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Décisions

TUE, 7e ch., 23 septembre 2020, n° T-64/20

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Ordonnance

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Deutsche Telekom AG

Défendeur :

Commission européenne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. van der Woude

Avocats :

M. von Köckritz, M. Soltész, M. Wirtz

TUE n° T-64/20

23 septembre 2020

LE PRÉSIDENT DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1 Le 19 octobre 2018, la Commission européenne a reçu notification, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004 L 24, p. 1), d’un projet de concentration par lequel Vodafone Group Plc avait l’intention d’acquérir, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du même règlement, le contrôle exclusif des activités de télécommunications de Liberty Global Plc en République tchèque, en Allemagne, en Hongrie et en Roumanie. L’opération consistait en un contrat d’achat et de vente par lequel Vodafone avait prévu d’acquérir 100 % des actions des sociétés qui exercent les activités de télécommunications de Liberty Global concernées (ci-après l’« opération notifiée »).

2 Le 18 juillet 2019, la Commission a, en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, adopté la décision C (2019) 5187 final déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE l’opération notifiée (affaire COMP/M.8864 — Vodafone/Certain Liberty Global Assets) (ci-après la « décision attaquée »).

3 Dans la décision attaquée, la Commission a, dans un premier temps, apprécié les effets probables de l’opération notifiée.

4 À cet égard, d’une part, elle a considéré que l’opération notifiée entraverait de manière significative la concurrence effective sur le marché de la fourniture au détail de services d’accès à l’internet fixe en Allemagne en raison d’effets horizontaux non coordonnés. La Commission a également considéré que ces constatations s’appliquaient au marché de la fourniture au détail d’offres groupées « dual-play » de services d’accès à l’internet fixe et de téléphonie fixe en Allemagne en raison d’un important chevauchement entre les deux marchés.

5 D’autre part, la Commission a estimé que l’opération notifiée entraverait de manière significative la concurrence effective sur le marché de la fourniture en gros de services de transmission de signaux de télévision en Allemagne en raison d’effets non coordonnés liés notamment à un accroissement de pouvoir de marché de l’entité issue de l’opération notifiée.

6 Enfin, elle a considéré que l’opération notifiée ne soulevait pas de problèmes de concurrence sur les autres marchés affectés par celle-ci.

7 Dans un second temps, la Commission a considéré que les engagements souscrits par Vodafone étaient aptes à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE. Elle en a déduit que l’opération notifiée, telle que modifiée à la suite des engagements offerts par Vodafone, n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective sur les marchés sur lesquels des problèmes de concurrence avaient été identifiés.

8 C’est ainsi que l’article 1er de la décision attaquée énonce que l’opération notifiée est compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004 et de l’article 57 de l’accord EEE. Par ailleurs, les articles 2 et 3 de cette même décision prévoient respectivement des conditions et des charges afin d’assurer que Vodafone se conformera aux engagements que cette dernière a souscrits à l’égard de la Commission.

 Procédure

9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 février 2020, la requérante, Deutsche Telekom AG, a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.

10 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 mai 2020, Telefónica Germany GmbH & Co. OHG a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

11 Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

12 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 14 juillet 2020, la requérante s’est opposée à la demande d’intervention de Telefónica Germany.

13 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 20 juillet 2020, la Commission a informé le Tribunal qu’elle réservait un bon accueil à la demande d’intervention et que Telefónica Germany avait un intérêt évident à la solution du litige.

14 Les parties principales ont demandé que, conformément à l’article 144, paragraphes 5 et 7, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à Telefónica Germany et ont produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des actes de procédure en question.

 En droit

15 Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir audit litige.

16 Selon une jurisprudence constante, la notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir [voir ordonnance du président de la Cour du 6 octobre 2015, Metalleftiki kai Metallourgiki Etairia Larymnis Larko/Commission, C‑362/15 P(I), EU:C:2015:682, point 6 et jurisprudence citée].

17 À cet égard, il convient, notamment, de vérifier que la demanderesse en intervention est touchée directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain. En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention [voir ordonnance du président de la Cour du 6 octobre 2015, Metalleftiki kai Metallourgiki Etairia Larymnis Larko/Commission, C‑362/15 P(I), EU:C:2015:682, point 7 et jurisprudence citée].

