Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-22.119
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Annick Goutal (Sasu)
Défendeur :
Dispar SpA (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Champalaune
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Colin-Stoclet, SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2018), la société Annick Goutal a, par contrat du 23 juillet 1998, confié à la société Dispar SpA (la société Dispar) la distribution exclusive des produits de sa marque sur le territoire italien. Conclu pour une durée de trois ans à compter du 1er septembre 1998, ce contrat était renouvelable par tacite reconduction pour des périodes successives d'une année, sauf dénonciation, par l'une ou l'autre des parties, trois mois avant son échéance.
2. Par lettre du 29 mars 2013, la société Annick Goutal, invoquant une mauvaise gestion des stocks, a notifié à la société Dispar sa décision de ne pas poursuivre le contrat et d'y mettre un terme à compter du 31 août 2013.
3. Estimant que la rupture de la relation avait été brutale et abusive, la société Dispar a assigné la société Annick Goutal en réparation de son préjudice et lui a également réclamé le paiement de la valeur du stock à reprendre et de frais de stockage.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi incident éventuel
Enoncé du moyen
4. La société Dispar fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande au titre du paiement des frais de stockage des produits et matériels publicitaires, alors :
« 1°) qu'elle produisait deux documents émanant de la société ICR qui stockait, pour son compte, les produits Annick Goutal ; que par un courriel du 5 mars 2014, la société ICR informait la société Dispar du coût de stockage des trente "palettes stockées dans [son] magasin" relatives au "marché Annick Goutal", à savoir 225 euros par mois ; que par une lettre du 26 juillet 2016, la société ICR informait la société Dispar que trente palettes étaient affectées "aux produits de la marque Annick Goutal stockés dans [ses] entrepôts pour la période allant du 01.09.2013 au 31.07.2016", le "total facturé" pour ce stockage étant de 7 875,60 euros, le détail de cette facturation par mois et années étant précisé ; qu'en retenant cependant que "la société Dispar ne produi[sai]t aucune facture ni justificatif de paiement correspondant à des frais de stockage pour les produits Annick Goutal [et que] les pièces produites, un courriel relatif à une information sur des prix, tout comme un courrier mentionnant le prix d'une période de stockage (pièces 19 et 37) ne p[ouvai]ent établir le principe comme le montant de la somme réclamée", la cour d'appel a dénaturé le courriel du 5 mars 2014 et la lettre du 26 juillet 2016 (pièces produites devant la cour d'appel sous les numéros 19 et 37), violant ainsi le principe de l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) que la conservation o des produits de la marque Annick Goutal entre la rupture de la relation contractuelle intervenue en 2013 et la reprise des produits stockés par la société Annick Goutal, le 16 mars 2017, a nécessairement engendré des frais de stockage pour la société Dispar ; qu'en se fondant cependant sur l'insuffisance des preuves relatives au coût du stockage pour refuser d'évaluer un préjudice dont l'existence était certaine, la cour d'appel a violé les articles 4 et 1147, devenu 1231-1, du code civil. »
Réponse de la Cour
5. Sous le couvert des griefs infondés de dénaturation et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en question l'appréciation souveraine des juges du fond, qui ont estimé qu'en l'état des documents produits, la société Dispar ne rapportait pas la preuve, qui lui incombait, de la réalité des frais de stockage dont elle demandait le remboursement.
6. Le moyen ne peut donc être accueilli.
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident éventuel, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
7. La société Dispar fait grief à l'arrêt de limiter à la somme de 49 221,64 euros la condamnation de la société Annick Goutal au titre de la reprise de stock, alors « qu'elle contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011 et faisait valoir que l'état des produits devait être apprécié en 2013, date à laquelle ils auraient dû être repris, le caractère tardif de l'inventaire réalisé en 2016 étant entièrement imputable à la société Annick Goutal ; qu'en appréciant l'état des produits à la date du contrôle des stocks réalisé en 2016, sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
9. Pour fixer à 49 221,64 euros HT la somme due par la société Annick Goutal à la société Dispar au titre de la reprise du stock des produits en bon état de vente, prévue par le contrat à son expiration pour quelque cause que ce soit, l'arrêt retient que les parties ont réalisé, le 21 juin 2016, un contrôle physique contradictoire de l'état du stock détenu par la société Dispar, le valorisant à un montant de 66 293,20 euros HT, mais que ce stock comprend des produits antérieurs à 2011 qui, trop anciens, ne peuvent être considérés, compte tenu de leur nature cosmétique, comme étant en « bon état de vente », de sorte que le coût de ces produits, d'un montant de 17 071,56 euros, doit rester à la charge de la société Dispar.
10. En statuant ainsi, alors que la société Dispar contestait le caractère périmé des produits antérieurs à 2011, et faisait valoir qu'ils devaient être appréciés en 2013, date à laquelle ils auraient dû être repris, la cour d'appel, qui n'a pas précisé à quelle date elle se plaçait pour apprécier l'état de péremption des produits cosmétiques ni à quelle durée elle fixait celle-ci, ne mettant pas la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La société Annick Goutal fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il disait que la résiliation du contrat du 23 juillet 1998 et la rupture de la relation commerciale entre la société Dispar et la société Annick Goutal étaient justifiées par l'inexécution, par la société Dispar, de ses obligations contractuelles et en ce qu'il déboutait la société Dispar de sa demande de dommages-intérêts et, statuant à nouveau, en ce qu'il la condamne à payer à la société Dispar la somme de 211 504 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, alors « que la gravité du comportement d'une partie à une relation commerciale autorise l'autre partie à y mettre fin sans préavis mais n'interdit pas à celle-ci de prévoir un préavis ; qu'en se bornant, pour condamner la société Annick Goutal à réparer les conséquences de la rupture de la relation commerciale entretenue avec la société Dispar, à retenir la circonstance inopérante que, pour rompre la relation, la société Annick Goutal avait opté pour le non-renouvellement du contrat plutôt que pour sa résiliation immédiate, ce qui revenait à prévoir un préavis de cinq mois, sans rechercher elle-même si les fautes commises par la société Dispar n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient justifié la rupture sans préavis de la relation commerciale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
12. Il résulte de ce texte qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale. Cette règle ne souffre d'exception qu'en cas de force majeure ou d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, suffisamment grave pour justifier la rupture unilatérale immédiate de la relation.
13. Pour juger que la société Annick Goutal avait brutalement rompu la relation commerciale établie avec la société Dispar et la condamner à réparer le préjudice en résultant, l'arrêt retient que la société Annick Goutal n'a pas, le 29 mars 2013, résilié le contrat mais a choisi de ne pas le renouveler à son échéance du 31 août 2013, en application des stipulations de l'article 10 du contrat de distribution, et qu'en conséquence, il apparaît qu'au moment de la rupture, elle ne considérait pas que ces fautes, qui sont celles invoquées dans le cadre de cette instance, revêtaient une gravité suffisante pour justifier une rupture immédiate sans préavis.
14. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants pris de l'octroi d'un préavis dès lors que, même en présence de manquements d'une partie suffisamment graves pour justifier la rupture immédiate de la relation commerciale, il est toujours loisible à l'autre partie de lui accorder un préavis, la cour d'appel, qui devait rechercher elle-même, si, comme le prétendait la société Annick Goutal, les fautes commises par la société Dispar n'étaient pas d'une gravité telle qu'elles auraient pu justifier la rupture immédiate de la relation commerciale, a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de la société Dispar SpA en paiement de la somme de 9 567,60 euros au titre de frais de stockage, l'arrêt rendu le 4 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.