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Commission, 18 août 2014, n° M.7336

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

CARREFOUR FRANCE/DIA FRANCE

Commission n° M.7336

18 août 2014

Madame, Monsieur,

Objet: M.7336 – CARREFOUR FRANCE / DIA FRANCE

Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/2004 relatif à un renvoi de l'affaire à la FRANCE

I.  INTRODUCTION

 1.  Le 14 juillet 2014, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant le projet de concentration mentionné en objet. Les parties demandent que l'opération soit examinée dans sa totalité par les autorités compétentes de la France.

2.  Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire aux Etats membres où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur des marchés qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

3.  Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 16 juillet 2014.

4. Par télécopie du 4 août 2014, l'Autorité de la concurrence française, en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.

II. LES PARTIES

 5. La société Carrefour France appartient au groupe Carrefour (indifféremment "Carrefour" ou la "Partie notifiante"). Le groupe Carrefour est actif dans la distribution au détail à dominante alimentaire en France, dans le reste de l'Europe ainsi qu'en Afrique, en Asie et en Amérique latine. En France, Carrefour exploite, directement ou par l'intermédiaire de commerçants franchisés, des hypermarchés, des supermarchés, des magasins de proximité, ainsi que des magasins de cash and carry. Carrefour a également une activité de vente en ligne.

6.  La société DIA France SAS ("Dia France") est une filiale du groupe espagnol DIA ("Dia"). DIA est actif dans la distribution au détail alimentaire maxi-discompte en France, en Espagne, au Portugal ainsi qu'en Argentine, au Brésil et en Chine. En France, DIA France exploite plus de 800 magasins. Elle exerce également une activité de vente en ligne. Carrefour avait acquis le contrôle du groupe Promodès, détenteur des enseignes DIA en 2000, au moyen d'une offre publique d'échange amicale avant de s'en séparer en 2011.1

III.  L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION

 7.  L'opération en question concerne l'acquisition du contrôle exclusif par Carrefour de DIA France. Carrefour et DIA France ont conclu le 20 juin 2014 une option de vente, aux termes de laquelle Carrefour s'est engagée à signer, avant le 30 novembre 2014, un contrat d'achat  et de vente ("SPA") portant sur la totalité des titres composant le capital de DIA France. A l'issue de l'opération envisagée, Carrefour aura acquis l'intégralité des titres et le contrôle exclusif de Dia France.

IV. DIMENSION EUROPEENNE

 8.  Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 milliards d’euros (Carrefour : 74.9 milliards d'euros ; DIA France : 1.9 milliard d'euros). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans l'UE de plus de 250 millions d’euros (Carrefour : 54.7 milliards d'euros ; DIA France : 1.9 milliard d'euros) et seule DIA France réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul Etat membre (France : 1.9 milliard d'euros).

9. L'opération a une dimension européenne au sens de l'article 1 du règlement sur les concentrations.

V. APPRECIATION

 10.  D’après les informations fournies par Carrefour, l'opération entraîne des chevauchements d'activité sur les marchés suivants (i) les marchés aval de la distribution au détail de produits de consommation courante et (ii) les marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante.

1 Marchés pertinents

 1.1     Les  marchés  aval  de  la  distribution  au  détail  de  produits   de  consommation courante à dominante alimentaire

 11. Selon les informations fournies par Carrefour, DIA France est active dans la distribution au détail de produits de consommation courante par le biais des supermarchés et des magasins de proximité de type maxi-discompte qu'elle exploite. En France, Carrefour exploite également des supermarchés et des magasins de proximité, ainsi que des hypermarchés, segment du commerce de détail sur lequel Dia France n'est pas active.

12.  La Partie notifiante exclut de la définition des marchés aval pertinents les activités de cash and carry de Carrefour (clientèle exclusive de professionnels), les points de vente DIA Fresh (offre de fruits et légumes uniquement), ainsi que les activités de vente en ligne des Parties.2

13.  La Partie notifiante fait état de la pratique décisionnelle de la Commission européenne et de l'Autorité de la concurrence française dans ces secteurs et présente les marchés aval affectés selon les deux approches des autorités de concurrence européenne et française.

