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Décisions

CJUE, 4e ch., 22 octobre 2020, n° C-720/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ferrari SpA

Défendeur :

DU

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. M. Vilaras

Juges :

M. N. Piçarra, M. D. Šváby, M. S. Rodin, Mme K. Jürimäe

Avocat général :

M. E. Tanchev

Avocats :

Me R. Pansch, Me S. Klopschinski, Me A. Sabellek, Me H. Hilge, Me M. Krogmann

CJUE n° C-720/18

22 octobre 2020

LA COUR (quatrième chambre)

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25).

2 Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant Ferrari SpA à DU, au sujet de la radiation, pour absence d’usage sérieux, de deux marques dont Ferrari est titulaire.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 Les considérants 6 et 10 de la directive 2008/95 étaient ainsi libellés :

« (6) Les États membres devraient garder également toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant l’enregistrement, la déchéance ou la nullité des marques acquises par l’enregistrement. Il leur appartient, par exemple, de déterminer la forme des procédures d’enregistrement et de nullité, de décider si les droits antérieurs doivent être invoqués dans la procédure d’enregistrement ou dans la procédure de nullité ou dans les deux, ou encore, dans le cas où des droits antérieurs peuvent être invoqués dans la procédure d’enregistrement, de prévoir une procédure d’opposition ou un examen d’office ou les deux. Les États membres devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques. 

[...]

(10) Il est fondamental, pour faciliter la libre circulation des produits et la libre prestation des services, de faire en sorte que les marques enregistrées jouissent de la même protection dans la législation de tous les États membres. Cela, cependant, n’enlève pas aux États membres la faculté d’accorder une protection plus large aux marques ayant acquis une renommée. »

4 L’article 7 de cette directive, intitulé « Épuisement des droits conférés par la marque », disposait, à son paragraphe 1 :

« Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans [l’Union européenne] sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. »

5 L’article 10 de ladite directive, figurant sous l’intitulé « Usage de la marque », prévoyait, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Si, dans un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la procédure d’enregistrement est terminée, la marque n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque est soumise aux sanctions prévues dans cette directive, sauf juste motif pour le non-usage. »

6 L’article 12 de la même directive, intitulé « Motifs de déchéance », disposait, à son paragraphe 1 :

« Le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage.

Toutefois, nul ne peut faire valoir que le titulaire d’une marque est déchu de ses droits si, entre l’expiration de cette période et la présentation de la demande en déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage sérieux.

Le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande en déchéance, ce délai commençant à courir au plus tôt à l’expiration de la période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris que la demande en déchéance pourrait être présentée. »

7 L’article 13 de la directive 2008/95, intitulé « Motifs de refus, de déchéance ou de nullité pour une partie seulement des produits ou des services », énonçait :

« Si un motif de refus d’enregistrement, de déchéance ou d’invalidation d’une marque n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels cette marque est déposée ou enregistrée, le refus de l’enregistrement, la déchéance ou la nullité ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés. »

 Le droit allemand

8 L’article 26 du Gesetz über den Schutz von Marken und sonstigen Kennzeichen (Markengesetz) (loi sur la protection des marques et autres signes distinctifs), du 25 octobre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 3082) (ci-après la « loi sur les marques »), intitulé « Usage de la marque », prévoit :

« (1) En tant que l’exercice de droits tirés d’une marque enregistrée, ou le maintien de l’enregistrement, est subordonné à l’usage de la marque, celle-ci doit avoir fait l’objet par son titulaire d’un usage sérieux sur le territoire national pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, sauf juste motif pour le non-usage.

(2) L’usage de la marque avec le consentement du titulaire est considéré comme un usage fait par le titulaire.

(3) L’usage de la marque sous une forme qui diffère de celle sous laquelle elle a été enregistrée est également considéré comme usage d’une marque enregistrée, à condition que les différences ne modifient pas le caractère distinctif de la marque. La première phrase s’applique même si la marque est enregistrée sous la forme sous laquelle elle est utilisée.

(4) Est également considéré comme usage sur le territoire national l’apposition de la marque sur les produits ou sur leur conditionnement sur le territoire national dans le seul but de l’exportation.

(5) Lorsque l’usage d’une marque est requis dans les cinq ans à compter de la date de son enregistrement et qu’une opposition a été formée contre l’enregistrement d’une marque, la date d’enregistrement est remplacée par la date de clôture de la procédure d’opposition. »

9 L’article 49 de la loi sur les marques, intitulé « Déchéance », dispose :

« (1) Sur demande, une marque est radiée du registre pour cause de déchéance si elle n’a pas été utilisée au sens de l’article 26, après la date de son enregistrement, pendant une période ininterrompue de cinq ans. La déchéance d’une marque ne peut toutefois pas être demandée si, après la fin de ladite période et avant le dépôt de la demande de déchéance, la marque a fait l’objet d’un commencement ou d’une reprise d’usage au sens de l’article 26. Le commencement ou la reprise d’usage qui a lieu dans un délai de trois mois avant la présentation de la demande de déchéance, ce délai commençant à courir à la suite d’une période ininterrompue de cinq ans de non-usage, n’est pas pris en considération lorsque les préparatifs pour le commencement ou la reprise de l’usage interviennent seulement après que le titulaire a appris qu’une demande de déchéance pourrait être présentée. [...]

