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Décisions

Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-13.416

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Chevrolet Deutschland GmbH (Sté)

Défendeur :

Labège Motors (Sasu), Mirail Motors (SAS), Muret Motors (SAS), Priod La Défense (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Le Bras

Avocat général :

M. Douvreleur

Avocats :

SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, SCP Spinosi et Sureau

Paris, Pôle 5 ch. 4, du 15 novembre 2017

15 novembre 2017

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° E 18-13.416 et M 18-13.422, sont joints.

Faits et procédure  

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 15 novembre 2017, n° RG : 15/25001 et 15/24294), la société Chevrolet France, aux droits de laquelle est venue la société Chevrolet Deutschland GmbH (la société Chevrolet), filiale de la société General Motors Korea (GMK), membre du groupe General Motors, était l'importateur en France des véhicules neufs de la marque Chevrolet. Ceux-ci étaient vendus par un réseau de distributeurs indépendants qui assuraient également la vente de pièces de rechange ainsi que le service après-vente, en vertu de contrats de réparateurs agréés.

3. Les sociétés Labège Motors, Mirail Motors, Muret Motors et Priod La Défense (les distributeurs), spécialisées dans la vente de véhicules automobiles, étaient membres de ce réseau, bénéficiaires d'un contrat de distribution de véhicules neufs et d'un contrat de réparateur agréé.

4. Le 5 décembre 2013, la société GMK a informé ses filiales de sa décision de cesser les ventes en Europe de l'ouest de véhicules neufs de la marque Chevrolet à partir du 31 décembre 2015.

5. Par lettre du 11 décembre 2013, la société Chevrolet a notifié à chacun de ses distributeurs, parmi lesquels les sociétés Labège Motors, Mirail Motors, Muret Motors et Priod La Défense, la résiliation de leurs contrats de distribution au 31 décembre 2015 moyennant un préavis contractuel de vingt-quatre mois, en même temps qu'elle les informait d'un programme d'incitation à une résiliation volontaire anticipée, assortie de la faculté de conclure un contrat de réparateur agréé Chevrolet pour la période postérieure au 31 décembre 2015.

6. Dans les jours qui ont suivi cette notification, la société Chevrolet a annoncé aux distributeurs un plan commercial et marketing pour l'année 2014 consistant en la vente rapide des stocks du réseau et de la société Chevrolet à l'échéance du mois de juin 2014 et en des opérations de marketing local. Informant dans le même temps ses distributeurs de sa décision de reporter au début de l'année 2014 la production des véhicules commandés mais non encore produits, elle les a incités à se rapprocher de leurs clients pour qu'ils annulent leurs commandes et fassent l'acquisition, à un prix plus attractif, de véhicules en stock, les avertissant que toute nouvelle commande de véhicules non encore produits ne pourrait être livrée que sous un délai de trois à quatre mois et ne pourrait bénéficier des mesures incitatives renforcées. Le mois suivant, la société Chevrolet leur a proposé un accord pour une cessation anticipée d'activité, comprenant, à titre de compensation financière, une indemnité de perte d'exploitation forfaitaire et dégressive dans le temps.

7. La campagne de déstockage a pris fin dès le mois de mars 2014 et le volume des ventes s'est alors effondré. Sur les deux mille trente-sept commandes passées par le réseau de concessionnaires le 5 décembre 2013, mille six cent soixante ont fait l'objet d'une annulation par le réseau.  

8. Les relations entre les parties se sont dégradées, les distributeurs faisant grief à la société Chevrolet d'avoir lancé une campagne de liquidation des stocks qui a eu pour effet de compromettre la poursuite normale du préavis de résiliation jusqu'à son terme, d'avoir exercé des pressions pour les contraindre à quitter le réseau au plus vite et à renoncer à leur préavis, moyennant une compensation financière dégressive jugée dérisoire, et d'avoir ainsi commis des manquements dans l'exécution de ses obligations, ce qu'elle contestait. Invoquant l'attitude d'obstruction des distributeurs qui n'avaient pas encore opté pour une cessation anticipée d'activité, la société Chevrolet a notifié à chacun d'entre eux, le 16 octobre 2014, la résiliation du contrat de distribution pour l'activité de vente, en application de son article 21-6, avec effet au 31 octobre 2014, et fixé le terme de l'activité de services au 31 décembre 2015.

