Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 8 octobre 2020, n° 17/19893

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

MHPS Cranes France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Soudry, Mme Lignières

T. com. Paris, du 18 sept. 2017

18 septembre 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société X est une société algérienne spécialisée dans la commercialisation et le service après-vente de matériels et engins de levage et de construction.

La société Terex Cranes France (ci-après Terex France), qui est une filiale du groupe Terex dont la société mère est la société américaine Terex Corporation, a pour activité la fabrication, l'entretien, la réparation, la vente, l'importation et l'exportation de tous matériels pour bâtiments, travaux publics ou autres.

La société Terex France et la société X sont entrées en relations d'affaire au cours de l'année 2005 afin de commercialiser les produits de la première sur le territoire algérien.

Ces relations ont ensuite été formalisées par un contrat dénommé « contrat de prestations d'assistance et conseils » conclu le 15 juin 2008. Ce contrat a été conclu pour une durée d'une année à compter du 1er janvier 2008, renouvelable par tacite reconduction pour une même durée, jusqu'au 31 décembre 2009. Au titre des prestations d'assistance et de conseils, il était prévu que la société X apporte son aide à la société Terex France sur les réglementations applicables sur le territoire algérien, sur les moyens de publicité et de promotion à mettre en oeuvre, dans la prospection, les réponses et le suivi administratif des appels d'offre, sur l'analyse de l'évolution du marché et de la concurrence, dans la commercialisation des matériels et dans le cadre de prestations de services après vente. Il était également prévu que la société X puisse intervenir comme apporteur d'affaires.

Les relations des parties se sont poursuivies au-delà du terme prévu.

Parallèlement, la société X était liée contractuellement à d'autres sociétés du groupe Terex.

Ainsi la société X était liée à la société Demag Mobile Cranes (devenue par la suite Terex Cranes Germany) en vertu d'un contrat d'agent commercial avec exclusivité conclu le 12 juin 2002.

De même, la société X était liée à la société Terex Italia en vertu d'un contrat d'agent commercial avec exclusivité conclu le 1er novembre 2004.

A compter du mois de mars 2011, des négociations ont eu lieu entre les sociétés du groupe Terex et la société X en vue de parvenir à la conclusion d'un nouveau contrat au niveau du groupe.

Lors d'une réunion du 13 septembre 2011, les sociétés du groupe Terex ont indiqué à la société X que pour se mettre en conformité avec la législation américaine et leurs règles internes, les commissions devraient désormais être versées au lieu du siège social de la société contractante.

Le 21 février 2012, la société X a dénoncé le contrat la liant à la société Terex Italia en invoquant la violation de l'exclusivité consentie à son profit.

Par lettre du 11 juillet 2014, les sociétés Terex France et Terex Cranes Germany ont mis un terme à l'ensemble de leurs relations contractuelles avec la société X à compter du 31 décembre 2014 en lui reprochant d'avoir établi deux fausses attestations d'exclusivité.

Par lettre du 25 juillet 2014, la société X a, par l'intermédiaire de son conseil, contesté la résiliation des contrats et le motif allégué.

Par acte 28 mai 2015, la société X a assigné la société Terex France devant le tribunal de commerce de Paris afin de voir sa responsabilité engagée du fait de la rupture brutale partielle, puis totale, de leurs relations commerciales et d'obtenir la réparation des préjudices subis.

Par jugement du 18 septembre 2017, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société X de sa demande au titre d'une rupture brutale partielle en 2012,

- débouté la société X de sa demande au titre d'une rupture brutale totale en 2014,

- débouté la société X de ses demandes au titre d'un gain manqué et d'une perte de chance,

- débouté la société X de sa demande au titre d'un préjudice d'image,

- condamné la société X à payer à la SAS Terex France la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société X aux dépens.

Par déclaration du 27 octobre 2017, la société X a interjeté appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Dans ses dernières conclusions notifiées le 23 septembre 2019, la société X demande à la cour de :

Vu l'article 3 du Règlement Rome I,

Vu l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce (désormais recodifié L. 442-1 II du code de commerce),

Vu les articles 1146 et 1184 du code civil,

Vu l'article 1149 du code civil,

Vu les articles 1984 et suivants du code civil,

Vu les articles 455 et 458 du code de procédure civile et 6 § 1 de la CESDH,

Vu l'article 1147 du code civil,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement entrepris :

En ce qu'il a reconnu que le contrat liant la société Terex France à la société X est un contrat soumis à la loi française ;

En ce qu'il a reconnu que les sociétés Terex France et H. entretiennent une relation commerciale établie depuis l'année 2005 ;

- infirmer le jugement entrepris :

En ce qu'il a refusé de reconnaître que la société Terex Cranes France avait partiellement rompu de manière brutale et abusive, en 2012, la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société X, faute du respect d'un moindre préavis ;

En ce qu'il en ce qu'il a refusé de reconnaître que la société Terex France avait rompu de manière brutale et abusive, en 2014, la relation commerciale qu'elle entretenait avec la société X, faute du respect d'un moindre préavis ;

En ce qu'il a considéré que la société X avait commis une faute suffisamment grave justifiant l'absence de préavis à l'occasion de la rupture ;

En ce qu'il a débouté la société X de sa demande de paiement de la somme de 3 188 668 euros à titre de dommages et intérêts au titre du gain manqué ;

En ce qu'il débouté la société X de sa demande de paiement de la somme de 1 350 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance ;

En ce qu'il débouté la société X de sa demande de paiement de la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice d'atteinte à l'image ;

En ce qu'il a condamné la société X au paiement d'une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire ;

En ce qu'il a condamné la société X aux dépens ;

Et, le réformant,

- dire et juger que la société X a subi une rupture brutale partielle en 2012, imputable à la société Terex France ;

