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Décisions

ADLC, 2 septembre 2020, n° 20-D-10

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la chirurgie réfractive par le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins

ADLC n° 20-D-10

2 septembre 2020

L’Autorité de la concurrence (vice-président statuant seul),

Vu la lettre, enregistrée le 6 juin 2018 sous le numéro 18/0109 F, par laquelle la société Optical Center a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins dans le secteur de la chirurgie réfractive ;

Vu le livre IV du code de commerce ;

Vu la décision n° 20-JU-01 du 22 juin 2020 par laquelle la présidente de l’Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce, Emmanuel Combe, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine visée ci-dessus ;

Vu la décision de secret des affaires n° 19-DSA-289 du 26 août 2019 ; Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les représentants de la société Optical Center entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 23 juillet 2020 ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

La société Optical Center a saisi l’Autorité de la concurrence de faits qu’elle estimait constitutifs d’une pratique de boycott mise en œuvre par le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins (ci-après le « CDROM ») dans le secteur de la chirurgie réfractive.

La saisissante reproche au CDROM de s’être opposé, de manière injustifiée et systématique, à l’exploitation par Optical Center d’un centre de chirurgie laser à Lyon. Le CDROM aurait ainsi, par différentes décisions et procédures d’ordre administratif, disciplinaire et judiciaire, mises en œuvre à l’encontre d’Optical Center et de ses partenaires médecins ophtalmologues, empêché Optical Center d’accéder au marché de la chirurgie réfractive.

L’Autorité considère que les mesures et décisions prises par le CDROM s’inscrivent dans le cadre des missions visant à assurer le respect des règles déontologiques dévolues à ce dernier, et manifestent l’exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de ses prérogatives de puissance publique.

Par conséquent, l’Autorité, sur le fondement de l’article L. 462-8 du code de commerce, se déclare incompétente pour connaître des pratiques du CDROM qui lui sont déférées par Optical Center, et déclare ainsi la saisine irrecevable.

 

1. Par courrier du 6 juin 20182, enregistré sous le numéro 18/0109 F, l’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité ») a été saisie par la société Optical Center S.A.S. (ci- après « Optical Center ») de pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental du Rhône de l’Ordre des médecins (ci-après le « CDROM ») dans le secteur de la chirurgie ophtalmique.

2. La saisissante reproche au CDROM d’avoir délibérément mis en œuvre des pratiques visant à l’évincer du secteur de la chirurgie réfractive qu’elle qualifie de pratiques de boycott, contraires à l’article L. 420-1 du code de commerce.

I. Constatations

A.  LE SECTEUR CONCERNE

1.  LA PROFESSION DE MEDECIN OPHTALMOLOGUE

3. L'ophtalmologie est « la discipline de la médecine, spécialisée dans la prise en charge de la santé de l'appareil visuel et de ses annexes. Ses objectifs sont de préserver, rétablir, améliorer la fonction visuelle et d'en limiter et suppléer les déficiences »3. En France, en 2018, cette branche de la médecine regroupait 5 899 praticiens, dont 3 750 exerçaient en libéral (soit 67,57 % de l’effectif total)4.

4. Cette discipline médico-chirurgicale est répartie en trois sous-catégories5 :

-  l’ophtalmologie optique, consistant à effectuer un bilan ophtalmique ou examen ophtalmologique de l'ensemble de l'appareil de la vision ;

-  l’ophtalmologie médicale, traitant des affections purement locales ainsi que les conséquences oculaires des pathologies générales ; et

-  l’ophtalmologie chirurgicale (ou « chirurgie ophtalmique »), concernant les interventions sur l'œil et ses annexes, orbite et paupières.

5. La chirurgie ophtalmique regroupe différentes surspécialités telles que, notamment, la chirurgie de la cataracte, la chirurgie réfractive, ainsi que la chirurgie des paupières et des voies lacrymales.

6. En particulier, la chirurgie réfractive consiste à corriger les anomalies de la puissance optique de l’œil (myopie, astigmatisme, hypermétropie ou presbytie) par une opération des yeux au laser sous anesthésie locale.

7. Dans un contexte d’infléchissement de la demande en matière de prestations de services d’optique, le secteur de la chirurgie ophtalmique enregistre une forte progression depuis les années 1990. Une projection sur les besoins de santé de l’activité ophtalmique libérale et publique élaborée par le syndicat des Ophtalmologistes de France estimait, pour 2030, à environ 227 000 le nombre d’actes de chirurgie réfractive pratiqués en France en activité libérale, soit plus du double de celui constaté sur l’année 20036. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a quant à elle estimé à environ 150 000 le nombre d’actes de chirurgie réfractive pour l’année 20137.

2. L’ORGANISATION DE LA PROFESSION

8. Les médecins ophtalmologues, qui exercent une spécialité médico-chirurgicale, sont placés sous l’égide de l’Ordre national des médecins (ci-après « l’ONM »).

9. Organisme de droit privé chargé d’une mission de service public, l’ONM est une organisation devant assurer le respect, par les médecins, des règles déontologiques dans l’exercice de leur activité, ainsi que la représentation de la profession médicale. Ses membres sont des conseillers élus par l'ensemble des médecins qui assurent, seuls, le financement de l'institution.

10. L’article L. 4121-1 du code de la santé publique (ci-après le « CSP ») dispose que   l’ONM « groupe obligatoirement tous les médecins (…) habilités à exercer ». L’article L. 4121-2 du même code, prévoit que l’ONM a pour fonction de « veille[r] au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l’exercice de la médecine (…) et à l’observation par tous [ses] membres, des devoirs professionnels, ainsi que  des  règles  édictées  par  le  code  de  déontologie  prévu  à  l’article  L. 4127-1    (…), d’assure[r] la défense de l’honneur et de l’indépendance de la profession médicale ». Ce même article précise encore que l’ONM « accompl[it] [sa] mission par l’intermédiaire des conseils départementaux, des conseils régionaux ou interrégionaux et du Conseil national de l’Ordre ».

11. Ainsi, l’organisation de l’ONM s’articule autour des trois structures suivantes :

-  le Conseil national de l’Ordre des médecins (ci-après le « CNOM »), auquel incombe la mission générale, conformément à l’article L. 4122-1 du CSP, de remplir sur le plan national les attributions dévolues à l’ONM et de veiller à l'observation par les médecins de leurs obligations, et notamment du code de déontologie dont les dispositions ont été reprises dans la partie réglementaire du CSP (articles R. 4127-1 et suivants). À ce titre, le CNOM « peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de (…) médecin (…) » (article L. 4122-1 du CSP). Le CNOM a également pour fonctions d’organiser l’exercice de la profession par l’édiction de codes de déontologie, de chartes ordinales et de recommandations, de garantir la sécurité des soins et d’assurer la représentation de ses membres auprès des pouvoirs publics. Il assure par ailleurs la coordination d’action entre les différents conseils régionaux et départementaux par l’envoi de circulaires et d’instructions que les conseils départementaux transmettent, le cas échéant, aux médecins. Le CNOM est le siège de la Chambre disciplinaire nationale, compétente pour connaître des recours dirigés contre les Chambres disciplinaires de première instance ;

-  les conseils régionaux remplissent, quant à eux, les missions dévolues à l’ONM sur le plan régional – essentiellement d’ordre administratif (fonctions de représentation et de coordination) – et sont également les interlocuteurs des instances régionales du système de santé ; et

-  les conseils départementaux remplissent les missions dévolues à l’ONM sur le plan départemental. Ils sont notamment chargés de la tenue du tableau des médecins, des échanges avec les pouvoirs publics et les organismes de protection sociale et des missions de conseil et d’entraide auprès des médecins. Ils peuvent également, « devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession de (…) médecin (…) » (article L. 4123-1 du CSP).

