lesquels peuvent également être considérés, pris ensemble, comme étant suffisamment sérieux.
253 Il est vrai, comme le soulignent à juste titre les requérantes, que les fournisseurs évoquant explicitement des échanges entre les distributeurs sur les rabais sont certes moins nombreux et leurs déclarations à ce propos sont le plus souvent vagues et spéculatives. Trois fournisseurs mentionnent explicitement un partage ou des échanges d’informations (à savoir les entreprises C, E et H ; annexes Q.3, Q.5 et Q.8 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) et plusieurs autres fournisseurs font état de la connaissance par une alliance des rabais obtenus par les autres (notamment les entreprises B, D, G et I ; annexes Q.2, Q.4, Q.7 et Q.9). Est par ailleurs évoquée par l’un des fournisseurs une explication possible des demandes de rabais concomitantes, que serait le bluff dont feraient preuve les distributeurs lors de leurs négociations pour obtenir des conditions commerciales plus favorables (entreprise L ; annexe Q.12).
254 Néanmoins, il doit être relevé, tout d’abord, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, aucun fournisseur n’indique considérer comme peu probable la circonstance que la concomitance et la convergence des demandes de rabais résultent d’échanges d’informations. Les seuls fournisseurs s’étant exprimés dans un sens autre que celui de l’existence d’échanges d’informations soit sont restés silencieux, soit ont indiqué ne pas disposer d’information relative à des échanges d’informations entre distributeurs (à savoir les entreprises A, F, J, K et M ; annexes Q.1, Q.6, Q.10, Q.11 et Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), sans explicitement exclure l’existence de tels échanges. En particulier, l’entreprise M se borne à évoquer l’absence de possibilité de confirmer que le cas de demandes identiques qu’elle avait relevé était le résultat d’un échange d’informations (annexe Q.13, page 2). Il est par ailleurs indifférent qu’Intermarché ne soit pas spécifiquement mentionnée au titre des échanges entre distributeurs, dès lors que l’alliance à laquelle elle appartient, AgeCore, est clairement désignée.
255 Il importe de souligner, ensuite, que le fournisseur ayant mentionné l’hypothèse d’un bluff des distributeurs a non seulement nuancé la probabilité de cette hypothèse, en indiquant « croire que l’information invoquée [relative à la connaissance des conditions obtenues par les autres alliances] était pourtant exacte », mais a également précisé ne pas participer aux négociations dépassant le cadre national, principalement en cause dans la première infraction suspectée, ce qui limite la fiabilité de ses déclarations. Il s’ensuit que les indices dont disposait la Commission ne lui permettaient pas de considérer que les demandes de rabais concomitantes et convergentes s’expliquaient, de manière plausible, par une autre raison qu’une concertation sous-jacente (voir point 240 ci-dessus).
256 Enfin, les déclarations des fournisseurs relatives aux échanges entre distributeurs sur les rabais sont corroborées par des informations mentionnant les canaux par lesquels ces échanges sont susceptibles de passer.
257 Ainsi, plusieurs fournisseurs et le directeur de l’association N évoquent les mouvements entre alliances de distributeurs, les transferts d’enseignes ainsi que les mouvements de personnel entre distributeurs et entre alliances, en les présentant comme des sources potentielles de connaissance notamment des rabais obtenus par les différents distributeurs (notamment annexe Q.2, page 4, annexe Q.7, page 4, et annexe Q.8, page 5, ainsi que annexes Q.14, Q.16 et Q.18 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019). Ils mentionnent en particulier l’alliance créée en France par Casino et Intermarché, sous la forme de la filiale commune INCA, et font part d’un lien entre cette appartenance à une même alliance au niveau national et la connaissance par Casino et Intermarché des rabais obtenus par chacune auprès de leurs fournisseurs respectifs (notamment annexes Q.4, page 4, et Q.7, pages 4 et 6).
258 Par la multiplicité des canaux de communication ainsi mis en évidence, les précisions données relatives à ces canaux et la concordance des informations communiquées, alors que leurs auteurs ne disposent pas a priori des mêmes moyens et sources d’information, il peut être considéré que la Commission avait à sa disposition des indices suffisamment sérieux lui permettant de suspecter les échanges litigieux. Il importe, en effet, de rappeler que, si les fournisseurs peuvent être des témoins directs d’un comportement anticoncurrentiel sur le marché (voir point 225 ci-dessus), ils ne peuvent l’être s’agissant de la concertation sous-jacente et clandestine. Dans ces conditions, la multiplicité, la précision et la concordance des informations communiquées relatives aux échanges d’informations en cause viennent compenser, dans l’appréciation d’ensemble visant à vérifier l’existence d’indices suffisamment sérieux, le caractère souvent spéculatif desdites informations.
