CJUE, 8e ch., 28 octobre 2020, n° C-608/19
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (INAIL)
Défendeur :
Zennaro Giuseppe Legnami Sas di Zennaro Mauro & C.
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Wahl (rapporteur)
Juges :
M. Biltgen, Mme Rossi
Avocat général :
M. Campos Sánchez-Bordona
Avocats :
M. Santoro, M. Cevese
LA COUR (huitième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 3 et 6 du règlement (UE) no 1407/2013 de la Commission, du 18 décembre 2013, relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis (JO 2013, L 352, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre du litige opposant l’Istituto nazionale per l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro (Institut national d’assurance contre les accidents du travail, Italie) (ci-après l’« INAIL ») à Zennaro Giuseppe Legnami Sas di Zennaro Mauro & C. (ci-après la « société Zennaro ») au sujet du refus de l’INAIL de procéder au versement d’un financement octroyé en faveur de la société Zennaro au motif qu’il entraînerait le dépassement du plafond de 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux prévu par l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1407/2013 (ci-après le « plafond de minimis »).
Le cadre juridique
3 Les considérants 3, 10, 21 et 22 du règlement no 1407/2013 énoncent :
« (3) Il convient de maintenir le plafond de 200 000 EUR pour le montant d’aide de minimis qu’une entreprise unique peut recevoir par État membre sur une période de trois ans. Ce plafond reste nécessaire pour faire en sorte que toute mesure entrant dans le champ d’application du présent règlement puisse être considérée comme n’affectant pas les échanges entre États membres et comme ne faussant pas ou ne menaçant pas de fausser la concurrence.
[...]
(10) La période de trois ans à prendre en considération aux fins du présent règlement doit être appréciée sur une base glissante, de sorte que, pour chaque nouvelle aide de minimis octroyée, il y a lieu de tenir compte du montant total des aides de minimis accordées au cours de l’exercice fiscal concerné et des deux exercices fiscaux précédents.
[...]
(21) La Commission a le devoir de veiller à ce que les règles applicables aux aides d’État soient respectées et, conformément au principe de coopération énoncé à l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, il convient que les États membres facilitent l’accomplissement de cette mission en créant les outils nécessaires pour faire en sorte que le montant total des aides de minimis octroyées à une entreprise unique au titre de la règle de minimis n’excède pas le plafond global admissible. À cette fin, il convient que tout État membre octroyant une aide de minimis informe l’entreprise concernée du montant de cette aide, ainsi que de son caractère de minimis, en renvoyant explicitement au présent règlement. Il convient que tout État membre soit tenu de contrôler l’aide octroyée pour faire en sorte que les plafonds applicables ne soient pas dépassés et que les règles en matière de cumul soient respectées. Pour se conformer à cette obligation avant d’octroyer cette aide, il convient que cet État membre obtienne de l’entreprise une déclaration concernant les autres aides de minimis relevant du présent règlement ou d’autres règlements de minimis qu’elle a reçues au cours de l’exercice fiscal concerné et des deux exercices fiscaux précédents. Les États membres doivent pouvoir opter pour une autre solution consistant à mettre en place un registre central contenant des informations complètes sur les aides de minimis octroyées et à vérifier que tout nouvel octroi d’aide n’excède pas le plafond applicable.
(22) Avant l’octroi de toute nouvelle aide de minimis, il convient que chaque État membre vérifie qu’en ce qui le concerne, la nouvelle aide de minimis ne portera pas le montant total des aides de minimis reçues au-delà du plafond applicable, [...] »
4 L’article 3 de ce règlement, intitulé « Aides de minimis », dispose :
« 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, du traité et comme n’étant pas soumises, de ce fait, à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, du traité, les aides qui satisfont aux conditions énoncées dans le présent règlement.
2. Le montant total des aides de minimis octroyées par État membre à une entreprise unique ne peut excéder 200 000 EUR sur une période de trois exercices fiscaux.
[...]
4. Les aides de minimis sont considérées comme étant octroyées au moment où le droit légal de recevoir ces aides est conféré à l’entreprise en vertu du régime juridique national applicable, quelle que soit la date du versement de l’aide de minimis à l’entreprise.
5. Les plafonds fixés au paragraphe 2 s’appliquent quels que soient la forme et l’objectif des aides de minimis [...]. La période de trois exercices fiscaux est déterminée par référence aux exercices fiscaux utilisés par l’entreprise dans l’État membre concerné.