12. Par ailleurs, compte tenu de la variété des spécialités de la médecine, des instances associatives et syndicales propres à chaque spécialité se sont développées, afin d’assurer la représentation et la défense de leurs intérêts spécifiques. Ainsi, s’agissant des professionnels de la médecine ophtalmique, peuvent être cités, par exemple, le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), la Société française d’ophtalmologie (SFO), le Collège des ophtalmologistes universitaires de France (COUF) ainsi que le Collège des ophtalmologistes des Hôpitaux non-universitaires de France (COHF), ces organismes étant par ailleurs rassemblés au sein de l’Académie française de l’Ophtalmologie (AFO).

3. LES MODALITES DEXERCICE DE LA PROFESSION

13. Les médecins ophtalmologues peuvent exercer dans un cadre libéral ou salarié, au sein de structures proposant des prestations d’ophtalmologie médicale et optique, ou au sein de structures de soins hospitaliers adaptées à la pratique de l’ophtalmologie chirurgicale.

14. En ce qui concerne plus particulièrement les structures de soins hospitaliers, celles-ci se répartissent selon trois catégories d’établissement8 :

les établissements de santé publics comprenant 1 364 structures hospitalières (les centres hospitaliers publics régionaux ou spécialisés) et exerçant une mission de service public hospitalier ;

les établissements de santé privés à but non lucratif comprenant 680 structures hospitalières de soins. Ces établissements exercent certaines missions de service public hospitalier ;

les établissements de santé privés à but lucratif comprenant 1 050 structures hospitalières, principalement des cliniques privées, constituées le plus souvent sous la forme de sociétés de personnes ou de sociétés de capitaux.

15. Par ailleurs, les médecins ophtalmologues peuvent exercer leur activité médicale et chirurgicale soit à titre individuel, soit à titre collectif.

16. Lorsqu’ils souhaitent exercer leur activité médicale ou chirurgicale par regroupement de praticiens, les professionnels de santé ont le choix entre différentes structures sociales9, notamment les sociétés d’exercice libéral (SEL) ou les sociétés de participation financière de professions libérales (SPFPL).

17. Quelle que soit la forme sociale retenue, les structures de soins hospitaliers font l’objet d’une règlementation particulière, et sont soumises à l’autorisation et au contrôle de l’Autorité régionale de santé (ci-après l’« ARS »). L’article L. 6122-1 du CSP indique que « les projets relatifs à la création de tout établissement de santé, la création, la conversion et le regroupement des activités de soins, y compris sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation ou d’hospitalisation à domicile, et à l’installation des équipements de matériels lourds » sont soumis à l’autorisation de l’ARS.

18. Conformément à l’article R. 6122-25 du CSP, l’autorisation de l’ARS concerne « les activités de soins, y compris lorsqu’elles sont exercées sous la forme d’alternatives à l’hospitalisation, énumérées ci-après :

1° Médecine ;

2° Chirurgie (…) ».

19. L’article R. 6121-4 du CSP indique que les alternatives à l’hospitalisation « comprennent les activités de soins dispensées par : (…)

2° Les structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoires (…)

Dans les structures pratiquant l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoires sont mis en œuvre, dans des conditions qui autorisent le patient à rejoindre sa résidence le jour même, des actes médicaux ou chirurgicaux nécessitant une anesthésie ou le recours à un  secteur  opératoire ».

20. Les structures de soins hospitaliers sont également soumises au contrôle de l’Ordre national des médecins. L’article 3 alinéa 1er de la loi du 31 décembre 1990, applicable notamment aux professions médicales (article R. 4113-1 du CSP), dispose en effet qu’« [une] société ne peut exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après son agrément par l'autorité ou les autorités compétentes ou son inscription sur la liste ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels ».

21. Par conséquent, une structure de soins, y compris sous la forme d’une alternative à l’hospitalisation pratiquant l’anesthésie et la chirurgie ambulatoire, ne peut exercer d’activité chirurgicale, en tant qu’établissement de santé, que si elle obtient l’agrément de l’ARS et est inscrite au tableau ordinal.

22. Par ailleurs, à l’instar d’autres professions de santé, l’activité du médecin ophtalmologue est soumise à des règles professionnelles spécifiques, notamment déontologiques, prévues par les articles R. 4127-1 et suivants du CSP.

23. Le médecin ophtalmologue doit notamment respecter les principes de moralité, de probité et de dévouement, ainsi que le secret professionnel (article R. 4127-3 du CSP). Il ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme ce que ce soit (article R. 4127-5 du CSP), pratiquer son activité comme un commerce ou recourir à des « procédés directs ou indirects de publicité, et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale » (article R. 4127-19 du CSP). Il ne peut non plus exercer « dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des (…) produits ou appareils qu'ils prescrivent ou qu'ils utilisent » (article R. 4127-25 du CSP). Le médecin ophtalmologue se voit également interdire le compérage (article R. 4127-23 du CSP).

24. Le non-respect de ces obligations expose le praticien à des poursuites et des sanctions disciplinaires.

B. LES ENTITES EN CAUSE

1. LE CONSEIL DEPARTEMENTAL DU RHONE DE L’ORDRE DES MEDECINS - CDROM

25. Le CDROM exerce, pour le département de son ressort, les attributions dévolues à l’Ordre national des médecins, notamment en matière de contrôle du respect de la déontologie. En 2019, le CDROM rassemblait environ 11 600 médecins.

26. À l’instar des autres conseils départementaux de l’Ordre des médecins, le CDROM est aussi chargé de missions administratives comme l’inscription au tableau et la gestion des demandes d’exercice sur des sites distincts, la vérification des compétences des praticiens, ainsi que de missions de conseil et d’entraide auprès des médecins. Il peut échanger avec les pouvoirs publics et les organismes de protection sociale, et se constituer partie civile devant les juridictions lorsqu’est porté un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession de médecin.

27. S’agissant de la tenue du tableau, un praticien peut, à l’occasion de son inscription, communiquer au conseil départemental le projet de contrat qui le lie à un organisme, comme par exemple un établissement de santé privé, et ayant pour objet l’exercice de sa profession. Le conseil départemental a alors la faculté de faire connaître ses observations dans le mois suivant la transmission du projet (articles L. 4113-12 et R. 4127-83 du CSP).

28. Lorsque le contrat a été signé, le médecin ophtalmologue doit, dans le mois suivant sa conclusion, le communiquer au conseil départemental. À cette occasion, le conseil départemental peut vérifier le respect par le praticien des règles déontologiques auxquelles il  est  soumis  et,  s’il  l’estime  nécessaire,  engager  des  poursuites   disciplinaires   (article L. 4113-9 du CSP). Le conseil départemental peut aussi refuser l’inscription au tableau d’un médecin ophtalmologue qui aurait « contracté des engagements incompatibles avec les règles de la profession ou susceptibles de priver le praticien de l'indépendance professionnelle nécessaire » (article L. 4113-11 du CSP).

