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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 22 octobre 2020, n° 18/00698

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Candis (SAS)

Défendeur :

Seafoodia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, M. Fohlen

Avocats :

Me Leloup, Me Douard

T. com. Marseille, du 29 nov. 2017

29 novembre 2017

EXPOSE DE L'AFFAIRE

Le 1er juillet 2013, la société SEAFOOEXPORT actuellement dénommée SEAFOODIA, qui a pour activité le négoce et la vente en gros de produits frais et congelés de la mer, et la société CANDIS ont signé un contrat d'agent commercial par lequel la société SEAFOODIA a confié à la société CANDIS le mandat non-exclusif de vendre ses produits frais et surgelés, à l'exclusion de ceux mentionnés à l'annexe 1, sur l'ensemble du territoire français aux centrales d'achat relevant de la grande distribution énoncées à l'article 2.1 du contrat.

Le contrat s'est exécuté pendant deux ans et un avenant a été signé le 18 août 2015, modifiant les centrales cibles de la société CANDIS et les produits exclus du contrat.

Le 6 octobre 2015, la société SEAFOODIA a notifié, par courrier recommandé avec avis de réception, à la société CANDIS la résiliation du contrat avec effet au 6 avril 2016 en s'engageant à verser à la société CANDIS l'indemnité compensatrice.

Par acte du 27 décembre 2016, la société CANDIS a fait assigner la société SEAFOODIA devant le tribunal de commerce de Marseille.

Par jugement du 29 novembre 2017, le tribunal de commerce de Marseille a

- dit et jugé que la société SEAFOODIA pouvait résilier le contrat la liant à la société CANDIS avec effet au 6 avril 2016, après avoir respecté un préavis de 6 mois,

- débouté la société CANDIS de sa demande de communication des factures émises par la société SEAFOODIA à l'encontre de ses clients sur la période du 6 avril 2016 au 30 juin 2018, de sa demande de versement de commissions sur des règlements au profit de la société SEAFOODIA par des clients au-delà du 6 avril 2016 et jusqu'au 30 juin 2018 ainsi que de sa demande de dommages et intérêts,

- pris acte que la société SEAFOODIA a versé à la société CANDIS la somme de 18 431,27 euros au titre de l'indemnité compensatrice,

- condamné la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS la somme de 5 490,83 correspondant à la différence entre la somme déjà versée et la moyenne annuelle la plus élevée au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la rupture du contrat,

- condamné la société SEAFOODIA aux dépens,

- rejeté les autres demandes.

La société CANDIS a relevé appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 12 janvier 2018.

Le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction par ordonnance du 31 août 2020 et a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 14 septembre 2020.

Vu les conclusions de la société CANDIS du 12 avril 2018, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles elle demande à la cour de :

Vu les articles L. 134-1 à L. 134-16, R. 134-3 et R. 134-4 du Code de commerce,

Vu les articles 1384 et 1385 du Code civil ancien,

Vu les articles 133 et 700 du Code de procédure civile,

Vu les pièces produites

- Déclarer recevable et bien fondé l'appe1 interjeté par la société CANDIS à l'encontre du jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 29 novembre 2017 ;

- Confirmer ce jugement en ce qu'il a reconnu à la société CANDIS le droit à l'indemnité de cessation de contrat prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce, mais réformant pour le surplus et notamment sur le montant de cette indemnité :

A- Condamner la société SEAFOODIA à produire l'intégralité des factures émises par elle à l'égard des sociétés AUCHAN, CORA, CARREFOUR, GRAND FRAIS, INTERMARCHE ou l'un quelconque de leurs adhérents, du 6 avril 2016 au 30 juin 2018 et faute par la société SEAFOODIA d'exécuter cette production, la condamner à l'exécuter sous astreinte de 200 par jour de retard, passé le 15ème jour suivant la signification de votre arrêt à intervenir; Dire et juger que la Cour se réserve la liquidation de l'astreinte ;

B- Condamner la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS les commissions au taux contractuel de 3 % sur toutes factures émises par SEAFOODIA à l'attention des sociétés AUCHAN, CORA, CARREFOUR, GRAND FRAIS, INTERMARCHE, ou de l'un quelconque de leurs adhérents pour la période du 6 avril 2016 au 30 juin 2018 avec intérêts de droit du jour de l'émission de chaque facture ;

C- Condamner la société SEAFOODIA, en application de l'article L. 134-12 du Code de Commerce, à payer à la SAS CANDIS une indemnité de cessation de contrat égale à deux années de commissions brutes, soit 3 % des factures émises par SEAFOODIA en 2016 et 2017 à l'attention des sociétés AUCHAN, CORA, CARREFOUR, GRAND FRAIS, INTERMARCHE, ou de l'un quelconque de leurs adhérents ;

D- Condamner la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS une somme de 20.000 de dommages et intérêts en réparation de la tentative de désorganisation perpétrée par la société SEAFOODIA par tentative de débauchage du sous-agent de CANDIS, la société X ;

E- Condamner la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS la somme de 15.000 en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

F- Condamner la société SEAFOODIA en tous les dépens de première instance et d'appel.

