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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 8 octobre 2020, n° 20-08071

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Google Llc (Sté), Google Ireland Limited (Sté), Google France (SARL)

Défendeur :

Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine - SPEM, Agence France- Presse -AFP , Alliance de la Presse d’Information Générale, Ministre de l’Economie, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Barutel-Naulleau, Mme Tréard

Avocats :

Me Fromantin, Me Ninane , Me Boccon Gibod, Me Simic, Me Choffel , Me Giraud , Me Gunther

CA Paris n° 20-08071

8 octobre 2020

FAITS ET PROCEDURE

1.       La cour est saisie du recours formé par les sociétés Google LLC, Google Ireland LTD et Google France (ci-après Google) contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine (ci-après SEPM), l’Agence France-Presse (ci-après I’AFP) et l’Alliance de la presse d’information générale (ci-après I’APIG) ainsi que les quatre syndicats professionnels qui la composent (les syndicats de la presse quotidienne nationale, régionale, départementale et le syndicat de la presse hebdomadaire régionale).

Le secteur concerné

2.  Les saisissantes représentent les entreprises du secteur de la presse. Le modèle économique de ce secteur repose principalement sur deux sources de revenus : la vente de contenus, sous la forme papier ou sous la forme numérique (ventes au numéro, abonnements, etc.) qui représente environ 70 % de son chiffre d’affaires, et la publicité, qui représente les 30 % restant.

3.  En 2017, le chiffre d’affaires réalisé par les éditeurs de presse en France s’élevait à environ 6,8 milliards d’euros, dont 4,8 milliards (soit 69 %) provenant des ventes et 2,1 milliards (soit 31 %) provenant de la publicité. Entre 2007 et 2017, le secteur a perdu plus d’un tiers de son chiffre d’affaires, alors que la diffusion annuelle totale s’effondrait de 55 % (soit -7,8 % par an). Cette baisse du chiffre d’affaires provient principalement de la diminution des revenus issus de la publicité (30 % du chiffre d’affaires en 2017 alors qu’ils représentaient 44 % en 2007).

4.  La baisse constante des revenus publicitaires de la presse s’explique notamment par l’évolution des usages dans le secteur des médias, liée à l’émergence et au développement des offres numériques. La baisse de l’utilisation de la presse écrite induit celle des revenus publicitaires.

5.  Dans son avis n° 19-A-04 du 21 février 2019 consacré au secteur de l’audiovisuel, l’Autorite a constaté la forte baisse des recettes publicitaires de la presse entre 2007 et 2017. En parallèle, elle a constaté l’augmentation importante des revenus publicitaires des acteurs numériques et a indiqué : « La majorité des revenus de la publicité en ligne est captée par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, au premier rang desquels Google et Facebook, alors que les acteurs audiovisuels historiques occupent une place très faible sur ce marché (environ 9 % en 2017), et bénéficient de perspectives de croissance plus limitées ».

L’entreprise visée par la saisine et le fonctionnement de son moteur de recherche

6.  La saisine vise Google, entreprise créée en 1998 qui a inventé le moteur de recherche éponyme. Son modèle économique repose principalement sur l’interaction entre des services fournis aux utilisateurs, sans contrepartie financière, mais qui lui permettent d’accéder à leurs données personnelles, et les services de publicité en ligne, dont Google tire la majeure partie de ses revenus : 85,4 % en 2018.

7.  Pour attirer les utilisateurs sur sa plateforme, Google affiche notamment des contenus en lien avec l’actualité, en particulier sur son service de recherche généraliste « Google Search », sur son service dédié à l’actualité « Google News » et sur son service « Google discover ». Ces contenus sont ciblés grâce aux données personnelles qu’il a pu recueillir sur chaque utilisateur.

8. Google supporte la totalité des coûts du fonctionnement de son moteur de recherche qui fonctionne selon un processus à trois étapes :

- l’exploration, dite « crawling », des sites internet pour recueillir des informations sur leur contenu ;

- l’indexation et le stockage de ces informations ;

- le classement des sites en fonction de leur pertinence probable par rapport à la requête et l’affichage dans ses pages de résultats sur cette base.

9. En octobre 2019, Google détenait 93,34 % des parts sur le marché des services de recherche généraliste en France et constituait la deuxième capitalisation boursière au monde après Amazon.

10. S’agissant plus particulièrement de l‘affichage du contenu des éditeurs de presse par Google, la recherche par mot clef peut aboutir, selon le thème de la recherche, à l’ affichage de résultat en lien avec l’actualité faisant apparaître un titre, le nom du site de l’éditeur de presse et un extrait de texte. Ces résultats peuvent être enrichis par une image miniature ou une vidéo. Ces modalités d’affichage s’appliquent quel que soit le support utilisé (ordinateur, téléphone mobile, tablette).

11. L’indexation et l’affichage des contenus des éditeurs de presse s’effectuent via des robots mis en place par Google auxquels les éditeurs peuvent donner des instructions :

-    Soit pour interdire au robot l’exploration parties de tout ou partie du contenu de leur site (protocole d’exclusion des robots dit « REP » pour « Robot Exclusion Protocol») ;

-    Soit pour interdire l’indexation et/ou l’affichage de leur contenu (les balises Meta).

12. Les balises sont des fragments de code que les éditeurs et agences de presse peuvent insérer dans le code source de leurs pages web, en vue d’autoriser Google à reprendre des extraits de leurs contenus éditoriaux sous forme de textes, d’images et de vidéos.

13. Les éditeurs peuvent également donner leur consentement à l’indexation et l’affichage de leurs contenus en utilisant les outils spécifiques de Google qui permettent de personnaliser la présentation de leurs contenus dans « Google Search » et « Google Actualités ». Enfin, grâce au « Publisher Center », les éditeurs peuvent gérer la présentation de leurs contenus dans « Google Actualités ». (cotes 5009 à 5011).

14.  Il est constant que, jusqu’en septembre 2019, il appartenait aux éditeurs et agences de presse d’utiliser ces outils et qu’à défaut, leur contenu était exploré, indexé et affiché, selon les modalités rappelées précédemment, c’est à dire, un titre (qui fait office de lien hypertexte), un extrait de texte, et parfois une image photo ou une vidéo.

La création de droits voisins au profit des éditeurs ou agences de presse

15. La directive n°2019/790 du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique (ci-après la directive de 2019) prévoit en son article 15 la création d'un droit voisin au bénéfice des éditeurs de presse en leur conférant le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction, la communication et la mise à disposition au public de leurs publications. Cette directive complète celle n°2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l’'information.

16. La notion de publication de presse, définie à l'article 2 de la directive de 2019, interprété à la lumière de son considérant 56, vise tant les articles de nature journalistique que les photographies et les vidéos.

17.    L'objectif indiqué aux considérants 54 et 55 est d’« assurer la pérennité du secteur de l’édition et, partant, promouvoir la disponibilité d’informations fiables », une presse libre et pluraliste étant considérée comme apportant une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique.

18. Le considérant 54 souligne notamment que « la large disponibilité de publications de presse en ligne a fait émerger de nouveaux services en ligne, tels que les agrégateurs d'informations ou les services de veille médiatique, pour lesquels la réutilisation de publications de presse constitue une partie importante de leurs modèles économiques et une source de revenus. Les éditeurs de publications de presse sont confrontés à des difficultés pour l’octroi de licences relatives à l’utilisation en ligne de leurs publications aux fournisseurs de ces types de services, ce qui complique l’amortissement de leurs investissements. Les éditeurs de publications de presse n'étant pas reconnus comme des titulaires de droits, l’octroi de licences de droits et le respect de ces droits dans les publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne par des prestataires de services de la société de l’information dans l’environnement numérique sont souvent complexes et inefficients ».

19.  Le considérant 58 précise que « Les utilisations de publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information peuvent consister en l’utilisation de publications ou d’articles intégraux, mais aussi en l’utilisation de parties de publications de presse. Ces utilisations de parties de publications ont également gagné en importance économique. Dans le même temps, il se peut que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse par des prestataires de services de la société de l’information ne fragilise pas les investissements effectués par les éditeurs de publications de presse dans la production de contenus. II est dès lors approprié de prévoir que l’utilisation de mots isolés ou de très courts extraits de publications de presse ne devrait pas entrer dans le champ des droits prévus dans la présente directive. Compte tenu de l’agrégation et de l’utilisation massives de publications de presse par les prestataires de services de la société de l’information, il importe que l’exclusion des très courts extraits soit interprétée de manière à ne pas affecter l’efficacité des droits prévus dans la présente directive. ».

20. Le considérant 57, s’agissant de la portée de la protection accordée aux publications de presse, renvoie à la directive de 2001 précitée dont le considérant 10 souligne que les auteurs, « pour pouvoir poursuivre leur travail (...) doivent pouvoir obtenir une rémunération appropriée pour l’utilisation de leurs œuvres ».

21. Le considérant 82 de la directive de 2019 précise qu« aucune disposition de la présente directive ne devrait être interprétée comme faisant obstacle à ce que les titulaires de droits exclusifs en vertu du droit de l’Union en matière de droit d'auteur autorisent l’utilisation, à titre gracieux, de leurs œuvres ou autres objets protégés, y compris au moyen de licences gratuites non exclusives, au bénéfice de tout utilisateur. ».

22. Cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse (ci-après la loi de 2019). Ce droit voisin est désormais prévu et régi aux articles L. 218-1 à L. 218-5 code de la propriété intellectuelle :

- l’article L. 218-2 prévoit l’autorisation préalable de l’éditeur ou de l’agence de presse pour la reprise de leur contenu par un service de communication au public en ligne:

« L’autorisation de l’éditeur de presse ou de l’agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne. » ;

- l’article L. 218-3 précise que ces droits voisins «peuvent être cédés ou faire l’objet d'une licence »;

- l’article L. 218-4 prévoit les modalités de rémunération de l’éditeur de presse :

« La rémunération due au titre des droits voisins pour la reproduction et la communication au public des publications de presse sous une forme numérique est assise sur les recettes de l ’exploitation de tout nature, directes ou indirectes ou, à défaut, évaluée forfaitairement, notamment dans les cas prévus à l’article L. 131-4. La fixation du montant de cette rémunération prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l'information politique et générale et l'importance de l'utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne.».

23. La loi de 2019 a également introduit de nouvelles dispositions au chapitre ler, du titre unique du Livre II du code de la propriété intellectuelle, consacre aux dispositions générales sur les droits voisins du droit d’auteur :

- l’article L. 211-3-1 qui prévoit les exceptions & ces droits voisins, et ce, de la manière suivante : « Les bénéficiaires des droits ouverts d l’article L. 218-2 ne peuvent interdire : 1°) Les actes d’hyperlien ; 2°) L'utilisation de mots isoles ou de très courts extraits d'une publication de presse.

Cette exception ne peut affecter l’efficacité des droits ouverts au mime article L. 218-2. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l’utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer. » ;

- le V de l’article L. 211-4 qui prévoit la durée de la protection au titre des voisins, et ce, de la manière suivante :

« La durée des droits patrimoniaux des éditeurs de presse et des agences de presse est de deux ans à compter du ler janvier de l’année civile suivant celle de la première publication d'une publication de presse ».

24. La loi de 2019 est entrée en vigueur trois mois après sa promulgation, soit le 24 octobre 2019.

La pratique visée par la saisine

25. Le 25 septembre 2019, un mois avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, Google a annoncé :

« Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n 'afficherons plus d 'aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c 'est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google ».

26. Le même jour, Google a indiqué dans la presse qu’il n’entendait pas rémunérer les éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus éditoriaux. Position également exprimée sur sa page « FAQ » (foire aux questions) qu’il publie à destination des éditeurs de presse où il indique qu’il ne les rémunérera pas dans l’hypothèse où ces derniers choisiraient de maintenir l’affichage des aperçus de texte et d’image.

27. Pour recueillir l’autorisation des éditeurs et agences de presse, Google a mis en place de nouvelles balises qui permettent d'indiquer la nature du contenu (image, texte) que Google est autorisé à reprendre ainsi que la taille de l'extrait (en fonction du nombre de caractères), la taille de l'image (selon la résolution) et la durée de l'extrait (pour les vidéos).

28. Une de ces nouvelles balises, la balise Méta dite « max-snippet », assortie au paramètre « -1 », permet aux éditeurs qui ne sont pas en mesure d'apprécier la longueur/taille/durée adéquate pour leurs extraits, de laisser les algorithmes de Google définir la longueur/taille/durée la plus pertinente, comme ils le faisaient avant l'entrée en vigueur de la loi de 2019.

29. La très grande majorité des éditeurs (87 %) a autorisé Google à afficher leurs contenus sans contrepartie financière, tout en adressant un courrier à Google l’informant que cette autorisation ne pouvait être interprétée comme une renonciation de leur part à obtenir une rémunération pour la reprise de leurs contenus protégés. Une très grande majorité a également choisi d’autoriser la reprise du contenu des articles sans limite de taille, avec un paramètre large pour l'affichage des photos et des vidéos

30. Il est constant que les éditeurs n'ayant pas autorisé Google à afficher leurs contenus protégés se sont exposés à des baisses de trafic significatives sur leur site.

La saisine et la décision de l’Autorité

31. C'est dans ce contexte que les 15 et 19 novembre 2019, le SEPM, L'APIG et les quatre syndicats la composant, ainsi que I’AFP ont respectivement saisi l‘Autorité de pratiques mises en œuvre par Google dans les secteurs de la presse, des services de communication au public en ligne et de la publicité en ligne, lui reprochant les modalités de mise en œuvre de la loi du 24 juillet 2019 qu’ils considèrent comme constitutives d’un abus de position dominante, contraire aux articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après TFUE) et d’un abus de dépendance économique.

32. Chacun des saisissants a dénoncé la modification unilatérale et brutale par Google de sa politique d’affichage des contenus d’actualité, comme ayant pour objectif de contraindre les éditeurs à accepter la reprise de leur contenus éditoriaux sans rémunération, sous la menace d’une dégradation de cet affichage, et que ce faisant, Google aurait contourné la loi de 2019 en leur imposant des conditions de transaction inéquitables et aurait ainsi abusé de leur dépendance économique à son égard.

33. Par sa décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020, I’Autorité a retenu qu’en l’état de l’instruction, les faits dénoncés étaient susceptibles de caractériser de la part de Google un abus de position dominante en ce que Google paraît, d’une part, avoir imposé aux éditeurs et agences de presses des conditions de transaction inéquitables en refusant toute forme de négociation et de rémunération pour l’affichage des contenus protégés au titre des droits voisins crées par la loi de 2019 ; d’autre part, avoir traité de façon identique des acteurs économiques placés dans des situations différentes ; et enfin, avoir contourné la loi de 2019.