[...] 

(3) Si la cause de déchéance n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque est enregistrée, la déchéance n’est prononcée que pour les produits ou les services concernés. »

10 L’article 115 de la loi sur les marques, intitulé « Retrait ultérieur de la protection », est ainsi libellé :

« (1) La demande ou l’action en radiation d’une marque pour déchéance (article 49) [...] est remplacée, pour les marques ayant fait l’objet d’un enregistrement international, par la demande ou l’action en retrait de protection.

(2) Si une demande en retrait de protection est déposée conformément à l’article 49, paragraphe 1, pour défaut d’utilisation, la date de l’inscription au registre national est remplacée par

1. la date de réception par le Bureau international de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle de la notification relative à l’octroi de la protection ; ou

2. la date d’expiration du délai prévu à l’article 5, paragraphe 2, de l’arrangement de Madrid concernant les marques ou si, à l’expiration de ce délai, ni la notification visée au point 1, ni la notification de refus provisoire n’a été reçue. »

11 L’article 124 de la loi sur les marques, intitulé « Application par analogie des dispositions relatives aux effets des marques internationales enregistrées conformément à l’arrangement de Madrid concernant les marques », dispose :

« Les articles 112 à 117 s’appliquent mutatis mutandis aux marques internationales enregistrées dont la protection a été étendue à la République fédérale d’Allemagne conformément à l’article 3 du protocole relatif à l’arrangement de Madrid, étant entendu que les dispositions correspondantes du protocole relatif à l’arrangement de Madrid se substituent aux dispositions de l’arrangement de Madrid visées aux articles 112 à 117 ».

 La convention de 1892

12 L’article 5, paragraphe 1, de la convention entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques, signée à Berlin le 13 avril 1892, telle que modifiée (ci-après la « convention de 1892 »), énonce que les conséquences préjudiciables qui, d’après les lois des parties contractantes, résultent du fait qu’une marque de fabrique ou de commerce n’a pas été employée dans un certain délai ne se produiront pas si l’emploi a lieu sur le territoire de l’autre partie.

 Les faits à l’origine des litiges au principal et les questions préjudicielles

13 Ferrari est titulaire de la marque suivante :

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14 Cette marque a été enregistrée, le 22 juillet 1987, auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, en tant que marque internationale no 515 107, pour les produits suivants, relevant de la classe 12, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié :

« Véhicules ; appareils de locomotion par terre, par air ou par eau, notamment automobiles et leurs parties ».

15 La même marque a également été enregistrée, le 7 mai 1990, auprès du Deutsches Patent- und Markenamt (Office allemand des brevets et des marques, Allemagne), en tant que marque no 11158448 pour les produits suivants de la classe 12 :

« Véhicules terrestres, aéronefs et véhicules nautiques ainsi que parts de ceux-ci ; moteurs pour véhicules terrestres ; parties constitutives de voitures, à savoir barres de remorquage, porte-bagages, porte-skis, garde-boues, chaînes à neige, déflecteurs d’air, dispositifs de retenue de la tête, ceintures de sécurité, sièges de sécurité pour enfants. »

16 Le Landgericht Düsseldorf (tribunal régional de Düsseldorf, Allemagne) ayant ordonné la radiation, pour cause de déchéance, des deux marques de Ferrari mentionnées aux points 14 et 15 du présent arrêt (ci-après, ensemble, les « marques litigieuses »), au motif que, pendant une période ininterrompue de cinq années, Ferrari n’avait pas fait un usage sérieux de ces marques, en Allemagne et en Suisse, pour les produits pour lesquels celles-ci sont enregistrées, Ferrari a interjeté appel des décisions de cette juridiction devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne).

17 La juridiction de renvoi indique que, entre les années 1984 et 1991, Ferrari a commercialisé un modèle de voiture de sport sous le nom de « Testarossa » ainsi que, jusqu’à l’année 1996, les modèles 512 TR et F512 M, qui lui ont succédé. Au cours de l’année 2014, Ferrari aurait produit un unique exemplaire du modèle « Ferrari F12 TRS ». Il ressort des indications fournies par la juridiction de renvoi que, pendant la période pertinente pour l’appréciation de l’usage des marques litigieuses, Ferrari a utilisé ces dernières pour identifier des pièces détachées et des accessoires des voitures de sport de luxe très coûteuses, commercialisées antérieurement sous ces marques.

