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Décisions

ADLC, 26 octobre 2020, n° 20-D-14

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques dénoncées par la société Amadeus

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de M. Mathieu Guennec, rapporteur, et l’intervention de M. Stanislas Martin, rapporteur général, par M. Henri Piffaut, vice-président, président de séance.

ADLC n° 20-D-14

26 octobre 2020

L’Autorité de la concurrence (vice-président statuant seul),

Vu les lettres, enregistrées le 4 mai 2018 sous les numéros 18/0047 F et 18/0048 M, par lesquelles la société Amadeus a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google Ireland Limited et Google Inc., devenue Google LLC, et a sollicité le prononcé de mesures conservatoires ;

Vu l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ; Vu le livre IV du code de commerce ;

Vu la décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus ;

Vu la décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches ;

Vu la décision n° 20-JU-02 du 11 septembre 2020 par laquelle la présidente de l’Autorité de la concurrence a désigné, sur le fondement du dernier alinéa de l’article L. 461-3 du code de commerce, M. Henri Piffaut, vice-président, pour adopter seul la décision à rendre sur la saisine de la société Amadeus ;

Vu les décisions de secret des affaires n°  18-DECR-315 du 24  septembre 2018,  n° 19-DSA-016 du 07 janvier 2019, n° 19-DSA-023 du 14 janvier 2019, n° 19-DSA-024 du 14 janvier 2019, n° 19-DSA-031 du 17 janvier 2019, n° 19-DSA-037 du 21 janvier 2019, n° 18-DSA-231 du 18 juillet 2018, n° 18-DSA-233 du 20 juillet 2018, n° 18-DSA-240  du

31  juillet  2018,  n° 18-DSA-302  du  17  septembre  2018,  n°  18-DSA-386  du  02 novembre 2018, n° 18-DSA-442 du 06 décembre 2018 ;

Vu les observations présentées par la société Amadeus ; Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, le rapporteur général adjoint et les représentants des sociétés Amadeus entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 13 octobre 2020, le commissaire du gouvernement ayant été régulièrement convoqué ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 : Le 4 mai 2018, la société Amadeus a saisi l’Autorité de pratiques mises en œuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches. La saisissante reprochait à Google d’avoir mis en œuvre des pratiques abusives en suspendant ses comptes Google AdWords (devenu « Google Ads » à l’été 2018) et en refusant la plupart de ses annonces publicitaires depuis janvier 2018.

Accessoirement à sa saisine au fond, Amadeus avait sollicité le prononcé de mesures conservatoires, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce. Par décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, l’Autorité de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires à l’encontre de Google et a décidé de poursuivre l’instruction au fond de ce dossier. Par un arrêt du 4 avril 2019 devenu définitif, la cour d’appel de Paris a confirmé, pour l’essentiel, la décision n° 19-MC-01.

L’instruction au fond de la saisine d’Amadeus s’inscrit également dans le cadre de la décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 statuant sur la saisine de la société Gibmedia qui reprochait à Google d’avoir suspendu abusivement ses comptes Google Ads. Dans cette décision, l’Autorité a estimé que Google avait commis un abus de position dominante consistant à avoir défini et appliqué les Règles Google Ads de manière non-transparente, non-objective et discriminatoire, et a condamné Google à une amende de 150 millions d’euros, en assortissant cette décision d’un certain nombre d’injonctions adressées à Google. Pour fonder cette décision de condamnation, l’Autorité s’est appuyée notamment sur des éléments de fait dénoncés par la société Amadeus dans le cadre de la présente procédure, ces éléments ayant été régulièrement versés au dossier constitué à la suite de la plainte de Gibmedia par les rapporteurs pendant la phase d’instruction. L’Autorité a notamment constaté que les comptes Google Ads d’Amadeus avaient été suspendus en janvier et juillet 2018, alors même que Google est intervenue de manière proactive afin de développer la présence des services de renseignements téléphoniques de la société Amadeus, sur sa stratégie commerciale, sur l’évolution de la concurrence dans le secteur des renseignements et des annuaires téléphoniques, et sur la mise en œuvre des campagnes de ces sites sur Google Ads. La décision n° 19-D-26 a pris en compte ce comportement incohérent de la part de Google pour établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en œuvre par Google.

L’Autorité considère que les faits dénoncés par Amadeus dans sa saisine ont déjà été traités, qualifiés et sanctionnés dans le cadre de la décision n° 19-D-26 et que les injonctions imposées à Google dans cette décision viennent encadrer les pratiques dénoncées par Amadeus, à l’instar des mesures qui avaient été imposées, à titre conservatoire, dans la décision n° 19-MC-01. La plainte d’Amadeus étant devenue sans objet, elle doit être rejetée en vertu de l’article L. 462-8 du code de commerce.

I. Constatations

A. LA SAISINE

1. Par lettre enregistrée le 4 mai 2018, sous le numéro 18/0047 F, la société Amadeus (518 421 466 RCS Toulouse) a saisi l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») de pratiques mises en œuvre par les sociétés Google Ireland Limited et Google Inc., devenue Google LLC (ci-après « Google »).

2. Selon la saisissante, Google disposerait d’une position dominante sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches et aurait mis en œuvre des pratiques abusives en suspendant, entre le 10 et le 29 janvier 2018, ses comptes Google AdWords (devenu

« Google Ads » à l’été 2018) et en refusant la plupart de ses annonces publicitaires depuis janvier 2018.