6. Aux fins de l’application des plafonds fixés au paragraphe 2, les aides sont exprimées sous la forme de subventions. Tous les chiffres utilisés doivent être des montants bruts, c’est-à-dire avant impôts ou autres prélèvements. Lorsqu’une aide est octroyée sous une forme autre qu’une subvention, le montant de l’aide est son équivalent-subvention brut.
Les aides payables en plusieurs tranches sont actualisées à leur valeur au moment de leur octroi. Le taux d’intérêt à appliquer à l’actualisation est le taux d’actualisation applicable au moment de l’octroi de l’aide.
7. Si l’octroi de nouvelles aides de minimis porte le montant total des aides de minimis au-delà du plafond applicable fixé au paragraphe 2, aucune de ces nouvelles aides ne peut bénéficier du présent règlement.
[...] »
5 L’article 6 dudit règlement, intitulé « Contrôle », prévoit :
« 1. Lorsqu’un État membre envisage d’octroyer une aide de minimis à une entreprise conformément au présent règlement, il l’informe par écrit du montant potentiel de cette aide, exprimé en équivalent-subvention brut, ainsi que de son caractère de minimis, [...]. Avant l’octroi de l’aide, l’État membre doit également obtenir de l’entreprise concernée une déclaration sur support papier ou sous forme électronique au sujet des autres aides de minimis éventuelles relevant du présent règlement ou d’autres règlements de minimis qu’elle a reçues au cours des deux exercices fiscaux précédents et de l’exercice fiscal en cours.
2. Lorsqu’un État membre a mis en place un registre central des aides de minimis contenant des informations complètes sur toutes les aides de minimis octroyées par ses différentes autorités, le paragraphe 1 cesse de s’appliquer à partir du moment où le registre couvre une période de trois exercices fiscaux.
3. Un État membre n’octroie une nouvelle aide de minimis conformément au présent règlement qu’après avoir vérifié qu’elle ne portera pas le montant total des aides de minimis octroyées à l’entreprise concernée au-delà du plafond applicable fixé à l’article 3, paragraphe 2, et que toutes les conditions énoncées dans le présent règlement sont respectées.
4. Les États membres conservent et compilent toutes les informations concernant l’application du présent règlement. Les dossiers établis contiennent toutes les informations nécessaires pour démontrer que les conditions du présent règlement ont été respectées. Les informations sont conservées, en ce qui concerne les aides de minimis individuelles, pendant 10 exercices fiscaux à compter de la date d’octroi des aides et, pour ce qui est des régimes d’aides de minimis, pendant 10 exercices fiscaux à compter de la date d’octroi de la dernière aide individuelle au titre du régime en question.
5. Sur demande écrite de la Commission, l’État membre concerné lui communique, [...], toutes les informations que la Commission juge nécessaires pour lui permettre de déterminer si les conditions énoncées dans le présent règlement ont été respectées, en particulier le montant total des aides de minimis, [...], octroyées à une entreprise. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6 La société Zennaro exerce une activité dans le secteur du bois et de ses produits dérivés. Le 16 juin 2014, elle a présenté une demande de financement auprès de l’INAIL tendant à l’octroi d’une subvention prévue par l’avis public cadre de l’INAIL de 2013 ayant pour objet des « incitations aux entreprises aux fins de la mise en œuvre d’actions dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail » (ci-après l’« avis public »).
7 La procédure relative à l’appel à projets, régie par cet avis public, prévoyait quatre phases, à savoir, premièrement, la transmission télématique des demandes, deuxièmement, l’envoi de la documentation finalisant la demande, troisièmement, la vérification par l’INAIL des données transmises et l’admission de la demande, ainsi que, enfin, quatrièmement, l’instruction et l’établissement d’un rapport permettant le versement effectif de la subvention. Au cours de cette dernière phase, l’entreprise devait fournir une déclaration dite « de minimis » démontrant son éligibilité à la subvention pour le montant demandé. À défaut d’une telle éligibilité, les aides qui lui avaient été accordées devaient être révoquées.
8 Par décision du 30 octobre 2014, l’INAIL a signifié à la société Zennaro l’admission du projet pour un montant de 130 000 euros, assortie de la possibilité d’obtenir une avance, qui a effectivement été sollicitée, de 65 000 euros, sous réserve de la présentation préalable d’une garantie bancaire.
