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Décisions

CCE, 4 juin 1998, n° M.1185

COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Décision

ALCATEL / THOMSON-CSF - SCS

CCE n° M.1185

4 juin 1998

Messieurs,

Objet : Cas N° IV.M.1185 - ALCATEL / THOMSON-CSF - SCS

1. Le 17.04.1998, la Commission a reçu notification d’une opération par laquelle les entreprises Alcatel Alsthom (“ Alcatel”) et Thomson-CSF (“Thomson”) acquièrent le contrôle conjoint de l’entreprise commune nouvellement créée Société Commune de Satellites (“SCS”). La présente opération a été notifiée conjointement à l’opération par laquelle Alcatel et Thomson-SA acquièrent, dans le contexte de la privatisation du groupe Thomson par l’Etat français, le contrôle de Thomson-CSF 1.

2. A la suite du recueil d’informations auprès de tiers et des parties, la Commission a constaté que les informations figurant dans la notification étaient incomplètes sur un point essentiel, au sens de l’article 4 paragraphe 2 du règlement de la Commission N° 447/98. Les renseignements manquant ayant été fournis le 18.05.1998, la notification a pris effet à cette date.

3.  Après examen de cette notification, la Commission a abouti à la conclusion que l’opération notifiée entre dans le champ d’application du règlement du Conseil n° 4064/89 et ne soulève pas de doute sérieux quant à sa compatibilité avec le marché commun et le fonctionnement de l’Accord EEE.

I.LES PARTIES

4. Alcatel est à la tête d’un groupe industriel actif dans les secteurs des systèmes et équipements de télécommunications (systèmes de commutation et d’accès, câbles sous-marins,   télécommunications    spatiales   etc.), des câbles et composants (notamment batteries), de l’ingénierie de projets (réseaux câblés, application de l’électricité), de l’énergie (production et distribution) et du transport (ferroviaire et maritime).

5. Thomson est une filiale de Thomson-SA, holding d’un groupe détenu en majorité par l’Etat français. Thomson-CSF exerce des activités dans l’électronique professionnelle et ses applications tant civiles (composants et tubes, avionique, et électronique spatiale, gestion du trafic aérien, systèmes de simulation etc.) que militaires (radars et guerre électronique, optronique, avionique, activités sous-marines, missiles etc.). Après la privatisation de Thomson par le gouvernement français, cette société sera soumise au contrôle en commun des sociétés Alcatel et Thomson-SA.

6. SCS sera active dans le domaine de l’élaboration et de la fourniture de satellites. Outre les activités satellites d’Alcatel et de Thomson, SCS se verra apporter les activités d’Aérospatiale dans le même secteur.

7. Aérospatiale SNI est active dans l’aéronautique civile, l’espace et la défense.

II.L’OPERATION

8. Les groupes Thomson-SA, Alcatel, Dassault Industries et Aérospatiale ont conclu un accord (“l’Accord”) conduisant à deux concentrations distinctes : d’une part, la prise de contrôle en commun, par la holding du groupe public Thomson SA et Alcatel, de la société Thomson-CSF qui a fait l’objet de la décision précitée, et d’autre part la création de l’entreprise commune SCS, qui sera contrôlée conjointement par Alcatel et Thomson, et fait l’objet de la présente décision. L’Accord, conclu dans le cadre de la privatisation de Thomson, entrera en vigueur après la publication d’un arrêté de privatisation du Ministre de l’Economie, des finances et de l’industrie, après avis conforme de la Commission française des participations et des transferts (anciennement Commission de la privatisation), et sous réserve de la décision de la Commission.

9. En vertu de l’Accord, Alcatel et Thomson apporteront à SCS la totalité de leurs activités dans le domaine des satellites. Aéropatiale apportera, soit directement à SCS, soit indirectement à Thomson qui les transfèrera ensuite à SCS, ses activités dans le domaine des satellites. En échange de ses apports, Aérospatiale recevra une participation minoritaire (4%) dans le capital de Thomson. A la suite de ces opérations, le capital de SCS sera réparti entre Alcatel et Thomson à hauteur respective de 51% et 49%.

