Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 15 octobre 2020, n° 19/18632

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ordre des architectes (Sté), Rouanet

Défendeur :

Ministre chargé de l'Economie, Autorité de la concurrence

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Schmidt

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, Mme Tréard

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Reille, Me Curnier

CA Paris n° 19/18632

15 octobre 2020

Vu la déclaration de recours à l’encontre de la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’architecte, dépoe au greffe de la cour par l’Ordre des architectes le 21 octobre 2019 et enregistrée sous le n° RG 19/18632 ;

Vu laclaration de recours enregiste sous le RG 19/20137,poe au greffe de la cour par M. Rouanet le 15 novembre 2019, contre cettecision qui lui é notife le 17 octobre 2019 ;

Vu l’ordonnance de jonction des recours du 26 novembre 2019 enregistrant l’affaire sous le RG 19/18632 ;

Vu les mémoires déposés au greffe de la cour le 11 décembre 2019 par les auteurs des recours ;

Vu les observations déposées le 3 avril 2020 par le ministre chargé de l’Economie ;

Vu les observations déposées le 4 mai 2020 par l’Autorité de la concurrence ;

Vu l’exposé des moyens capitulatifs dépo le 22 juin 2020 par l’Ordre des architectes ;

Vu le mémoire en réplique de M. Rouanet déposé le 22 juin 2020 ;

Vu l'avis du ministère public en date du 24 juin 2020, communiqué le même jour aux auteurs des recours, à l'Autorité de la concurrence et au ministre chargé de l'Economie ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 25 juin 2020 en leurs observations orales, les conseils de l’Ordre des architectes et de M. Rouanet, le représentant de l’Autorité de la concurrence et celui du ministre chargé de l’Economie, les auteurs des recours ayant é mis en mesure de répliquer.

FAITS ET PROCÉDURE

1. La cour est saisie de recours formés contre la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre par l’Ordre des architectes, une association d’architectes, six sociétés d’architecte et quatre architectes, dont M. Rouanet, dans le secteur des prestations d’architecte.

2.La cour renvoie aux paragraphes 7 à 43 pour la présentation du secteur concerné, tant s’agissant du cadre juridique de la profession d’architecte, que s’agissant des prestations concernées.

3.Il est seulement rappelé que la profession d’architecte est régie notamment par les lois n°77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture et n°85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre dite privée.  

4.L’Ordre des architectes (ci-après « l’Ordre ») est un organisme de droit privé chargé de missions de service public. Doté de la personnalité morale et de l'autonomie financière, il est placé sous la tutelle du ministre de la culture. Il se compose de dix-sept Conseils régionaux (ci-après les « CROA ») et d'un Conseil national (ci-après le « CNOA »).   

5.Le droit d'exercer la profession sur l’ensemble du territoire national et de porter le titre d'architecte est conditionné à l'inscription au tableau régional de l’Ordre. Il est en outre institué une chambre régionale de discipline par conseil régional, la chambre nationale instituée auprès du CNOA connaissant des recours. L’Ordre veille notamment, par l’intermédiaire des CROA, à garantir le respect des règles déontologiques et de la discipline de la profession. Le code de déontologie des architectes prévoit notamment des dispositions visant à garantir un saine concurrence entre les membres de la profession. Son article 18 dispose ainsi : « [l]a concurrence entre confrères ne doit se fonder que sur la compétence et les services offerts aux clients.  Sont considérés notamment comme des actes de concurrence déloyale prohibés : – toute tentative d’appropriation ou de détournement de clientèle par la pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées et des prestations à fournir ; ».

6.S’agissant des prestations d’architecte accomplies dans le cadre de la passation des marchés publics de maîtrise d’ouvrage, il convient de rappeler que, sauf exceptions définies par décret en Conseil d’État, tout maître d’ouvrage de commande publique désirant entreprendre des travaux soumis à autorisation de construire doit faire appel à un architecte. Les architectes sont chargés de concevoir le projet, d’élaborer le dossier de consultation des entreprises, de contrôler la bonne exécution des travaux et de jouer un rôle d’interface entre le maître d’ouvrage public et les entreprises chargées d’exécuter les travaux. Ces prestations sont réglementées par le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux missions de maîtrise d'œuvre confiées par des maîtres d'ouvrage publics à des prestataires de droit privé.

7.La rémunération des architectes en matière de maîtrise d’ouvrage publique est librement débattue entre les parties. L’article 9 de la loi n° 85-407 du 12 juillet 1985 dispose que le montant de cette rémunération « forfaitaire fixée contractuellement (...) tient compte de l’étendue de la mission, de son degré de complexité et du coût prévisionnel des travaux », le maître d’ouvrage et l’architecte ayant toute latitude, en tenant compte de ces déterminants, d’en fixer contractuellement le montant.

8.La mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (ci-après la « MIQCP »), créée par le décret n°77-1167 du 20 octobre 1977, a publié en 1994 et 2008 un guide à l’attention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’œuvre afin de leur donner « des points de repères pour une évaluation de l’enveloppe prévisionnelle à affecter aux honoraires de maîtrise d’œuvre dans leur programmation budgétaire » et « pour le choix de la procédure de consultation », du fait des seuils de passation des marchés fixés par la réglementation. Ce guide fixe, pour chaque type d’ouvrage, en fonction de son degré de complexité, une fourchette du taux de rémunération forfaitaire dégressive en fonction du montant des travaux.  

9.Si une offre apparaît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter. Une offre anormalement basse (ci-après une « OAB ») est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Le pouvoir adjudicateur avant de rejeter une offre comme étant une OAB doit engager une procédure contradictoire avec le candidat concerné afin de permettre à ce dernier d’en justifier le montant.  

10.L’Autorité, dans la décision attaquée, a retenu que l’Ordre des architectes avait, dans le secteur des marchés publics de maîtrise d’oeuvre pour la construction d’ouvrages publics en France, adopté, à partir de septembre 2013, une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiel :

– consistant en la diffusion, via les CROA du Nord-Pas-de-Calais, du Centre-Val de Loire, de Provence-Alpes-Côte d’Azur et de Midi-Pyrénées, d’une méthode de calcul d’honoraires obligatoire, élaborée à partir du barème du guide MIQCP, à l’ensemble des architectes de ces régions et d’avoir multiplié les mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients afin d’imposer cette méthode (griefs n° 1 à 4).

– consistant en la diffusion d’un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par un conseil régional à l’encontre d’un architecte, ce modèle invitant les conseils régionaux à agir à l’encontre des architectes afin de leur faire respecter une méthode de calcul des honoraires (griefs n° 5).

11.L’Autorité a également retenu que l’association d’architectes, les sociétés d’architectes et les architectes en cause avaient participé personnellement à la mise en oeuvre de la décision d’association d’entreprises, et s’agissant plus particulièrement de M. Rouanet, que ce dernier avait participé personnellement et volontairement à cette mise en oeuvre dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, depuis le 12 février 2015 jusqu’à la date de la notification des griefs.  

12.L’Autorité a en conséquence sanctionné ces mis en cause pour avoir mis en oeuvre des pratiques d’entente anticoncurrentielle sur les prix dans le secteur des marchés publics de la maîtrise d’oeuvre pour la construction d’ouvrages publics en France, en violation des articles 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après « TFUE ») et L. 420-1 du code de commerce.

13.Sur ces fondements, l’Autorité a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l’Ordre et lui a enjoint de publier un résumé de la décision, ainsi qu’une sanction de 1 euro aux autres mis en cause, dont M. Rouanet.

14.Les 21 octobre 2019 et 15 novembre 2019, l’Ordre et M. Rouanet ont formé un recours en annulation et, subsidiairement, en réformation, contre la décision.

15.Aux termes de ses dernières conclusions, l’Ordre demande à la cour :  

À titre principal, de :

– constater que la décision critiquée aurait dû imputer les faits reprochés au CNOA et aux CROA, entités dotées de la personnalité morale, et non à l’Ordre des architectes, qui ne constitue ni une entreprise ni une association d’entreprises au sens du droit de la concurrence ;

– constater que les faits reprochés au CNOA et aux CROA en lien avec l’exercice du pouvoir disciplinaire ne sont pas détachables de l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et ne relèvent pas de la compétence de l’Autorité ;

– constater que la décision attaquée n’établit pas une affectation sensible du commerce entre les États membres ;

– constater que la décision attaquée n’établit pas l’existence d’une infraction par objet et ne démontre pas non plus les effets des pratiques critiquées ;

– constater que les pratiques critiquées ne sont pas établies ;

En conséquence,

– annuler la décision attaquée ;

– en tout état de cause, dire n’y avoir lieu à sanction ;

À titre subsidiaire :

– constater d’une part, que le recours à une méthode de calcul forfaitaire est injustifié et, d’autre part, que la sanction pécuniaire infligée a un caractère manifestement disproportionné ;  

En conséquence,  

– annuler la décision attaquée ou, en toute hypothèse ;

– réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire qui lui a été infligée ;

En tout état de cause :

– ordonner à l’Autorité, en cas d’annulation et/ou de réformation de la décision, de supprimer de son site Internet le communiqué de presse initialement publié et de publier et diffuser, à ses frais, auprès des mêmes destinataires que le communiqué de presse initial, un nouveau communiqué de presse, d’un minimum de 1 000 mots contenant les principaux motifs d’annulation et/ou réformation, dont elle devra justifier sous 15 jours calendaires à compter de la mise à disposition de l’arrêt à intervenir ;

– dire que les dépens resteront à la charge du Trésor public ;

– dire que l’Autorité doit être condamnée à lui verser la somme de 30 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.  

16.Aux termes de ses dernières conclusions, M. Rouanet demande à la cour :  

À titre principal, de :

– constater que les faits reprochés au CNOA et aux CROA en lien avec l’exercice du pouvoir disciplinaire ne sont pas détachables de l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique, et ne relèvent donc pas de la compétence de l’Autorité ;

– constater que la décision critiquée n’établit pas l’existence d’une infraction par objet et ne démontre pas non plus les effets des pratiques critiquées ;

En conséquence,

– annuler la décision attaquée ; – en tout état de cause, dire n’y avoir lieu à sanction ;

À titre subsidiaire :

– constater qu’il n’a fait qu’alerter l’Ordre d’une pratique d’attribution frauduleuse de marchés publics et qu’en cela il n’a pas participé à une anticoncurrentielle ;

En conséquence,  

– annuler la décision ou, en toute hypothèse ;

– réformer la décision en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire infligée à l’Ordre des architectes ;

En tout état de cause :  

– dire que les dépens resteront à la charge du Trésor public ;

– condamner l’Autorité à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.  

17.L’Autorité, le ministre chargé de l’économie et le ministère public invitent la cour à rejeter les recours.

MOTIVATION

I. SUR LA COMPÉTENCE DE L’AUTORITÉ

18. Les auteurs des recours invoquent le principe de séparation des pouvoirs judiciaire et administratif et font valoir que l’Autorité était incompétente pour connaître des pratiques en cause, dès lors que celles-ci consistent en la mise en oeuvre par l’Ordre, de prérogatives de puissance publique relevant de la discipline de la profession d’architecte. Ils considèrent que seul le juge administratif est compétent pour se prononcer sur cet exercice, qu’il soit approprié ou non, et que l’application de ce principe est parfaitement compatible avec la jurisprudence européenne. Ils ajoutent que le Conseil d’État contrôle régulièrement les décisions prises dans l’exercice de prérogatives de puissance publique au regard de l’article L.420-1 du code de commerce, que l’office du juge administratif a été considérablement élargi depuis vingt ans et qu’en cas d’illégalité d’un acte administratif, tout tiers lésé peut exercer un recours indemnitaire.  

19. M. Rouanet considère en outre que l’Autorité n’est pas compétente pour apprécier la légalité d’actions et de décision qui ont été prises par un ordre professionnel sur le fondement de dispositions essentielles du code de déontologie, comme elle l’admet dans ses observations et comme elle l’ a récemment rappelé dans sa décision n° 19-D-01 du 15 janvier 2019 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la promotion par Internet d’actes médicaux et que précisément, le CROA dont il dépend n’a fait qu’agir sur le fondement des dispositions du code de déontologie des architectes.

20.L’Ordre fait valoir que la diffusion du modèle de saisine reprochée au Conseil national de l’Ordre ne correspond pas, en tout état de cause, à un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dont il est investi. Les procédures disciplinaires et/ou pré-disciplinaires reprochées ne poursuivaient pas d’autre but que la réalisation, par les conseils régionaux de l’Ordre concernés, des missions de service public qui leur sont déléguées. Il en déduit qu’à supposer que, par exception, l’Autorité puisse exercer sa compétence, à la condition restrictive d’un détournement de pouvoir relevant de l’évidence et excluant toute analyse poussée, et ce lorsqu’il est fait un usage manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique, aucune des pratiques ne remplirait en l’espèce cette condition.

21.L’Autorité répond, en se fondant sur des précédents concernant les secteurs de l’ingénierie de loisirs, des ambulances de montagne et de l’ortho prothèse, que les pratiques sanctionnées ne relèvent pas de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Elle fait valoir que la référence au détournement de pouvoir retenue par le juge de l’Union et reprise par la cour d’appel de Paris permet d’établir un standard d’analyse strict et adapté.

22.L’Autorité ajoute qu’à supposer que certaines des pratiques aient relevé de l’exercice de prérogatives de puissance publique, l’Autorité était compétente pour apprécier leur conformité au droit de la concurrence dès lors que l’Ordre en a fait un usage manifestement inapproprié, ainsi notamment lors de l’élaboration et de la diffusion d’un modèle de saisine de la chambre de discipline (paragraphes 245, 276 et 390 à 392 de la décision critiquée) et lors de la mise en oeuvre de différentes mesures de contrôle visant à assurer l’application effective des méthodes de calcul d’honoraires élaborées et diffusées par ses soins. L’usage par les CROA mis en cause de leur pouvoir disciplinaire avait pour seul but de mettre en oeuvre un contrôle des prix.

23.Le ministre de l’économie sollicite également le rejet du moyen. Il souligne que la Commission européenne et le Tribunal de l’Union considèrent que les actes manifestant l’exercice d’une prérogative de puissance publique peuvent relever de l’article 101 du TFUE dès lors que ces actes, qui n’avaient que l’apparence d’un acte manifestant une prérogative de puissance publique, s’inscrivent dans un plan plus large à visée anti-concurrentielle.

24.Le ministère public demande à la cour de faire sienne l’analyse de la décision attaquée, telle que développée aux paragraphes 252 à 286.

Sur ce, la Cour :

25.En application de l’article L.410-1 du code de commerce, les règles relatives à la liberté des prix et de la concurrence s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, « y compris celles qui sont le fait des personnes publiques ».  

26.Dans le prolongement de son arrêt du 18 octobre 1999 Aéroport de Paris, le Tribunal des conflits a jugé, dans son arrêt du 4 mai 2009 Editions Jean-Paul Gisserot, que si les règles définies au livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et à la concurrence s’appliquaient à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l’Autorité n’était pas, pour autant, compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles « en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l’organisation du service public ou mettant en oeuvre des prérogatives de puissance publique. ».  

27.De la même manière, la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après, la « CJUE »), dans son arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99), a retenu qu’ « une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques (...) ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique (...) échappe à l’application des règles de concurrence du Traité » (point 57), et précisé, dans le même arrêt Wouters (point 58), comme dans son arrêt Ordem dos Technicos Oficiais de Contas du 28 février 2013, que lorsqu’une organisation « n’exerce pas de prérogatives typiques de puissance publique » elle apparaît comme « l’organe de régulation d’une profession dont l’exercice constitue par ailleurs une activité économique » entrant dans le champ d’application du TFUE.

28.Par suite, si l’action disciplinaire d’un ordre professionnel à l’encontre de l’un de ses membres traduit en principe l’exercice d’une prérogative de puissance publique échappant à la compétence des autorités de concurrence, le Tribunal de l’Union (ci-après le «TPUE»), dans un arrêt du 10 décembre 2014 Ordre national des pharmaciens, T-90/11,a rappelé que « l’existence d’une telle prérogative ne saurait offrir de protection absolue contre toute allégation de comportement restrictif de concurrence, puisque l’exercice manifestement inapproprié d’un tel pouvoir consisterait, en tout état de cause, un détournement de pouvoir ».  

29.Il s’en déduit que l’Autorité est compétente pour connaître de pratiques mises en oeuvre par les ordres professionnels, lorsque ces organismes interviennent par leurs décisions hors de leur mission de service public ou ne mettent en oeuvre aucune prérogative de puissance publique, ou dès lors que les pratiques relevant de l’exercice de prérogative de puissance publique ont été mises en oeuvre de manière manifestement inappropriée et sont donc détachables de la mission de service public, et ainsi de l’appréciation de la légalité d’un acte administratif .

30.Il importe peu en conséquence, contrairement à ce que font valoir les auteurs des recours, que le juge administratif puisse, lorsqu’il est saisi dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, appliquer le droit de la concurrence. Cette circonstance n’est en effet pas de nature à priver l’Autorité de sa compétence pour apprécier la conformité au droit de la concurrence de pratiques traduisant, dans l’hypothèse où elles seraient établies, un usage manifestement inapproprié de prérogatives de puissance publique.  

31.À cette fin et pour garantir l’application effective du droit de la concurrence tant national qu’européen, l’Autorité a été dotée de pouvoirs et moyens lui permettant, dans la limite des principes susvisés, d’instruire les plaintes et auto-saisines qui lui paraissent nécessaires et de prononcer des sanctions de nature à atteindre l’objectif de répression et de dissuasion des pratiques anticoncurrentielles.

32.Il est constant, en l’espèce, que les pratiques reprochées à l’Ordre — d’avoir, d’une part, diffusé et imposé une méthode de calcul d'honoraires à l'ensemble des architectes des régions des Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Occitanie, et Provence-Alpes-Côte d'Azur via ses CROA et, d'autre part, diffusé, au plan national, un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d'allégation de « concurrence déloyale » fondée sur le niveau, jugé trop faible, des honoraires pratiqués par un architecte— interviennent dans un secteur, celui des prestations d’architecte, régi par le principe de liberté des prix et dans un cadre, celui des marchés publics, soumis aux règles de la libre concurrence.  

33.Il est tout aussi constant, dans le contexte législatif qui vient d’être indiqué, qu’il n’entre pas dans la mission d’un ordre professionnel d’intervenir dans la fixation des prix de ses adhérents.  

34.Il importe peu à cet égard que le but poursuivi par l’Ordre ait été, comme il le fait valoir, d’éviter une dévalorisation et une paupérisation de la profession, dès lors que la mission qui lui a été confiée par la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture ne concerne ni l’élaboration et la diffusion de tarifs et méthodes de calcul des prix applicables aux services facturés par ses adhérents, ni la police des prix qu’ils pratiquent.

35.La procédure en cause ayant pour objet de déterminer si et dans quelle mesure l’Ordre a concouru à la diffusion de tarifs et de méthodes de calcul des prix et mis en place un système de contrôle des prix généralisé, par des mesures de contrainte et menaces de procédures disciplinaires ayant pour finalité de discipliner tant l’offre que la demande en matière de maîtrise d’ouvrage pour la construction d’ouvrages publics dans le sens de consignes tarifaires assises sur le guide de la MIQCP et la méthode de calcul des honoraires diffusée, c’est à juste titre que l’Autorité a retenu que les pratiques d’un ordre professionnel qui tendent, sous couvert d’exercer un pouvoir disciplinaire dans l’intérêt de la profession, à unifier et contrôler les prix pratiqués par ses membres, constituent un exercice manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique qui lui sont confiées, lui permettant de retenir sa compétence pour apprécier leur conformité au droit de la concurrence.

36.Le moyen est rejeté.

II. SUR LES MOYENS DE FOND COMMUNS AUX CINQ GRIEFS

A. Sur l’imputabilité des pratiques à l’Ordre

37.La décision attaquée a retenu la responsabilité de l’Ordre au titre de pratiques mises en oeuvre au niveau des CROA (griefs n°1 à 4) et du CNOA (grief n°5).  

38.Elle a plus précisément retenu que l’Ordre avait adopté une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiels.

39.L’Ordre soutient que l’Autorité a commis une erreur manifeste d’appréciation en lui imputant directement les pratiques alors que le CNOA et les CROA sont dotés de la personnalité juridique et auraient dû se voir notifier les griefs. Il considère que ce choix se distingue de la pratique décisionnelle antérieure et serait en contradiction avec la jurisprudence judiciaire et administrative, mais également avec la position exprimée par le ministère de la culture, autorité de tutelle de la profession d’architecte.  