259 Par conséquent, compte tenu également de la circonstance que ces indices relatifs aux échanges d’informations suspectés viennent compléter ceux concernant les comportements sur le marché, il y a lieu de considérer que la Commission détenait des indices suffisamment sérieux pour suspecter la première infraction.
260 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les décisions prises ultérieurement par la Commission de ne pas poursuivre ses investigations à propos de la première infraction.
261 En effet, d’une part, indépendamment même du fait qu’elle est postérieure aux décisions attaquées et qu’elle est ce faisant inapte à remettre en cause leur légalité, il ne peut être tiré aucune conséquence de la décision susvisée du 13 mai 2019 ordonnant aux requérantes de se soumettre à une nouvelle inspection (voir point 129 ci-dessus) portant sur des soupçons d’infractions différents de ceux relatifs à la première infraction. Il en résulte uniquement que la Commission a souhaité donner une autre orientation à ses investigations, mais il ne peut en être déduit, en tant que tel, ni que cette réorientation s’explique par l’absence de preuves relatives à la première infraction recueillies au cours de l’inspection litigieuse, ni a fortiori que la Commission ne disposait pas des indices suffisants pour mener cette inspection.
262 D’autre part, il résulte certes de la décision C (2019) 7997, du 4 novembre 2019, portant ouverture de la procédure dans l’affaire AT.40466 s’agissant de soupçons d’infraction autres que ceux relatifs à la première infraction, que la Commission n’a pas estimé disposer d’éléments suffisants pour ouvrir la procédure à propos de cette infraction. Cependant, par leur nature même, les indices justifiant une inspection permettent uniquement de soupçonner une infraction, laquelle pourrait finalement ne pas être établie, ce qui explique au demeurant que toutes les inspections ne soient pas suivies d’une décision ouvrant la procédure, ni a fortiori d’une décision constatant une infraction. Ainsi, l’existence d’indices d’infraction n’implique pas nécessairement l’existence de preuves de l’infraction soupçonnée, ni davantage celle d’éléments suffisants pour ouvrir la procédure. Il ne peut, dès lors, être déduit de la circonstance que l’inspection litigieuse n’ait pas abouti à l’ouverture d’une procédure relative à la première infraction que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux justifiant légalement, pour cette infraction, l’adoption de la première décision attaquée.
263 Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient d’écarter l’ensemble des griefs critiquant la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux relatifs à la première infraction.
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la troisième infraction
264 Cette troisième infraction est décrite comme suit dans la seconde décision attaquée :
« […] Ces pratiques concertées consistent en des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment AgeCore et/ou ses membres, Coopernic et/ou ses membres et Eurelec et/ou ses membres, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France et l’Allemagne […] »
265 En réponse aux mesures d’organisation de la procédure décidées par le Tribunal lui demandant de produire les indices correspondant à cette troisième infraction, la Commission a, dans un premier temps, produit des pièces, notamment les comptes rendus, dans lesquelles les mentions de Coopernic et d’Eurelec ont été largement occultées pour des raisons de confidentialité (réponse de la Commission du 10 janvier 2019). Elle a, dans un second temps, communiqué, d’une part, des tableaux renvoyant à, ou reprenant, des passages des comptes rendus consacrés aux échanges entre AgeCore, Coopernic et Eurelec, mettant ainsi pour la première fois en évidence certaines mentions de Coopernic et d’Eurelec dans les comptes rendus (réponse de la Commission du 5 juin 2019) et, d’autre part, une nouvelle version des comptes rendus révélant des données relatives à ces échanges qui étaient occultées dans leur version initialement communiquée (réponse de la Commission du 18 octobre 2019, annexes T.1 à T.11).
266 Contrairement à ce que font valoir les requérantes, cette mise en évidence, pour la première fois les 5 juin et 18 octobre 2019, de données précédemment occultées ne saurait conduire à ce que les pièces produites à ces dates soient écartées comme étant tardives.
