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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 22 octobre 2020, n° 17/03934

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Provence Logistique Services (SARL)

Défendeur :

LMC (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

M. Fohlen, Mme Berquet

T. com. Manosque, du 21 févr. 2017

21 février 2017

FAITS - PROCEDURE - DEMANDES

Le 29 mars 2016 la S.A.R.L. PROVENCE LOGISTIQUE SERVICES [<PLS>] avait fait assigner, au visa de l'article L. 442-6-I-5° du Code de Commerce, la S.A.R.L. LMC pour rupture sans préavis des relations commerciales ; le Tribunal de Commerce de MANOSQUE, par jugement du 21 février 2017 visant lui aussi ce texte a :

* condamné la société LMC à payer à la société PLS :

- la somme de 5 034 euros 00 en réparation du préjudice causé par la rupture de leur relation d'affaires,

- et celle de 800 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* débouté la société PLS pour le surplus de ses demandes en principal et au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

* débouté la société LMC de sa demande faite au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, et plus généralement de ses demandes ;

* ordonné l'exécution provisoire ;

* mis les entiers frais et dépens à la charge de la société LMC.

Sur appel de la S.A.R.L. PROVENCE LOGISTIQUE SERVICES [<PLS>] cette Cour a par arrêt avant dire droit du 19 septembre 2019 :

* ordonné la réouverture des débats afin que les parties concluent sur la compétence du Tribunal de Commerce de MANOSQUE et l'excès de pouvoir commis par cette juridiction, par application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de Commerce ;

* renvoyé l'affaire à l'audience du lundi 20 janvier 2020 à 14 heures 00, avec ordonnance de clôture qui sera rendue le 20 décembre 2019.

La S.A.R.L. PROVENCE LOGISTIQUE SERVICES [<PLS>] n'a pas conclu après cet arrêt avant dire droit, ni communiqué de nouvelles pièces. Dans ses conclusions du 8 septembre 2017 antérieures audit arrêt elle avait soutenu notamment que :

- à compter d'avril 2008 elle avait mis à disposition de la société LMC ses services en termes de transport ; à compter de janvier 2015 ce cocontractant, a cru pouvoir rompre de manière brutale et sans l'en informer, contre toute attente notamment au regard de l'accroissement substantiel du chiffre d'affaires réalisé par elles deux, lequel représentait 17,29 % de son activité en 2012, 20,91 % en 2013 et 24,36 % en 2014 ;

- le Tribunal a dûment fixé à 6 mois le préavis que devait respecter la société LMC ;

- elle-même ne pouvait raisonnablement pas anticiper cette rupture ;

- son taux de marge brute n'est pas de 15 % mais de 88 % ; le chiffre d'affaires mensuel de 2012 à 2014 était en moyenne de 5 476 euros 00 H.T., et cette marge de 4 821 euros 52 ; le préavis pour 6 mois est ainsi de 28 929 euros 12 H.T. et avait demandé à la Cour, vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de Commerce, de :

* constater :

- le caractère établi, continu et stable des relations commerciales existant entre les parties depuis 2008 ;

- la rupture de ces relations commerciales à compter du mois de janvier 2015 à l'initiative exclusive de la société LMC ;

- l'absence objective et avérée de tout avertissement de la société LMC de sa volonté de mettre un terme aux relations commerciales avec la société PLS ;

- le non-respect avéré d'un préavis par la société LMC ;

- l'inexistence objective d'une quelconque exception d'inexécution opposable à la société PLS ;

- l'inexistence objective d'une force majeure opposable à la société PLS ;

- le préjudice financier subi par la société PLS en raison de cette rupture brutale, à hauteur de 32 874 euros 00 H.T. ;

- l'inopposabilité objective des attestations produites aux débats par la société LMC ;

* en conséquence :

- confirmer le jugement entrepris quant au principe de la responsabilité de la société LMC pour rupture brutale des relations commerciales entre les parties ;

- réformer le jugement quant au quantum de l'indemnité accordée à la société PLS au titre de la réparation financière due par la société LMC à son profit ;

- dire et juger injustifiée et inattendue la rupture des relations commerciales à l'initiative exclusive de la société LMC ;

- dire et juger brutale la rupture des relations commerciales à1'initiative exclusive de la société LMC ;