29. Le conseil départemental connaît également des demandes d’autorisation émanant de praticiens souhaitant exercer sur un site distinct du lieu habituel de leur exercice.  Jusqu’au 25 mai 2019, le CSP soumettait ces demandes au respect de certaines conditions, et notamment la nécessité de recourir à « un environnement adapté, l'utilisation d'équipements particuliers [ou] la mise en œuvre de techniques spécifiques ». Le praticien devait par ailleurs faire en sorte que soient assurées sur ce site distinct « la réponse aux urgences, la qualité, la sécurité et la continuité des soins » (article R. 4127-85 du CSP). En 2019, un décret a supprimé ces conditions et a allégé la formalité à accomplir, qui se limite désormais à une simple déclaration, à laquelle le conseil départemental peut s’opposer, mais uniquement « pour des motifs tirés d'une méconnaissance des obligations de qualité, sécurité et continuité des soins et des dispositions législatives et règlementaires »10.

2. LA SOCIETE OPTICAL CENTER

30. Optical Center est une société par actions simplifiée, créée en 1991 et spécialisée dans la distribution de produits d’optique. Elle exploite en France un réseau d’environ 550 magasins, majoritairement en franchise, ainsi qu’un site internet, qui proposent à la vente des produits d’optique et des appareils auditifs. L’enseigne Optical Center est également présente à l’étranger, via une cinquantaine de points de vente situés en Suisse, Belgique, Luxembourg, Espagne, Canada et Israël.

31. En 2018, Optical Center était la cinquième enseigne d’optique française en termes de parts de marché (8,3 %)11 et de nombre de magasins12. Elle a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires consolidé d’environ 649 millions d’euros13.

32. Le centre de chirurgie laser Optical Center est un établissement créé en 2016, exploité par Optical Center et spécialisé dans l’offre de soins de chirurgie réfractive. Le centre est situé dans le centre-ville de Lyon et installé au premier étage d’un immeuble donnant sur une rue passante. Au rez-de-chaussée de ce même immeuble, sous les locaux du centre de chirurgie laser, se trouve un magasin sous enseigne Optical Center, proposant à la vente des produits d’optique et d’audiologie. Il s’agit du premier centre de ce type ouvert par Optical Center et, selon celle-ci, du premier centre de chirurgie laser exploité par une enseigne d’optique14.

C. LES PRATIQUES

1. LES ACTIONS MISES EN ŒUVRES PAR LE CDROM

33. En février 2016, ayant eu connaissance de l’ouverture du centre de chirurgie laser Optical Center,  le  CDROM  a  adressé  un  courrier  à  Optical  Center,  lui  demandant  de lui « communiquer toutes les informations nécessaires et plus précisément, l’éventuelle présence de médecins au sein de cette structure », et lui rappelant que « tout exercice médical au sein d’une structure doit donner lieu à un contrat soumis pour avis au Conseil départemental de l’Ordre des Médecins »15.

a. Les refus opposés par le CDROM aux différentes demandes des  ophtalmologues

34. Entre les mois de mai 2016 et d’avril 2019, quatre professionnels de santé ont exercé ou manifesté la volonté d’exercer au sein du centre de chirurgie laser Optical Center, en tant que professionnel libéral ou en tant que professionnel salarié, à temps partiel ou à temps complet : le Docteur M., le Docteur B., le Docteur G. et le Docteur D.

35. Ces praticiens se sont adressés au CDROM à plusieurs reprises, en lui transmettant les contrats à conclure ou conclus avec Optical Center et/ou sollicitant de sa part un accord pour exercer sur un site distinct de leur lieu habituel d’exercice. Le CDROM a indiqué par retour de courrier aux médecins ophtalmologues concernés que les conditions de leur exercice au sein du centre de chirurgie laser Optical Center contrevenaient aux règles de déontologie.

36. Concernant en premier lieu la situation du Docteur M., celle-ci a transmis au CDROM, par courrier du 8 juin 2016, un document contractuel ayant pour objet sa collaboration au sein du centre de chirurgie laser Optical Center16. Le 13 juin 2016, le CDROM lui a répondu qu’elle devait solliciter une autorisation d’exercice sur un site distinct, et qu’il rendait un avis défavorable sur les conditions d’exercice, retenant trois « objections à [l’exercice du Docteur M.] dans les locaux de la société Optical Center » liées à la violation des règles de déontologie médicale17 : exercice d’une activité médicale dans les mêmes locaux qu’une société commerciale, diffusion par Optical Center de publicités interdites sur sa « clinique », conflit d’intérêts et compérage. Le CDROM a, par ailleurs, estimé que la clause contractuelle stipulant que le praticien « ne peut refuser de soigner un client de la société Optical Center sauf contre-indication chirurgicale », est contraire à l’interdiction pour les praticiens d’aliéner leur indépendance professionnelle. Ces éléments ont conduit le CDROM à évoquer la possibilité, dans l’hypothèse où le Docteur M. donnerait suite à la proposition d’Optical Center, de « saisir la juridiction disciplinaire » de l’Ordre.

37. Le Docteur M. a ensuite sollicité son inscription au tableau auprès du CDROM, par courrier du 5 juillet 201618, et transmis un nouveau document contractuel, avec pour seule modification substantielle la suppression de la clause évoquée ci-dessus et relative à l’obligation de soigner les clients de la société Optical Center. Le CDROM n’a pas répondu à ce nouveau courrier.

38. Concernant en deuxième lieu la situation du Docteur B., celui-ci a communiqué au CDROM, par un courrier du 15 mai 2016, deux documents contractuels relatifs respectivement à l’exercice d’une activité salariée au sein du centre de chirurgie laser Optical Center et à l’accès au plateau technique de ce même établissement pour l’exercice de son activité19. Par un courrier du 30 mai 201620, le CDROM a estimé que les conditions d’exercice du Docteur B. contrevenaient à la déontologie médicale, pour des motifs identiques à ceux invoqués au sujet du Docteur M. Dans son courrier au Docteur B., le CDROM a indiqué que l’exercice projeté de son activité de chirurgie réfractive ne pourrait être autorisé, tout en soulignant qu’en l’absence de respect de cet avis, le CDROM se réserverait le droit de « saisir la juridiction disciplinaire ».

39. Cette position du CDROM l’a par ailleurs conduit à refuser, à deux reprises, une demande d’exercice au sein de la « clinique » Optical Center présentée par le Docteur B. :

-  dans un courrier du 29 septembre 201621, en réponse à une première demande d’exercice sur un lieu distinct, le CDROM a indiqué qu’un « médecin ne peut pas exercer sous l’enseigne d’un magasin d’optique », et confirmé les motifs invoqués dans son courrier du 30 mai 2016 ; et

-  dans un courrier du 1er septembre 201722, en réponse à une seconde demande d’exercice sur un lieu distinct, matérialisée par l’envoi d’un questionnaire complété et d’un projet de contrat de travail, le CDROM a rappelé qu’il avait « déjà été destinatair[e] de cette demande et de ces documents » et qu’il ne peut donc que « confirmer [ses] écrits précédents » du 30 mai 2016 et du 29 septembre 2016.

40. Concernant en troisième lieu la situation du Docteur G., en réponse à une demande d’autorisation d’exercice d’une activité de chirurgie réfractive au sein de la « clinique » Optical Center communiquée en juin 2018, le CDROM a considéré, dans une délibération du 3 juillet 201823, qu’« un médecin ne peut exercer sous l’enseigne d’un commerce de détail d’optique » car les conditions d’exercice de son activité seraient « contraire[s] aux dispositions des articles R. 4127-5, R. 4127-19, R. 4127-20, R. 4127-23 et R. 4127-25 du Code de la santé publique », relatives au respect des règles professionnelles.

