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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 12 octobre 2020, n° 19/01213

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Altiplano (SAS)

Défendeur :

Newbev (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseiller :

M. de Chergé

Avocats :

Me Millot, Me Luchtenberg

CA Paris n° 19/01213

12 octobre 2020

FAITS ET PROCÉDURE

Par contrat du 1er janvier 2015, la société Altiplano a confié à la société Newbev un mandat d'agent commercial aux fins de commercialisation de bière sans gluten sous la marque Altiplano avec exclusivité sur la France.

Le 13 mai 2015, les parties ont signé un avenant, aux termes duquel le périmètre de l'exclusivité a été redéfini prévoyant que « le mandant joint à l'avenant fixe la liste des clients ne rentrant pas dans le secteur CHD et Cash & Carry de l'agent ou concernant des accords antérieurs à la signature du contrat » et la société Altiplano s'engageait à verser à la société Newbev une commission mensuelle minimale de 500 euros H.T pour 24 mois.

Le 8 décembre 2016, les société Altiplano et Newbev se sont réunies pour faire le point sur le développement commercial de la bière sans gluten. Dans le prolongement de cette réunion, la société Altiplano a, par lettre recommandée en date du 14 décembre 2016, mis fin au contrat d'agent commercial de la société Newbev.

La société Newbev a pris acte de la résiliation et a sollicité le respect du préavis et le versement d'une indemnité de rupture. La société Altiplano n'a pas donné suite à ces réclamations.

Par acte extrajudiciaire en date du 19 juin 2017, la société Newbev a assigné son ancien mandant, la société Altiplano.

Par jugement en date du 28 novembre 2018, le tribunal de commerce de Paris a statué comme suit :

Condamne Altiplano à régler 2 100 euros au titre des quatre factures émises pendant la période de fin de contrat et de préavis, assorties d'intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 17 mai 2017 avec anatocisme à compter de la date de l'assignation, soit le 19 juin 2017,

Condamne SAS Altiplano à verser une indemnité de rupture de 6 000 euros H.T

Déboute SARL Newbev de sa demande de communication d'un état retraçant les commissions dues sur la période de préavis et sur l'ensemble de la période d'exécution du contrat,

Déboute SARL Newbev de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Condamne SAS Altiplano à verser la somme de 2 000 euros à SARL Newbev, au titre de l'article 700 du cpc,

Ordonne l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

Condamne SAS Altiplano aux dépens

Le 17 janvier 2019, la société Altiplano a fait appel du jugement

Par conclusions signifiées le 8 janvier 2020, la société Newbev demande à la cour de :

Sur l'appel principal

- Débouter la société Altiplano de l'ensemble de ses demandes,

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 28 novembre 2018 par le tribunal de commerce de Paris sous la référence RG 2017037386 sauf en ce qu'il a fixé à 6.000 euros l'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial due à la société Altiplano et en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Newbev de voir la société Altiplano condamnée à lui communiquer un état des opérations conclues et des commissions dues et à lui verser 4.000 euros de dommages-intérêts au titre de sa résistance abusive au paiement des factures émises ;

Sur l'appel incident

- Condamner la société Altiplano à verser à la société Newbev une indemnité de rupture du contrat d'agent commercial correspondant à deux années de commissions, et qui ne saurait donc être inférieure à 12.000 euros ;

- Condamner la société Altiplano à transmettre à la société Newbev, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, un état des commissions dues depuis le mois de décembre 2016 ;

- Condamner la société Altiplano à transmettre à la société Newbev, sous astreinte de 100euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, un état des opérations commerciales conclues, relevant de son exclusivité contractuelle, à savoir :

- Le territoire de la France métropolitaine ;

- Le secteur de la CHD et Cash&carry ;

et ce, pour la durée du contrat, préavis compris, ainsi que pour les trois mois suivants, c'est-à-dire jusqu'au 15 avril 2017.

