Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-24.221
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Pari Mutuel Urbain (Sté)
Défendeur :
Betclic Entreprises Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Michel-Amsellem
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 septembre 2018), le groupement d'intérêt économique Pari Mutuel Urbain (le PMU), qui réunit des sociétés de courses hippiques, détient, en application du décret n° 97-456 du 5 mai 1997 relatif aux sociétés de courses de chevaux et au pari mutuel, le droit exclusif d'organiser et de commercialiser des paris hippiques en dehors des hippodromes via son réseau physique, constitué de plus de 12 000 points de vente (le réseau physique). Il exerce, également, depuis 2003, une activité de paris hippiques en ligne sur son site www.pmu.fr. Depuis cette création, le PMU a toujours opéré une mutualisation des enjeux qu'il collecte dans ses points de vente physiques et en ligne, au sein d'une masse unique, son offre commerciale (paris, règles de jeux, rapports et gains) étant identique sur ces différents vecteurs de vente.
2. La loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (la loi du 12 mai 2010) a permis à d'autres opérateurs d'entrer sur le marché des paris hippiques en ligne, le PMU continuant toutefois de disposer d'un monopole sur l'organisation des paris hippiques dans son réseau physique. Quelques mois après l'entrée en vigueur de cette loi, l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) s'est saisie d'office des conditions d'exercice de la concurrence dans le secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne et a adopté l'avis no 11-A-02 du 20 janvier 2011 (l'avis no 11-A-02). Puis, saisie d'une plainte de la société Betclic Everest Group de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des paris hippiques en ligne, elle a, par une décision no 14-D-04 du 25 février 2014 (la décision no 14-D-04), énoncé une préoccupation de concurrence liée à la mutualisation des masses d'enjeux, accepté et rendu obligatoires les engagements pris par le PMU et mis fin à la procédure engagée. Le 10 décembre 2015, conformément à son engagement, le PMU a séparé de façon effective, sur le marché français des paris hippiques, sa masse unique d'enjeux entre ses activités dans son réseau physique et celles en ligne.
3. Reprochant au PMU d'avoir commis une faute civile au sens des articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil, en abusant de sa position dominante en violation de l'article L. 420-2 du code de commerce, la société de droit maltais Betclic Entreprises Limited (la société Betclic) l'a assigné en réparation. Elle a principalement soutenu à cet effet que la mutualisation, au sein d'une masse unique, des mises enregistrées sur le site Pmu.fr, relevant de son activité concurrentielle, avec celles enregistrées dans son réseau physique, relevant de son activité sous monopole, conférait au site Pmu.fr un avantage concurrentiel avec lequel les opérateurs alternatifs de paris hippiques en ligne ne pouvaient rivaliser, entraînant de ce fait une distorsion de la concurrence.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
4. Le PMU fait grief à l'arrêt de dire que la mutualisation des masses d'enjeux enregistrées en ligne et dans ses points de vente physiques, entre mai 2010 et décembre 2015, a constitué une pratique anticoncurrentielle, de dire qu'il a abusé de sa position dominante en violation de l'article L. 420-2 du code de commerce et de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (le TFUE), ce qui constituait une faute au sens de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, et d'ordonner une expertise, alors :
« 1°/ que dans ses conclusions d'appel, le PMU avait démontré son absence de faute, du fait de l'absence de devoir préexistant qu'il aurait méconnu, en l'occurrence du fait de l'absence d'un devoir de séparer les masses d'enjeux en dur et en ligne, et il n'avait mentionné les principes de sécurité juridique et de confiance légitime qu'en réponse aux écritures de la société Betclic, à seule fin de faire valoir qu'en l'absence d'existence, à l'époque des faits, d'une obligation légale certaine de séparer les masses d'enjeux, il aurait été contraire aux deux principes susmentionnés de lui imputer la méconnaissance d'une telle obligation ; que cette mention des principes de sécurité juridique et de confiance légitime était donc un argument a fortiori démontrant l'absence de faute, non l'invocation d'une excuse ou d'un fait justificatif ; qu'en estimant pourtant que le PMU aurait invoqué, sur le fondement des principes de sécurité juridique et de confiance, l'existence d'une "excuse légitime à sa pratique", c'est-à-dire d'une cause exonératoire de sa responsabilité, cependant que l'élément concerné était invoqué au soutien de la démonstration de l'absence de faute du PMU, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et méconnu l'article 4 du code de procédure civile ;