- dire et juger qu'un préavis de 12 mois avant de rompre partiellement leurs relations commerciales avec la société X aurait dû être respecté par la société Terex France ;

En conséquence,

- condamner la société Terex France à payer à la société X la somme de 403 192 euros à titre d'indemnité ;

- dire et juger qu'un préavis de 24 mois avant de rompre totalement leurs relations commerciales avec la société X aurait dû être respecté par la société Terex France ;

En conséquence,

- condamner la société Terex France à payer à la société X la somme de 806 384 euros à titre d'indemnité ;

- dire et juger que la Terex France, du fait de ces ruptures brutales, a causé un préjudice d'atteinte à l'image à la société X ;

En conséquence,

- condamner la société Terex France à payer à la société X une somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'atteinte à l'image subi du fait de la société Terex France ;

- condamner Terex France à payer à la société X une somme de 3 188 668 euros au titre du gain dont elle a été privée du fait fautif de la société Terex France ;

- condamner Terex France à payer à la société X une somme de 1 350 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir son droit à commissions au titre d'appels d'offres proposés en 2013 et 2014 à Terex France qu'elle a subi du fait fautif de la société Terex France ;

- débouter la société Terex France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société Terex France à payer à la société X la somme de 70 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance, outre 30 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- condamner la société Terex Cranes France aux dépens,

- dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

A titre liminaire, la société X soutient que loi française est applicable au litige. Elle fait valoir que dans le cadre d'un litige international, l'action fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce relève de la matière contractuelle au sens du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012. Or elle invoque l'article 1er dudit règlement aux termes duquel le contrat est régi par la loi choisie par les parties. En l'espèce, elle relève que les parties ont choisi l'application de la loi française ainsi qu'il résulte de l'article 17 du contrat conclu le 15 juin 2018. Elle ajoute que si ce contrat stipulait un terme au 31 décembre 2009, il n'en demeure pas moins que les relations entre les parties se sont poursuivies au-delà de ce terme aux mêmes conditions de sorte que ce ledit contrat s'est poursuivi. Elle estime en outre que le litige présente des liens étroits avec la France. Enfin elle se prévaut de la nature de loi de police attachée aux dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce.

A titre subsidiaire, elle fait valoir l'application du droit français par application de la théorie de l'équivalence.

La société X prétend avoir été victime d'une rupture partielle des relations commerciales établies avec la société Terex France à compter du mois d'octobre 2012. Elle précise que cette rupture partielle s'est manifestée par l'interruption des missions qui lui étaient confiées en qualité de représentant de la société Terex France et par l'arrêt du versement des commissions dues à ce titre. Elle prétend que la rupture n'a été que partielle dès lors qu'elle a exercé à compter de 2012 une activité de distributeur de la société Terex France qui lui a été imposée par sa partenaire. Elle estime qu'eu égard à l'ancienneté de 7 années de relations, à la relation d'exclusivité couplée à une obligation de non-concurrence à l'égard de la société Terex France ainsi qu'à la particularité de l'activité exercée, le préavis qui aurait dû être respecté doit être fixé à 12 mois. Elle soutient que cette rupture partielle a été suivie d'une rupture totale en 2014. Elle dément tout manquement de sa part justifiant la rupture des relations. Elle soutient à cet égard que la société Terex France ne peut se prévaloir d'une faute qui aurait été commise dans le cadre des relations l'unissant avec la société Terex Cranes Germany. Elle considère que le préavis qui aurait dû être respecté avant cette rupture totale des relations aurait dû être de 24 mois. Outre le préjudice financier résultant de l'absence de respect d'un préavis suffisant, elle revendique l'indemnisation d'un préjudice du chef des appels d'offres qu'elle avait remportés et qui n'ont pas été suivis par la signature d'un contrat ainsi que du chef d'une perte de chance de remporter des appels d'offres à la suite des refus de candidatures qui lui ont été opposés. Enfin elle estime avoir subi un préjudice d'image du fait des agissements de la société Terex France.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 1er août 2019, la société MHPS Cranes France (anciennement dénommée Terex Cranes France) demande à la cour de :

Vu l'article 4 du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 aux obligations contractuelles,

Vu les articles 11, 59 et 106 du code civil algérien,

Vu l'article 30 du code de commerce algérien,

Vu les articles 1, 2, 8, 25 et 29 du Règlement algérien n° 07/01 du 3 février 2007 relatif aux opérations liées aux transactions courantes avec l'étranger,

Vu l'ordonnance n° 96-22 du 9 juillet 1996 relative à la répression de l'infraction à la législation et à la réglementation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger,

Vu l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce,

Vu l'article 1134 ancien du code civil français,

Vu les articles 12, 699 et 700 du code de procédure civile français,

- dire et juger que le contrat de prestations d'assistance et de conseils en date du 15 juin 2008 n'a été pas été ou reconduit par la volonté expresse des parties au-delà du 31 décembre 2009 et qu'à compter du 1er janvier 2010, les sociétés Terex Cranes France et X ont entretenu des relations commerciales précaires jusqu'à la fin de leurs relations au 31 décembre 2014 en dehors de tout contrat ;

- dire et juger qu'en application des dispositions de l'article 4.1 a) b) et f) du règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 aux obligations contractuelles, le droit algérien est applicable au présent litige et que la société X sera déboutée de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires ;

- dans l'hypothèse où la cour d'appel de Paris considèrerait que le droit français est applicable, dire et juger que les demandes en dommages-intérêts de la société X. au titre de la rupture brutale partielle des relations commerciales en 2012 sont dépourvues de tout fondement, comme l'a jugé le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 septembre 2017 ;