1.1.1 Approche de la Commission

 14.   La Commission européenne a retenu l'existence d'un marché de la distribution au détail de produits alimentaires et d'articles ménagers non alimentaires de consommation courante.3 Elle a également constaté qu'il existait au sein même de ce marché diverses formes de distribution se distinguant selon divers critères tels que la technique de vente et la taille des surfaces de vente. Ces critères conduisent à distinguer le commerce traditionnel de la distribution en libre-service. La Partie notifiante observe que la Commission n'a pas tranché de façon définitive la question d'une distinction supplémentaire fondée sur la surface de vente des magasins, qui différencierait : i) les hypermarchés (surface supérieure à 2 500 m2)

; ii) les supermarchés (surface comprise entre 400 et 2 500 m2) ; iii) les magasins de proximité ou supérettes (surface inférieure à 400 m2) ; et iv) les magasins de maxi- discompte.

15.    En termes de dimension géographique, la pratique décisionnelle délimite des zones de chalandise locales par un rayon ne dépassant pas 10 à 30 minutes de transport en voiture. Ces rayons peuvent en outre varier en fonction de plusieurs critères au nombre desquels figurent la taille du point de vente, les infrastructures commerciales associées et la qualité de desserte offerte par les voies de communication.

1.1.2  Approche de l'Autorité de la concurrence française

 16. La pratique décisionnelle de l'Autorité de la concurrence française4 effectue également la distinction entre hypermarchés, supermarchés et supérettes, avec toutefois une prise en compte légèrement différente des magasins de maxi-discompte dans la mesure où l'Autorité de la concurrence française considère que ces magasins sont en concurrence avec les supermarchés dès lors que les maxi-discompteurs proposent une part significative de marques de producteur dans leur assortiment.5

17.   Sur le plan géographique, les zones de chalandise sont définies de manière différente par l'Autorité de la concurrence française suivant la localisation des actifs concernés (en province, dans les dix grandes villes de province, à Paris ou en proche banlieue  parisienne) et la taille des magasins concernés. Ces zones de chalandise restent toutefois de dimension locale (maximum 30 minutes en voiture).

18. Les résultats obtenus en termes de marchés locaux affectés si on applique l'approche de la Commission ou celle de l'Autorité de la concurrence française sont sensiblement similaires. En effet, selon l'approche de la Commission 468 marchés (concernant 389 supermarchés  et

79 supérettes de DIA France) seraient affectés. Selon l'approche de l'Autorité de la concurrence française, les Parties seraient conjointement présentes et détiendraient une part de marché de plus de 20% dans 470 zones de chalandise (434 supermarchés et 36 supérettes).

19. Au niveau national, la part de marché nationale (en mètres carrés de surface de vente) tous formats confondus de Carrefour est [10-20]%. Celle de DIA France est de [0-5]%.

1.2 Les marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante

 20.  La Partie notifiante définit les marchés amont de l'approvisionnement comme la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants et d'autres entreprises. La Commission recourt à une division de ce marché en 23 familles ou groupes de produits.6

21. La Commission considère que la position d’un distributeur au niveau national détermine la puissance d’achat qu’il exerce sur ses fournisseurs. Par conséquent, elle considère de façon constante que les marchés amont de l’approvisionnement sont de dimension nationale.7 L’Autorité de la concurrence française retient la même approche. 8 La partie notifiante considère donc que ces marchés sont de dimension nationale.

22.  Carrefour et DIA France détiennent sur le marché national tous produits confondus de l'approvisionnement une part de marché cumulée de [20-30]%. Sur les marchés de groupes de produits affectés (par exemple produits liquides, d'épicerie sèche, de maison), la part de marché cumulée des Parties la plus élevée serait de [20-30]%.

23.  Au vu de ce qui précède, dans tous les marchés précités, les effets principaux de l'opération proposée sont limités à la France. En outre, les marchés concernés présentent toutes les caractéristiques d’un marché distinct.