- dire et juger la société LMC unique responsable de cette rupture brutale des relations commerciales ;

- dire et juger mal fondées les attestations produites aux débats par la société LMC ;

- dire et juger que la marge brute de la société PLS est égale au chiffre d'affaires H.T. moins les charges variables ;

- dire et juger que le taux de marge brute de la société PLS est de 88 % du chiffre d'affaires H.T. ;

* condamner la société LMC :

- à payer au profit la somme de 28 929 euros 12 H.T. correspondant au préjudice financier subi par la société PLS du fait de la rupture brutale des relations commerciales ;

- au paiement d'une somme de 3 000 euros 00 au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Par conclusions du 13 décembre 2019 la S.A.R.L. LMC répond notamment que :

- elle commercialise dans les Alpes de Haute-Provence des meubles de cuisine de la marque MOBALPA fabriqués à THONES (74) par la société FOURNIER, et à partir de fin 2008 a confié à la société PLS les réception-stockage-réacheminement de ceux-ci ;

- cette société lui a procuré beaucoup d'insatisfactions qui sont allées en s'aggravant : insuffisance de prestations, désinvolture et impolitesse des gérant et salariés ; en 2014 la société FOURNIER a décidé de ne plus référencer la société PLS, et elle-même a été contrainte de changer de prestataire en janvier 2015 pour travailler désormais avec la société RESEAU COLIS LOGISTIQUE vivement recommandée par ce fabricant ;

- la revendication de dommages et intérêts par la société PLS était injustifiable, et son préjudice effectif inexistant.

L'intimée demande à la Cour, vu l'article L. 442-6-III du Code de Commerce issu de la loi du 4 août 2008 ; l'article D. 442-4 du Code de Commerce issu du décret du 11 novembre 2009 ; de :

- infirmer le jugement ;

- dire et juger que le Tribunal de Commerce de MANOSQUE a commis un excès de pouvoir en statuant sur des demandes qui, en ce qu'elles ne relevaient pas de son pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables ;

- annulant le jugement et statuant en appel dans les limites de son pouvoir juridictionnel :

- dire et juger les demandes formées par la société PLS fondées sur l'article L. 442-6 du Code de Commerce comme étant irrecevables en appel, la Cour d'Appel <de céans> juridiction non spécialisée étant elle-même dépourvue de tout pouvoir juridictionnel pour statuer sur un litige portant sur l'application de cet article ;

- et dans l'hypothèse où par extraordinaire la Cour se considèrerait néanmoins investie du pouvoir juridictionnel de statuer sur de telles demandes :

- débouter la société PLS de sa demande en dommages et intérêts pour brusque rupture de relation d'affaire, dès lors que dans les circonstances de l'espèce, cette rupture ne peut être tenue pour brusque et inopinée ;

- à titre infiniment subsidiaire, juger en tout état de cause que la société PLS ne peut prétendre à indemnisation d'un préjudice - qu'elle n'hésite pas de surcroît à chiffrer à un montant exorbitant et sans en justifier - dès lors qu'elle n'a subi aucun préjudice du fait de la cessation de relation de la société LMC puisqu'elle s'est trouvée déficitaire pendant l'exécution de cette relation et a au contraire enregistré des bénéfices depuis lors ;

- et dans tous les cas :

- débouter la société PLS de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société PLS à payer à la société LMC la somme de 3 000 euros 00 sur le fondement de l'article 700 [du] Code de Procédure Civile.

L'audience a, en raison de la Grève des Avocats, été renvoyée au 18 juin 2020, avec ordonnance de clôture le 18 mai. En application de la loi du 23 mars 2020 instaurant l'état d'urgence sanitaire et de l'article 8 de l'ordonnance du 25 suivant, un avis a été adressé aux parties le 12 mai 2020 les informant que l'affaire était instruite selon la procédure sans audience, la date de dépôt des dossiers étant fixée au 18 juin ci-dessus et l'arrêt étant mis à disposition des parties au greffe le 22 octobre 2020.

MOTIFS DE L'ARRET

Les réclamations de la société PLS, tant dans son assignation délivrée le 29 mars 2016 à la société LMC que dans ses conclusions d'appel du 8 septembre 2017 antérieures à l'arrêt avant dire droit du 19 septembre 2019, sont fondées sur l'article L. 442-6-I-5° du Code de Commerce [aujourd'hui L. 442-1-II] sanctionnant le fait « De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale (...) ».