18 Estimant que, pour être considéré comme sérieux, l’usage d’une marque ne doit pas toujours être important, et tenant également compte du fait que Ferrari a utilisé les marques litigieuses pour des voitures de sport coûteuses, qui ne sont typiquement produits qu’en faible nombre, la juridiction de renvoi ne partage pas le point de vue de la juridiction de première instance, selon lequel l’étendue de l’usage invoqué par Ferrari ne suffit pas à démontrer un usage sérieux de ces marques.

19 Toutefois, selon la juridiction de renvoi, il est douteux s’il convient de tenir compte de telles particularités dans le cas des marques litigieuses, dans la mesure où celles-ci ont été enregistrées non pas pour des voitures de sport de luxe coûteuses, mais, de manière générale, pour des automobiles et leurs parties. La juridiction de renvoi considère que, si l’on devait examiner si les marques litigieuses ont fait l’objet d’un usage sérieux sur le marché en masse des automobiles et de leurs parties, il conviendrait de conclure d’emblée à l’absence d’un tel usage.

20 La juridiction de renvoi ajoute que Ferrari prétend avoir revendu, après contrôle, des véhicules d’occasion revêtus des marques litigieuses. La juridiction de première instance aurait considéré que cela ne constituait pas un nouvel usage des marques litigieuses, dès lors que, à la suite de la première mise sur le marché des produits revêtus de ces marques, les droits que Ferrari tirait de celles-ci auraient été épuisés et elle ne serait pas en mesure d’interdire la revente de ces produits.

21 Dès lors que la notion d’« usage propre à assurer le maintien des droits attachés à une marque » ne pourrait avoir une étendue plus large que celle d’un usage qui porte atteinte à une marque, les actes d’usage qui ne peuvent pas être interdits à des tiers par le titulaire de cette marque ne pourraient pas, selon la juridiction de première instance, constituer un usage propre à assurer le maintien des droits attachés à ladite marque. Pour sa part, Ferrari aurait soutenu que la vente de véhicules d’occasion revêtus des marques litigieuses impliquait une nouvelle reconnaissance, de sa part, du véhicule concerné et constituait, dès lors, un nouvel usage propre à assurer le maintien des droits attachés aux marques litigieuses.

22 La juridiction de renvoi ajoute que, dans le cadre des litiges au principal, Ferrari a soutenu avoir fourni des pièces détachées et des accessoires pour les véhicules revêtus des marques litigieuses et avoir proposé des services d’entretien pour ces véhicules. La juridiction de renvoi indique, à cet égard, que la juridiction de première instance avait constaté que, entre les années 2011 et 2016, les pièces détachées effectivement commercialisées par Ferrari pour des véhicules revêtus des marques litigieuses avaient généré un chiffre d’affaires d’environ 17 000 euros, ce qui ne constituerait pas un usage suffisant pour le maintien des droits conférés par les marques litigieuses. Certes, il n’existerait, dans le monde, que 7 000 exemplaires de voitures revêtues des marques litigieuses. Toutefois, ce fait n’expliquerait pas, à lui seul, les faibles quantités de pièces détachées commercialisées sous les marques litigieuses.

23 Tout en étant consciente de la jurisprudence issue de l’arrêt du 11 mars 2003, Ansul (C‑40/01, EU:C:2003:145), la juridiction de renvoi fait remarquer, d’une part, qu’il ressort des « directives relatives à l’examen des marques de l’Union européenne » (partie C, section 6, paragraphe 2.8) de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) que l’application de cette jurisprudence devrait rester exceptionnelle. 

24 D’autre part, la juridiction de renvoi estime que les litiges au principal présentent une particularité supplémentaire, dès lors que les marques litigieuses couvriraient également les parties d’automobiles, de telle sorte que l’application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 11 mars 2003, Ansul (C‑40/01, EU:C:2003:145) aurait pour conséquence de faire considérer l’usage des marques litigieuses pour des parties d’automobiles comme un usage de ces marques pour des automobiles, quand bien même ces dernières ne seraient plus commercialisées sous lesdites marques depuis plus de 25 ans. Se poserait, en outre, la question de savoir si un usage sérieux d’une marque peut résulter du fait que son titulaire continue à offrir des pièces détachées et à proposer des services pour les produits commercialisés antérieurement sous cette marque, sans toutefois utiliser cette dernière pour désigner ces pièces ou ces services.

25 S’agissant de l’étendue territoriale de l’usage requis à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, la juridiction de renvoi rappelle que cette disposition exige un usage effectué « dans l’État membre concerné ». En effet, s’appuyant sur l’arrêt du 12 décembre 2013, Rivella International/OHMI (C‑445/12 P, EU:C:2013:826, points 49 et 50), elle constate que la Cour a jugé que l’usage d’une marque en Suisse n’apporte pas la preuve d’un usage sérieux d’une marque en Allemagne. Toutefois, selon la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la convention de 1892 resterait en vigueur et devrait être appliquée par les juridictions allemandes, compte tenu de l’article 351 TFUE. Une telle application pourrait, tout de même, susciter des difficultés, dans le cas d’une marque allemande qui, tout en ne pouvant pas être radiée en application du droit allemand, ne pourrait pas non plus être invoquée en opposition, pour empêcher l’enregistrement d’une marque de l’Union.