1.3 Appréciation

 24. Au vu de ce qui précède, l'opération risque d'affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés en France, conformément aux points 16 et 17 de la Communication sur les renvois.9 Ainsi le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire est horizontalement affecté dans la mesure où les parts de marché cumulées des Parties seraient supérieures à 20% au niveau national et dans 468 marchés locaux. De même, les marchés de l'approvisionnement en produits de consommation courante sont horizontalement affectés dans la mesure où les parts de marché cumulées des Parties seraient supérieures à 20% dans les catégories liquides, droguerie, épicerie sèche, produits périssables en libre-service et maison.

25.  En outre, les marchés concernés présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts et sont situés à l'intérieur de la France.

26. Dès lors la Commission considère que les critères de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations sont remplis.

27. Le renvoi semble également justifié par le fait que l'Autorité de la concurrence dispose des instruments et d’une expertise significative pour l’examen des opérations de concentrations dans le secteur du commerce de détail. Depuis l'instauration de seuils spécifiques pour l’application du droit interne du contrôle des concentrations, ces marchés ont déjà fait l'objet de nombreuses décisions de l'Autorité de la concurrence (plus de 300 décisions).

28. Enfin, le renvoi demandé préservera le principe du "guichet unique", dans la mesure où cette affaire sera renvoyée dans sa totalité à une seule autorité de concurrence.

VI. RENVOI

 29.   Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre et qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

30.  La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration10 (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur» et que «ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires».

31.  Sur le fondement des renseignements fournis par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France. Elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphe 20 de la communication précitée.

VII. CONCLUSION

 32.  Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations.

 

1   Décision de la Commission européenne M.1684 - Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000

2   Carrefour et Dia France offrent tous deux un service de vente en ligne, dit "drive", où le consommateur se rend au magasin pour récupérer une commande passée en ligne. Toutefois, il n'existe pas de chevauchement d'activités entre les Parties, dans la mesure où Dia France n'offre ce service qu'à Paris, où Carrefour ne le  propose pas, et à Verrières le Buisson dans le département de l'Essonne. Pour ce magasin, le "drive" du Carrefour le plus proche, à la Ville-du-Bois, est situé en dehors de sa zone de chalandise (15 minutes en voiture) et il n'existe donc  pas de chevauchement d'activités entre les parties.

3   Voir    notamment    les    décisions    de    la    Commission    européenne    dans    les    affaires COMP/M.4096 Carrefour/Hyparlo du 4 mai 2006 et COMP/M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000.

4  Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-30 du 6 mars 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Carrefour Proximité France de 129 magasins de commerce de détail à dominante alimentaire et n°13-DCC-90 du 11 juillet 2013 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon.

5  Décision n° 13-DCC-90 du 11 juillet 2013 de l'autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle exclusif de la société Monoprix par la société Casino Guichard-Perrachon, point 40

6 (1) Liquides, (2) Droguerie, (3) Parfumerie/hygiène, (4) Epicerie sèche, (5) Parapharmacie, (6) Produits périssables en libre-service, (7) Charcuterie, (8) Poissonnerie, (9) Fruits et Légumes, (10) Pain et Pâtisserie fraîche, (11) Boucherie, (12) Bricolage, (13) Maison, (14) Culture, (15) Jouets/loisir/détente, (16) Jardin, (17) Automobile, (18) Gros Electroménager, (19) Petit Electroménager, (20) Photo/Ciné, (21) Hi-fi/Son, (22) TV/Vidéo, (23) Textile, chaussures. Voir la décision de la Commission européenne Carrefour/Promodès précitée ; et la décision de la Commission européenne M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.

7 Décision de la Commission européenne, COMP/M.4096 Carrefour/Hyparlo du 4 mai 2006.

8 Décision n°10-DCC-171 du 29 novembre 2010 de l'autorité de la concurrence relative à la prise de contrôle de la société Claurolie par le groupe Carrefour.

9 Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations, Journal Officiel C 56 du 5 mars 2005, p. 2-23 ("la Communication sur les renvois").

10  JO C 56, 5.3.2005, p. 2