- Condamner la société Altiplano à payer sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, en complément des sommes qui leur ont été allouées à ce titre par le jugement entrepris, la somme de 5 000 euros à société Newbev ainsi qu'aux dépens dont pour distraction au profit du Cabinet Luchtenberg Avocats, pris en la personne de Maître Jeroen Luchtenberg, avocat au Barreau de Paris, aux offres de droit.

Par conclusions signifiées le 16 août 2019, la société Altiplano demande de :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce de paris en date de 28 novembre 2018 (r.g. n° 2017037386) en ce qu'il a dit que la société Newbev pouvait se prévaloir du statut d'agent commercial de la société Altiplano et n'avait commis aucune faute justifiait la résiliation du contrat ;

- infirmer de même ledit jugement en ce qu'il a condamné la société Altiplano à verser à la société Newbev les sommes de 6 000 euros h.t. à titre d'indemnité de rupture, 2 100 euros ttc au titre de 4 factures n° 47, 57, 68 et 69, 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et à supporter les entiers dépens ;

- débouter la société Newbev de son appel incident ;

- dire et juger que la société Newbev ne peut se prévaloir de la qualité d'agent commercial de la société Altiplano ;

- dire et juger en tout état de cause que la société Newbev a commis plusieurs fautes graves en assurant la représentation de sociétés concurrentes à la société Altiplano et en se désintéressant de la commercialisation de ses produits ;

- débouter la société Newbev de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Newbev à verser à la société Altiplano la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

- condamner la société Newbev aux entiers dépens.

A titre subsidiaire :

- juger que l'indemnité de fin de contrat susceptible d'être allouée à la société Newbev au titre de la résiliation du contrat ne saurait excéder la somme de 1 977,24 euros ;

- juger que les commissions dues à la société Newbev au titre de la période du 1er novembre au 14 décembre 2016 correspondent à un montant de 494,79 euros h.t. ;

- enjoindre en conséquence à la société Newbev d'établir un avoir correspondant à ses factures n° 47 et 57 ;

- Juger que le montant de l'indemnité compensatrice de préavis susceptible d'être allouée à la société Newbev pour la période du 15 décembre 2016 au 15 févier 2017 ne saurait excéder 659,08 euros H.T.

SUR CE

Sur la qualité d'agent commercial

La société Altiplano soutient que la société Newbev n'a pas la qualité d'agent commercial dès lors, d'une part, qu'elle n'a jamais disposé d'un pouvoir de négocier ou de conclure un contrat au nom et pour le compte de la société Altiplano qui, notamment, fixait elle-même les conditions tarifaires de vente de ses produits ; et dès lors, d'autre part, que le mode de rémunération fixe de la société Newbev ne correspond pas au mode de rémunération usuel d'un agent commercial.

La société Newbev soutient que la qualité d'agent commercial doit lui être reconnue dès lors qu'elle a effectivement négocié avec des potentiels clients de la société Altiplano et conclu des contrats de vente au nom et pour le compte de cette société ; qu'au demeurant, la qualité d'agent commercial est indifférente au mode de rémunération dont conviennent les parties et qu'en l'espèce, sa rémunération fixe pouvait être complétée par une rémunération variable en fonction du montant des ventes réalisées.

Ceci étant exposé, aux termes de l’article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui est chargé de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente pour le compte de mandants.

En l'espèce, la société Altiplano remet en cause le statut d'agent commercial de la société Newbev. Elle invoque l'absence d'élément caractérisant le pouvoir de négociation et l'autonomie dont elle aurait dû disposer de façon permanente pour répondre à ce statut. Cependant il ressort des termes du contrat conclu entre les parties que la société Altiplano a entendu circonscrire l'action de négociation confiée à son mandataire et a accepté par un avenant de verser une rémunération fixe que dès lors elle est mal venue à remettre en cause le manque de pouvoir dévolu à l'agent commercial et son mode de rémunération contradictoirement négocié entre les parties. Ce moyen sera rejeté.