40.L’Ordre fait également valoir que l’absence de reconnaissance expresse dans la loi d’une personnalité morale attachée aux CNOA et CROA ne permet pas de les en priver. Il ajoute que l’absence de personnalité juridique ne constitue pas un obstacle à l’imputabilité des faits à l’entité qui en est l’auteur matériel ni au prononcé de sanctions à son encontre. Les pratiques mises en oeuvre par une entité juridique donnée ne peuvent en outre être imputées à une autre entité juridique, distincte de la première, sauf dans le cas d’un groupe de sociétés.  

41.L’Ordre se décrit comme « une personne morale fantôme » qui ne dispose d’aucun moyen propre et se trouve dès lors incapable de mettre en oeuvre des pratiques anticoncurrentielles. Il estime qu’en le sanctionnant, pour des pratiques mises en oeuvre par le CNOA et les CROA, alors qu’il ne constitue ni une entreprise, ni une association d’entreprises au sens du droit de la concurrence, et alors que ces derniers sont juridiquement capables de se voir infliger une amende, l’Autorité aurait violé les règles de droit applicables en matière d’imputabilité.

42.L’Autorité fait valoir en réponse que la circonstance que les CNOA et CROA jouissent de prérogatives traditionnellement attachées à la personnalité juridique (ressources propres, autonomie des comptes, patrimoine propre, capacité d’ester en justice, absence de pouvoir hiérarchique de l’Ordre) et que l’Autorité, comme les juridictions judiciaires et administratives, ou le ministère chargé de la culture, aient pu considérer qu’ils disposaient de la personnalité juridique, ne remet pas en cause le fait que l’Ordre est seul doté par la loi de la personnalité morale et qu’il englobe, à ce titre, le CNOA et les CROA. L’Autorité ajoute que contrairement à ce que soutient l’Ordre, le fait que ce dernier ne dispose pas de patrimoine ou de moyens financiers propres est indifférent, dès lors que l’Autorité peut prendre en compte la capacité financière de ses membres, tant pour lui imputer une sanction que pour en déterminer le montant.

43.Le ministre de l’économie rappelle également que l’Ordre est une personne morale par détermination de la loi. Il souligne, en outre, que c’est cette entité qui a en l’espèce coordonné les actions des CROA par la diffusion du barème et la mise en place de la Commission JURIET et en déduit que l’ampleur, l’unité et la vocation nationale des documents utilisés sont des indices constituant un vaste plan d’ensemble à visée anticoncurrentielle de l’Ordre, ce qui justifie que sa responsabilité soit retenue.

44.Le ministère public considère également que l’Ordre doit être tenu responsable de l’infraction en qualité d’auteur en soulignant que la Commission européenne a adopté la même approche lorsqu’elle a sanctionné l’Ordre des pharmaciens français et ses démembrements dans la mesure où l’article L. 4233-1 du code de la santé publique attribue explicitement la personnalité civile à ces derniers, et n’a à l’inverse sanctionné que l’Ordre des architectes belges concernant un barème d’honoraires adopté par le CNOA, la loi belge de 1963 qui a créé cet ordre lui ayant réservé la personnalité civile.

Sur ce, la Cour  

45.En premier lieu, la décision attaquée a, de façon fondée, rappelé aux paragraphes 448 à 450 qu’une infraction au droit de la concurrence doit être notifiée à une personne juridique pouvant être tenue responsable et pouvant se voir infliger des sanctions.

46.En l’espèce, la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l’architecture a créé l’Ordre des architectes, doté par l’article 21 « de la personnalité morale et de l’autonomie financière ».

47.Comme rappelé au paragraphe 4 du présent arrêt, elle a aussi institué un conseil national et, dans chaque région, un conseil régional. Les CROA gèrent les inscriptions au tableau et ainsi que les autorisations d’exercer la profession d’architecte, lesquelles sont régionales, et s’assurent du respect des règles professionnelles et déontologiques. Il appartient au CNOA de coordonner les actions des CROA, d’assurer leur information et de percevoir les cotisations qu’il répartit. Ce sont les membres des CROA, élus par les architectes inscrits au tableau régional, qui élisent les membres du CNOA.

48.Contrairement à ce que soutient l’Ordre, le CNOA et le CROA ne sont ainsi ni totalement indépendants de lui, ni totalement autonomes entre eux, mais sont des organes décisionnels et opérationnels de l’Ordre.

49.L’Ordre reprend au demeurant cette présentation dans sa communication institutionnelle, puisque la brochure « L’Ordre en quelques mots » disponible sur le site internet de ce dernier et versée aux débats par l’Autorité, indique que : – l’Ordre « se compose de 17 Conseils régionaux (...) et d’un Conseil national » ; – l’Ordre – et non pas le CNOA ou les CROA – est placé sous la tutelle du ministre chargé de la culture ; – chaque « Conseil régional dispose d’une quote-part du budget de l’Ordre alimenté par les seules cotisations annuelles des architectes » ; – « l’Ordre veille donc à l’organisation de la profession d’architecte ».

50.Le CNOA et les CROA sont ainsi des démembrements de l’Ordre et force est de constater que le législateur a entendu réserver l’attribution de la personnalité morale à l’Ordre lui-même. A cet égard, il convient de rappeler que lors des débats parlementaires précédant l’adoption de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977, un amendement visant à conférer la personnalité morale aux CROA et au CNOA.

51.Dans sa décision n° 16903 du 23 octobre 1981, le Conseil d’Etat a d’ailleurs relevé que la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 « confère à l’ordre [des architectes] pris dans son ensemble la personnalité morale et l’autonomie financière ».  

52.Il ressort, en outre, de la pièce n°34.2 de l’Ordre, que ce dernier est par ailleurs doté d’un service juridique, de sorte qu’il ne constitue pas une personne morale « fantôme » comme il le prétend.

53.Comme l’a justement rappelé la décision attaquée aux paragraphes 311 et suivants, la notion de « décisions d’associations d’entreprises », appliquée aux faits de l’espèce, enserre « les formes institutionnalisées de coopération, c’est-à-dire les situations où les opérateurs économiques agissent par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun » (arrêt du Tribunal de l’Union du 24 mai 2012, MasterCard, T-111/08, point 243).

54.Aux termes de l’article 21 de la loi n° 77-2 précitée, l’Ordre est « constitué par les architectes remplissant les conditions fixées par la présente loi » et, en application des articles 22, 24 et 26, il est composé de CROA et d’un CNOA qui concourent à la représentation de la profession auprès des pouvoirs publics et regroupent les architectes inscrits au tableau. Ces derniers exercent, dans le cadre des fonctions de maîtrise d’ouvrage, une activité économique. Ils constituent ainsi des entreprises au sens du droit de la concurrence, peu important qu’ils exercent une profession réglementée (CJUE, 12 septembre 2000, C-180/98 à C-184.98, Pavel Pavlov, point 77).

55.Il est donc vain de prétendre, comme le fait l’Ordre, qu’il ne constitue pas une association d’entreprises car « il ne regroupe aucun architecte, ceux étant inscrits au Tableau de chacun des ordres régionaux », puisque les CROA et le CNOA en sont des démembrements. 56.En second lieu, la CJUE a dit pour droit dans l’arrêt C-444/11 du 11 juillet 2013 Team Relocations e.a. c/Commission que « dès lors qu’une entreprise [au sens du droit de la concurrence] est responsable d’une infraction à l’article 81 CE, elle ne saurait échapper à toute sanction au motif qu’un autre opérateur économique ne se serait pas vu infliger d’amende ».  

57.Les autorités de concurrence disposent ainsi d’une marge d’appréciation quant à la personne morale ou physique qu’elles entendent poursuivre, étant observé que l’Autorité a précisé, à l’audience, avoir retenu la seule responsabilité de l’Ordre en raison de la dimension nationale des pratiques et du fait que ces dernières ont été mises en oeuvre par le CNOA et les CROA, qui sont des composantes de l’Ordre.

58.Il résulte de ce qui précède qu’en imputant les pratiques en cause à l’Ordre, l’Autorité n’a violé aucune règle de droit.  

59.Le moyen doit donc être rejeté.

B. Sur l’applicabilité du droit de l’Union

60.L’Ordre critique l’analyse de l’Autorité en ce qu’elle a examiné la question de l’applicabilité de l’article 101 du TFUE de manière globale, sans distinguer entre les cinq griefs notifiés. Or, selon l’Ordre, une telle méthode serait inappropriée, compte tenu des caractéristiques différentes de chaque région concernée, notamment, l’importance variable des marchés de maîtrise d’oeuvre d’ouvrage public (de 21 à 38 %) au sein de ces différentes zones et le fait que la région Centre-Val de Loire n’est pas située le long d’une frontière terrestre.

61.L’Ordre estime en outre que les trois conditions qui doivent être remplies pour considérer que les pratiques en cause sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ne sont pas réunies en l’espèce. Il évoque le nombre très limité d’architectes étrangers établis en France et observe que la décision attaquée n’apporte aucun élément permettant de considérer que les pratiques critiquées aient dissuadé ou pu dissuader des architectes établis dans d’autres États membres de venir proposer leurs services en France. Les causes réelles proviendraient, selon lui, tout à la fois de l’absence d’accès aux informations relatives aux marchés, de la complexité des réglementations en matière d’urbanisme et de construction, de la barrière de la langue et du manque de rentabilité de ces marchés. L’Ordre conteste enfin que les pratiques en cause puissent, par leur nature, affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

62.L’Autorité observe en réponse que l’analyse de la notion d’affectation du commerce est préalable à celle de la restriction de concurrence et indépendante de la définition des marchés géographiques en cause. Elle fait valoir que la décision attaquée a, aux paragraphes 296 et 297, analysé les caractéristiques de chaque région pour constater l’intervention d’architectes européens dans les marchés publics français. Elle considère que le potentiel de commercialisation des prestations d’architectes provenant d’autres États membres au sens des lignes directrices de la Commission est avérée ainsi que l’effectivité de l’activité d’architectes étrangers sur le territoire français.

63.Le ministre de l’économie développe la même analyse et ajoute que la Cour de cassation a jugé dans son arrêt du 31 janvier 2012 France Télécom que la démonstration du caractère sensible de la possible affectation, dans les cas où les pratiques en causes sont commises sur une partie seulement d’un État membre, résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés ou la position de marché des entreprises en cause.

64.Le ministère public invite la cour à se reporter aux paragraphes 292 à 304 de la décision attaquée en observant qu’ils répondent aux arguments de l’Ordre.

Sur ce, la Cour :

65.L’effet sur le commerce entre États membres est le critère qui détermine l’applicabilité des règles de concurrence de l’Union européenne.

66.Conformément à la jurisprudence de l’Union, synthétisée dans la Communication de la Commission européenne fixant les lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (2004/C 101/07), trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : – l’existence d’échanges, à tout le moins potentiels, entre États membres portant sur les produits ou service en cause ;  – l’existence des pratiques susceptibles d’affecter ces échanges ; – et le caractère sensible de la potentielle affectation.

67.S’agissant du premier élément, la CJUE a précisé, dans l’arrêt du 24 septembre 2009 (C-125/07 P Erste Group Bank e.a. / Commission), que « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas à exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité CE ».

68.Les lignes directrices précitées indiquent, par ailleurs, que « la notion de “commerce” n’est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de service mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l’établissement ». Dès lors, l’« application du critère d’affectation du commerce est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut également être affecté dans le cas où le marché en cause est national ou subnational ».

69.En l’espèce, il existe, s’agissant des prestations d’architectes, un flux d’échanges potentiels importants grâce aux mesures de reconnaissance mutuelle des qualifications et au principe de libre circulation instaurés par le législateur européen, justement rappelés au paragraphe 295 de la décision attaquée.

70.Par ailleurs, comme l’a relevé à juste titre la décision attaquée au paragraphe 296, certains membres de la profession, originaires d’autres États membres, exercent, de manière ponctuelle ou durable, leur activité pour des clients français (CROA du Centre-Val de Loire, d’Occitanie et de Provence-Alpes-Côte d’Azur, cotes 409, 423, 449, 464, 523, 1939 et 7156) et l’Ordre indique lui-même que la part de l’activité des architectes de nationalité étrangère ayant un diplôme étranger inscrits au tableau se situerait autour de 6 %. L’intervention effective d’architectes européens dans les marchés publics français est, en outre, confirmée par les statistiques mentionnées au point 114 de son mémoire.

71.C’est par suite en vain que l’Ordre argue de l’absence de frontière terrestre entre la région Centre-Val de Loire et un autre État membre de l’Union pour contester l’applicabilité du droit de l’Union, d’autant plus que, comme l’a justement relevé l’Autorité au paragraphe 301 de la décision attaquée, c’est précisément ce CROA qui s’est inquiété de la concurrence des architectes originaires d’autres États membres de l’Union européenne et qui a lui-même autorisé des prestations de services réalisées par des architectes européens installés en dehors de la France, au demeurant, comme le rappelle également le paragraphe 296 de la décision attaquée.

72.S’agissant du deuxième élément, relatif à l’existence de pratiques susceptibles d’affecter les échanges intra-communautaire, la CJUE a dit pour droit dans son arrêt du 21 janvier 1999 (affaires jointes C-215/96 et C-216/96, Bagnasco e.a ) que, pour être susceptible d’affecter le commerce entre Etat membres, une décision, un accord ou une pratique concertée doit « sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres » (point 47).  

73.Il est constant qu’une entente s’étendant sur l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant l’interpénétration économique voulue par le traité (CJUE, 18 juillet 2013, C-136/12, Consiglio Nazionale dei Geologi, point 50).  

74.En l’espèce, et ainsi que l’a justement relevé l’Autorité au paragraphe 300 de la décision attaquée, les pratiques litigieuses, reposant sur la diffusion et l’imposition d’une méthode de calcul des honoraires pratiqués par les architectes, avaient vocation à s’appliquer aux architectes français comme aux architectes ressortissants d’autres États membres effectuant des prestations de services habituelles sur le territoire français, dès lors que seuls ceux exerçant des prestations occasionnelles et temporaires sont exemptés de l’obligation d’inscription au tableau régional, conformément à l’article 9 de la loi n° 77-2 précitée et ne sont donc pas destinataires des informations diffusées par l’Ordre.

75.Par ailleurs, l’effet cloisonnant des pratiques litigieuses est d’autant plus significatif en l’espèce que, selon le CROA Centre-Val de Loire, la décision d’imposer une méthode de calcul des honoraires a été suscitée par la concurrence faite aux architectes français, dans les régions limitrophes, par les architectes étrangers qui viennent y travailler (Audition du président du CROA Centre-Val de Loire, cote 337).

76.Il convient de retenir, enfin, s’agissant du dernier élément, que les pratiques en cause étaient intrinsèquement de nature à affecter de manière sensible le commerce entre États membres en raison de l’étendue du territoire concerné et du nombre d’acteurs impliqués. En effet, ces pratiques, affectant le principal paramètre de la concurrence, à savoir le prix des prestations, avaient vocation à couvrir une part substantielle du territoire français au sens des lignes directrices, en qu’elles concernaient les régions Nord-Pas de Calais, Centre- Val de Loire, Midi-Pyrénées et Provence-Alpes-Côte d’Azur, telles que délimitées avant la réforme d’octobre 2017, et ont concerné environ 20 % des architectes français, avant d’être étendues au niveau national par le CNOA (cotes 3342 et 3347).

77.Il est par suite vain de sous-entendre, comme le font les auteurs des recours, que les pratiques auraient été cantonnées à des territoires régionaux et ne seraient en conséquence pas susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres.

78.Il s’en déduit que l’applicabilité de l’article 101 du TFUE a été justement appréciée par l’Autorité et que le moyen doit être rejeté.

C. Sur la qualification de restriction par objet

79.La décision attaquée a retenu que l’Ordre avait adopté une décision d’association d’entreprises ayant un objet et un effet anticoncurrentiel consistant en la diffusion :  – d’une méthode de calcul des honoraires obligatoire à l’ensemble des architectes, (en multipliant les mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients afin d’imposer cette méthode) (griefs n° 1 à 4) ;  – d’un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale formulée par un conseil régional à l’encontre d’un architecte. (Grief n° 5)

80.Les écritures des auteurs des recours relatives à la qualification de restriction par objet concernent les quatre premiers griefs.

81.Les auteurs des recours reprochent, en premier lieu, à l’Autorité d’avoir considéré que les pratiques sanctionnées constituent une restriction par objet au droit de la concurrence alors que celle-ci ne saurait découler de la diffusion et de l’imposition d’une méthode de calcul des honoraires élaborée et diffusée par les pouvoirs publics, avant même que l’organisation professionnelle ne s’en empare. Il n’existe selon eux aucun précédent en ce sens dans la jurisprudence ou dans la pratique décisionnelle. Par ailleurs, ils considèrent que la diffusion, sans aucune modification, de cette méthode ne caractériserait pas un détournement de la fonction de ce guide.  

82.L’Ordre fait valoir en outre que le Ministère de la culture établit lui-même un lien entre les obligations déontologiques auxquels sont soumis les architectes, dans un but d’intérêt général, et le souci d’une juste rémunération des prestations d’architecte. Il affirme que des procédures disciplinaires ont été engagées exclusivement contre les architectes qui avaient déposé une offre trompeuse présentant les caractéristiques d’une offre anormalement basse et qui pouvait dès lors constituer une offre déloyale au sens de l’article 18 du code de déontologie. Dès lors, la pratique sanctionnée ne pourrait être considérée comme présentant un degré suffisant de nocivité, comme exigé par la jurisprudence nationale et communautaire, pour pouvoir être qualifiée de restriction par objet.

83.Les auteurs du recours contestent, en second lieu, que les pratiques incriminées puissent constituer une restriction par objet dans la mesure où l’Ordre n’a pas entendu rendre obligatoire la méthode de calcul des honoraires. Ils en veulent pour preuve que celle-ci n’était, en toute hypothèse, pas appliquée par ses membres, y compris même par ceux mis en cause dans la décision contestée. Ils soulignent que la cour d’appel ne peut sanctionner l’Ordre que pour des pratiques décrites dans les griefs notifiés et observent que ces derniers visent une méthode de calcul des honoraires qui serait obligatoire.

84.L’Autorité fait valoir en réponse que contrairement à ce que soutient l’Ordre, il ressort de l’arrêt du 15 février 1994 de la cour d’appel de Paris concernant le syndicat professionnel des urbanistes, qu’il est indifférent que le document diffusé par un ordre professionnel ait été inspiré d’un contenu produit par les pouvoirs publics. En effet, elle rappelle que le fait qu’un barème ait été diffusé en reprenant des éléments figurant dans une circulaire du ministère de tutelle « n’est pas de nature à lui ôter son caractère anticoncurrentiel ou à exonérer ses auteurs de leur responsabilité ». L’Autorité ajoute que la nocivité de ce type de pratiques réside dans le fait qu’elles détournent intrinsèquement les opérateurs d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts.

85.Elle relève plusieurs exemples de l’amalgame entretenu par l’Ordre dans sa communication institutionnelle entre le non-respect des recommandations relatives au montant des honoraires et en particulier du guide de la MIQCP et la violation des OAB : – dans la charte « Améliorer, Simplifier, Réussir » diffusée par le CROA Nord-Pas de Calais, il est indiqué que « [a]fin de se prémunir contre les offres anormalement basses qui présentent des risques juridiques et opérationnels pour le maître d’ouvrage et économiques pour les maîtres d’œuvres s; il est conseillé de se référer au guide édité par la MIQCP (…) » (paragraphe 60 de la décision critiquée). La même référence figure dans les lettres-type de convocation envoyées par ce CROA aux architectes dont le taux d’honoraires n’est pas jugé satisfaisant, celles-ci indiquant notamment que les membres du CROA sont « particulièrement vigilants quant à la pratique de sous-évaluation trompeuse des honoraires et aux offres anormalement basses » (paragraphe 63 et charte cote 6892) ; – dans les numéros des 1er et 2ème trimestres 2016 de la lettre d’information « Édifice » du CROA du Centre-Val de Loire, il est fait état de deux rappels à l’ordre sur le fondement de l’article 55 du code des marchés publics et des risques de retenir une offre anormalement basse (cote 7123) ; – la lettre du 10 septembre 2014 « Lutte contre le dumping » du président du CROA d’Occitanie fait référence à des « courriers aux architectes auteurs d’offres anormalement basses » mais aussi au fait que ce CROA « reste extrêmement vigilant sur les offres anormalement basses » (cote 1883). Le président de ce même CROA indique dans un article de la revue « Plan Libre » de mars 2015 que « le CROA a donc durci ses actions envers les architectes qui proposent des offres anormalement basses » (cote 1896). Il peut par ailleurs être observé que la commission chargée de la surveillance des prix au sein de ce CROA porte le nom de « commission marchés publics-offres anormalement basses » ; – la lettre envoyée le 4 novembre 2014 par le CROA de PACA relative aux montant des honoraires des architectes s’intitule « [l]es offres anormalement basses de maîtrise d’oeuvre » (cote 5447).