41. Concernant en dernier lieu la situation du Docteur D., celui-ci, exerçant en tant que médecin ophtalmologiste salarié au sein du centre de chirurgie laser Optical Center depuis le mois d’avril 2019, a adressé au CDROM une demande d’inscription au tableau, autorisée par un courrier du 20 mai 201924. À cette occasion, le CDROM a rappelé au Docteur D. les dispositions de l’article L. 4113-9 du CSP, en vertu desquelles le médecin a l’obligation de lui adresser les contrats relatifs à son exercice professionnel. Ce courrier étant resté sans réponse, le CDROM a relancé le Docteur D. par un courrier du 6 août 201925, par lequel il a de nouveau sollicité la transmission du contrat de travail conclu avec Optical Center. Le CDROM a, par ailleurs, informé le Docteur D. d’un contentieux en cours avec Optical Center et avec « le médecin précédemment salarié par Optical Center » (i.e. le Docteur M.), et qu’il considérait son exercice comme non conforme à la déontologie médicale. Au cours de la séance devant l’Autorité du 23 juillet 2020, Optical Center a indiqué que le CDROM avait, une nouvelle fois, « tout récemment » sollicité le Docteur D. pour obtenir communication du contrat de travail.

b.Les procédures engagées par le CDROM

42. Estimant qu’Optical Center était en faute et que les médecins qu’elle souhaitait salarier ou salariait enfreignaient les règles déontologiques, le CDROM a par ailleurs engagé plusieurs types de procédures.

43. En octobre 2017, le CDROM a d’abord formé une action disciplinaire à l’encontre du Docteur M., devant la chambre disciplinaire de première instance (ci-après la « CDPI ») siégeant auprès du Conseil régional de Rhône-Alpes de l’Ordre des médecins26. Cette action était fondée sur la violation des articles L. 4113-9 du CSP (obligation de communiquer les contrats et projets de contrat au Conseil départemental de l’Ordre des médecins), R. 4127-5 du CSP (obligation d’indépendance professionnelle), R. 4127-23 du CSP (interdiction du compérage) et R. 4127-25 du CSP (interdiction d’exercer au sein d’un local commercial). Le CDROM considérait en effet que les principes d’indépendance professionnelle, d’interdiction de toute publicité directe ou indirecte, d’interdiction d’exercice de la profession dans des locaux revêtant une apparence commerciale et d’interdiction du compérage, étaient enfreints. En septembre 2018, la CDPI a rejeté l’ensemble des griefs invoqués par le CDROM27. En octobre 2018, ce dernier a interjeté appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins28. La procédure est toujours en cours.

44. En novembre 2017, le CDROM a ensuite déposé une plainte pénale, contre Optical Center et le directeur du centre de chirurgie réfractive Optical Center, auprès du Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de Lyon29, du chef d’exercice illégal de la médecine et de complicité d’exercice illégal de la médecine. Le CDROM estimait qu’Optical Center, n’ayant pas le statut d’établissement de santé ou de société de médecins mais celui de société commerciale, n’était pas en droit de proposer des actes de chirurgie réfractive. D’après les derniers éléments transmis par le CDROM, il n’a pas été donné suite à cette procédure.

45. En février 2018, le CDROM a assigné Optical Center devant le Tribunal de grande instance de Paris, pour des faits allégués de concurrence déloyale. Estimant que la publicité faite par Optical Center pour des actes de chirurgie réfractive par voie de presse, postale et électronique était contraire aux règles de déontologie médicale (publicité interdite notamment)30. Le CDROM demandait au Tribunal, entre autres, le paiement par Optical Center de 10 000 € de dommages-intérêts, ainsi que la cessation de la diffusion de plaquettes publicitaires portant sur des actes médicaux et de toute communication sur son site internet concernant une activité médicale. Optical Center a sollicité du Tribunal un sursis à statuer, en raison de l’existence de procédures parallèles, notamment l’appel par le CDROM de la décision de la CDPI concernant le Docteur M., la saisine de l’Autorité, et une saisine du Tribunal administratif de Lyon (cf. points 47 et suivants ci-dessous). Par une ordonnance du 29 janvier 2019, le juge de la mise en état a rejeté la demande de sursis à statuer d’Optical Center aux motifs de l’absence de contrariété entre les différentes décisions pendantes31. En février 2019, Optical Center a formé appel de l’ordonnance du juge de la mise en état.

2. LES PROCEDURES ENGAGEES PAR OPTICAL CENTER

46. Les praticiens mentionnés ci-avant s’étant vu refuser l’exercice au sein du centre de chirurgie laser Optical Center, celui-ci a fonctionné de manière aléatoire ; en 2019, son activité a été quasiment nulle.

47. Optical Center a saisi en juin 2018 le Tribunal administratif de Lyon, pour demander la condamnation du CDROM à lui verser la somme de 3 150 000 euros pour réparer le préjudice prétendument subi du fait des décisions précitées du CDROM vis-à-vis des Docteurs M., B. et G. En janvier 2019, Optical Center a saisi la même juridiction aux fins d’annulation de la décision du Conseil national de l’Ordre des médecins rejetant le recours formé par le Docteur G. contre la décision du CDROM refusant sa demande d’exercice sur un site distinct. Par deux jugements du 14 janvier 2020, le Tribunal administratif de Lyon a rejeté ces deux requêtes, estimant notamment qu’en l’absence d’une décision d’agrément donnée à Optical Center par l’ARS pour l’exploitation du centre de chirurgie laser, les décisions du CDROM et du CNOM étaient fondées32.

48. Optical Center a également saisi l’Autorité (cf. point 1 ci-dessus). Elle dénonce la mise en œuvre par le CDROM d’une pratique de boycott, « sous couvert d’incompatibilités déontologiques »33, se traduisant par une attitude générale de blocage de son activité de chirurgie réfractive, la prise de « décisions (…) totalement arbitraires », des pressions exercées sur les médecins ophtalmologues et la multiplication de procédures juridictionnelles, avec pour but « d’interdire l’accès du marché à un nouvel acteur »34. Le CDROM relaierait la pression du SNOF35, « au seul motif d’une éventuelle concurrence déloyale que livrerait la Clinique Optical Center »36. Ces agissements auraient pour effet d’aboutir in fine à la « disparition » d’Optical Center du marché de la chirurgie réfractive37. Optical Center considère que la pratique de boycott a été mise en œuvre par le CDROM au travers de différents agissements détaillés ci-dessous.

