Commission, 24 août 2015, n° M.7592
COMMISSION EUROPÉENNE
Décision
Système U Centrale Nationale / Auchan
Madame, Monsieur,
Objet: Affaire M.7592 – Système U Centrale Nationale / Auchan
Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/20041 relatif à un renvoi de l'affaire en France et à l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen2
I. INTRODUCTION
1. Le 17 juillet 2015, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant le projet de transaction mentionné en objet. Les parties demandent que l'opération soit examinée dans sa totalité par l'Autorité de la Concurrence française.
2. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire aux Etats membres où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur des marchés qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
3. Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 17 juillet 2015.
4. Par télécopie du 28 juillet 2015, l'Autorité de la Concurrence, en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.
II. LES PARTIES
5. Auchan est un groupe de distribution international ayant pour activité principale la distribution de produits de consommation courante à dominante alimentaire dans plusieurs Etats membres. En complément à son activité principale de distributeur, Auchan est également actif de manière plus limitée dans les domaines de l'immobilier, des activités bancaires ainsi que dans d'autres secteurs tels que le commerce en ligne et les stations services. [Information concertant l’actionnariat d’Auchan].
6. Système U est un groupement de commerçants alimentaires indépendants propriétaires de leurs magasins et regroupés au sein de quatre coopératives régionales. Ces dernières sont elles-mêmes regroupées au sein de la coopérative Système U Centrale Nationale. Les commerçants indépendants affiliés à Système U ont mis en commun toutes les fonctions métiers essentielles telles que l'achat, la gestion des réseaux logistiques, la politique de marque, le marketing ainsi que la majorité des fonctions d'appui telles que la gestion du système d'information et la publicité. Le groupe est assisté par des entités nationales spécialisées qui sont en charge de certaines de ces fonctions (comme l'achat ou la gestion des réseaux logistiques) pour tous les commerçants participants.
III. L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION
7. Les Parties ont signé un protocole de négociation le […] 2015 puis un contrat d'Alliance le […] 2015.
8. La transaction en question consiste en une concentration de fait entre le 5ème et le 6ème plus grand distributeur alimentaire généraliste en France.
9. Le contrat d'Alliance signé entre les Parties prévoit la création d'une gestion économique unique et permanente: 4
(i) Les hypermarchés d'Auchan et de Système U existeront désormais sous l'enseigne d'Auchan, tandis que les supermarchés des deux sociétés passeront sous l'enseigne de Système U.
(ii) Les politiques d'achat des deux Parties qui sont déjà liées par un accord d'achat en commun, seront entièrement mises en commun.
(iii) Les fonctions d'appui […] seront partagées. Les deux Parties prendront des participations croisées dans les entités spécialisées en charge de ces fonctions.
(iv) Des synergies importantes en ce qui concerne […] seront mises en oeuvre, […].
(v) Un comité d'Alliance stratégique sera créé et prendra les decisions relatives à tous les sujets couverts par l'Alliance […]. Les droits de vote seront répartis de façon paritaire entre les deux Parties.
(vi) L'Alliance est conclue pour une période de […]. L'Alliance serait difficilement réversible (en raison du changement d'enseignes et de la mise en commun de nombreuses fonctions stratégiques) […].
10. Sur la base de ces éléments, la transaction consiste en une fusion de fait et constitue donc une concentration au sens de l'article 3(1) a) du Règlement sur les concentrations et du considérant 10 de la Communication jurisdictionnelle consolidée en vertu du règlement sur les concentrations.
IV. DIMENSION EUROPEENNE
11. Les deux entreprises concernées ont un chiffre d'affaires total mondial de plus de 5 milliards d'euros (Auchan: 53 454 millions d'euros ; Système U […] d'euros). Auchan et Système U réalisent un chiffre d'affaires au sein de l'Union européenne supérieur à 250 millions (Auchan […] d'euros ; Système U […] d'euros) et seulement Système U réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires communautaire, à l'intérieur d'un seul et même Etat membre. La transaction notifiée a donc une dimension européenne.
V. APPRECIATION
A. Le marché de l'approvisionnement en biens de consommation courante à dominante alimentaire
12. Les Parties considèrent que le marché de l'approvisionnement en biens de consommation courante à dominante alimentaire comprend la vente en gros de biens de consommation courante par leurs producteurs aux grossistes, détaillants et autres entreprises. Les Parties partagent l'approche de la Commission adoptée par le passé selon laquelle il convient de scinder ce marché en 23 catégories de produits.
13. Les Parties soutiennent également que ce marché est national, en accord avec la pratique décisionnelle de la Commission ainsi que celle de l'Autorité de la Concurrence française.
B. Le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire
14. En ce qui concerne le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire, la Commission considère que le marché de produit pertinent est le marché au détail de produits de consommation courante par les lieux de vente tels que les supermarchés, hypermarchés et chaîne de magasins à bas prix.7 Dans ses décisions antérieures, la Commission a constaté que les commerces de détail peuvent parfois vendre des produits non-alimentaires ; elle a toutefois laissé la définition exacte de ce marché ouverte.
15. En ce qui concerne la dimension géographique du marché, la Commission a indiqué qu'en matière de vente au détail, la zone de chalandise d'un point de vente est souvent délimitée par la frontière en-deça de laquelle le consommateur se trouve à moins de vingt minutes en voiture du point de vente.9 Du point de vue des consommateurs, qui dépendent d'une zone géographique ainsi délimitée, un trajet en voiture de vingt minutes leur permet d'accéder à un, deux ou plusieurs points de vente. La délimitation de chacune de ces zones locales ne peut être faite qu'au cas par cas en tenant compte des spécificités locales. 10 Dans certains cas, la Commission a conclu sur la base de circonstances spécifiques (la détermination des prix homogènes, la publicité ou la gamme des produits) que la dimension géographique d'un tel marché pouvait être plus large.