9 Il est toutefois apparu au cours de la procédure que, le 1er août 2014, la société Zennaro, réunie à d’autres entreprises en association temporaire, avait été admise par la Regione Veneto (Région de Vénétie, Italie) au bénéfice d’une autre subvention pour un montant total de 64 483,91 euros, qui lui a été versé. Par ailleurs, cette société avait également obtenu un autre financement public pour un montant de 18 985,26 euros. La juridiction de renvoi expose que l’ajout de ces deux sommes au montant de 130 000 euros admis par l’INAIL aurait abouti à une somme de 213 469,17 euros et entraîné le dépassement du plafond de minimis.
10 Par courrier du 12 juin 2015, la société Zennaro a demandé à l’INAIL si, aux fins pour elle d’éviter un tel dépassement, il y avait lieu soit de réduire le montant de la subvention lors de la phase d’établissement du rapport, soit de présenter une variante du projet, visant à réduire le montant du projet envisagé et, par voie de conséquence, celui de la subvention.
11 N’ayant pas obtenu de réponse à ce courrier, la société Zennaro a, par courriel du 12 août 2015, opté pour la seconde solution, en présentant à l’INAIL une variante du projet qui en réduisait le coût global à 171 386,40 euros et, par conséquent, abaissait le montant de la subvention à 111 401,16 euros.
12 Par décisions du 5 octobre et du 18 novembre 2015, l’INAIL a, tout en ayant jugé recevable du point de vue technique la variante du projet, estimé qu’il ne pouvait admettre la société Zennaro au bénéfice de ce financement, excluant de pouvoir l’accorder partiellement, sauf si celle-ci renonçait intégralement au financement antérieur. Dans la seconde décision, l’INAIL a ainsi indiqué que « la subvention pourra être versée uniquement à la condition que l’entreprise renonce à la subvention antérieure octroyée par une autre entité ».
13 La société Zennaro a alors saisi le Tribunale amministrativo regionale per il Veneto (tribunal administratif régional pour la Vénétie, Italie) d’un recours tendant à l’annulation de la décision du 18 novembre 2015.
14 Par courriel certifié du 27 avril 2016, la société Zennaro a transmis à l’INAIL la documentation attestant qu’elle avait renoncé à la subvention versée par la Région de Vénétie, pour un montant de 15 000 euros, reversé aux autres membres de l’association temporaire, établissant ainsi que les aides d’État reçues ne dépassaient pas le plafond de minimis.
15 Par décision du 6 juin 2016, l’INAIL a confirmé qu’il ne pouvait, en raison du montant de la subvention demandée, procéder au versement de celle-ci, dès lors que la somme des trois financements publics dépasserait alors le plafond de minimis et qu’un versement partiel de la subvention contreviendrait à l’article 3, paragraphe 7, du règlement no 1407/2013. Tout en prenant acte des éléments établissant la renonciation à la subvention régionale antérieure et sa redistribution aux autres membres de l’association temporaire, l’INAIL en a contesté la pertinence, précisant qu’« il n’apparaît pas que cette entreprise ait renoncé et restitué la subvention antérieurement reçue à l’entité qui l’a versée et [que] sa redistribution entre les membres de l’association temporaire est dénuée de pertinence ». Pour ces raisons, l’INAIL a demandé la restitution de l’avance de 65 000 euros déjà versée, sous peine de solliciter l’exécution de la garantie bancaire.
16 Le 26 juin 2016, la société Zennaro a, par des moyens additionnels, demandé également l’annulation de la décision de l’INAIL du 6 juin 2016.
17 Par jugement du 7 septembre 2016, le Tribunale amministrativo regionale per il Veneto (tribunal administratif régional pour la Vénétie) a fait droit au recours de la société Zennaro, à la lumière de l’opinion exprimée par la direction générale de la concurrence de la Commission européenne (DG COMP) en réponse à une question que la société Zennaro lui avait posée sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 7, du règlement no 1407/2013. Dans sa réponse, la DG COMP a relevé que la subvention pouvait être proportionnellement réduite par l’entité publique chargée de son versement, afin de respecter le plafond de minimis, et qu’il appartenait aux autorités nationales de choisir l’option privilégiée, les deux solutions – celle de la réduction proportionnelle et celle du rejet intégral de la subvention – étant théoriquement conformes à ce règlement.