267 En effet, les mentions de Coopernic et d’Eurelec figuraient déjà dans les documents produits le 10 janvier 2019, mais étaient restées occultées comme étant confidentielles, conformément à la demande du Tribunal qui avait sollicité la production d’une version non confidentielle des indices détenus par la Commission. Elles ont ensuite été divulguées par la Commission les 5 juin et 18 octobre 2019 en réponse à des demandes de précisions du Tribunal. Les documents produits à la suite d’une telle renonciation partielle à un traitement confidentiel, à l’instigation du Tribunal, ne sauraient, partant, être écartés comme irrecevables.
268 Quant à l’appréciation sur le fond de la teneur des indices produits relatifs à cette troisième infraction, il y a lieu de relever qu’il en ressort des demandes concomitantes et convergentes de rabais par AgeCore et Coopernic mentionnées de manière circonstanciée par près de la moitié des fournisseurs ayant des relations avec ces deux entités (à savoir les entreprises A, E, F, H, I, et K ; annexes T.1, T.5, T.6, T.8, T.9 et T.11 de la réponse de la Commission du 18 octobre 2019), auxquels s’ajoutent deux fournisseurs évoquant de manière générale avoir été confrontés à des demandes de rabais similaires émanant d’alliances de distributeurs différentes (entreprises L et M ; annexes Q.12 et Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019).
269 Les dénonciations de demandes concomitantes et convergentes de rabais par AgeCore et Eurelec sont certes moins nombreuses, dès lors qu’elles émanent de deux fournisseurs seulement (entreprises B et F ; annexes T.2 et T.6 de la réponse de la Commission du 18 octobre 2019). Néanmoins, d’une part, ces concomitances et convergences sont décrites de manière très précise par les fournisseurs concernés tant quant à leur déroulé que quant à leur objet, notamment par la précision des segments de marché concernés par les mêmes demandes de rabais (annexe T.2). D’autre part, le nombre de fournisseurs entretenant des relations commerciales avec à la fois AgeCore et Eurelec est très limité. En effet, la Commission a indiqué, dans sa réponse du 18 octobre 2019 à la question du Tribunal lui demandant de communiquer ce nombre, être en mesure d’indiquer uniquement que deux fournisseurs au moins étaient concernés et de fournir deux exemples d’échanges d’informations entre AgeCore et Eurelec pour que ces données ne permettent pas aux requérantes d’identifier, parmi les treize fournisseurs interrogés, ceux qui ont indiqué avoir des relations commerciales avec Eurelec.
270 Or, il convient de rappeler qu’un tel parallélisme de comportements, premier élément constitutif d’une pratique concertée, peut, sous certaines conditions, permettre de présumer la présence du deuxième élément constitutif de ladite pratique concertée qu’est la concertation (voir points 240 et 252 ci-dessus).
271 Il convient de noter, en outre, s’agissant précisément de ce deuxième élément constitutif d’une pratique concertée, que les documents produits par la Commission évoquent de possibles échanges d’informations, et ce en donnant une crédibilité particulière à de telles possibilités, dans la mesure où les fournisseurs concernés soulignent que sont partagés non seulement les taux de rabais, mais également plusieurs techniques de négociation qu’ils décrivent de manière précise (voir notamment annexes T.6, pages 4 et 5, et T.11, pages 9 et 10, de la réponse de la Commission du 18 octobre 2019).
272 Ces documents mettent en évidence au surplus les canaux d’échanges d’informations potentiels résultant des mouvements entre alliances et des mouvements de personnel (annexes T.2, T.4, T.5, T.6, T.9, T.10 et T.11 de la réponse de la Commission du 18 octobre 2019 ; voir également annexes Q.16 et Q.18 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019). Il est même précisé, dans certains des comptes rendus (annexes T.6 et T.11), la méthode permettant l’échange d’informations lors des mouvements de personnel ainsi que les noms des personnes servant de canal d’échange d’informations.
273 Les mouvements décrits concernent principalement AgeCore et Coopernic, mais il convient de souligner, ainsi qu’il est d’ailleurs mis en évidence dans les annexes au courrier du directeur de l’association N (annexe Q.16, page 4, de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), que deux des sociétés membres de Coopernic sont également membres d’Eurelec et que l’une d’elles est nommément désignée comme étant passée de l’alliance formée par Coopernic à celle formée par AgeCore (voir également annexes T.5 et T.10 de la réponse de la Commission du 18 octobre 2019). Il y a lieu d’ajouter que les mouvements de personnel et d’alliances sont de manière générale décrits par plusieurs autres fournisseurs comme des canaux d’échanges d’informations (voir point 257 ci-dessus).