C. Appréciation
(i) La transaction peut affecter la concurrence en France de manière significative.
16. Auchan et Système U sont respectivement les 5èmes et 6èmes distributeurs les plus importants sur le marché de la grande distribution en France.
17. Les Parties soumettent que la transaction créera des chevauchements d'activité horizontaux sur le marché de l'approvisionnement en biens de consommation courante à dominante alimentaire et sur celui de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire.
18. La part de marché nationale cumulée de Système U et d'Auchan est de [20-30]% sur le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante (Auchan : [10-20]% ; Système U : [10-20]%). La part de marché nationale combinée sur le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante dépassera [20-30]% dans plus de 350 zones géographiques locales autour des magasins de Système U et dans plus de 250 zones autour des magasins d'Auchan.
19. En ce qui concerne le marché de l'approvisionnement en biens de consommation courante, malgré les liens verticaux avec le marché aval, les Parties soutiennent que leur part de marché combinée n'excèdera pas [20-30]%.
20. De plus, Système U est uniquement actif en France. Compte tenu de ce qui précède, les effets de la transaction proposée seront limités à la France. (ii) En outre, les marchés en question présentent toutes les caractéristiques d'un marché distinct comme expliqué aux paragraphes 8 et 10.
21. Dans sa pratique décisionnelle, la Commission a déjà conclu que les marchés (i) de l'approvisionnement en biens de consommation courante à dominance alimentaire et (ii) de la distribution au détail de produits de consommation courante étaient des marchés distincts. (iii) Facteurs additionnels
22. L'Autorité de la Concurrence française possède une expérience importante dans ce domaine, comme en témoignent ses nombreuses décisions antérieures.
23. Dans de nombreux cas antérieurs, la Commission a renvoyé des cas aux autorités nationales en charge de la concurrence. Au moins quatre cas concernant le secteur de la distribution ont été renvoyés à des autorités nationales au cours des deux dernières années.
24. L'expérience de l'Autorité de la Concurrence française en ce qui concerne le secteur de la distribution a été spécifiquement évoquée en détail dans certaines décisions de renvoi antérieures.15
VI. RENVOI
25. Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
26. La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration 16 (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires».
27. Sur le fondement des renseignements fournis par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France. Elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphe 20 de la communication précitée.
VII. CONCLUSION
28. Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations et de l'article 57 de l'accord EEE.
1. JO L24, 29.1.2004, p. 1 («le règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché intérieur». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.
2. JO L 1 du 3.1.1994, p. 3 (l'«accord EEE»).
3. Contrat d'Alliance du […] 2015.
4. M.7336 – Carrefour France/Dia France, para. 20.
5. M.7336 – Carrefour France/Dia France et décision n°13-DCC-90 relative à l’acquisition du contrôle exclusif sur Monoprix de Casino Guichard-Perrachon, 11 juillet 2013 et n°14-DCC-173 relative à l’acquisition du contrôle exclusif sur Dia France SAS de Carrefour France SAS, 21 novembre 2014.
6. M.4590 – REWE/Delvita – para. 14; M.5134 – Spar/Plus Hungary – para. 11; M.2604 – ICA Ahold/Dansk Supermarked – paras. 10, 11; M.4686 – Louis Delhaize/Magyar Hipermarket Kft. – para. 8; M.3905 – TESCO/Carrefour – para. 10; M.5047 – REWE/Adeg – para. 24.
7. M.3905 – Tesco/Carrefour – paras. 16, 17; M.4590 – REWE/Delvita – para.14; M.5047 – REWE/Adeg – paras. 25, 26.
8. De nombreuses décisions de la Commission traitent du secteur de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire: voir notamment No IV/M.1086 Promodès/S21/Gruppo GS, IV/M.998 OBSI Denmark; IV/M.784 Kesko/Tuco; IV/M.558 La Rinascente/Cedis Migliarini.
9. M.4590 – Rewe/Delvita; M.3905 – Tesco/Carrefour; M.2161 – Ahold/Superdiplo.
10. M.1221 – REWE/Meinl; M.5047 – Rewe/Adeg.
11. M.7336 – Carrefour France/Dia France, para. 25; M. 6488 – Carrefour/Guyenne et Gascogne, para. 30.
12. Decisions n°14-DCC-173 et n°13-DCC-90.
13. M.7466 – Dia/Supermercados de Eroski, 15 janvier 2015, M.7347 – Dia/Grupo El Arbol, 1 septembre 2014, M.7345 – Carrefour/53 magasins de Billa en Italie, 9 septermbre 2014, M.7224 – Koninklijke Ahold/Spar CZ, 6 Mai 2014, M.3898 – Dia/Penny Market, 27 septembre 2005.
14. M.7336 – Carrefour France/Dia France :"Ces marchés ont déjà fait l'objet de nombreuses décisions de l'Autorité de la concurrence, depuis l'instauration de seuils spécifiques pour l’application du droit interne du contrôle des concentrations (plus de 300 décisions). L'Autorité de la concurrence dispose donc des instruments et d’une expertise significative pour l’examen des opérations de concentrations dans le secteur du commerce de détail. Ainsi l'Autorité de la concurrence est bien placée pour examiner les marchés en cause. Enfin, le renvoi demandé préservera le principe du "guichet unique", dans la mesure où cette affaire sera renvoyée dans sa totalité à une seule autorité de concurrence."
16. JO C56, 5.3.2005, p. 2.