18 Ainsi, selon cette juridiction, « l’interprétation fournie par l’[INAIL] de l’article 3, paragraphe 7, du règlement no 1407/2013, sur l’irrecevabilité de la réduction du financement à hauteur de la part de la subvention excédant le plafond fixé par ledit règlement à 200 000 euros, bien que théoriquement conforme à la réglementation de l’Union en matière d’aides de minimis, aurait dû, pour pouvoir dûment s’appliquer en l’espèce, être expressément prévue dans l’[avis public] », notamment dans un objectif de protection de la confiance légitime des participants. Elle a ainsi estimé que les restrictions opposées par l’INAIL étaient, au contraire, imprévisibles eu égard aux critères exposés dans l’avis public et pouvaient « être renversées à la lumière d’une interprétation moins restrictive du point de vue formel de la réglementation de l’Union et plus cohérente avec l’objectif [de l’avis public] “d’inciter les entreprises à mettre en œuvre des projets tendant à l’amélioration des niveaux de santé et de sécurité au travail” ».
19 L’INAIL a interjeté appel de ce jugement devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).
20 L’INAIL fait valoir, en s’appuyant, notamment, sur une lecture combinée des dispositions de l’article 3, paragraphes 2, 4 et 7, du règlement no 1407/2013, que les aides de minimis doivent être considérées comme étant octroyées au moment où le droit légal de les recevoir est conféré à l’entreprise, indépendamment de leur versement effectif. Ces dispositions comportent des exigences impératives directement applicables dans l’ordre juridique national. Par voie de conséquence, le respect du plafond de minimis devrait être vérifié au moment de l’octroi de la subvention, c’est-à-dire, en l’occurrence, lors de la phase d’admission de la demande. D’éventuelles corrections de la part du demandeur devraient donc être introduites au cours de cette phase.
21 La société Zennaro conteste l’interprétation préconisée par l’INAIL. Premièrement, elle soutient que les dispositions de l’avis public sont les seules applicables dès lors qu’il ressortirait de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 1407/2013 qu’il appartient au « régime juridique national applicable » de déterminer le moment auquel « le droit légal de recevoir ces aides est conféré à l’entreprise ». Deuxièmement, elle fait valoir que l’article 6, paragraphe 5, de ce règlement, qui porte sur l’obligation d’un État membre de communiquer à la Commission toute information que cette dernière juge nécessaire, couvre l’ensemble des aides effectivement perçues par l’entreprise, et non uniquement celles octroyées sur le fondement du premier acte d’octroi. Enfin, troisièmement, elle considère que la réglementation en matière d’aides de minimis a été adoptée non pas pour pénaliser les entreprises, mais pour réduire la charge administrative en cas d’aides d’un montant limité, et que l’interprétation stricte proposée par l’INAIL conduirait à des applications pénalisantes et contraires à l’esprit de cette réglementation.
22 La juridiction de renvoi est d’avis que les deux interprétations envisagées par les parties au principal peuvent être retenues. D’une part, celle invoquée par l’INAIL serait plus favorable à une gestion fluide du déroulement de la procédure, en ce que les conditions d’accès à la subvention seraient examinées au seul moment de l’admission de la demande. D’autre part, celle invoquée par la société Zennaro permettrait une ouverture large des conditions d’accès à la subvention, y compris pour des concurrents qui, n’ayant pas encore la certitude de leur admission, ne sont pas en mesure de modifier leur demande pour ne pas dépasser le plafond. En effet, la gestion d’éventuelles modifications de la demande de financement serait plus difficile à mettre en œuvre si elle était effectuée lors de la phase d’instruction de celles-ci, car l’ordre de classement établi jusqu’alors s’en trouverait affecté.
23 Quant aux dispositions pertinentes du règlement no 1407/2013, la juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que l’article 3, paragraphe 4, de ce règlement, selon lequel les aides sont considérées comme étant « octroyées au moment où le droit légal de recevoir ces aides est conféré à l’entreprise [...], quelle que soit la date du versement de l’aide », d’une part, ne semble pas inconciliable avec un schéma procédural dans lequel une première phase d’admission est suivie d’une instruction plus développée, au terme de laquelle le droit à la subvention peut finalement être considéré comme « conféré ». D’autre part, cette même disposition préciserait que l’hypothèse de l’aide « octroyée » s’entend « en vertu du régime juridique national applicable », ce qui laisse penser que ce régime peut correspondre à des schémas procéduraux différents, qui ne sont pas prédéterminés. Ensuite, elle relève que, aux termes de l’article 6, paragraphe 3, dudit règlement, le versement de l’aide a lieu après la vérification du respect du plafond, ce qui peut également amener à considérer que ce n’est qu’à l’issue d’une telle vérification que le droit à percevoir la subvention est définitivement « conféré ». Enfin, il résulterait du libellé de l’article 6, paragraphe 1, dernière phrase, de ce même règlement, en particulier de la référence aux « autres aides de minimis [...] reçues », que la déclaration doit recenser l’ensemble des aides perçues. Il importerait de déterminer si la décision de renoncer à une subvention antérieure doit nécessairement avoir lieu avant qu’elle ne soit matériellement versée.