9. Reprochant à la société Chevrolet d'avoir fait échec à l'exécution du préavis de résiliation seulement deux mois après sa notification et placé ses distributeurs dans une situation de précarité contraire à la loyauté et la bonne foi contractuelle, les sociétés Labège Motors, Mirail Motors, Muret Motors et Priod La Défense l'ont assignée en réparation de leur préjudice.

Examen des moyens

Sur les moyens uniques des pourvois n° E 18-13.416 et M 18-13.422, rédigés en termes identiques, réunis

Enoncé des moyens

10. La société Chevrolet fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est responsable de l'inexécution du préavis contractuel consenti aux sociétés Labège Motors, Mirail Motors, Muret Motors et Priod La Défense et de la condamner à payer à chacune une certaine somme en réparation de leur préjudice alors :

« 1°) que si la résiliation d'un contrat de distribution avec un préavis suppose le maintien de la relation contractuelle jusqu'à son terme aux conditions antérieures, ce principe doit prendre en compte les circonstances particulières tenant notamment à la situation du marché en cause et à la décision de l'importateur de s'en retirer, si bien qu'en retenant, pour condamner l'importateur à indemniser le distributeur, qu'il était tenu de poursuivre l'exécution des contrats pendant le préavis dans les termes de ceux-ci, sans rechercher, comme elle y était invitée si la décision, prise par la société GMK, d'arrêter les importations et les ventes de véhicules neufs de la marque Chevrolet sur le territoire d'Europe centrale et occidentale en raison des pertes financières accumulées sur ces secteurs, ne constituait pas une circonstance particulière justifiant une adaptation des modalités d'exécution du préavis pour tenir compte de l'intérêt tant des distributeurs que de l'importateur Chevrolet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°) que le contrat de distribution est un contrat d'intérêt commun impliquant une coopération étroite entre les parties en vue de la bonne exécution du contrat jusqu'à son terme et à ce titre, impose au distributeur de faire preuve d'adaptation dans une conjoncture économique difficile, de sorte qu'en imputant exclusivement à l'importateur la responsabilité dans l'inexécution du préavis contractuel après avoir pourtant constaté que le concessionnaire avait cessé de passer des commandes auprès de la société Chevrolet, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 1134 et 1147 du code civil dans leur version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°) que le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif si bien qu'en se bornant à affirmer, pour imputer à la société Chevrolet la responsabilité de la cessation anticipée du préavis, que l'abstention des concessionnaires de passer commande de véhicules auprès du fournisseur était la conséquence et non la cause de la rupture du stock, sans répondre aux conclusions de Chevrolet faisant valoir que tel ne pouvait être le cas, dès lors qu'elle n'avait plus reçu aucune commande du concessionnaire à partir du 21 novembre 2013, c'est-à-dire avant même l'annonce du retrait progressif de Chevrolet en Europe centrale et occidentale par courrier du 5 décembre 2013, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°) qu'en vertu des principes gouvernant la charge de la preuve, il appartenait aux distributeurs d'établir que la baisse de leurs ventes était due à la réduction du stock de véhicules disponibles si bien qu'en indemnisant le distributeur au titre du préjudice résultant de la chute des ventes de véhicules à partir d'une présomption de lien de causalité entre l'amenuisement du stock de véhicules Chevrolet et la chute des ventes dénoncée par le distributeur, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé l'article 1315, alinéa 1er du code civil devenu l'article 1353, alinéa 1er. »

Réponse de la Cour  

11. En premier lieu, il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Chevrolet ait soutenu, devant la cour d'appel, que la conjoncture économique défavorable tenant à la situation du marché en cause et à la décision de l'importateur de s'en retirer constituait une circonstance particulière justifiant d'adapter les modalités d'exécution du préavis de résiliation jusqu'à son terme. Le grief de la première branche est, dès lors, nouveau et mélangé de fait et de droit.

12. En deuxième lieu, il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions que la société Chevrolet ait soutenu, devant la cour d'appel, que la nature du contrat de distribution comme contrat d'intérêt commun impliquant une coopération étroite entre les parties en vue de la bonne exécution du contrat jusqu'à son terme, imposait au distributeur de faire preuve d'adaptation dans une conjoncture économique difficile. Le grief de la deuxième branche est, dès lors, nouveau et mélangé de fait et de droit.