274 L’ensemble de ces éléments permettent de déduire que la Commission détenait des indices suffisamment sérieux lui permettant de suspecter la troisième infraction.
275 Cette conclusion n’est pas remise en cause par la décision de la Commission du 8 novembre 2019 de classer l’affaire AT.40467 – Tute 2, relative à la troisième infraction. En effet, compte tenu de la différence entre indices justifiant une inspection et éléments permettant d’ouvrir la procédure, voire preuves de l’infraction soupçonnée, même si ce classement de l’affaire permet de penser que l’inspection litigieuse n’a pas permis de recueillir de tels éléments, il ne saurait en être déduit que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux de la troisième infraction justifiant légalement l’adoption, pour cette infraction, de la seconde décision attaquée (voir point 262 ci-dessus).
276 Il en résulte qu’il convient d’écarter l’ensemble des griefs critiquant la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux relatifs à la troisième infraction.
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la deuxième infraction
277 Il y a lieu de rappeler que cette deuxième infraction est décrite comme suit dans l’article 1er, sous b), de la première décision attaquée :
« […] des échanges d’informations, depuis au moins 2016, entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France. »
278 Il doit être relevé d’emblée, à la suite des requérantes et ainsi que l’admet la Commission, que cette dernière a fondé ses suspicions relatives à la deuxième infraction sur un indice principal, tiré du déroulement de la convention Intermarché.
279 Il ressort du dossier que la convention Intermarché s’est tenue le 21 septembre 2016 au siège d’Intermarché et que la direction d’Intermarché, accompagnée des responsables de ses enseignes, y recevait ses principaux fournisseurs pour présenter ses ambitions et priorités commerciales.
280 Il est constant qu’ont participé à cette convention des représentants d’un grand nombre de fournisseurs d’Intermarché, mais aussi des représentants d’INCA, filiale commune d’Intermarché et de Casino, en particulier A, par ailleurs directeur au sein du groupe Casino, ainsi qu’un représentant d’AgeCore, B, dirigeant de cette association d’entreprises. Il est également constant que les thèmes abordés lors de cette convention, présentés par l’équipe de direction d’Intermarché, portaient sur les objectifs et axes de développement de l’entreprise en termes de parts de marché, d’accroissement de son parc de magasins, de transformation digitale et d’essor du commerce en ligne, d’innovations destinées à accélérer la mise en rayon des produits nouveaux, d’augmentation de ses points de vente « drive » et de mise en œuvre de nouveaux efforts promotionnels.
281 Les requérantes soutiennent que les informations ainsi présentées ne révèlent aucun échange de données commerciales sensibles et confidentielles permettant de suspecter une concertation entre concurrents, prohibée par l’article 101 TFUE, et en déduisent que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour présumer l’existence de la deuxième infraction.
282 S’agissant, premièrement, de la possibilité de présumer l’existence d’échanges et ainsi d’une concertation à partir d’annonces faites par un seul distributeur, en l’occurrence Intermarché, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, les critères de coordination et de coopération permettant de définir la notion de pratique concertée doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou annoncé de leurs concurrents, elle s’oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à suivre, ou que l’on envisage de tenir soi-même sur le marché (arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, points 32 et 33, et du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, EU:T:1991:56, point 121).
283 Il s’ensuit que le fait que seul un des participants à des réunions entre entreprises concurrentes dévoile ses intentions ne suffit pas à exclure l’existence d’une entente. En effet, selon une jurisprudence également constante, s’il est vrai que la notion de pratique concertée suppose effectivement l’existence de contacts entre concurrents caractérisés par la réciprocité, cette condition est toutefois satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son comportement futur sur le marché a été sollicitée ou, à tout le moins, reçue par le second. Celui-ci, grâce à la réception d’une telle information, qu’il doit nécessairement prendre en compte, directement ou indirectement, élimine par avance l’incertitude relative au comportement futur du premier, alors que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique commerciale qu’il entend suivre sur le marché. La réception par une entreprise d’informations émanant d’un concurrent relatives au comportement futur de celui-ci sur le marché constitue, dès lors, une pratique concertée prohibée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 1849 ; du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et T‑207/98, EU:T:2001:185, point 54, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, points 231 à 234).
