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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 octobre 2020, n° 18/08717

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Etablissements Martignon (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Morlon, Me Pitcho, Me Jolivet

TGI Paris, du 9 mars 2018

9 mars 2018

FAITS ET PROCÉDURE :

Vu le jugement rendu le 9 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Paris qui a :

- déclaré irrecevable l'action en responsabilité extra contractuelle de M. X dirigée à l'encontre de la société Etablissements Martignon, du fait de la prescription,

- condamné M. X aux dépens et à payer la somme de 3.000 euros à la société Etablissements Martignon au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Vu l'appel relevé par M. X et ses dernières conclusions notifiées le 31 octobre 2019 par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles « 721-3 du code de commerce », 42 du code de procédure civile, 2224 du code civil, L. 442-6 du code de commerce et 700 du code de procédure civile, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de :

- dire que son action n'est pas prescrite,

- constater qu'il a entretenu avec la société Etablissements Martignon une relation commerciale établie depuis plus de 30 ans et que cette société l'a rompue brutalement,

- dire que la société Etablissements Martignon a commis une faute qui a causé sa déconfiture,

- condamner la société Etablissements Martignon à lui payer les sommes de 270 000 euros et de 5.000 euros en réparation de ses préjudices économique et moral,

- débouter la société Etablissements Martignon de toutes demandes contraires,

- la condamner aux entiers dépens et à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions notifiées le 22 février 2019 par la société Etablissements Martignon qui demande à la cour, au visa des articles L. 110-4 du code de commerce, 122 du code de procédure civile et L. 442-6 du code de commerce, de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- en conséquence, débouter M. X de toutes ses demandes,

- condamner M. X aux dépens et à lui payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

SUR CE LA COUR

Pendant plusieurs années M. X, qui était agriculteur, a entretenu une relation commerciale établie avec la société Etablissements Martignon qui lui fournissait les semences, engrais et produits phytosanitaires, stockait et commercialisait ses récoltes et lui accordait des avances de trésorerie en obtenant leur remboursement lors de la vente des récoltes et de la perception des primes PAC.

Le 19 mai 2019, M. X a signé une reconnaissance de dette aux termes de laquelle il s'engageait à payer la somme de 173 000 euros à la société Etablissements Martignon.

Le 2 juin 2010, la société Etablissements Martignon a fait assigner M. X devant le tribunal de grande instance de Bourges en lui réclamant paiement d'un solde de 87 645,97 euros restant dû.

Par jugement du 23 juin 2010, le tribunal de grande instance de Bourges a prononcé la résolution du plan de redressement de M. X et de Mme X, qui avait été homologué le 23 mai 2001, et a prononcé leur liquidation judiciaire.

La société Etablissements Martignon a déclaré sa créance au passif de la liquidation judiciaire et s'est désistée de son instance en paiement ; le 9 juillet 2011, elle a reçu notification de l'admission de sa créance au passif de la liquidation judiciaire pour un montant de 87 295,90 euros.

M. X, appelant, fonde ses demandes sur l'article L. 442-6-I 5° du code de commerce, reprochant à la société Etablissements Martignon d'avoir rompu brutalement leurs relations commerciales à l'automne 2009 (page 3 de ses conclusions) et plus précisément en octobre 2009 (page 14 de ses conclusions ).

La société Etablissements Martignon lui oppose la prescription de son action engagée par assignation du 24 septembre 2015.

Pour contester la prescription et voir déclarer ses demandes recevables, M. X fait valoir :

- que depuis les modifications intervenues avec la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité contractuelle ou délictuelle relèvent toutes de la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil,

- que cette règle est également applicable depuis 2008 aux obligations nées à l'occasion du commerce entre commerçants et non commerçants conformément à l'article L. 110-4 I du code de commerce,

- que l'article 2224 du code civil fixe comme point de départ de la prescription « le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer »,

- qu'en matière de responsabilité extracontractuelle, le point de départ de la prescription est fixé à compter de la manifestation ou de la réalisation du dommage et non au jour de la commission de la faute,

- que par arrêt du 3 juillet 2007, la cour de cassation a dit qu'en matière de rupture de crédit causant la liquidation d'une société, le point de départ du délai de prescription de l'action en responsabilité extracontractuelle devait être fixé, non à la date de la faute alléguée, mais à la date de manifestation du dommage,

- que la loi de 2008 a unifié le délai de prescription, donné une définition de son point de départ mais laissé au juge le pouvoir d'apprécier quels sont les faits permettant au titulaire du droit de l'exercer,

- que c'est en vain que la société intimée allègue que le point de départ de la prescription ne pourrait être fixé postérieurement au jugement de liquidation judiciaire,

- que le seul critère qui doit présider à la détermination du point de départ de la prescription est la date de survenance concrète et effective du dommage et non la réalisation probable de celui-ci,

- que sa liquidation judiciaire ne pouvait constituer la réalisation de son dommage que sous condition que l'état des créances vérifié ultérieurement révèle un préjudice,

- que c'est donc le 28 octobre 2010, date où l'état des créances a été vérifié et admis, que son dommage est devenu effectif,

- qu'en conséquence, son action introduite par assignation du 24 septembre 2015 n'est pas prescrite.

Mais il convient de rappeler que par application de l'article L.110-4 I du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions plus courtes.

L'article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi 2008-561 du 17 juin 2008, dispose quant à lui : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. »

Il en résulte que l'action en responsabilité de M. X, fondée sur l'article L. 442-6-1 5° du code de commerce se prescrit par cinq ans et que le point de départ de la prescription est le jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Or, M. X déclare lui-même que la rupture qu'il qualifie de brutale est intervenue en octobre 2009 ou à tout le mois à l'automne 2009 ; le tribunal a retenu :

- que M. X versait aux débats des comptes rendus d'entretien avec la société Etablissements Martignon et la SAFER visant à obtenir la reprise des relations commerciales et faisant état d'un préjudice financier et moral,

- que ces comptes rendus en date des 13 décembre 2009, 14 et 26 janvier 2010, 10 et 26 février 2010 et 5 mars 2010 établissaient que dès le mois d'octobre 2009, M. X avait non seulement connaissance de la cessation des relations commerciales mais aussi des conséquences sur la poursuite de son activité.

L'appelant ne discute en aucune façon la teneur de ces comptes rendus.

Ainsi il est démontré qu'à la date du 29 octobre 2009, M. X avait une connaissance précise de la rupture des relations, de ses circonstances et du dommage pouvant en résulter, faits qui lui permettaient d'exercer une action pour rupture brutale de la relation commerciale établie; il importe peu qu'à cette date le préjudice susceptible de découler de la brutalité de la rupture n'ait pas encore été quantifié.

En conséquence, ses demandes sont irrecevables par application de l'article 122 du code de procédure civile ; le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions et l'appelant débouté de toutes ses demandes.

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il y a d'allouer la somme supplémentaire de 3 000 euros à la société Etablissements Martignon et de rejeter la demande de M. X de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et contradictoirement,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

DÉBOUTE M. X de toutes ses demandes,

CONDAMNE M. X a payer à la société Etablissements Martignon la somme supplémentaire de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. X aux dépens de première instance et d'appel.