Or ce texte précise dans son III alinéa 5 [aujourd'hui l'article L. 442-4-III] que « Les litiges relatifs à l'application [de ce texte] sont attribués aux juridictions dont le siège et le ressort sont fixés par décret », même si la rupture de relation n'est qu'une partie des points litigieux jugés par le Tribunal et invoqués en appel par les parties ; par ailleurs l'article D. 442-3 alinéa 2 du même Code fixe comme juridiction commerciale compétente pour notamment le département des Alpes de Haute-Provence (dans lequel se situe le Tribunal de Commerce de MANOSQUE ayant rendu le jugement soumis à la Cour) uniquement le Tribunal de Commerce de MARSEILLE.

L'appel du jugement du 21 février 2017, parce qu'il n'a pas été rendu par le Tribunal de Commerce de MARSEILLE qui est spécialisé, doit cependant être examiné par la présente Cour, même dans l'hypothèse où le Tribunal de Commerce de MANOSQUE aurait à tort statué sur l'application de l'article L. 442-6-I-5° ci-dessus ; mais dans ce dernier cas la Cour doit d'une part relever d'office l'excès de pouvoir commis par cette juridiction en statuant sur des demandes qui, en ce qu'elles ne relevaient pas de son pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables, et d'autre part statuer elle-même sur le litige.

Les relations commerciales par lesquelles la société LMC avait confié des prestations à la société PLS ont duré de mars 2008 à avril 2015, ce qui caractérise la relation commerciale établie de l'article L. 442-6-I-5° [ancien] du Code de Commerce. Par suite la rupture de cette relation par la première devait se concrétiser par un préavis écrit. Or il n'y a eu à l'encontre de la seconde ni écrit ni reproche au cours comme à l'issue de cette période, et la société LMC a attendu mai 2016 soit 13 mois après cette rupture pour faire établir des attestations sur la prétendue mauvaise qualité des prestations de la société PLS. C'est donc à bon droit que le Tribunal a fixé un préavis de rupture d'une durée de 6 mois vu les 7 ans pendant lesquels s'est exécutée la relation contractuelle.

Le chiffre d'affaires de la société PLS a été, pour les exercices allant du 1er octobre au 30 septembre suivant, de :

- 220 637 euros 00 en 2009,

- de 192 120 euros 00 en 2010,

- de 249 070 euros 00 en 2011,

- de 303 744 euros 00 en 2012,

- et de 316 414 euros 00 en 2015,

même si cette société a subi une perte de 4 585 euros 00 en 2010.

Par ailleurs la part des relations avec la société LMC s'est élevée à :

- 52 503 euros 00 en 2012,

- 68 027 euros 00 en 2013,

- et 76 721 euros 00 en 2014,

d'où une moyenne mensuelle de 5 479 euros 19.

Enfin la marge brute (sur coût variable) représentait en moyenne 88 % du chiffre d'affaires de la société PLS.

Le préavis mensuel moyen s'élève ainsi à 5 479 euros 19 x 88 % soit les 4 821 euros 52 invoqués par la société PLS, et la dette de la société LMC à hauteur de 6 mois aux 28 929 euros 12 qu'elle réclame avec raison, au lieu des 5 034 euros 00 retenus par le jugement, d'où une différence égale à 23 895 euros 12.

DECISION

La Cour, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire.

Vu l'arrêt avant dire droit du 19 septembre 2019.

Relève d'office l'excès de pouvoir commis par le Tribunal de Commerce

de MANOSQUE dans son jugement du 21 février 2017.

Statuant sur le fond, confirme ce jugement, et y ajoutant condamne la S.A.R.L. LMC à payer la somme de 23 895 euros 12 à titre de complément de préavis à la S.A.R.L. PROVENCE LOGISTIQUE SERVICES [<PLS>].

Entre outre, vu l'article 700 du Code de Procédure Civile, condamne la S.A.R.L. LMC à payer une indemnité de 3 000 euros 00 à la S.A.R.L. PROVENCE LOGISTIQUE SERVICES [<PLS>] au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Condamne la S.A.R.L. LMC aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Rejette toutes les autres demandes.