- dire et juger que les demandes en dommages-intérêts de la société X. au titre de la rupture brutale totale des relations commerciales en 2014 sont dépourvues de tout fondement, comme l'a jugé le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 septembre 2017 ;

- dire et juger que les demandes en dommages-intérêts de la société X. au titre du gain manqué, de la perte de chance, ainsi que du préjudice d'image sont dépourvues de tout fondement, comme l'a jugé par le tribunal de commerce de Paris dans son jugement en date du 18 septembre 2017 ;

- débouter par conséquent la société X. de l'ensemble de ses demandes en dommages-intérêts comme mal fondées, tant en application du droit algérien que du droit français ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

- infirmer le jugement rendu le 18 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a déclaré la loi française applicable au litige au lieu du droit algérien ;

- dans l'hypothèse où la cour déclarerait la loi algérienne applicable au litige, débouter la société X. de l'ensemble de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- dans l'hypothèse où la cour déclarerait la loi française applicable au litige, confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 18 septembre 2017 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a débouté la société X. de l'ensemble de ses demandes ;

En toute hypothèse,

- condamner la société X. au paiement de la somme de 70 000 euros à la société MHPS Cranes France SAS au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société X. aux entiers dépens de l'instance d'appel, lesquels pourront être recouvrés directement par la SCP AFG en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

En réponse, la société Terex prétend que le contrat du 15 juin 2008, excluant toute reconduction tacite, a pris fin le 31 décembre 2009 et que les relations poursuivies avec la société X au-delà de cette date ont été informelles et précaires. Dans ces conditions, la société Terex France estime que la société X ne peut se prévaloir ni de la clause d'exclusivité ni de la clause attributive de compétence et de choix de loi prévues au contrat du 15 juin 2008. Elle observe que si elle n'a pas dénié la compétence des juridictions françaises pour connaître du présent litige, c'est uniquement en vertu de l'article 4 du règlement Bruxelles I bis qui prévoit la compétence des juridictions du domicile du défendeur et non en vertu de la clause attributive de compétence stipulée au contrat du 15 juin 2008. En ce qui concerne le droit applicable, elle affirme que le règlement Rome I doit s'appliquer s'agissant d'un nouveau contrat conclu le 1er janvier 2010, soit après l'entrée en vigueur dudit règlement le 17 décembre 2009. Elle estime qu'en l'absence de choix de loi par les parties, l'article 4.1 du règlement Rome I désigne l'application du droit algérien dans le cadre de la résolution du présent litige. Elle affirme que contrairement à ce que soutient l'appelante, l'article 9 dudit règlement n'est pas applicable dès lors que l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce ne peut être qualifié de loi de police. Elle conclut dès lors au rejet des demandes d'indemnisation de la société X en application du droit algérien.

A titre subsidiaire, si la cour devait appliquer le droit français, elle considère que la demande de dommages et intérêts formée à son encontre par la société X ne peut davantage prospérer. Elle soutient en effet que c'est en raison du refus de la société X de se conformer à ses nouvelles règles internes de « compliance », imposant de verser les commissions au lieu du siège de la société cocontractante, que les négociations sur la conclusion d'un nouveau contrat n'ont pas pu aboutir.

En ce qui concerne la rupture partielle invoquée, elle dément avoir tenté d'imposer à la société X une modification substantielle des conditions des relations. Elle observe que dès le début des relations, la société X intervenait soit comme intermédiaire, soit comme distributeur des produits Terex sur le territoire algérien. Elle ajoute que le montant des commissions prévues pour rémunérer la société X en sa qualité d'intermédiaire n'ont pas été modifiées et que le seul changement concernait le lieu de versement desdites commissions. Elle prétend que ce changement, légitime puisqu'il s'agissait d'appliquer ses règles de « compliance », ne revêtait pas un caractère substantiel.

Elle dément encore avoir refusé de signer les appels d'offres transmis par la société X en relevant qu'en tout état de cause, elle n'avait aucune obligation à cet égard.

Enfin elle conteste toute baisse substantielle de l'activité en 2012. Elle fait en effet valoir que le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés par la société Hadaddi en 2012 et 2013 ont été supérieurs à ceux de l'année 2011 et qu'ainsi aucune rupture partielle n'est avérée.

En ce qui concerne la rupture totale invoquée, elle affirme avoir rompu les relations avec la société X en raison de la faute grave commise par cette dernière. Elle prétend que la relation de confiance entretenue entre l'ensemble des sociétés du groupe Terex et la société X a été rompue à la suite des falsifications commises par cette dernière. La société Terex France reproche ainsi à la société X d'avoir falsifié et fait usage de deux attestations d'exclusivité. Elle affirme que le fait qu'elle ait accordé à la société X un préavis de six mois avant la cessation des relations n'est pas de nature à retirer à la faute reprochée son caractère de gravité.

En ce qui concerne l'indemnisation des préjudices allégués, la société Terex France soutient que la société X ne peut réclamer le cumul d'un préavis au titre de la rupture partielle et au titre de la rupture totale, le préavis devant s'apprécier de manière globale. Par ailleurs, elle estime que le délai de six mois observés était suffisant pour permettre à la société X de se réorganiser. Elle dénie toute relation exclusive depuis la fin du contrat du 15 juin 2008 et toute dépendance économique. Elle estime qu'il appartenait à la société X de rechercher d'autres clients à l'expiration de ce contrat. Elle fait valoir qu'il appartient à la société X de rapporter la preuve de la perte financière qu'elle allègue ainsi que de son taux de marge brute, ce qu'elle ne fait pas.

La société Terex France considère qu'aucune indemnisation au titre d'un préjudice résultant d'appels d'offres refusés ne peut être sollicitée alors qu'elle n'avait aucune obligation à cet égard et que la société X est à l'origine du préjudice qu'elle invoque.

