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Décisions

Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-13.400

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Chevrolet Deutschland GmbH (Sté)

Défendeur :

G Valenti (SAS), Lyon Elite Motors (SAS), Atlantic automobiles (SAS), Auvergne automobiles (Sasu), Lacoste automobiles (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Spinosi et Sureau

Cass. com. n° 18-13.400

14 octobre 2020

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 18-13.400, P 18-13.401 et Q 18-13.402, sont joints.

Faits et procédure  

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 15 novembre 2017, n° RG 15/10383, 15/10368, 15/10361), la société Chevrolet France, aux droits de laquelle est venue la société Chevrolet Deutschland GmbH (la société Chevrolet), filiale de la société General Motors Korea (GMK), membre du groupe General Motors, était l'importateur en France des véhicules neufs de la marque Chevrolet. Ceux-ci étaient vendus par un réseau de distributeurs indépendants qui assuraient également la vente de pièces de rechange ainsi que le service après-vente en vertu de contrats de réparateurs agréés.

3. Les sociétés G Valenti, Lyon Elite Motors, Atlantic automobiles, Auvergne automobiles et Lacoste automobiles (les distributeurs), spécialisées dans la vente de véhicules automobiles, étaient membres de ce réseau, bénéficiaires d'un contrat de distribution de véhicules neufs et d'un contrat de réparateur agréé.

4. Le 5 décembre 2013, la société GMK a informé ses filiales de sa décision de cesser les ventes en Europe de l'ouest de véhicules neufs de la marque Chevrolet à partir du 31 décembre 2015.

5. Par lettre du 11 décembre 2013, la société Chevrolet a notifié à chacun de ses distributeurs, parmi lesquels les sociétés G Valenti, Lyon Elite Motors, Atlantic automobiles, Auvergne automobiles et Lacoste automobiles, la résiliation de leurs contrats de distribution au 31 décembre 2015 moyennant un préavis contractuel de vingt-quatre mois, en même temps qu'elle les informait d'un programme d'incitation à une résiliation volontaire anticipée, assortie de la faculté de conclure un contrat de réparateur agréé Chevrolet pour la période postérieure au 31 décembre 2015.

6. Dans les jours qui ont suivi cette notification, la société Chevrolet a annoncé aux distributeurs un plan commercial et marketing pour l'année 2014 consistant en la vente rapide des stocks du réseau et de la société Chevrolet à l'échéance du mois de juin 2014 et en des opérations de marketing local. Informant dans le même temps ses distributeurs de sa décision de reporter au début de l'année 2014 la production des véhicules commandés mais non encore produits, elle les a incités à se rapprocher de leurs clients pour qu'ils annulent leurs commandes et fassent l'acquisition, à un prix plus attractif, de véhicules en stock, les avertissant que toute nouvelle commande de véhicules non encore produits ne pourrait être livrée que sous un délai de trois à quatre mois et ne pourrait bénéficier des mesures incitatives renforcées. Le mois suivant, la société Chevrolet leur a proposé un accord pour une cessation anticipée d'activité, comprenant, à titre de compensation financière, une indemnité de perte d'exploitation forfaitaire et dégressive dans le temps.

7. La campagne de déstockage a pris fin dès le mois de mars 2014 et le volume des ventes s'est alors effondré. Sur les 2 037 commandes passées par le réseau de concessionnaires le 5 décembre 2013, 1 660 ont fait l'objet d'une annulation par le réseau.  

8. Les relations entre les parties se sont dégradées, les distributeurs faisant grief à la société Chevrolet d'avoir lancé une campagne de liquidation des stocks qui a eu pour effet de compromettre la poursuite normale du préavis de résiliation jusqu'à son terme, d'avoir exercé des pressions pour les contraindre à quitter le réseau au plus vite et à renoncer à leur préavis, moyennant une compensation financière dégressive jugée dérisoire, et d'avoir ainsi commis des manquements dans l'exécution de ses obligations, ce qu'elle contestait. Invoquant l'attitude d'obstruction des distributeurs qui n'avaient pas encore opté pour une cessation anticipée d'activité, la société Chevrolet a notifié à chacun d'entre eux, le 16 octobre 2014, la résiliation du contrat de distribution pour l'activité de vente en application de son article 21-6, avec effet au 31 octobre 2014, et fixé le terme de l'activité de services au 31 décembre 2015.

9. Reprochant à la société Chevrolet d'avoir fait échec à l'exécution du préavis de résiliation seulement deux mois après sa notification et placé ses distributeurs dans une situation de précarité contraire à la loyauté et à la bonne foi contractuelle, les sociétés G Valenti, Lyon Elite Motors, Atlantic automobiles, Auvergne automobiles et Lacoste automobiles l'ont assignée en réparation de leur préjudice.

