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Décisions

Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-23.672

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lafayette conseil (SAS)

Défendeur :

Pharmacie de la Déesse (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Ortscheidt

TGI Lille, du 27 déc. 2017

27 décembre 2017

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de référé, et les productions (Paris, 27 septembre 2018), la société Lafayette conseil (la société Lafayette) est une plate-forme de conseil et d'assistance aux officines de pharmacies adhérentes du réseau éponyme. Le 27 mars 2009, la société Lafayette et la société Pharmacie de la déesse (la pharmacie) ont conclu une convention d'assistance en matière d’achats, permettant à la seconde d’obtenir directement des remises de la part des fournisseurs liés à la première par un contrat de référencement.

2. Soutenant ne pas avoir reçu toutes les remises qui lui auraient été dues au titre de la convention et faisant valoir qu'elle aurait été dans l'impossibilité d’en vérifier elle-même l’application, la pharmacie a assigné la société Lafayette en référé afin d'obtenir la production des accords commerciaux négociés par cette société avec certains fournisseurs.

3. Par une ordonnance du 27 décembre 2017, le président du tribunal de grande instance de Lille a ordonné à la société Lafayette de communiquer à la pharmacie les accords de référencement qu’elle avait conclus entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2016 avec différents fournisseurs.  

4. La société Lafayette a formé appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Paris.

Examen du moyen unique

Enoncé du moyen

5. La société Lafayette fait grief à l'arrêt de déclarer son appel irrecevable, alors :

« 1°) qu’en application des articles D. 442-3 et D. 442-4 du code de commerce, seules les juridictions bénéficiant d’une compétence exclusive pour connaître des litiges relatifs à l’application de l’article L. 442-6 du code de commerce peuvent connaître d’une demande de mesure d’instruction formée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile lorsque le litige en vue duquel la mesure d’instruction est sollicitée est susceptible de relever des dispositions de l’article L. 442-6 du code de commerce (Com. 17 janvier 2018, n° 17-10.360) ; que la cour d’appel de Paris a seule compétence pour connaître en appel des décisions rendues par ces juridictions ; que pour juger qu’elle n’était pas compétente pour connaître de l’appel formé par la société Lafayette à l’encontre de l’ordonnance rendue par le premier président du tribunal de grande instance de Lille, juridiction bénéficiant de la compétence exclusive prévue par les dispositions susvisées, la cour d’appel de Paris a retenu que la société Lafayette ne démontrait pas avoir soulevé devant le juge des référés le moyen de défense tiré de ce que l’exécution des mesures sollicitées serait constitutive d’une entente anticoncurrentielle, que le juge des référés n’avait pas formellement fait application, pour trancher le litige, de l’article L. 442-6 du code de commerce, que la société Lafayette « ne faisait grief d’aucun défaut de motif quant à l’application de texte » et que la société Lafayette n’avait pas demandé au premier président s’il statuait en qualité de juridiction spécialement compétente ; qu’en statuant ainsi cependant qu’il résultait de ses propres constatations que la pharmacie avait formé devant le juge des référés des demandes de mesures d’instruction au visa des articles 145 et 491 du code de procédure civile, 10 du code civil, L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce, en visant donc non seulement les dispositions de fond sanctionnant les pratiques prohibées par l’article L. 442-6 du code de commerce, mais également les règles de compétence exclusive applicables aux litiges soumis aux articles L. 442-6 du code de commerce, ce qui suffisait à établir que le président du tribunal de grande instance de Lille était saisi en sa qualité de juridiction spécialisée et que la demande de mesure d’instruction sur laquelle il avait été invité à statuer se rattachait à une situation litigieuse dans le cadre de laquelle l’application des articles L. 442-6 du code de commerce était envisagée, la cour d’appel a violé les articles L. 442-6, D. 442-3, et D. 442-4 du code de commerce ;

2°) qu’il en est d’autant plus ainsi que la pharmacie indiquait elle-même dans ses écritures d’appel qu’elle avait « visé l’article L. 442-6 du code de commerce » pour cette raison précisément « qu’elle présumait que si des remises et avantages ne lui avaient pas été reversés, les dispositions de cet article pourraient avoir été violées » ; qu’en retenant néanmoins que le litige qui lui était déféré ne se rapportait pas à l’application de cette disposition et qu’il ne relevait pas de sa compétence spéciale, la cour d’appel de Paris a méconnu les termes du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

3°) qu’enfin et en toute hypothèse, la société Lafayette soutenait que la pharmacie ne pouvait tout à la fois indiquer expressément dans ses écritures de première instance qu’elle agissait sur le fondement des articles D. 442-3 et L. 442-6 du code de commerce et soutenir ensuite à hauteur d’appel que ces visas étaient en réalité dépourvus de toute portée, que ces dispositions n’étaient pas dans les débats, et que la société Lafayette avait mal dirigé son appel en saisissant la cour d’appel de Paris sur le fondement de ces mêmes dispositions ; que la société Lafayette faisait valoir qu’en agissant de la sorte, la pharmacie l’avait manifestement induite en erreur et était dès lors irrecevable à soulever l’irrecevabilité de l’appel ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen pris d’une méconnaissance, par la pharmacie, des principes de loyauté procédurale et d’estoppel, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

6. L’arrêt constate que la juridiction de première instance a été saisie sur le fondement des seuls articles 145 et 491 du code de procédure civile, ainsi que 10 et 1993 du code civil, et que la pharmacie a conclu au visa des articles 145 et 491 du code de procédure civile, 10 du code civil et L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce en réponse aux conclusions en défense de la société Lafayette faisant valoir que la communication de pièces sollicitée pourrait constituer une entente prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce.

7. L’arrêt retient ensuite, d’un côté, que le seul visa, par la pharmacie, des articles L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce ne suffit pas à les mettre dans les débats, et, de l’autre, que la défense de la société Lafayette, qui n’a pas maintenu celle se prévalant de l’existence d’une entente, n'a trait qu'aux modalités contestées d'exécution du contrat litigieux et au caractère admissible ou non de la mesure sollicitée dans un contexte concurrentiel, sans préciser en quoi le litige serait relatif à l'application des articles L. 420-1 à L. 420-5 du code de commerce visés par son article L. 420-7 et à celle de l'article L. 442-6 de ce code, qui ne sont pas même cités dans ses conclusions.

8. L’arrêt relève enfin que le premier juge ne s’est pas fondé sur l'application de ces textes, qui n'apparaissent pas dans sa décision, mais sur le seul article 145 du code de procédure civile et sur les dispositions contractuelles permettant à la pharmacie de justifier d'un motif légitime à la communication des contrats conclus par la société Lafayette avec les fournisseurs.  

9. De ces constatations et appréciations, excluant la déloyauté procédurale alléguée par la société Lafayette, la cour d’appel, qui n’était pas saisie par celle-ci d’un moyen d’irrecevabilité de la fin de non-recevoir opposée à son appel, a exactement déduit que le président du tribunal de grande instance de Lille n'était pas saisi d'un litige relatif à l'application des articles L. 420-1, L. 442-6 et D. 442-3 du code de commerce et n'avait pas statué en tant que juridiction spécialement désignée pour en connaître, de sorte que l'appel de l'ordonnance entreprise, formé devant la cour d'appel de Paris, comme étant seule investie du pouvoir de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de ces dispositions, était irrecevable.

10. En conséquence, le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n’est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.