II.CONCENTRATION Contrôle conjoint

10. En vertu du pacte d’actionnaires conclu entre Alcatel et Thomson, le conseil d’administration de SCS sera composé de 9 membres dont 5 représenteront Alcatel et 4 représenteront Thomson. Le président du conseil d’administration sera choisi parmi les administrateurs représentant Alcatel.

11. Cependant, Thomson disposera de droits de veto sur les décisions stratégiques suivantes : l’élection et la révocation du président-directeur général de la SCS ; l’adoption du budget annuel dans le cadre du plan stratégique pluriannuel de la SCS ; toute décision susceptible de remettre en cause le partenariat industriel entre les signataires du pacte dans le domaine d’activité de la SCS ; les acquisitions et cessions significatives de participations ou d’actifs ; et tout accord établissant des alliances stratégiques ou un partenariat technologique ou industriel.

12. Ces droits de veto vont au-delà de la protection normale des intérêts d’un actionnaire minoritaire et confèrent à Thomson un pouvoir de co-décision avec l’actionnaire majoritaire Alcatel. En conséquence, SCS sera soumise au contrôle en commun de Thomson et d’Alcatel.

Entité autonome de plein exercice opérant de manière durable

13. La SCS disposera de l’ensemble des ressources attachées aux actifs qui lui seront transférés. Par ailleurs, le pacte d’actionnaire demeurera en vigueur tant que les entreprises fondatrices détiendront un tiers du capital et des droits de vote de la SCS. L’entreprise commune exercera donc bien de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique de plein exercice.

Absence de risque de coordination

14. Alcatel et Aérospatiale exercent des activités complémentaires en matière de satellites, la première étant spécialisée dans le domaine des charges utiles de télécommunications, tandis que la seconde a développé ses compétences dans le domaine des plates-formes et des charges utiles d’observation terrestre. Pour sa part, Thomson est principalement actif dans la fourniture de certains composants tels que les tubes électroniques et dans l’élaboration des systèmes au sol. A l’issue de la transaction, Aérospatiale ne demeurera principalement actif dans l’industrie spatiale qu’en tant qu’acteur dans le domaine des lanceurs. Ni Alcatel ni Thomson n’exerceront plus d’activités dans le secteur des satellites, en dehors de la SCS.

15. Les entreprises fondatrices conserveront des activités sur des marchés  étroitement liés au secteur des satellites. Alcatel conservera en particulier la fabrication des batteries Saft destinées à l’équipement de satellites tandis que Thomson (via sa filiale Thomson Tubes Electroniques ou “TTE”) continuera son activité dans les tubes à ondes progressives pour satellites. Cependant les entreprises fondatrices ne seront pas, de manière significative, simultanément présentes sur les mêmes marchés situés en amont ou en aval de ceux sur lesquels l’entreprise commune exercera ses activités, ni sur les mêmes marchés voisins de ces derniers. Une application de l’article 2 paragraphe 4 du règlement 4064/89 peut donc être exclue.

III.DIMENSION COMMUNAUTAIRE

16. Le chiffre d’affaires total réalisé sur le plan mondial par l’ensemble des entreprises concernées représente un montant supérieur à 5 milliards d’Ecus (Alcatel : 28,2 milliards d’Ecus). Le chiffre d’affaires total réalisé individuellement dans la Communauté par au moins deux des entreprises concernées représente un montant supérieur à 250 millions d’Ecus (Alcatel : 15,1 milliards d’Ecus, Thomson-CSF : 3 milliards d’Ecus). Ces entreprises ne réalisent respectivement pas plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires communautaire dans un seul et même Etat membre. La concentration est par conséquent de dimension communautaire.

IV.COMPATIBILITE AVEC LE MARCHE COMMUN

Marché de produits

17. Selon les parties notifiantes, le seul marché de produits affecté par la concentration est  le  marché  de  l’élaboration et  de  la  vente  des  satellites. Dans  une précédente décision2, la Commission a distingué un segment terrien qui comprend les stations au sol et un segment spatial qui comprend les satellites proprement dits. Les segments précités peuvent être analysés en les subdivisant selon les principales catégories de produits, selon les sous-systèmes qui les composent, ou encore selon leurs composants de base.