Examen des moyens

Sur les moyens uniques des pourvois n° N 18-13.400, P 18-13.401 et Q 18-13.402, rédigés en termes identiques, réunis :

Enoncé des moyens

10. La société Chevrolet fait grief à l'arrêt de dire qu'elle a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi et loyale du contrat, qu'elle est tenue de réparer le préjudice en lien avec sa faute et de la condamner à payer à chacun des distributeurs une certaine somme en réparation de leur  préjudice alors :

« 1°) que si la résiliation d'un contrat de distribution avec un préavis suppose le maintien de la relation contractuelle jusqu'à son terme aux conditions antérieures, ce principe doit prendre en compte les circonstances particulières tenant notamment à la situation du marché en cause et à la décision de l'importateur de s'en retirer, si bien qu'en retenant, pour condamner l'importateur à indemniser le distributeur, qu'il était tenu de poursuivre l'exécution des contrats pendant le préavis dans les termes de ceux-ci, sans prendre en compte la décision révélant une conjoncture économique défavorable, prise par la société GMK et dont elle a constaté l'existence, d'arrêter les importations et les ventes de véhicules neufs de la marque Chevrolet sur le territoire d'Europe centrale et occidentale en raison des pertes financières accumulées sur ces secteurs, cette décision constituant une circonstance particulière justifiant une adaptation des modalités d'exécution du préavis pour tenir compte de l'intérêt tant des distributeurs que de l'importateur Chevrolet, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) qu'est constitutif de force majeure l'événement présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ; que revêt les caractères de la force majeure justifiant à ce titre une exonération de responsabilité de l'importateur, la décision prise par une société mère et s'imposant à ses filiales de se retirer d'un marché considéré dès lors que l'importateur ne pouvait connaître une telle décision lors de la signature du contrat de distributeur et que cette décision a pour effet inévitable de provoquer son retrait du marché de sorte qu'en jugeant néanmoins qu'au vu de la décision de la société GMK de retirer la marque Chevrolet du marché d'Europe centrale et occidentale, la fin du réseau ne constituait pas un cas de force majeure pour la société Chevrolet Deutschland aux droits de la société Chevrolet France, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1148 du code civil dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°) que le contrat de distribution est un contrat d'intérêt commun impliquant une coopération étroite entre les parties en vue de la bonne exécution du contrat jusqu'à son terme et à ce titre, impose au distributeur de faire preuve d'adaptation dans une conjoncture économique difficile, de sorte qu'en imputant exclusivement à l'importateur la responsabilité dans l'inexécution du préavis contractuel après avoir pourtant constaté que les distributeurs avaient cessé de passer des commandes auprès de la société Chevrolet, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°) qu'en vertu des principes gouvernant la charge de la preuve, il appartenait aux distributeurs d'établir que la baisse de leurs ventes était due à la réduction du stock de véhicules disponibles si bien qu'en indemnisant les distributeurs au titre du préjudice résultant de la chute des ventes de véhicules à partir d'une présomption de lien de causalité entre l'amenuisement du stock de véhicules Chevrolet et la chute des ventes dénoncée par les distributeurs, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315, alinéa 1er, du code civil devenu l'article 1353, alinéa 1er. »

Réponse de la Cour  

11. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Chevrolet ait soutenu, devant la cour d'appel, que la conjoncture économique défavorable tenant à la situation du marché en cause et à la décision de l'importateur de s'en retirer constituait une circonstance particulière justifiant d'adapter les modalités d'exécution du préavis de résiliation jusqu'à son terme. Le grief de la première branche est, dès lors, nouveau et mélangé de fait et de droit.

12. De deuxième part, la société Chevrolet ayant elle-même énoncé dans ses conclusions que la force majeure est invoquée lorsqu'il n'est pas possible d'exécuter une obligation et indiqué qu'elle n'avait jamais prétendu qu'elle ne pouvait pas exécuter ses obligations contractuelles, puisqu'elle pouvait toujours livrer les véhicules qui lui étaient commandés, cependant qu'il appartenait aux distributeurs, dès lors que ceux-ci n'exécutaient pas leurs obligations contractuelles, d'invoquer éventuellement la force majeure pour justifier leurs inexécutions contractuelles, le grief de la deuxième branche par lequel elle critique, devant la Cour de cassation, l'arrêt pour avoir jugé que la décision de la société GMK, qui s'imposait à sa filiale, de se retirer du marché d'Europe centrale et occidentale ne constituait pas pour elle un cas de force majeure, est incompatible avec la position qu'elle a adoptée devant les juges du fond.