26 Enfin, la juridiction de renvoi relève que, dans les litiges au principal, se pose également la question de la partie qui doit supporter la charge de la preuve de l’usage sérieux d’une marque. Conformément à la jurisprudence allemande, il y aurait lieu d’appliquer les principes généraux de la procédure civile, ce qui signifierait que, également dans le cas d’une demande de déchéance pour non-usage d’une marque enregistrée, ce serait la partie requérante qui supporterait la charge de la preuve des faits sur lesquels cette demande est fondée, même s’il s’agit des faits négatifs, telle l’absence d’usage d’une marque.

27 Pour tenir compte du fait que les circonstances exactes de l’usage d’une marque échappent souvent à la connaissance de la partie demanderesse en déchéance, la jurisprudence allemande imposerait au titulaire de la marque concernée la charge secondaire d’exposer, de façon complète et circonstanciée, la manière dont il en a fait usage. Une fois cette charge du titulaire de la marque satisfaite, il appartiendrait à la partie qui demande la radiation de cette marque de réfuter cet exposé.

28 L’application de ces principes aux litiges au principal permettrait de trancher ceux-ci sans ordonner d’instruction, dès lors que Ferrari aurait exposé de manière suffisamment circonstanciée les actes d’usage qu’elle aurait effectués et aurait également fait une offre de preuves, alors que DU se limiterait à contester les affirmations de Ferrari, sans lui-même avancer de preuves. Il devrait, dès lors, être considéré comme n’ayant pas satisfait à la charge de la preuve. En revanche, si cette dernière charge incombait à Ferrari, en tant que titulaire des marques litigieuses, il serait nécessaire d’examiner les éléments de preuve produits par celle-ci. 

29 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes, identiques dans les deux affaires :

« 1) Afin de déterminer si, par sa nature ou son étendue, l’usage d’une marque est sérieux, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 [...], lorsque la marque est enregistrée pour une large catégorie de produits, en l’espèce, les véhicules terrestres, notamment les automobiles et leurs parties, tout en ne faisant l’objet d’un usage effectif que pour un segment spécifique du marché, en l’espèce, les voitures de sport de luxe coûteuses et leurs parties, convient-il d’avoir égard au marché de la catégorie de produits enregistrée, dans son ensemble, ou peut-on tenir compte du segment du marché spécifique ? À supposer que l’utilisation pour ce segment du marché spécifique suffise, convient-il de maintenir la marque en ce qui concerne ce segment du marché dans le cadre de la procédure de déchéance ?

2) La vente, par le titulaire de la marque, de produits d’occasion ayant déjà été commercialisés par celui-ci dans l’Espace économique européen constitue-t‑elle un usage de la marque au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 ?

3) Une marque qui est non seulement enregistrée pour un produit, mais également pour des parties de ce produit fait-elle l’objet d’un usage propre à assurer le maintien des droits qui lui sont attachés, lorsque le produit désigné par la marque n’est plus commercialisé, contrairement aux accessoires et aux pièces détachées relatifs à ce produit qui sont commercialisés sous la marque ?

4) Afin de déterminer si l’usage de la marque est sérieux, convient-il également de tenir compte du fait que le titulaire de la marque fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement, sans toutefois utiliser la marque ?

5) Afin de déterminer l’usage de la marque dans l’État membre concerné (en l’espèce, en Allemagne) au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, convient-il également de tenir compte des usages de la marque en Suisse, conformément à l’article 5 de la convention [de 1892] ?

6) Est-il compatible avec la directive 2008/95 d’imposer au titulaire de la marque dont la déchéance est demandée une charge d’allégation étendue concernant l’usage de la marque, en faisant toutefois supporter au demandeur en déchéance le risque de l’impossibilité de preuve ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les première et troisième questions

30 Par ses première et troisième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, et l’article 13 de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’une marque enregistrée pour une catégorie de produits et de pièces détachées les composant, tels que les automobiles et leurs pièces, doit être considérée comme ayant fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens dudit article 12, paragraphe 1, pour l’ensemble des produits relevant de cette catégorie et les pièces détachées les composant, si elle n’a fait l’objet d’un tel usage que pour certains de ces produits, tels que les voitures de sport de luxe coûteuses, ou seulement pour les pièces détachées ou les accessoires de certains desdits produits.

31 En premier lieu, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, le titulaire d’une marque peut être déchu de ses droits si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’État membre concerné pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage de celle-ci.

32 La Cour a jugé que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque fait l’objet d’un « usage sérieux » lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

33 L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

34 La circonstance que l’usage de la marque concerne non pas des produits nouvellement offerts sur le marché, mais des produits déjà commercialisés n’est pas de nature à priver cet usage de son caractère sérieux, si la même marque est effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci (arrêt du 11 mars 2003, Ansul, C‑40/01, EU:C:2003:145, point 43).