18. Les systèmes au sol pour satellites diffèrent substantiellement des systèmes au sol pour lanceurs et engins spatiaux habités. Le segment terrien peut être en outre subdivisé en stations au sol destinées à la commande et au contrôle du satellite et systèmes au sol servant d’interface entre le satellites et ses utilisateurs finaux. La plupart des constructeurs de satellites sont essentiellement présents sur le segment des stations de contrôle.

19. Le secteur spatial comprend les lanceurs, les systèmes spatiaux habités et les satellites. SCS ne sera pas présente de manière significative sur les deux premiers segments. Pour les besoins de la présente décision, il convient donc de distinguer un segment spatial des satellites, à l’exclusion des autres engins spatiaux.

20. Les satellites sont composés de deux parties : la charge utile et la plate-forme. En général, le maître d’oeuvre intègre les deux éléments précités. Les clients ne commandent cependant pas ces sous-systèmes séparément et les principaux  fabricants de satellites sont en mesure d’offrir l’un et l’autre, soit en tant que sous- traitant soit en tant que maître d’oeuvre fournissant l’ensemble du satellite. Compte tenu de ces éléments, il n’apparaît pas nécessaire, pour les besoins de la présente décision, d’examiner séparément les deux sous-systèmes composant un satellite.

21. Il existe quatre catégories principales de satellites : les satellites de télécommunications, les satellites d’observation terrestre, les satellites scientifiques et les satellites de navigation. En outre, bien que les satellites militaires relèvent fondamentalement des deux premières catégories, la spécificité de la demande de ce produit peut conduire à considérer qu’ils constituent un segment distinct. De même, les micro-satellites pourraient également constituer un segment spécifique. La question de la définition précise des marchés de produits en cause peut cependant demeurer ouverte, dans la mesure où quels que soient les segments alternativement considérés, l’opération ne créera pas ou ne renforcera pas une position dominante.

22. Parmi les composants de base utilisés dans le domaine spatial il existe des produits appelés tubes à ondes progressives hyperfréquences (“TOP”). les TOP se situent en amont des composants complexes appelés répéteurs dans lesquels ils sont intégrés. Les répéteurs équipés de TOP sont installés dans la charge utile et embarqués sur les satellites. Les TOP sont également utilisés dans d’autres applications. Il existe en la matière une autre technologie employée notamment dans les domaines terrestres, mais qui n’est cependant pas parfaitement substituable aux TOP embarqués sur satellites qui possèdent en effet des caractéristiques spécifiques. Pour ces raisons, il convient de distinguer le marché des TOP embarqués sur satellites des autres marchés de tubes à ondes progressives. A l’exception du marché des TOP, il n’apparaît pas nécessaire, pour les besoins du présent cas, de considérer d’autres marchés de composants, l’enquête menée par la Commission permettant de conclure que la concentration ne soulève de problèmes de concurrence sur aucun autre segment.

Marché géographique

23. Pour ce qui concerne les applications civiles, la demande de satellites et de stations de contrôle au sol émane soit d’agences ou organismes spatiaux nationaux ou internationaux comme l’Agence Spatiale Européenne (“ESA”), soit d’opérateurs privés et de consortia (tels que Global Star, Iridium ou Skybridge). Si les agences nationales ou internationales (NASA, ESA etc.) tendent à contracter de préférence avec des maîtres d’oeuvres originaires de leurs propres pays, les opérateurs commerciaux, dont le poids économique va croissant, se situent au plan mondial. Compte tenu de ces éléments, la délimitation effectuée par la Commission dans la décision précitée3 apparaît également applicable au cas présent, et il convient donc de retenir une dimension au moins européenne, voire mondiale des marchés en cause.

24. Toutefois, pour ce qui concerne le segment des satellites militaires, compte tenu de la forte préférence nationale constatée notamment lors de l’examen de la concentration entre Alcatel et Thomson SA dans le domaine de l’électronique de défense4, il convient de considérer une dimension nationale.

Appréciation

Effets horizontaux

25. Sur le marché des satellites proprement dits, la concentration a pour principal effet l’intégration, au sein d’une seule entité, des fonctions de fournisseurs de sous- systèmes qu’exerçaient jusqu’alors les parties, Alcatel apportant ses activités en matière de charge utile, Aérospatiale ses activités dans le domaine des plates-formes et Thomson ses activités dans le secteur des stations au sol. Compte tenu de cette complémentarité, il n’existe pratiquement pas de chevauchements d’activités entre les parties. Par contre, étant donné qu’Alcatel et Aérospatiale proposent tous deux des satellites en tant que maîtres d’oeuvre, l’opération fera disparaître un concurrent sur le marché de l’offre globale de satellites.