A l'appui de son appel, la société CANDIS soutient qu'elle a parfaitement rempli sa mission, que le contrat signé est un contrat à durée déterminée de 5 années de sorte que les commissions lui sont dues jusqu'au 30 juin 2018; que l'indemnité de fin de contrat doit être calculée sur la base des deux dernières années d'exécution du contrat; que la société SEAFOODIA, après avoir rompu le contrat, s'est adressée à la société X en vue de la signature d'un contrat d'agent commercial pour les mêmes produits et clientèle , qu'elle a ainsi voulu connaître les méthodes de travail de CANDIS et tenté de connaître son savoir-faire, désorganiser l'équipe commerciale de CANDIS et conserver le bénéfice des rapports avec la clientèle établir par X pour le compte de CANDIS, de sorte que la société SEAFOODIA lui doit une indemnité réparatrice.

Vu les conclusions de la société SEAFOODIA du 21 juin 2018, auxquelles il est expressément référé en application de l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles elle demande à la cour de :

déclarer la société CANDIS mal fondée en son appel,

confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

débouter la société CANDIS de toutes ses demandes,

la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

la condamner aux entiers dépens.

La société SEAFOODIA fait valoir que le contrat prévu pour une durée de 5 années prévoyait une possibilité d'y mettre fin avec préavis de 6 mois à tout moment. Elle affirme avoir procédé à cette résiliation en raison du fait que CANDIS avait pris des contacts avec la société de droit marocain OCEAMIC, pêcherie avec laquelle elle avait elle-même signé un contrat de vente en exclusivité de ses produits. Elle conteste devoir des commissions pour la période postérieure au 6 avril 2016, date d'effet de la résiliation, et une indemnité de fin de contrat prenant en compte ces commissions. Elle considère que le débauchage allégué n'est pas démontré.

Par ordonnance d'incident du 6 novembre 2018, le conseiller de la mise en état, qui avait fait injonction à la société SEAFOODIA de communiquer à la société CANDIS « un exemplaire de toutes les factures émises par elle depuis le 6 avril 2016 à l'intention des sociétés AUCHAN, CARREFOUR,INTERMARCHE, CORA, GRAND FRAIS ou l'un quelconque de leurs adhérents à ce jour » a rejeté la demande de rétractation de cette injonction présentée par la société SEAFOODIA et a autorisé cette société à masquer sur les factures les produits vendus et leurs prix, cette dernière devant laisser subsister la date des opérations et le montant facturé par SEAFOODIA.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de communication de pièces

Il n'est pas contesté que la société SEAFOODIA a satisfait à l'injonction de communication de pièces du conseiller de la mise en état du 12 juin 2018 confirmée par décision du 6 novembre 2018, de sorte que cette demande est maintenant sans objet.

Sur la demande en paiement de commissions pour la période du 6 avril 2016 au 30 juin 2018 et sur la demande portant sur le versement d'une indemnité de fin de contrat incluant dans son assiette de calcul les commissions sur les ventes réalisées du 6 avril 2016 au 30 juin 2018

La société CANDIS sollicite le paiement de commissions sur les ventes faites postérieurement à la résiliation du contrat d'agent commercial par le mandant soit du 6 avril 2016 au 30 juin 2018, et une indemnité de fin de contrat incluant dans son assiette de calcul les commissions sur les ventes réalisées du 6 avril 2016 au 30 juin 2018.

Elle soutient avoir signé un contrat à durée déterminée de cinq années qui a été résilié de façon anticipée par le mandant, et invoque les dispositions du code de commerce régissant le statut de l'agent commercial.

La société SEAFOODIA fait observer que le tribunal a estimé que l'indemnité devait se chiffrer à 23 922,10 euros et a condamné SEAFOODIA au paiement d'un complément de 5 490,83 euros, que dans le cadre de l'exécution provisoire, SEAFOODIA a réglé cette somme et ne forme aucun appel incident.

Elle s'oppose à « la prétention adverse de voir chiffrer l'indemnité de rupture sur la base des commissions qui auraient pu lui être dues pour la période jusqu'à la fin théorique du contrat ». Elle s'oppose également à la demande portant sur le versement de commissions du 6 avril 2016 au 30 juin 2018, soutenant qu'elle était fondée à résilier le contrat moyennant un préavis de six mois, et elle invoque les dispositions du contrat lequel stipule en son article 3 « DUREE »

« 3.1 Le présent Contrat est conclu pour une durée déterminée de 5 ans à compter de sa signature par les parties contractantes,

3.2 L'une ou l'autre des Parties pourra dénoncer le présent Contrat, à condition de respecter le préavis prévu à l'article 9 du présent Contrat. La dénonciation pourra intervenir à n'importe quel moment pendant la durée du Contrat ». et en son article 9 « FIN DU CONTRAT » :

« La partie qui entendrait mettre fin au Contrat devra en informer son co-contractant par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis de six (6) mois. Conformément à la loi du 25 juin 1991 et au caractère d'intérêt commun du présent mandat, la résiliation du Contrat par le mandant, si elle n'est pas justifiée par une faute grave de l'agent ou un cas de force majeure, ouvrira doit au profit de ce dernier ou de ses héritiers à une indemnité compensatrice du préjudice subi, calculée en fonction de la plus élevée des sommes correspondant à la moyenne annuelle des commissions hors taxe perçues par l'AGENT au cours des deux dernières années précédant la rupture. »

Il n'est pas contesté que le contrat litigieux liant les parties est un contrat d'agent commercial régi par les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce, de sorte que la société CANDIS en sa qualité d'agent bénéficie de ce statut réglementé comportant un principe de protection de l'agent commercial à l'issue du contrat.