49. En premier lieu, le CDROM aurait rejeté, de manière répétée et infondée, les contrats et projets de contrat communiqués par deux médecins ophtalmologues, et aurait refusé à certains praticiens l’inscription au tableau du CDROM. Ces décisions du CDROM, portant sur des cas individualisés, reposeraient sur des considérations générales et identiques laissant suggérer l’existence d’une stratégie sous-jacente d’éviction. Elle invoque, d’abord, un arrêt du Conseil d’État du 3 juillet 1970, Nguyen Van Phi Long (nº 7863), dans lequel la Haute Juridiction avait indiqué que le pouvoir des conseils départementaux concernant l’examen des contrats transmis par les médecins en application des dispositions de l’article L. 4113-9 du CSP se limite à la vérification de leur conformité aux règles déontologiques sans aller jusqu’à un pouvoir d’approbation. Optical Center en déduit que « le CDROM a dénaturé les prérogatives conférées aux conseils départementaux (…) en matière d’examen de contrat », en ce qu’il a refusé d’autoriser le Docteur B à exercer et lui a demandé de ne pas donner suite à l’offre d’Optical Center, au lieu de se borner à formuler des observations sur les documents contractuels. Optical Center estime également que les refus opposés par le CDROM aux demandes d’exercice sur un lieu distinct ne pouvaient se fonder que sur les motifs « limitatifs » de l’article R. 4127-85 du CSP (carence ou insuffisance de l’offre de soins dans une zone géographique ou nécessité d’utiliser un équipement particulier, notamment), et non sur des motifs liés au non-respect de règles déontologiques. À nouveau, le CDROM aurait outrepassé ses pouvoirs. Optical Center considère, par ailleurs, qu’en ne formulant pas d’observations sur le second contrat transmis par le Docteur M., modifié à la suite du premier courrier en réponse du CDROM du 13 juin 2016 (cf. point 37 ci-dessus), le CDROM l’a approuvé implicitement. Optical Center se prévaut à cet égard d’un arrêt du Conseil d’Etat du 18 juillet 1973, Perrin (n° 86479) : « en s’abstenant de formuler des objections sur la conformité d’un projet de contrat aux dispositions du code de déontologie médicale et aux clauses obligatoires des contrats types, le conseil national a nécessairement admis sa conformité ».

50. En second lieu, Optical Center reproche au CDROM d’avoir engagé des procédures disciplinaire, civile et pénale, qu’elle estime destinées à « interdire l’accès du marché à un nouvel acteur », en privant Optical Center de sa capacité matérielle à fournir des actes de chirurgie réfractive aux patients au sein de sa « clinique », à nuire à sa compétitivité et ainsi à l’évincer d’un secteur d’activité pourtant concurrentiel. La première procédure, de nature disciplinaire (cf. point 43 ci-dessus), rejetée en appel par la CDPI siégeant auprès du Conseil régional du Rhône-Alpes de l’Ordre des médecins, démontrerait l’absence de violation des obligations déontologiques et professionnelles. Le moyen tiré de l’exercice illégal de la médecine, dans le cadre de la deuxième procédure de nature pénale (cf. point 44 ci-dessus), serait inopérant dès lors qu’Optical Center, en tant que telle, et le directeur du centre, ne pratiquent pas d’actes médicaux. La troisième procédure, enfin, de nature civile (cf. point 45 ci-dessus), serait, selon la saisissante, révélatrice de la « volonté [du conseil régional] d’interdire l’accès au marché » à Optical Center, en ce qu’il « situe lui-même son action sur le terrain concurrentiel ».

II. Discussion

51. En vertu de l’article L. 462-8 du code de commerce, « L’Autorité de la concurrence peut déclarer, par décision motivée, la saisine irrecevable (…) si elle estime que les faits invoqués n’entrent pas dans le champ de sa compétence ».

A. LES PRINCIPES APPLICABLES

52. Il est constant, en droit de l’Union comme en droit interne, que les règles de concurrence s’adressent aux entreprises, c’est-à-dire à toute entité qui exerce une activité économique, quel que soit son statut juridique ou son mode de financement (voir sur ce point les arrêts de la Cour de Justice du 23 avril 1991, Höfner et Elser, C-41/90, point 21 et du 19 février 2002, Wouters, C 309/99, Rec. p. I 1577, point 46).

53. Il est également constant qu’une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l’application des règles de concurrence.

54. En droit de l’Union, ce principe a été rappelé, notamment, dans plusieurs arrêts de la Cour (arrêts Wouters du 19 février 2002, précité, point 57 et du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C 1/12, point 40).

55. En droit national, le Tribunal des conflits a jugé que si les règles définies au livre quatrième du code de commerce, relatif à la liberté des prix et de la concurrence, s’appliquaient à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques, notamment dans le cadre de conventions de délégation de service public, l’Autorité n’était, en revanche, pas compétente pour sanctionner la méconnaissance des règles prohibant les pratiques anticoncurrentielles « en ce qui concerne les décisions ou actes portant sur l’organisation du service public ou mettant en œuvre des prérogatives de puissance publique » (décision du 4 mai 2009 du Tribunal des conflits, Société Éditions Jean-Paul Gisserot, n° 3714, au recueil). Il appartient au juge administratif ou, en cas d’attribution par le législateur de la compétence dans une matière déterminée, au juge judiciaire, en tant que juge de la légalité des actes de l’administration ou des personnes publiques chargées d’une mission de service public, d’annuler les actes administratifs contraires au droit de la concurrence (décision du 3 novembre 1997 du Conseil d’État, Société Million et Marais, n° 169907, au recueil).

56. Dans le même sens, la Cour de cassation a jugé que « les décisions par lesquelles les personnes publiques ou les personnes privées chargées d'un service public exercent la mission qui leur est confiée et mettent en œuvre des prérogatives de puissance publique et qui peuvent constituer des actes de production, de distribution et de services au sens de l'article 53 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 entrant dans son champ d'application, ne relèvent pas de la compétence du Conseil de la concurrence » (arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000, Semmaris, pourvoi n° 98-11800, publié au bulletin).

57. S’agissant plus spécifiquement des ordres professionnels, le Conseil de la concurrence puis l’Autorité, saisis à plusieurs reprises de pratiques mises en œuvre par ces organismes, ont tout d’abord rappelé que les ordres professionnels étaient des « organismes investis d’une mission de service public, celle d’assurer le respect des devoirs professionnels et la défense de l’honneur de la profession », dotés à cette fin de prérogatives de puissance publique (voir par exemple la décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques s’opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l’occasion d’appels d’offres en matière d’examens anatomo-cyto-pathologiques).

58. L'Autorité de la concurrence a précisé les limites des compétences en matière de décisions prises par un ordre professionnel dans l’accomplissement de la mission de service public qui lui est dévolue : « ainsi qu’il est exposé dans la décision n° 98-D-73 du 25 novembre 1998 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par l’Union nationale patronale des prothésistes dentaires, si « il n’appartient pas au Conseil de la concurrence de se prononcer sur la légalité de (…) décisions dès lors qu’elles sont de nature administrative, cette dernière notion implique non seulement que la décision en cause ait été prise dans l’accomplissement de la mission de service public de l’organisme privé dont elle émane, mais, en outre, qu’elle comporte l’exercice d’une prérogative de puissance publique » » (décision n° 09-D-17 du 22 avril 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie).

59. À l’inverse, le Conseil, puis l’Autorité se sont reconnus compétents pour apprécier la légalité de pratiques mises en œuvre par les ordres dès lors que « ces organismes interviennent par leurs décisions hors de cette mission ou ne mettent en œuvre aucune prérogative de puissance publique » (arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000, Semmaris, précité) ou lorsque les pratiques sont « détachables de l’appréciation de la légalité d’un acte administratif » (décision du Tribunal des conflits du 18 octobre 1999, Préfet de la région Ile- de-France, préfet de Paris, n° 03174).