13. Enfin, ayant retenu que le point de départ de la période d'inexécution du préavis devait être reculé au 1er avril 2014, à compter duquel les ventes ont chuté à 362 unités, contre 1 368 en janvier 2014, 1 081 en février 2014 et 555 en mars 2014, et constaté qu'à cette date, le réseau avait quasiment disparu et que le stock de véhicules neufs était nul à la fin de l'opération de déstockage de janvier et février, c'est sans présumer le lien de causalité que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre aux conclusions visées par la troisième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a limité le préjudice réparable à celui qui résultait de la perte d'activités depuis le 1er avril 2014.

14. Irrecevables en leurs deux premières branches, les moyens ne sont pas fondés pour le surplus.

Sur les moyens uniques des pourvois incidents, rédigés en termes identiques, réunis  

Enoncé des moyens

15. Les sociétés Labège Motors, Mirail Motors, Muret Motors et Priod La Défense font grief à l'arrêt de condamner la société Chevrolet à leur payer certaines sommes en réparation de leur préjudice et de rejeter le surplus de leurs demandes alors :  

« 1°) qu'en application du principe de réparation intégrale, la victime doit être replacée dans la situation dans laquelle elle se serait trouvée si le fait dommageable ne s'était pas produit ; qu'en l'espèce, en refusant d'indemniser la perte de marge de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, lorsqu'elle constatait que la perte de l'activité de véhicules neufs générait nécessairement une perte sur l'activité d'après-vente, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;  

2°) que le juge ne peut refuser de statuer en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties ; qu'en rejetant la demande d'indemnisation de la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, faute pour les concessionnaires de justifier la proportion de réparations induite par la vente de véhicules, la cour d'appel, qui a refusé d'évaluer le montant d'un dommage dont elle constatait l'existence en son principe, a violé l'article 4 du code civil ;  

3°) qu'en se fondant, pour refuser d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, sur le fait que les concessionnaires ne démontraient pas qu'ils auraient été encore nécessairement des réparateurs agréés après le 31 décembre 2015, lorsqu'elle constatait par ailleurs que, par un courrier du 11 décembre 2013, la société Chevrolet avait proposé aux concessionnaires de conclure un contrat de réparateur agréé pour la période postérieure au 31 décembre 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations en violation du principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;  

4°) qu'en se bornant à affirmer, pour refuser d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, que les concessionnaires ne démontraient pas qu'ils auraient été encore nécessairement des réparateurs agréés Chevrolet après le 31 décembre 2015, sans rechercher si ces derniers l'étaient encore à la date à laquelle elle statuait, de sorte qu'elle aurait constaté que tel était le cas, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;  

5°) qu'en refusant d'indemniser la perte de marge résultant de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur le service après-vente, sans jamais examiner, ne serait-ce que sommairement, les pièces produites par les concessionnaires au soutien de leurs prétentions, et notamment les statistiques relatives aux marges par activité, ainsi que le dossier prévisionnel, tous deux établis par la société Chevrolet et desquels il résultait que les marges des activités « ateliers mécanique » et « pièce de rechange » étaient calculées pour une durée de cinq ans minimum après la vente des véhicules neufs, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »  

Réponse de la Cour

16. Ayant retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que les sociétés concessionnaires ne démontraient pas qu'elles seraient nécessairement restées des réparateurs agréés Chevrolet de 2016 à 2021, faisant ainsi ressortir que, nonobstant la circonstance que la société Chevrolet avait proposé aux concessionnaires la faculté de conclure un contrat de réparateur agréé pour la période postérieure au 31 décembre 2015, l'existence du préjudice allégué, qui résulterait, pour la marge, de l'incidence de la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs sur celle de service après-vente, et son lien de causalité avec la faute de la société Chevrolet, n'étaient pas établis, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter ni de procéder à la recherche invoquée par la quatrième branche, que ses appréciations rendaient inopérante, et abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la deuxième branche, a refusé à bon droit l'indemnisation de ce préjudice.

17. Les moyens, pour partie inopérants, ne sont donc pas fondés pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principaux et incidents.