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Décisions

Cass. com., 30 septembre 2020, n° 19-12.145

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Agora (Sarl)

Défendeur :

Speed Rabbit pizza (SA), Domino's pizza France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Sudre

Avocats :

SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Spinosi et Sureau

T. com. Paris, du 7 juil. 2014

7 juillet 2014

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018), la société Speed Rabbit pizza (la société SRP) et la société Domino's pizza France (la société DPF), toutes deux spécialisées dans la vente de pizzas livrées et à emporter, exercent leur activité à travers un réseau de franchise.

2. La société DPFC, filiale de la société DPF, a exploité, de 2002 à 2008, un point de vente à Sceaux, avant d'être dissoute en 2013, à la suite de la transmission universelle de son patrimoine à la société DPF, tandis que la société Agora, alors franchisée du réseau SRP, a exploité, à compter de 1999, un point de vente à Bourg-la-Reine.

3. Reprochant aux sociétés DPF et DPFC des actes de concurrence déloyale consistant notamment en l'octroi de délais de paiement excédant le délai légal, la société Agora les a assignées en cessation de ces pratiques et en paiement de dommages-intérêts. La société SRP est intervenue volontairement à la procédure, au soutien des prétentions de la société Agora, et les sociétés DPF et DPFC ont formé une demande reconventionnelle pour procédure abusive.   

Examen du moyen unique du pourvoi principal

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branche  

Enoncé du moyen

4. La société Agora fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de dommages-intérêts pour concurrence déloyale alors :

 « 1°) que pour établir l'illicéité des délais de paiement consentis par la société DPF à la société DPFC, la société Agora exposait, page 14 de ses écritures d'appel, que les bilans de la société DPFC entre 2003 et 2007, qui constituaient les pièces 99-1 à 99-5 de la société Agora, démontraient, par le calcul des ratios des dettes fournisseurs de cette société, que celle-ci avait bénéficié de délais de paiement excédant très largement le délai de trente jours fin de décade de livraison prescrit par l'article L. 443-1 du code de commerce et le délai de soixante jours date d'émission de la facture pour les autres fournitures prescrit par l'article L. 441-6 du code de commerce, de telle sorte que tout au long de ses six années d'exploitation, « DPFC a bénéficié, en violation des dispositions légales, d'une aide massive en trésorerie de la part de son franchiseur et actionnaire exclusif » ; qu'en jugeant que les pièces produites à l'appui des demandes de la société Agora, réduites par l'arrêt aux « pièces 91, 33, 73 d'Agora », ne permettent pas de démontrer les agissements fautifs dénoncés, sans faire aucune référence aux preuves tirées des bilans de la société DPFC, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) que pour établir l'illicéité des délais de paiement consentis par la société DPF à la société DPFC, la société Agora exposait, page 16 de ses écritures d'appel, que la lecture des bilans de la société DPFC entre 2003 et 2007, qui constituaient les pièces 99-1 à 99-5 de la société Agora, démontrait que « les dettes « groupes et associés » et les dettes « fournisseurs » étaient toutes dues à DPF, qui avait à la fois la qualité de société mère et de fournisseur » et qu'il « apparaît que les dettes de la société DPFC n'ont cessé de progresser entre 2003 et 2008, passant de 536 921 euros à 1 304 148 euros, leur montant correspondant, selon les exercices, (à une part comprise) entre 65,88 % et 97,86 % du chiffre d'affaires » ; qu'en jugeant que les pièces produites à l'appui des demandes de la société Agora, réduites par l'arrêt aux « pièces 91, 33, 73 d'Agora », ne permettent pas de démontrer les agissements fautifs dénoncés, sans faire aucune référence aux preuves tirées des bilans de la société DPFC, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°) que pour établir l'illicéité des délais de paiement consentis par la société DPF à la société DPFC, la société Agora alléguait que la lecture des documents comptables de la société DPFC révélait une telle progression de ses dettes telle que cette « exploitation déficitaire (…) aurait rapidement dû entraîner l'état de cessation des paiements et l'arrêt de l'exploitation du fonds » et que « seul le soutien abusif de ce fonds apporté par la société DPF, tantôt en sa qualité de société mère, tantôt en qualité de fournisseur, a permis le maintien de la société DPFC pendant de nombreuses années », en soulignant notamment qu'il « est frappant de constater que de 2003 à 2005, le montant des intérêts dus pour des dettes dont le montant était passé de 536 921 euros à 999 721 euros, n'était que de quelques dizaines d'euros (soit 49,98 euros en 2002, 4,46 euros en 2004 et 36,48 euros en 2005) » ; qu'en jugeant que « le seul niveau d'endettement de la société DPFC ne peut démontrer le soutien abusif dont elle aurait bénéficié » sans répondre aux conclusions de la société Agora sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) que pour établir l'illicéité des délais de paiement consentis par la société DPF à la société DPFC, la société Agora exposait, page 14 de ses écritures d'appel, que les bilans de la société DPFC entre 2003 et 2007, qui constituaient les pièces 99-1 à 99-5 de la société Agora, démontraient, par le calcul des ratios des dettes fournisseurs de cette société, que celle-ci avait bénéficié de délais de paiement excédant très largement le délai de trente jours fin de décade de livraison prescrit par l'article L. 443-1 du code de commerce et le délai de soixante jours date d'émission de la facture pour les autres fournitures prescrit par l'article L. 441-6 du code de commerce, de telle sorte que tout au long de ses six années d'exploitation, « DPFC a bénéficié, en violation des dispositions légales, d'une aide massive en trésorerie de la part de son franchiseur et actionnaire exclusif » ; qu'en jugeant que « le seul niveau d'endettement de la société DPFC ne peut démontrer le soutien abusif dont elle aurait bénéficié » sans répondre aux conclusions de la société Agora sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »  

Réponse de la Cour  

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

5. Il résulte de ce texte que les juges du fond, qui disposent d'un pouvoir souverain d'appréciation quant à la valeur et la portée des éléments qui leur sont soumis et qui ne sont pas tenus de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'ils décident d'écarter, doivent procéder à une analyse, même sommaire, des pièces sur lesquelles ils fondent leur décision.  

6. Pour écarter toute faute de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale, l'arrêt retient que diverses pièces, produites par les sociétés SRP et Agora, ne permettent pas de démontrer les agissements fautifs des sociétés DPF et DPFC, tandis que certaines autres ne concernent pas la société Agora. Il ajoute que l'avis de la Commission d'examen des pratiques commerciales ne permet pas d'attribuer à la société DPF certains dépassements de délais de paiement et que le seul niveau d'endettement de la société DPFC ne caractérise pas le soutien abusif dont elle aurait bénéficié.

7. En statuant ainsi, sans analyser, même sommairement, les bilans comptables de la société DPFC, établis entre 2003 et 2008, dont se prévalait la société Agora pour établir la réalité de délais de paiements excédant le délai légal consenti par la société DPF à la société DPFC, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.   

Portée et conséquences de la cassation  

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le bien-fondé de l'action, objet du pourvoi principal, entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de dispositif de l'arrêt relatif à la procédure abusive, objet du pourvoi incident, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.  

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal, ni sur le pourvoi incident,  

La Cour :

CASSE ET ANNULE,, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.