13. De troisième part, il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Chevrolet ait soutenues, devant la cour d'appel, que la nature du contrat de distribution comme contrat d'intérêt commun impliquant une coopération étroite entre les parties en vue de sa bonne exécution jusqu'à son terme, imposait au distributeur de faire preuve d'adaptation dans une conjoncture économique difficile. Le grief de la troisième branche est, dès lors, nouveau et mélangé de fait et de droit.

14. Enfin, l'arrêt retient que la décision de report des commandes clients en cours, prise unilatéralement par la société Chevrolet, a cassé la dynamique des commandes des distributeurs, qui ont été découragés par la société Chevrolet dans sa lettre annonçant la mise en oeuvre de son plan de déstockage. Il retient encore que cette dernière a aggravé la situation de pénurie du réseau en procédant à la vente des 900 véhicules attendus en février 2014 et celle de 700 véhicules dès janvier 2014 et que si les distributeurs pouvaient passer directement leurs commandes à l'usine de Corée, les délais de livraison prolongés de cinq à six mois et les incertitudes sur l'attitude de la société Chevrolet les en ont dissuadés.

15. En l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que le préjudice des distributeurs trouvait sa cause dans les différentes décisions prises par la société Chevrolet qui ont eu pour effet d'épuiser les stocks de véhicules neufs, mais aussi de décourager les commandes nouvelles et de dissuader les distributeurs de passer des commandes directement à l'usine de Corée, c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel a retenu que la société Chevrolet n'avait pas exécuté ses obligations contractuelles durant le préavis et avait, ainsi, rendu impossible la poursuite du contrat.

16. Irrecevables en leurs trois premières branches, les moyens ne sont pas fondés pour le surplus.

Sur les moyens uniques des pourvois incidents, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens  

17. Les sociétés G Valenti, Lyon Elite Motors, Atlantic automobiles, Auvergne automobiles et Lacoste automobiles font grief à l'arrêt de condamner la société Chevrolet à leur payer, à chacune, une certaine somme en réparation de leur préjudice et de rejeter le surplus de leurs demandes, alors :

« 1°) qu'en application du principe de réparation intégrale, la victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le fait dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, en refusant d'indemniser la perte de marge de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, lorsqu'elle constatait que la perte de l'activité de véhicules neufs générait nécessairement une perte sur l'activité d'après-vente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;  

2°) qu'en se fondant, pour refuser d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, sur le fait que les concessionnaires ne démontraient pas qu'ils auraient été encore nécessairement des réparateurs agréés après le 31 décembre 2015, lorsqu'elle constatait par ailleurs que, par un courrier du 11 décembre 2013, la société Chevrolet avait proposé aux concessionnaires de conclure un contrat de réparateur agréé pour la période postérieure au 31 décembre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°) qu'en se bornant à affirmer, pour refuser d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, que les concessionnaires ne démontraient pas qu'ils auraient été encore nécessairement des réparateurs agréés Chevrolet après le 31 décembre 2015, sans rechercher si ces derniers l'étaient encore à la date à laquelle elle statuait, de sorte qu'elle aurait constaté que tel était le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°) qu'en refusant d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, sans jamais examiner, ne serait-ce que sommairement, les pièces produites par les concessionnaires au soutien de leurs prétentions, et notamment les statistiques relatives aux marges par activité, ainsi que le dossier prévisionnel, tous deux établis par la société Chevrolet et desquels il résultait que les marges des activités « ateliers mécanique » et « pièce de rechange » étaient calculées pour une durée de cinq ans minimum après la vente des véhicules neufs, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

18. Ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que les distributeurs ne démontraient pas qu'ils seraient nécessairement restés des réparateurs agréés Chevrolet de 2016 à 2021, faisant ainsi ressortir que, nonobstant la circonstance que la société Chevrolet avait proposé aux concessionnaires la faculté de conclure un contrat de réparateur agréé pour la période postérieure au 31 décembre 2015, l'existence du préjudice allégué, qui résulterait, pour la marge, de l'incidence de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur celle de service après-vente, et son lien de causalité avec la faute de la société Chevrolet, n'étaient pas établis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter ni de procéder à la recherche invoquée par la troisième branche que ses appréciations rendaient inopérante, a refusé à bon droit l'indemnisation de ce préjudice.

19. Les moyens, pour partie inopérants, ne sont pas fondés pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principaux et incidents.