Sur la résiliation du contrat et ses suites

La société Altiplano soutient, à titre principal, que la société Newbev a commis plusieurs fautes graves dans l'exécution du contrat justifiant sa rupture sans indemnités de préavis et de fin de contrat ; d'une part, la société Newbev n'a pas respecté son obligation de non-concurrence en acceptant, postérieurement à la conclusion du contrat et sans l'autorisation de la société Altiplano, de représenter des entreprises concurrentes de celle-ci ; et d'autre part, la société Newbev a manqué de diligence et s'est désintéressée de la commercialisation des produits de la société Altiplano.

A titre subsidiaire, la société Altiplano fait valoir, d'une part, qu'en raison des fautes graves susmentionnées, l'indemnité de fin de contrat ne saurait excéder six mois de commission et qu'il convient, pour la fixer, de se référer au montant mensuel moyen des commissions dont la société Newbev aurait bénéficié en l'absence de rémunération fixe ; et d'autre part, que s'agissant de l'indemnité de préavis, les conditions contractuelles permettant de se référer à la commission minimale ne sont pas réunies, qu'ainsi l'indemnité de préavis pour la période courant du 1er novembre au 14 décembre 2016 et, le cas échéant, celle pour la période courant du 15 décembre 2016 au 15 février 2017 doivent être réévaluées.

La société Newbev soutient qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée dans l'exécution du contrat pour justifier la résiliation de celui-ci par la société Altiplano sans indemnités de préavis et de fin de contrat ; qu'aucune faute n'a d'ailleurs été mentionnée dans la lettre de résiliation que lui a adressé la société Altiplano ; qu'en effet, la société Newbev n'a pas violé son obligation de non-concurrence et que la société Altiplano ne démontre pas que l'insuffisance de son chiffre d'affaires ait résulté d'une activité insuffisante de la part de la société Newbev ; en conséquence, la société Newbev sollicite le paiement des factures correspondant à ses commissions dues pour la période courant du mois de novembre 2016 au mois de février 2017.

Ceci étant exposé,

Il résulte des éléments du dossier que le contrat d'agent commercial a été conclu le 1er janvier 2015. Sur la période de deux années, le chiffre d'affaires des ventes de bières Altiplano créé par l'activité de la société Newbev s'est élevé à 19 310,66 euros H.T selon la société Altiplano et selon la société Newbev à 79 712 euros.

Il est indéniable que la société Altiplano a versé à la société Newbev des commissions d'un montant total de 1 931,07 euros correspondant aux deux années de collaboration ; le compte rendu de réunion du 8 décembre 2016 fait état d'un état stationnaire des clients de Newbev, de l'absence de nouveaux clients et de l'absence de croissance des ventes, il est évoqué une rupture des relations entre les parties.

La société Altiplano a signifié la rupture du contrat à son agent commercial le 14 décembre 2016. La société Newbev par courrier du 20 décembre 2016, a pris acte de la rupture et a sollicité le respect du préavis de deux mois et le versement d'une indemnité de rupture.

Il convient de relever que le courrier de résiliation ne relève pas de faute grave à l'encontre de la société Newbev, mais constate un échec de la collaboration.

La société Altiplano reproche à la société Newbev un manquement à l'obligation de non-concurrence ainsi que l'a souligné le tribunal, le contrat en date du 1er janvier 2015 prévoyait la possibilité de commercialiser toute autre gamme de produit. Le premier mandat, conclu en décembre 2014, avec la société Caulier, a pris naissance alors que la société Newbev était encore une société en formation ; l'échange de courriers en 2015 atteste de l'information de la société Altiplano concernant ce mandat de représentation.