60. Ainsi, dans une affaire relative à l’Ordre national des pharmaciens, le Conseil de la concurrence a considéré qu’un Ordre « peut donner son avis aux pouvoirs publics sur les questions relevant de sa compétence », mais qu’« il sort de sa mission en diffusant des mises en garde constituant un appel à un boycott collectif du portage de médicaments à domicile » (décision n° 97-D-18 du 18 mars 1997 concernant des pratiques relevées dans le secteur du portage de médicaments à domicile). Confirmant cette position, la Cour de cassation a jugé que le communiqué d’un conseil central de l’Ordre, diffusé aux conseils régionaux, contenant une interprétation inexacte du code de la santé publique s’opposant au portage de médicaments à domicile « ne manifestait pas l'exercice d'une prérogative de puissance publique, sortait de la mission de service public qui lui est conférée en tant qu'ordre professionnel, et constituait une intervention sur le marché du portage de médicaments à domicile dont le Conseil de la concurrence pouvait connaître » (arrêt de la Cour de cassation du 16 mai 2000, Ordre national des pharmaciens n° 98-12.612).

61. De même, dans une affaire relative à l’Ordre national des chirurgiens-dentistes, le Conseil de la concurrence a considéré que « lorsqu’un ordre professionnel, sortant de la mission de service public qui est conférée en tant qu’ordre professionnel, adresse à des tiers un courrier ou une note dans lequel il se livre à une interprétation de la législation applicable à son activité, il intervient dans une activité de services entrant dans le champ d’application de l’article L. 410-1 du Code de commerce » (décision n° 05-D-43 du 20 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil départemental de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes du Puy-de-Dôme et le Conseil national de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes).

62. Dans une autre affaire relative à l’Ordre national des chirurgiens-dentistes, le Conseil de la concurrence a considéré qu’il était compétent pour examiner « les comportements qui, parce qu’ils invitent les professionnels à adopter telle ou telle attitude sur le marché sur lequel ils opèrent, sous la forme de mises en garde ou de consignes, constituent une intervention dans une activité de services ». En l’espèce, il a estimé que les conseils de l’Ordre étaient sortis de leur mission de service public en ne se bornant pas à publier dans leurs différents organes de communication institutionnels le nouvel avis retirant un précédent avis du Conseil national et en diffusant auprès de l’ensemble des professionnels, par lettre circulaire, une interprétation erronée du nouvel avis laissant entendre qu’il impliquait la résiliation ou la non-adhésion des chirurgiens-dentistes à certains protocoles. Le Conseil de la concurrence a estimé que la communication sciemment erronée mise en place par les instances ordinales avait, en l’espèce, pour  but  d’évincer  du  marché  Santéclair  (décision  n°  09-D-07  du 12 février 2009 relative à une saisine de la société Santéclair à l’encontre de pratiques mises en œuvre sur le marché de l’assurance complémentaire santé).

63. La Cour de cassation a confirmé cette position en jugeant que « le Conseil national de l'ordre et certains conseils départementaux, en adressant une lettre-type et une circulaire à l'ensemble des chirurgiens-dentistes de leur ressort, afin de les inciter à ne pas adhérer ou à résilier leur adhésion aux conventions litigieuses, et en laissant clairement entendre que sa décision de retrait de l'avis du 20 septembre 2001 impliquait de telles conséquences, ont diffusé une interprétation de la portée d'avis déontologiques sur les protocoles proposés aux chirurgiens-dentistes, qu'ils n'ont usé d'aucune prérogative de puissance publique (…) lorsqu'ils ont fait connaître (…), par circulaire, aux praticiens inscrits à l'ordre le contenu de cette lettre, que les menaces dirigées contre ces praticiens dans la circulaire qui leur a été adressée n'ont pas davantage constitué la mise en œuvre d'un dispositif contraignant, de nature disciplinaire et articulé au nom de l’intérêt général et de l’action publique » (arrêt de la Cour de cassation du 7 juin 2011, Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes, n° 10-12038, p. 4).

64. S’agissant spécifiquement de la mise en œuvre d’une action disciplinaire par une instance professionnelle, l’Autorité a considéré qu’elle n’était pas susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle, à condition qu’elle ne soit « pas exercée dans le cadre d’une action plus large à visée anticoncurrentielle ». Le Conseil a estimé que « le pouvoir disciplinaire est (…) l’une des prérogatives de puissance publique à la disposition de l’Ordre. L’engagement, par un conseil de l’Ordre, d’une action disciplinaire à l’encontre d’un de ses membres ne relève donc pas en principe du champ de compétence du Conseil de la concurrence. Il en va de même lorsqu’un conseil de l’Ordre s’adresse nominativement à l’un de ses membres en lui demandant de modifier son comportement au motif d’une contrariété avec les règles de déontologie, le cas échéant sous peine d’engager à son encontre une action disciplinaire : une telle mise en demeure s’inscrit bien dans l’exercice du pouvoir disciplinaire » (décision n° 09-D-07, précitée). La Cour de cassation a, elle aussi, considéré que le « contrôle déontologique » opéré par le Conseil départemental de l’Ordre des  chirurgiens-dentistes  relève   de   sa   mission   de   service   public   (Cass.   crim.,   12 septembre 2018 n° 17-81.190).

65. Concernant les décisions ordinales relatives à l’inscription de praticiens au tableau, l’Autorité a estimé dans une affaire concernant  l’Ordre national des infirmiers (ci-après  l’« ONI »), que « les décisions litigieuses par lesquelles six conseils départementaux de l’ordre des infirmiers ont refusé l’inscription d’infirmiers au tableau de l’ordre ont été prises dans le cadre des missions de service public de l’ONI, au moyen de prérogatives de puissance publique. Elles sont donc de nature administrative » (décision n° 18-D-01 de l’Autorité de la concurrence du 18 janvier 2018 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Ordre national des infirmiers dans le secteur des prestations de service fournies aux infirmiers).

66. Dans cette même affaire, l’Autorité a considéré que les « mises en garde dont certains infirmiers ont fait l’objet et qui sont motivées par les observations du [Conseil départemental de l’Ordre des infirmiers] sur les contrats conclus avec la société SOS-Infirmières ou l’une des autres saisissantes. Ces démarches, quelle que soit l’appréciation portée sur leur opportunité, s’inscrivent dans le cadre des missions de protection des règles professionnelles dont l’ordre est investi ». L’Autorité a ainsi conclu que « ces pratiques des instances ordinales locales, à les supposer illégales, n’en sont pas pour autant détachables de l’exercice, par l’ONI, des prérogatives de puissance publique qui lui sont confiées dans le but d’assurer ses missions de service public. Ainsi, si elles s’y croient fondées, il appartient aux saisissantes de saisir la juridiction administrative compétente pour connaître de la légalité de ces pratiques ou décisions, le cas échéant par le biais d’une demande en référé ».

67. Pour sa part, le Tribunal de l’Union a eu l’occasion de se prononcer sur le point de savoir si les pratiques d’un ordre professionnel entraient dans le champ d’application de l’article 101 du TFUE ou constituaient une activité de puissance publique ne relevant pas de ces dispositions. À propos de pratiques mises en œuvre par l’Ordre national des pharmaciens, il a estimé que « même si, dans [les] circonstances [de l’espèce], il n’est pas nécessaire de prendre définitivement position sur la question de savoir dans quelle mesure l’exercice par l’ordre de son pouvoir disciplinaire se rattache à l’exercice d’une prérogative de puissance publique, de sorte qu’il tombe en dehors du champ d’application de l’article 101 TFUE, il doit encore être précisé que l’existence d’une telle prérogative ne saurait offrir une protection absolue contre toute allégation de comportement restrictif de concurrence, puisque l’exercice manifestement inapproprié d’un tel pouvoir consisterait, en tout état de cause, en un détournement de ce pouvoir » (arrêt du Tribunal de l’Union du 10 décembre 2014, Ordre national des pharmaciens, T-90/11, point 207). Dans cette affaire, la Commission a, quant à elle, considéré que les décisions adoptées par cet Ordre avaient pris « l’apparence, et seulement l’apparence de décisions relevant de l’exercice de prérogatives de puissance publique » (Comm. Europ., 8 décembre 2010, Ordre national des pharmaciens, COMP/39510).