2°/ que d'une manière générale, le PMU démontrait son absence de faute et ne se prévalait pas d'une hypothétique cause exonératoire de responsabilité, à supposer acquise sa faute ; qu'en déduisant la responsabilité civile du PMU de l'absence d'excuse légitime à sa pratique, cependant que l'argumentation du PMU était prise, non de ce que son comportement aurait été excusable, mais de ce qu'il était exempt de faute, la cour d'appel a de plus fort modifié l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. Après avoir rappelé que le PMU, se prévalant des principes de sécurité juridique et de confiance légitime, soutenait que l'abus et Ia faute reprochés n'étaient pas caractérisés, aucune inaction fautive ne pouvant lui être reprochée en l'espèce, l'arrêt relève que si les articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce n'énumèrent pas tous les cas d'abus de position dominante, ces dispositions ont été interprétées par les juridictions, notamment quant à leur application aux titulaires de droits exclusifs, de sorte que ces opérateurs économiques ne peuvent prétendre être restés dans I‘ignorance des comportements sanctionnés par le droit de la concurrence. Il ajoute qu'aucune confiance légitime ne peut résulter des déclarations prononcées à l'occasion des travaux parlementaires, lesquelles émanent d'autorités non spécialisées en matière de concurrence et ne comportent aucune assurance précise ou aucun acte positif d'autorisation, ni des avis et décision rendus par l'Autorité à l'issue de ses procédures administratives. De ces éléments, l'arrêt déduit que la responsabilité du PMU est susceptible d'être retenue, nonobstant les circonstances tirées des procédures législative et administrative invoquées par lui. Il en résulte que, contrairement à ce que soutient le moyen en ses deux premières branches, la cour d'appel n'a pas examiné si les principes de sécurité juridique et de confiance légitime pouvaient constituer des causes d'exonération d'une faute établie mais recherché si l'application de ces principes ne conduisaient pas à retenir l'absence de faute du PMU.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième, huitième et neuvième branches
Enoncé du moyen
7. Le PMU fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 3°/ qu'en l'état du principe de liberté du commerce et de l'industrie, ne peut caractériser une faute constitutive d'abus de position dominante qu'un manquement à un devoir préexistant ; que si une responsabilité particulière pèse sur une entreprise en position dominante, il ne peut en résulter qu'une telle entreprise serait fautive de maintenir un certain comportement de marché lorsque ledit comportement a été pris en considération par le législateur lors de l'édiction de la loi ouvrant le marché à la concurrence et que, à cette occasion, le législateur, non seulement n'a pas regardé le comportement en cause comme anticoncurrentiel, mais l'a même considéré comme de nature à potentiellement résoudre les questions de concurrence pouvant se poser ; que la cour d'appel a estimé, pour retenir l'existence d'une faute imputable au PMU, que ce dernier, au vu de la pratique administrative et décisionnelle des autorités de concurrence et de la jurisprudence en la matière, aurait dû se savoir tenu d'une responsabilité particulière en tant qu'opérateur historique antérieurement titulaire d'un monopole légal, dont il aurait dû déduire la nécessité impérative de séparer ses masses d'enjeux en dur et en ligne ; qu'en statuant ainsi, cependant que le législateur, en adoptant la loi no 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne, avait entendu ne pas imposer une séparation des masses d'enjeux et avait même envisagé l'éventualité qu'un maintien de la mutualisation des masses entre tous les opérateurs de paris hippiques en ligne soit utilisé à l'avenir comme outil de résolution des possibles difficultés d'ordre concurrentiel dans le secteur d'activité concerné, ce dont il résultait que la séparation des masses d'enjeux du PMU n'avait pas été imposée par la loi, de sorte que le PMU ne pouvait être regardé comme ayant méconnu un devoir préexistant, quoi qu'il en soit par ailleurs de la pratique administrative et décisionnelle des autorités de concurrence ou de la jurisprudence, la cour d'appel a violé l'article 1240 du code civil, ensemble le principe susvisé ;