284 Or, il ne saurait être considéré que la seule présence d’un directeur au sein du groupe concurrent Casino au cours de la présentation par Intermarché de ses priorités commerciales suffise, en l’espèce, à soupçonner une réception des informations communiquées, telle que requise par la jurisprudence pour constater une réciprocité et en déduire l’existence d’une pratique concertée entre Casino et Intermarché.
285 En effet, d’une part, ainsi que l’ont pertinemment souligné les requérantes sans d’ailleurs que la Commission le conteste, A a assisté à la convention Intermarché non en tant que représentant de Casino, mais en qualité de cogérant d’INCA, dont la présence était justifiée par le fait que celle-ci négociait pour le compte d’Intermarché les conditions d’approvisionnement auprès de ses principaux fournisseurs. D’autre part, A était soumis à de strictes obligations de confidentialité à l’égard de Casino, pas davantage contestées en elles-mêmes, et il ne peut être présumé que de telles obligations ne seraient pas respectées.
286 Or, ce motif de la présence d’A à la convention Intermarché et les obligations qui s’imposent à lui ne permettent pas en tant que tels et sans autre élément à l’appui, non fourni en l’espèce par la Commission, de faire naître une suspicion raisonnable de réception par Casino des informations communiquées par Intermarché, justifiant que soient poursuivies les investigations pour déterminer si Casino avait sollicité ou, à tout le moins, reçu les divulgations d’Intermarché. La Commission se borne en effet à évoquer un seul compte rendu faisant état de discussions entre A et le représentant d’Intermarché au sein d’INCA au cours de la convention (annexe Q.5, pages 7 et 8, de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), discussions en aparté ne correspondant pas à une réception de déclarations faites en public et dont le contenu n’a pas nécessairement de lien avec la teneur de ces déclarations compte tenu des fonctions exercées par ces deux personnes au sein d’INCA, lesquelles justifient des échanges entre elles portant sur d’autres sujets. Il importe de relever, à cet égard, que, contrairement à ce que prétend la Commission, en indiquant, en introduction du tableau 2 joint à sa réponse du 5 juin 2019, avoir reçu des informations selon lesquelles INCA pourrait servir de véhicule d’échange des informations relevant de la deuxième infraction, les extraits des comptes rendus repris dans ledit tableau se bornent à mentionner la présence d’A à la convention Intermarché, sans qu’il puisse en être déduit qu’INCA jouerait un rôle spécifique dans ce cadre.
287 S’agissant, deuxièmement, des données communiquées lors de la convention Intermarché, il convient de rappeler que la qualification infractionnelle d’un échange d’informations dépend notamment de la nature des informations échangées (voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, points 88 à 90, et du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 54).
288 En l’espèce, il y a lieu de relever, à la suite des requérantes, que les comptes rendus faisant état de la convention Intermarché (annexes Q.4, Q.5, Q.7, Q.9 et, avec davantage de précisions, annexe Q.8 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), indiquent de manière générale les éléments de politique commerciale portant sur l’assortiment, l’e-commerce ou les pratiques promotionnelles, qui ont été évoqués lors de ladite convention. De telles mentions générales figurent également en annexe au courrier du directeur de l’association N (annexe Q.15). Elles ont, en outre, été reprises dans un article publié dans la presse spécialisée, communiqué par les requérantes.
289 Il ressort effectivement du dossier, et il n’est d’ailleurs pas contesté par la Commission que la convention Intermarché s’est tenue publiquement, en présence de plus de 400 fournisseurs, mais également de journalistes, et qu’elle a fait l’objet d’un compte rendu détaillé dans la presse spécialisée. La Commission était au surplus informée de ce caractère public, ainsi qu’en attestent les comptes rendus des entretiens avec les fournisseurs, l’un d’eux ayant indiqué que la presse était présente lors de la convention Intermarché (annexe Q.2, page 7). Elle a par ailleurs indiqué, en réponse à une question posée par le Tribunal, qu’elle n’était pas informée d’éventuelles présentations faites lors de la convention Intermarché hors de la présence de journalistes.
290 Or, il est de jurisprudence constante qu’un système d’échange d’informations publiques n’est pas, en tant que tel, susceptible d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 1154 et jurisprudence citée).