Enfin elle dénie le préjudice d'image allégué.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 17 octobre 2019.

MOTIFS

Sur le droit applicable

La société Terex France revendique l'application de la loi algérienne tandis que la société X prétend à l'application de la loi française.

La société Terex France, ayant son siège social en France et la société X ayant son siège social en Algérie, il existe des éléments d'extranéité justifiant la recherche de la règle de conflit de lois applicable.

La société X a introduit une action indemnitaire pour rupture brutale des relations établies avec la société Terex France en se prévalant des relations contractuelles entretenues avec elle.

La société X se plaint plus précisément de l'arrêt des missions qui lui étaient confiées par la société Terex France en qualité de prestataire de services (assistance, conseils et service après-vente) ainsi qu'en qualité d'apporteur d'affaires.

Il sera précisé que l'action en réparation du préjudice lié à la rupture brutale de ces relations commerciales, au regard de la relation contractuelle établie entre les parties, relève, au sens de la Cour de justice de l'Union européenne, de la matière contractuelle.

Par ailleurs, eu égard à la nature des missions confiées à la société X, la loi applicable doit être déterminée, non pas en application de la convention de La Haye sur la loi applicable aux contrats d'intermédiaires et à la représentation conclue le 14 mars 1978 mais en application du règlement CE n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), applicable à partir du 17 décembre 2009, soit en l'espèce, au jour de l'annonce de la rupture intervenue le 11 juillet 2014 ou encore au jour de la rupture partielle des relations alléguée qui serait intervenue le 6 novembre 2012.

Le règlement Rome I pose le principe de la liberté de choix de la loi applicable par les parties en son article 3 et précise, en son article 4, la loi applicable au contrat à défaut de « choix » des parties. Toutefois ces principes ne sont applicables qu'en l'absence de loi de police (article 9).

Il convient donc de rechercher si l'article L. 442-6 I 5° du code commerce est applicable à titre de loi de police et à défaut, de mettre en œuvre la méthode conflictuelle prévue par le règlement Rome I.

L'article 9 du règlement Rome I définit la loi de police comme suit :

« 1. Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement.

2. Les dispositions du présent règlement ne pourront porter atteinte à l'application des lois de police du juge saisi ».

Le considérant 37 du même règlement précise que : « Des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont l'exception d'ordre public et les lois de police. La notion de « lois de police» devrait être distinguée de celle de «dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord» et devrait être interprétée de façon plus restrictive. »

Or les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, quand bien même elles ont, en droit interne, un caractère impératif, contribuent à un intérêt public de moralisation de la vie des affaires et sont susceptibles également de participer au meilleur fonctionnement de la concurrence, visent davantage à la sauvegarde des intérêts privés d'une partie, celle victime d'une rupture brutale de relations commerciales établies, en lui laissant un délai suffisant pour se reconvertir. Dès lors, ces dispositions ne peuvent être regardées comme cruciales pour la sauvegarde de l'organisation économique du pays au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit la loi applicable au contrat.

Il convient en conséquence de déterminer la loi applicable au présent litige par application des règles de conflit de lois résultant du règlement Rome I.

Selon l'article 3§1 du règlement Rome I, « le contrat est régi par la loi choisie par les parties. Le choix est exprès ou résulte de façon certaine des dispositions du contrat ou des circonstances de la cause. Par ce choix, les parties peuvent désigner la loi applicable à la totalité ou à une partie seulement de leur contrat ».

A défaut de choix exercé conformément à l'article 3, l'article 4 prévoit que « la loi applicable au contrat suivant est déterminée comme suit :

a) le contrat de vente de biens est régi par la loi du pays dans lequel le vendeur a sa résidence habituelle ;

b) le contrat de prestation de services est régi par la loi du pays dans lequel le prestataire de services à sa résidence habituelle ;

f) le contrat de distribution est régi par la loi du pays dans lequel le distributeur a sa résidence habituelle ;

2. Lorsque le contrat n'est pas couvert par le paragraphe 1 ou que les éléments du contrat sont couverts par plusieurs des points a) à h) du paragraphe 1, le contrat est régi par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle.

(...)

4. Lorsque la loi applicable ne peut être déterminée sur la base du paragraphe 1 ou 2, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits. »

En l'espèce, la société X se prévaut de l'article 17.3 du contrat conclu avec la société Terex France le 15 juin 2008 qui stipule que : « Le droit français sera seul applicable, et la version française du présent contrat fera seule foi. ». Toutefois la société Terex France prétend que ce contrat n'est pas applicable au litige dès lors qu'il a pris fin le 31 décembre 2009.

L'article 13 dudit contrat précise que :

« 13.1. Le présent contrat prendra effet le 1er JANVIER 2008 ou après avoir obtenu, s'il y a lieu, l'approbation des autorités de chacun des pays concernés, pour expirer le 31 DECEMBRE 2008.

13.2. A défaut de dénonciation par lettre recommandée avec accusé réception par l'une ou l'autre des parties 3 (trois) mois avant le 31 DECEMBRE 2008, il se renouvellera par tacite reconduction pour une durée d'une année (calendrier grégorien), soit selon le calendrier grégorien du 1er Janvier 2009 au le 31 décembre 2009.

13.3. Les parties étant d'accord pour qu'il ne puisse se renouveler tacitement au-delà de cette date, et pour que la dénonciation par une des parties dans les conditions ci-dessus prévues n'ouvre pas droit au profit de l'autre partie, à une indemnité.

13.4. Les parties conviennent qu'après le 31 décembre 2009, la poursuite de leurs relations est subordonnée à la négociation d'un nouveau contrat.