86.L’Autorité fait valoir, enfin, qu’il résulte d’une jurisprudence et d’une pratique décisionnelle constantes, tant européennes que nationales, que la diffusion de consignes de prix par un ordre professionnel constitue une restriction de concurrence par objet indépendamment du caractère impératif ou non des consignes tarifaires données.

87.Le ministre de l’économie développe des arguments similaires et ajoute que la jurisprudence a déjà admis que la qualification par objet des pratiques soit fondée sur le document diffusé et sur la diffusion, et non sur l’auteur du document. Il ajoute que le guide vise un ensemble de caractéristiques à prendre en compte pour chiffrer des prestations, le respect ou non des préconisations de la méthode dépendant globalement des circonstances et conditions du marché visé. Il rappelle qu’en tout état de cause, la jurisprudence considère que la diffusion d’une information sur un niveau de prix jugé normal est une pratique anticoncurrentielle.

88.Le ministère public invite la cour à se reporter aux paragraphes 338 à 345 de la décision attaquée en observant qu’ils répondent parfaitement aux arguments de l’Ordre.

Sur ce, la Cour :

89.Les articles 101 § 1 du TFUE et l’article L.420-1 du code de commerce prohibent expressément les ententes lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché.

90.Comme l’a énoncé la Cour de cassation, dans un arrêt du 13 février 2001 (pourvoi n°98-22698), un barème indicatif diffusé par un Ordre professionnel d’avocats constitue une restriction par objet, dans la mesure où il émane de l'organe investi de l'autorité réglementaire et disciplinaire sur les membres de la profession et, devient, de ce fait, une référence tarifaire s'assimilant et se présentant comme un barème.

91.Il ressort également de la jurisprudence constante, tant européenne que nationale, justement rappelée aux paragraphes 338 à 342 de la décision attaquée, que les pratiques relatives à la diffusion de ce type de recommandations par des groupements professionnels constituent des restrictions de concurrence par objet, et ce même si les consignes tarifaires diffusées ne revêtent pas un caractère impératif.

92.À cet égard, la CJUE a rappelé, dans l’arrêt du 27 janvier 1987 (C-45/85 Verband der Sachversicherer/Commission) concernant la recommandation de la fédération des groupements professionnels d'entreprises d'assurance en Allemagne de procéder à un relèvement collectif, à taux fixe, du prix des prestations offertes par ses membres « que le premier exemple donné par l’article 85, paragraphe 1, sous a), d’un comportement anticoncurrentiel concerne précisément l’accord, décision ou pratique concertée qui a pour objet « de fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transactions » ».

93.Une diffusion de ce type par un ordre professionnel, fût-elle constitutive d’une simple recommandation, fait obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché, un tel document étant de nature à inciter les professionnels à fixer leurs honoraires selon les montants suggérés par leur ordre plutôt qu’en tenant compte des critères objectifs tirés des coûts de revient des prestations fournies, en fonction de la structure et de la gestion propre à chacun des membres, et sa diffusion aux clients, étant également de nature à les dissuader de discuter librement le montant des honoraires minima.

94.La critique des auteurs du recours, fondée sur l’absence de restriction par objet faute de caractère impératif des diffusions en cause, manque ainsi tant en droit qu’en fait. 1. Sur la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires élaborée par les pouvoirs publics

95.Il est constant, comme le souligne l’Ordre, que le document litigieux diffusé, intitulé « Guide à l’attention des maîtres d’ouvrages publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’oeuvre » élaboré par la MIQCP mentionne dans son introduction avoir « rencontré un vif succès dans les milieux professionnels de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’oeuvre » et « demeurer (...) une référence ».  

96.Il a également « reçu l’adoubement de la Mission interministérielle et le soutien du ministère de la culture », selon un article produit aux débats paru le 12 décembre 2019 dans « Le Moniteur », et demeure encore disponible en ligne.

97.Cependant, et en premier lieu, comme l’Autorité l’a justement souligné aux paragraphes 346 à 348 de la décision attaquée, l’élément qui confère aux pratiques de nature tarifaire un caractère anticoncurrentiel n’est pas la nature de l’entité qui est à l’origine du tarif, mais le contenu des recommandations elles-mêmes, ainsi que la légitimité et l’autorité dont jouit l’organisme qui les diffuse auprès de ses membres, et notamment sa capacité à prendre des mesures disciplinaires. Ainsi, le fait que le contenu du document diffusé ait été initialement élaboré par les pouvoirs publics, et non par l’Ordre lui-même, n’écarte pas son caractère anticoncurrentiel dès lors qu’il a été diffusé et érigé par l’Ordre comme la méthode de calcul de référence dans un secteur où les prix sont libres.

98.Il doit être observé, en second lieu, ainsi que la décision attaquée y a procédé au paragraphe 349, que le guide de la MIQCP a été élaboré par les pouvoirs publics « à l’attention des maîtres d’ouvrages publics », soit les personnes publiques clientes des architectes, et non celle des maîtres d’oeuvre En proposant des indications quant à la méthode de calcul des honoraires de maîtrise d’oeuvre il a vocation à fournir aux maîtres d’ouvrages publics une grille d’aide à la détermination individuelle d’une rémunération adaptée au projet envisagé, et non à imposer une grille tarifaire pour l’ensemble des professionnels concernés. Ce guide MIQCP n’est pas destiné aux maîtres d’oeuvre qui doivent rester libres de pratiquer des tarifs différenciés et ainsi permettre au jeu de la concurrence de s’exercer au bénéfice des maîtres d’ouvrage publics.  

99.En érigeant ce document en référence pour le calcul des honoraires d’architectes, et en publiant, ainsi qu’il est décrit au paragraphe 220 et suivants de la décision attaquée, un mini guide sur le même sujet pour les besoins de sa communication institutionnelle, l’Ordre a donc détourné le guide MIQCP de son usage initial afin de rendre obligatoire, pour ses membres, une méthode de calcul des honoraires destinée à maintenir les prix à un niveau qu’il estimait satisfaisant.  

100.L’Ordre n’est donc pas fondé à se prévaloir du fait que le contenu du document diffusé a été initialement élaboré par les pouvoirs publics, cette circonstance n’étant pas de nature à écarter le caractère anticoncurrentiel de sa diffusion dès lors qu’il vient d’être démontré que les pouvoirs publics n’en ont jamais imposé l’application et qu’il vient d’être démontré que l’Ordre en a détourné l’usage.

2. Sur le lien instauré entre le non-respect des recommandations relatives au montant des honoraires et la violation des dispositions relatives aux offres anormalement basses

101.Il ressort des éléments recueillis au cours de la procédure que les consignes de l’Ordre en matière d’honoraires ont été justifiées par ce dernier par la nécessité de se prémunir contre les offres anormalement basses (ci-après les « OAB »), alors qu’il n’entre pas dans sa mission d’encadrer le processus de présentation d’offres soumises aux règles du code des marchés publics.

102.Comme il sera démontré dans la partie III subséquente, une confusion a été entretenue par l’Ordre entre, d’une part, les obligations déontologiques des architectes, auxquelles ont été assimilées le Guide de la MIQCP et, d’autre part, le respect de la législation encadrant les marchés publics notamment relative aux OAB.

103.L’article 18 du code de déontologie des architectes exige des architectes que la concurrence entre confrères ne se fonde que « sur la compétence et les services offerts aux clients » et qualifie d’actes de concurrence déloyale prohibés « toute tentative d’appropriation ou de détournement de clientèle par la pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées et des prestations à fournir », l’Ordre peut ainsi être amené à examiner la plainte d’un architecte concernant les conditions dans lesquelles un confrère lui fait concurrence. Ce texte n’investit pas pour autant l’Ordre du pouvoir de s’immiscer dans une procédure d’appel d’offres, régie, notamment, par les règles définies par le code des marchés publics.

104.À cet égard, l’article 55 du code des marchés publics prévoit, lorsqu’une offre paraît anormalement basse, que le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies par le candidat. Pour apprécier si l’offre de l'attributaire est anormalement basse, le pouvoir adjudicateur ne se fonde pas sur le seul écart de prix avec l’offre concurrente, mais doit rechercher si le prix en cause est susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Une voie de recours, le référé précontractuel, est par ailleurs ouverte au candidat évincé pour contester, le cas échéant, la régularité de l’attribution du marché.

105.Si ces deux textes mettent en cause la sous-évaluation des prix, ils n’autorisent l’Ordre à intervenir ni dans l’élaboration des prix ni dans le processus de mise en concurrence, en influant sur le niveau des tarifications proposées, et répondent à des finalités propres.

106.Par suite, l’Ordre n’était pas fondé à faire d’amalgame entre les actions dont il peut être saisi, portant sur des actes de concurrence déloyale entre architectes, et les procédures destinées à exclure les offres anormalement basses qui compromettent la bonne exécution d’un marché public, dont il ne connaît pas.

107.Cette confusion est d’autant moins admissible que l’article 19 du code de déontologie des architectes dispose que « toute manœuvre ou pression de nature à porter atteinte à sa liberté de choix d'un maître d'ouvrage ou à infléchir sa décision sont interdits ».

108.La rémunération des architectes en matière de maîtrise d’ouvrage publique est par ailleurs librement débattue entre les parties, en application de l’article L.410-2 du code de commerce aux termes duquel « les prix sont librement déterminés par le jeu de la concurrence », ce secteur d’activité ne faisant pas l’objet de dispositions dérogatoires.  

109.Il n’entre donc pas dans la mission de l’Ordre de s’immiscer dans une relation contractuelle, de porter atteinte à la liberté de choix du maître d’ouvrage ou chercher à infléchir sa décision.

110.Sous couvert du respect des règles déontologiques précitées et en s’appuyant sur l’obligation de respect des règles relatives aux OAB, l’Ordre a ainsi tenté, par sa communication institutionnelle, d’imposer la méthode de calcul d’honoraires du guide de la MIQCP aux architectes, en lieu et place d’une fixation libre du prix des prestations selon leurs coûts réels.  

3.Sur le caractère obligatoire de la méthode de calcul des honoraires de maîtrise d’œuvre.

111.Il a été précédemment rappelé, une recommandation émanant d’un ordre professionnel portant sur les prix peut constituer une restriction par objet, indépendamment de son caractère obligatoire ou non. Telle est bien la situation des diffusions reprochées, dans le contexte qui vient d’être décrit. Ce n’est donc qu’à titre surabondant que leur caractère obligatoire sera examiné.

112.En l’espèce, les instances ordinales ont diffusé à leurs membres des documents préconisant de suivre le guide de la MIQCP pour calculer les honoraires en matière de maîtrise d’oeuvre Comme il sera plus amplement démontré dans la partie III subséquente, la méthode de calcul des honoraires issue du guide de la MIQCP était présentée de fait comme obligatoire à l’égard des architectes. L’Ordre ne s’est pas contenté de diffuser ce document, mais a, ainsi qu’il ressort notamment des paragraphes 128, 154, 173 et 197 du présent arrêt, enjoint à ses membres de s’y référer, sous peine de poursuites disciplinaires et a multiplié les mesures de contrôle des prix pratiqués par ses membres à travers des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires.

113.La circonstance que la diffusion du guide n’ait pas généré davantage de « contentieux ordinal » est inopérante, dès lors que, comme il sera démontré dans la partie III, le simple fait pour les conseils ordinaux de procéder à un examen des circonstances de réalisation et de chiffrage de l’offre suffit à caractériser une mesure de « police » à l’égard des architectes.  

114.Le fait que certains architectes n’aient pas systématiquement appliqué la méthode préconisée par ce guide, ou que les procédures disciplinaires n’aient pas abouti, est par ailleurs sans incidence sur la qualification en cause, la circonstance que ces consignes aient été plus ou moins respectées relevant de l’analyse des effets de la pratique et non pas de son objet.

115.En érigeant cette méthode de calcul en référence, et en menaçant les membres de la profession de procédure disciplinaire en se référant au non-respect de cette méthode, l’Ordre a ainsi cherché à imposer aux architectes et sociétés d’architecture une fixation de leurs honoraires selon une fourchette suggérée, sans prendre en considération leurs coûts effectifs individuels.  

116.Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que le moyen tiré de l’absence d’objet anticoncurrentiel de pratiques mises en oeuvre dans le secteur des marchés publics de maîtrise d’oeuvre pour la construction d’ouvrages publics, dans le cadre d’une association d’entreprises, consistant en la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires à l’ensemble de ses membres afin d’imposer cette méthode et en mesures de contrainte auprès des architectes et de leurs clients, n’est pas fondé.

III. SUR LES PRATIQUES VISÉES AUX GRIEFS N° 1 À 5

117.La décision attaquée a relevé quatre pratiques, mises en oeuvre au niveau des CROA, dans les régions Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Occitanie, Provence-Alpes-Côte d'Azur, et un cinquième mis en oeuvre au niveau du CNOA.

A. Sur les pratiques mise en oeuvre dans la région Hauts-de-France (1er grief)

118.La décision attaquée, en son article 1, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Hauts-de-France depuis septembre 2013.

119.À l’appui de son recours, l’Ordre considère, en premier lieu, que la diffusion de la lettre d’information n°30 de septembre 2013 et de la charte « Améliorer, simplifier, réussir » d’août 2013 ne saurait revêtir un objet anticoncurrentiel. Ces documents ne contiendraient en effet aucune injonction ou obligation. Par ailleurs, la charte aurait été élaborée en lien avec des maîtres d’ouvrage public de la région.  

120.En deuxième lieu, il se prévaut de l’absence d’effet anticoncurrentiel des démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage. Il fait valoir plus spécifiquement qu’aucun élément du dossier ne permettrait de se prononcer sur les motifs de la résiliation de l’accord-cadre par l’organisme HLM de Douai. Il observe aussi que la décision d’abandonner le projet de dojo lancé par la commune d’Hazebrouck a été prise à la suite d’un changement de majorité. Il ajoute que le marché de la Communauté de communes des 2 sources n’a été annulé que pour être réorganisé sous la forme d’un concours, conformément aux dispositions légales applicables.

121.En troisième lieu, il conteste qu’ait été mis en place une surveillance du respect des consignes tarifaires diffusées.

122.En quatrième lieu, il fait valoir qu’il ressort de l’examen du déroulement des procédures disciplinaires engagées à l’encontre de la société d’architecture Sine qua non et de la société Lemay-Toulouse que le CROA Nord-Pas de Calais s’est référé à une série d’éléments pour considérer que les offres étaient déloyales, et pas seulement à la différence entre les honoraires proposés et les recommandations ressortant du simulateur élaboré par les pouvoirs publics.

123.L’Autorité répond qu’elle a, au paragraphe 54 de la décision critiquée, pris acte de la participation de certains maîtres d’ouvrage public à l’élaboration de cette charte, étant rappelé à nouveau que cet élément est indifférent au regard de la qualification des pratiques. Elle ajoute que contrairement à ce qu’indique l’Ordre, la décision n’indique pas que les supports de communication institutionnelle de l’Ordre avaient un caractère contraignant. Elle rappelle aussi que le caractère impératif des indications de prix diffusées par un organisme professionnel est indifférent au regard de la qualification de l’objet anticoncurrentiel. Elle relève par ailleurs que l’Ordre ne conteste pas que la pratique ait eu, à tout le moins, des effets anticoncurrentiels potentiels. Elle renvoie enfin, s’agissant des procédures disciplinaires, à l’analyse détaillée qu’en a fait la décision attaquée aux paragraphes 80 à 100.

124.Le ministre de l’économie observe que certaines collectivités ont renoncé à des projets dans la région Nord-Pas de Calais à la suite de l’intervention du CROA local.

Sur ce, la Cour :

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion de la Charte intitulée « Améliorer, simplifier, réussir » dans la lettre d’information n°30 de septembre 2013  125.Il est constant que le CROA Nord-Pas de Calais (qui a fusionné avec le CROA Picardie pour constituer le CROA des Hauts-de-France après la réforme des régions de 2017) a diffusé dans une lettre d’information n° 30 de septembre 2013 une charte intitulée « Améliorer, simplifier, réussir », datée d’août 2013, qui comportait seize conseils à l’attention des architectes en vue de la préparation des actes de candidature aux marchés de maîtrise d’œuvre côtes 6206 à 6221).

126.Comme l’a relevé l’Autorité aux paragraphes 57 à 60 de la décision attaquée, cette charte comportait, notamment : – le « 11ème conseil » intitulé « Assurer le versement d’une indemnité correspondant au niveau des prestations demandées » qui indiquait que « le maître d’ouvrage se référera au [guide de la MIQCP] et l’outil d’évaluation prévisionnelle des honoraires de maîtrise d’oeuvre en bâtiment neuf […] Pour information une esquisse se rémunère entre 4 et 6 % des honoraires correspondant à la mission de base Une esquisse « plus » entre 7 et 9 % Un APS entre 9 et 10 % » ; et – le « 15ème conseil » sous l’intitulé « Analyse financière de l’offre » qui mentionnait : « Afin de se prémunir contre les offres anormalement basses qui présentent des risques juridiques et opérationnels pour le maître d’ouvrage et économiques pour les maîtres d’oeuvre il est conseillé de se référer au guide édité par la MICQP “à l’attention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’oeuvre et au simulateur de calcul des honoraires pour apprécier la juste rémunération des honoraires en fonction du projet et de sa complexité. Le montant ainsi déterminé servira de base à la négociation des rémunérations et permettra d’écarter les offres anormalement basses ».

127.Ce document, qui rappelle les barèmes de prix recommandés pour les principales prestations, érige donc clairement - par l’emploi du futur et non du conditionnel - le guide MIQCP comme référence incontournable pour le calcul des honoraires, ajoutant que la Charte doit être utilisée pour éviter « les risques juridiques et opérationnels ».

128.Cette charte a été de surcroît diffusée par le CROA Nord-Pas-de Calais à la suite d’une communication institutionnelle affichant une grande détermination suscitée par le constat d’une multiplication des offres qui lui semblaient « bradées » ou « à des taux d’honoraires trop faibles » (cote 6242) - dont par exemple : – dès 2011, dans sa lettre d’information n°3 de janvier 2011, le CROA mentionne à la rubrique « les moyens » la « convocation des architectes soupçonnés d’avoir pratiqué une sous-évaluation des honoraires, en référence avec le guide de la MIQCP » comme un moyen de lutte contre ces pratiques (côte 6243) ; – dans son éditorial de la lettre d’information n°14 de février 2012, le CROA indique qu’il « n’hésitera pas à traduire par devant la chambre de discipline les confrères qui contreviennent à la règle en causant un tort à l’ensemble de la profession » et fait référence ensuite à l’existence de guides pour le calcul du coût des agences et, notamment, au guide de la MIQCP (côte 6423) ; – dans la lettre d’information n°28 de juin 2013, le président du CROA explique les motifs ayant conduit à l’élaboration de la charte et indique, notamment, « Si nous travaillons d’arrache-pied pour faire reconnaître la juste rémunération de nos prestations par les maîtres d’ouvrage, nous ne sommes pas aidés par les architectes qui se “prostituent” devant un client “proxénète”. Nous avons la ferme volonté de nettoyer en dedans comme nous le faisons en dehors. Que cela soit dit, répété et compris par tous ! » (côte 6673) ; – dans la lettre d’information n°40 de septembre 2014, le CROA relève que « des marchés de maîtrise d’oeuvre sont régulièrement passés à - 30 ou - 40 % d’un montant considéré comme normal » et il reproduit le courrier type envoyé « au confrère dont l’offre est considérée comme insuffisante » (côte 6892).

129.Ainsi, même si les supports ne sont pas contraignants en eux-mêmes, leur contenu érige clairement le guide de la MIQCP, qui rappelle les barèmes de prix recommandés pour les principales prestations, comme référence pour un calcul du montant des honoraires à la fois conforme aux obligations déontologiques de l’architecte et aux exigences du code des marchés publics. De surcroît, le CROA sous-entend, dans sa communication, que des honoraires fixés en deçà du barème établi constitueraient une offre anormalement basse.

130.Il convient en conséquence de retenir, comme l’a exactement fait la décision attaquée, que la lettre d’information n° 30 de septembre 2013 du CROA Nord-Pas de Calais, qui a diffusé auprès des architectes inscrits au tableau dans sa région la Charte des bonnes pratiques relatives à leurs honoraires dans les circonstances précitées, caractérise une décision d’association d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel.

131.Le moyen soutenant le contraire n’est pas fondé.