35 Il ressort de cette jurisprudence que l’utilisation d’une marque enregistrée, par son titulaire, pour des pièces détachées faisant partie intégrante des produits couverts par cette marque, est susceptible de constituer un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, non seulement pour les pièces détachées elles-mêmes, mais aussi pour les produits couverts par ladite marque. Il est, à cet égard, indifférent que l’enregistrement de ladite marque couvre non seulement les produits entiers, mais aussi leurs pièces détachées.

36 En deuxième lieu, il ressort de l’article 13 de la directive 2008/95 que, si un motif de déchéance, tel que celui prévu à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive, n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels cette marque est déposée ou enregistrée, la déchéance ne s’étend qu’aux produits ou aux services concernés. 

37 S’agissant de la notion de « partie des produits ou services » visée à l’article 13 de la directive 2008/95, il y a lieu de relever que le consommateur désireux d’acquérir un produit ou un service relevant d’une catégorie de produits ou de services ayant été définie de façon particulièrement précise et circonscrite, mais à l’intérieur de laquelle il n’est pas possible d’opérer des divisions significatives, associera à une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services l’ensemble des produits ou des services appartenant à celle-ci, de telle sorte que cette marque remplira sa fonction essentielle de garantir l’origine pour ces produits ou ces services. Dans ces circonstances, il est suffisant d’exiger du titulaire d’une telle marque d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour une partie des produits ou des services relevant de cette catégorie homogène (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 42).

38 En revanche, en ce qui concerne des produits ou des services rassemblés au sein d’une catégorie large, susceptible d’être subdivisée en plusieurs sous-catégories autonomes, il est nécessaire d’exiger du titulaire d’une marque enregistrée pour cette catégorie de produits ou de services d’apporter la preuve de l’usage sérieux de sa marque pour chacune de ces sous-catégories autonomes, à défaut de quoi il sera susceptible d’être déchu de ses droits à la marque pour les sous-catégories autonomes pour lesquelles il n’a pas apporté une telle preuve (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 43).

39 En effet, si le titulaire d’une marque a enregistré sa marque pour une large gamme de produits ou de services qu’il pourrait éventuellement commercialiser, mais qu’il ne l’a pas fait pendant une période ininterrompue de cinq ans, son intérêt à bénéficier de la protection de sa marque pour ces produits ou services ne saurait prévaloir sur l’intérêt des concurrents à utiliser un signe identique ou similaire pour lesdits produits ou services, voire de demander l’enregistrement de ce signe en tant que marque (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 43).

40 En ce qui concerne le critère pertinent ou les critères pertinents à appliquer aux fins de l’identification d’une sous-catégorie cohérente de produits ou de services susceptible d’être envisagée de manière autonome, le critère de la finalité et de la destination des produits ou des services en cause constitue le critère essentiel aux fins de la définition d’une sous-catégorie autonome de produits (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 44).

41 Il importe, dès lors, d’apprécier de manière concrète, principalement au regard des produits ou des services pour lesquels le titulaire d’une marque a apporté la preuve de l’usage de sa marque, si ceux-ci constituent une sous-catégorie autonome par rapport aux produits et aux services relevant de la classe de produits ou de services concernée, de manière à mettre en relation les produits ou les services pour lesquels l’usage sérieux de la marque a été prouvé avec la catégorie des produits ou des services couverts par l’enregistrement de cette marque (arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 46).

42 Il ressort des considérations exposées aux points 37 à 41 du présent arrêt que la notion de « segment spécifique du marché », évoquée par la juridiction de renvoi, n’est pas, en tant que telle, pertinente pour l’appréciation de la question de savoir si les produits ou les services pour lesquels le titulaire d’une marque a utilisé celle-ci relèvent d’une sous-catégorie autonome de la catégorie des produits ou des services pour lesquels cette marque a été enregistrée.

43 En effet, ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, seule importe, à cet égard, la question de savoir si le consommateur désireux d’acquérir un produit ou un service relevant de la catégorie de produits ou de services visée par la marque en cause associera à cette marque l’ensemble des produits ou des services appartenant à cette catégorie.

44 Or, une telle hypothèse ne peut être exclue au seul motif que, aux termes d’une analyse économique, les différents produits ou services inclus dans ladite catégorie relèvent de différents marchés ou de différents segments d’un marché. Tel est d’autant plus le cas qu’il existe un intérêt légitime du titulaire d’une marque à étendre sa gamme de produits ou de services pour lesquels sa marque est enregistrée (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020:573, point 51).

45 En l’occurrence, dans la mesure où la juridiction de renvoi indique que la titulaire des marques en cause au principal a utilisé ces marques pour des pièces détachées et des accessoires de « voitures de sport de luxe très coûteuses », il convient de relever, premièrement, qu’il ressort des considérations exposées aux points 40 et 42 à 44 du présent arrêt que le seul fait que les produits pour lesquels une marque a été utilisée sont vendus à un prix particulièrement élevé et, par voie de conséquence, peuvent relever d’un marché spécifique ne suffit pas pour considérer qu’ils constituent une sous-catégorie autonome de la classe de produits pour laquelle cette marque a été enregistrée.