34. Elle a considéré que ce comportement portait une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse et a prononcé, à titre de mesures conservatoires, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce, plusieurs injonctions à l’encontre des sociétés du groupe Google prenant effet à compter du 24 octobre 2019 jusqu’à la publication de la décision de l’Autorité sur le fond.

35. L’Autorité a ainsi enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland LTD et Google France :

- Article 1 : de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective qui en feraient la demande, la rémunération due par Google à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés sur ses services, conformément aux modalités prévues à l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires.

Cette négociation devra couvrir la période de reprise des contenus depuis le 24 octobre 2019.

36. Les articles suivants de la décision attaquée en organisent les modalités, en lui enjoignant :

- Article 2 : (…) de communiquer aux éditeurs et agences de presse les informations prévues à l’article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle.

- Article 3 :

   - (...) de maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d’affichage mises en place depuis l’entrée en vigueur de la Loi n° 2019-77S, selon les paramètres retenus par les éditeurs.

   - (...) de permettre [à ceux] n’ayant pas accordé à Google d’autorisation de reprise de leurs contenus protégés depuis le 24 octobre 2019 mais souhaitant entrer en négociation dans le cadre des articles 1 et 2 de la décision attaquée, de ne pas s’opposer à l’affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par ces éditeurs et agences de presse, pendant la période de négociation.

- Article 4 : (...) de conduire [c]es négociations (...) dans un délai de 3 mois à partir de la demande d’ouverture de négociation émanant d’un éditeur de presse/agence de presse ou organisme de gestion collective.

- Articles 5/6 : (...) de prendre les mesures nécessaires pour que l’existence et l’issue des négociations prévues par les articles 1 et 2 de la décision attaquée :

   - n’affectent ni l’indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services. (Art 5) ;

   - n’affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse.

37. L’Article 7 prévoit l’envoi d’un premier rapport concernant le respect des injonctions dans un délai de 4 semaines à compter de l’ouverture des négociations, puis des rapports le 5 de chaque mois jusqu’à la publication de la décision au fond de l’Autorité.

38. Par une assignation délivrée le 3 juillet 2019, les sociétés Google LLC, Google Ireland LTD et Google France (ci-après « Google ») ont formé un recours contre cette décision.

39. Google demande à la cour, à titre principal, d’annuler la décision de l’Autorité, et à titre subsidiaire, de reformer les articles 1, 3, 5 et 6 de cette décision afin de garantir que les mesures conservatoires enjointes sont strictement proportionnées et nécessaires pour faire face à l’urgence, et condamner l’Autorité à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

40. L’APIG conclut au rejet du recours et à la condamnation de Google à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

41. Le SEPM conclut au rejet du recours, à la confirmation de la décision et de la condamnation de Google à lui payer la somme de 150 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

42. L’AFP conclut au rejet du recours, à la confirmation de la décision, et à la condamnation de Google à lui payer la somme de 50 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

43. L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le recours.

MOTIVATION

I. SUR LE MOYEN D’ANNULATION PRIS DE LA CONTRARIETE DE LA LOI DE 2019 A LA DIRECTIVE 2019/790

44. Google soutient que la loi est contraire à l’article 26 (2) de la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique en ce qu’elle prévoit une date d’entrée vigueur antérieure au 7 juin 2021. II fait valoir que cette directive, qui fixe en son article 29 la date butoir de sa transposition par les Etats membres au 7 juin 2021, précise en son article 26 (2) qu’elle s’applique sans préjudice des actes conclus avant le 7 juin 2021. Google en déduit que la directive interdit ainsi explicitement aux Etats membres qui l’auraient transposée avant le 7 juin 2021 d’appliquer ces nouvelles dispositions aux actes d’exploitation antérieurs à cette date.

45. L’Autorité répond que les termes de l’article 26(2) de la directive, qui visent à préserver l’effectivité des actes conclus et des droits acquis avant le 7 juin 2021, ne font pas obstacle à ce que le législateur national puisse fixer une date d’entrée en vigueur des dispositions transposant la directive à une date antérieure à celle du 7 juin 2021, qui n’est que la date limite de transposition telle que fixée en son article 29. Elle souligne le régime spécifique d’entrée en vigueur des droits voisins prévu à l’article 15 (4) de la directive dont il résulte que les Etats membres peuvent créer des droits voisins pour toutes publications de presse parues à compter du 7 juin 2019.

46. Le SEPM, l’AFP et l’APIG concluent également au rejet du moyen pour des arguments similaires à ceux de l’Autorité.

47. Le ministre charge de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce la cour :

48. L’article 31 de la directive n°2019/790 prévoit que celle-ci entre « en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne ». La directive ayant été publiée au journal officiel de l’Union européenne le 17 mai 2019, elle est entrée en vigueur le 6 juin 2019.

49. Son article 29 fixe au 7 juin 2021 la date limite de sa transposition par les Etats membres de sorte que le délai de transposition a commencé à courir à compter du 6 juin 2019 pour expirer le 7 juin 2021.

50. L’article 26 (2) de la directive, qui régit son application dans le temps, prévoit qu’elle s’applique « sans préjudice des actes conclus et des droits acquis avant le 7 juin 2021 ».

51. Contrairement à ce que soutient Google, cette disposition n’a pas pour effet d’interdire aux Etats membres qui auraient transposé la directive avant le 7 juin 2021 d’appliquer ces nouvelles dispositions aux actes d’exploitation antérieurs a cette date. Il ressort uniquement de cet article que la directive n’affecte pas les droits acquis et actes conclus en vue de la reproduction et de la communication/mise à disposition au public réalisés avant cette date (voir, en ce sens, arrêt de la CJUE du 27 juin 2013, C-457/11 à C-460/11, points 27 à 29, à propos de dispositions comparables figurant à l'article 10, paragraphe 2, de la directive 2001/29)

52. En outre, il convient de procéder à une lecture combinée des dispositions de l’article 26 (2) avec celles de l’article 15 (4) de la directive, dont il résulte que la durée de la protection au titre des droits voisins est de deux ans, et que cette protection ne s'applique pas aux publications de presse publics pour la première fois avant le 6 juin 2019.

53. Il s’en déduit que la protection au titre des droits voisins s’applique à toutes les publications postérieures au 6 juin 2019, c'est-à-dire dès le lendemain de la date d’entrée en vigueur de la directive.

54. La loi de 2019, qui ne transpose pas l’intégralité de la directive mais uniquement ses dispositions visant à octroyer des droits voisins aux éditeurs de presse, a fixé sa date d’entrée en vigueur au 24 octobre 2019, soit après l’entrée en vigueur de la directive. Elle ne s’applique donc nécessairement, qu’aux publications de presse survenues après le 6 juin 2019.

55. Aucune disposition de la loi de 2019 ne remet par ailleurs en cause la protection des droits acquis reconnus par l’article 26 (2) de la directive, étant précisé que Google se borne à présenter un raisonnement in abstracto, tiré de la contrariété de la loi de 2019 à la directive, sans invoquer à son bénéfice aucun droit acquis ou acte conclu que la loi de 2019 affecterait. La cour relève, au surplus, que les autorisations d’affichage qu’il a obtenues de la part des éditeurs de presse l’ont été sans renonciation de leur droit à obtenir une rémunération pour la reprise et I ’affichage de leurs contenus protégés, de sorte qu’une approche in concreto ne traduit pas davantage de contrariété entre la mise en œuvre de la loi de 2019 et la directive qu’elle transpose.

56. Le moyen pris de la contrariété de la loi à la directive n’est donc pas fondé.

II. SUR LE MOYEN PRIS DE L’ABSENCE DE NOTIFICATION DE LA LOI DE 2019 A LA COMMISSION EUROPEENNE EN APPLICATION DE LA DIRECTIVE 2015/1535

57. Google fait valoir que la loi est une « réglementation technique » visant spécifiquement les « services de la société de l ’information » au sens de l’article 1(1) b) de la directive 2015/1535, de sorte qu’elle aurait dû être notifiée à la Commission européenne et que, faute de l’avoir été, elle est inapplicable.

58. L’Autorité répond qu’il résulte de l’article 7 (1) de la directive 2015/1535, que l’obligation de notification ne s’applique pas aux dispositions des Etats membres qui se limitent à transposer une directive de l’Union, puisqu’en tout état de cause, les actes de transposition doivent être notifiés à la Commission, ce qui en l’espèce a été fait, comme en témoigne la présence de ce texte sur le portail d’accès au droit de l’Union européenne Eur-Lex.

59. L’APIG, L’AFP et Le SEPM soulignent que la loi critiquée n’est qu’une loi de transposition, qui, à ce titre, relève de l’article 7 (1) de la directive 2015/1535, lequel dispense de notification, notamment, les dispositions législatives qui se conforment aux actes contraignants de l’Union.

60. Le ministre charge de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la cour,

61. L’article 5, paragraphe ler de la directive 2015/1535 dispose que « sous réserve de l’article 7, les Etats membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne ».

62.     L’article 7, paragraphe 1, a), de cette directive prévoit également que l’obligation de notification ne s’impose pas aux Etats membres lorsque « ces derniers se conforment aux actes contraignants de l’Union qui ont pour effet l’adoption de spécifications techniques ou de règles relatives aux services ».

63. Il en résulte que l’obligation de notification d'un projet de règle technique ne s’applique pas lorsque la disposition de droit national ne fait que transposer une directive, et ce comme le rappelle de manière constante la CJUE (CJUE, 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, point 48 ; CJUE, 28 mars 2019, Verlezza e.a., C-487/17 à C-489/17, point 33)

64. En l’espèce, la loi critiquée étant une loi de transposition de l’article 15 de la directive 2019/790, le projet de loi n’était pas soumis à l’obligation de publication en tant que disposition technique.

65. Le moyen, mal fondé, est donc rejeté.

III. SUR LE MOYEN TIRE DE L’ABSENCE DE PRATIQUE ANTICONCURRENTTELLE PROBABLE IMPUTABLE A GOOGLE

66. A titre liminaire, la cour rappelle qu’il résulte de l’article L. 464-1 du code de commerce que l’Autorité peut prendre les mesures conservatoires qui lui apparaissent nécessaires lorsque les faits dénoncés apparaissent susceptibles, en l’état des éléments dont elle dispose, de constituer une pratique anti-concurrentielle.

67. Dans la décision attaquée, l’Autorité a retenu que le comportement de Google, lors de l’entrée en vigueur de loi de 2019 créant des droits voisins au profit des éditeurs et agences de presse, était susceptible de constituer un abus de sa position dominante sur le marché français de la recherche généraliste en ligne en ce qu’il avait :

- imposé aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction inéquitables en refusant toute négociation pour rémunérer la reprise de leur contenu désormais protégé au titre des droits voisins,

- impose aux éditeurs et agences de presse des conditions de transaction discriminatoires,

- détourné la loi de 2019.

68. Google conteste chacun des trois cas retenus par l’Autorité comme étant susceptibles de caractériser un abus position dominante, ainsi que l’existence d’un lien de causalité avec sa prétendue position dominante, invoquant, notamment, que le marché pertinent délimité dans la décision attaquée n’est pas adapté aux faits de l’espèce.

69. La cour examinera la question de la délimitation du marché pertinent, qui est préalable, avant de traiter les autres moyens d’annulation.

A. Sur le marché pertinent

70. Google soutient que le service qu’il propose sur le marché de recherche généraliste en ligne est destiné aux utilisateurs en ce qu’il a vocation à répondre à leur requête en affichant des résultats pertinents et qu’un tel service n’est pas destiné aux éditeurs de presse. II ajoute que le trafic en ligne qu’il génère au profit des éditeurs de presse n’est qu’une conséquence indirecte d’un service de recherche aux utilisateurs qui n’induit pas un marché sur lequel les éditeurs seraient des clients de Google. II en déduit que du point de vue des éditeurs, le marché pertinent n’est pas celui de la recherche en ligne mais celui de la fourniture de trafic en ligne des éditeurs sur lequel il soutient ne pas avoir de position dominante dès lors que 60 % du trafic vers les sites des éditeurs proviennent de sources autres que les moteurs de recherche.

71. L’Autorité répond qu’un moteur de recherche propose des services à différents types d’utilisateurs tels que les annonceurs publicitaires, les utilisateurs de moteurs de recherche mais également les opérateurs de sites Internet pour lesquels Google agit principalement comme une plate-forme génératrice d’audience et que ses services, qui poursuivent un but lucratif commun, sont interdépendants. Elle déduit de ce fort lien de connexité que l’exploitation de la dominance sur le marché des services de recherche généraliste en ligne peut avoir des effets sur les relations que Google entretient avec les éditeurs et agences de presse dans le cadre d’un nouveau marché d’acquisition des contenus protégés au titre des droits voisins.

72. Le ministre charge de l’Economie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la cour :

73. A titre liminaire, la cour rappelle qu’en matière d’abus de position dominante, la définition du marché pertinent permet d'identifier le périmètre à l'intérieur duquel s'exerce la concurrence entre les entreprises et de déterminer s'il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d'agir indépendamment des pressions qu'exerce une concurrence effective.

74. L’Autorité peut ordonner des mesures conservatoires, dans la limite de ce qui est justifié par l'urgence, des lors que les faits dénoncés qui font l’objet d’une instruction dans la procédure au fond, apparaissent « susceptibles, en l’état des éléments produits aux débats, de constituer une pratique contraire à l'article L. 420-2 du code de commerce, cette pratique étant à l'origine directe et certaine de l'atteinte relevée » (Com., 8 nov. 2005, n° 04-16.857)

75. Il s’ensuit que le même standard doit s’appliquer à la délimitation du marché pertinent lorsqu’elle intervient dans le cadre de mesures conservatoires.

76. Sur le fond, et en premier lieu, il n’est pas contesté que les pratiques dénoncées, si elles sont avérées, sont susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre Etats membres et d’être qualifiées au regard de l’article 102 du TFUE. II est donc pertinent de se référer, ainsi que l’a fait la décision attaquée, aux communications et à la pratique décisionnelle européennes.

77. Il résulte d’une pratique décisionnelle de la Commission européenne, rappelée au paragraphe 137 de la décision attaquée, que le marché de recherche généraliste en ligne constitue une activité économique et partant, un marché pertinent qui se distingue de celui des fournisseurs de contenu et de celui des réseaux sociaux.