26. Au plan mondial, la nouvelle entité sera soumise à la concurrence des grands acteurs originaires des Etats-Unis. SCS n’occupera au mieux que le troisième rang mondial avec une part du marché des satellites (à l’exclusion des autres engins spatiaux) d’environ [...]%5, derrière Lockheed Martin ([...]% 5) et Hughes ([...]% 5). Parmi les principaux constructeurs mondiaux Loral ([...]% 5), TRW ([...]%5) et Matra Marconi Space (“ MMS” , [...]%5) détiennent des parts comparables.

27. Sur le marché européen, SCS deviendra un offreur majeur de satellites avec une part de marché d’environ [...]%6, comparable à celle de son principal concurrent (MMS : environ [...]%6) et supérieure à celle des troisième et quatrième offreurs Dasa et Alenia. Même en ne considérant que les positions respectives des principaux concurrents du point de vue de la maîtrise d’oeuvre, ces parts ne sont pas  susceptibles   de   varier   substantiellement.   Sur   le   segment   des   satellites de télécommunications, sur lequel l’entreprise commune détient la position la plus favorable, la part de marché de SCS s’élèvera à environ [...]%7. Sur ce segment, MMS occupe également une position comparable ([...]%7). Par ailleurs, les satellites de télécomunications représentent un marché plus particulièrement ouvert à la concurrence mondiale. Compte tenu des alliances existant entre différents acteurs mondiaux et étant donné l’annonce d’un prochain rapprochement entre MMS  et Dasa, l’intégration des parties au sein de SCS ne paraît pas devoir devoir renforcer notablement leur position combinée à court ou moyen terme.

28. En matière de satellites militaires, la part de SCS sur le marché français, principalement affecté par l’opération, ne devrait pas excéder 45 %, MMS détenant pour sa part environ [...]% 7. En tout état de cause, l’acheteur unique que représente le ministère de la défense français dispose d’un fort pouvoir de négociation. Par référence aux conclusions tirées dans l’affaire IV/M.1121, liée au présent cas, il peut être pressenti que cette puissance d’achat est de nature à contrebalancer la puissance de SCS issue de sa forte position. 29. Les éléments ci-avant, confirmés par les résultats des investigations menées par la Commission, permettent donc de conclure que, quelle que soit la catégorie de satellites considérée, les effets horizontaux de la concentration ne conduiront pas à la création ou au renforcement d’une position dominante de SCS sur le marché des satellites.

30. Sur le segment terrien, seul Thomson est présent de manière significative sur le segment de l’intégration de stations de contrôle. Par ailleurs, les parts de marché des parties sont d’une manière générale notablement inférieures à celles détenues sur le segment spatial. La concentration n’affecte donc pas sensiblement ce segment.

Effets verticaux

31. Le marché des TOP embarqués sur satellites représente, sur le plan mondial, un volume d’affaires d’environ 132 millions d’Ecus8. Thomson Tubes Electroniques (“TTE”) possède une part estimée à [...]% 9 de ce marché, en forte progression du  fait de l’acquisition de l’activité tubes d’AEG en 1996. Outre TTE, les seuls offreurs de ce produit sont Hughes, qui détient une part d’environ [...]% 10 au plan mondial, et NEC ([...]%11). Le marché des TOP pour satellites est caractérisé par une forte concentration de l’offre et une saturation des capacités, du fait de la forte croissance de la demande de satellites de télécommunications. De l’avis des concurrents et clients interrogés, aucun autre offreur significatif de TOP pour satellites n’est susceptible d’émerger à court terme, compte tenu des lourds investissements nécessités par la technologie complexe à mettre en oeuvre. Il résulte de ces faits et des éléments recueillies au cours de l’enquête, que TTE dispose d’une position dominante sur le marché des TOP pour satellites, susceptible de s’exprimer notamment au travers de ses conditions de vente.