68. Enfin, l’Autorité a relevé, à propos de décisions de l’Ordre des avocats au barreau de Limoges rejetant la demande d’ouverture d’une nouvelle agence AGN avocats à Limoges que celles-ci, après examen des pièces du dossier, manifestaient l’exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique et a pour ce motif décliné sa compétence (décision n° 18-D-18 du 20 septembre 2018, AGN Avocats). La cour d’appel de Paris a confirmé la décision de l’Autorité, en précisant que « pour pouvoir qualifier l’exercice de prérogatives de puissance publique de « manifestement  inapproprié», il faut que le mal-fondé de la décision prise en vertu de telles prérogatives ressorte avec la force de l’évidence, de sorte que seule la volonté de l’auteur de la décision de détourner le pouvoir qui lui  a  été  confié  est  susceptible  d’expliquer  ladite  décision »  (arrêt  du 10 octobre 2019, n° 18/23386).

B. L’APPLICATION AU CAS D’ESPECE

69. Dans le cadre de sa saisine, Optical Center dénonce la mise en œuvre par le CDROM d’une pratique de boycott, ayant consisté à rejeter systématiquement les contrats et projets de contrats communiqués par les professionnels de santé souhaitant exercer au sein du centre de chirurgie laser Optical Center, à opposer des refus non fondés aux demandes d’exercice de l’activité professionnelle sur un site distinct, et à multiplier les poursuites disciplinaire et judiciaires, dans le but d’évincer la « clinique » Optical Center du secteur de la chirurgie réfractive.

70. S’agissant d’une pratique supposée de boycott généralisée émanant du CDROM, les éléments versés au dossier ne démontrent pas que le CDROM aurait, par principe, délibérément et dans un but d’éviction anticoncurrentielle, cherché à freiner ou mettre un terme à l’activité du centre de chirurgie laser Optical Center. Les pratiques du CDROM n’ont pas revêtu de caractère systématique, en ce qu’elles sont restées ciblées et d’une amplitude limitée, n’ayant visé qu’un nombre restreint de praticiens (quatre). De plus, elles ont été justifiées de manière circonstanciée par des considérations essentiellement liées au non- respect de la déontologie médicale. Enfin, le CDROM n’a pas entrepris de démarche de blocage, généralisée et indifférenciée.

71. Optical Center n’a par ailleurs fourni aucun élément tendant à établir l’existence de contacts entre le CDROM et le SNOF, ou de « pressions » prétendument exercées par le CDROM sur les praticiens souhaitant exercer au sein de son établissement. À cet égard, les attestations des Docteurs L. et V. contredisent ce qu’a soutenu Optical Center dans sa saisine et lors de la séance du 23 juillet devant l’Autorité, à savoir que ces deux médecins avaient été dissuadés par le CDROM d’exercer au sein d’Optical Center :

-  le Docteur L. a déclaré sur l’honneur « avoir été sollicité à plusieurs reprises par Optical Center, pour exercer éventuellement la chirurgie réfractive dans les locaux du 20 rue Childebert à Lyon 2ème et ne pas y avoir donné suite ; n’avoir jamais été contacté, par écrit ou verbalement, le [CDROM] en vue d’un éventuel exercice au sein des locaux d’Optical Center »38 ;

-  le Docteur V. a quant à lui indiqué dans un courrier avoir été démarché par Optical Center et avoir exprimé, à quatre reprises, son refus de travailler au sein de son établissement la clinique Optical Center. Le Docteur V. a également affirmé : « je n’ai subi ni contraintes, menaces ou pressions (…) pour ne pas travailler au sein de cette structure, qu’il s’agisse du CDROM ou de quiconque »39.

72. Aucun élément du dossier ne tend, en outre, à démontrer que les différentes procédures engagées par le CDROM, considérées dans leur ensemble ou individuellement, traduiraient l’existence d’un détournement par le CDROM de ses prérogatives de puissance public de manière manifestement inappropriée, ou que le CDROM agirait en-dehors du cadre de ses missions de service public. Il convient, à cet égard, de rappeler que les actions en justice introduites par les organisations professionnelles ne sont pas considérées, en soi, comme des pratiques anticoncurrentielles (cf. notamment pt. 98 de la décision n° 10-D-11 : « le Conseil de la concurrence a déjà considéré, notamment dans la décision n° 94-D-18 du 8 mars1994, que « le fait d’agir en justice est l’expression d’un droit fondamental, spécialement reconnu par l’article L. 411-11 du code de travail aux organisations syndicales (...) ; que, dès  lors, l’action en justice d’une organisation professionnelle ne peut être considérée comme constituant, en elle-même, une action concertée anticoncurrentielle » »).

73. L’Autorité, à qui il ne revient pas de porter d’appréciation sur la pertinence des reproches formulés et des arguments utilisés par le CDROM à l’encontre des praticiens ou d’Optical Center, constate également que certains points soulevés par le CDROM dans le cadre de ses courriers ou des procédures qu’il a initiées, ont été confirmés en justice. Il en est ainsi notamment du reproche formulé par le CDROM s’agissant de l’exercice de la chirurgie réfractive par une société commerciale. Cet argument est lié à l’obligation, pour les établissements de santé pratiquant des actes chirurgicaux, d’obtenir l’agrément de l’ARS. À ce titre, le Tribunal administratif de Toulouse a indiqué que « la chirurgie réfractive au laser excimer (…) [telle que celle proposée par Optical Center] constitue une chirurgie ambulatoire qui, conformément aux dispositions de l’article D. 6124-301 du code de la santé publique ne peut être exercée que dans les établissements de santé au sens des dispositions de l’article L. 6111-1  du  code  de  la  santé  publique »  (jugement  du  2  octobre  2014, n° 1201012). Cette analyse a été reprise par le CNOM dans sa décision du 13 décembre 2018, infirmant la décision de première instance de la CDPI concernant le Docteur G. : « en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique, (…) il résulte que la chirurgie ne peut être réalisée que dans des établissements de santé ou dans des structures de soins alternatives à l’hospitalisation rattachés aux établissements de santé »40. Or, le centre de chirurgie laser Optical Center n’a pas fait l’objet d’un agrément de l’ARS. Surtout, le tribunal administratif de Lyon, saisi par Optical Center, a jugé que « l’activité de chirurgie réfractive exercée par la SAS Optical Center est une activité de chirurgie ambulatoire, exercée sous la forme d’alternative à l’hospitalisation, pratiquant l’anesthésie, en l’espèce l’anesthésie locale. Dès lors, en application des articles L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique, elle est soumise à l’autorisation de l’agence régionale de santé, sans qu’y fassent obstacle les circonstances que cette activité n’est pas remboursée par la sécurité sociale, a un but de confort, serait un acte de petite chirurgie, et que l’agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes ne pouvait, eu égard notamment au contenu du schéma en vigueur en Auvergne-Rhône-Alpes, se référer à ce schéma pour accorder ou non une telle autorisation »41. Le tribunal a également estimé que les prises de position de l’ARS et du ministre de la santé, qui avaient considéré dans des courriers, respectivement du 29 décembre 201642 et du 9 juillet 201543, que le traitement de la vision par laser est exclu du champ d’application de l’article L. 6122-1 du CSP, n’étaient pas « créatrices de droit » 44 et qu’Optical Center ne pouvait utilement s’en prévaloir (jugements du 14 janvier 2020, n° 1901040 et n° 1804672).