78. Comme le souligne, à juste titre, l’Autorité dans ses observations, le moteur de recherche propose un service spécifique, consistant à classer déférents sites en rapport avec une thématique de recherche et à proposer un extrait des contenus, permettant ainsi à l’internaute de choisir le lien qui lui paraît le plus pertinent, de comparer les articles de presse à d’autres types de sites, et/ou de comparer différents articles de presse entre eux, services qui ne sont pas proposés par les fouisseurs de contenus ou les réseaux sociaux.

79. Force est de constater que les éléments recueillis à ce stade de l’instruction ne sont pas de nature à remettre en cause la distinction opérée par la Commission entre le marché des services de recherche généraliste et le marché des sites fournissant du contenu et le marché des réseaux sociaux.

80. En deuxième lieu, et contrairement à ce que soutient Google, son service de recherche en ligne n’a pas vocation à s’adresser exclusivement aux internautes mais intéresse également d’autres types d’utilisateurs que sont les annonceurs publicitaires et les fournisseurs de contenu envers lesquels il agit comme une plate-forme génératrice d’audience. Le moteur de recherche intéresse donc tout à la fois l’internaute, qui fait la recherche, les annonceurs qui veulent placer leurs produits et les fournisseurs de contenus qui cherchent de l’audience. Les services ainsi rendus sont étroitement liés en ce qu’ils poursuivent un but lucratif commun et interdépendant: Google a intérêt à optimiser le référencement des sites Internet indexes sur son moteur de recherche, afin de rendre sa plate-forme de recherche la plus attractive possible pour les utilisateurs, ce qui maximisera ses activités lucratives, en particulier publicitaires, tandis que l’attractivité du moteur de recherche de Google rend l’indexation des sites des éditeurs cruciale pour ces derniers.

81. Il en résulte que Google n’est pas fondé à contester le marché pertinent retenu, aux motifs que les éditeurs et agences de presse ne seraient pas des clients, dès lors qu’une activité économique résulte des relations entretenues par Google avec les éditeurs et agences de presse, qui exploitent des sites, dont il indexe, classe et présente les contenus pour alimenter ses services de recherche généraliste en ligne.

82. Il  s’en déduit, qu’en l’état des éléments dont elle disposait à ce stade de l'instruction, c’est à juste titre que l’Autorité a défini le marché pertinent comme de celui de la recherche généraliste en ligne, marché sur lequel Google ne conteste pas détenir une position dominante eu égard à ses parts de marché qui sont de l’ordre de 90%.

B. Sur l’imposition de conditions inéquitables de transaction

1. Sur le caractère inéquitable des conditions de transaction

83. Google conteste, en premier lieu, l’interprétation donnée à la loi de 2019 par l’Autorité, selon laquelle les extraits des publications de presse repris par son moteur de recherche sont protégés au titre des droits voisins et que cette protection créée au bénéfice des éditeurs un droit garanti à rémunération, en faisant valoir, d’une part, que ces extraits sont susceptibles de relever de l’exception prévue à l’article L.211-3-1 du code de la propriété intellectuelle et, d’autre part, que la loi n’ouvre aux éditeurs que le droit d’autoriser ou de refuser l’utilisation de leur contenu, elle ne leur garantit pas un droit à rémunération monétaire et de fait, aucune obligation d’achat à sa charge.

84. Il  reproche, en second lieu, à l’Autorité de ne pas avoir mis en balance la valeur sous-jacente que l’affichage d’extraits transfère aux éditeurs comparativement à celle que Google retire de cet affichage. II soutient, à cet égard, que l’affichage gratuit d’extraits de contenus éditoriaux assure un trafic incrémental pour les éditeurs, en ce qu’ils assurent une promotion de leur site particulièrement valorisée par les éditeurs, tandis que ces extraits ont pour Google une valeur limitée comme le montre l’étude économique qu’il a versée devant l’Autorité, selon laquelle les éditeurs de presse retireraient de l’affichage de leur contenu par Google un revenu global de 149 millions d’euros tandis que Google retirerait de cet affichage un avantage global de 25 millions. S’agissant de la valeur qu’il tire de ces extraits, il fait valoir que ces deniers génèrent très peu de publicité et que, globalement, les recherches en lien avec l’actualité représentent moins de 6 % des requêtes effectuées sur le moteur de recherche. Il ajoute que l’affichage de ces extraits ne lui permet pas de collecter des données sur l’utilisateur susceptibles d’être ultérieurement exploitées commercialement et enfin, que si l’affichage de ces extraits lui permet d’améliorer les produits et services qu’il offre aux utilisateurs comme l’a retenu l’Autorité dans la décision attaquée, cette amélioration reste marginale en raison de la faiblesse du nombre de requêtes en lien avec l’actualité et qu’en tout état de cause, ces améliorations profitent tout autant aux éditeurs en ce qu’elles augmentent l’attractivité du moteur de recherche et partant, les possibilités de redirection de l’utilisateur vers les sites des éditeurs.

85. L’Autorité répond, s’agissant du champ d’application des droits voisins, qu’il ressort clairement tant de la directive que de la loi de 2019 que le législateur a entendu donne un caractère restrictif à l’exception posée en faveur des mots isolés ou des très courts extraits, et s’agissant du droit à rémunération, qu’il résulte de la combinaison des termes mêmes de la directive que le législateur européen a entendu créer un nouveau droit de propriété intellectuelle qui, comme tout autre droit de cette nature, vise à assurer une rémunération spécifique et approprié de l’utilisation de l’œuvre, et pas simplement le droit d’interdire cette utilisation sans consentement de son auteur.

86. Elle rappelle, s’agissant du caractère inéquitable des conditions de transaction, que la décision attaquée précise que les conditions de transaction des contenus protégés sont susceptibles d’avoir été imposées par Google compte tenu de l’absence de toute négociation avec les éditeurs et les agences de presse, alors même que les droits voisins ouvraient à ces deniers une possibilité de négociation en fonction des critères énumérés par la loi de 2019. Elle souligne que l’argument de Google selon lequel son comportement était similaire à celui des autres opérateurs non dominants est factuellement inexact, dès lors que ces deniers se sont montrés disposés à négocier, comme le montrent leurs déclarations au cours de l’instruction.

87. Elle ajoute que les conditions d’affichage des contenus protégés appliques par Google sont susceptibles d'être « inéquitables » en raison de l’absence systématique de toute rémunération associée à la reproduction partielle d’articles de presse alors que le législateur a fait le choix de conférer aux éditeurs et agences de presse un nouveau droit patrimonial dans le but de redéfinir un partage de valeur à leur bénéfice.

88. Elle répond, s’agissant du grief pris d’une prétendue absence de mise en balance des intérêts en présence, que l’étude économique invoquée par Google présente des limites que la décision attaquée a identifiées et qui sont de nature à remettre en cause ses estimations. Elle souligne au demeurant qu’au stade des mesures conservatoires, il n’apparaît pas nécessaire de se prononcer sur le bien fondée de ces estimations, étant observé qu’il ressort tant des déclarations de Google que d’autres opérateurs pendant l'instruction des mesures conservatoires, que l’affichage des contenus génère des gains indirects en termes de qualité et d’attractivité du service.

89. L’AFP répond, s’agissant de la portée et du champ d’application de la loi de 2019, par des arguments similaires à ceux de l’Autorité, et souligne, s’agissant du champ d’application de l’exception au profit des courts extraits ou mots isolés que Google, lui-même, l’a exclue puisqu’il a mis en place des nouveaux outils pour recueillir l’autorisation d’utiliser les extraits de contenus et qu’en tout état de cause, l’exception légale ne saurait s’appliquer aux images et vidéos que Google affiche sur sa plate-forme.

90. S’agissant du grief tiré de l’absence de mise en balance des intérêts en présence, l’AFP souligne que l’Autorité n’avait pas, au stade de l’examen des demandes de mesures conservatoires, à effectuer une telle analyse dès lors qu’elle a par ailleurs relevé des éléments objectifs qui rendent susceptibles la pratique de conditions inéquitables, telles I’intervention du législateur motivée par le constat que l’échange de valeur préexistante n’était plus satisfaisante et l’application, sous la menace d’un déréférencement de l’affichage des contenus, d’un prix nul par un opérateur ultra dominant qui continue à percevoir un avantage économique de la diffusion de ces contenus de presse.

91. Elle ajoute, s’agissant du comportement des autres opérateurs sur le marché, que ces derniers, qui se partagent moins de 10 % de ce marché, n’ont aucun intérêt rationnel à prendre une initiative de réduction de leurs gains tant que l’opérateur archi dominant campe sur une position radicale de refus de paiement de droits voisins.

92. Le SEPM fait valoir des arguments similaires à ceux de l’Autorité concernant la portée et le champ d’application de la loi de 2019 et souligne également, à l’instar de l’AFP, que Google a lui-même considéré que ses “snippets” relevaient du champ d’application de la loi puisqu’il a modifié sa politique d’affichage pour prévoir que par défaut, en l’absence d’autorisation, les contenus seront désormais affichés sous la forme d’un titre et d’un lien hypertexte uniquement. Il ajoute que l’argumentation de Google tenant à la valeur retirée par les éditeurs de presse de l’affichage de leur contenu va à l’encontre des constats faits par les législateurs européen et français, selon lesquels les plateformes captent la majeure partie de la valeur créée par les contenus des éditeurs de presse, sans en supporter les investissements associés, constat les ayant conduits à consacrer un droit à rémunération au profit des éditeurs de presse par l’instauration des droit voisins, et ce afin de rééquilibrer le partage de valeur créée par les contenus éditoriaux.

93. L’AFIG s’associe aux arguments de l’Autorité et des autres intervenants concernant la portée et le champ d’application de la loi de 2019.

94. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la cour:

95. La loi de 2019, qu’il convient d’interpréter à la lumière des considérants n° 54,57 et 58 de la directive 2019/790 qu’elle transpose, rappelés aux paragraphes 18,19 et 20 du présent arrêt, confère aux éditeurs et agences de presse des droits voisins du droit d’auteur. Ces droits patrimoniaux, sur le fondement desquels leur autorisation est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de leurs publications sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne, peuvent être cédés ou faire l’objet d’une licence, la rémunération due au titre de ces droits étant assise sur les recettes d’exploitation de toutes natures, directes ou indirectes, ou à défaut évaluée forfaitairement, dans les conditions prévues par l’article L.218-4 du code de la propriété intellectuelle.

96. Si l’attribution de droits voisins aux éditeurs et agences de presse ne constitue pas un droit à rémunération garanti, en ce sens que ces droits n’ont pas pour objet de contraindre les sociétés de services de communication en ligne à accepter de payer la licence demandée par le titulaire de ces droits, elle exige néanmoins que ce dernier puisse être en mesure de demander une juste rémunération au titre de la reproduction de ses contenus protégés, et implique une négociation préalable entre les parties dans le cadre de laquelle la société de service de communication en ligne est tenue, en application de l’article L.218-4 du code de la propriété intellectuelle, de fournir tous les éléments d'information relatifs aux utilisations des publications de presse par ses usagers ainsi que tous les autres éléments d'information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération telle que prévue à cet article.

97. 0r, il est constant que Google, un mois avant l’entrée en vigueur de la loi, a annoncé qu’il demanderait l’autorisation aux éditeurs et agence de presse pour l’affichage de leur contenu par ses services « Google Search », « Google Actualités » et « Google Discover » tout en indiquant, d’emblée, avant toute négociation, qu’il n’entendait pas rémunérer la reprise de ces contenus.

98. Dès le 25 septembre 2014, il a ainsi notifié aux éditeurs de presse un avis de rupture de leurs relations préexistantes pour le 24 octobre 2019 accompagné d’une offre de maintien de ces relations à un prix nul, considérant ainsi que les autorisations de reprise de contenu de publication de presse ne pouvaient être données qu’à titre gratuit.

99. Google ne peut justifier sa position unilatérale et systématique à l’égard de tous les éditeurs et pour l’ensemble des contenus repris par son moteur de recherche, par le fait que ses modalités d’affichage sous la forme de très courts extraits (« snippet ») échapperaient, par principe, au champ d’application de la loi de 2019. En effet, en faisant de l’exception prévue à l’article L.211-3-1 du code de la propriété intellectuelle un principe général, Google est susceptible d’avoir soumis les éditeurs et agence de presse à des conditions inéquitables en les privant du bénéfice de la loi de 2019, dont il a neutralisé l’effet utile. La cour ajoute que la loi de 2019 vise les « éditeurs et agences de presse » de sorte qu'il est vain de prétendre, comme le fait Google, que l’AFP ne peut directement revendiquer des droits voisins, ce d'autant qu'une grande majorité des contenus de l’AFP reproduits par le moteur de recherche correspond à des images.

100. A cet égard, il y a lieu de rappeler que la directive n°2019/790, dont la loi de 2019 assure la transposition, a créé des droits voisins au profit des éditeurs et agences de presse, après avoir fait les constats repris aux considérants 54 et 58 reproduits au paragraphe 18 et suivants du présent arrêt, et que le législateur européen a pris le soin de souligner que « compte tenu de l‘agrégation et de l'utilisation massives de publications de presse par les prestataires de services de la société de l'information, il importe que l’exclusion des très courts extraits soit interprétée de manière à ne pas affecter l’efficacité des droits prévus dans la présente directive ».

101. Au demeurant, la question de savoir si les modalités d’affichage des contenus des éditeurs de presse par Google, qui le plus souvent reprennent le titre de l’article, souvent enrichi d’une image, voire d’une vidéo, relèvent de l’exception prévue par l’article L. 211-3-1 précité, n’est pas de nature à exclure que les faits dénoncés soient susceptibles, en l’etat de la procédure, de constituer une pratique contraire à l’article L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, dès lors que les faits en cause ne traduisent pas une approche au cas par cas, mais procèdent d’une position de principe émanant d’une société en position dominante, appliquée à tous les titulaires de droits, sans distinction de leurs contenus, ni possibilité de négociation, dans un contexte de crise du secteur de la presse qui renforce l’asymétrie de leur rapport de force.

102. Google ne saurait sérieusement prétendre ne pas être opposé à toute négociation et avoir d’ailleurs accepté d’entrer en négociations, alors que les négociations dont il s’agit, ouvertes après la saisine de l’Autorité, ne portent pas sur l’affichage d’extraits d’article de presse ou de photographies de presse mais sur la reprise de contenus intégraux d’articles de presse dans le cadre du développement d’autres services de Google (cotes 8582 à 8597).