4°/ que constitue une faute, au sens de l'article L. 420-2 du code de commerce, lorsqu'elle a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché donné, l'exploitation abusive, par une entreprise, d'une position dominante sur ledit marché ; qu'un tel abus suppose qu'il soit établi que l'entreprise a eu recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale pour les produits ou services en cause ; que si une entreprise en position dominante est tenue d'une responsabilité particulière, celle-ci ne saurait priver une telle entreprise du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, dès lors que cette défense s'effectue loyalement ; qu'après avoir rappelé la responsabilité particulière pesant sur le PMU, la cour d'appel s'est bornée, pour en déduire l'existence d'un abus de sa position dominante, à relever les effets anticoncurrentiels prétendus d'un maintien de la mutualisation des masses d'enjeux, et s'est abstenue de caractériser en quoi un tel maintien aurait procédé d'un comportement déloyal et donc abusif ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
5°/ qu'en l'état du sens et de la portée sus-rappelés de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, laquelle, nonobstant l'affirmation contraire de l'arrêt, avait bien "légiféré sur les problèmes de concurrence posés par la coexistence de deux activités au sein du PMU", la cour d'appel, qui a fait prévaloir sur ce texte la pratique administrative et décisionnelle des autorités de concurrence et la jurisprudence, a méconnu les articles 3, 34 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 3, 5 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
6°/ qu'une entreprise en position dominante ne peut être regardée comme fautive de maintenir un certain comportement de marché lorsque l'Autorité, après s'être longuement penchée sur l'analyse de ce comportement et son impact concurrentiel, n'a pas estimé utile ou nécessaire de lui recommander de le modifier ; qu'en retenant, pour en déduire qu'en l'état de la pratique administrative et décisionnelle pertinente, le PMU n'aurait pu croire en l'absence d'une obligation de séparer ses masses d'enjeux, que l'avis 11-A-02 du 20 janvier 2011 de l'Autorité relatif à la prévention des risques de distorsion de concurrence dans le secteur des paris hippiques en ligne aurait été sans portée à cet égard, en ce que l'Autorité y avait été animée de préoccupations "plus larges que la seule recherche et la seule sanction des pratiques anticoncurrentielles", cependant qu'il avait été constaté par l'arrêt que cet avis, dont l'objet avait été d'émettre des préconisations tendant à faciliter l'entrée de concurrents sur ce marché nouvellement ouvert, n'avait "[qualifié] à aucun moment cette pratique commerciale de mutualisation des enjeux de possible abus de position dominante du PMU, ou plus largement, de pratique anticoncurrentielle" ni "émis aucune recommandation visant à [la] séparation" de ses masses d'enjeux par le PMU, mais avait envisagé d'autres remèdes recommandés aux seuls pouvoirs publics, dont l'abondement des gains entre courses, d'où il suivait qu'aucune obligation pour le PMU de séparer ses masses d'enjeux ne pouvait être inférée de la pratique administrative et décisionnelle de l'époque en la matière ; qu'en se fondant néanmoins sur ladite pratique administrative et décisionnelle pour retenir la prétendue faute du PMU, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1240 du code civil ;
7°/ que même au titre de sa responsabilité particulière, une entreprise dominante ne peut être regardée comme fautive envers ses concurrents de ne pas avoir immédiatement prévu la nécessité d'un changement de sa pratique, lorsque l'Autorité, quoique ayant procédé à une analyse approfondie de son activité et de la pratique en cause, n'a initialement pas vu l'utilité ou la nécessité d'en recommander ou d'en prescrire la modification et ne l'a fait que bien plus tard, après un nouvel examen dans le cadre d'une procédure d'engagements et un changement de position ; que l'arrêt avait expressément constaté que l'Autorité, qui avait étudié en détail la question de la mutualisation des masses d'enjeux du PMU à l'occasion de son avis 11-A-02 du 20 janvier 2011, n'avait à ce moment aucunement qualifié cette pratique de possible abus de position dominante ou, plus largement, de pratique anticoncurrentielle et qu'elle avait évolué dans sa position depuis 2011, aussi bien sur la caractérisation de la préoccupation de concurrence que les remèdes à y apporter, une décision 14-D-04 du 25 février 2014, rendue sur plainte de la société Betclic, affirmant que la pratique en cause était susceptible d'être qualifiée d'abus de position dominante et acceptant des engagements du PMU de séparer les masses, l'arrêt ajoutant du reste que cela démontrait "que l'analyse de la pratique ne revêt[ait] aucun caractère d'évidence" ; qu'il en résultait que le PMU ne pouvait être regardé comme fautif envers ses concurrents de ne pas avoir immédiatement et spontanément prévu et mis en pratique une évolution de son comportement dont l'Autorité n'avait elle-même pas été en mesure de voir d'emblée la nécessité ; qu'en retenant néanmoins, pour en déduire la prétendue faute du PMU, que "tous ces éléments d'incertitudes et de tergiversations" ne pouvaient être utilement pris en compte dans l'instance indemnitaire introduite par la société Betclic, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1240 du code civil ;