74. Par ailleurs, s’agissant des courriers adressés aux praticiens concernant leurs contrats et projets de contrat avec Optical Center, le fait que le CDROM ait formulé des remarques liées au non-respect des règles déontologiques et ait demandé aux praticiens de ne pas exercer au sein du centre de chirurgie laser Optical Center s’inscrit dans le cadre des missions qui lui sont dévolues et manifeste l’exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de ses prérogatives de puissance publique. En effet, comme évoqué ci-dessus (cf. points 9 et suivants ci-dessus), il revient aux conseils départementaux de veiller au respect, par les professionnels, des règles déontologiques auxquelles ils sont soumis.

75. L’examen des contrats et projets de contrat est l’occasion pour les conseils départementaux d’exercer ce contrôle, comme le prévoit expressément l’article L. 4113-9 du CSP. Si l’analyse des documents contractuels à proprement parler ne peut donner lieu qu’à des observations, conformément à la jurisprudence évoquée du Conseil d’État (cf. point 49 ci- dessus), il en va autrement des conditions dans lesquelles, plus généralement, le praticien exerce son activité. Le courrier du 13 juin 2016 adressé par le CDROM au Docteur M. indique en ce sens : « outre ces questions de principe, le contrat que vous nous soumettez comporte de nombreuses clauses transgressant la déontologie médicale » (soulignement ajouté)45. La seule remarque portant strictement sur le contrat se trouve à la fin du courrier du CDROM, concernant la contrariété d’une clause à la déontologie. Les courriers adressés au Docteur B., quant à eux, ne se réfèrent pas seulement aux documents contractuels transmis au CDROM par ce dernier, mais aussi aux conditions d’exercice (exercice dans des locaux commerciaux, publicité et compérage) ainsi qu’à la demande d’exercice sur un lieu distinct (cf. point 38 ci-dessus). Le CDROM s’est donc positionné sur le seul terrain de la déontologie médicale, et dans ces conditions, sur le fondement des violations qu’il alléguait, était en mesure de demander aux praticiens de ne pas exercer pour le compte d’Optical Center.

76. Par ailleurs, l’absence de réponse du CDROM au courrier du Docteur M. transmettant à ce dernier le second contrat modifié pouvait difficilement s’analyser comme une approbation implicite du CDROM. En effet, le contrat a été modifié par le Docteur M. sur la seule clause expressément visée par le CDROM dans son courrier en réponse, mais ce changement n’avait aucune incidence sur les violations des règles déontologiques par ailleurs alléguées par le CDROM.

77. S’agissant des décisions de refus d’exercice sur un site distinct opposées par le CDROM aux Docteurs M., B. et G., fondées sur des considérations tenant au non-respect des règles déontologiques (cf. points 34 et suivants ci-dessus), la saisissante ne fournit aucun élément pouvant laisser penser que les motifs sur lesquels un conseil départemental pouvait se fonder pour rejeter une demande devaient correspondre limitativement aux conditions dans lesquelles un praticien peut formuler et justifier sa demande d’exercice sur un site distinct (carence ou insuffisance de l’offre de soins, nécessité d’utiliser des équipements particuliers, etc.). Rien n’interdit a priori aux conseils départementaux de faire état de considérations liées au respect de la déontologie dans le cadre de l’examen de ce type de demandes ; cette faculté rentre dans leurs attributions générales, s’inscrit dans le cadre des missions de service public qui leur sont dévolues et manifeste l’exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de leurs prérogatives de puissance publique. L’Autorité note d’ailleurs que la nouvelle rédaction de l’article R. 4127-85 du CSP – non applicable au moment des faits – mentionne, comme motifs éventuels de refus de la part des conseils départementaux, ceux « tirés d’une méconnaissance (…) des dispositions législatives et réglementaires », qui incluent les règles déontologiques.

78. Au vu de l’ensemble de ces éléments, et pour reprendre les termes de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire « AGN Avocats » (cf. point 68 ci-dessus), il ne ressort nullement avec la force de l’évidence que les différentes décisions du CDROM (engagement de procédures, courriers adressés aux praticiens) sont mal fondées, et qu’elles s’expliqueraient par sa seule volonté de détourner les pouvoirs qui lui ont été confiés. Au contraire, ces décisions ne font que traduire l’exercice, par le CDROM, de ses prérogatives de puissance publique et ce, dans une mesure non manifestement inappropriée.

79. Il résulte de ce qui précède que l’Autorité n’est pas compétente pour connaître des pratiques du CDROM. La saisine doit donc être déclarée irrecevable en application du 1er alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce.

DÉCISION

Article unique : La saisine au fond de la société Optical Center, enregistrée sous le numéro 18/0109 F, est déclarée irrecevable.

 

NOTES :

1 Ce résumé à un caractère strictement indicatif ; seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2  Cotes 1 à 20.

3 Rapport du Syndicat national des ophtalmologistes de France, L’ophtalmologie et la filière visuelle en France, janvier 2006, p. 6.

4 Traitement statistique de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), issu de données actualisées au 1er janvier 2020 provenant des répertoires ADELI des professions de santé.

5 Rapport du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), La prise en charge des soins ophtalmologiques en France, 28 mai 2013, p. 2.

6 Rapport du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF), Les Besoins en Ophtalmologistes (d’ici 2030), avril 2011, p. 79.

7 ANSM, Dossier Chirurgie réfractive.

8 Panorama de la DRESS, Les établissements de santé, édition 2019.

9 Loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales.

10 Décret n° 2019-511 du 23 mai 2019 modifiant le code de déontologie des médecins et la réglementation des sociétés d'exercice libéral et des sociétés civiles professionnelles.

11 Étude Xerfi France, La distribution d’optique, mars 2020, p. 52.

12  Ibid., p. 49.

13  Ibid., p. 59.

14  Cote 1930.

15  Cote 159.

16  Cotes 22 à 28.

17  Cotes 30 à 32.

18  Cotes 38 à 44.

19  Cotes 52 à 55.

20  Cotes 57 et 58.

21  Cote 60.

22  Cote 2241.

23 Cotes 84 à 88.

24  Cote 2341.

25  Cote 2339.

26  Cotes 48 à 50.

27  Cotes 101 à 108.

28  Cotes 380 à 399.

29  Cotes 552 à 557.

30  Cotes 66 à 77.

31 Cotes 2064 à 2068.

32 Cotes 2380 à 2385.

33  Cote 19.

34  Cote 13.

35  Cote 12.

36  Cote 15.

37  Cote 18.

38  Cote 585.

39  Cote 589.

40 Cotes 1740 à 1742.

41  Cotes 2383 et 2392.

42  Cotes 1745 et 1746.

43  Cote 665.

44  Cote 2383.

45  Cotes 30 à 32.