Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-19.287
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Chapron Lemenager (SAS)
Défendeur :
Lacmé (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Pomonti
Avocat général :
Mme Beaudonnet
Avocats :
SCP Foussard et Froger, SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 22 mai 2018), les sociétés Lacmé et Chapron Lemenager sont toutes deux spécialisées dans la production et la commercialisation de matériels de clôture pour animaux et, plus particulièrement, de conducteurs électriques. La société Lacmé, reprochant à la société Chapron Lemenager de commercialiser divers modèles de cordon conducteur qui mêlent un cordon bleu et un cordon blanc reproduisant de manière quasi servile ses propres produits, l’a assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme.
Examen des moyens
Sur le moyen unique du pourvoi principal
Enoncé du moyen
2. La société Chapron Lemenager fait grief à l’arrêt de dire qu’elle a commis des actes de concurrence déloyale envers la société Lacmé en commercialisant des conducteurs électriques de modèle Star B6, de lui enjoindre de cesser toute commercialisation de ces conducteurs, d’ordonner des mesures de confiscation et de publication et de la condamner à payer à la société Lacmé des dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que la concurrence déloyale par reproduction d’un produit sur lequel le fabricant ne détient aucun droit privatif suppose l’existence d’une reprise de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public ; qu’à cet égard, les juges sont tenus de vérifier, dès lors qu’ils en sont requis, si le produit litigieux peut prétendre à une antériorité et s’il présente des éléments d’identification caractéristiques susceptibles de faire naître un risque de confusion par copie ou imitation ; qu’en l’espèce, la société Chapron Lemenager soulignait que la plupart des autres acteurs du marché, dont les sociétés Horizont, Ako, Galagher et Creb, commercialisaient également des conducteurs électriques associant le bleu et le blanc ; qu’en se bornant à énoncer qu’il était sans incidence qu’une autre entreprise, la société Horizont, ait également commercialisé un cordon présentant les mêmes caractéristiques, sans vérifier si ce type de produit n’était pas commun à la plupart des acteurs du marché, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 ancien du code civil ;
2° / que la concurrence déloyale par reproduction d’un produit sur lequel le fabricant ne détient aucun droit privatif suppose l’existence d’une reprise de nature à créer un risque de confusion dans l’esprit du public ; que ce risque de confusion s’apprécie au regard de l’ensemble des circonstances à l’origine de la situation litigieuse; qu’en l’espèce, la société Chapron Lemenager soulignait également que ses produits n’étaient pas commercialisés dans les mêmes magasins que la gamme bleue de la société Lacmé ; qu’en estimant qu’il suffisait que les deux gammes de produits soient toutes deux commercialisées dans le même type de réseau destiné aux professionnels, sans vérifier si ces enseignes étaient les mêmes, en sorte que les acheteurs étaient mis concrètement en mesure d’effectuer un choix entre les deux produits, la cour d’appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 ancien du code civil. »
Réponse de la Cour
2. L’arrêt relève, d’abord, qu’il résulte des pièces du dossier que la société Chapron Lemenager propose à la vente, sous la référence Star B6, un modèle de cordon torsadé conducteur qui mêle un cordon bleu et un cordon blanc, reproduisant de manière quasi servile le modèle Extrableu de la société Lacmé, que, s'il existe une différence de ton entre les couleurs et que le packaging des deux modèles diffère, les produits génèrent une impression d'ensemble extrêmement proche, cependant que ni la couleur bleue, ni la couleur blanche ne sont imposées par l'usage du produit ou ne résultent d'une convention dans le secteur concerné, que ces deux produits sont destinés à une clientèle spécialisée commune et font l'objet d'une commercialisation dans le même type de réseau, à savoir des magasins spécialisés pour agriculteurs ou des jardineries. Il retient, ensuite, que la confusion est renforcée par le fait que, depuis des années, la société Lacmé, notamment par le choix du nom de ses produits, a fait de la couleur bleue l'axe de sa communication et que la société Chapron Lemenager propose à la vente deux types de ruban et cordon tressé qui, en utilisant, là encore, cette couleur, créent un effet de gamme. Il ajoute que le fait qu'une autre société, la société Horizont, ait, elle aussi, commercialisé un cordon reprenant les caractéristiques du cordon Extrableu est sans incidence sur le caractère fautif des actes commis par la société Chapron Lemenager.