8°/ que les situations relevant du droit de l'Union européenne, il ne peut être valablement porté à un droit ou à une liberté garanti par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, même lorsque cet objectif est légitime ; que devant la cour d'appel, le PMU avait notamment fait valoir que sa responsabilité ne pouvait être engagée au titre de la période ayant couru jusqu'à la décision de l'Autorité du 25 février 2014, puisqu'il ne lui avait pas été possible de percevoir dès l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2010, pas plus qu'à la lecture de l'avis 11-A-02 du 20 janvier 2011, la prétendue nécessité d'une modification de sa pratique de mutualisation des masses d'enjeux, à l'époque regardée par le législateur et par l'Autorité comme n'occasionnant pas de difficulté de concurrence voire comme constituant un remède potentiel à d'éventuelles difficultés, la séparation de cette masse unique d'enjeux étant, elle, vue par l'avis de l'Autorité comme inefficace à résoudre les déficits de compétitivités identifiés et que la pratique en question n'avait quoi qu'il en soit pas été regardée par l'Autorité comme d'une particulière gravité puisque, même après changement de position plusieurs années plus tard, celle-ci n'avait prescrit la résolution de la préoccupation de concurrence finalement identifiée qu'en recourant à une procédure d'engagements et non à une procédure de sanction ; que le PMU avait encore fait valoir que le maintien de la pratique litigieuse pendant la période postérieure à la décision susmentionnée de l'Autorité ne pouvait non plus lui être imputée à faute, ladite décision ayant admis qu'un délai de 22 mois était techniquement nécessaire au PMU pour séparer ses masses d'enjeux ; que le PMU avait de surcroît fait valoir que le maintien de sa masse unique d'enjeux n'avait pas faussé le jeu de la concurrence ni causé le moindre préjudice à la société Betclic ; que la cour d'appel, qui avait expressément constaté qu'il existait à l'époque une incertitude sur le possible effet anticoncurrentiel d'un maintien d'une masse unique d'enjeux et que l'analyse de la pratique consistant à réunir les masses d'enjeux en dur et en ligne ne revêtait aucun caractère d'évidence, y compris pour l'Autorité, mais qui n'a pas recherché, comme auraient dû l'y conduire les écritures sus-rappelées du PMU, si du fait de ce contexte d'incertitude entourant la supposée pratique administrative et décisionnelle et la jurisprudence, la constatation d'une faute du PMU, consistant à ne pas avoir spontanément séparé ses masses d'enjeux dès l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2010, ne portait pas à la liberté d'entreprise du PMU une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'élimination des pratiques anticoncurrentielles, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et l'article 1240 du code civil ;
9°/ qu'il ne peut être valablement porté à un droit ou à une liberté constitutionnellement garantie une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, même lorsque cet objectif est légitime ; qu'en se déterminant comme elle a fait, sans rechercher si la constatation de la prétendue faute susmentionnée du PMU depuis 2010 ne portait pas à sa liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif d'élimination des pratiques anticoncurrentielles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ensemble les articles L. 420-2 du code de commerce et 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
8. L'arrêt énonce, d'abord, qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne et des juridictions nationales que la notion d'« exploitation abusive » est une notion objective visant les comportements d'une entreprise en position dominante de nature à influencer la structure d'un marché où, à la suite précisément de la présence de l'entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base de prestations des opérateurs économiques, au maintien d'une concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence. Il rappelle aussi que ces mêmes juridictions et l'Autorité ont, à plusieurs reprises, énoncé que dans le cadre de la diversification des activités des opérateurs historiques, titulaires ou anciens titulaires d'un monopole légal, il est licite, pour une entreprise qui dispose d'une position dominante sur un marché en vertu d'un monopole légal, d'entrer sur un ou des marchés relevant de secteurs concurrentiels, à condition qu'elle n'abuse pas de sa position dominante pour restreindre, ou tenter de restreindre, l'accès au marché de ses concurrents en recourant à des moyens autres que la concurrence par les mérites.