18 En l’espèce, premièrement, la demanderesse en intervention explique que, comme cela ressort du considérant 1849 de la décision attaquée, elle est le preneur, dans le cadre d’un règlement préalable à l’adoption de la décision attaquée, de l’engagement de fourniture en gros d’un accès câblé à haut débit offert par Vodafone (ci-après l’« engagement WCBA »). Selon la demanderesse en intervention, cet engagement consiste en un accord conclu entre elle et Vodafone par lequel cette dernière lui fournira, en gros, un accès câblé à haut débit et lui permettra d’offrir, au détail, des services d’accès à l’internet fixe, des services de téléphonie fixe et des services de télévision hors offre du fournisseur d’accès à l’internet (« over the top » ou « OTT »). La demanderesse en intervention ajoute que la Commission a conclu, d’une part, que l’engagement WCBA était suffisant pour éliminer les problèmes de concurrence liés à la fourniture au détail de services d’accès à l’internet fixe et d’offres groupées « dual-play » de services d’accès à l’internet fixe et de téléphonie fixe et, d’autre part, que cet engagement avait contribué à l’élimination des problèmes de concurrence identifiés sur le marché de la fourniture en gros de services de transmission de signaux de télévision en Allemagne.

19 Deuxièmement, elle explique qu’elle a participé activement à l’examen, par la Commission, de l’opération notifiée et qu’elle a fourni des informations détaillées, entre autres, en réponse au test de marché effectué par la Commission.

20 Ainsi, dans la mesure où la requérante remettrait en cause l’appréciation de la Commission quant à l’aptitude de l’engagement WCBA et de la demanderesse en intervention à résoudre les problèmes de concurrence sur les marchés de la fourniture au détail de services d’accès à l’internet fixe et d’offres groupées « dual-play » en Allemagne, ainsi que sur le marché de la fourniture en gros de services de transmission de signaux de télévision en Allemagne, cette dernière aurait un intérêt légitime à la solution du litige.

21 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, toute personne peut intervenir devant les juridictions de l’Union européenne si elle « peu[t] justifier » d’un intérêt à la solution du litige soumis à l’une d’entre elles.

22 Conformément à l’article 143, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, la demande d’intervention doit contenir l’exposé des circonstances établissant le droit d’intervenir lorsque la demande est présentée en vertu de l’article 40, deuxième ou troisième alinéa, du statut.

23 Selon une jurisprudence constante, il incombe en principe à la personne qui allègue des faits au soutien d’une demande d’apporter la preuve de leur réalité [ordonnance du vice-président de la Cour du 21 juin 2016, Bundesverband der Pharmazeutischen Industrie/Allergopharma, C‑157/16 P(I), non publiée, EU:C:2016:476, point 19 et jurisprudence citée].

24 Rien dans le libellé même de l’article 143, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure ne permet de considérer qu’une demande d’intervention au titre de l’article 40, deuxième et troisième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne est soumise à une charge de la preuve allégée par rapport au principe selon lequel il appartient à la personne qui allègue des faits au soutien d’une demande d’apporter la preuve de leur réalité [voir ordonnance du vice-président de la Cour du 21 juin 2016, Bundesverband der Pharmazeutischen Industrie/Allergopharma, C‑157/16 P(I), non publiée, EU:C:2016:476, point 20].

25 En l’espèce, il est vrai que la demanderesse en intervention est l’opérateur identifié dans l’engagement WCBA souscrit par Vodafone, en application d’une mesure corrective de type « règlement préalable » (« fix-it-first remedy »). Il est également constant que Vodafone a conclu un contrat avec la demanderesse en intervention afin de respecter l’engagement WCBA (ci-après le « contrat d’accès »).

26 Toutefois, en premier lieu, il convient de relever que, comme cela ressort de l’article 4 de la décision attaquée, seule Vodafone est destinataire de cette décision. La circonstance que la demanderesse en intervention y est mentionnée en tant que l’opérateur préalablement identifié dans l’engagement WCBA souscrit par Vodafone ne permet pas de la considérer comme destinataire de ladite décision.

27 En deuxième lieu, il importe de souligner que l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004 prévoit que la Commission peut assortir sa décision de conditions et de charges destinées à assurer que les entreprises concernées, en l’espèce Vodafone, se conforment aux engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché intérieur.

28 Par ailleurs, ainsi que cela ressort de l’article 2 de la décision attaquée, la déclaration de compatibilité de l’opération de concentration qui figure à l’article 1er de cette même décision est soumise à des conditions. De plus, à l’article 3 de la décision attaquée, la Commission a imposé des charges à Vodafone.

29 Ces conditions et ces charges sont mentionnées dans le texte des engagements annexé à ladite décision. Dans le préambule du texte des engagements, il est indiqué que, en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, Vodafone a souscrit des engagements « vis-à-vis de la Commission européenne » dans le but de rendre l’opération de concentration compatible avec le marché intérieur.