46 Deuxièmement, il est vrai que les voitures qualifiées « de sport » sont des voitures performantes et, partant, susceptibles d’être utilisées dans le sport automobile. Toutefois, il ne s’agit que de l’une des destinations possibles de telles voitures, qui sont aussi susceptibles d’être utilisées, de même que toute autre voiture, pour le transport par route de personnes et de leurs effets personnels.

47 Or, lorsque les produits visés par une marque revêtent, comme souvent, plusieurs finalités et destinations, il ne saurait être procédé à la détermination de l’existence d’une sous-catégorie distincte de produits en prenant en considération, isolément, chacune des finalités que ces produits peuvent avoir, une telle approche ne permettant pas d’identifier de manière cohérente des sous-catégories autonomes et ayant pour conséquence de limiter excessivement les droits du titulaire de la marque (voir, par analogie, arrêt du 16 juillet 2020, ACTC/EUIPO, C‑714/18 P, EU:C:2020: 573, point 51).

48 Il s’ensuit que le seul fait que les voitures pour lesquelles une marque a été utilisée sont qualifiées « de sport » ne suffit pas pour considérer qu’elles relèvent d’une sous-catégorie autonome de voitures.

49 Troisièmement, enfin, la notion de « luxe », à laquelle renvoient les termes « de luxe », utilisés par la juridiction de renvoi, pourrait être pertinente pour plusieurs types de voitures, de telle sorte que le fait que les voitures pour lesquelles une marque a été utilisée sont qualifiées de « voitures de luxe » ne suffit pas non plus pour considérer qu’elles constituent une sous-catégorie autonome de voitures.

50 Il apparaît, dès lors, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, que le fait que la société titulaire des marques en cause au principal a utilisé ces marques pour des pièces détachées et des accessoires des « voitures de sport de luxe très coûteuses » ne suffit pas pour conclure qu’elle n’a utilisé ces marques que pour une partie des produits visés par ces dernières, au sens de l’article 13 de la directive 2008/95.

51 Toutefois, quand bien même la circonstance qu’une marque a été utilisée pour des produits qualifiés de « très coûteux » ne saurait suffire pour considérer que ces produits constituent une sous-catégorie autonome des produits pour lesquels cette marque a été enregistrée, elle n’en demeure pas moins pertinente pour l’appréciation de la question de savoir si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

52 En effet, cette circonstance est susceptible de démontrer que, malgré le nombre relativement faible d’unités de produits vendus sous la marque concernée, l’usage qui a été fait de cette marque n’a pas été purement symbolique, mais constitue une utilisation de ladite marque conformément à sa fonction essentielle, utilisation qui, aux termes de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt, doit être qualifiée d’ « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

53 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première et troisième questions que l’article 12, paragraphe 1, et l’article 13 de la directive 2008/95 doivent être interprétés en ce sens qu’une marque enregistrée pour une catégorie de produits et de pièces détachées les composant doit être considérée comme ayant fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens dudit article 12, paragraphe 1, pour l’ensemble des produits relevant de cette catégorie et les pièces détachées les composant, si elle n’a fait l’objet d’un tel usage que pour certains de ces produits, tels que les voitures de sport de luxe coûteuses, ou seulement pour les pièces détachées ou les accessoires composant certains desdits produits, à moins qu’il ne ressorte des éléments de fait et de preuve pertinents que le consommateur désireux d’acquérir les mêmes produits perçoit ceux-ci comme constituant une sous-catégorie autonome de la catégorie des produits pour laquelle la marque concernée a été enregistrée.

 Sur la deuxième question

54 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque est susceptible de faire l’objet d’un usage sérieux par son titulaire, lors de la revente, par celui-ci, de produits d’occasion, mis dans le commerce sous cette marque.

55 Il y a lieu de relever que, certes, la revente, en tant que telle, d’un produit d’occasion revêtu d’une marque ne signifie pas que cette marque est « utilisée », au sens de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt. En effet, ladite marque a été utilisée lorsqu’elle a été apposée, par son titulaire, sur le produit neuf, lors de la première mise dans le commerce de ce produit.

56 Toutefois, si le titulaire de la marque concernée utilise effectivement cette marque, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits pour lesquels elle a été enregistrée, lors de la revente de produits d’occasion, une telle utilisation est susceptible de constituer un « usage sérieux » de ladite marque, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

57 L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2008/95, relatif à l’épuisement des droits conférés par la marque, confirme cette interprétation.

58 En effet, il ressort de cette disposition que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits déjà mis dans le commerce dans l’Union, sous cette marque, par ce titulaire, ou avec son consentement.