2. Sur les effets anticoncurrentiels des démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage

132.Il convient de rappeler que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché, de sorte que la recherche des effets concrets de la pratique est superflue lorsqu’il apparaît, comme en l’espèce, qu’elle a eu pour objet de restreindre, empêcher ou fausser le jeu de la concurrence.

133.Il peut néanmoins être relevé, en l’espèce, qu’aucun des arguments de l’Ordre n’est de nature à remettre en cause, le constat des effets concrets de la diffusion de cette lettre d’information, qui est détaillé aux paragraphes 361 et 362 de la décision attaquée et étayé par les éléments recueillis au cours de l’instruction : – s’agissant de la résiliation de l’accord-cadre par l’organisme HLM de Douai, la lettre d’information n° 16 d’avril 2012, qui reproduit notamment le « compte-rendu de la commission Observatoire des procédures et de la commande publique » mentionne que « suite à une action du CROA, la SIA (organisme HLM à Douai) va résilier un accord cadre, et ce du fait du dumping des honoraires. Ayant été invitée à transmettre la liste des candidats ainsi que leur taux d’honoraires, les architectes ayant répondu à un taux inférieur à 5,5 % seront invités au CROA » (contenu de la cote 6457 reproduit au paragraphe 53 de la décision critiquée). Il est donc établi que cet accord a été résilié à la suite de l’intervention de l’Ordre en raison du montant d’honoraires proposés par l’architecte. C’est donc en vain que l’Ordre fait valoir que les motifs précis de cette résiliation ne seraient pas établis dès lors que le CROA s’est attribué le mérite d’être à l’origine de cette situation. – s’agissant du marché de la Communauté de communes des deux sources, la directrice générale des services du maître d’ouvrage a indiqué lors de son audition par la DGCCRF : « étant une petite communauté de communes, les élus face aux reproches de l’ordre notamment de malversation ont préféré relancer un jury de concours. L’Ordre donne un mot d’ordre de 10 à 12 % comme montant d’honoraires ». Il ressort clairement de son témoignage que le jury de concours a été relancé à la suite des pressions exercées par l’Ordre et de la requête déposée à son initiative au tribunal administratif de Lille, qui portait à la fois sur la procédure et sur le montant des honoraires proposé par la société d’architecture. L’intéressée, poursuit, s’agissant des effets concrets de ce type d’action : « [l]e concours a été attribué pour un montant finalement supérieur d’environ 200 000 € au projet de départ (…) Le programme de travaux n’a pas évolué entre les deux consultations, ni le montant estimatif des travaux. En revanche, le projet architectural issu du concours est beaucoup plus développé et les architectes ont du mal à rentrer dans l’enveloppe budgétaire allouée. » (Contenu des cotes 4436 et suivantes reproduit au paragraphe 99 de la décision attaquée) ; – s’agissant du projet de dojo lancé par la commune d’Hazebrouck, l’Ordre ne conteste pas avoir initié une procédure disciplinaire auprès de l’architecte retenu et avoir introduit un recours administratif à l’encontre de cette attribution. C’est après l’exercice de ces actions que le pouvoir adjudicateur a informé le tribunal administratif et l’ordre régional des architectes de l’abandon du projet, comme le révèle le contenu de la cote 4399 reproduit au paragraphe 86 de la décision attaquée. – s’agissant du projet de remplacement des préfabriqués d’une école maternelle de Linselles, l’Autorité a relevé de façon pertinente que les nombreuses interventions auprès de la société d’architecture et du maître d’ouvrage, qualifiées de « menace » par ce dernier (selon les déclarations figurant en cote 4562, partiellement reproduites au paragraphe 100 de la décision attaquée) étaient d’autant plus injustifiées qu’elle ont cherché à remettre en cause la réalisation d’un projet qui au demeurant a été mené à son terme.  

134.Il a donc été établi que les nombreuses interventions du CROA Nord-Pas de Calais ont eu des effets concrets en remettant en cause la réalisation de projets de maîtrise d’oeuvre publique.

135.Le moyen qui soutient la thèse contraire n’est pas fondé.

3. Sur le contrôle du montant des honoraires

136.L’Ordre ne conteste pas que l’association A&CP Nord-Pas de Calais a mis à disposition, sur son site internet, un dispositif d’alerte, visant à signaler une consultation en cours ou un marché attribué suspecté d’irrégularité, comme l’indique le paragraphe 74 de la décision attaquée par référence à la cote 6995.  

137.Cette association créée en 2013, qui partageait les mêmes locaux que le CROA du Nord-Pas de Calais, a pris la suite de l’Observatoire des procédures et de la commande publique du CROA, dont l’objectif était d’organiser une veille et un suivi des annonces publiées afin de vérifier que les modalités d’accès à la commande publique respectent toutes les règles du code des marchés publics et les recommandations de la MIQCP (cotes 4187 et 6242). Trois de ses douze membres étaient désignés par le CROA auquel elle devait rendre compte de son action à chaque réunion, ainsi que l’exposent les paragraphes 67 à 73 de la décision attaquée.

138.Aux termes de l’article 22 de ses statuts, l’association était mandatée par le CROA pour « gérer les questions relatives à la commande publique » (cote 4198). Le CROA a indiqué avoir confié à cette association la mission de « vérifier les annonces de marchés publics et d’informer l’Ordre des irrégularités observées dans les procédures lancées ou attribuées » (cote 3274).

139.Dans la lettre d’information du CROA du Nord-Pas de Calais n°43 de janvier 2014, cette association évoque plusieurs annulations de procédures de conceptions-réalisation en lien avec le travail qu’elle a mené. Elle se prévaut aussi d’avoir proposé à un maître d’ouvrage « l’outil élaboré par le CROA : la Charte “Améliorer, Simplifier, Réussir” qui propose une méthode d’analyse financière des offres de maitrise d’oeuvre L’application de cette méthode de calcul lui permet de déterminer quelles sont les OAB et de procéder dès lors à leur examen approfondi en vue de les écarter » (cote 6970). Elle rappelle aussi que la lettre n°42 « fait état des très bon résultats obtenus », notamment l’augmentation des montants des honoraires renégociés grâce à son intervention et celle du CROA.

140.Il s’en suit que l’existence d’une surveillance institutionnalisée des prix pratiqués par les architectes est établie.

4. Sur les procédures et sanctions disciplinaires mises en œuvre.

141.Les justifications fournies par l’Ordre dans ses observations ne remettent pas en cause le fait que les procédures pré-disciplinaires et disciplinaires dirigées contre les sociétés d’architecture Sine qua non et Lemay-Toulouse ont été engagées en raison du montant des honoraires proposés par ces sociétés d’architecture.  

142.Il ressort en effet des comptes rendus des auditions qui ont eu lieu dans le cadre de l’instruction de ces procédures par la commission « Ethique et morale professionnelle » du CROA que ces sociétés ont été tout particulièrement interrogées sur l’écart entre le taux qu’elles avaient proposé et celui préconisé par le guide de la MIQCP.  

143.La société d’architecture Sine qua non, pour justifier son taux, a fait valoir avoir déjà travaillé pour la Fédération française de judo et donc disposer d’études pour la construction de dojos mais, ainsi qu’il ressort de la cote 3645, s’est vu opposer le « scepticisme » de l’Ordre au motif que « la MIQCP préconise une réponse sur ce type de dossier à 10 % hors QPC ».

144.L’association A&CP a fait état dans un document interne (cote 3891) du fait que la société Lemay-Toulouse, visée par deux plaintes (marchés de maîtrise d’oeuvre pour la construction par la CCI d’un hôtel d’entreprises et pour la création d’une école à Lincelles), « a remis une offre très en dessous des indications MIQCP » et l’Ordre a également indiqué dans un document interne (cote 3894) que « tant au niveau des chiffres transmis, des répartitions ou des méthodes de travail (mutualisation des chantiers, qualité des rendus, optimisation de la conception), les arguments n’ont pas convaincu ».

145.Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la pratique anticoncurrentielle de diffusion et imposition d’une méthode de calculs d’honoraires d’architectes mise en oeuvre dans la région des Hauts-de-France est établie. Le recours dirigé contre ce grief est rejeté.

B. Sur les pratiques mises en oeuvre dans la région Centre-Val de Loire (grief n°2)

146.La décision attaquée, en son article 2, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Centre-Val de Loire depuis juin 2014.

147.À l’appui de son recours et en premier lieu, l’Ordre allègue que la diffusion du Flash Info de juin 2014 ne constitue pas une pratique anticoncurrentielle, dès lors que le CROA Centre-Val de Loire n’a pas communiqué sur la méthode prônée par le guide de la MIQCP mais s’est contenté de faire état d’une décision de justice, en l’espèce une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 6 décembre 2013 annulant une procédure de consultation en raison du caractère anormalement bas de l’offre retenue.

148.En second lieu, l’Ordre observe que la décision attaquée fait référence à neuf interventions réalisées auprès des maîtres d’ouvrage public courant 2013 et 2014 mais que seules trois sont postérieures au mois de juin 2014, point de départ de l’entente. Il considère en outre, que le CROA Centre-Val de Loire s’est contenté, dans chacun des courriers incriminés, de rappeler aux maîtres d’ouvrage les obligations qui leur incombent en matière de marchés publics, notamment en ce qui concerne l’obligation qui leur est faite d’écarter les offres qui, après vérification auprès des maîtres d’oeuvre apparaissent comme étant anormalement basses. Il observe que certains précontentieux disciplinaires sont également antérieurs au point de départ de la pratique.

149.En troisième lieu, l’Ordre constate qu’aucun architecte n’a été sanctionné par le CROA Centre-Val de Loire pour avoir déposé une offre à un prix bas. Sur les quatre procédures engagées auxquelles se réfère la décision critiquée, trois sont intervenues plusieurs mois avant le point de départ de la pratique et ont de surcroît débouché sur une mise hors de cause. Une seule a abouti à une sanction, justifiée au regard de l’analyse menée tant par la chambre régionale de discipline que par la chambre nationale de discipline, instances indépendantes du CROA. Dans le cadre de l’instruction de son dossier, l’architecte a reconnu qu’il n’avait pas réalisé certains des plans d’exécution et spécifications techniques qui ont été faits par des sous-traitants et mis à leur charge.

150.L’Autorité fait valoir en réponse que les citations du Flash Info de juin 2014 reproduites dans le mémoire de l’Ordre sont privées de leur contexte, et que, via la communication institutionnelle du CROA, l’Ordre a entendu imposer une discipline sur le calcul du montant des honoraires, en référence au guide de la MIQCP, ce qui constitue une restriction de concurrence par objet.

151.L’Autorité observe aussi qu’au paragraphe 374 de la décision attaquée il a déjà été répondu au deuxième moyen soulevé. Elle estime que cet élément temporel n’est pas déterminant, dans la mesure où l’Ordre ne fournit aucun élément de nature à prouver que ses interventions antérieures à la diffusion des consignes de prix avaient pris fin avant la période considérée par les services d’instruction. Elle observe que, dans ses observations, l’Ordre n’apporte aucun élément nouveau de nature à modifier cette analyse. L’Autorité relève par ailleurs qu’il ressort des écritures de l’Ordre que tous les courriers se rapportaient au montant des honoraires et que ce dernier ne conteste pas que la quasi-totalité comportait même des références au guide de la MIQCP. Elle rappelle enfin que le CROA Centre-Val de Loire a créé un organisme ad hoc pour contrôler les honoraires, l’Observatoire sur les marchés publics.  

152.L’Autorité considère enfin que c’est la multiplication des procédures engagées en raison du montant des honoraires pratiqués par les membres de l’Ordre, dans un contexte de communication institutionnelle soutenue sur ce sujet, qui a incité les architectes à surveiller le montant des honoraires pratiqués par leurs confrères et à dénoncer ceux ne respectant pas la méthode préconisée par l’Ordre.

Sur ce, la Cour :

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion du Flash Info de juin 2014  

153.Il convient de rappeler préalablement, ainsi qu’il ressort des cotes 345 à 347 dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 101 de la décision attaquée, que le président du CROA Centre-Val de Loire au cours de la réunion de son bureau, le 7 février 2014, s’était inquiété de ce que « de plus en plus fréquemment, les confrères répondent aux procédures d’appel public avec des honoraires bas » et qu’il convenait en conséquence de s’attacher « à mener des actions de lutte contre le dumping ». C’est dans ce contexte qu’a été mise en place une communication institutionnelle portant sur le niveau des prix.  

154.Le Flash Info de juin 2014 diffusé par le CROA Centre-Val de Loire évoque, sous le titre « Lutte contre les prix bas », la décision du juge des référés du tribunal administratif de Toulouse du 6 décembre 2013 en la commentant ainsi qu’il suit : « cette jurisprudence intéressante replace le guide de la MIQCP comme une référence en matière d’honoraire de maîtrise d’oeuvre » et prévient les membres de la profession qu’il entend se « mobiliser pour une juste rémunération de la maîtrise d’oeuvre ». Il détaille les mesures mises en oeuvre à cet effet, dont la création d’un Observatoire sur les marchés publics ayant pour objet d’ « analyser les mécanismes de propositions d’honoraires » et informe ses lecteurs que « des auditions de confrères pratiquant des honoraires bas ont eu lieu et continueront d’avoir lieu. Plusieurs confrères ont été convoqués pour être entendus en leurs explications. (…) D’autres se sont expliqués sur le montant de leur offre. (…) Sachez que le CROA Centre va rester très vigilant sur le comportement de certains confrères vis-à-vis de la profession et n’hésitera pas à sanctionner (Chambre de Discipline) tout confrère qui aurait un comportement anti-déontologique, comme d’autres CROA l’ont déjà fait ».

155.Dans le numéro du 1er et 2ème trimestres 2016, le CROA dresse un tableau des marchés publics ayant donné lieu à des observations de sa part qui répertorie des observations et les réponses des intéressés. Ce tableau fait état de deux rappels à l’ordre sur le fondement de l’article 55 du code des marchés publics et des risques de retenir une offre anormalement basse (cote 7123).

156.La communication institutionnelle ainsi mise en place par le CROA Centre-Val de Loire à destination des architectes de sa région, qui concerne le niveau de leurs prix et fait du guide de la MIQCP la méthode de calcul appropriée de leurs honoraires caractérise une décision d’association d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel.

2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires  

157.Il ressort du compte rendu de la réunion du bureau du CROA du 7 février 2014 (cote 346) qu’a été mise en place une procédure spécifique en « présence d’honoraires bas » ou non « correct » consistant, notamment, à convoquer systématiquement le professionnel soupçonné devant le conseil, à écrire au maître d’ouvrage en lui faisant le compte rendu de cette audition et à diffuser auprès des autres membres la procédure diligentée.

158.S’agissant des démarches engagées auprès des maîtres d’ouvrage public, il ressort des différents courriers recensés au cours de la procédure - ceux listés en note 8 à la page 27 de la décision attaquée et ceux dont le contenu est partiellement reproduit aux paragraphes 128 et suivants de cette décision - qui établissent au total neuf interventions du CROA Centre-Val de Loire entre janvier 2014 et mars 2015, que celles-ci ont le plus souvent concerné une contestation du montant des honoraires de l’architecte retenu au regard des préconisations de rémunération du guide de la MIQCP et ont eu pour finalité de relancer la consultation de maîtrise d’oeuvre conformément à ces éléments, en enjoignant aux maîtres d’ouvrage de reconsidérer la procédure s’ils voulaient « éviter tout recours administratif » aux fins d’annulation.

159.Le fait que certains précontentieux disciplinaires ou des interventions auprès des maîtres d’ouvrage aient été engagés avant la diffusion du Flash Info de juin 2014 n’est pas de nature à remettre en cause l’effectivité de la surveillance des honoraires par le CROA, ces démarches témoignent en effet de l’action amorcée par ce dernier avant même que celle-ci fasse l’objet d’une communication officielle.

160.Le contrôle des prix instauré transparaît d’un certain nombre de courriers envoyés au maître d’ouvrage public. Ainsi, pour n’évoquer que les trois derniers : – celui adressé à la Communauté de communes de Castelrenaudais du 25 juin 2014, chiffre la « différence entre la proposition [du maître d’oeuvre retenu] et celle de la grille de la MIQCP » (cotes 398 -399) ; – celui adressé à la commune de Cepoy du 30 juin 2014, indique que le « taux de référence pour une mission de base et pour un montant de travaux de 1 300 000 euros H.T. est de 11,5 % (sans les missions complémentaires » (cote 400-401) ; – celui adressé au président de la communauté d’agglomération de Tours observe que la procédure adaptée a été choisie pour le marché public de maîtrise d’oeuvre pour la revalorisation de l’accueil touristique à Villandry et que « ne pas recourir à la procédure du concours de maîtrise d’oeuvre tend à éliminer de principe les candidatures qui présenteraient un montant d’honoraire supérieur à 8 % alors même qu’à la lumière des autres critères de sélection que sont la qualité architecturale et l’expérience du candidat, la note méthodologique, ainsi que les compétences et les moyens, ces mêmes candidatures seraient pertinentes ». Il est en conséquence invité à mettre en place dès que possible une procédure de concours « afin d’éviter tout risque éventuel de recours administratifs ».

161.S’agissant du contrôle du montant des honoraires par l’Ordre à l’égard de ses membres, il convient de constater que le président du CROA a déclaré, lors de son audition du 28 mai 2015 par la DGCCRF : « [l]a commission qui s’occupe des problématiques liées aux honoraires dans la commande publique est la commission « dumping ». (…) Cette commission a pour but d’inviter un confrère à nous démontrer que son prix n’est pas anormalement bas et qu’il ne fait pas de concurrence déloyale vis-à-vis des confrères en proposant des honoraires très bas » (cotes 336 et 337, dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 110 de la décision attaquée).

162.Par ailleurs, le CROA a indiqué lors de son assemblée régionale du 17 avril 2015 qu’ « une des actions 2014 du CROA Centre a été de se mobiliser pour une juste rémunération de la maîtrise d’oeuvre » et a donné des exemples des actions entreprises ou envisagées : « des auditions de confrères pratiquant des honoraires bas ont eu lieu et continueront d’avoir lieu. Des courriers ont été adressés aux maîtres d’ouvrage ayant retenu un candidat dont l’offre apparaissait anormalement basse. 4 confrères ont été convoqués par le CROA Centre pour être entendus en leurs explications sur d’éventuels manquements au code de déontologie. Le CROA Centre a pris la décision de saisir la Chambre Régionale de Discipline des Architectes d’une plainte du CROA pour manquement aux articles 12, 18 et 46 du code des devoirs, au regard du dumping pratiqué sur les honoraires. La plainte sera prochainement déposée » (cote 561, dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 111 de la décision attaquée).

163.Les explications fournies par l’Ordre confirment que l’ensemble des procédures engagées visait à remettre en cause le montant des honoraires proposés par l’architecte ou la société d’architecture. Aussi, le fait que certaines procédures pré-disciplinaires aient débouché sur la mise hors de cause des intéressés au motif qu’après examen approfondi, le « taux d’honoraire était justifié » (cote 371), ne remet pas en cause l’existence du contrôle des honoraires et atteste du caractère systématique de cette surveillance.

164.Or, il est établi que la lettre de saisine par laquelle le CROA Centre-Val de Loire « traduit [un architecte] en chambre de discipline pour dumping » (cote 711) se fonde essentiellement sur le guide de la MIQCP pour caractériser une sous-évaluation trompeuse du taux de rémunération (cote 851).

165.Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la pratique anticoncurrentielle de diffusion et imposition d’une méthode de calculs d’honoraires d’architecte mise en oeuvre dans la région Centre-Val de Loire est établie.

166.Le recours dirigé contre ce grief est rejeté.

C. Sur les pratiques mises en oeuvre dans la région Midi-Pyrénées (grief n° 3)

167.La décision attaquée, en son article 3, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Occitanie depuis le 10 septembre 2014.

168.À l’appui de son recours et en premier lieu, l’Ordre estime que l’Autorité a présenté de manière trompeuse le contenu de la lettre circulaire du 10 septembre 2014, ce document ne permettant pas de caractériser une pratique anticoncurrentielle. Selon lui, la lettre-circulaire se contente de fournir des informations objectives sur le guide de la MIQCP et d’informer les architectes de la volonté de l’Ordre de lutter contre les OAB.

169.En deuxième lieu, l’Ordre soutient, d’une part, que les interventions auprès des maîtres d’ouvrage public étaient légitimes, les CROA ayant vocation à alerter les décideurs publics en cas de soupçons d’OAB et, d’autre part, que les courriers envoyés ne portaient pas uniquement sur le sujet des OAB et pouvaient tout à fait se référer au guide de la MIQCP, élaboré à leur intention.