30 Ainsi, les conditions et charges mentionnées dans la décision attaquée, et notamment l’engagement WCBA, sont contraignantes à l’égard de Vodafone et concernent les rapports juridiques entre cette dernière et la Commission.

31 Or, la demanderesse en intervention ne démontre pas, par des références à la décision attaquée et au texte des engagements qui en font partie intégrante, que les conditions et les charges énoncées dans ladite décision produisent, sur sa situation, des effets différents des effets qui résultent du contrat d’accès ou bien des effets additionnels par rapport aux effets qui résultent dudit contrat. Par voie de conséquence, la demanderesse en intervention ne démontre pas davantage qu’une annulation de la décision attaquée aurait des conséquences sur sa position juridique.

32 En troisième lieu, la demanderesse en intervention n’allègue pas et, a fortiori, ne démontre pas qu’une annulation de la décision attaquée entraînerait la disparition de l’obligation de Vodafone, prévue par le contrat d’accès, de lui fournir en gros un accès câblé à haut débit.

33 D’une part, comme le fait valoir à juste titre la requérante, rien dans la demande d’intervention ne suggère que le contrat conclu entre Vodafone et la demanderesse en intervention est conditionné à la validité de la décision attaquée. En effet, dans sa demande en intervention, Telefónica Germany n’invoque pas l’existence d’une telle clause contractuelle et a fortiori ne produit aucune preuve en ce sens.

34 D’autre part, il ne ressort pas de la décision attaquée et du texte des engagements qui en font partie intégrante, que le contrat d’accès contient une condition qui prévoirait l’extinction automatique des obligations respectives des parties à ce contrat, dans l’hypothèse où le Tribunal annulerait la décision attaquée.

35 Enfin, et plus généralement, il y a lieu de relever que, dans sa demande d’intervention, la demanderesse en intervention n’allègue pas que le contrat d’accès serait affecté par une annulation de la décision attaquée. Par exemple, la demanderesse en intervention ne soutient pas que la Commission aurait le pouvoir de remettre en cause le contrat d’accès ou d’obliger les parties à ce contrat à le résilier.

36 Dès lors, la demanderesse en intervention, qui s’est limitée à expliquer qu’elle était l’opérateur préalablement identifié dans l’engagement WCBA, qu’elle a conclu un contrat d’accès avec Vodafone et que ledit engagement était de nature à remédier en tout ou en partie aux problèmes de concurrence identifiés par la Commission, n’a pas démontré qu’une annulation de la décision attaquée produirait des effets juridiques directement sur elle ou sur ledit contrat d’accès.

37 Compte tenu de ce qui précède, il convient de constater que la demanderesse en intervention n’a pas démontré que sa position juridique serait affectée d’une manière suffisamment directe par une éventuelle annulation de la décision attaquée et qu’elle dispose ainsi d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

38 Cette conclusion n’est pas remise en cause par le fait que la demanderesse en intervention a participé à la procédure administrative.

39 En effet, une telle participation ne suffit pas, en tant que telle, à établir un intérêt à la solution du litige (voir, en ce sens, ordonnances du 7 décembre 2018, Google et Alphabet/Commission, T‑612/17, non publiée, EU:T:2018:982, point 15, du 6 mai 2019, KPN/Commission, T‑691/18, non publiée, EU:T:2019:321, point 28 et du 7 mai 2020, Canon/Commission, T‑609/19, non publiée, EU:T:2020:203, point 24).

40 En outre, la participation de la demanderesse en intervention à la procédure administrative ne permet pas de remédier à l’absence totale, dans la demande d’intervention, d’explications au sujet des conséquences que pourrait avoir une éventuelle annulation de la décision attaquée sur sa situation. En d’autres termes, la participation de la demanderesse en intervention à la procédure administrative n’est pas suffisante pour combler l’absence de justification, par cette dernière, d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.

41 La demande par laquelle Telefónica Germany a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission est donc rejetée.

42 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel de certains éléments du dossier à l’égard de Telefónica Germany (voir point 14 ci-dessus).

 Sur les dépens

43 En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de Telefónica Germany, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande.

44 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’absence de conclusions des parties principales quant aux dépens afférents à la présente demande d’intervention, il convient d’ordonner que les parties principales et la demanderesse en intervention supporteront leurs propres dépens.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DE LA SEPTIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL

ordonne :

1) La demande d’intervention de Telefónica Germany GmbH & Co. OHG est rejetée.

2) Deutsche Telekom AG, la Commission européenne et Telefónica Germany supporteront leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.