32. Sur     le    plan     de    la     demande,      outre     les     fabricants      de    charge     utile     de télécommunications, une part importante des TOP est achetée par des intégrateurs d’ATOP12, indépendants tels Bosch Telecom qui détient environ [...]%13 du marché des ATOP, ou filiales de fabricants de satellites. Le choix des acheteurs s’effectue sur la base des performances et des disponibilités des produits. Ce choix se porte en premier lieu sur TTE [...] 14. Même le concurrent Hughes, qui produit pourtant lui- même des TOP, achète également les produits de TTE. Certains clients de TTE ont émis la crainte que SCS, qui sera contrôlée par le même groupe que TTE, n’use de son influence auprès de ce dernier afin d’obtenir un avantage sur ses concurrents. En particulier, le risque a été évoqué que TTE n’applique des conditions de vente ou de livraison discriminatoires aux concurrents de SCS, afin de favoriser l’attribution de marchés de satellites à ce dernier.

33. Selon les parties, la faible part du coût des TOP dans le coût total d’un satellite ne confère pas un poids économique à ce produit, tel qu’il permettrait à SCS  de disposer d’un avantage concurrentiel décisif sur ses concurrents. En outre, la majeure partie des TOP pour satellites produits par TTE sont vendus à des tiers, en  particulier des fabricants de répéteurs non concurrents directs de SCS. Les parties sont donc d’avis qu’elles n’ont aucun intérêt économique à réserver la production de TTE à SCS.

34. Les investigations menées par la Commission montrent cependant qu’il existe un risque sérieux d’effet vertical induit par la concentration, quand bien même la relation verticale entre TTE et SCS ne serait qu’indirecte. D’une part, nonobstant la part réduite du coût des TOP dans la valeur totale des satellites, ces produits sont d’une importance cruciale pour les opérateurs de satellites car ils ne sont parfaitement substituables par aucune autre technologie et déterminent les performances requises de la part d’un satellite de télécommunications. D’autre part les produits de TTE jouissent d’une réputation particulière15.

35. Compte tenu de la position de TTE, de la saturation actuelle des capacités mondiales sur ce marché cyclique, des fortes contraintes de livraison imposées aux fabricants de satellites et de la nécessité pour ces derniers de conserver une double source d’approvisionnement, TTE apparaît constituer un fournisseur incontournable. C’est d’ailleurs pourquoi, pour sécuriser leurs approvisionnements, certains clients ont conclu avec TTE des accords d’approvisionnement à long terme. Une remise en question de tels accords ou même un retard ponctuel de livraison de la part de TTE pourrait donc porter un préjudice grave aux constructeurs de satellites, concurrents de SCS.

36. Si TTE ne paraît effectivement pas avoir un intérêt économique à cesser ses relations avec ses principaux clients, l’entreprise pourrait toutefois user de son pouvoir de marché pour appliquer des conditions commerciales discriminatoires à la vente de TOP destinés aux concurrents directs de SCS à l’occasion d’un appel d’offre. Le fait que,  contrairement à Hughes  ou NEC,  TTE ne fabrique  pas  [...] 16  et  que certains fabricants de satellites se fournissent par l’intermédiaire de [...]17, ne permet pas d’éviter le risque que de telles conditions discriminatoires soient mises en oeuvre. En effet, TTE est en mesure de connaître relativement aisément la destination finale de ses produits. De même, la puissance de négociation des acheteurs ne paraît pas susceptible de contrebalancer le pouvoir de marché de TTE, étant donné que la nécessité de conserver une double source d’approvisionnement fiable leur impose de s’adresser à TTE. Enfin, la perte pour TTE d’une vente ponctuelle à un concurrent de SCS peut présenter un intérêt économique certain, dans le cas où elle pourrait être compensée par une amélioration sensible des chances offertes à SCS d’emporter un marché de fourniture de satellite contre ce même concurrent.

37. Il ne peut donc être exclu que la relation verticale existant entre d’une part TTE, qui bénéficie d’une position dominante sur le marché amont des TOP et d’autre part SCS, qui devient un acteur important sur le marché des satellites, tant européen que mondial, ne produise des effets, tels que la mise en oeuvre par les parties de pratiques discriminatoires visant à évincer ponctuellement un concurrent de l’entreprise commune ou à favoriser systématiquement cette dernière. Cependant, les engagements souscrits par les parties notifiantes, annexés à la présente décision, sont de nature à remédier au risque même de tels effets verticaux initialement redoutés par la Commission, et donc au risque qu’ils ne puissent à terme créer ou renforcer une position dominante sur l’un quelconque des marchés en cause.