170.En troisième lieu, l’Ordre allègue que le déroulement des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires engagées permet de constater que la méthode de calcul des honoraires n’était pas obligatoire et que la plupart des architectes ont été mis hors de cause.

171.L’Autorité conteste cette analyse en rappelant les éléments recueillis et énumérés dans la décision attaquée. Elle estime que le CROA, dans la lettre circulaire du 10 septembre 2014, a non seulement présenté la méthode du guide MIQCP comme un référentiel mais a également assorti cette présentation de mises en garde répétées, voire de menaces à peine voilées, à l’égard des architectes qui ne respecteraient pas les consignes ainsi diffusées. Elle observe, qu’en tout état de cause, l’absence de caractère contraignant du support de diffusion est indifférent au regard de la qualification de l’objet anticoncurrentiel, étant observé par ailleurs que l’Ordre ne conteste pas que la pratique litigieuse a pu, à tout le moins, avoir des effets potentiels.  

172.L’Autorité fait enfin valoir que le caractère systématique du déclenchement des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires atteste, à l’évidence, de l’existence d’un contrôle ordinal des honoraires. Les démarches décrites paragraphe 168 de suivants de la décision critiquée, tant par leur caractère systématique que par leur nombre, excédaient la mission d’information dévolue à l’Ordre et ont potentiellement mis en péril la réalisation de procédures de passation de marchés ou de marchés déjà conclus.

Sur ce, la Cour :

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la diffusion de la lettre circulaire du 10 septembre 2014

173.Dans une lettre du 10 septembre 2014 intitulée « Lutte contre le dumping », adressée à l’ensemble des architectes de la région, le président du CROA de Midi-Pyrénées – aujourd’hui CROA d’Occitanie à la suite du regroupement des régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon intervenue en 2017 – a indiqué avoir « entrepris de lutter contre le dumping à travers diverses actions ». Il y soulignait que « (l)es maîtres d’ouvrage disposent d’un référentiel pour estimer les honoraires de maîtrise d’oeuvre : le guide [MIQCP] » et mentionnait ensuite un lien hypertexte vers cet outil. Il indiquait enfin que le CROA « reste extrêmement vigilant sur les offres anormalement basses. Aujourd’hui, tout comportement contraire à la déontologie sera susceptible d’être traduit devant la Chambre Régionale de Discipline et sera passible de sanctions disciplinaires (avertissement, suspension avec sursis, suspension, radiation) », cette dernière phrase faisant l’objet d’un encadré (cote 1883, dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 133 de la décision attaquée).

174.Lors d’une réunion postérieure de la commission marchés publics-OAB, commission ad hoc instituée par le CROA Midi-Pyrénées en charge de la problématique des honoraires de maîtrise d’ouvrage, qui s’est tenue le 8 décembre 2014, l’intéressé a rappelé que cette lettre « visait un double but : – Une action de communication, pour faire connaître aux architectes les actions anti-dumping envers leurs confrères – Une action d’information, pour prévenir que le CROA a l’intention de passer à la vitesse supérieure concernant la sanction des offres anormalement basses » (cote 2100, dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 134 de la décision attaquée).  

175.Il ressort de ces éléments que la lettre d’information du 10 septembre 2014 diffusée par le CROA Midi-Pyrénées aux architectes de sa région, qui, sous le couvert de lutter contre les OAB, érige le guide de la MIQCP en la méthode de calcul des honoraires appropriée, caractérise une décision d’association d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel. 2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires

176.Il ressort des auditions réalisées au cours de la procédure que lorsque la commission marchés publics-OAB détectait un montant d’honoraires jugé trop bas « avec en point de repère le guide MIQCP », un courrier était immédiatement envoyé simultanément, d’une part, au maître d’ouvrage pour l’avertir des risques sur la réalisation du projet et, d’autre part, à l’architecte concerné pour demander des explications (cote 1804). Ces courriers faisaient directement référence aux montants des honoraires préconisés par le guide de la MIQCP et incluaient un lien hypertexte vers ce document.  

177.S’agissant des démarches entreprises auprès des maîtres d’ouvrage public, les déclarations du CROA confirment que les courriers qui ont été adressés aux pouvoirs adjudicateurs concernant des offres considérées comme anormalement basses par l’Ordre ont été particulièrement nombreux, oscillant entre 70 et 120 courriers par an sur la période 2012 à 2015 (cote 7134).

178.Comme cela a justement été relevé au paragraphe 382 de la décision attaquée, ces interventions, par leur nombre, excèdent manifestement la mission d’information dévolue à l’Ordre et ont pu, de surcroît, mettre en péril le déroulement de certains marchés.

179.Les services d’instruction de l’Autorité ont, par ailleurs, recueilli deux témoignages de maîtres d’ouvrage public ayant subi des pressions de l’Ordre au sujet du montant des honoraires de maîtrise d’oeuvre : – La responsable de la commande publique de Saint-Orens-de-Gameville a déclaré lors de son audition à la DGCCRF : ce « courrier [reproduit paragraphe 171 de la décision attaquée] plutôt directif (…) nous a surpris. (…) L’intervention de l’ordre nous a surpris, cela fait porter une certaine pression sur nos services et nous nous sommes posé des questions. Nous avons eu l’impression d’être remis en cause dans notre analyse » (cote 2626).  – La responsable des services techniques de la commune de Frouzins a déclaré que « le Conseil de l’ordre des Architectes a appelé le maire par rapport à l’attribution de ce marché à un taux aussi bas. (…) En passant le marché, nous savions que le Conseil de l’ordre pouvait intervenir, ils l’avaient déjà fait par le passé en appelant la mairie lors de l’attribution de marchés de maîtrises d’oeuvre (…) Nous avons été surpris de cette démarche et nous l’avons vécu comme une pression sur nos services. Ce courrier nous semblait avoir pour but de nous faire modifier notre classement et écarter le candidat retenu. L’ordre des architectes sort de son rôle en nous envoyant ce type de courrier » (cotes 2442 et 2443).  

180.Le responsable des services techniques de la commune de Frouzins a pour sa part déclaré que ses services avaient vécu la démarche de l’Ordre « comme une pression » exercée sur eux, l’Ordre ayant appelé le maire par rapport à l’attribution du marché « à un taux aussi bas » (cotes 2442 et 2443).

181.S’agissant du contrôle exercé par l’Ordre sur le montant des honoraires de ses membres, il n’est pas contesté que le CROA avait défini une procédure qui devait être systématiquement appliquée dès lors que la commission ad hoc identifiait un montant d’honoraires jugé trop bas au regard du guide MIQCP, ainsi que l’ont justement démontré les paragraphes 147 et suivants de la décision attaquée en s’appuyant notamment sur les côtes 2240 et 2241. Entre janvier et novembre 2015, 27 dossiers ont été ouverts par cette commission dont 3 ont été renvoyés devant la chambre régionale de discipline. Ces chiffres traduisent un contrôle actif.  

182.Par ailleurs, L’Autorité fait utilement valoir qu’il ressort des documents recueillis par les services d’instruction qu’au cours des procédures disciplinaires, l’Ordre a fait référence, à plusieurs reprises, au guide de la MIQCP (voir, par exemple, le compte rendu de la réunion du Conseil du 21 janvier 2015 concernant Mme Fauré correspondant à la cote 2150 dont des extraits sont reproduits au paragraphe 154 de la décision attaquée, ou encore l’avis du rapporteur dans le dossier concernant M. Issa figurant aux cotes 2200 et 2316 dont le contenu est partiellement reproduits au paragraphe 161 de la décision attaquée).  

183.Enfin, et contrairement à ce qu’indique l’Ordre, le fait que les architectes poursuivis n’aient finalement pas été sanctionnés ne remet pas en cause la réalité de la surveillance des honoraires.  

184.Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la pratique anticoncurrentielle de diffusion et imposition d’une méthode de calculs d’honoraires d’architectes mise en oeuvre dans la région Occitanie est établie.

185.Le recours formé contre ce grief est rejeté.

D. Sur les pratiques mises en oeuvre e dans la région Provence-Alpes- Côte d’Azur (grief n° 4)

186.La décision attaquée, en son article 4, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer une méthode de calcul d’honoraires à l’ensemble des architectes de la région Provence-Alpes- Côte d’Azur à compter de novembre 2015.

187.À l’appui de son recours et en premier lieu, l’Ordre considère que la diffusion de la lettre circulaire du 4 novembre 2014 ne présentait aucun objet anticoncurrentiel. Ce document ne viserait qu’à conseiller les membres du CROA PACA, en les sensibilisant aux risques des OAB et, de manière plus générale, à la nécessité de lutter contre la dévalorisation de la profession, résultant de la conjugaison de la libéralisation des prix par l’ordonnance du 1er décembre 1986 et de la multiplication des marchés à procédure adaptée. Il s’inscrivait, en outre, dans un contexte particulier de lutte contre les OAB, en lien avec les pouvoirs publics. Enfin, il présenterait sans ambiguïté le guide de la MIQCP comme un outil technique et non pas comme un barème de prix.

188.L’Ordre estime que cette sensibilisation est une de ses missions les plus essentielles et rappelle que l’article 1er de la loi de 1977 sur l’architecture, qui dispose notamment que « l’architecture est l’expression de la culture », marque la volonté du législateur de promouvoir la qualité architecturale.

189.En deuxième lieu, l’Ordre soutient qu’il ne peut lui être reproché d’intervenir auprès des maîtres d’ouvrage publics. Il observe par ailleurs que le SDIS du Var est le seul maître d’ouvrage cité par l’Autorité, la décision attaquée se référant à deux courriers reçus du CROA à des dates antérieures de 3 et 4 mois à l’envoi de la lettre circulaire qui marque le point de départ de la pratique visée par le grief.

190.En troisième lieu, l’Ordre indique que les poursuites pré-disciplinaires et disciplinaires engagées se fondaient sur plusieurs éléments étrangers à la question du montant des honoraires et qu’aucune n’a abouti à des sanctions.

191.L’Autorité répond qu’il ressort clairement de la lecture de la lettre circulaire du 4 novembre 2014 que l’Ordre désigne explicitement le guide de la MIQCP comme référence en matière de calcul du montant des honoraires et qu’il annonce des contrôles et des poursuites systématiques en cas de réitération à l’encontre des architectes ayant proposé des honoraires jugés trop bas. Elle considère que c’est le détournement, par l’Ordre, du guide de la MIQCP, en vue de l’ériger comme référence de calcul du montant des honoraires de ses membres, qui revêt un caractère anticoncurrentiel.

192.Elle fait valoir aussi que l’intérêt à agir de l’Ordre auprès des maîtres d’ouvrage public, qui n’est pas contestable, n’autorise pas ce dernier à tenter de remettre en cause, de manière systématique, des procédures de marchés publics de maîtrise d’oeuvre en cours ou conclues au motif qu’il estime que le taux d’honoraires convenu n’est pas satisfaisant.

193.L’Autorité se réfère au paragraphe 374 de la décision attaquée en observant que l’Ordre ne produit aucun élément de nature à en démontrer que ses interventions antérieures à la diffusion des consignes de prix avaient pris fin avant la période considérée par les services d’instruction. Elle considère que les agissements décrits s’inscrivent dans la continuité des pratiques constatées et ne tendent qu’à renforcer la réalité de l’action mise en oeuvre par le CROA, avant même que celle-ci fasse l’objet d’une communication officielle.

194.L’Autorité fait valoir enfin que l’Ordre ne saurait contester le caractère fréquent du contrôle mis en place par la commission ad hoc. Elle considère enfin que le fait qu’aucune des procédures pré disciplinaires n’ait abouti au prononcé d’une sanction n’est pas de nature à remettre en cause la réalité du contrôle des honoraires exercé par le CROA PACA. Au contraire, un tel constat ne fait que confirmer le caractère systématique et abusif de ces contrôles qui ont pu remettre en cause la réalisation de marchés de maîtrise d’oeuvre à venir ou déjà conclus.

195.Le ministre de l’économie observe qu’à la suite de l’intervention du CROA PACA, les architectes concernés ont déclaré devoir se soumettre à la méthode de calcul des honoraires.

Sur ce, la Cour :

1. Sur la communication institutionnelle sur les prix et la lettre circulaire du 4 novembre 2014

196.Dans cette lettre circulaire du CROA Provence-Alpes-Côte d’Azur qui, selon la formule de son président, « définit la position institutionnelle de l’Ordre des architectes sur les offres anormalement basses de maîtrise d’oeuvre et fixe le cadre de son action auprès des architectes », il est exact comme l’observe l’Ordre, qu’en introduction, le CROA PACA rappelle le principe de liberté des prix. Cependant, il en souligne immédiatement les conséquences « désastreuses », et appelle, en des termes parfois très forts - « dévalorisation sans précédent », « conséquences aujourd’hui désastreuses, aujourd’hui pour notre profession, demain pour toute la collectivité », « inconscience croissante de certains d’entre nous », « fléau du dumping » – à « revaloriser [la] profession par des actions internes ». Puis il invite chaque architecte à « revoir ses pratiques », à « utiliser » le guide de la MIQCP – « qui met à la disposition des maîtres d’ouvrage et des architectes un simulateur d’honoraires très performant » – et à « indiquer en “annexe” de tes offres, le taux de rémunération conseillé par la MIQCP ».  

197.Cette lettre circulaire mentionne par ailleurs que « [c]omme tu le sais, l’Observatoire de la Commande Publique du CROA PACA dispose des informations concernant les conditions d’attribution des marchés publics : nom de l’architecte retenu, constitution de son équipe de maîtrise d’oeuvre type de missions confiées, montant du marché de maîtrise d’oeuvre et taux de rémunération » et annonce la convocation de chaque architecte soupçonné et le lancement d’enquêtes internes à leur encontre, comme l’exposent plus en détails les paragraphes 178 et suivants de la décision attaquée en reproduisant des extraits de la cote 5447.

198.Le fait que les pouvoirs publics aient pu participer à des réunions concernant la lutte contre les OAB ne peut justifier l’intervention de l’Ordre visant à entreprendre une communication institutionnelle faisant référence à une méthode de calcul des honoraires dont le non-respect pourrait entraîner des sanctions disciplinaires, étant observé de surcroît que dans la région PACA, ainsi qu’il ressort des paragraphes 180 et 218 de la décision attaquée, le préfet des Alpes-Maritimes y a été ouvertement hostile.

199.Il ressort en conséquence des éléments recueillis que la diffusion de la lettre circulaire du 4 novembre 2014 du CROA Provence-Alpes-Côte d’Azur caractérise une décision d’association d’entreprises ayant un objet anticoncurrentiel.  

2. Sur les démarches engagées auprès de la maîtrise d’ouvrage et les contrôles du montant des honoraires

200.Le CROA Provence-Alpes-Côte d’Azur a instauré une commission ad hoc dont les missions consistent, selon son représentant entendu le 16 avril 2015 par le DGCCRF, en la « collecte des informations relatives aux contrats de maîtrise d’oeuvre et aux honoraires, sur signalement des candidats architectes évincés. (…) Les dossiers sont complétés à la demande du CROA PACA auprès des maîtres d’ouvrages pour obtenir, une fois le marché signé, le rapport d’analyse des offres et la décision d’attribution. La commission précitée analyse ces documents et procède à l’audition du ou des architectes attributaires des marchés pour compléments d’information. Un rapport d’analyse générique est établi par un membre de la commission. Le ou les architectes titulaires sont invités par lettre recommandée à échanger avec au moins trois membres de la commission. » (Cotes 5302 et 5303, dont le contenu est partiellement reproduit au paragraphe 183).

201.La circonstance que ce « travail sur la question de la discipline » ait été évoqué notamment à l’occasion de la séance plénière du CROA du 11 janvier 2014 (cote 5425), soit plusieurs mois avant la lettre circulaire du 4 novembre 2014 est dépourvu de portée dès lors que ces pratiques se sont manifestement poursuivies postérieurement, ainsi qu’il ressort de cette audition du 16 avril 2015 qui décrit, en utilisant l’indicatif, la situation existante.

202.Il est établi que pour deux projets de construction (un centre d’incendie à Solliès-Pont et des bureaux du Centre de gestion de la fonction publique territoriale du département des Alpes-Maritimes), le CROA est intervenu tant auprès des maîtres d’ouvrage public qu’auprès des maîtres d’œuvre L’action de l’Ordre a cependant été entravée par la position des pouvoirs publics. Le 7 août 2014, le SDIS du Var a notamment opposé une fin de non-recevoir, au motif que la procédure choisie « respectait toutes les règles du code des marchés publics » (cote 5623).

203.Le CROA Provence-Alpes-Côte d’Azur a traité 34 dossiers en lien avec le montant des honoraires pratiqués par ses membres. Ils sont recensés dans un document détaillé intitulé « Tableau récapitulatif des OAB du 13/04/15 » (cotes 5311 à 5316). Le contrôle de la commission ad hoc a donc été fréquent et coordonné.

204.Les observations de l’Ordre au sujet des quatre dossiers ayant fait l’objet d’une audition pré-disciplinaires confirment en outre que ces procédures ont été engagées en raison du montant des honoraires pratiqués par ces professionnels au regard du guide de la MIQCP, systématiquement utilisé comme référence pour évaluer la pertinence des honoraires proposés comme l’établissent les cotes 5401, 5376, 5413, 5526 et 7455 reproduites partiellement aux paragraphes 187, 190, 196 et 206 de la décision attaquée.

205.Enfin, s’agissant des arguments de l’Ordre selon lesquels le courrier envoyé au SDIS du Var, relatif à la construction du centre d’incendie à Solliès-Pont, n’aurait fait que rappeler qu’une procédure de concours aurait dû être privilégiée, il doit être constaté que dans sa lettre du 23 juin 2014 (cote 5620), l’Ordre indique certes que « la procédure de concours permettra d’éviter toute difficulté ultérieure liée à une remise en cause du contrat de maîtrise d’oeuvre en cas de franchissement du seuil de concours » mais qu’il ajoute qu’ « elle permettra d’autre part et dans l’intérêt du projet de fixer une juste et convenable rémunération de maîtrise d'oeuvre ». Or, suite à un référé introduit par un concurrent, le juge administratif a, dans son ordonnance du 21 août 2014, rejeté le recours au motif notamment qu’« aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit que le montant d’un marché public de maîtrise d’oeuvre doit être déterminé par référence au guide à l’intention des maîtres d’ouvrage publics pour la négociation des rémunérations de maîtrise d’oeuvre qui n’a pas de valeur réglementaire » (cote 5631).  

206.Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que la pratique anticoncurrentielle de diffusion et imposition d’une méthode de calculs d’honoraires d’architectes mise en oeuvre dans la région PACA est établie.

207.Le recours dirigé contre ce grief est rejeté.

E. Sur les pratiques visées au grief n° 5

208.La décision attaquée, en son article 5, dit qu’il est établi que l’Ordre a enfreint les dispositions de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE et L.420-1 du code de commerce en mettant en oeuvre une décision d’association d’entreprises consistant à diffuser et à imposer un modèle de saisine de la chambre de discipline en cas d’allégation de concurrence déloyale portée par le conseil régional à l’encontre d’un architecte, à compter de novembre 2015.  

209.L’Ordre considère que l’ensemble des constatations de l’Autorité sur la pratique reprochée repose sur une dénaturation des faits et sur une erreur de droit.  

210.Il en conteste le caractère anticoncurrentiel, en premier lieu, au motif que le modèle de saisine serait resté à l’état de projet. Il allègue une absence de diffusion en dehors des instances ordinales et/ou d’utilisation de ce modèle par ces dernières. Il souligne que le modèle de plainte visé en l’espèce ne comporte pas, contrairement à d’autres modèles de plainte datant de 2009, la mention « document validé » suivie de la date de validation par le comité de pilotage JURIET.  

211.Il conteste, en deuxième lieu, le caractère anticoncurrentiel de la pratique au regard du contenu du modèle de saisine de la chambre disciplinaire. Il considère que ce dernier, loin d’imposer une méthode de calcul des honoraires, insiste sur la nécessité, pour les CROA, de respecter le principe du contradictoire et d’adopter une approche reposant sur un faisceau d’indices et se contente de surcroît d’expliciter, notamment en donnant des exemples concrets, la méthode de calcul des honoraires, sans en faire une référence obligée et incontournable.  

212.L’Ordre considère, en troisième lieu, que le modèle de saisine n’a pas pu avoir d’effets anticoncurrentiels dans la mesure où il n’aurait jamais été diffusé en dehors des instances ordinales. Il fait valoir que l’Autorité ne démontre pas l’existence d’un « effet disciplinant » qui aurait conduit l’ensemble des CROA à mettre en oeuvre ce prétendu contrôle systématique du montant des honoraires, étant rappelé qu’aucune pratique anticoncurrentielle n’a été constatée pour 15 des 19 CROA. Il ajoute qu’elle se montre incapable de faire état du moindre effet anticoncurrentiel réel alors même que, selon elle, la pratique aurait été mise en oeuvre sur l’ensemble du territoire national pendant une période de quatre ans.