103. Comme l’a relevé à juste titre l’Autorité dans la décision attaquée, le comportement unilatéral et systématique adopté par Google lors de l’entrée en vigueur de la loi de 2019 a placé les éditeurs de presse dans une situation fortement contrainte, faisant peser sur eux un risque de déréférencement, alors même que cette loi a fait de la négociation, sur un plan à la fois juridique et économique, un élément central des relations entre services de communication au public en ligne et éditeurs et agences de presse. En effet, les éditeurs et agences de presse ne peuvent supporter la perte de trafic que représenterait l’absence ou la dégradation des modalités d’affichage des contenus protégés au sein des services de Google, en raison notamment du caractère irremplaçable du trafic redirigé par un opérateur d’une telle notoriété et détenant des parts de marché si conséquentes. Google, par son comportement, a ainsi mis l’éditeur devant un choix consistant soit à potentiellement perdre du trafic et des revenus au profit de ses concurrents qui auraient opté pour une licence gratuite, soit à les conserver en octroyant également une licence gratuite, impliquant de renoncer à ses nouveaux droits.

104. C’est en vain également que Google reproche à l’Autorité de ne pas avoir tenu compte de la valeur retirée par les sites de presse de cet affichage, dès lors que, précisément, la protection au titre des droits voisins a été instaurée au profit des éditeurs et agences de presse par suite du constat fait par le législateur européen, puis national, que cette valeur — tirée d’une promotion de leur site effectuée gratuitement et se traduisant par une augmentation de trafic ayant une incidence monétaire, soit par la publicité, soit par la vente d’abonnement—n’était pas toujours suffisante au regard des investissements effectués par les éditeurs de publications de presse pour la production de contenus.

105. En outre, comme l’a à juste titre relevé l’Autorité aux paragraphes 209 et suivants de sa décision, Google, contrairement à ce qu’il soutient dans ses écritures, tire un intérêt économique certain de cet affichage de publication de presse, en raison :

-    d’une part, des revenus publicitaires directs qu’il perçoit grâce aux annonces publicitaires qui s’affichent avec les résultats de la recherche, fussent-elles peu nombreuses lorsque la recherche porte sur un thème d’actualité, et celles qu’il perçoit en tant qu’intermédiaire de publicité en ligne, au titre des annonces ciblées qu’il génère sur le site de l’éditeur vers lequel l’utilisateur du moteur de recherche est redirigé; et pour lesquelles il perçoit une commission;

-    d’autre part, et surtout, de l’attractivité apportée à son moteur de recherche par cet affichage de contenu, attractivité qui peut jouer tant dans le déclenchement d’une recherche que dans le temps passé par l’utilisateur sur le moteur de recherche et les données personnelles qui en dérivent.

106. Si cette attractivité joue également indirectement en faveur des éditeurs de presse, elle représente un intérêt majeur pour Google étant rappelé que la collecte de données personnelles de ses utilisateurs constitue l’un des deux piliers de son modèle économique.

107. C’est également en vain que Google invoque des décisions rendues en Allemagne, dès lors que ces dernières, qui ne lient pas la cour, ont été rendues avant l’entrée en vigueur de la directive de 2019.

108. Il résulte de ces éléments, qu’en l’état de l’instruction, le comportement de Google sur un marché qu’il domine, consistant à priver les éditeurs et agences de presse de toute possibilité de négocier une rémunération liée à la reproduction d’extraits de publication de presse sur le moteur de recherche Google au moment précis où la loi leur reconnaît ce droit, est susceptible d’être qualifie d’abus d’exploitation par l’imposition de conditions de transaction inéquitables, sans qu’il y ait lieu, au stade de l’appréciation de la demande de mesure conservatoire, de procéder à une balance des intérêts en présence ou d’apprécier les autres éléments qui pourraient atténuer la portée d’un tel abus, lesquels relèvent de l’examen au fond des pratiques.

109. Ces éléments suffisent à justifier de l’existence d’une pratique anti-concurrentielle probable, autorisant le prononcé de mesures conservatoires, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres abus envisagés par l’Autorité.

2, Sur le lien de causalité avec la position dominante de Google

110. Google fait valoir, que si le marché de la recherche généraliste en ligne devait être retenu, le lien de causalité entre sa position dominante sur ce marché et les pratiques qui lui sont reprochées ne saurait résulter, comme l’a retenu l’Autorite dans la décision attaquée, de « son poids particulier et irremplaçable dans le trafic des sites internet des éditeurs de presse » aux motifs d’une part, qu’il existe des sources alternatives de trafic que sont notamment les connexions directes sur les sites des éditeurs ou celles établies par l‘intermédiaire d’autres plateforme comme celle des réseaux sociaux et que l’Autorité n’a pas établi en quoi ces autres sources de trafic ne seraient pas substituables à celle provenant des moteurs de recherche, et d’autre part, qu’aucun des autres fournisseurs de trafic comme FaceBook, Qwant ou Bing, n’a à ce jour, conclu un accord avec les éditeurs afin de les rémunérer pour l’affichage d’extraits de contenu. II en déduit que le lien de causalité entre sa position dominante et les pratiques reprochées n’est pas établi.

111. L’Autorité répond que la décision attaquée, en ses paragraphes 138 et suivants, a expliqué

les raisons de la délimitation du marché retenu, comme étant celui de la recherche en ligne à l’exclusion des autres sources de fournisseurs de trafic qui ne lui sont pas substituables, et a mis en évidence en ses paragraphes 127 et suivants que le trafic en provenance de Google ne peut pas être remplacé, ou en tous les cas intégralement par des sources alternatives de trafic. Elle souligne que Google se distingue des autres moteurs de recherche tels que Bing et Qwant qui, eux, ont proposé de rémunérer les contenus de presse.

112. Elle ajoute que Google, dans son activité de moteur de recherche, agit comme un intermédiaire entre des sites internet, qui fournissent du contenu, et des internautes, qui recherchent des informations, de sorte que sa position dominante sur le marché de la recherche en ligne et l’absence d’alternative rendent Google incontournable pour les agences et éditeurs de presse.

113. Le SEPM fait valoir que Google ne saurait sérieusement prétendre que la presse aurait délibérément choisi de renoncer à la rémunération consacrée à son profit par le législateur sans laquelle sa pérennité est menacée, et qu’en réalité, la modification qu’il a opérée sur sa politique d’affichage n’avait pas d’autre objectif que contraindre l’ensemble des éditeurs de presse à accepter la reprise de leurs contenus éditoriaux sans rémunération. Il soutient que cette modification a pris la forme d’un chantage : soit éditeur accepte la reprise de son contenu sans rémunération, soit l’affichage de son contenu est dégradé, sous la forme d’un titre et de lien hypertexte, ce qui correspond à une menace réelle de quasi-déréférencement. Il souligne que la décision de l’Autorité montre que les éditeurs de presse qui ont subi un affichage dégradé ont enregistré des baisses de trafic extrêmement significatives, qui ont fortement impacté leur revenus. Il indique qu’entre 40 % et 70 % du trafic sur les sites internet des éditeurs de presse magazine provient des plateformes de Google, et qu’à supposer qu’il faille retenir le chiffre de 30 % avancé par Google en dépit du caractère non pertinent de l’etude ayant conclu à un tel taux, cette source représente, en tout état de cause, une part très importante de trafic et qu’elle est irremplaçable compte tenu de la faiblesse du trafic apporté par les moteurs de recherche concurrents dont les parts de marché cumulées en France sont inférieures à 5 %. II ajoute, s’agissant du comportement des autres acteurs sur le marché, que si les autres plateformes n’appliquent pas la loi de 2019, c’est uniquement parce qu’ils se sont alignés sur le comportement de l’opérateur en situation de quasi-monopole afin de ne pas se trouver désavantagés en supportant un coût que le leader du marché n’expose pas.

114. L’AFP fait valoir que c’est bien la position dominante extraordinaire de Google sur le marché de la recherche généraliste en ligne qui lui a permis de contraindre les éditeurs et agences de presse à renoncer à un droit et à une rémunération que la loi de 2019 venait d’instaurer à leur profit, et qu’en l’absence d’une telle position, Google n’aurait pas été en capacité d’imposer de telles conditions. II souligne, s’agissant du comportement des autres opérateurs, que comme dans tout secteur dominé par un opérateur, c’est ce dernier qui est à même d’avoir une influence sur le fonctionnement du marché, les autres opérateurs ne pouvant pas se départir totalement des stratégies qu’il met en place.

115.  L’APIG souligne que c’est bien la position dominante extraordinaire de Google sur le marché qui lui a permis d’obtenir, sous la menace, une mise à disposition gratuite des contenus protégés au lieu et place de négociations en vue d’une rémunération.

116. Le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la cour:

117. Contrairement à ce que soutient Google dans ses écritures, l’Autorité a, aux paragraphes 222 à 233 de la décision attaquée, par des motifs pertinents que la cour adopte, démontré que le moteur de recherche de ce dernier apportait une part très importante du trafic des sites internet des éditeurs de presse et en quoi, du point de vue des éditeurs, ce trafic n’était pas remplaçable par un trafic issu des réseaux sociaux, d’agrégateurs de contenus ou encore par l’accès direct, en se fondant principalement sur les études économiques, fournies tant par les saisissants que par Google, qui témoignent du poids prépondérant des moteurs de recherche par rapport à toute autre alternative de source de trafic redirigé. La cour ajoute que la notoriété de Google et ses parts de marché conséquentes, proches du monopole, font de son moteur de recherche un outil incontournable de référencement.

118. Ce poids est, au demeurant, confirmé par le lien de causalité entre la diminution significative du trafic sur les sites des éditeurs de presse et leur décision de ne pas autoriser Google à reprendre leur contenu, tel qu’il a été démontré aux paragraphes 111 et suivants de la décision attaquée et qui n’est pas contesté par Google.

119. En outre, si aucune licence payante n’a été à ce jour acceptée par d’autres sociétés de l’information exploitant des moteurs de recherche, il est constant que certaines d’entre elles comme celles exploitant les moteurs de recherche « Bing » et « Qwant » ont accepté d’ouvrir des négociations en vue de l’octroi de licence payantes, de sorte que Google ne peut utilement prétendre que les autres opérateurs sur le marché ont adopté le même comportement que le sien. Il convient d’ajouter que ces derniers peuvent difficilement ne pas s’aligner sur le comportement de l’opérateur en situation de quasi-monopole s’ils ne veulent pas se trouver désavantagés en supportant un coût que le leader du marché n’expose pas.

120. C’est bien en raison des parts de marché qu’il détient, de l’ordre de 90%, et du caractère non substituable du trafic généré par le moteur de recherche sur les sites des éditeurs et de l’importance économique de ce trafic pour ces derniers, que Google a pu s’affranchir de toute pression concurrentielle et obtenir des éditeurs de presse des conditions équivalentes à une licence gratuite, sans négociation possible.

121. Le moyen tiré de l’absence de lien de causalité doit donc être écarté.

122. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que c’est à juste titre que l’Autorité a considéré qu’en l’état de l’instruction, il existait des éléments suffisants permettant de considérer que le comportement de Google était susceptible de caractériser un abus de position de dominante par l’imposition de conditions de transaction inéquitables.

C. Sur les effets anticoncurrentiels

123. Dans la décision attaquée, l'Autorité a retenu, aux paragraphes 265 et suivants, que, s'agissant de l'imposition de conditions de transaction non équitables, la démonstration d'effets anticoncurrentiels de la pratique n'est pas requise, mais qu'en tout état de cause, à ce stade de l'instruction, le comportement de Google était susceptible d'avoir entraîné des effets de deux ordres, les uns au préjudice des éditeurs et agences de presse, les autres au préjudice des concurrents de Google.

124. Google reproche à l'Autorité de s'être limitée à des allégations générales et infondées sans démontrer en quoi les pratiques seraient susceptibles d'avoir des effets réels ou potentiels tant sur les éditeurs, que sur ses concurrents, de sorte qu'elle n'a pas motivé à suffisance de droit qu'une pratique anticoncurrentielle est susceptible d'avoir été commise.

125. L'Autorité répond que les effets résultant des abus d'exploitation susceptibles d'avoir été commis par Google résident principalement en la privation systématique d'une rémunération spécifique des contenus protégés, alors même que la loi de 2019 visait une redéfinition du partage de la valeur entre éditeurs et les services de communication au public en ligne en faveur des premiers, et que l'application de telles conditions, dans un contexte économique sinistré pour la presse, est susceptible de dégrader la qualité de l'offre des éditeurs de presse au détriment des consommateurs, dans un secteur essentiel au bon fonctionnement d'une société démocratique. Elle ajoute que les pratiques de Google peuvent potentiellement engendrer des effets d'exclusion sur le marché des services de recherche en ligne, si elles devaient permettre à Google de s'affranchir d'une charge qui serait supportée par ses concurrents.

126. L'AFP conclut en des termes similaires.

127. L'APIG souligne que par son comportement, Google empêche le développement du marché de licences payantes.

128. Le ministre chargé de l'économie et le ministère public invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce, la cour,

129. L'Autorité, aux paragraphes 267 et 268 de sa décision, a retenu que le comportement de Google était susceptible, au stade de l'instruction, d'avoir entraîné des effets de deux ordres

—   des effets préjudiciables à l'égard des éditeurs et agences de presse en privant la loi de 2019 de ses effets escomptés, entraînant ainsi une dégradation de leurs situations, tant d'un point de vue économique que juridique, compte tenu du périmètre des licences gratuites concédées à Google, par rapport à la situation qui aurait résulté d'une négociation dans les conditions fixées par la loi de 2019 ;

—   des effets anticoncurrentiels sur le marché des services de recherche généraliste, en plaçant les concurrents de Google, notamment ceux détenant une faible part de marché et qui s'acquittent d'une rémunération auprès des éditeurs pour l'affichage de leurs contenus, dans une situation d'asymétrie par rapport à Google.

130. Ainsi, contrairement à ce que soutient Google, l'Autorité ne s'est pas fondée sur le postulat selon lequel les éditeurs de presse sont privés des revenus que la loi de 2019 leur garantit et qu'ils n'ont pas de ressources suffisantes pour faire face à leurs charges, mais elle a relevé la dégradation de leur situation en ce qu'ils ont été privés de la faculté de négocier des licences payantes pour la reprise de leur contenu.

131. Ce faisant, l'Autorité a, par l'ensemble des motifs rappelés ci-dessus, fait ressortir, à juste titre, qu'en l'état de l'instruction, le fait de priver les éditeurs de toute négociation sur la rémunération et de limiter son offre de service à des conditions inéquitables, étaient susceptibles de fausser le jeu normal de la concurrence, tant à l'égard des éditeurs, dès lors que par son comportement, Google empêche le développement du marché de l'octroi de licences payantes, qu'à l'égard de ses concurrents, dès lors que Google n'a rien à craindre de ces derniers en raison de sa position ultra dominante sur le marché et placerait ceux qui souhaiteraient entrer en négociations avec les titulaires des droits voisins en situation de net désavantage, en grevant leurs recettes de charges que le leader du marché s'affranchit de régler.