Engagements proposés par les parties

38. Afin de garantir leur volonté déclarée à la Commission, de fournir sans restriction à tout tiers des TOP dans les mêmes conditions que celles offertes à SCS, les parties se sont engagées auprès de la Commission à créer, sur la base de la clause compromissoire prévue par le Nouveau Code de Procédure Civile français, une instance d’arbitrage indépendante et compétente (“l’Arbitre”). L’Arbitre jugera en dernier ressort de tout litige en matière de TOP qui lui serait soumis par un client direct ou indirect. L’European Space Agency, prise en la qualité de son Directeur de l’Administration, est désignée à cet effet. Aux termes de l’engagement, l’Arbitre disposera de pouvoirs étendus d’injonction et d’investigation, et  pourra  prendre toutes mesures, notamment conservatoires nécessaires à l’accomplissement de sa mission. La sentence de l’Arbitre devra intervenir rapidement (dans les deux mois au plus après réception de la saisine) et sera exécutée dans les plus brefs délais par Thomson. Cette clause de recours et la procédure afférente seront insérés dans les conditions générales de vente de TTE. En outre, les saisines de l’Arbitre et les sentences rendues seront communiquées sans délai à la Commission, qui sera également destinataire d’un rapport annuel sur l’activité de l’Arbitre. Par ailleurs, les parties se sont engagées à ne conférer à SCS aucun droit ou pouvoir dans l’activité TOP de TTE, et, pendant une période de 5 ans, à ne pas transférer cette activité à la SCS sans l’autorisation de la Commission. Enfin, par un engagement complémentaire, qui sera exécuté dans un délai d’un mois, TTE s’engage à créer un comité spécifique qui sera obligatoirement consulté par le conseil d’administration de la société, et rendra un rapport sur les projets de contrat ou de lettre d’intention relatifs  à la vente  de TOP,  d’un     montant  supérieur à  30 millions de francs français. Ces rapports seront également communiqués à la Commission.

Appréciation des engagements proposés

39. La concentration conduit à la création d’un lien structurel vertical entre l’activité d’une entreprise fondatrice de SCS dans le domaine des tubes à ondes progressives pour satellites et l’activité principale de l’entreprise commune. Après avoir examiné le projet, la Commission est parvenue à la conclusion que, compte tenu notamment de la position dominante détenue par TTE sur le marché des TOP pour satellites, l’opération de concentration aboutirait au risque que ce lien vertical ne favorise l’apparition de pratiques discriminatoires dont la répétition pourrait être susceptible d’entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun.

40. En vertu de l’engagement proposé, tout concurrent de SCS qui s’estimerait lésé ou menacé dans sa relation commerciale avec TTE aura la possibilité, à tout moment, de soumettre sa plainte à l’arbitrage d’une instance offrant toutes les garanties de neutralité et de compétences pour juger de son bien-fondé. Les pouvoirs étendus de cet arbitre offrent la garantie d’un traitement effectif et diligent des litiges qui pourraient survenir. Cet engagement va au-delà d’une simple obligation de nature comportementale puisque les parties s’engagent, a priori, à abdiquer, au profit de l’arbitre qui jugera en dernier ressort, de leur pouvoir normal de décision dans le traitement de telles plaintes. Les pouvoirs étendus et la compétence de l’Arbitre, ainsi que la rapidité de la procédure, confèrent à la clause un effet dissuasif supérieur au simple recours judiciaire normalement accessible.

41. En outre, en s’interdisant, pour une durée suffisante, d’intégrer sans l’accord de la Commission l’activité TOP de TTE au sein de l’entreprise commune, et en communiquant à cette dernière les rapports d’un comité ad hoc ayant vocation à connaître la politique commerciale de TTE en matière de TOP à l’égard de tiers concurrents de SCS, les parties éliminent de manière préventive les risques résiduels d’effets verticaux, dont l’appréciation échapperait aux entreprises concernées par la clause d’arbitrage, ou qui pourraient résulter d’une tentative de contournement de cette clause.