Par ailleurs, l'article 15 du même contrat stipule que

« 15.1 A la fin du contrat, pour quelque cause que ce soit, la SARL H. sera tenu de restituer à TEREX-PPM tous les moyens de publicité et autres documents portant la marque de TEREX-PPM. La SARL X devra supprimer tout élément pouvant faire croire à la poursuite de ses relations avec TEREX-PPM.

15.2. Les dispositions du présent article, de même que toutes relations d'affaires quelconques après la résiliation des présentes, ne constitueront pas un renouvellement du présent contrat, ni une renonciation à ladite résiliation. »

Il ressort de ces dispositions que les parties ont entendu exclure expressément tout renouvellement tacite du contrat du 15 juin 2008 découlant de la seule poursuite des relations au-delà du 31 décembre 2009.

C'est à la société X qui se prévaut de la reconduction du contrat, en dépit des stipulations précitées, d'en rapporter la preuve.

Or celle-ci démontre que la société Terex France et la société X ont poursuivi leurs relations postérieurement au 31 décembre 2009 dans le cadre d'un renouvellement exprès du contrat du 15 juin 2008.

En effet, il résulte de l'ensemble des correspondances et des projets de contrats échangés entre les deux sociétés postérieurement au 31 décembre 2009 que les parties ont consenti expressément au renouvellement dudit contrat à compter du 1er janvier 2010 et que celui-ci est demeuré en vigueur jusqu'au 11 juillet 2014, date de sa résiliation par la société Terex France.

Ainsi dans un courriel du 23 septembre 2011, il est indiqué qu'à la suite d'une réunion du 13 septembre 2011 qui s'est tenue entre X, François T., directeur général de Terex France, Raphael C. et Alexander G., directeur régional « Ethics et compliance », il a été acté de la création d'une nouvelle société par X en Suisse et de l'amendement du contrat existant pour permettre l'intervention de cette nouvelle société dans leurs relations.

Dans un courriel interne aux sociétés du groupe Terex du 2 mai 2012, Richard R., directeur juridique de la société mère Terex, a indiqué avoir proposé de soumettre à X un accord de résiliation des anciens contrats liant les sociétés Terex à la société X et un nouveau contrat de distribution.

Dans un courriel du 4 mai 2012, Daniel P., directeur commercial du groupe Terex pour la France, l'Europe du Sud et l'Afrique de l'ouest, a adressé à la société X un projet de contrat de distribution et de représentation mentionnant en préambule l'existence d'un projet d'accord de résiliation des contrats en vertu desquels la société X était chargée de la distribution ou d'agir en qualité de représentant en Algérie pour la vente de certains modèles de grue fabriqués par Terex Allemagne et Terex France.

Dans un courriel du 29 octobre 2012, Richard R., directeur juridique de la société mère Terex, a transmis à la société X différents projets de contrats dont un accord amiable de résiliation portant sur la résiliation du contrat d'agence conclu le 12 juin 2002 entre la société Terex Allemagne et la société X ainsi que sur la résiliation du contrat de prestation d'assistance et de conseil conclu 15 juin 2008 entre la société Terex France et la société X.

Au mois de février 2013, un nouveau projet d'accord a été adressé à la société X portant sur la résiliation du contrat d'agence conclu le 12 juin 2002 entre la société Terex Allemagne et la société X ainsi que sur la résiliation du contrat de prestation d'assistance et de conseil conclu 15 juin 2008 entre la société Terex France et la société X.

Dans plusieurs courriels du 3 mai 2012, 12 novembre 2012, 26 novembre et 29 novembre 2012, X mentionne l'accord intervenu avec Terex sur le maintien des contrats existants et leur simple amendement pour permettre l'intervention d'une nouvelle société (suisse puis anglaise) en vue du respect des règles internes de « compliance » du groupe Terex.

Dans un courriel du 28 novembre 2012, X précise que le contrat conclu avec Terex France (« MLM » - Montceau-les-Mines) est toujours en vigueur.

Enfin dans une lettre du 11 juillet 2014, les sociétés Terex Allemange, Terex France et Gru Comedil ont résilié l'ensemble des accords les liant à la société X et notamment le contrat de prestation d'assistance et de conseil daté du 15 juin 2008.

Il s'ensuit que le contrat du 15 juin 2008, renouvelé le 1er janvier 2010, s'applique au litige.

En conséquence, le droit français est applicable en vertu de l'article 17.3 du contrat conclu avec la société Terex France le 15 juin 2008.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Sur l'existence de relations commerciales établies

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, la société Terex France dénie le caractère établi de la relation en se prévalant de sa précarité faute pour le contrat du 15 juin 2008 d'avoir été renouvelé.

Outre le fait qu'il résulte de ce qui précède que le contrat du 15 juin 2008 a été renouvelé à son échéance, il est constant que les sociétés H. et Terex ont entretenu un flux d'affaires continu et important entre 2005 et 2014 de sorte que le caractère établi de la relation ne saurait être contesté.

Sur la rupture brutale des relations commerciales

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Sur la rupture partielle

La modification unilatérale et substantielle des conditions contractuelles précédemment pratiquées dans une relation durable peut être constitutive d'une rupture partielle.

En l'espèce, la société X prétend avoir été victime d'une rupture partielle des relations à compter du mois d'octobre 2012. Elle affirme que contrairement à ce que soutient la société Terex France, elle n'intervenait jusqu'alors que comme représentant de la société Terex France pour la vente de grues et non comme distributeur et qu'au mois d'octobre 2012, la société Terex France a tenté de modifier les conditions contractuelles existantes en lui imposant un nouveau mode de commercialisation des produits par le biais d'un achat-revente, en lui demandant de renoncer à tout droit à indemnité au titre de la fin du contrat du 15 juin 2008 et en lui imposant la signature d'un nouveau contrat. Elle ajoute qu'à compter du 6 novembre 2012, pour la contraindre à signer ce nouveau contrat, la société Terex France a suspendu les missions qui lui était confiées en qualité de représentant et a cessé de lui verser ses commissions ainsi que ses rémunérations au titre du service après-vente.