59 Il s’ensuit qu’une marque est susceptible de faire l’objet d’un usage pour des produits déjà mis dans le commerce sous cette marque. Le fait que le titulaire de la marque ne peut pas interdire à des tiers l’usage de sa marque pour des produits déjà mis dans le commerce sous celle-ci ne signifie pas qu’il ne peut pas lui-même en faire usage pour de tels produits.

60 Partant, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque est susceptible de faire l’objet d’un usage sérieux par son titulaire, lors de la revente, par celui-ci, de produits d’occasion, mis dans le commerce sous cette marque.

 Sur la quatrième question

61 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux par son titulaire lorsque celui-ci fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous cette marque, sans toutefois utiliser ladite marque lors de la fourniture de ces services.

62 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, citée au point 34 du présent arrêt, l’utilisation effective, par son titulaire, d’une marque enregistrée pour certains produits, pour des services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et visent à satisfaire les besoins de la clientèle de ces produits, est susceptible de constituer un « usage sérieux » de cette marque, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

63 Il ressort, toutefois, de la même jurisprudence qu’un tel usage présuppose l’utilisation effective de la marque concernée lors de la fourniture des services en cause. En effet, en l’absence d’utilisation de cette marque, il ne saurait, à l’évidence, être question d’un « usage sérieux » de celle-ci, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

64 Dès lors, il y a lieu de répondre à la quatrième question que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux par son titulaire lorsque celui-ci fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous cette marque, à condition que ces services soient fournis sous ladite marque.

 Sur la cinquième question

65 Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 351 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre d’appliquer une convention conclue antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents à l’Union, antérieurement à la date de leur adhésion, telle que la convention de 1892, qui prévoit que l’utilisation d’une marque enregistrée dans cet État membre sur le territoire de l’État tiers partie contractante à cette convention doit être prise en considération pour déterminer si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95.

66 Il y a lieu de relever que, dans la mesure où l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, se réfère à un usage sérieux d’une marque « dans l’État membre concerné », il exclut la prise en considération d’un usage effectué dans un État tiers, tel que la Confédération suisse.

67 Toutefois, dès lors que la convention de 1892 est antérieure au 1er janvier 1958, l’article 351 TFUE trouve à s’appliquer. Conformément au deuxième alinéa de cette disposition, les États membres ont l’obligation de recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités existantes entre une convention conclue antérieurement à l’adhésion d’un État membre et le traité FUE.

68 Il en découle que la juridiction de renvoi est tenue de vérifier si une éventuelle incompatibilité entre le droit de l’Union et la convention de 1892 peut être évitée en donnant à celle-ci, dans toute la mesure du possible et dans le respect du droit international, une interprétation conforme au droit de l’Union (voir, par analogie, arrêt du 18 novembre 2003, Budějovický Budvar, C‑216/01, EU:C:2003:618, point 169).

69 À défaut de pouvoir procéder à une interprétation conforme de la convention de 1892, la République fédérale d’Allemagne serait tenue de prendre les mesures nécessaires en vue d’éliminer l’incompatibilité de cette convention avec le droit de l’Union, le cas échéant en procédant à sa dénonciation. Toutefois, dans l’attente d’une telle élimination, l’article 351, premier alinéa, TFUE, l’autorise à continuer d’appliquer cette convention (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2003, Budějovický Budvar, C‑216/01, EU:C:2003:618, points 170 à 172).

70 Certes, ainsi que le fait remarquer la juridiction de renvoi, l’application de la convention de 1892 par la République fédérale d’Allemagne peut donner lieu à des difficultés, dans la mesure où une marque enregistrée en Allemagne, tout en étant susceptible d’être maintenue sur le registre seulement sur la base de son usage sérieux sur le territoire de la Confédération suisse, ne pourrait pas être invoquée pour faire opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union, dès lors que, dans l’hypothèse d’une demande de preuve d’usage sérieux de cette marque présentée dans le cadre de la procédure d’opposition, le titulaire de ladite marque ne serait pas en mesure d’apporter une telle preuve pour le seul territoire de l’Union.

71 Toutefois, ces difficultés sont la conséquence inéluctable de l’incompatibilité de la convention de 1892 avec le droit de l’Union et ne sauraient disparaître qu’avec l’élimination de cette incompatibilité, à laquelle la République fédérale d’Allemagne est tenue de procéder, conformément à l’article 351, deuxième alinéa, TFUE.

72 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la cinquième question que l’article 351, premier alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre d’appliquer une convention conclue entre un État membre de l’Union et un État tiers antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents à l’Union, antérieurement à la date de leur adhésion, telle que la convention de 1892, laquelle prévoit que l’utilisation d’une marque enregistrée dans cet État membre sur le territoire de cet État tiers doit être prise en considération pour déterminer si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, dans l’attente que l’un des moyens visés au deuxième alinéa de cette disposition permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre le traité FUE et cette convention.

 Sur la sixième question

73 Par sa sixième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que la charge de la preuve du fait qu’une marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de cette disposition, pèse sur le titulaire de cette marque.