132. Le moyen doit donc être rejeté.

IV. SUR L’ATTEINTE GRAVE ET IMMÉDIATE À L'ÉCONOMIE GÉNÉRALE OU AU SECTEUR DE LA PRESSE

133. Aux paragraphes 272 à 291 de la décision attaquée, l'Autorité a retenu l'existence d'une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse, directement liée au comportement de Google, qui, dans un contexte de crise majeure de ce secteur, prive les éditeurs et agences de presse d'une ressource vitale pour assurer la pérennité de leurs activités, et ce au moment crucial de l'entrée en vigueur de la loi sur les droits voisins.

A. Sur l'atteinte grave à l'économie générale ou aux intérêts de la presse

134. Google estime qu'aucune atteinte grave à l'économie générale ou aux intérêts de la presse n'a été établie. Il considère avoir appliqué la loi de 2019 en donnant la possibilité aux éditeurs de décider s'ils souhaitent voir leurs extraits de contenus affichés et, le cas échéant, le format de cet affichage, d'une manière granulaire, en allant au-delà même de ses prescriptions.

135. Il observe qu'un grand nombre de communication en ligne entrent dans le champ d'application de la loi, en ce compris des agrégateurs d'articles de presse et d'importantes plateformes telles que Facebook. Il en déduit qu'il n'est pas en mesure, de par son seul comportement, de porter atteinte à l'effectivité de la loi. Il ajoute qu'il contribue à la dissémination de l'information et au pluralisme des médias, comme l'ont souligné le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique et le Conseil constitutionnel. Il relève à cet égard qu'il apporte une contribution significative à la société démocratique et au secteur de la presse en investissant de manière continue dans ses algorithmes, en assurant la promotion des contenus des éditeurs, en permettant aux utilisateurs de trouver facilement et rapidement les articles répondant le mieux à leurs requêtes mais également de découvrir de nouvelles sources d'information.

136. Il estime que la décision attaquée, en s'immisçant dans son modèle commercial gratuit pour lui imposer une obligation de paiement de tous les extraits de contenus, sans considération de ses intérêts commerciaux, ne peut que menacer cet équilibre et cette contribution et renforcer les grands éditeurs au détriment des plus petits. Il rappelle qu'en Allemagne, le Bundeskartellamt et le Tribunal régional de Berlin n'ont pas remis en cause les conditions de transaction qu'il propose et renvoie sur ce point au paragraphe 236 de ses écritures.

137. Il fait observer que les difficultés financières de la presse sont anciennes —les revenus publicitaires des éditeurs français étant en baisse depuis plus de 30 ans — et constate que si l'Autorité a retenu que « Google search » est la principale source de trafic redirigé vers les sites des éditeurs de presse, rien n'établit que seul le trafic redirigé est valorisé par les éditeurs, le trafic direct ayant une valeur économique équivalente pour les éditeurs. Il considère ne représenter qu'environ un tiers du trafic vers les sites web des éditeurs.

138. Il fait valoir enfin qu'il n'est pas démontré de lien de causalité entre la mise en œuvre de la loi et la crise du secteur de la presse qui perdure depuis des décennies, laquelle est liée à de multiples facteurs indépendants de Google tels que le changement de comportement des consommateurs, la multiplication des espaces publicitaires sur des supports variés ou encore l'émergence d'éditeurs concurrents aux acteurs historiques du secteur de la presse.

139. L'Autorité rappelle qu'une atteinte qui porte préjudice à un intérêt collectif dont la persistance est particulièrement dommageable est susceptible de justifier le prononcé de mesures conservatoires et considère que la situation décrite dans la décision attaquée caractérise une telle atteinte.

140. L'Autorité estime qu'il ne s'agit pas ici d'un simple manque à gagner et relève que l'atteinte consiste, d'une part, à menacer la viabilité et la stabilité des opérateurs du secteur de la presse, d'autre part, à dégrader la qualité des contenus journalistiques.

141. Elle fait valoir que le législateur a souligné que la création de ces nouveaux droits patrimoniaux, cessibles, offrirait une source de revenus vitale pour remédier aux difficultés du secteur et que le comportement, adopté au moment même de l'entrée en vigueur de la loi, l'a privée de ses effets escomptés, rendant sa mise en œuvre purement théorique. Elle ajoute qu'en menaçant la viabilité économique du secteur de la presse dans son ensemble, les pratiques risquent de déstabiliser un secteur qui joue un rôle fondamental dans le cadre d'une société démocratique.

142. Elle relève que le comportement de Google, compte tenu de sa position dominante, est de nature :

—   à influencer la manière dont les autres plateformes se positionneront pour mettre en œuvre la loi de 2019 et que le refus par principe de Google de l'appliquer est susceptible de dissuader les autres fournisseurs de services de communication en ligne de le faire ;

—   également, à ne pas inciter les éditeurs et les agences de presse à mettre en place des structures de gestion collective, partie intégrante du dispositif voulu par le législateur, faute d'intérêt réel à mettre en place de telles structures si un acteur aussi dominant que Google refuse par principe, et sans négociation possible, de rémunérer.

143. Elle en déduit que, par suite, ce comportement pourrait compromettre définitivement les possibilités pour les éditeurs et agences de presse d'être rémunérés au titre des droits voisins

144. Elle estime que l'atteinte identifiée au secteur de la presse est bien directement liée aux modalités de mise en œuvre de la loi de 2019 et relève que la mise en place par Google — antérieure à la loi de 2019 — de « fonds de soutien » au bénéfice de la presse ne saurait ni compenser la gravité de l'atteinte causée ni, en tout état de cause, exempter Google des obligations découlant de la loi.

145. L'APIG considère que les pratiques abusives en cause ont porté gravement atteinte aux intérêts de la presse, au premier rang desquels figure son syndicat, ainsi qu'à l'économie générale.

146. Il relève que la directive n° 2019/790 et la loi de 2019 ont été adoptées pour rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée entre les services de la société de l'information comme Google et les éditeurs de presse pour l'utilisation de leurs contenus protégés et que la valorisation des droits voisins est une source de revenus vitale pour les éditeurs. A cet égard il rappelle que le dispositif mis en place a été qualifié de « question de vie ou de mort » au cours des travaux parlementaires. Il considère que, par ses pratiques, Google menace la pérennité du secteur en empêchant les éditeurs de compenser la baisse des revenus issus de la presse papier par des revenus numériques et précise que ce comportement se poursuit en dépit des mesures ordonnées et qu'il a saisi l'Autorité pour inexécution des injonctions

147. S'agissant de l'atteinte à l'économie générale, il considère que les pratiques de Google menacent gravement la pérennité du secteur de la presse qui « apporte une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d'une société démocratique » comme le souligne le considérant 57 de la directive sur les droits voisins. Il estime qu'en privant les éditeurs de la rémunération nécessaire à leur maintien sur le marché, Google les condamner à limiter voire mettre un terme au développement de leur offre numérique, privant potentiellement les consommateurs de ce genre service alors que la consommation d'actualités en ligne est en forte augmentation.

148. Le SEPM fait valoir que la loi de 2019 a été promulguée afin de permettre aux éditeurs de presse d'exploiter rentablement leurs titres de presse et partant, de pouvoir proposer aux lecteurs des contenus divers et de qualité. Il estime qu'en vidant la loi de sa substance Google prive les éditeurs de presse d'une rémunération que la loi entendait consacrer de manière urgente à leur profit. Il précise qu'il ne s'agit pas ici d'un simple manque à gagner, mais d'une privation de revenus indispensables à la continuité de l'activité des éditeurs de presse et qu'à défaut de rémunération les éditeurs risquent d'être évincés du marché ou contraints de réduire la diversité de leurs offres de contenu ou leur qualité.

149. Il revendique également l'existence d'une atteinte grave et immédiate résultant de la menace de quasi-déréférencement pesant sur les éditeurs de presse s'ils ne concèdent pas une licence gratuite sur leurs contenus, cette menace étant réelle et ayant déjà été mise à exécution en Allemagne où Google a demandé aux éditeurs de signer une « déclaration de renoncement à toute rémunération ». Il estime que si Google choisissait de mettre en œuvre cette pratique en France, les éditeurs de presse verraient une chute drastique de la fréquentation de leur site, et partant, une baisse de leur chiffre d'affaire, de nature à conduire à leur éviction compte tenu de la part de la part représenté par Google dans le trafic des sites de presse magazine.

150. Il signale à cet égard que lorsque le groupe Axel Springer a tenté d'obtenir de Google une rémunération pour l'affichage de ses « snippets », Google a dégradé l'affichage de l'ensemble des pages du groupe, entraînant une baisse de 40 % du trafic sur ses sites de presse qui bénéficient pourtant d'une très forte notoriété, atteignant même 80 % sur Google News.

151. Il fait en outre valoir qu'un affichage dégradé ne permet pas aux éditeurs de se différencier en dehors du titre de l'article, tandis que les « snippets » intensifient la concurrence en permettant de se différencier en termes de contenus et de qualité.

152. Il ajoute enfin que cette situation est également susceptible d'affecter les ventes de magazines papier, et par suite les recettes des éditeurs, dans la mesure où les sites internet des éditeurs constituent une vitrine pour promouvoir les produits et susciter des abonnements.

153. L'AFP, se référant à la pratique décisionnelle de l'Autorité, estime que la gravité de l'atteinte peut notamment résulter de la mise en péril de l'existence même de l'entreprise plaignante, notamment dans le cas où celle-ci peut être exclue du marché ou disparaître avant le terme de la procédure au fond, ou encore lorsque que ses chances de développement sont sérieusement compromises.

154. Le ministre chargé de l'économie, dans ses observations orales, et le ministère public partagent la même analyse et invitent la cour à rejeter le moyen.

Sur ce la cour

155. Aux termes de l'article L. 464-1 du code de commerce, les mesures conservatoires que peut prendre l'Autorité « ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante », ces éléments s'appréciant de manière alternative.

156. Il convient de relever que l'atteinte au secteur de la presse identifiée par la décision attaquée ne correspond pas à la crise économique que traverse le secteur de la presse depuis de nombreuses années, mais à la privation, au moment où les activités numériques apparaissent comme un relais incontournable pour la pérennité du secteur de la presse en général, et des éditeurs et agences de presse en particulier, de toute possibilité de négociation et de valorisation du droit voisin du droit d'auteur nouvellement reconnu permettant d'assurer la protection des publications de presse utilisées en ligne et des investissements humains et financiers nécessaires à leur réalisation et, incidemment, de contribuer à les soutenir dans leur transition digitale, dans un contexte de baisse des revenus issus de la presse papier. En cet état, l'atteinte identifiée résulte directement du comportement, tel que rappelé aux paragraphes 97 et suivants du présent arrêt.

157. La circonstance que Google ait entrepris d'autres actions au bénéfice de la presse ou qu'il contribue par ailleurs à la dissémination de l'information et au pluralisme des médias grâce aux affichages que ses algorithmes permettent — qui n'est pas de nature à remettre en cause le constat qui précède — s'avère inopérante dans le cadre de l'appréciation des mesures conservatoires ordonnées et n'a lieu d'être examinée, le cas échéant, qu'à l'occasion de l'examen de l'affaire au fond.

158. Google n'est pas plus fondé à invoquer le fait que la décision s'immiscerait dans son modèle commercial gratuit en lui imposant une obligation de paiement de tous les extraits de contenus, sans considération de ses intérêts commerciaux, dès lors que les faits susceptibles d'être qualifiés d'abus de position dominante sont en lien avec un comportement qui fait obstacle à la mise en œuvre d'un dispositif législatif fondé sur un principe de négociation et la reconnaissance de droits consacrés en vue de rééquilibrer la répartition de la chaîne de valeur. La référence aux décisions rendues en Allemagne —qui ne lient pas la cour et ont, au surplus, été rendues dans un contexte législatif distinct— sont inopérantes au stade de l'appréciation de simples mesures conservatoires qui ne contraignent pas Google à acquérir systématiquement des licences, comme il sera démontré dans les développements relatifs au caractère proportionné des mesures en cause.

159. Par ailleurs, compte tenu du fonctionnement du moteur de recherche parfaitement analysé aux paragraphes 120 et suivants de la décision attaquée, l'alternative devant laquelle Google place les éditeurs les expose à une baisse significative de trafic sur leur site internet s'ils ne consentent pas à renoncer à leur rémunération. Par suite, et comme le font justement valoir les syndicats d'éditeurs de presse, les agissements de Google s'étendent au-delà des ressources numériques strictement en lien avec le trafic redirigé mais sont également de nature à affecter les ventes papier que le site contribue à promouvoir et à vendre, ainsi que les conditions de concurrence entre éditeurs de presse dès lors qu'un affichage dégradé de leurs publications ne permet plus de les différencier en termes de contenu et de qualité.

160. Enfin, il résulte, en l'état de la procédure et comme l'a retenu la décision attaquée, que « Google search » est la principale source de trafic redirigé vers les sites des éditeurs de presse et il n'est pas sérieusement contestable que la position adoptée par un groupe d'une telle puissance et notoriété peut avoir un effet incitatif sur les acteurs intervenant sur le même secteur, outre l'effet dissuasif qu'elle créé à l'égard des éditeurs et agences de presse concernant l'utilité de confier leurs droits à un organisme de gestion collective comme les y autorise l'article L. 218-3 du code de la propriété intellectuelle. Par suite, il importe peu, dans le cadre de l'appréciation des mesures conservatoires en cause, de déterminer si les éditeurs et agences de presse sont en mesure de valoriser le trafic direct vers leurs sites web, dès lors que, dans le contexte qui vient d'être décrit, le comportement de Google met en danger le développement des licences sur les contenus protégés et affecte de manière plus globale les sources de revenus nécessaires à la pérennité du secteur (y compris non strictement numériques), les revenus des éditeurs et agences de presse étant de plus en plus dépendants des activités en ligne, pour les motifs justement exposés par la décision attaquée aux paragraphes 219 et 221.

161. C'est donc à juste titre que l'Autorité a retenu que l'atteinte identifiée est grave, puisqu'elle est de nature à affecter la pérennité du secteur dans son ensemble et des sociétés saisissantes en particulier. Il en découle qu'elle est également de nature à compromettre la diversité de l'offre numérique mise à dispositions des consommateurs et des différents acteurs du marché numérique qui la valorise si le secteur est privé des ressources lui permettant de réussir sa transition digitale.