La société Terex France dénie toute rupture partielle des relations à compter de 2012. Elle prétend n'avoir imposé aucune modification des conditions pratiquées entre les parties. Elle soutient en effet que dès le début des relations, la société X avait la possibilité d'agir comme distributeur. Elle ajoute par ailleurs n'avoir nullement modifié les conditions de la rémunération de la société X mais seulement demandé que les commissions soient désormais encaissées en Algérie de sorte que ce changement ne peut être considéré comme substantiel. Elle fait valoir que la suspension du versement des commissions était liée au refus de la société X d'être réglée au lieu de son siège social en Algérie et à la nécessité de se conformer aux nouvelles règles de compliance appliquées au sein du groupe. Elle observe que le flux d'affaires avec la société X n'a jamais diminué et a même progressé en 2012 et 2013.

Il résulte des pièces produites aux débats (contrat du 15 juin 2008, courriels, tableau des affaires réalisées entre les deux sociétés) que :

- en vertu du contrat du 15 juin 2008, il était prévu que la société X ait une mission d'assistance de la société Terex France dans la prospection, les réponses et le suivi d'appels d'offres sur le territoire algérien et que les commissions devaient être lui payées « par chèque établi à l'ordre de la SARL X »,

- jusqu'en 2012, à l'exception d'une vente au mois de juillet 2011 en qualité de distributeur, la société X est intervenue exclusivement comme représentant de la société Terex France,

- à la suite d'une réunion qui s'est tenue le 13 septembre 2011 entre X, François T., directeur général de Terex France, Raphael C. et Alexander G., directeur régional « Ethics et compliance », la société Terex France a informé son partenaire que ses nouvelles règles internes de « compliance » ne lui permettaient plus de continuer à payer les commissions de la société X comme auparavant par chèque ou virement sur le compte bancaire de cette société en Suisse. Au cours de cette réunion, il a été décidé que X créerait une nouvelle société suisse qui succèderait à la société X dans les relations avec le groupe Terex et qui recevrait les fonds,

- le 28 mars 2012, X, après avoir créé une société suisse, la société International Global Lifting Business (IGLB Suisse), a informé la société Terex France qu'il allait créer une société anglaise dans la mesure où les autorités algériennes ne « voyaient pas d'un bon oeil les importations via la Suisse ».

- A compter de 2012, la société X est intervenue à la fois comme représentant de la société Terex France mais aussi comme acheteur-revendeur des grues fabriquées par la société Terex France soit directement, soit par l'intermédiaire des sociétés IGLB Suisse et IGLB UK. Ainsi sur 15 ventes de grues Terex en 2012, quatre l'ont été par la société X ou les sociétés IGLB en qualité de distributeurs et sur 20 ventes de grues en 2013, 9 l'ont été par la société X ou les sociétés IGLB en qualité de distributeurs.

- Le 29 octobre 2012, la société Terex France a transmis à la société X un projet d'accord concernant la résiliation des conventions antérieures et notamment celle du 15 juin 2008 dans lequel la société X renonçait à toute indemnité ou action résultant de ce contrat ainsi qu'un projet de contrat de distribution et de représentation exclusifs pour les produits fabriqués par Terex France et Terex Allemagne et des projets de contrats de prestation de services et de représentation pour d'autres produits Terex.

- Par courriel du 6 novembre 2012, la société Terex France a informé la société X que « pour tout projet, nous vous demandons d'attendre notre accord avant de vous engager ou d'engager plus avant Terex. Ceci est valide même pour les contrats pour lesquels nous vous avons déjà transmis un pouvoir de signature. Dans l'attente de la clarification du nouveau contrat, nous nous bagarrons actuellement avec le legal dept pour pouvoir finaliser certains contrats pour l'instant, nous n'avons pas le feu vert. »

- le 16 novembre 2012, une réunion s'est tenue entre François T. et X au cours de laquelle la société X a subordonné la conclusion d'un nouveau contrat aux conditions suivantes (« points non négociables ») :

Pas de clause d'objectifs ni de clause d'achats pour stocks de machine

Reconnaissance des mêmes droits et obligations pour la société X que ceux de IGLB UK dans le nouveau contrat exclusif,

Indemnité de fin de contrat suivant la loi anglaise,

- par courriel du 20 novembre 2012, Lionel Ruel, responsable commercial de la société Terex France, a précisé à X qu'il ne pouvait accepter la poursuite que de trois affaires (Entreprise du Bâtiment d'Alger, Entreprise de Construction de Blida, Hydro-Transfert) et que « Pour tous les autres dossiers (anciens ou nouveaux projets), avec ou sans pouvoir de signature, avec ou sans avis d'attribution, (il ne pouvait) ni les accepter, ni mettre en place de caution BE ou soumission ».

- par courriel du 28 novembre 2012, Lionel Ruel a indiqué que : « Pour l'instant, les seules affaires pour lesquelles je pourrais aller négocier un pouvoir de signature sont celles dont le profil financier serait l'un des 2 modèles ci-dessous :

Achat à Terex par la société X et revente par la société X au client final,

Achat client final et commission versée par transfert bancaire directement sur le compte de la société X en Algérie.

Pour tous autres montages financiers, je n'obtiendrai aucune autorisation.