42. Pour ces raisons, les engagements proposés apparaissent propres à éliminer les risques de discrimination sur le marché amont des TOP, susceptibles d’affecter la concurrence sur le marché aval des satellites. Ces engagements sont également proportionnés à la nature et à la portée des effets verticaux identifiés. La Commission souligne cependant que la présente décision ne préjuge pas d’un possible examen ultérieur de la politique commerciale de TTE au regard des dispositions de l’article 86 du Traité.

V.CONCLUSION

43. En conséquence, la Commission conclut que, sous réserve d’une exécution entière des engagements proposés par les parties, le projet de concentration ne créera pas ou ne renforcera pas une position dominante de nature à entraver de manière significative une concurrence effective dans le marché commun ou une partie substantielle de celui-ci.

44. Pour les raisons exposées ci-avant, et sous réserve d’une exécution entière des engagements proposés par les parties, la Commission a donc décidé de ne pas s’opposer à la concentration notifiée et de la déclarer compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’Accord EEE. La présente décision est adoptée en application de l’article 6 pragraphe 1 point b du règlement du Conseil (CEE) N° 4064/89, tel qu’amendé par le règlement du Conseil N° 1310/97.

 

 

 

 

 

 

1 Décision du 25.05.1998 - Affaire Alcatel/Thomson SA-Thomson-CSF - IV/M.1121

2 Décision du 23.08.1994 - Affaire IV/M.437 Matra Marconi Space/BAe Space Systems

3 Cf. note de bas de page n°2

4 Cf. note de bas de page n°1

5 secrets d’affaires supprimés pour la publication - entre 10 et 20

6 secret d’affaires - entre 20 et 30

7 secret d’affaires - entre 25 et 35

8 Ce marché concerne principalement les satellites de télécommunications civiles (plus de 90% des applications), le volume des satellites militaires, de nature confidentielle, n’étant pasappréciable.