291 De même, selon le paragraphe 92 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale »), par lesquelles la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et dont elle ne saurait se départir sous peine de se voir sanctionner (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 211), les « informations réellement publiques » sont des informations généralement accessibles dans des conditions identiques à tous les concurrents et clients. Or, ce même paragraphe des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale précise que, « [p]our qu’une information soit réellement publique, son obtention ne devrait pas être plus onéreuse pour les clients et les entreprises qui ne prennent pas part au système d’échange que pour les entreprises qui échangent des informations » et que « [c]’est la raison pour laquelle les concurrents ne choisiraient pas, en principe, d’échanger des données qu’ils peuvent obtenir auprès du marché avec la même facilité, ce qui rend improbables, dans la pratique, les échanges de données réellement publiques ». En outre, il ressort du paragraphe 63 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, consacré spécifiquement aux déclarations publiques unilatérales, qu’« une annonce unilatérale revêtant un caractère réellement public, par exemple dans un quotidien […] ne constitue généralement pas une pratique concertée au sens de l’article 101 [TFUE] ».
292 En l’espèce, il ressort clairement des circonstances du déroulement de la convention Intermarché que les informations qui y ont été communiquées par Intermarché sont des données réellement publiques au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Grâce à la présence de journalistes et au compte rendu détaillé qu’ils en ont fait dans la presse spécialisée quelques jours seulement après la tenue de la convention Intermarché, les informations données par Intermarché lors de cette convention ont été rendues accessibles non seulement à A, directeur au sein du groupe concurrent Casino, mais également avec la même facilité à l’ensemble des autres concurrents d’Intermarché.
293 En outre, il ressort de l’article de la presse spécialisée qui a relaté le déroulement de la convention Intermarché, dont la Commission n’a pas contesté le contenu, que les informations présentées lors de cet événement avaient un caractère très général et s’attachaient à valoriser, auprès des fournisseurs de l’entreprise, la politique de développement et d’innovation de l’équipe de direction d’Intermarché. La Commission n’a pas exposé précisément en quoi de telles informations étaient susceptibles d’échapper à la qualification de données publiques. S’il est vrai qu’a été annoncé, lors de cet événement, un objectif de création de 200 magasins, cette seule information, par son caractère général, n’est, par elle-même, pas susceptible de fonder une suspicion de pratique concertée entre concurrents, interdite par l’article 101 TFUE. Le caractère public des informations divulguées lors de la convention Intermarché empêche, dès lors, de considérer que celles-ci puissent être l’objet d’échanges d’informations infractionnels, de même que, partant, de qualifier la convention Intermarché d’indice suffisamment sérieux de l’infraction en cause.
294 Il en est d’autant plus ainsi en l’espèce que la Commission a elle-même présenté les indices des infractions suspectées dans la première décision attaquée comme attestant d’échanges secrets entre un nombre limité de personnes et par le biais de documents eux-mêmes secrets (voir point 135 ci-dessus). En effet, selon le considérant 8 de la première décision attaquée, « les pratiques concertées présumées ont lieu dans le secret le plus absolu, la connaissance de leur existence et de leur mise en application étant limitée aux cadres supérieurs et à un nombre restreint de membres du personnel dignes de confiance dans chaque entreprise » et « [l]es documents se rapportant aux pratiques concertées présumées seraient limités au strict minimum et détenus dans des endroits et sous une forme facilitant leur dissimulation, leur rétention ou leur destruction ». Or, des indices constitués de déclarations publiques, telles que celles faites lors de la convention Intermarché, ne peuvent en tant que tels permettre de suspecter des échanges portant sur les mêmes informations et tenus dans le plus grand secret.
295 Ces considérations ne sont pas remises en cause par la mention, au paragraphe 63 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, selon laquelle « la possibilité de constater une pratique concertée ne peut être exclue » à partir d’une « annonce unilatérale revêtant un caractère réellement public ». En effet, outre le fait que de telles annonces publiques ne correspondent pas à la présente présomption d’échanges infractionnels secrets, il y a lieu de relever que la Commission n’a ni affirmé ni a fortiori expliqué dans la première décision attaquée, et pas davantage d’ailleurs au cours de la présente instance, que la deuxième infraction correspondrait à cette hypothèse d’une pratique concertée à partir de déclarations unilatérales en public.