Dans tous les cas, je ne peux que vous conseiller d'obtenir une autorisation écrite de notre direction avant de vous engager dans toute nouvelle affaire quel que soit le profil financier de l'affaire. »

Ces éléments démontrent que contrairement à ce que soutient la société Terex France, la commercialisation des grues s'effectuait, avant 2012, exclusivement directement par la société Terex France ; la société X n'intervenant que comme prestataire d'assistance et de conseil et que c'est à la suite d'un changement des règles internes de « compliance » du groupe Terex imposant que le versement des commissions ou rémunérations soit effectué au lieu du siège social de la société contractante que la société Terex France a souhaité modifier les conditions pratiquées antérieurement en demandant à la société X soit de recevoir ses commissions au lieu de son siège social, soit d'intervenir en qualité d'acheteur-revendeur, soit encore de créer une autre entité à l'étranger pour permettre le versement des fonds au lieu du siège social d'une telle entité.

Toutefois, en ce qui concerne la modification de ses conditions d'intervention (en qualité d'acheteur-revendeur à la place de prestataire de services), la société X ne peut se prévaloir d'aucune modification unilatérale sur ce point de la part de la société Terex France dès lors qu'elle a accepté à compter de 2012 d'intervenir en qualité de revendeur-distributeur, soit avant même la date de rupture partielle alléguée.

En outre, en ce qui concerne la création d'une autre entité à l'étranger, il sera relevé que les parties étaient d'accord sur ce point de sorte qu'ici encore aucune modification unilatérale des conditions antérieurement pratiquées n'est caractérisée.

Enfin, en ce qui concerne le paiement de ses commissions, la société X ne démontre pas en quoi la volonté de la société Terex de lui verser ses commissions sur un compte bancaire au lieu de son siège social lui imposait une modification substantielle des relations antérieures de sorte que ce grief ne peut davantage être retenu.

En outre, il sera relevé que si la société Terex France a cessé de confier à la société X des missions d'assistance à compter du mois de novembre 2012, elle lui a néanmoins permis d'intervenir en qualité de distributeur de ses produits. Or bien que la société X soutienne que ces opérations n'ont pas été bénéficiaires mais déficitaires pour elle, elle n'en rapporte pas la moindre preuve. Les pièces qu'elle produit sur les pénalités appliquées ou la perte résultant des taux de change pratiqués ne concernent pas toutes les affaires réalisées en qualité de distributeur de sorte que si certaines affaires ont pu être déficitaires, les autres ont pu être bénéficiaires. En outre, les pièces comptables de la société X versées aux débats font apparaître la réalisation d'un bénéfice de 3 882 217 dirhams (soit environ 37 282 euros) en 2011, d'un bénéfice de 20 482 449 dirhams (soit environ 191 424 euros) en 2012 et d'un bénéfice de 18 688 196 dirhams (soit environ 174 656 euros) en 2013. Ainsi, même si ces éléments comptables ne permettent pas de distinguer les affaires réalisées avec la société Terex France de celles réalisées avec la société Terex Allemagne ni d'imputer des pertes ou des bénéfices à l'une ou l'autre de ces relations, il n'en demeure pas moins qu'ils ne permettent pas d'établir que la société X aurait subi une perte de gains du fait de son intervention en qualité de distributeur en lieu et place de son intervention en qualité de prestataire. Au contraire, ils témoignent de la bonne santé financière de la société X malgré la rupture brutale partielle alléguée.

En conséquence, aucune rupture brutale partielle des relations commerciales ne peut être retenue à l'encontre de la société Terex France. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

Sur la rupture totale

La société X se plaint ensuite d'une rupture brutale totale des relations. La société Terex France prétend que la faute de la société X a motivé cette rupture.

La faute reprochée à la société X aurait consisté en la falsification de deux attestations d'exclusivité (attestations du 14 juin 2010 et du 14 avril 2012) et leur utilisation auprès de la douane algérienne.

Outre que les faux reprochés ne concernent pas les rapports entre la société X et la société Terex France mais ceux de la société X et de la société Terex Allemagne et que la société X bénéficiait d'une exclusivité de la part de cette société en vertu du contrat d'agence commerciale du 12 juin 2002, la société Terex France ne peut à la fois prétendre que la faute reprochée à la société X revêtait un caractère de gravité tel qu'elle justifiait une dispense de préavis et lui accorder dans le même temps un préavis de six mois par lettre du 11 juillet 2014.

Il convient de surcroît de relever que les relations se sont interrompues bien avant la découverte par la société Terex France de ladite falsification de sorte que la faute invoquée ne peut justifier la rupture déjà consommée. En effet, il ressort des pièces produites aux débats que le flux d'affaires s'est interrompu à la fin de l'année 2013, le dernier achat-revente de la société X datant du 19 décembre 2013.

Il s'ensuit que la société Terex France ne peut se prévaloir d'une dispense de préavis résultant d'une faute commise par la société X.

La société Terex France soutient à titre subsidiaire que le préavis de six mois qu'elle a accordé à la société X était suffisant pour lui permettre de se réorganiser.

Toutefois l'octroi d'un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures.

Or il résulte de ce qui précède qu'en réalité le flux d'affaires entre les sociétés H. et Terex s'est interrompu à la fin de l'année 2013 et non à la fin de l'année 2014. Ainsi force est de constater que la société Terex France n'a observé aucun préavis avant de rompre les relations commerciales avec la société X. Sa responsabilité sera donc retenue de ce chef.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, compte tenu de la durée des relations entre les sociétés Terex et H. au moment de la rupture totale (9 ans), du volume d'affaires (145 955 euros en 2006, 781 832 euros en 2007, 591 064 euros en 2008, 262 034 euros en 2009, 395 464 euros en 2010, 475 193 euros en 2011) et de la part représentée par la société Terex France dans le chiffre d'affaires (51 %) de la société X, de la spécificité de la relation concernée (vente d'engins de levage et de matériels de construction sur le territoire algérien), de l'exclusivité consentie par la société X et de la dépendance économique de la société X à l'égard du groupe Terex dès lors que les sociétés de ce groupe étaient les seules clientes de la société X, le préavis qui aurait dû être respecté par la société Terex France doit être fixé à 9 mois.