24 C’est dans ces circonstances que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les dispositions en matière d’octroi des aides figurant aux articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’il est loisible à l’entreprise demanderesse qui dépasserait le plafond autorisé en raison du cumul avec des subventions antérieures d’opter – jusqu’au versement effectif de la subvention demandée – pour la réduction du financement (par le biais d’une modification ou d’une variante du projet) ou pour la renonciation (intégrale ou partielle) à des subventions antérieures, éventuellement déjà perçues, afin de respecter ledit plafond ?
2) Ces mêmes dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que les différentes options présentées (variante ou renonciation) sont valables même si elles ne sont pas expressément prévues par la réglementation nationale et/ou par l’avis public relatif à l’octroi de l’aide ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’une entreprise, dont l’État membre d’établissement envisage de lui accorder une aide de minimis qui, en raison de l’existence d’aides antérieures, porterait le montant total des aides octroyées à cette entreprise au-delà du plafond de minimis, peut opter, jusqu’au versement effectif de cette aide, pour la réduction du financement requis ou pour la renonciation, intégrale ou partielle, à des aides antérieures déjà perçues, afin de ne pas dépasser ce plafond.
26 Il y a lieu de relever, d’une part, que les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être resitués dans le contexte d’ensemble de ce règlement qui a pour objet de permettre de déroger, pour les aides d’État d’un montant limité, à la règle selon laquelle toute aide doit, préalablement à toute mise en œuvre, être notifiée à la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2018, ZPT, C‑518/16, EU:C:2018:126, points 50 et 51).
27 Il s’ensuit que tant l’article 3 de ce règlement, qui a pour objet de définir les aides de minimis dérogeant au principe posé par le traité de l’interdiction des aides, que l’article 6 dudit règlement, qui porte sur le contrôle opéré par les États membres lors de l’octroi d’une telle aide, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte.
28 D’autre part, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs que poursuit l’acte dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêt du 9 octobre 2019, BGL BNP Paribas, C‑548/18, EU:C:2019:848, point 25 et jurisprudence citée).
29 En premier lieu, en ce qui concerne les termes des dispositions en cause du règlement no 1407/2013, il importe de souligner, premièrement, que, d’une part, l’article 3, paragraphe 7, de ce règlement prévoit que, « [s]i l’octroi de nouvelles aides de minimis porte le montant total des aides de minimis au-delà du plafond de [minimis], aucune de ces nouvelles aides ne peut bénéficier du [règlement no 1407/2013] ». Il découle du libellé de cette disposition que le moment auquel il convient d’apprécier si le cumul avec d’autres aides de minimis dépassent le plafond de minimis est celui de l’« octroi » de l’aide.
30 D’autre part, il ressort également du libellé de l’article 3, paragraphe 4, du règlement no 1407/2013 que les aides de minimis sont considérées comme étant « octroyées au moment où le droit légal de recevoir ces aides est conféré à l’entreprise en vertu du régime juridique national applicable, quelle que soit la date du versement de l’aide de minimis à l’entreprise ».
31 À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer, sur la base du droit national applicable, le moment auquel ladite aide doit être considérée comme étant octroyée (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, points 40 et 41, ainsi que du 6 juillet 2017, Nerea, C‑245/16, EU:C:2017:521, points 32 et 33).
32 À cette fin, la juridiction de renvoi doit tenir compte de l’ensemble des conditions posées par le droit national pour l’octroi de l’aide en cause (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, point 41).
33 Par conséquent, en l’occurrence, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer la date d’octroi de l’aide en cause au principal sur la base des dispositions de l’avis public et, le cas échéant, de la réglementation nationale applicable à celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Magdeburger Mühlenwerke, C‑129/12, EU:C:2013:200, point 40, et du 6 juillet 2017, Nerea, C‑245/16, EU:C:2017:521, point 32).