213.L’Autorité observe en réponse que les modèles anciens auxquels l’Ordre fait référence ont été diffusés six ans avant l’assemblée plénière des 26 et 27 novembre 2015. Or, le CNOA se renouvelant partiellement tous les 3 ans, il n’est pas exclu que les pratiques administratives puissent avoir évolué. En toute hypothèse, le modèle de saisine litigieux se réfère bien à la réunion pendant laquelle il a été présenté, puisqu’il comporte en pied de page la mention « JURIET – plénière 2015 ».

214.Elle relève aussi que le seul argument présenté par l’Ordre de nature à remettre en cause le fait que la pratique a eu, à tout le moins, des effets anticoncurrentiels potentiels est celui selon lequel le modèle de saisine n’a pas pu avoir d’effets de ce type, dans la mesure où il n’aurait jamais été diffusé en dehors des instances ordinales. Or ce document n’ayant, par nature, vocation à n’être utilisé que par les CROA en vue de la saisine des chambres disciplinaires, la circonstance qu’il n’ait pas été diffusé à l’extérieur de l’ordre est dépourvu de toute portée.

215.Le ministre de l’économie fait valoir que la mise en place de la commission JURIET par le CNOA, qui a rédigé et distribué le modèle de saisine de la chambre de discipline « en cas d’allégation de concurrence déloyale », démontre l’accord de volontés visant à restreindre la libre détermination des prix d’intervention des architectes dans le cadre de la maîtrise d’oeuvre Il est indifférent qu’il ait pu s’agir d’un document de travail qui n’ait pas été diffusé à l’extérieur des instances ordinales, dès lors que ce document manifeste l’intention collective des acteurs actifs dans le secteur des prestations d’architecte visant à lutter contre des offres considérées comme anormalement basses.

Sur ce, la Cour :

216.Il est constant qu’un modèle de saisine de la chambre régionale de discipline a été préparé par la commission « concurrence déloyale » mise en place au sein du comité technique de la commission JURIET constituée en mai 2015 pour lutter contre la « pratique de la sous-évaluation trompeuse des honoraires » et afin d’inciter les architectes à adopter un comportement déterminé dans le cadre de leur activité. Il s’agissait, précise un de ses membres, d’un « groupe de travail national » (cote 2875).

217.Il ressort en outre des déclarations recueillies (cotes 5435, 5442 et 7497) que le projet de créer un document type de cette nature en cas de « dumping » a été envisagée dès 2014, une plainte type/saisine de la chambre de discipline étant notamment présentée comme « en cours de conception » lors d’une séance du CROA de PACA du 7 juillet 2014.

218.Le document litigieux, coté 1543 à 1548, invite les CROA à « choisir un dossier emblématique, dans lequel l’architecte retenu est le moins-disant ».

1. S’agissant du caractère définitif du modèle de saisine de la chambre de discipline « JURIET – plénière 2015 »

219.Il y a lieu, en premier lieu, de constater qu’aucun des arguments de l’Ordre n’est susceptible de remettre en cause l’appréciation qui figure aux paragraphes 277 à 279 de la décision attaquée. En effet, le modèle de saisine litigieux ne comprend, au plan formel, aucune indication de nature à démontrer qu’il s’agirait d’un simple projet. L’ordre du jour de l’assemblée plénière de la journée du 27 novembre 2015, entièrement dédiée à la « restitution COTECH », comporte de plus un intitulé explicite (« Présentation de la plainte type rédigée par la commission technique concurrence déloyale »). Le compte-rendu de cette réunion n’indique pas, enfin, que le contenu du document objet de la présentation est susceptible d’être modifié, ne serait-ce que sur un point mineur abordé à l’occasion de celle-ci.  

220.Il convient de surcroît d’observer que ce document intitulé « Saisine de la chambre de discipline - Cadre type concurrence déloyale » comporte en pied de page la mention « JURIET – plénière 2015 ». Il est dans ces circonstances indifférent que le document n’ait, selon l’Ordre, été distribué lors de cette assemblée qu’en version papier et qu’il n’ait pas été partagé sur l’espace collaboratif en ligne des conseillers du CNOA, comme il serait l’usage.  

221.La mention, dans le compte-rendu de réunion adressé le 18 avril 2016 aux différents CROA, selon laquelle les travaux du comité technique se poursuivraient « une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale » est également dépourvue de portée utile, compte tenu du caractère très général de cette indication et de l’absence de toute référence spécifique à la plainte type.  

222.Il s’en déduit que l’Autorité a considéré de façon fondée qu’il s’agit d’un document définitif qui a été « présenté et distribué » aux CROA lors de l’assemblée plénière du 26 et 27 novembre 2015.

2. S’agissant du contenu du modèle de saisine de la chambre de discipline

223.Le modèle de saisine propose aux CROA de se référer, pour apprécier l’éventuelle sous-estimation des honoraires par l’architecte poursuivi, deux méthodes de calcul préétablies, celles du guide de la MIQCP d’une part, et la méthode de calcul du prix horaire de l’agence d’architecture établie par le CNOA « en prenant la rémunération la plus basse soit pour un architecte débutant (...), la prestation doit être facturée au minimum à 55 euros HT/heure (montant calculé en 2001 et non réactualisé) », d’autre part.

224.Ce modèle de saisine comprend, à l’issue d’une première partie relative au calcul des honoraires en application du guide de la MIQCP, la mention : « le taux pratiqué par Mme/ M.... est donc significativement inférieur de... à celui indiqué dans le guide. De toute évidence, Mme/ M. ... ne pouvait établir une offre à .... % sans sous-évaluer les prestations à fournir ». La partie qui suit, relative au calcul des honoraires à partir de la méthode de calcul au prix horaire établie par le CNOA, se termine par : « Mme/ M.. a ainsi, de manière trompeuse, manifestement sous-évalué au regard des opérations projetées et des prestations à fournir ». Il s’en déduit que par ces deux propositions alternatives, le modèle de saisine concourt à faciliter la saisine des chambres de discipline lorsqu’un architecte ou une société d’architecture ne respecte pas un barème prédéterminé.

225.Le modèle de saisine insiste enfin, de manière appuyée, ainsi qu’il ressort des extraits mentionnés au paragraphe 246 de la décision attaquée, sur la précarité et la paupérisation de toute la profession lorsque les honoraires ne sont pas fixés à un niveau suffisant et l’importance de ce type d’action. Il parait postuler d’un lien de causalité systématique entre la faiblesse des honoraires et la dégradation de la qualité de la prestation fournie, les CROA étant expressément invités à inclure dans leur plainte des informations sur l’exécution de la mission « afin de démontrer que cette absence de qualité est bien la conséquence directe de la rémunération volontairement sous-évaluée ». Étant destiné à faciliter la saisine des chambres disciplinaires par les CROA lorsque des prestations d’architecte ne respectent pas un barème d’honoraires prédéterminé, la diffusion de ce modèle de saisine constitue également une restriction de concurrence par objet.

226.Il s’en déduit que l’Ordre ne peut utilement contester le caractère anticoncurrentiel de cette pratique.

3. S’agissant de ses effets concurrentiels

227.La décision attaquée considère de façon pertinente, en son paragraphe 393, que dans la mesure où le modèle de saisine s’appuie sur des méthodes de prix prédéterminés, la diffusion de ce dernier a manifestement des effets potentiels anticoncurrentiels importants. En effet, le modèle invite à considérer qu’un honoraire en deçà du prix déterminé est constitutif d’une infraction aux règles déontologiques sur la concurrence déloyale.

228.Aux termes du compte rendu de réunion précité, le modèle de saisine fait partie des « outils juridiques visant à la sécurisation de procédures disciplinaires que les CROA envisagent d’engager contre des confrères » mis à la disposition des CROA. Ce document avait donc, par nature, vocation à être utilisé par les CROA en vue de la saisine des chambres disciplinaires, de sorte que la circonstance qu’il n’est pas démontré que des tiers en aient eu communication est sans incidence.

229.Il ressort de ce qui précède que le recours formé contre ce grief, relatif à une pratique mise en oeuvre au plan national, doit être rejeté.

F. Sur la durée des pratiques reprochées à l’Ordre

230.L’Ordre conteste la durée des pratiques retenue pour l’ensemble des griefs. S’agissant de la pratique mise en oeuvre au plan national, il considère qu’elle a en tout état de cause pris fin le 18 avril 2016, date du compte rendu de l’assemblée plénière du 26 et 27 novembre 2015 mentionnant que le « COTECH poursuivra ses travaux, une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale ». S’agissant des pratiques mises en oeuvre au sein des quatre conseils régionaux, il n’estime qu’aucune des mesures reprochées n’a été prise après les auditions de ses représentants en avril 2016, ce qui marquerait la fin des pratiques.

231.L’Autorité, le ministre de l’économie et le ministère public soulignent en réponse que les principes applicables au calcul de la durée de pratiques anticoncurrentielles ont été rappelés aux paragraphes 457 à 460 de la décision attaquée. Ils se réfèrent notamment à la décision de la Commission européenne COMP/A .38549 Ordre des architectes belge (point 111) qui a qualifié de pratique continue la mise à disposition d’un barème d’honoraires minima par un ordre à ses membres et qui a, pour dater la cessation de l’infraction, pris pour référence la fin de la mise à disposition dudit barème, d’une part, et l’adoption des mesures de communication correctives nécessaires, d’autre part.

232.Ils font valoir que l’Ordre n’a fourni aucun élément de nature à établir que les consignes relatives aux honoraires et à la saisine des chambres régionales de discipline en cas de non-respect auraient été retirées ou amendées, notamment par de nouvelles mesures de communication rectifiant la position de l’Ordre.

Sur ce, la Cour :

233.Le TPUE a, dans l’arrêt T-213/00 CMACGM du 19 mars 2003, rappelé que, pour calculer la durée d’une infraction dont l’objet est restrictif de concurrence, il convient « uniquement de déterminer la durée pendant laquelle cet accord a existé, à savoir la période s’étant écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin ».

234.Une pratique anti-concurrentielle revêt « un caractère continu lorsque l’état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou la persistance de la volonté anticoncurrentielle après l’acte initial sans qu’un acte matériel ait nécessairement à le renouveler dans le temps » (Com, 15 mars 2011, pourvoi n°09-17055).

235.En l’espèce, et en premier lieu, il convient de rappeler que les éléments de la procédure et les développements qui précèdent ont établi que les pratiques litigieuses avaient débuté : – pour le grief n°1, concernant la région Hauts-de-France, à la date de diffusion de la lettre d’information n°30 en septembre 2013 ; – pour le grief n°2, concernant la région Centre-Val de Loire, à la date de diffusion de la revue Flash info en juin 2014 ;  – pour le grief n°3, concernant la région Occitanie, à la date de diffusion de la lettre du président du CROA le 10 septembre 2014 ; – pour le grief n°4, concernant la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, à la date de diffusion de la lettre circulaire du 4 novembre 2014 ; Cour d’appel de Paris ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2020 Pôle 5 - Chambre 7 N° RG 19/18632 N° Portalis 35L7-V-B7D-CAX6Z 36ème page – pour le grief n°5, de dimension nationale, à la date de présentation du document comprenant un modèle de saisine de la chambre de discipline des CROA lors de l’assemblée plénière de 27 novembre 2015. 236.Il convient d’ajouter qu’il n’est pas fait mention, contrairement à ce qui est avancé par l’Ordre, d’une « suspension » des travaux du comité technique dans le compte rendu de l’assemblée plénière du 26 et 27 novembre 2015 adressé le 18 avril 2016 aux CROA, soit le jour de l’opération simultanée en région de trois services d’enquête.  237.Ainsi qu’il a déjà été exposé au 221 du présent arrêt, la mention dans ce compte-rendu selon laquelle les travaux du comité technique se poursuivraient « une fois tirées les conclusions par la DIRECCTE des actions menées par les CROA en matière de concurrence déloyale » présente un caractère très général, étant observé par ailleurs que l’ordre du jour de la réunion est ainsi rédigé :  « 14 h COTECH Concurrence déloyale – Retour DIRECCTE fin novembre / Communication aux régions – Actions à proposer aux CROAs – Présentation de la plainte type » (cote 1112), les sous-thématiques étant en conséquence clairement dissociées.

238.Cette indication, à supposer même qu’il faille l’interpréter comme établissant la suspension des travaux du comité technique, n’est pas de nature à démontrer que l’Ordre a mis fin à la pratique litigieuse cinq mois plus tard en informant les CROA que cette plainte type ne devait plus être utilisée.

239.Les pièces du dossier établissent que les consignes relatives aux honoraires et celles données en vue de la saisine des chambres régionales de discipline en cas de non-respect constituaient le corpus en vigueur au sein de l’Ordre des architectes depuis leur diffusion.

240.Ainsi que le souligne la décision attaquée, au paragraphe 224, il a notamment été mentionné lors de la réunion d’un CROA que la « Présidente nationale, [C.J.], a expressément demandé à ce qu’il [le mini guide] remplace toutes les autres publications existantes des CROA de manière à ne pas brouiller les messages et parler d’une seule voix ».

241.Les différentes saisines des chambres régionale de discipline, les contrôles d’honoraires pratiqués, les lettres d’avertissement adressées à certains architectes, les interventions auprès de maîtres d’ouvrage publics, notamment par des envois recommandés concernant des offres qualifiées d’anormalement basses, et la mise en place de la commission « marchés publics-offres anormalement basses », sont autant d’éléments, précisément datés et décrits dans la décision attaquée et échelonnés dans le temps, qui attestent également du fait que les pratiques se sont poursuivies au-delà de la diffusion des consignes litigieuses qui n’ont pas été des actes isolés et ponctuels.  

242.Au demeurant, et ainsi que le relève l’Autorité au paragraphe 463 de la décision attaquée, parmi les procédures disciplinaires litigieuses, certaines ont été menées à leur terme malgré le début de l’instruction et n’ont abouti qu’en 2016 (cotes 10252 à 10264).  

243.Il s’en suit qu’à défaut d’élément établissant que les consignes relatives aux honoraires et au modèle type de saisine ont été retirées ou que de nouvelles consignes visant à ne plus les utiliser ont été diffusées auprès des membres et au sein des différents CROA, l’Autorité a justement considéré que les pratiques visées aux griefs 1 à 5 n’avaient toujours pas pris fin au jour de la publication de la décision attaquée.

244.En second lieu, il est indifférent, au regard du calcul de la durée de la pratique, que les CROA concernés n’aient plus engagé de procédures disciplinaires pour non-respect des consignes tarifaires, dès lors qu’il vient d’être démontré que ces consignes sont, en l’absence d’amendement ou de distanciation publique, restées en vigueur.  

245.Il s’en suit que le moyen ne peut être accueilli. Cour d’appel de Paris ARRÊT DU 15 OCTOBRE 2020

246.La décision attaquée a retenu que M. Rouanet avait participé à la mise en oeuvre de la décision d’association d’entreprises visée par le grief n°4, pour la durée indiquée au paragraphe 466.

247.M. Rouanet conteste avoir participé à une pratique anticoncurrentielle. Il estime que l’Autorité s’est fondée sur un postulat erroné consistant à considérer tout échange entre un architecte et son Ordre sur les pratiques tarifaires d’un confrère comme constitutif d’une entente anticoncurrentielle. Il souligne, notamment, l’absence de prise en compte par l’Autorité du manque de transparence des marchés à procédure adaptée et le risque, partant, de mise en place de procédures d’éviction de concurrents susceptibles de recevoir une qualification pénale. Se qualifiant de « lanceur d’alerte », il soutient ne pas avoir participé à un contrôle des honoraires mais à la dénonciation d’une pratique illicite survenue lors de l’attribution d’un marché public, consistant, pour l’architecte attributaire, à avoir négocié, hors de tout cadre légal, une augmentation de ses honoraires (dont le taux s’est élevé à 6,65 % alors qu’il avait été fixé, à l’issue de la procédure d’attribution du marché, à 5,50 %).

248.L’Autorité estime que ces arguments sont dépourvus de pertinence. Elle souligne que la décision critiquée constate tout d’abord l’existence d’une pratique anticoncurrentielle mise en oeuvre par l’Ordre, consistant en la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires renforcée par un contrôle actif du montant des honoraires pratiqués par ses membres. La décision constate ensuite l’adhésion de certains architectes à ces pratiques, concrétisée par leurs saisines visant le montant d’honoraires pratiqués par leurs confrères attributaires de marchés de maîtrise d’oeuvre pour lesquels eux-mêmes avaient, vainement, concouru. Elle démontre enfin, sur le plan factuel, l’adhésion volontaire et personnelle de M. Rouanet aux pratiques.

249.Le ministre de l’économie ajoute que, de fait, le courrier du 12 février 2015 de M. Rouanet au CROA à la suite de la lettre circulaire de novembre 2014 manifeste clairement son adhésion à la pratique et vise explicitement à la dénonciation des offres réputées anormalement basses, dénoncées comme un « fléau » de la profession.

250.Le ministère public estime lui aussi qu’il a déjà, aux paragraphes 395 à 404 de la décision attaquée, été répondu, en droit, au moyen soulevé, les critères permettant de retenir la participation individuelle des membres d’un organisme professionnel à une pratique anticoncurrentielle mise en oeuvre par cet organisme ayant été parfaitement présentés.

Sur ce, la Cour :

251.Il convient tout d’abord de rappeler que M. Rouanet, en sa qualité d’architecte à Marseille, a été destinataire de la lettre circulaire du 4 novembre 2014 adressée par le CROA PACA à tous ses membres, intitulée « [l]es offres anormalement basses de maîtrise d’oeuvre », par laquelle ce CROA, après avoir constaté que la conjugaison du développement des marchés à procédure adaptée, de la liberté de négociation des honoraires introduite par l’ordonnance du 1er décembre 1986 et de l’usage trop rare de l’article 55 du code des marchés publics relatif aux OAB « rend[aient] l’exercice plus difficile chaque jour », en a déduit devoir « revaloriser notre profession par des actions internes » et a invité par conséquent chaque architecte :  « à revoir tes pratiques pour :  – Utiliser la grille indicative du “Guide à l’intention des rémunérations de maîtrise d’oeuvre élaboré par la Mission Interministérielle pour la Qualité des Constructions Publiques (MIQCP) qui met à la disposition des Maîtres d’Ouvrage et des architectes un simulateur d’honoraires très performant : (…)  – Indiquer, « en annexe » de tes offres, le taux de rémunération conseillé par la MIQCP (pédagogie vis-à-vis des maîtres d’ouvrage) ».

252.Comme la cour l’a déjà évoqué, un amalgame a été fait dans cette diffusion entre l’application de ces consignes tarifaires et le respect de l’article 18 du code des devoirs professionnels, dont le contenu a été immédiatement reproduit « à toutes fins utiles » dans la lettre circulaire. Cette lettre a également indiqué à ses destinataires que « Dans le souci d’oeuvrer à juguler l’hémorragie, nous t’informons des dispositions suivantes votées en Conseil :  – Tous les confrères suspectés de déroger à l’article 18 du code des devoirs professionnels seront convoqués devant un collège d’architectes composé d’élus du Conseil de l’Ordre ;  – Une enquête interne sera diligentée par le collège. En cas de récidive et en vertu de l’article 18 du code des devoirs professionnels, l’architecte sera traduit en chambre de discipline. Cette action ordinale sera menée en coordination avec le Syntec pour cadrer conjointement les offres des bureaux d’études partenaires ».

253.C’est dans ce contexte que M. Rouanet, qui avait saisi le CROA PACA d’une plainte dénonçant les conditions d’attribution d’un marché de maîtrise d’ouvrage publique par lettre du 15 octobre 2014, a, par une lettre adressée le 12 février 2015, relancé le CROA en soulignant le niveau d’honoraires de l’offre retenue « à 5, 5 % d’honoraires pour un montant de travaux de 1 550 000 euros H.T. ».  

254.Prenant appui sur la lettre circulaire de novembre 2014 dont il ne s’est distancié sur aucun point, M. Rouanet a indiqué « comme tu l’indiquais dans ton courrier du 7 novembre qui a retenu toute mon attention, ce type d’offre mène à sa perte l’activité de l’architecte qui la pratique mais aussi toute la profession et je me réjouis de la volonté du Conseil de “juguler l’hémorragie” » (cote 5339).