B. Sur l'urgence et le caractère immédiat de l'atteinte

162. Google fait valoir une absence d'urgence et considère que sa mise en œuvre de la loi n'a pas aggravé la situation des éditeurs de presse. En effet, il rappelle que les éditeurs n'étaient pas rémunérés pour l'affichage de simples extraits avant l'adoption de la loi de 2019 de sorte que les conditions de mise en œuvre de cette loi n'ont pas conduit à placer les éditeurs de presse dans une situation « encore plus défavorable » que celle qui préexistait avant son entrée en vigueur.

163. Il relève qu'il n'a pas unilatéralement décidé de supprimer l'affichage des extraits suite à l'entrée en vigueur de la loi de 2019 mais a laissé le choix aux éditeurs d'autoriser ou d'interdire l'affichage d'extraits, conformément aux dispositions de la loi. Il estime que les éditeurs ayant fait le choix d'interdire l'affichage d'extraits n'ont en aucun cas été « sanctionnés » dès lors que leurs contenus continuent d'être référencés (par des hyperliens), classés et sont disponibles, comme le contenu de tout autre éditeur. Il estime que la présente affaire se réduit en réalité à des demandes monétaires et considère, à supposer que les demandes financières des éditeurs soient fondées (quod non), qu'elles pourraient être indemnisées ultérieurement, par un tribunal, ce qui établit l'absence d'urgence.

164. Il ajoute enfin que la rapidité de transposition de la Directive 2019/790 en droit national par le législateur n'est pas davantage susceptible de justifier l'imposition de mesures conservatoires, dès lors que la directive prévoit que ce droit n'entre en vigueur qu'en juin 2021.

165. L'Autorité rappelle que l'immédiateté de l'atteinte est notamment appréciée au regard de la date de la mise en œuvre des pratiques, c'est-à-dire de leur caractère récent, qu'en l'espèce le comportement Google est intervenu à partir du 25 septembre 2019 et présente ainsi un caractère récent.

166. Elle relève également que l'immédiateté de l'atteinte peut aussi découler du fait que les pratiques ont été mises en œuvre dans un secteur s'ouvrant à la concurrence ou encore à « une époque décisive pour l'animation concurrentielle » d'un marché et relève qu'en l'espèce le comportement est intervenu au moment précis où la loi de 2019 devait produire les effets escomptés pour remédier aux difficultés économiques du secteur de la presse. Elle relève à cet égard qu'il importe peu que les éditeurs de presse n'aient jamais été rémunérés dans la mesure où l'adoption de cette loi constitue un fait nouveau, qui devait conduire, selon la volonté du législateur, à rééquilibrer la répartition de la chaîne de valeur.

167. Elle ajoute qu'il ne saurait lui être reproché d'avoir pris en compte l'intention du législateur d'adopter la loi en urgence pour apprécier l'immédiateté de l'atteinte et considère que le législateur européen n'a pas interdit d'instaurer une rémunération des droits voisins avant le 7 juin 2021 pour les motifs exposés aux paragraphes 31 et suivants de ses écritures.

168. L'APIC rappelle que Google a offert une fausse alternative aux éditeurs, qui n'avaient d'autre choix que d'opter pour le maintien à titre gratuit des liens contextualisés et donc de renoncer au droit nouvellement conféré par la loi de 2019. Il estime que la situation d'urgence découle du fait que l'ultimatum imposé aux éditeurs intervient à une époque décisive pour le secteur de la presse et fait échec au développement du marché de l'octroi de licences d'utilisation en ligne des contenus protégés, censé jouer un rôle stratégique dans la stabilité financière des éditeurs. Il considère que c'est d'ailleurs cet objectif qui explique pourquoi la Directive 2019/790 a été transposée dans un délai si court. Il souligne également que l'urgence est toujours actuelle.

169. Le SEPM soutient qu'il est vain de prétendre que l'urgence ne serait pas caractérisée dans la mesure où les graves difficultés financières du secteur de la presse existent depuis plusieurs années, puisque c'est précisément en raison de la situation financière des éditeurs de presse, qui ne cesse de se dégrader, qu'il y a urgence à faire cesser les pratiques de Google. Il renvoie notamment aux travaux parlementaires qui insistent sur l'urgence à ce que la loi soit votée et appliquée, pour rééquilibrer les relations entre les plateformes Internet et les éditeurs de presse, permettre enfin à ces derniers de percevoir une rémunération équitable pour la reprise de leurs contenus éditoriaux par ces plateformes et assurer leur viabilité. Il fait ainsi valoir que l'urgence est double, tenant, d'une part, à faire appliquer la loi en imposant à Google de rémunérer les éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus éditoriaux, d'autre part, à empêcher Google d'afficher les contenus des éditeurs sous une forme dégradée, dans l'unique objectif de contraindre les éditeurs à renoncer à leur droit à rémunération prévu par la loi. Il rappelle le risque de disparition de certains éditeurs dans l'hypothèse où les éditeurs seraient maintenus dans cette situation.

170. L'AFP, invoquant la jurisprudence de la cour (CA Paris, 21 mai 2002, RG 2002/07008) fait valoir que l'Autorité a compétence pour prendre toutes décisions de nature à prévenir ou à redresser les situations économiques déviantes. Se référant à la pratique décisionnelle de l'Autorité, elle ajoute que son intervention peut être sollicitée notamment pour permettre de stopper un comportement afin que le dommage qui pourrait en découler ne puisse se matérialiser ou prendre de l'ampleur. Elle estime en conséquence que l'atteinte tenant au refus de Google d'entrer en négociation avec les éditeurs et les agences de presse et empêchant les éditeurs de bénéficier du droit voisin est bien immédiate et même continue puisqu'aujourd'hui encore, Google refuse de négocier.

171. Elle considère enfin que l'urgence est également caractérisée, tant par les travaux parlementaires que par la nécessité d'éviter l'accentuation des difficultés que connaît le secteur de la presse du fait du comportement de Google.

Sur ce la cour

172. L 'article L. 464-1 du code de commerce exige une atteinte immédiate et prévoit des mesures conservatoires pour faire face à l'urgence.

173. L'atteinte identifiée, qui est récente en ce qu'elle est survenue à partir de la fin de l'année 2019, est immédiate, dès lors que par son comportement Google prive les éditeurs et agences de presse du bénéfice de la loi de 2019, avec un refus global et indifférencié de toute négociation et rémunération des contenus protégés partiellement reproduits à l'occasion de l'affichage des résultats des recherches en ligne et les expose, s'ils ne consentent pas à. l'octroi d'une licence gratuite, à un affichage dégradé ayant une incidence significative et directe sur le trafic redirigé vers leur site, comme l'établissent les éléments relevés par l'Autorité aux paragraphes 111 et suivants de la décision attaquée.

174. Cette atteinte relève également d'une situation d'urgence, dès lors que l'abus de position dominante reproché, en l'état de la procédure, tend, comme l'ajustement retenu l'Autorité, à faire échec à un dispositif conçu par la loi de 2019 pour sauvegarder la pérennité d'un secteur en crise, au moment précis où il entre en vigueur, et ainsi à un stade décisif pour sa mise en œuvre. L'atteinte identifiée étant en lien avec un comportement qui fait obstacle à la mise en œuvre de droits destinés à rééquilibrer la répartition de la chaîne de valeur au bénéfice d'un secteur en graves difficultés et à concourir à son redressement, c'est à tort que Google invoque le caractère ancien de la crise qui frappe le secteur de la presse et prétend que la présente affaire se réduirait à de simples demandes monétaires qui pourraient être soumises ultérieurement à un tribunal. Il n'est pas non plus fondé, pour les mêmes motifs, à se prévaloir de la circonstance que les éditeurs et agences de presse n'ont jamais perçu une telle rémunération et que la mise en œuvre de la loi n'aurait, par conséquent, pas aggravé leur situation.

175. Il n'est pas davantage pertinent de soutenir que le délai de transposition de la directive 2019/790, accordé aux Etats membres jusqu'en juin 2021, priverait la situation de toute urgence. En effet, les droits voisins prévus par cette directive peuvent s'appliquer aux publications de presse publiées dès le 6 juin 2019, comme cela résulte du libellé de son article 15, et la loi de 2019 qui en assure la transposition est entrée en vigueur le 24 octobre 2019. Par suite, dans les circonstances conjoncturelles et le contexte légal dans lesquels se déroulent les pratiques, qui ont été justement prises en compte par l'Autorité, il y a bien urgence, comme l'a retenu la décision attaquée, à rééquilibrer immédiatement le rapport de force entre les différents intervenants sur le marché.

176. La décision attaquée a ainsi parfaitement caractérisé l'urgence et le caractère immédiat de l'atteinte qu'elle a identifiée. Le moyen est rejeté.

V. SUR LE CARACTÈRE NÉCESSAIRE ET PROPORTIONNÉ DES MESURES CONSERVATOIRES

177. Au regard de l'atteinte précitée et du caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques dénoncées, la décision attaquée a retenu, au paragraphe 296, que le prononcé de mesures conservatoires était nécessaire, dans l'attente de la décision au fond, pour garantir le caractère équitable des conditions de transaction entre Google et les éditeurs et agences de presse, relatives aux droits voisins, les pratiques dénoncées étant susceptibles de constituer une exploitation abusive de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste. Elle a également considéré, au paragraphe 298, que la suspension des atteintes identifiées nécessitait de mettre en place un mécanisme d'injonctions et que celui-ci, afin d'être strictement nécessaire et proportionné, devait préserver la faculté des éditeurs et agences de presse qui le souhaiteraient à ne pas entrer en négociation avec Google ou à lui accorder une licence gratuite, ainsi que de préserver Google contre des demandes qui ne seraient pas conformes aux critères fixés par la loi sur les droits voisins.

178. Elle a en conséquence prononcé des mesures conservatoires fondées sur le principe de négociation de bonne foi concernant les modalités d'une reprise et d'un affichage des contenus protégés ainsi que la rémunération pouvant y être associée. Elle a également prévu un principe de neutralité des négociations, d'une part, sur la façon dont sont indexés, classés et plus généralement présentés les contenus protégés des éditeurs et agences concernés sur les services de Google, et, d'autre part, sur les autres relations commerciales que Google entretient avec les éditeurs et agences de presse. Elle a précisé que ces mesures conservatoires resteront en vigueur jusqu'à la publication par l'Autorité de la décision au fond.

179. Google dénonce le caractère disproportionné de ces mesures conservatoires, qu'il considère particulièrement préoccupant à un stade où le caractère anticoncurrentiel de son comportement n'a pas encore été établi, et où l'on ne sait même pas si les extraits tels qu'il les affiche constituent des contenus protégés.

180. Il considère que ces mesures conservatoires transforment un droit de propriété intellectuelle, juridiquement limité à un droit exclusif sur un contenu, en un nouveau droit inédit, permettant au titulaire de lui imposer l'achat de son contenu, en contradiction avec les principes économiques les plus fondamentaux, en particulier celui du libre jeu de l'offre et de la demande. Il ajoute que ces mesures ont été prétendument prises en application de l'esprit de la loi alors que cette dernière n'impose en réalité aucun paiement.

181. Il estime également que l'obligation qui lui est imposée d'acheter des extraits de contenus (injonction 1) et figer ses activités (injonction 5.) sont toutes deux des mesures structurelles qui, par leur nature, ne sont pas « conservatoires ».

182. S'agissant de l'injonction 1, il fait valoir qu'elle implique une obligation d'achat dès lors que la décision attaquée indique, aux termes du paragraphe 304(iii), que ces négociations doivent « abouti[r] effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google ». Il estime, en substance, que ces mesures lui imposent une obligation de conclure des accords structurants comprenant une rémunération au bénéfice des éditeurs. En outre, et dans la mesure où l'Autorité a remis en cause le principe des licences précédemment concédées à titre gratuit par les éditeurs via la balise « max-snippet », il se demande comment, le cas échéant, le consentement des éditeurs à une licence à titre gratuit pourrait se manifester.

183. Il soutient également que les mesures conservatoires sont susceptibles de lui être particulièrement préjudiciables dans la mesure où son modèle commercial est fondé sur le référencement gratuit de contenus et sur l'accès gratuit des utilisateurs aux résultats, tous deux financés par la publicité. Il estime qu'une obligation d'acheter des aperçus de contenus affecte l'une des composantes de ce modèle, tout en n'apportant aucune modification à l'autre composante et en l'empêchant d'ailleurs de modifier cette autre composante. Il ajoute que les mesures conservatoires n'ont pas pour fonction d'imposer une règle de droit, ni une nouvelle obligation financière réglementée.

184. S'agissant de l'injonction 3, il considère que la décision attaquée a pour but de le forcer à maintenir l'affichage d'extraits de contenus et à offrir une rémunération aux éditeurs pour ces extraits, comme le révèlent, selon lui, les termes de la déclaration de la Présidente de l'Autorité au magazine New York Times reproduite dans ses écritures.

185. Il estime qu'en lui enjoignant de maintenir l'affichage de ces extraits et de les payer, l'Autorité porte atteinte à sa liberté de déterminer elle-même sa stratégie commerciale et de disposer librement de ses revenus. Il considère également que cette mesure signifie qu'il ne serait pas autorisé à cesser d'afficher des extraits ou tout contenu protégé en l'absence d'autorisation de l'éditeur, ce qui l'oblige à enfreindre le droit d'auteur s'ils ne parviennent pas à conclure un accord avec l'éditeur s'agissant de sa rémunération.

186. S'agissant de l'injonction 5, il estime qu'elle pourrait l'empêcher de modifier son modèle commercial afin de prendre en compte les changements imposés par l'Autorité et constitue une mesure structurelle qui pourrait l'empêcher de développer de nouveaux produits pour le secteur de la presse, qui bénéficieraient aux éditeurs, ou encore d'apporter des modifications à ses services et algorithmes, en figeant ses activités jusqu'à la décision au fond.

187. S'agissant de l'injonction 6, dont il dénonce la rédaction extrêmement large, il considère qu'elle constitue également une mesure intrinsèquement structurelle, ayant inévitablement pour conséquence de figer ses produits et services dans le temps, bien au-delà de la période de négociations, jusqu'à une date incertaine de publication d'une décision au fond qui pourrait n'intervenir que dans plusieurs années.

188. Il estime par ailleurs que la portée de cette mesure s'étend au-delà du contenu des éditeurs de presse, dès lors qu'il exploite de nombreux produits et services qui ne sont absolument pas liés à Google Search et/ou aux contenus de presse, comme les services de stockage Cloud storage ou les produits G Suite. Il fait observer que certains accords conclus par Google peuvent combiner des produits ou services différents (par exemple, un accord relatif à la publicité peut également inclure des crédits Cloud) que ces contrats entrent également dans le champ d'application de la mesure conservatoire tandis que les accords combinés sont interdits, ce qui est disproportionné et non nécessaire à la préservation d'un statu quo.