296 Il s’ensuit que la Commission ne pouvait valablement déduire de l’appréciation d’ensemble des caractéristiques de la convention Intermarché une suspicion d’échanges de données commerciales entre concurrents prohibés par l’article 101 TFUE. Il s’ensuit également que cette convention ne saurait constituer un indice suffisamment sérieux permettant de suspecter la deuxième infraction.
297 En tout état de cause, la prise en compte de la note interne de la Commission du 16 décembre 2016, jointe en annexe à sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, de même que la production de la version confidentielle des comptes rendus communiqués dans leur version non confidentielle par la Commission, par voie de mesure d’instruction, ne permettraient pas de modifier cette conclusion. En effet, d’une part, il ne ressort de cette note interne aucune donnée autre que celles figurant dans les comptes rendus. D’autre part, il ressort de la version non confidentielle de ces comptes rendus que les données occultées visent uniquement à empêcher l’identification d’entités ou de personnes, de dates et de données chiffrées, de sorte que la prise en compte desdites données ne permettrait pas davantage d’établir le lien entre les déclarations publiques faites lors de la convention Intermarché et les échanges secrets suspectés. Il s’ensuit par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure d’instruction susvisée, que les requérantes avaient demandée au Tribunal.
298 Ne sauraient davantage constituer un indice suffisamment sérieux permettant de suspecter la deuxième infraction les demandes concomitantes relatives à un même « bonus d’innovation » que Casino et Intermarché auraient présentées à leurs fournisseurs. En effet, aucun des indices communiqués ne permet de distinguer clairement ce bonus ou ces « remises d’innovation » des rabais et des prix de vente de services aux fournisseurs en cause dans la première infraction. Eu égard aux explications qui en sont données dans les comptes rendus (annexe Q.6, page 3, et annexe Q.7, page 5 ainsi que note en bas de page n° 7, de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), lesdites remises consistent soit en un rabais demandé aux fournisseurs, soit en une rémunération de services de référencement fournis par les distributeurs aux fournisseurs, même si spécifiquement en lien avec les produits innovants et applicable en France, laquelle est également concernée par la première infraction. De même, ainsi que le soulignent pertinemment les requérantes, dans le tableau 2 établi par la Commission aux fins de présenter de manière synthétique les indices correspondant à la deuxième infraction (voir point 176, avant-dernier tiret, ci-dessus), celle-ci a isolé les indices relatifs aux « rabais d’innovation » de ceux portant sur l’assortiment, le développement de magasins, la politique d’e-commerce et la politique promotionnelle, seuls mentionnés dans la première décision attaquée. Il peut, en outre, être relevé que seuls deux (annexes Q.6 et Q.7) sur les treize fournisseurs interrogés font état de demandes concomitantes de remises d’innovation.
299 Il convient, par conséquent, même en prenant en considération de façon globale les éléments relatifs à la convention Intermarché et au « bonus d’innovation », de conclure à l’absence de détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence de la deuxième infraction et de justifier l’article 1er, sous b), de la première décision attaquée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les arguments des requérantes tirés de la nouvelle décision d’inspection portant notamment sur des aspects de la deuxième infraction qui leur a été adressée au cours de la présente instance (voir point 129 ci-dessus) ainsi que de l’ouverture de la procédure s’agissant des échanges relatifs à certaines des stratégies commerciales visées par cette deuxième infraction (voir point 262 ci-dessus).
300 Le moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile des requérantes doit, dès lors, être accueilli en ce qu’il concerne la deuxième infraction.
301 Il résulte de tout ce qui précède que la première décision attaquée doit être annulée, en ce qu’elle ordonne aux requérantes, en son article 1er, sous b), de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à la deuxième infraction, et que le recours doit être rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
302 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Le recours étant partiellement accueilli, il y a lieu de décider que les requérantes et la Commission supporteront respectivement leurs propres dépens. Le Conseil, intervenu au soutien de la Commission, supportera ses propres dépens en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) L’article 1er, sous b), de la décision C(2017) 1057 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil (affaire AT.40466 – Tute 1), ainsi que l’article 1er, sous b), de la décision C(2017) 1361 final de la Commission, du 21 février 2017, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil (affaire AT.40466 – Tute 1) sont annulés.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Les Mousquetaires et ITM Entreprises, la Commission européenne ainsi que le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.