34 Il y a lieu de préciser à cet égard que, si la détermination de la date d’octroi d’une aide est susceptible de varier en fonction de la nature de l’aide en cause, dès lors qu’une aide n’est pas accordée en vertu d’un régime pluriannuel, elle ne saurait, conformément à la jurisprudence de la Cour, être considérée comme étant octroyée à la date de son versement (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission, C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 82).
35 Deuxièmement, s’agissant des dispositions de l’article 6 du règlement no 1407/2013 portant sur le contrôle exercé par les États membres afin que les règles en matière de cumul soient respectées, il y a lieu de relever, d’une part, que l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement, qui prévoit que, lorsqu’un État membre a mis en place un registre central d’aides de minimis contenant des informations sur toutes les aides octroyées par ses différentes autorités, l’article 6, paragraphe 1, dudit règlement cesse de s’appliquer, n’est pas applicable à l’affaire au principal. En effet, le registre central des aides de minimis n’a été mis en place par la République italienne que depuis le 12 août 2017, à savoir à une date postérieure à la demande d’aide en cause.
36 D’autre part, s’agissant de l’article 6, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1407/2013, ces dispositions prévoient que, « [a]vant l’octroi de l’aide, l’État membre doit également obtenir de l’entreprise concernée une déclaration [...] au sujet des autres aides de minimis éventuelles [...] qu’elle a reçues au cours des deux exercices fiscaux précédents et de l’exercice fiscal en cours » et, dans toutes les versions linguistiques autres que la version italienne, qu’« [u]n État membre n’octroie une nouvelle aide de minimis [...] qu’après avoir vérifié qu’elle ne portera pas le montant total des aides de minimis octroyées à l’entreprise concernée au-delà du plafond [de minimis] ». Il ressort ainsi clairement de ces dispositions que le contrôle exercé par les États membres afin que les règles en matière de cumul soient respectées doit avoir lieu « avant l’octroi de l’aide ».
37 Cette interprétation n’est pas infirmée par le fait que, dans la seule version en langue italienne du paragraphe 3 de cet article, il est indiqué qu’un État membre ne « verse » (eroga) une nouvelle aide, tandis que toutes les autres versions utilisent un verbe qui correspond, en langue italienne, au verbe « octroyer » (concedere). En effet, selon une jurisprudence constante, en cas de disparité entre les diverses versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction, notamment, de l’économie générale de la réglementation dont elle constitue un élément [arrêt du 14 mai 2019, M e.a. Révocation du statut de réfugié), C‑391/16, C‑77/17 et C‑78/17, EU:C:2019:403, point 88 ainsi que jurisprudence citée]. Or, les considérants 21 et 22 dudit règlement – qui renvoient, en substance, aux paragraphes 1 et 3 de cet article 6 – emploient, dans leur version en langue italienne, respectivement, les termes aiuti concessi (« aides octroyées ») et prima di concedere (« avant l’octroi »). Par conséquent, la discordance entre les versions linguistiques de l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 1407/2013 résulte d’une erreur de traduction de la version en langue italienne de cette disposition.
38 En deuxième lieu, en ce qui concerne le contexte dans lequel s’insèrent les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013, il y a lieu de constater que celui-ci ne comporte pas de dispositions en vertu desquelles les entreprises demanderesses pourraient, le cas échéant, modifier leur demande d’aide, en réduisant le montant de celle-ci ou en renonçant à des aides antérieures, afin de respecter le plafond de minimis.
39 Partant, dès lors que, conformément à l’article 3, paragraphe 4, de ce règlement, l’octroi de l’aide est régi par la réglementation nationale applicable, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation quant à la détermination de la procédure d’octroi de telles aides.
40 À cet égard, il convient de constater que le considérant 21 dudit règlement prévoit que, conformément au principe de coopération énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres doivent faciliter le respect des règles applicables aux aides d’État « en créant les outils nécessaires pour faire en sorte que le montant total des aides de minimis octroyées à une entreprise unique au titre de la règle de minimis n’excède pas le plafond global admissible ».
41 En troisième lieu, en ce qui concerne les objectifs du règlement no 1407/2013, il importe de relever que la réglementation de minimis vise à simplifier la charge administrative des entreprises, de la Commission et des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2002, Italie/Commission, C‑310/99, EU:C:2002:143, point 94), en partant du principe, rappelé au considérant 3 de ce règlement, que les aides d’un montant ne dépassant pas le plafond de minimis n’affectent pas les échanges entre les États membres et ne sont pas de nature à fausser la concurrence.