9. L'arrêt relève ensuite que l'Autorité a, dans son avis n° 11-A-02, abordé la question des distorsions de concurrence entre le PMU et les nouveaux entrants sur le marché des paris en ligne et recommandé à ce groupement de prévenir les risques d'entrave à la concurrence, liés à l'avantage résultant pour lui de la mutualisation des masses d'enjeux, par diverses mesures, notamment la mise en place d'un système d'abondement des gains entre courses, seule mesure alors à même, selon cette autorité, de résoudre ce problème.
10. Après avoir précisé que cet avis répondait à des préoccupations générales tendant seulement à faciliter l'entrée des nouveaux opérateurs sur le marché des paris en ligne, récemment ouvert à la concurrence, et non à sanctionner des pratiques mises en œuvre par les opérateurs, l'arrêt retient que si l'Autorité n'avait pas alors qualifié la pratique en cause d'anticoncurrentielle, elle avait néanmoins bien identifié une préoccupation de concurrence liée à la mutualisation des masses d'enjeux, à laquelle elle a cherché une solution, et que la difficulté à trouver alors un remède adapté n'est pas de nature à exonérer le PMU de sa responsabilité, ni à ôter au comportement de celui-ci le caractère prévisible de son illicéité.
11. Après avoir encore relevé que, dans sa décision n° 14-D-04, l'Autorité a définitivement retenu la préoccupation de concurrence précédemment énoncée dans l'avis n° 11-A-02, en ce que, par la pratique de mutualisation des masses d'enjeux, le PMU utilisait les ressources de son monopole légal sur les paris hippiques dans son réseau physique pour renforcer son offre sur un marché ouvert à la concurrence, cette pratique étant susceptible d'avoir, sur le fonctionnement concurrentiel du marché des paris hippiques en ligne, un effet de captation de la demande et d'entrave pour les nouveaux entrants, doublé d'un effet d'éviction de ces opérateurs alternatifs, l'arrêt constate qu'il est établi par les éléments du dossier, qu'il détaille, que la mutualisation des masses d'enjeux a constitué un avantage sur l'attractivité de l'offre du PMU, qui a encore accru la supériorité dont il disposait, hors pratique anticoncurrentielle, en tant qu'opérateur historique bénéficiant d'une forte notoriété, mais aussi du fait du maintien de sa position de monopole sur les paris dans le réseau physique et, encore, de la tendance des parieurs à regrouper leurs paris auprès d'un même opérateur.
12. De ces constatations et appréciations, dont elle a déduit que le PMU avait utilisé un avantage qui ne résultait pas de son efficacité passée mais de ses droits exclusifs lui permettant, sans que soit démontrée sa plus grande efficacité, de proposer les combinaisons de gains qui sont les plus valorisées par les parieurs, la cour d'appel, qui a justement estimé que le PMU ne pouvait tirer de l'évolution des propositions de remède de l'Autorité une imprévisibilité de la loi, en présence d'une jurisprudence sévère pour les monopoles publics intervenant sur des marchés nouvellement ouverts à la concurrence, tenus à une particulière vigilance quant à l'utilisation des ressources du monopole sur ces marchés, et qui n'avait pas à effectuer les recherches invoquées par les deux dernières branches, qui ne lui étaient pas demandées, a, sans qu'importe que la loi du 12 mai 2010 ne comporte pas d'interdiction expresse de mutualisation des masses d'enjeux, et sans encourir le grief de la cinquième branche, devenue de ce fait sans objet, ni ceux des sixième et septième branches, exactement caractérisé la faute, commise par le PMU, résultant du manquement à son devoir de ne pas mettre en œuvre e un comportement autre que ceux autorisés dans un mécanisme de concurrence par les mérites ayant pour effet de faire obstacle à l'entrée et au développement de concurrents sur le marché.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne le groupement d'intérêt économique Pari Mutuel Urbain aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le groupement d'intérêt économique Pari Mutuel Urbain et le condamne à payer à la société Betclic Entreprises Limited la somme de 3 000 euros.