9 secret d’affaires - entre 50 et 70

10 secret d’affaires - entre 20 et 30

11 secret d’affaires - moins de 10

12 Amplificateurs de Tubes à Ondes Progressives intégrés dans les répéteurs

13 secret d’affaires - entre 30 et 50

14  supprimé pour la publication

15  selon l’opinion émise par un tiers

16  partie de satellite - supprimé pour la publication

17  intégrateurs d’ATOP - supprimé pour la publication

ANNEXE : VERSION NON CONFIDENTIELLE DES ENGAGEMENTS PROPOSES PAR LES PARTIES NOTIFIANTES

“Thomson-CSF agissant tant pour elle-même que pour le compte de sa filiale Thomson Tubes Electroniques, s’engage à fournir sans aucune restriction à tout tiers des TOP, dans les mêmes conditions que celles offertes à la SCS, c’est-à-dire dans les mêmes conditions de prix, de remises de prix, de qualité, de spécifications, de délais de livraison et autres conditions contractuelles. 1)  Thomson-CSF / TTE propose dès à présent d’attraire tout litige relatif à la négociation et à la vente de TOP à un Arbitre unique. Le recours à l’Arbitre pourra être exercé tant par un client direct de TTE que par un client indirect qui serait en concurrence avec SCS et serait susceptible de supporter un dommage d’un traitement inéquitable appliqué par TTE à son fournisseur. 2) Cet Arbitre devant avoir l’expérience, la compétence et l’indépendance requises, Thomson-CSF propose que l’European Space Agency (ESA) prise en la qualité de son Directeur de l’Administration soit désigné comme Arbitre. Les signataires s’engagent à nommer comme Arbitre, le Directeur de l’Administration de l’ESA ou toute autre personne compétente au sein de l’ESA et n’ayant pas ou n’ayant pas eu dans les 5 ans précédant sa nomination, d’intérêt direct ou indirect  avec le  groupe Thomson-CSF et ses filiales, ou l’un des autres groupes signataires du présent engagement. Thomson s’engage à nommer, en même temps que l’Arbitre titulaire, un arbitre suppléant au sein de l’ESA, lequel remplira les mêmes conditions d’impartialité que le titulaire et pourra agir en cas d’absence ou d’empêchement de l’Arbitre titulaire. 3) Thomson-CSF s’engage à exécuter dans les plus brefs délais la sentence rendue par l’Arbitre, dans le délai qu’il fixera. Cette sentence sera rendue de façon définitive et en dernier ressort. En tout état de cause, l’Arbitre rendra sa sentence dans un délai maximum de deux mois après la réception éventuelle de la saisine. En outre, TTE s’engage à exécuter sans délai toute obligation telle que le respect de délais de livraison ou toute autre mesure d’équité qui pourrait lui être imposée par l’Arbitre. L’arbitrage se tiendra à Paris. L’Arbitre agira dans le cadre prévu aux articles 1442 et suivants du Nouveau Code de Procédure Civile en application du droit français et pourra prendre toute mesure conservatoire. La procédure d’Arbitrage sera équitable, transparente, objective et les règles de procédure seront appliquées. L’Arbitre pourra accéder à toute information de nature confidentielle,  procéder à toute investigation ou expertise auprès de TTE, et ordonner toutes mesures y compris des mesures conservatoires nécessaires à l’accomplissement de sa mission. Parmi ces mesures conservatoires, l’Arbitre pourra imposer à TTE l’obligation de réserver une partie de sa production aux concurrents de SCS, moyennat une information préalable sur leur prévision de besoins. L’Arbitre sera saisi par tout plaignant par lettre recommandée avec accusé de réception. L’objet du litige et la prétention du plaignant devront être joints à ce courrier. Thomson-CSF recevra copie de cette demande dans le plus brefs délais par   l’Arbitre. Les Parties et l’Arbitre s’entendront  dans  les 15  jours  à  compter  de  la  réception par Thomson-CSF de ladite copie, sur l’acte de mission de l’Arbitre, ce dernier ayant compétence pour décider des limites de sa saisine en cas de désaccord. A compter de la signature dudit acte de mission, Thomson-CSF aura 15 jours pour faire valoir ses arguments. L’Arbitre devra rendre sa sentence au plus tard dans un mois à compter de la  signature de l’acte de mission. Ce délai d’un mois pourra être réduit le cas échéant par l’Arbitre. Il fixera le montant de ses honoraires dans ladite sentence. Le recours et la procédure décrits ci-dessus seront insérés dans les conditions générales de vente relatives aux TOP, pour information préalable du client.

4) Les signataires de l’Engagement s’engagent à faire parvenir sans délai à la Commission Européenne copie de toute saisine de l’Arbitre au titre du présent engagement, ainsi que de la sentence rendue. En outre Thomson remettra à la Commission, pendant les trois ans à venir, un rapport annuel synthétisant l’activité de l’Arbitre qu’il aura nommé, et précisant notamment les mesures prises par TTE pour répondre à d’éventuelles sentences que l’Arbitre aura pu prononcer à son encontre. 5) Les signataires s’engagent à ne conférer à SCS aucun droit ou pouvoir dans l’activité TOP de TTE, et, pendant une période de 5 ans, à ne  pas  transférer  cette activité à la SCS sans l’autorisation de la Commission.”

ENGAGEMENT SOUMIS PAR TTE

“Le Conseil d’Administration créé un Comité spécifique, dénommé “ Comité TOP” à l’effet d’analyser la politique commerciale de TTE relative aux TOP pouvant avoir une incidence sur la concurrence tant française qu’internationale. A cet effet, tout projet de contrat ou de lettre d’intention, relatif à la vente de TOP d’un montant supérieur à trente millions de francs français (30 MF) sera soumis à ce Comité. Ce Comité TOP est composé de 4 membres, 2 choisis au sein du Conseil d’Administration de TTE et deux personnalités indépendantes, dont la compétence est reconnue dans le domaine de la concurrence. Ces personnalités (avocat international, professeur d’université d’un des 15 Etats membres) seront choisies d’un commun accord entre la Commission Européenne et TTE, et approuvées par le Conseil d’Administration de TTE. Leur préavis de cessation de fonction sera au minimum de deux mois. Ce Comité est consulté par le Conseil d’Administration sur les problèmes mentionnés ci-dessus et rendra un rapport dans les quinze jours qui suit sa saisine. Ce rapport est consultatif. Le Président de TTE s’engage à communiquer ledit rapport dans les plus brefs délais à la Commission Européenne.