189. Il fait valoir que cette rédaction large fait également peser sur lui des risques, dans la mesure où des éditeurs pourraient abuser de cette mesure conservatoire en le menaçant de s'y référer, y compris pour des modifications sans rapport avec la présente affaire.

190. De manière plus globale, il estime que ces injonctions sont manifestement disproportionnées eu égard aux libertés et droit constitutionnellement garantis que sont la liberté contractuelle, la liberté d'entreprendre et le droit de propriété.

191. Il rappelle sur ce point différentes décisions rendues par le Conseil constitutionnel par lesquelles il a déjà censuré, au nom de la liberté d'entreprendre, une loi qui « conduit le juge [..] à substituer son appréciation à celle du chef d'entreprise quant au choix entre les différentes solutions possibles ». (Citant notamment la Décision Cons. Const. 12 janvier 2002, n°2001-455 DC, cons.49,)

192. Il fait à nouveau valoir que la manière dont il a mis en œuvre la loi de 2019 n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence entre les éditeurs et estime n'avoir pris aucune mesure tendant à déréférencer les éditeurs, de sorte qu'aucune atteinte au pluralisme de la presse n'est établie. Il en déduit qu'en l'absence de restriction de concurrence possible du fait de ce comportement, aucun objectif d'intérêt général ne justifie les limitations apportées aux droits et liberté précitées.

193. Il rappelle à l'inverse, que ses services contribuent de manière significative au pluralisme des médias, en leur permettant d'atteindre une audience très large, qui plus est gratuitement. Il ajoute que les éditeurs disposent de sources de revenus alternatives, en ce compris les financements significatifs qu'il leur verse et la promotion d'ores et déjà offerte gratuitement, et en déduit que le refus de payer de simples extraits ne porte donc pas atteinte au pluralisme.

194. Il critique également la décision en ce qu'elle l'oblige à négocier en préjugeant du résultat de cette négociation (offrir une rémunération positive aux éditeurs) et en l'imposant, alors qu'au stade de l'imposition de mesures conservatoires, l'Autorité ne qualifie pas des pratiques abusives mais doit seulement établir que de telles pratiques sont susceptibles d'avoir été commises. Il considère que l'imposition de mesures structurelles est manifestement disproportionnée. Il estime qu'en lui enjoignant de maintenir l'affichage de ces extraits et de les payer, l'Autorité porte une atteinte disproportionnée à sa liberté de déterminer elle-même sa stratégie commerciale, et de disposer librement de ses revenus.

195. Il ajoute que l'Autorité aurait pu lui enjoindre de cesser de reprendre gratuitement des extraits de contenus, plutôt que d'en ordonner le paiement, et considère que de cette manière, elle n'aurait pas porté atteinte à ses droits et libertés constitutionnellement garantis.

196. A titre subsidiaire, Google demande la réformation :

—       des articles 1, 3 et 5, afin de reconnaître que, s'il est disposé à négocier de bonne foi avec les éditeurs lorsqu'il tire une valeur de l'utilisation de leur contenu qui justifie une rémunération financière, il ne devrait en revanche pas être dans l'obligation d' acheter tout contenu protégé, même si un éditeur satisfait aux critères énoncés par la loi et devrait, à l'inverse, pouvoir renoncer à utiliser le contenu protégé d'un éditeur avec lequel il est en désaccord sur la rémunération.

—       des articles 5 et 6, afin de tenir compte du fait que, tout en s'engageant à ne pas exercer de représailles à l'encontre des éditeurs qui auraient demandé à engager des négociations avec lui, il devrait être libre d'apporter des modifications à ses produits et services lorsqu'elle le considère nécessaire aux fins de préserver ses intérêts commerciaux, et de continuer à innover dans les services qu'elle offre aux consommateurs.

197. L'Autorité rappelle que les mesures conservatoires visent à remédier aux conséquences immédiates et durables que pourrait avoir un comportement susceptible d'être qualifié, après une instruction au fond, d'abus de position dominante et doivent être appréciées à l'aune de la qualification envisagée de l'abus.

198. S'agissant de la première injonction, elle considère que la critique sui lui est faite repose sur un postulat erroné, selon lequel la décision attaquée imposerait d'acheter à un prix positif la majorité, sinon tous les contenus protégés par les droits voisins, dès lors que les titulaires des droits en feraient la demande.

199. Elle rappelle que cette injonction prévoit uniquement une obligation de négocier de bonne foi à la charge de Google. Cette injonction impose que les négociations aboutissent effectivement à une proposition de rémunération de la part de Google, qui sera appréciée à la lumière de sa conformité avec la loi et son caractère transparent et objectif et non discriminatoire. Elle précise que la fourniture de certains contenus à titre gratuit n'est pas exclue, si les critères fixés par la loi de 2019 ne justifient pas le versement d'une rémunération, et qu'ainsi Google peut ne plus afficher ces contenus dans l'hypothèse où, malgré la formulation d'une offre de rémunération objective, transparente, non-discriminatoire et conforme à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle, les négociations échoueraient en raison notamment des exigences financières excessives d'un éditeur ou d'une agence de presse. Elle conteste ainsi toute obligation d'achat.

200. S'agissant de la troisième injonction, elle relève que l'obligation d'affichage des contenus protégés est limitée uniquement à la durée de la négociation avec les éditeurs et agences de presse et n'oblige pas Google à maintenir l'affichage des contenus en cas d'échec des négociations.

201. S'agissant des quatrième et cinquième injonctions, elle fait valoir que le principe de neutralité doit être respecté par Google pendant la durée de négociation — fixée à trois mois —, mais n'a pas vocation à perdurer après la fin de ce délai.

202. Elle en déduit que les moyens qui attaquent le caractère nécessaire et proportionné des mesures conservatoires doivent être écartés.

203. L'APIG rappelle que les mesures conservatoires peuvent dépasser la préservation d'un statu quo, notamment pour prévenir ou redresser les situations économiques déviantes et renvoie à cet égard à la jurisprudence de la cour d'appel et à la pratique décisionnelle de l'Autorité.

204. Elle partage également l'analyse de l'Autorité concernant l'absence d'obligation d'achat résultant des injonctions.

205. Elle considère que les mesures conservatoires adoptées, qui enjoignent à Google de respecter la loi en négociant de bonne foi et en communiquant les informations nécessaires à une telle négociation, ne sont donc pas disproportionnées.

206. Le SEPM fait valoir la même argumentation que l'Autorité et ajoute que les injonctions n° 5 et 6 sont destinées à garantir l'effectivité des injonctions n° 1 et 3, elles-mêmes nécessaires pour prévenir les atteintes graves et immédiates causées par les pratiques aux intérêts des éditeurs de presse.

207. L'AFP, à l'instar des autres parties, considère que les mesures reviennent en définitive à enjoindre à Google ce que la loi lui demande de faire depuis son entrée en vigueur et qu'il refuse obstinément. Elle en déduit qu'étant dans la droite ligne des dispositions adoptées et de l'objectif poursuivi par la loi de 2019, le caractère proportionné de ces mesures ne pose aucune question.

208. Elle précise que, jusqu'à ce jour, Google ne négocie toujours pas de bonne foi, en proposant des offres qui ne couvrent pas les droits voisins ou en proposant une rémunération dérisoire qui contrevient à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle. Elle ajoute que son comportement ne se limite pas à la France et que son refus a été tout aussi systématique au-delà de l'Europe (États-Unis, Australie). Elle signale, pour l'Australie, qu'il a été relayé dans la presse que « si des paiements obligatoires étaient introduits, ils pourraient simplement boycotter les médias australiens » (pièce n°11 AFP).

209. Le ministre chargé de l'économie, dans ses observations orales, et le ministère public partagent la même analyse et invitent la cour à rejeter le recours.

Sur ce, la cour

210. La cour relève, à titre liminaire, qu'il n'est pas contesté que « [Il 'affichage snippets dans les résultats de recherche généraux constitue une approche standard de l'industrie », ainsi que le mentionne Google dans ses observations du l’ janvier 2020 (cote 3673), partiellement reproduites au paragraphe 113 de la décision attaquée. ri ressort par ailleurs des éléments recueillis au cours de l'instruction que ce type d'affichage est attractif pour les utilisateurs —en ce qu'il améliore la qualité et l'expérience de visionnage de la page de recherche —et profite au moteur de recherche pour attirer ou conserver des utilisateurs sur ses services.

211. Cette situation n'est pas démentie concernant Google. En effet, les outils que ce groupe a développés pour permettre d'afficher des extraits textuels, images-vignette et vidéos en provenance des éditeurs et agence de presse traduisent tout l'intérêt qu'il porte aux affichages enrichis.

212. Dans un tel contexte, Google n'est donc pas fondé à invoquer le fait qu'il « n 'est pas en demande d'achats de snippet », son désintérêt pour leur rémunération étant distinct de l'intérêt qu'il leur porte et de l'usage qu'il en fait. A cet égard, la décision attaquée a relevé, sans qu'aucune production ne démente ses constats, un historique de reprise de ces contenus par Google de plus de 20 ans (paragraphe 303) ainsi que l'usage important que fait Google des contenus protégés sur ses différents services, en particulier « Google Search » (paragraphe 276).

213. Concernant le prononcé de mesures conservatoires, l'article L. 464-1 du code de commerce prévoit que les mesures conservatoires « doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ». Il précise également qu’ « [e]lles peuvent comporter la suspension de la pratique concernée ainsi qu'une injonction aux parties de revenir à l'état antérieur ».

214. Comme le fait justement valoir l'Autorité, les mesures conservatoires visent ainsi à remédier aux conséquences immédiates et durables que pourrait avoir un comportement susceptible d'être qualifié, après une instruction au fond, de pratique anticoncurrentielle.

215. Compte tenu du caractère potentiellement anticoncurrentiel des pratiques dénoncées — susceptibles de constituer de la part de Google une exploitation abusive de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste— et de l'atteinte grave et immédiate qu'elles portent au secteur de la presse, en général, et aux éditeurs et agence de presse, en particulier, c' est à juste titre que l'Autorité a retenu qu'il est nécessaire d'obtenir, dans l'attente de la décision au fond, des garanties relatives au caractère équitable des conditions de transaction entre Google et les éditeurs et agences de presse relatives aux droits voisins et de suspendre les atteintes identifiées au moyen d'un mécanisme d'injonctions. La condition relative au caractère nécessaire du prononcé de mesures conservatoires est donc satisfaite.

216. Google contestant spécifiquement les injonctions contenues aux articles 1, 3, 5 et 6 de la décision attaquée, il convient d'examiner plus particulièrement chacune d'elles.

217. Concernant l'article 1, il est « enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de négocier de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse ou les organismes de gestion collective qui en feraient la demande, la rémunération due par Google à ces derniers pour toute reprise des contenus protégés sur ses services, conformément aux modalités prévues à 1 'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et selon des critères transparents, objectifs et non discriminatoires. Cette négociation devra couvrir la période de reprise des contenus depuis le 24 octobre 2019 ».

218. Il doit être relevé, en premier lieu, que cette injonction emporte obligation d'entrer en négociation de bonne foi dès lors que Google est sollicité par un éditeur, une agence de presse ou un organisme de gestion collective. Cette obligation répond ainsi, directement, au comportement par lequel Google a écarté dès l'entrée en vigueur de la loi de 2019 toute négociation avec les éditeurs et agences de presse, en se déclarant, par principe, opposé à la rémunération des extraits apparaissant dans le cadre de l'affichage enrichi, tout en mettant à disposition des éditeurs des outils lui permettant de reproduire des contenus protégés. Inclure dans le champ de la négociation la période de reprise des contenus depuis le 24 octobre 2019 est également nécessaire, en l'état des éléments de la procédure, compte tenu de l'urgence déjà évoquée et du caractère indispensable des ressources en jeu pour le secteur de la presse, dans le contexte de crise actuel.

219. En deuxième lieu, il est inexact de prétendre que cette injonction « transforme un droit de propriété intellectuelle juridiquement limité à un droit exclusif sur un contenu », dès lors que les droits voisins reconnus au bénéfice des éditeurs et agences de presse ne se limitent pas à la faculté d'autoriser ou refuser la reproduction totale ou partielle de contenus protégés prévue par l'article L. 218-2 du code de la propriété intellectuelle, mais constitue également un droit patrimonial dont l'article L. 218-4 du même code définit les critères, comme il a été rappelé précédemment.

220. À cet égard, Google ne peut utilement invoquer, dans le cadre du recours exercé, le caractère préjudiciable d'une injonction conduisant à la fixation d'une rémunération, au regard de son modèle commercial fondé sur le référencement gratuit de contenus et sur l'accès gratuit des utilisateurs aux résultats, tous deux financés par la publicité, dès lors qu'il n'appartient pas à la cour d'apprécier la légitimité de la rémunération des droits protégés prévue par l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle et dans la mesure où l'obligation de négociation répond directement aux atteintes identifiées.

221. Sur ce point encore, la cour ajoute que les injonctions ordonnées ne méconnaissent pas la finalité des mesures conservatoires, dès lors qu'elles sont destinées à. apporter des garanties relatives au caractère équitable des conditions de négociation entre Google et ses partenaires de presse. Elles se bornent en outre à enjoindre aux partenaires de mettre en œuvre, de bonne foi, le dispositif issu de la directive de 2019, transposée en droit interne par la loi de 2019, dans le cadre d'une saisine mettant en cause un comportement susceptible de caractériser l'abus d'exploitation d'une position dominante. Le moyen ne peut donc être accueilli.

222. En troisième lieu, et contrairement à ce que soutient Google, cette injonction n'emporte pas obligation de paiement ni ne constitue une mesure structurelle. En effet, exiger la formulation par Google d'une offre de rémunération objective, transparente, non-discriminatoire et conforme à l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle, n'implique pas une obligation d'achat dès lors qu'il est simplement exigé de Google qu'il transmette une offre — en justifiant des critères appliqués pour définir le niveau de rémunération proposé — laquelle peut conduire à proposer une rémunération nulle si la reprise du contenu ne génère, par exemple, aucune recette d'exploitation et que le contenu dont il s'agit n'a nécessité aucun investissement particulier. Cette réserve, qui figure au paragraphe 304 (iii) de la décision attaquée, garantit la proportionnalité de cette injonction.