255.Il convient d’ajouter que M. Rouanet était vice-président du CNOA à la date des faits et que lors de son audition, dont des extraits sont reproduits au paragraphe 220 de la décision attaquée, il a indiqué que le CNOA a participé à « l’élaboration du simulateur des honoraires élaboré par la MIQCP qui s’inspire de son guide à destination des maîtres d’ouvrages. Ce simulateur a intégré les méthodes de calcul issues du guide de 1994 et a été actualisé en 2011 » (cote 1259) et également contribué à sa diffusion auprès des architectes et des maîtres d’ouvrage publics, notamment en publiant un mini-guide sur le même sujet.

256.M. Rouanet était ainsi particulièrement averti du contenu des recommandations diffusées au niveau régional, étant souligné que le CNOA coordonne l’action des CROA et contribue à leur information conformément aux articles 24 et 25 de la loi n° 77-2 précitée.

257.La cour, qui ne conteste pas le droit d'un architecte à saisir la chambre de discipline d'un différend avec un de ses confrères, considère que, dans le contexte rappelé ci-dessus, la lettre de M. Rouanet en date du 12 février 2015 qui réitère sa saisine, se prévaut des termes de la lettre circulaire pour appuyer sa plainte et réclame des informations « sur les décisions prises à ce sujet » caractérise son adhésion personnelle à la police des prix mise en oeuvre par le CROA PACA sur la base d'une méthode de calcul d'honoraires prédéfinie, étant observé que la régularité de l'offre dénoncée par M. Rouanet a été examinée par le CROA au regard de son montant jugé trop faible par référence au montant calculé en utilisant le simulateur d'honoraires consultable sur le site de la MIQCP, comme l'établit la cote 5335.

258.Le moyen ne peut donc être accueilli.

IV. SUR LA SANCTION INFLIGÉE À L’ORDRE

A. Sur la méthode de détermination de la sanction

259.L’Ordre reproche à l’Autorité de s’être écartée de la méthode décrite dans son communiqué du 16 mai 2011(ci-après « le communiqué-sanction ») au profit d’une méthode forfaitaire (§ 473-478) par des motifs insuffisants à justifier ce choix, lequel ne permet pas de vérifier le caractère proportionné de la sanction.  

260.Il fait valoir que les motifs, qui sont limités à l’absence de revenus propres de l’Ordre et à l’existence d’une grande disparité entre les différents opérateurs mis en cause, ne sont pas suffisants au regard : – d’une part, de la pratique décisionnelle ayant consisté à appliquer le communiqué- sanction et retenir le montant des cotisations des membres de la profession comme assiette du montant de base de la sanction et invoque à ce titre la décision n°13-D-14 ayant sanctionné un conseil régional de l’ordre des vétérinaires et deux syndicats professionnels ; – d’autre part, de l’absence de tout élément expliquant la disparité retenue et en quoi elle serait de nature à écarter la méthode habituelle.

261.S’agissant de la proportionnalité de la sanction, l’Ordre soutient que les motifs de la décision ne permettent pas de déterminer quelle situation financière a été prise en compte par l’Autorité pour s’assurer du caractère proportionné de la sanction. Il expose que si dans ses Observations (§244), l’Autorité indique avoir « tenu compte des ressources propres de l’Ordre dans le calcul du montant de la sanction », en évoquant « les cotisations professionnelles des quatre CROA réunies et du CNOA en 2016 », d’un montant de 8,271 millions d’euros tout en précisant que ce montant n’est « pas représentatif des capacités financières de l’Ordre, dès lors qu’il ne comprend pas les ressources des treize autres CROA », ces indications ne peuvent remédier aux insuffisances de motivation de la décision. Il soutient que ces indications sont tout à fait imprécises dès lors que si l’Autorité évoque les ressources des organismes impliqués dans la mise en œuvre des pratiques sanctionnées (le CNOA et quatre CROA réunis) elle indique ensuite avoir pris en compte « les ressources propres de l’Ordre », le montant indiqué de 8,271 millions d’euros de cotisations étant, selon elle, « manifestement sous-évalué » (§244). En dehors du fait que l’Autorité oublie que les treize CROA en question ont fait l’objet d’une enquête par les services de la DGCCRF, enquête au terme de laquelle il a été considéré qu’aucune preuve de pratique anticoncurrentielle n’avait été mis en évidence (Annexe n°51), ce montant global ne permet pas de distinguer le montant des cotisations perçues par le CNOA de celles perçues par les CROA, ni donc d’apprécier la proportionnalité de la sanction au regard de chacun des cinq griefs retenus.  

262.M. Rouanet fait valoir que l’Autorité, au paragraphe 80 de ses observations, a indiqué que le fait que l’Ordre ne dispose pas d’un patrimoine ou de moyens financiers propres est indifférent à l’appréciation de sa capacité à se voir infliger une sanction puisque l’Ordre a « la possibilité (…) de répercuter le cas échéant le montant de la sanction sur ses adhérents par une cotisation exceptionnelle, dans le respect de la capacité financière de ses derniers » en se fondant sur une décision de la cour dans une affaire mettant en cause un GIE, alors d’une part, que sa situation personnelle montre les difficultés rencontrées par les professionnels en situation de précarité, et d’autre part, que l’organisation d’un GIE n’en n’est en rien comparable à un ordre professionnel tel que l’Ordre des architectes auquel l’adhésion est une obligation pour pouvoir exercer, et enfin, qu’une telle analyse, outre qu’elle constitue une injustice à l’égard de chacun des architectes adhérents qui se verrait individuellement sanctionné du fait des prétendus agissements de l’Ordre, reviendrait à consacrer un principe de responsabilité solidaire de chacun des professionnels dépendant d’un ordre professionnel du fait des agissements de celui-ci et un principe de double sanction pour M. Rouanet.

263.L’Autorité fait valoir en réponse, s’agissant du défaut supposé de motivation, que les paragraphes 473 à 478 de la décision contestée développent l’ensemble des raisons ayant conduit à faire application de l’exception prévue au paragraphe 7 du communiqué sanctions. Il a ainsi été relevé que la méthode habituelle de calcul n’était pas adaptée aux caractéristiques intrinsèques des pratiques en cause, notamment, du fait que (i) l’une des parties en cause était un ordre professionnel dépourvu de chiffre d’affaires ou de valeur des ventes, (ii) qu’il existait une grande disparité entre les opérateurs mis en cause, rendant l’application d’une méthode de calcul uniforme inappropriée et (iii) que la diffusion des méthodes de calcul des prix avait pu faire naître une confusion chez les architectes quant à l’étendue de leurs obligations déontologiques en la matière.

264.L’Autorité observe que dans la décision n°13-D-14 du 11 juin 2013 citée par l’Ordre, le paragraphe 163 rappelle que les organismes en cause ont la possibilité, au-delà de leurs ressources immédiatement disponibles, de faire appel à leurs membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de leur sanction pécuniaire et qu’elle a, dans cette espèce, prononcé des sanctions qui représentaient, respectivement, 80 %, 417 % et 75% des capacités financières des organismes sanctionnés, s’écartant ainsi largement de la méthode de calcul applicable aux entreprises.  

265.Elle fait valoir qu’elle a, en l’espèce, bien tenu compte des ressources propres de l’Ordre dans le calcul du montant de la sanction, dès lors que selon les éléments de nature financière qui figurant au dossier, les cotisations professionnelles des quatre CROA réunis et du CNOA en 2016 s’élevaient à 8,271 millions d’euros, et qu’au demeurant, ce montant n’est pas représentatif des capacités financières totales de l’Ordre dès lors qu’il ne comprend pas les ressources des treize autres CROA, le montant de leurs cotisations annuelles ne figurant pas au dossier, et est, partant, manifestement sous-évalué.  

266.Elle souligne enfin, à titre de référence complémentaire, que le chiffre d’affaires pour les activités d’architecture et d’ingénierie s’est élevé en 2016 à 51 604 millions d’euros. 267.La ministre de l’économie et le ministère public approuvent la démarche de l’Autorité, qui s’est écartée du communiqué sanctions et estiment qu’elle a tenu compte des ressources de l’Ordre dans le calcul du montant de la sanction ainsi que de sa capacité d’appel de ses membres pour faire face au paiement, de sorte que le montant de la sanction ne saurait être considéré comme disproportionné.

Sur ce, la Cour :

268.Le troisième alinéa de l’article L.464-2 I du code de commerce prévoit que « [l]es sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées (...). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

269.L’Autorité applique les critères légaux selon les modalités décrites dans son communiqué sanction du 16 mai 2011, « sauf à ce qu’elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas donné » (point 7).

270.En l’espèce, elle a, aux paragraphes 473 et suivants, justifié son choix de s’écarter de la méthodologie générale eu égard aux caractéristiques intrinsèques des pratiques en cause et de la nature des entités mises en cause.

271.En premier lieu, elle a justement pris en compte le fait que les organismes représentatifs d’une profession qui se bornent à représenter les intérêts de leurs membres actifs sur le ou les marchés concernés, ne disposent pas d’un chiffre d’affaires ou d’une valeur des ventes en relation avec le produit ou le service concerné par les pratiques, et qu’en l’espèce, l’Ordre ne réalise pas de chiffres d’affaire correspondant à des prestations de maîtrise d’oeuvre dans le secteur des marchés publics.

272.En deuxième lieu, elle a constaté à juste titre la grande disparité existante entre les différents opérateurs mis en cause et fait ressortir la disproportion qui résulterait d’une application mathématique de son communiqué, déconnectée de l’implication propre à chacun. C’est ainsi que, de façon pertinente, elle a relevé l’incidence de trois circonstances : le statut des mis en cause, leur rôle au sein du secteur concerné et leur poids économique respectif. En effet, les pratiques en cause ont été imputées à des entités de nature différente : un ordre professionnel, une association régie par la loi de 1901, des architectes et des sociétés d’architecture. Les architectes poursuivis qui incluent des personnes physiques exerçant à titre individuel comme des personnes morales comptant plusieurs salariés, présentent ainsi des structures et des chiffres d’affaires très disparates. Ainsi, si certaines sociétés d’architecture comptent plusieurs salariés et réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 500 000 euros, d’autres architectes, à leur compte, réalisent un chiffre d’affaires annuel inférieur à 20 000 euros.

273.L’Autorité ayant ainsi justifié son choix de s’écarter de la méthodologie générale par la grande disparité des situations en cause et le constat de l’absence d’un chiffre d’affaires propre, puisqu’un ordre professionnel n’exerce pas d’activité commerciale, le moyen tiré d’un défaut de motivation n’est pas fondé.

274.La circonstance qu’elle a choisi, dans une autre affaire impliquant un ordre professionnel comme dans la décision n° 13-D-14, d’appliquer le communiqué-sanction en retenant notamment le montant des cotisations comme assiette du montant de base, ne lui interdisait pas d’écarter cette méthode dès lors qu’il lui apparaissait qu’elle n’était pas appropriée au cas d’espèce et qu’elle en a justifié, comme il vient de l’être démontré.

275.La cour constate que pour proportionner la sanction au regard de la situation de l’Ordre, et plus particulièrement de ses capacités contributives, l’Autorité a d’abord retenu qu’un organisme professionnel qui serait sanctionné, dans le respect des plafonds légaux, au-delà de ses ressources immédiatement disponibles a la possibilité de faire appel à ses membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de la sanction pécuniaire qui lui est infligée et qu’il résultait d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constantes que lorsque l’infraction au droit de la concurrence mise en oeuvre par un organisme professionnel porte sur les activités de ses membres, il convient de prendre en compte les capacités économiques de ceux-ci. Elle a également précisé qu’à défaut, des comportements anticoncurrentiels ayant un impact significatif sur le marché pourraient ne pas être sanctionnés à un niveau suffisamment dissuasif, en se référant notamment à sa décision n° 10-D-11 du 24 mars 2010 relative à des pratiques mises en oeuvre par le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) concernant le renouvellement des lunettes de vue (paragraphe 109).  

276.Elle a ensuite retenu, au paragraphe 511 de la décision attaquée, que l’Ordre dispose d’une autonomie financière et qu’il n’est pas contesté que le CNOA et le CROA, qui ont la possibilité d’émettre des appels à cotisation, sont des composantes de l’Ordre de sorte que ce dernier, pourra donc, par leur biais, s’acquitter de la sanction pécuniaire infligée.

277.Ce faisant, elle s’est limitée à rappeler la nécessité de prononcer une sanction ayant un effet dissuasif et, à relever que l’Ordre aura la possibilité de faire face à la sanction prononcée, qu’elle a fixée à 1 500 000 euros, en faisant appel le cas échéant à ses membres, sans aucune appréciation concrète.

278.De tels motifs ne permettent pas d’établir la proportionnalité de la sanction au sens de l’article L.464-2, I, alinéa 3 du code de commerce en l’absence de toute précision concernant le niveau de ressources dont dispose l’Ordre.

279.La décision doit être annulée de ce chef.

280.Il appartient à la cour de statuer à nouveau, en vertu de l’effet dévolutif du recours.

281.S’agissant du niveau de ressources de l’Ordre, l’Autorité a indiqué, devant la cour, au vu des éléments figurant au dossier, que le montant des cotisations professionnelles cumulées perçues par les quatre CROA impliqués dans les pratiques et le CNOA s’élevait à 8,271 millions d’euros en 2016 et que cette estimation ne prenait pas en compte la totalité des cotisations versées par les autres CROA. Ce chiffre correspond donc au montant total des cotisations versées par les architectes inscrits aux tableaux régionaux des quatre CROA impliqués dans les pratiques, et à la partie des cotisations versées par l’ensemble des architectes, tous CROA confondus, destinée aux dépenses de fonctionnement du CNOA.

282.Cette estimation n’est pas contestée par l’Ordre, qui n’invoque aucun élément de nature à démontrer une diminution sensible du montant de ses ressources depuis 2016, ni aucune charge particulière venant les obérer.

283.En outre, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les ressources des CROA impliqués dans les pratiques et celles du CNOA, dès lors que : – d’une part, CNOA et CROA composent l’Ordre, dont ils sont des démembrements ; – d’autre part, les pratiques mises en oeuvre au niveau national et régional engagent la responsabilité de l’Ordre dans les mêmes conditions.  

284.Par ailleurs, les cotisations professionnelles de ses membres, dont il fixe le montant et assure le recouvrement par l’intermédiaire du CNOA, en application de l’article 36 du décret n°77-1481, constituent bien des ressources, étant destinées à faire face aux dépenses nécessaires à leur fonctionnement.

285.La cour constate ainsi que l’Ordre dispose de ressources de l’ordre de 8 721 000 euros au minimum –dès lors que cette estimation ne couvre que les ressources provenant des cotisations des quatre CROA impliqués et non la totalité des cotisations versées au sein des dix-sept CROA qui le composent – pour un Ordre qui compte environ 30 000 membres, de sorte que la sanction de 1 500 000 euros infligée au titre des cinq griefs retenus n’est pas disproportionnée.

286.Enfin, il convient de rappeler que la décision qui inflige à l’Ordre une sanction pécuniaire ne permet aucune action en recouvrement du Trésor auprès des membres de la profession en cas de défaillance du débiteur. Par suite, M. Rouanet n’est pas fondé à soutenir que la faculté ouverte à l’Ordre de répercuter le poids de cette sanction sur ses membres au moyen d’une cotisation exceptionnelle, simplement envisagée par l’Autorité pour apprécier les capacités contributives de l’Ordre, instaurerait un mécanisme de responsabilité solidaire.  

287.Par ailleurs, le niveau des ressources précité n’établissant pas la nécessité de recourir à un appel de cotisation exceptionnel pour faire face au paiement de cette sanction, la critique de M. Rouanet relative à l’existence d’une double sanction pour ceux qui, comme lui ont été sanctionnés à titre personnel, est sans objet.

288.Les moyens doivent être rejetés.

B. sur la gravité des pratiques reprochées à l’Ordre  

289.L’Ordre reproche à l’Autorité de ne pas avoir procédé à une appréciation concrète de la gravité des pratiques en omettant de tenir compte du fait que très peu de procédures pré-disciplinaires ont abouti à des poursuites disciplinaires et que sur les trois engagées, seules deux ont abouti à des sanctions, et ce non en raison du niveau d’honoraires demandés mais du caractère irrégulier de leur offre qui ne contenaient pas certaines prestations obligatoires.  

290.Il conteste par ailleurs la pertinence des facteurs de gravité retenus dans la décision attaquée : confusion entre les obligations déontologiques liées à la concurrence déloyale et l’interdiction des OAB, conscience de la nature anti concurrentielle des pratiques, en faisant valoir que contrairement à ce que prétend l’Autorité, il n’a jamais soutenu que l’article 18 du code de déontologie lui donnait le pouvoir de procéder à un contrôle des prix, au sens où elle l’entend, c’est-à-dire avec la volonté d’imposer un niveau de prix aux architectes.  

291.Le ministre de l’économie et le ministère public sollicitent le rejet du moyen en se référant aux arguments retenus aux paragraphes 479 à 488 de la décision critiquée.

Sur ce, la Cour :

292.En premier lieu, il convient de rappeler que les pratiques en cause portent sur la diffusion par une organisation professionnelle des honoraires devant être pratiqués par les architectes dans le cadre des marchés publics de maîtrise d’oeuvre alors que les honoraires des architectes, comme les procédures relatives à l’attribution des marchés publics, sont soumis au principe de libre concurrence. 

293.Or il est constant, en droit de la concurrence, que toutes les pratiques qui ont vocation à influer sur les prix pratiqués par des entités concurrentes sont d’une indéniable gravité, en particulier lorsqu’elles sont mises en oeuvre par une organisation professionnelle.

294.De plus, en l’espèce, les consignes de prix diffusées par l’Ordre ont été renforcées par un contrôle des honoraires mis en oeuvre par les différents CROA tant auprès de leurs membres que des maîtres d’ouvrage public. L’Ordre a, en effet, systématisé les procédures pré-disciplinaires et disciplinaires fondées sur le montant des honoraires proposés par ses membres ainsi que les interventions auprès des commanditaires, en vue de contester des contrats en cours ou des contrats prévisionnels pour lesquels la rémunération de la maîtrise d’oeuvre était inférieure aux barèmes élaborés et diffusés par l’Ordre. Le fait que la plupart des procédures pré-disciplinaires et disciplinaires engagées par l’Ordre ont, in fine, abouti à la mise hors de cause des membres poursuivis est sans incidence sur le caractère illégitime et la sophistication d’un tel contrôle et, partant, sur la gravité des pratiques.

295.En outre, la gravité ressort de la circonstance que les pratiques ont affecté des collectivités territoriales engageant des deniers publics. Ces collectivités, souvent de taille modeste, ont, de surcroît, des capacités d’investissement limitées et évoluent dans un contexte budgétaire marqué par une forte dégradation.

296.Enfin, comme l’Autorité l’a justement démontré, aux paragraphes 486 et 487 de la décision attaquée, il ressort de certains documents que l’Ordre avait parfaitement connaissance des règles du droit de la concurrence et, notamment, du principe de liberté des prix énoncées au livre IV du code de commerce intitulé « de la liberté des prix et de la concurrence » et plus spécifiquement à l’article L.410-2 du code de commerce, au respect duquel il doit veiller. En présentant le barème d’honoraires issu du guide MICQP comme une référence appropriée du montant des honoraires à respecter pour lutter contre les OAB, il ne pouvait ignorer que ce faisant, il imposait aux membres de la profession un prix minimum de leurs honoraires et portait ainsi atteinte au principe de la liberté du prix de ces prestations comme à la mise en concurrence exigée par les marchés publics. Les opérateurs économiques sont, en toute hypothèse, réputés avoir connaissance des règles de droit applicables à leur activité, et ce d’autant plus lorsqu’ils sont chargés de veiller au respect des règles déontologiques d’une profession.

297.En second lieu, et pour les motifs déjà exposés à l’occasion de l’examen des pratiques, l’Ordre ne peut utilement contester avoir entretenu une confusion entre les obligations déontologiques et le respect des dispositions du code des marchés publics liées à l’interdiction des OAB et s’être appuyé à tort sur l’obligation de respect des règles relatives aux OAB, pour tenter d’imposer la méthode de calcul d’honoraires du guide de la MIQCP. Cette circonstance est pertinente dans le cadre de l’appréciation de la gravité de la pratique, compte tenu du rôle et du statut de l’Ordre en cause.

298.Enfin, le fait que ces consignes n’ont pas été systématiquement respectées par les membres de l’Ordre n’est pas de nature à atténuer la gravité de tels agissements.

299.C’est donc de façon pertinente, après examen de la nature de l’infraction, des conditions de sa mise en oeuvre et des circonstances qui lui sont propres que la décision attaquée a retenu que les pratiques sont d’une particulière gravité.  

300.Il y a lieu en conséquence de rejeter le moyen.