42 Compte tenu de ces objectifs, la faculté dont disposent les États membres d’accorder aux entreprises demanderesses le droit de modifier leur demande d’aide jusqu’à l’octroi de cette aide, en réduisant le montant du financement demandé ou en renonçant à des aides antérieures déjà perçues, ne nuit pas au déroulement de la procédure d’instruction de leur demande, dès lors que la vérification des conditions d’obtention de l’aide relatives au respect du plafond de minimis intervient uniquement lors de l’octroi de l’aide. Dès lors, contrairement à ce que font valoir la société Zennaro et les gouvernements italien et grec, l’impossibilité pour ces entreprises de modifier leur demande d’aide après l’octroi d’une nouvelle aide ne saurait constituer, en soi, une « pénalisation » des entreprises en cause.
43 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’une entreprise, dont l’État membre d’établissement envisage de lui accorder une aide de minimis qui, en raison de l’existence d’aides antérieures, porterait le montant total des aides octroyées à cette entreprise au-delà du plafond de minimis, peut opter, jusqu’à l’octroi de cette aide, pour la réduction du financement requis ou pour la renonciation, intégrale ou partielle, à des aides antérieures déjà perçues, afin de ne pas dépasser ce plafond.
Sur la seconde question
44 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être interprétés en ce sens qu’une entreprise qui sollicite une aide peut modifier sa demande d’aide, en réduisant le financement requis ou en renonçant à des aides antérieures déjà perçues, afin de ne pas dépasser le plafond de minimis, alors que la réglementation de l’État membre dans lequel elle est établie ne le prévoit pas.
45 Cette question appelle une réponse qui est intrinsèquement liée à la réponse apportée à la première question. D’une part, ainsi qu’il a été constaté au point 38 ci-dessus, le règlement no 1407/2013 ne comporte pas de dispositions en vertu desquelles les entreprises demanderesses pourraient, le cas échéant, modifier leur demande d’aide, en réduisant le montant de celle-ci ou en renonçant à des aides antérieures, afin de respecter le plafond de minimis et n’impose, dès lors, aucune obligation aux États membres en ce sens. D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 42 et 43 du présent arrêt, les États membres peuvent permettre aux entreprises demanderesses de modifier leur demande d’aide, afin d’éviter que l’octroi d’une nouvelle aide de minimis ne porte le montant total des aides accordées au-delà du plafond de minimis, lorsque de telles modifications sont effectuées avant l’octroi de l’aide de minimis.
46 Par conséquent, il convient de répondre à la seconde question que les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être interprétés en ce sens que les États membres ne sont pas tenus de permettre aux entreprises demanderesses de modifier leur demande d’aide avant l’octroi de celle-ci, afin de ne pas dépasser le plafond de minimis. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier les conséquences juridiques de l’absence de faculté, pour les entreprises, de procéder à de telles modifications, étant précisé que celles-ci ne peuvent être effectuées qu’à une date antérieure à celle de l’octroi de l’aide de minimis.
Sur les dépens
47 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
1) Les articles 3 et 6 du règlement (UE) no 1407/2013 de la Commission, du 18 décembre 2013, relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis, doivent être interprétés en ce sens qu’une entreprise, dont l’État membre d’établissement envisage de lui accorder une aide de minimis qui, en raison de l’existence d’aides antérieures, porterait le montant total des aides octroyées à cette entreprise au-delà du plafond de 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1407/2013, peut opter, jusqu’à l’octroi de cette aide, pour la réduction du financement requis ou pour la renonciation, intégrale ou partielle, à des subventions antérieures déjà perçues, afin de ne pas dépasser ce plafond.
2) Les articles 3 et 6 du règlement no 1407/2013 doivent être interprétés en ce sens que les États membres ne sont pas tenus de permettre aux entreprises demanderesses de modifier leur demande d’aide avant l’octroi de celle-ci, afin de ne pas dépasser le plafond de 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1407/2013. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier les conséquences juridiques de l’absence de faculté, pour les entreprises, de procéder à de telles modifications, étant précisé que celles-ci ne peuvent être prises qu’à une date antérieure à celle de l’octroi de l’aide de minimis.