223. Il doit également être rappelé, qu'au stade actuel de la procédure, l'absence de rémunération de la reprise des contenus protégés, telle qu'elle résulte de l'alternative laissée aux éditeurs par Google, est susceptible de traduire un abus d'exploitation de sa position dominante, non en ce que toute gratuité devrait être exclue par principe mais au regard des circonstances dans lesquelles elle a été obtenue , lesquelles sont susceptibles de s'apparenter à une menace de déréférencement, dans un contexte de crise économique majeure du secteur de la presse, résultant de la mise en œuvre d'une politique globale définie par Google appliquée sans distinction des contenus concernés à tous ses partenaires en excluant toute négociation avec les éditeurs, agences de presse ou organisme de gestion collective et que cette gratuité porte sur un trafic redirigé qui pourrait présenter un caractère non remplaçable pour les éditeurs et agence de presse du fait des parts de marché détenus par Google sur le marché en cause.

224. Il est également inexact de prétendre, comme le fait Google, que le fait que l'Autorité a remis en cause la gratuité précédemment accordée par les éditeurs rendrait illusoire la possibilité pour un partenaire de consentir à l'octroi d'une licence à titre gratuit dans le cadre de l'injonction prévue à l'article 1, puisque ce sont les circonstances qui viennent d'être décrites qui sont à l'origine de l'ouverture d'une procédure devant l'Autorité et non la gratuité qu'un éditeur ou une agence de presse peut consentir lorsque, par exemple, comme il vient d'être dit, le contenu ne génère aucune recette d'exploitation ou n'a nécessité aucun investissement particulier.

225. La loi de 2019 a par ailleurs prévu que les titulaires des droits voisins peuvent confier la gestion de leurs droits à un organisme de gestion collective, lequel est en capacité de négocier la rémunération de certains contenus protégés tout en consentant des licences à titre gratuit pour d'autres, selon leur nature. La possibilité de se voir consentir une licence à titre gratuit, sans craindre sa remise en cause par le droit de la concurrence, est donc réelle, dès lors que les négociations sont effectives et équilibrées.

226. La mesure conservatoire prévue à l'article 1 de la décision attaquée, qui n'est pas structurelle, tend uniquement à préserver la capacité des partenaires à entrer en négociation dans le respect du principe de bonne foi.

227. L'ensemble de ces éléments suffit à la justifier, sans qu'il soit nécessaire, comme le soutient à tort Google, qu'une juridiction de fond ait préalablement donné l'interprétation qu'il convient de faire de l' article L. 211-3-1 2° du code de la propriété intellectuelle, lequel place « fi]'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse » hors du champ des droits protégés et précise que « [c]ette exception ne peut affecter l'efficacité des droits ouverts au même article L. 218-2. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer. ».

228. En quatrième lieu, cette mesure est limitée dans le temps, l'article 4 de la décision attaquée précisant qu' « [iii est enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l'attente d'une décision au fond, de conduire les négociations visées par les articles 1 et 2 de la présente décision dans un délai de 3 mois à partir de la demande d'ouverture de négociation émanant d 'un éditeur de presse, d'une agence de presse ou d'un organisme de gestion collective ».

229. Enfin, les termes de cette injonction n'ont pour effet, ni de contraindre Google à consentir à des exigences financières excessives ni d'obliger l'éditeur ou l'agence de presse à accorder une licence moyennant la rémunération « objective, transparente, non discriminatoire et conforme à l'article L. 218-4 » qui pourrait être proposée par Google, si elle ne lui parait pas suffisante.

230. Par suite, il convient de retenir, compte tenu de l'ensemble des éléments précités, que les limitations apportées à la liberté contractuelle, au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre, par l'article 1 de la décision attaquée, ne sont pas disproportionnées, compte tenu :

-- de l'atteinte susceptible d'être portée aux droits voisins du droit d'auteur, droits de propriété intellectuelle, nouvellement consacrés par la directive européenne et la loi française au bénéfice des éditeurs de presse et des agences de presse afin de garantir la sauvegarde et le pluralisme de la presse ;

— de l'objet de la saisine de l'autorité qui porte sur un possible abus d'exploitation de position dominante susceptible de compromettre la pérennité des activités des éditeurs et agences de presse ;

— et de leur limitation dans le temps.

231. La cour précise à nouveau que si les services de Google contribuent au pluralisme des médias lorsqu'ils permettent aux éditeurs d'atteindre une audience très large, en revanche, l'alternative devant laquelle ils placent les éditeurs et agences de presse —consistant à exiger d'eux qu'ils renoncent à un mode d'affichage qui favorise le trafic vers leur site ou acceptent de ne pas valoriser leurs contenus comme la loi le prévoit — n'est pas sans effet restrictif sur la concurrence, comme il a déjà été démontré dans les développements consacrés à l'existence d'une pratique anticoncurrentielle probable. La circonstance que les éditeurs et agence de presse disposent, par ailleurs, d'autres sources de revenus n'est pas de nature à remettre en cause les constats opérés par l'Autorité aux paragraphes 219 et suivants — selon lesquels leur chiffre d' affaires numériques dépend intégralement du trafic sur leur site et les autres revenus deviennent de plus en plus dépendants de leurs activités en ligne— ni les conséquences que pourraient entraîner le comportement de Google sur le pluralisme des médias si certains venaient à disparaître faute d'avoir pu valoriser leurs contenus protégés et financer leur transition digitale dans un contexte de crise majeure de la presse.

232. Les moyens aux fins d'annulation ou réformation de l'article 1 sont en conséquence rejetés.

233. Concernant l'article 3, celui-ci « enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l 'attente d'une décision au fond, de maintenir, pendant la période de négociation, les modalités d'affichage mises en place depuis I 'entrée en vigueur de la Loi n° 2019-775, selon les paramètres retenus par les éditeurs. Il est enjoint à Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France de permettre aux éditeurs et agences de presse n'ayant pas accordé à Google d'autorisation de reprise de leurs contenus protégés depuis le 24 octobre 2019 mais souhaitant entrer en négociation dans le cadre des articles 1 et 2 de la présente décision, de ne pas s 'opposer à 1 'affichage de leurs contenus protégés au sein de ses services selon les modalités choisies par ces éditeurs et agences de presse, pendant la période de négociation ».

234. En premier lieu, comme l'a justement retenu l'Autorité, la suspension des atteintes identifiées nécessite de mettre en place un mécanisme d'injonctions. Le choix de celle-ci est approprié pour préserver l'intégrité du trafic en direction des sites de presse jusqu'à ce que les parties aient pu négocier le niveau de valorisation des contenus protégés qui sont reproduits par Google.

235. En deuxième lieu, cette mesure reste proportionnée, étant limitée dans le temps puisqu'elle est prévue « pendant la période de négociation » laquelle doit être conduite « dans un délai de 3 mois à partir de la demande d'ouverture de négociation émanant d'un éditeur de presse, d'une agence de presse ou d'un organisme de gestion collective » conformément à l'article 4 de la décision attaquée.

236. En troisième lieu, concernant les atteintes portées à d'autres droits, il ne résulte pas des termes de cette injonction que Google soit contraint d'enfreindre le droit d'auteur s'il ne parvient pas à conclure un accord avec l'éditeur s'agissant de sa rémunération, dès lors que :

— l'affichage enrichi n'intervient que s'il est souhaité par les titulaires des droits voisins et selon les paramètres retenus par les éditeurs et agences de presse, valant autorisation de reprise de leurs contenus ;

— la question de la rémunération est implicitement réservée jusqu'à l'issue des négociations ;

— l'articulation des articles 1 et 3 ne contraint pas nécessairement Google à rémunérer cette reprise de contenu, dès lors que l'issue des négociations peut conduire à proposer une rémunération nulle, sur la base des critères mentionnés à l'article 1, si la reprise du contenu ne génère, par exemple, aucune recette d'exploitation et que le contenu dont il s'agit n'a nécessité aucun investissement particulier, ou que les parties se sont régulièrement accordées sur l'octroi d'une licence à titre gratuit.

237. Le fait que, dans l'hypothèse notamment où la reprise du contenu serait source de recettes pendant la durée des négociations, cette injonction soit susceptible de faire naître un droit à rémunération au bénéfice des éditeurs et agences de presse est certes de nature à porter atteinte à la liberté de Google de disposer de ses revenus, de choisir de contracter ou non avec un partenaire commercial et plus largement de disposer librement de son commerce, toutefois les limitations apportées à ces libertés fondamentales ne sont pas disproportionnées compte tenu :

— de l'atteinte susceptible d'être portée aux droits voisins du droit d'auteur, droits de propriété intellectuelle, nouvellement consacrés par la directive européenne et la loi française au bénéfice des éditeurs de presse et des agences de presse afin de garantir la sauvegarde et le pluralisme de la presse ;

—       de l'objet de la saisine de l'autorité qui porte sur un possible abus d'exploitation de position dominante, mais également des ressources de Google, qui ne seraient pas compromises par le versement d'une rémunération définie dans les conditions de l'article L. 218-4 du code de la propriété intellectuelle. Sur ce point il est rappelé que son chiffre d'affaires mondial consolidé a atteint 144,58 milliards d'euros en 2019 selon les données, non contestées, figurant au paragraphe 38 de la décision attaquée ;

—       et de leur limitation dans le temps.

238. Les moyens aux fins d'annulation ou réformation de l'article 3 de la décision attaquée sont en conséquence rejetés.

239. Concernant l'article 5, celui-ci « enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans l 'attente d'une décision au fond, de prendre les mesures nécessaires pour que l'existence et l'issue des négociations prévues par les articles 1 et 2 de la présente décision n'affectent ni l'indexation, ni le classement, ni la présentation des contenus protégés repris par Google sur ses services ».

240. Aux termes des motifs du paragraphe 309 de la décision attaquée, qui éclairent la portée de cette injonction, cette dernière est prescrite « [a]fin que les négociations entre les éditeurs ou agences de presse et Google puissent se dérouler de façon équilibrée » et d'éviter qu'ils « ne puissent subir des conséquences défavorables sur les conditions habituelles(...) du fait ou en liaison avec les négociations en cours ». Elle est donc limitée à la période de négociation mentionnée à l'article 4 de la décision attaquée.

241. Elle relève bien d'une mesure conservatoire, dès lors qu'elle est de nature à prévenir une situation économique déviante et ne peut être qualifiée de structurelle, dès lors qu'elle n'impose en elle-même aucun modèle commercial à Google et se borne à empêcher que les conditions techniques d'affichage, d'indexation, de classement ou de présentation des contenus protégés, que Google avait initialement appliquées avant l'émergence de leur litige, soient modifiées à seules fins d'influencer l'issue des négociations, en leur faisant subir des conséquences défavorables.

242. Sa formulation, qui est très générale, ne permet pas en revanche de circonscrire la mesure à ce qui est strictement nécessaire pour faire face à l'urgence, dès lors qu'elle pourrait conduire à geler toutes innovations nécessaires aux performances du moteur de recherche au cours des négociations entreprises avec les différents partenaires concernés.

243. Il convient en conséquence, ainsi que le demande Google à titre subsidiaire, d'en réformer les termes, en la complétant ainsi :

« Cette injonction ne fait pas obstacle aux améliorations et innovations des services offerts par les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France. sous réserve qu'elles n'entraînent, directement ou indirectement, aucune conséquence préjudiciable aux intérêts des titulaires de droits voisins concernés par les négociations prévues par l'article 1 de la présente décision ».

244. Concernant l'article 6, celui-ci « enjoint aux sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, à titre conservatoire et dans 1 'attente d 'une décision au fond, de prendre les mesures nécessaires pour que les négociations prévues par les articles 1 et 2 de la présente décision n'affectent pas les autres relations économiques qui existeraient entre Google et les éditeurs et agences de presse ».

245. Le libellé de cet article, a pour finalité, aux termes du paragraphe 311 de la décision attaquée, « d 'éviter que Google vide de leurs effets les négociations sur les droits voisins » et « ne se serve de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste pour imposer, au cours des négociations avec les éditeurs et les agences de presse, le recours à certains de ses services ».

246. Cette injonction relève bien d'une mesure conservatoire, dès lors qu'elle est de nature à prévenir une situation économique déviante, comme le relève à juste titre la décision attaquée aux paragraphes 310 et 311.

247. Si elle peut avoir pour effet d'empêcher Google de modifier son modèle commercial, force est de constater que les limitations ainsi apportée à sa liberté d'entreprendre et à sa liberté contractuelle ne sont pas disproportionnées compte tenu :

—   de leur limitation à la durée des négociations ;

—   de l'atteinte susceptible d'être portée aux droits voisins du droit d'auteur, droits de propriété intellectuelle, nouvellement consacrés par la directive européenne et la loi française au bénéfice des éditeurs de presse et des agences de presse afin de garantir la sauvegarde et le pluralisme de la presse ;

—   de l'objet de la saisine de l'autorité qui porte sur un possible abus d'exploitation de position dominante, mais également des ressources de Google, dont la situation ne sera pas compromise par les effets de l'injonction.

248. Les moyens aux fins d'annulation ou réformation de l'article 6 de la décision attaquée sont en conséquence rejetés.

VI. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

249. Plusieurs demandes sont présentées au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

— contre l'Autorité : Google demande paiement de 20.000 euros ;

— contre Google :

. l'APIG demande paiement de 50 000 euros ;

. le SEPM demande paiement 150 000 euros ;

. l'AFP demande paiement de 50 000 euros.

Sur ce la cour,

250. Les sociétés du groupe Google succombant partiellement dans leur recours, elles doivent supporter la charge des dépens. L'équité ne commande pas de faire droit à leur demande.

251. La décision n'ayant été que très partiellement réformée, l'équité commande de faire droit aux demandes du SEPM, de l'APIC et de l'AFP et de leur allouer, à chacun, une somme de 20 000 euros.

PAR CES MOTIFS

REJETTE les moyens d'annulation dirigés contre la décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 rendue par l'Autorité de la concurrence ;

RÉFORME cette décision, uniquement en ce qu'elle a dit que l'injonction prévue à l'article 5 est proportionnée ;

En conséquence,

COMPLÈTE l'article 5 de la décision attaquée en ces termes :

« Cette injonction ne fait pas obstacle aux améliorations et innovations des services offerts par les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France, sous réserve qu’elles n'entraînent, directement ou indirectement, aucune conséquence préjudiciable aux intérêts des titulaires de droits voisins concernés par les négociations prévues par les articles 1 et 2 de la présente décision ».

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice des sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France ;

CONDAMNE solidairement les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France à payer au Syndicat des éditeurs de la presse magazine, à l'Alliance de la presse d'information générale et à l'Agence France Presse, une somme de 20 000 euros, chacun.

CONDAMNE les sociétés Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France aux dépens.