En conséquence, la responsabilité de la société Terex France sera donc retenue pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur les préjudices

 - Sur le gain manqué

Le préjudice consécutif à la brutalité de la rupture constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

En l'absence d'éléments sur la marge réalisée sur l'activité de la société X en qualité de distributeur, il convient de se référer exclusivement à l'activité en qualité de prestataire et les années de référence prises en compte seront les années 2006 à 2011. Les commissions versées par la société Terex France à la société X se sont élevées à 145 955 euros en 2006, à 781 832 euros en 2007, 591 064 euros en 2008, 262 034 euros en 2009, 395 464 euros en 2010 et 475 193 euros en 2011, soit une moyenne annuelle de 441 923 euros et mensuelle de 36 826,91 euros.

Au vu des pièces comptables versées aux débats, de l'absence de production d'une comptabilité analytique permettant de distinguer l'activité de la société X avec la société Terex France de l'activité réalisée avec les autres sociétés du groupe Terex et du domaine d'activité concerné (prospection de clientèle), il convient de retenir un taux de marge brute de 50 %.

En conséquence, la perte de gains consécutive à la brutalité de la rupture sera estimée à 165 721,12 euros ([36 826,91 euros x 50%] x 9 mois).

Dès lors, la société Terex France sera condamnée à verser à la société X une somme de 165 721,12 euros euros au titre du préjudice financier résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies.

 - sur le préjudice d'image

A l'appui de sa demande tendant à la réparation d'une atteinte à son image, la société X ne produit aucun élément probant dès lors que l'ensemble des pièces qu'elle verse aux débats à cet effet émane d'elle.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.

Sur la perte de gains pour les appels d'offres remportés par la société X et non signés par la société Terex France

La société X prétend obtenir réparation du préjudice financier résultant du refus de signature par la société Terex France des appels d'offres remportés par cette dernière pour lesquels elle avait prêté son assistance. Elle affirme en effet que la société Terex France était tenue de conclure les contrats remportés par son intermédiaire.

Outre le fait que la société X ne saurait rapporter la preuve de ce que lesdits appels d'offre ont été remportés par les affirmations contenues dans ses propres courriels, elle ne pouvait en tout état de cause prétendre à une commission qu'en cas de signature du contrat final avec le client et la réalisation par la société Terex France d'un chiffre d'affaires. En effet, l'article 11 du contrat du 15 juin 2008 précise que « la rémunération des activités d'assistance et de conseils (sera liée) à leur efficacité. Cette efficacité peut être mesurée par le chiffre d'affaires réalisé par Terex sur le Territoire. La rémunération sera donc calculée (') affaire par affaire d'un commun accord. » Contrairement à ce que soutient la société X, la société Terex France n'était nullement tenue, au terme du contrat, de conclure le contrat final. Ainsi en l'absence de réalisation d'un chiffre d'affaires et de signature du contrat final par la société Terex France, la société X ne peut invoquer une perte de gains.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.

Sur la perte de gains au titre de la perte de chance résultant du refus de la société Terex France de candidater sur des appels d'offres

La société X se prévaut des règles du mandat pour soutenir qu'elle a été empêchée par son mandant, la société Terex France, de réaliser certaines opérations.

Au titre des prestations d'assistance résultant du contrat du 15 juin 2008, la société X était chargée de prospecter des appels d'offres susceptibles d'être remportées par la société Terex France. Toutefois contrairement à ce qu'elle prétend, cette mission ne peut être qualifiée non de contrat de mandant, qui suppose le pouvoir de faire un ou des actes juridiques au nom du mandat, pouvoir qui n'existe pas dans la prospection de clients. En outre, il sera relevé que l'article 5 du contrat du 15 juin 2008 écarte expressément la qualification de mandat. Il stipule en effet que « La SARL H. n'est pas mandataire et ne peut engager Terex PPM à quelque titre que ce soit ».

Les règles du mandat ne peuvent donc servir de fondement à la demande indemnitaire de la société X au titre de la perte de chance et le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté cette demande.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Terex France succombe à l'instance d'appel. Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile seront infirmées. La société Terex France sera condamnée aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel, avec autorisation pour ces derniers d'en procéder au recouvrement selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile. La société Terex France sera par ailleurs condamnée à payer à la société X une somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel. Sa demande de ce chef sera écartée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Paris du 18 septembre 2017 en ce qu'il a débouté la société X de sa demande au titre d'une rupture brutale partielle en 2012, débouté la société X de ses demandes au titre d'un gain manqué et d'une perte de chance, débouté la société X de sa demande au titre d'un préjudice d'image ;

L'INFIRME pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

DIT que la société Terex France désormais dénommée société MHPS Cranes France est à l'origine d'une rupture brutale des relations commerciales établies avec la société X et qu'elle aurait dû respecter un préavis de 9 mois ;

LA DÉCLARE responsable de ce chef et la condamne à verser à la société X une somme de 165 721,12 euros au titre du préjudice financier résultant de cette rupture brutale des relations commerciales établies ;

CONDAMNE la société Terex France désormais dénommée société MHPS Cranes France à payer à la société X une somme de 15 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés tant en première instance qu'en appel ;

DÉBOUTE la société Terex France désormais dénommée société MHPS Cranes France de sa demande de ce chef ;

CONDAMNE la société Terex France désormais dénommée société MHPS Cranes France aux dépens de première instance ainsi qu'aux dépens d'appel, avec autorisation pour ces derniers d'en procéder au recouvrement selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.