4. En cet état, la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer les recherches que ses constatations rendaient inopérantes ni à se prononcer sur un moyen non assorti d’offres de preuve, a légalement justifié sa décision.
5. Le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches.
Sur le premier moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
6. La société Lacmé fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes au titre de la concurrence déloyale pour les produits Btape 12 et Btresse 3, alors :
« 1°/ que dans ses conclusions d’appel, la société Lacmé faisait valoir qu’il existait de fortes ressemblances entre le produit “Btresse 3" de la société Chapron Lemenager et son produit “Tressofil” ainsi qu’entre le produit “Btape 12" de la société Chapron Lemenager et ses produits “RF 999" et “Ruban Bleu” de la société Lacmé, du fait de la reprise des mêmes combinaisons de couleurs bleue et blanche et que ces ressemblances entraînaient un risque de confusion; qu’elle demandait, en conséquence, à la cour d’appel de dire que la société Chapron Lemenager a commis des actes de concurrence déloyale en proposant les conducteurs “Btape 12" et “Btresse 3" et d’ordonner diverses mesures réparatrices visant ces produit ; qu’en se contentant de retenir que la confusion entre les produits “Star B6" et “Extrableu” était renforcée dès lors notamment que “la société Chapron Lemenager propose à la vente deux types de ruban et cordon tressé [à savoir les produits “Btape” 12 et “Btresse 3"] qui, en utilisant là encore cette couleur [le bleu], créent un effet de gamme” et de relever que “la commercialisation par la société Chapron Lemenager de deux autres produits intégrant la couleur bleue” a pour effet de renforcer la confusion générée par le produit “Star B6", sans rechercher, comme elle y était invitée, si les produits “Btape 12" et “Btresse 3" de la société Chapron Lemenager ne reproduisaient pas les combinaisons de couleurs bleue et blanche utilisées par elle pour ses produits “Tressofil”, “RF 999 “et “Ruban Bleu”, dans des conditions de nature à créer un risque de confusion, et si la société Chapron Lemenager n’a pas ainsi également commis des actes de concurrence déloyale en proposant ces produits “Btape 12" et “Btresse 3", la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu que la confusion entre les produits “Star B6" et “Extrableu” était renforcée dès lors notamment que “la société Chapron Lemenager propose à la vente deux types de ruban et cordon tressé qui, en utilisant là encore cette couleur, créent un effet de gamme”, et que “la commercialisation par la société Chapron Lemenager de deux autres produits intégrant la couleur bleue” a pour effet de renforcer la confusion générée par le produit “Star B6", constatant ainsi que la commercialisation, par la société Chapron Lemenager des produits “Btape 12" et “Btresse 3" était de nature à renforcer le risque de confusion entre les produits “Star B6" et “Extrableu” ; qu’il résultait ainsi de ses propres constatations que la société Chapron Lemenager a commis des actes de concurrence déloyale, non pas seulement en commercialisant les produits “Star B6" mais également en commercialisant les produits “Btape 12" et “Btresse 3" ; qu’en rejetant néanmoins les demandes de concurrence déloyale de la société Lacmé visant ces deux derniers produits, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l’article 1382, devenu 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
7. En dépit de la formule générale du dispositif qui « déboute les parties du surplus de leurs demandes », l’arrêt n’a pas statué sur les chefs de demande relatifs aux actes de concurrence déloyale qui auraient été commis par la société Chapron Lemenager en commercialisant les produits Btape 12 et Btresse 3 dès lors qu’il ne résulte pas des motifs de la décision que la cour d’appel les ait examinés. 8. L’omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l’article 463 du code de procédure civile, le moyen n’est pas recevable.
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi incident, qui est éventuel, la Cour :
REJETTE les pourvois principal et incident ;
Condamne la société Chapron Lemenager aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Chapron Lemenager et la condamne à payer à la société Lacmé la somme de 3 000 euros.