Il résulte des articles L. 134-12 et L. 134-16 du code de commerce, qui sont des dispositions d'ordre public économique, que l'agent commercial ne peut être privé, par une clause ou une convention, de son indemnité de fin de contrat. L’article L. 134-12 du code de commerce énonce que, en ce cas, « l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi », et l'article L. 134-16 du code de commerce répute non écrite toute clause ou convention dérogeant à cette règle au détriment de l'agent.

Aux termes d'une jurisprudence constante, le caractère anticipé de la cessation d'un contrat à durée déterminée donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement prévue.

L'article 3.2 du contrat signé par les parties tend à annihiler les conséquences juridiques attachées au caractère de contrat à durée déterminé résultant de l'article 3.1, d'une part en amoindrissant le montant de l'indemnité de rupture et d'autre part en privant l'agent commercial des commissions dues jusqu'à la date conventionnellement prévue.

Il convient de donner au contrat signé entre les parties sa juste qualification de contrat à durée déterminée et de dire réputée non écrite la clause 3.2, et dès lors de faire droit aux demandes susvisées de la société CANDIS.

Le jugement sera infirmé de ces deux chefs.

Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur la tentative de débauchage du sous-agent de la société CANDIS

La société CANDIS reproche à la société SEAFOODIA d'avoir proposé à la société X un contrat d'agent commercial, en contrevenant ainsi à la loyauté, à la déontologie et aux dispositions de l'article 11 du contrat liant les parties, lequel stipule :

« 11- INTERDICTION RECIPROQUE DE DEBAUCHAGE

Pendant toute la durée du contrat et deux ans après sa cessation, à quelque moment et pour quelque cause qu'elle intervienne, les parties s'engagent réciproquement à ne pas recruter, utiliser, directement ou indirectement, les employés, anciens employés sous-agents ou anciens sous-agents de l'autre contractant ».

Elle soutient qu'elle a subi un préjudice pour tentative de désorganisation de ses activités.

La société SEAFOODIA soutient que le mail du 14 décembre 2016 sur lequel la société CANDIS se fonde n'est pas versé aux débats, de sorte que la faute n'est pas établie. Elle affirme qu'il n'y a eu aucune manœuvre détournée, que la société CANDIS était parfaitement au courant de la proposition que la société SEAFOODIA allait faire à X, et ce par le courrier du 21 octobre 2015 adressé à CANDIS, qu'en tout état de cause, il n'y a eu aucun préjudice, cette collaboration n'ayant pas eu lieu.

Le mail du 21 octobre 2015 adressé par la société SEAFOODIA à la société CANDIS permet de retenir qu'il n'y a eu aucune manœuvre détournée, la société SEAFOODIA y évoquant une possible collaboration avec la société X. Il est constant que la société SEAFOODIA n'a pas travaillé avec la société X, et la société CANDIS ne justifie d'aucun préjudice.

En conséquence, le jugement à la motivation duquel il convient de se référer pour le surplus est confirmé de ce chef, la demande présentée par la société CANDIS étant rejetée.

Sur les demandes accessoires

Il convient de condamner la société SEAFOODIA qui succombe à payer à la société CANDIS une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de la condamner aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement attaqué en ce qu'il a condamné la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS la somme de 5 490,83 euros en sus de la somme de 18 431,27 euros déjà versée au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la rupture du contrat, et a débouté la société CANDIS de sa demande de dommages et intérêts fondée sur une tentative de débauchage d'un sus-agent de la société CANDIS,

L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

Condamne la société SEAFOODIA à payer à la société CANDIS les commissions au taux contractuel de 3% sur toutes factures émises par SEAFOODIA à l'attention des sociétés AUCHAN, CORA, CARREFOUR, GRAND FRAIS, INTERMARCHE, ou de l'un quelconque de leurs adhérents pour la période du 6 avril 2016 au 30 juin 2018 avec intérêts de droit du jour de l'émission de chaque facture ;

Condamne la société SEAFOODIA, en application de l'article L. 134-12 du Code de Commerce, à payer à la SAS CANDIS une indemnité de cessation de contrat égale à deux années de commissions brutes, soit 3 % des factures émises par SEAFOODIA en 2016 et 2017 à l'attention des sociétés AUCHAN, CORA, CARREFOUR, GRAND FRAIS, INTERMARCHE, ou de l'un quelconque de leurs adhérents, sous déduction des sommes susvisées et versées en exécution du jugement du 29 novembre 2017,

Y ajoutant,

Condamne la société SEAFOODIA à payer à la CANDIS une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples,

Condamne la société SEAFOODIA aux dépens recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.