C. Sur le dommage à l’économie

301.L’Ordre conteste l’appréciation du dommage à l’économie et les effets des pratiques considérées. Il soutient que le chiffre d’affaires susceptible d’avoir été affecté par les pratiques a été surestimé par l’Autorité. Il conteste les autres éléments pris en compte. Il estime que la réalité du dommage devrait conduire à faire une évaluation plus modérée.

1. Sur le chiffre d’affaires susceptible d’avoir été affecté par les pratiques

302.L’Ordre reproche à l’Autorité d’avoir surestimé, à hauteur de 500 à 550 %, le chiffre d’affaires susceptible d’avoir été affecté par les pratiques sanctionnées.  

303.En premier lieu, il fait valoir que la méthode de calcul utilisée devrait être rectifiée puisque, selon lui, seuls les marchés passés selon une procédure adaptée (dits marchés « MAPA »), qui ne représenteraient que 45 % des dossiers de marchés publics passés en 2013 et 2014 et 20 % s’agissant de ceux passés en 2015, sont concernés par les pratiques. Par ailleurs, selon l’Ordre, seuls 90 % des architectes exercent la maîtrise d’oeuvre

304.L’Ordre estime en second lieu que le chiffre d’affaires susceptible d’avoir été affecté par les pratiques s’élèverait à 270 millions d’euros au niveau national (et non à 1,39 milliard d’euros, ce qui correspond à l’ensemble des marchés de maîtrise d’ouvrage public et non les seuls MAPA) et à 49 millions d’euros pour les quatre régions concernées par les griefs n°1 à 4 (au lieu de 270 millions d’euros si toutes les modalités de passation de marché sont retenues).

305.L’Autorité réplique que les données chiffrées sur lesquelles elle s’est appuyée sont pertinentes et soutient que l’Ordre sous-estime largement l’ampleur du marché concerné par les pratiques.  

306.Elle observe que la sanction pécuniaire de 1,5 million d’euros prononcée ne représente qu’un surcoût de l’ordre de 0,7 % à l’échelle régionale et de 0,2 % à l’échelle nationale, et ce alors même que les pratiques tarifaires à l’origine des actions du CNOA et des CROA étaient considérées par l’Ordre comme des « offres bradées » ou à des « taux d’honoraires très faibles » (paragraphe 49 de la décision attaquée), du « dumping » (paragraphes 50, 101, 123, 133) ou concernaient des marchés de maîtrise d’oeuvre régulièrement passés à des honoraires inférieurs de 30 à 40 % à ceux considérés comme normaux (paragraphe 63). Elle en déduit que le surcoût induit par les pratiques – entendu comme la différence entre le montant des honoraires qui ne respectaient pas le barème élaboré et diffusé par l’Ordre et le montant de ceux prescrits par ce barème – est nécessairement plus important.

307.Le ministre chargé de l’économie considère que le chiffre d’affaires annuel susceptible d’être affecté par les pratiques a été identifié de façon adéquate, tout comme l’impact économique sur les collectivités publiques et le surcoût généré.

308.Le ministère public se réfère au paragraphe 498 de la décision attaquée, en ce qu’il a été retenu de façon justifiée un dommage certain à l’économie, compte tenu de l’ensemble des éléments recueillis, tels que détaillés aux paragraphes 489 à 497.

Sur ce, la Cour :

309.S’agissant en premier lieu des éléments chiffrés retenus, il doit être constaté que, contrairement à ce que soutient l’Ordre à l’appui de son recours, les pratiques n’ont pas uniquement concerné des procédures adaptées dites « MAPA ».

310.Les griefs notifiés visent les prestations d’architecte accomplies dans le cadre de la passation des marchés publics de la maîtrise d’ouvrage sans se limiter aux marchés « MAPA » et il a notamment été établi, ainsi qu’il ressort de la partie III : – que les consignes de prix diffusées par l’Ordre ne s’adressaient pas uniquement aux architectes participant à des procédures adaptées mais à l’ensemble de la maîtrise d’oeuvre dans la commande publique ; – que le guide de la MIQCP et le « Mini-guide des marchés publics : bien choisir l’architecte et son équipe » mis à disposition par le CNOA avaient vocation à être utilisés dans l’ensemble des procédures de commande publique de maîtrise d’ouvrage ; – que le modèle-type de saisine élaboré au niveau national ne visait pas un type de procédure de passation de marchés en particulier.

311.Il peut également être observé que certaines procédures disciplinaires engagées par l’Ordre concernaient des marchés de maîtrise d’ouvrage passés à l’issue d’un jury de concours. Ainsi, par exemple, la procédure engagée par le CROA Hauts-de-France à l’encontre de la société Lemay-Toulouse concernait un marché initialement passé selon la procédure adaptée, finalement abandonnée au profit d’un jury de concours classique (cotes 4436 et 4437).

312.En outre, le pourcentage des procédures dites « MAPA », tel qu’il ressort de l’article cité par l’Ordre dans ses écritures, ne peut utilement contredire les données chiffrées fournies par le CNOA lui-même (cote 1260) de laquelle il ressort notamment qu’en matière de commande publique, « les MAPA (…) représentent 80 % de la commande architecturale ».

313.Enfin, la circonstance que, selon l’Ordre, seuls 90 % des architectes exercent la maîtrise d’oeuvre ne saurait minorer l’appréciation du montant total des prestations potentiellement affectées par la pratique. En effet, les travaux issus de la commande publique représentent un tiers du montant total des travaux déclarés par les architectes (cote 3384). Cette proportion globale est plus pertinente, pour mesurer l’importance des prestations de maîtrise d’oeuvre qu’une appréciation fondée sur le nombre d’architectes exerçant la maîtrise d’oeuvre En effet, si certains architectes ne font peu ou pas de maîtrise d’oeuvre d’autres y consacrent, à l’inverse, une part plus importante que le tiers de leur activité.

314.En second lieu, il doit être constaté que même en se fondant sur les données présentées par l’Ordre, le surcoût imposé aux maîtres d’ouvrage du fait du barème imposé a pu être globalement important.

315.Les estimations de l’Ordre, qui se rapportent exclusivement à l’année 2013, sont trop incomplètes pour remettre en cause l’analyse développée dans la décision attaquée. Comme l’observe l’Autorité à juste titre, il faudrait, pour réaliser une évaluation complète, multiplier ce chiffre par la durée des pratiques, soit a minima quatre années et demi, de début 2015 à septembre 2019, dans le cas des pratiques régionales et trois années et demi, de début 2016 à septembre 2019, dans le cas de la pratique nationale. Un tel calcul aboutirait à un montant de 220 millions d’euros à l’échelle régionale et de 945 millions d’euros à l’échelle nationale.  

316.Dès lors, compte tenu de l’importance de ces chiffres d’affaires et de la durée des pratiques, même un effet marginal des pratiques sur le niveau de commission des architectes a pu engendrer un surcoût significatif.

317.Le moyen n’est pas fondé.

2. Sur les autres éléments pris en compte pour évaluer l’ampleur du dommage à l’économie

318.S’agissant de l’ampleur de l’infraction, l’Ordre allègue qu’aucun élément au dossier ne permet de démontrer que le modèle de saisine de la chambre de discipline a été effectivement utilisé, si bien que la pratique reprochée au titre du grief n° 5 n’a pu selon lui avoir d’effet. En outre, la diffusion d’une méthode de calcul des honoraires n’équivaudrait pas à l’élaboration et à la diffusion d’un barème de prix, dès lors que ladite méthode était fondée sur des éléments de coûts propres, différents pour chaque architecte.

319.S’agissant des conséquences conjoncturelles des pratiques, l’Ordre soutient que les appels d’offres mentionnés par la décision pour attester de la remise en cause ou de l’abandon de marchés auraient en réalité été abandonnés pour des raisons indépendantes des pratiques sanctionnées.

320.L’Autorité fait valoir en réponse qu’à supposer que des tarifs différenciés selon les niveaux de coûts des opérateurs pouvaient effectivement être pratiqués, la méthode de calcul mise en cause a bien pu empêcher des opérateurs de pratiquer des tarifs inférieurs à ceux prescrits, comme en attestent les exemples qui figurent dans la décision (voir, par exemple, les paragraphes 361 et suivants de la décision critiquée).

321.Elle relève en outre l’Ordre ne conteste pas le contenu de la lettre d’information n° 16 d’avril 2012 du CROA Hauts-de-France qui reproduit notamment le « compte-rendu de la commission Observatoire des procédures et de la commande publique », indiquant que « suite à une action du CROA, la SIA (organisme HLM à Douai) va résilier un accord cadre, et ce du fait du dumping des honoraires. Ayant été invitée à transmettre la liste des candidats ainsi que leur taux d’honoraires, les architectes ayant répondu à un taux inférieur à 5,5 % seront invités au CROA » (voir le paragraphe 53 de la décision et la cote 6457). L’Autorité en déduit que cet accord a été résilié à la suite de l’intervention de l’Ordre en raison du montant d’honoraires proposés par l’architecte.

322.Le ministre chargé de l’économie et le ministère public estiment que la décision critiquée présente une approche complète et documentée de l’importance du dommage à l’économie. Sur ce, la Cour :

323.Il doit être observé, à titre préliminaire, que l’Ordre ne critique pas la motivation retenue dans la décision attaquée relative aux caractéristiques économiques de l’activité concernée issue de la loi n°77-7 précitée, qui impose à tout maître d’ouvrage de commande public désirant entreprendre des travaux soumis à autorisation de construire à faire appel à un architecte. Il a été à ce titre justement relevé que cette obligation restreignait les alternatives possibles du côté de la demande.  

324.La décision attaquée relève en outre de façon pertinente, au paragraphe 497, que la méthode de calcul d’honoraires diffusée n’a pas été systématiquement appliquée et qu’il convient également d’en tenir compte.

325.S’agissant de l’ampleur de l’infraction, il doit être constaté que la simple diffusion du modèle de saisine type de la chambre de discipline a eu un effet disciplinant sur les montants d’honoraires pratiqués. En effet, ce modèle permettait la mise en place, au sein de l’ensemble des CROA, d’un contrôle systématique et harmonisé du montant des honoraires pratiqués par les architectes dans le cadre des marchés de maîtrise d’ouvrage et les incitait à présumer de leur irrégularité dès lors que ces honoraires ne s’alignaient pas sur les méthodes de calcul préconisées.

326.En outre, ainsi que l’a justement retenu la décision attaquée cette méthode de calcul ne prend pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise puisqu’elle propose des coefficients et des taux de repère préétablis pour estimer le coût prévisionnel d’une maîtrise d’oeuvre comme le fait justement observer l’Autorité dans ses écritures, l’Ordre ne peut comparer, sur ce point, la présente affaire à celle ayant donné lieu à la décision n° 00-D-23 du 31 mai 2000 relative à des pratiques en matière d’honoraires mises en oeuvre par le barreau de Bonneville, dans laquelle celui-ci incitait ses membres à ne pas fixer leur rémunération à un niveau « inférieur[e] au coût économique de son intervention » sans préciser toutefois les taux devant être appliqués.

327.En particulier, à supposer même que la méthode de calcul prenne en compte différents niveaux de coûts des architectes, il ne saurait être considéré, comme le soutient l’Ordre, que les niveaux de tarifs pratiqués par des opérateurs doivent uniquement être fondés sur leur niveau de coûts. En effet, le niveau des taux que souhaiterait pratiquer un architecte peut dépendre de nombreux autres facteurs. Des opérateurs qui auraient le même niveau de coût moyen peuvent notamment pratiquer des taux inférieurs en tenant compte du nombre de missions confiées pour se bâtir une réputation, rentabiliser des coûts fixes ou acquérir de l’expérience.

328.S’agissant des conséquences conjoncturelles des pratiques, il y a lieu d’observer que, si l’abandon de certains marchés ont pu, dans certaines hypothèses, s’expliquer par des raisons extérieures aux pratiques, ces décisions ont néanmoins toujours été précédées d’interventions de l’Ordre menaçant les collectivités de contentieux en cas d’aboutissement de ces procédures.

329.C’est donc à juste titre, après avoir pris en compte aux paragraphes 490 à 497 l’ampleur de l’infraction, les caractéristiques économiques des activités concernées et les conséquences conjoncturelles des pratiques, que la décision attaquée a retenu qu’un dommage certain avait été causé à l’économie en empêchant le libre jeu de la concurrence de s’exercer à l’occasion de la fixation des tarifs pratiqués par les architectes.

330.Le moyen doit donc être rejeté.

D. Sur l’individualisation de la sanction

331.La décision attaquée a retenu que l’Ordre a joué un rôle d’incitateur dans la mesure où il a initié et promu la pratique en cause et ce alors qu’il dispose d’une autorité morale indéniable, aussi bien auprès de ses membres qu’auprès des maîtres d’ouvrage public, compte tenu de sa mission de service public et de représentation de la profession.

332.L’Ordre expose avoir simplement répondu aux souhaits exprimés par la majorité de ses membres pour éviter des offres déloyales et ajoute que les mesures mises en oeuvre l’ont été dans le cadre de sa mission de service public et en particulier, afin de veiller au respect, par ses membres, des textes gouvernant la profession d’architecte.

333.L’Ordre demande à ce qu’il soit tenu compte, de surcroît, de deux circonstances atténuantes.  

334.Il considère que les pouvoirs publics étant à l’origine de la méthode visée, les CROA et le CNOA ont légitimement pu penser qu’il leur était possible de la reprendre intégralement. Il souligne aussi que les pratiques en cause ont été mises en oeuvre de manière concomitante à des initiatives des pouvoirs publics en vue de lutter contre les OAB. Il fait enfin valoir que l’administration avait connaissance des décisions reprochées aux CROA, notamment en raison de la présence fréquente du commissaire du Gouvernement, lui-même architecte de formation, représentant le ministère de la culture, lors des conseils des CROA et du CNOA et de la notification à leur attention de toutes les décisions des chambres régionales de discipline.

335.Il fait valoir en outre que le code de déontologie des architectes est issu d’un décret ancien qui n’a pas fait l’objet d’actualisation. Il considère en particulier, que les dispositions de l’article 18 de ce code, relatives à la concurrence déloyale, sont ambiguës en ce qu’elles permettent des pratiques contraires au principe de libre détermination des prix.

336.L’Autorité observe en réponse que la circonstance aggravante résultant de l’autorité morale de la personne en cause a été retenue à plusieurs reprises à l’encontre d’organismes représentatifs. C’est précisément parce que l’Ordre est investi d’une mission de service public et de représentation de la profession que la mise en oeuvre des pratiques litigieuses a eu un impact d’autant plus important.

337.Elle relève aussi que le code de déontologie des architectes impose un standard de preuve élevé pour qualifier des actes de concurrence déloyale. En effet, selon son article 18, il convient de caractériser une « tentative d'appropriation ou de détournement de clientèle par la pratique de sous-évaluation trompeuse des opérations projetées et des prestations à fournir ». L’Autorité observe de surcroît que ces dispositions n’ont qu’une valeur réglementaire. L’Ordre, qui a l’initiative des procédures disciplinaires qui peuvent être fondées sur ce texte, ne peut en proposer qu’une interprétation conforme à la loi.  

338.Elle estime, par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’Ordre dans ses écritures, dans la décision n°12-D-26 du 20 décembre 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production, de la commercialisation, de l’installation et de la maintenance des extincteurs, il n’était pas question de la participation de certains représentants des pouvoirs publics à certaines séances, comme en l’espèce, mais d’un cadre juridique national créant des barrières à l’entrée d’un marché qui étaient renforcées par les agissements de l’opérateur poursuivi.

339.Le ministre de l’économie et le ministère public sollicitent le rejet du moyen en se référant aux arguments retenus aux paragraphes 499 à 502 de la décision attaquée.  

340.Le Ministère public observe qu’il ressort d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence constante que le fait que des pratiques anticoncurrentielles aient été approuvées ou encouragées par les pouvoirs publics n’est pas suffisant pour exonérer les entreprises mises en cause de leur responsabilité.  

Sur ce, la Cour :

341.Compte tenu du rôle institutionnel dévolu à l’Ordre des architectes, qui, en application de la loi n° 77-02 précitée, est « consulté par les pouvoirs publics sur toutes les questions intéressant la profession » (article 25) et a « qualité pour agir sur toute question relative aux modalités d'exercice de la profession » (article 26), missions qui impliquent une particulière vigilance sur le respect des lois et des règlements, c’est à juste titre que la décision attaquée a retenu une circonstance aggravante liée au rôle et au statut de l’Ordre.

342.Le fait que les pratiques en cause répondent à la volonté de certains de ses membres, fussent-ils nombreux, n’est pas de nature à justifier ou atténuer leur caractère illicite

343.Il convient de rappeler, en outre, que les pratiques litigieuses excèdent manifestement la mission de service public impartie.

344.S’agissant du bénéfice d’une circonstance atténuante, et ainsi qu’il a déjà été exposé, l’Ordre a fait un usage irrégulier du guide de la MIQCP en mettant en avant, notamment, le fait qu’il provenait des pouvoirs publics, pour imposer à ses membres une grille de calcul des honoraires. Or, il ne pouvait ignorer que ce document était destiné à assister les maîtres d’ouvrage public dans la négociation des marchés de maîtrise d’oeuvre et n’avait pas vocation à imposer ou à recommander le montant des honoraires des architectes. Il est également constant que les pouvoirs publics n’ont pas rendu l’application de ce guide obligatoire, ni jamais contraint ceux auxquels il était destiné à les respecter.

345.Le code de déontologie des architectes n’impose pas à l’Ordre de contrôler les honoraires non conformes à la méthode de calcul préconisée par le guide de la MIQCP. Son article 18 relatif à la concurrence déloyale ne saurait justifier que l’Ordre diffuse des consignes d’honoraires et mette en oeuvre un contrôle des honoraires pratiqués par ses membres.

346.Si certains faits peuvent constituer à la fois une OAB et une violation de l’article 18 du code de déontologie, l’Ordre n’est pas, pour autant, compétent pour intervenir dans le cadre d’une procédure d’attribution de marché public et apprécier, en lieu et place du pouvoir adjudicateur, l’existence d’OAB ainsi qu’il a été exposé paragraphes 106 et suivants. Ainsi, le fait que les pouvoirs publics prennent des initiatives de lutte contre les OAB ne saurait constituer une circonstance atténuante, ni justifier les pratiques litigieuses.

347.Par ailleurs, l’Ordre ne pouvait ignorer que la lutte menée par les pouvoirs publics contre les OAB ne pouvait justifier conduire à l’imposition d’une méthode de calcul des honoraires à ses membres. À cet égard, plusieurs témoignages, versés au dossier, de membres du CROA PACA concernant l’issue d’une réunion avec les pouvoirs publics font état de ce que « [p]our l’instant, le préfet des Alpes-Maritimes ne reconnaît pas la grille de la MIQCP, il faut que nous trouvions l’argumentaire pour répondre » (séance officielle du conseil régional du 10 octobre 2014, cote 7497) puis « le préfet a répondu par une fin de non-recevoir » (note du 20 février 2015). Cette prise de distance par un représentant de l’Etat suffisait à l’alerter et aurait dû le conduire à limiter ses interventions au champ de ses compétences.

348.Enfin, comme il déjà été observé au paragraphe 296, il doit être relevé que l’Ordre ne pouvait ignorer que ses agissements étaient contraires au droit de la concurrence.

349.Ce moyen sera donc rejeté.

350.Il se déduit de l’ensemble de ces développements que la sanction de 1 500 000 euros, qui n’excède pas le plafond légal fixé à 3 millions, est proportionnée tant à la gravité de l’infraction et à l’importance son dommage à l’économie, qu’aux capacités contributives de l’Ordre.

V. SUR LES AUTRES DEMANDES

351.L’Ordre succombant au principal, il n’y a pas lieu de faire droit aux demandes de mesures de publication, ni de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’Ordre.

352.Succombant en ses prétentions, M. Rouanet ne peut prétendre à l’allocation d’une indemnité au titre de ses frais irrépétibles. Sa demande sera donc rejetée. 353.Il convient de condamner l’Ordre et M. Rouanet, parties succombantes, aux dépens.

PAR CES MOTIFS

REJETTE le recours formé par M. Rouanet ;

ANNULE la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 de l’Autorité de la concurrence relatives à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des prestations d’architecte, mais seulement en ce qu’elle a infligé une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l’Ordre des architectes ; Statuant à nouveau sur ce point : PRONONCE une sanction pécuniaire de 1 500 000 euros à l’Ordre des architectes au titre des pratiques visées aux articles 1er à 5 de la décision précitée ; REJETTE pour le surplus les autres moyens en annulation et réformation présentés par l’Ordre des architectes ;

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE l’Ordre des architectes et M. Rouanet aux dépens.