De même, s'agissant de l'allégation afférente au désintérêt de la société Newbev pour la bière Altiplano, les courriers échangés ne confirment pas ce grief. Si l'évolution des ventes s'est révélée insuffisante, il n'est pas établi qu'elle résulte de l'inertie de l'agent commercial, dès lors qu'elle ne s'appuie sur aucun constat précis. Les courriers échangés invoquent une insuffisance de résultats le compte-rendu relate la spécificité du marché bio, le manque de moyens de communication et de marketing de la société Altiplano, ces éléments ne témoignent pas de l'inertie du mandataire. La société Altiolano n'est donc fondée en sa demande de résiliation du contrat pour faute.

Enfin le commun accord pour mettre fin au contrat sans indemnité est contredit par les termes des courriers de la société Newbev qui ont suivi la notification de la rupture, de sorte que le mandant ne peut s'exonérer du paiement d'une indemnité de fin de contrat.

Concernant la fixation de durée de l'indemnité de fin de contrat, ainsi que le tribunal l'a jugé le contrat ne s'est poursuivi que sur deux années et au regard du peu de résultats obtenus, l'a limité à juste titre à une année de commissions.

Concernant le quantum, à compter du 1er mars 2015, la société Altiplano a versé une commission fixe de 500 euros h.t. sur une durée de 24 mois conformément à l'avenant liant les parties. C'est donc à bon droit que le tribunal s'est fondé sur ce montant pour la condamner au versement d'une indemnité de rupture égale à 6 000 euros h.t. et de 2 100 euros au titre des quatre factures (47,57,68,69) émises pendant la période de préavis.

Sur l'appel incident de la société Newbev

La société Altiplano soutient qu'elle ne saurait être tenue de verser des dommages et intérêts pour résistance abusive à la société Newbev dès lors que la société Newbev, d'une part, ne démontre l'existence d'aucune faute dont elle aurait fait preuve et d'autre part, ne démontre pas le préjudice qui en serait résulté ; la société Altiplano considère en outre que la demande de communication de pièces de la société Newbev ne relève pas de la compétence de la cour et que la société Newbev ne justifie d'aucun élément qui l'autoriserait à douter de la sincérité des relevés de commission sur la base desquels elle a établi ses factures.

La société Newbev fait valoir qu'en refusant de répondre à ses demandes justifiées et légitimes, la société Altiplano a fait preuve d'une mauvaise foi et a compté sur l'épuisement de la société Newbev ; qu'ainsi la société Altiplano doit être condamnée à verser la somme de 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; en second lieu, la société Newbev soutient qu'elle n'a été destinataire d'aucun relevé de commissions dues à partir du mois de décembre 2016 alors que la société Altiplano a bénéficié des efforts commerciaux de la société Newbev ; qu'au demeurant, la société Newbev peut légitimement douter de la sincérité des relevés de commissions transmis ; qu'ainsi, la société Altiplano doit être condamnée, sous astreinte, à communiquer à la société Newbev un état des commissions dues depuis le mois de décembre 2016 ainsi qu'un état des opérations commerciales conclues qui relevaient de l'exclusivité contractuelle de la société Newbev et ce pour la durée du contrat, préavis compris, et pour les trois mois suivant la fin dudit préavis, soit jusqu'au 15 avril 2017.

Ceci étant exposé,

Le fait de ne pas répondre à des demandes ne suffit pas à constituer un abus de droit. En l'espèce, il n'est pas démontré par la société Newbev que l'absence de réponse à ses demandes ait dégénéré en abus, dès lors la demande de ce chef sera écartée.

S'agissant de la demande de communication de pièces, celle-ci est tardive en ce qu'elle n'a pas été présentée devant le conseiller de la mise en état ; par ailleurs, les allégations de la société Newbev reposent uniquement sur des hypothèses de sorte que la demande sera rejetée.

En conséquence, la décision entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.

La société Altiplano, partie perdante, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, sera tenue de supporter la charge des dépens d'appel.

Il paraît équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

REJETTE toutes les autres demandes ;

CONDAMNE la société Altiplano aux dépens d'appel.