74 La juridiction de renvoi précise, à cet égard, que, conformément aux principes généraux de la procédure civile applicables en Allemagne, dans l’hypothèse d’une demande de déchéance d’une marque pour non-usage, la charge de la preuve du non-usage de la marque visée incombe à la partie demanderesse, le titulaire de cette marque étant seulement tenu d’exposer, de façon complète et circonstanciée, la manière dont il en a fait usage, sans toutefois en fournir la preuve.

75 Il y a lieu de relever que, certes, le considérant 6 de la directive 2008/95 énonce, notamment, que les États membres devraient garder toute liberté pour fixer les dispositions de procédure concernant la déchéance des marques acquises par l’enregistrement.

76 Toutefois, il ne saurait en être déduit que la question de la charge de la preuve de l’usage sérieux, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, dans le cadre d’une procédure portant sur la déchéance d’une marque pour non-usage constitue une telle disposition de procédure relevant de la compétence des États membres (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 66).

77 En effet, si la question de la charge de la preuve de l’usage sérieux d’une marque dans le cadre d’une procédure de déchéance pour absence d’usage visant cette marque relevait du droit national des États membres, il pourrait en résulter, pour les titulaires de marques, une protection variable en fonction de la loi concernée, de sorte que l’objectif d’une « même protection dans la législation de tous les États membres », visé au considérant 10 de la directive 2008/95 et qualifié de « fondamental » par celui-ci, ne serait pas atteint (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

78 Il doit aussi être rappelé que, dans l’arrêt du 26 septembre 2013, Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions (C‑610/11 P, EU:C:2013:593, point 61), la Cour a jugé, s’agissant de la déchéance d’une marque de l’Union, que le principe selon lequel il incombe au titulaire de la marque d’apporter la preuve de l’usage sérieux de celle-ci se borne en réalité à traduire ce que postulent le bon sens et un impératif élémentaire d’efficacité de la procédure.

79 La Cour en a déduit qu’il incombe, en principe, au titulaire de la marque de l’Union visée par une demande de déchéance d’établir l’usage sérieux de cette marque (arrêt du 26 septembre 2013, Centrotherm Systemtechnik/OHMI et centrotherm Clean Solutions, C‑610/11 P, EU:C:2013:593, point 63).

80 Or, ces considérations sont également valables, s’agissant de la preuve de l’usage sérieux, au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, d’une marque enregistrée dans un État membre.

81 En effet, force est de constater que c’est le titulaire de la marque contestée qui est le mieux à même d’apporter la preuve des actes concrets permettant d’étayer l’affirmation selon laquelle sa marque a fait l’objet d’un usage sérieux (voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2014, Oberbank e.a., C‑217/13 et C‑218/13, EU:C:2014:2012, point 70).

82 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la sixième question que l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que la charge de la preuve du fait qu’une marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de cette disposition, pèse sur le titulaire de cette marque.

 Sur les dépens

83 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

1) L’article 12, paragraphe 1, et l’article 13 de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens qu’une marque enregistrée pour une catégorie de produits et de pièces détachées les composant doit être considérée comme ayant fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens dudit article 12, paragraphe 1, pour l’ensemble des produits relevant de cette catégorie et les pièces détachées les composant, si elle n’a fait l’objet d’un tel usage que pour certains de ces produits, tels que les voitures de sport de luxe coûteuses, ou seulement pour les pièces détachées ou les accessoires composant certains desdits produits, à moins qu’il ne ressorte des éléments de fait et de preuve pertinents que le consommateur désireux d’acquérir les mêmes produits perçoit ceux-ci comme constituant une sous-catégorie autonome de la catégorie des produits pour laquelle la marque concernée a été enregistrée.

2) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque est susceptible de faire l’objet d’un usage sérieux par son titulaire, lors de la revente, par celui-ci, de produits d’occasion, mis dans le commerce sous cette marque.

3) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens qu’une marque fait l’objet d’un usage sérieux par son titulaire lorsque celui-ci fournit certains services relatifs aux produits commercialisés antérieurement sous cette marque, à condition que ces services soient fournis sous ladite marque.

4) L’article 351, premier alinéa, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il permet à une juridiction d’un État membre d’appliquer une convention conclue entre un État membre de l’Union européenne et un État tiers antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents à l’Union, antérieurement à la date de leur adhésion, telle que la convention entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques, signée à Berlin le 13 avril 1892, telle que modifiée, laquelle prévoit que l’utilisation d’une marque enregistrée dans cet État membre sur le territoire de cet État tiers doit être prise en considération pour déterminer si cette marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95, dans l’attente que l’un des moyens visés au deuxième alinéa de cette disposition permette d’éliminer d’éventuelles incompatibilités entre le traité FUE et cette convention.

5) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/95 doit être interprété en ce sens que la charge de la preuve du fait qu’une marque a fait l’objet d’un « usage sérieux », au sens de cette disposition, pèse sur le titulaire de cette marque.