3. Accessoirement à sa saisine au fond, Amadeus a sollicité, par lettre enregistrée le 4 mai 2018 sous le numéro 18/0048 M, le prononcé de mesures conservatoires, sur le fondement de l’article L. 464-1 du code de commerce.

4. Par décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019, l’Autorité de la concurrence a prononcé des mesures conservatoires à l’encontre de Google et a décidé de poursuivre l’instruction au fond de ce dossier. Par un arrêt du 4 avril 2019 devenu définitif, la cour d’appel de Paris a confirmé, pour l’essentiel, la décision n° 19-MC-01.

LES ENTREPRISES ET SECTEURS CONCERNES

a)  Les services de renseignements téléphoniques

5. L'Autorité de régulation des télécommunications (devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (« ARCEP »)) a créé le 27 janvier 2005 les numéros courts sous la forme 118 XYZ (décision n° 05-0061). L’objectif était d’ouvrir à la concurrence le marché des services de renseignements téléphoniques, en se substituant au service fourni jusqu’alors via le numéro 12, exploité alors par l’opérateur historique des télécommunications France Telecom (devenu Orange).

6. L’ARCEP attribue ces numéros « 118 XYZ » par décision. Ils fournissent un service de renseignements téléphoniques comprenant au moins le service universel de renseignements mentionné à l’article R. 10-7 du code des postes et des communications électroniques. Conformément à la décision n° 05-1085 de l’ARCEP du 15 décembre 2005, ces numéros peuvent librement utiliser « une tarification à la durée avec une charge d’établissement d’appel ». L’encadrement de leurs modalités de tarification est appelé à évoluer à compter du 1er août 2021 puisqu’un plafond sera introduit tant pour la charge d’établissement d’appel (à savoir 3,00 € / appel TTC) que pour la tarification à la durée (à savoir 0,80 € / minute TTC) (voir l’article 6 de la décision n° 2018-0881 du 24 juillet 2018 de l'ARCEP établissant le plan national de numérotation et ses règles de gestion).

b)  La société Amadeus

7. La société Amadeus est située à Toulouse. M. X..., son gérant, l’a créée en 2010 et en est l’associé majoritaire (98 %). Elle exploite un service de renseignements téléphoniques, sous le numéro à tarification majorée 118 001, depuis novembre 2015. Ce service propose aux consommateurs de leur fournir par téléphone les coordonnées d’un particulier, d’un professionnel, d’une entreprise ou d’une administration et de les mettre directement en relation avec le numéro recherché.

8. Jusqu’au 22 mars 2018, la société Ynover Telecom, également détenue et gérée par

M. X..., était attributaire du 118 001 (cote 626 à 628). Cette ressource en numérotation était cependant exploitée par Amadeus (cote 3072), à laquelle elle a finalement été transférée à compter du 1er mars 2018 (cotes 641 à 643). Amadeus est également attributaire du 118 512 depuis  le  11  octobre  2018,  et  a  été  attributaire  du  118  333  entre  le  28 juillet 2016 et le 8 mars 20182. Selon Amadeus, « le numéro 118 333 (avait) été réservé afin d’analyser les performances en termes de réseau »3 et son exploitation « a été interrompue en raison des difficultés rencontrées à la suite de la suspension du compte AdWords d’Amadeus »4 (cote 7).

9. Dans le cadre de son activité de renseignements téléphoniques, Amadeus édite un total de 42 sites web tels que www.118001.fr, www.service-energie.info, ou encore www.suivre- colis.com (pour la liste complète voir cotes 3286 et 3287). En cas d’appel vers le 118 001, le consommateur est facturé en plus du prix de l’appel, et verse une somme de 2,99 € à la connexion, et 2,99 € par minute, y compris pendant toute la durée de l’appel en cas de mise en relation avec le numéro recherché.

10. En 2016, première année pleine d’exploitation de son service, Amadeus a réalisé un chiffre d’affaires de 5 752 200 €, pour un bénéfice de 1 528 242 €. En 2017, ce chiffre d’affaires s’est élevé à 12 476 548 € pour un bénéfice réduit à 1 385 234 €.

c)  La société Google et le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches

11. Fondée en 1998, Google est une filiale de la société Alphabet. En 2018, son chiffre d’affaires mondial s’est élevé à environ 116 milliards d’euros.

12. Google offre une large gamme de services, dont le service de recherche généraliste ou moteur de recherche Google Search, et le service de publicité en ligne liée aux recherches dénommé Google Ads (anciennement Google AdWords).

13. Le modèle économique de Google repose principalement sur l’interaction entre les services de recherche en ligne fournis aux utilisateurs sans contrepartie financière, mais qui lui permettent d’accéder aux données personnelles des utilisateurs, et les services de publicité en ligne, dont elle tire l’essentiel de ses revenus5.

14. Le service de moteur de recherche en ligne, Google Search, est le service phare de Google, accessible via le site internet www.google.com ou ses déclinaisons nationales (en France www.google.fr). Lorsqu’un utilisateur entre un mot clé ou une série de mots clés dans Google Search, ce dernier lui propose différentes catégories de résultats, qui sont issus d’un référencement généraliste ou spécialisé6. Dans le cas du référencement généraliste, référencement dit « naturel », les résultats procèdent de l’application des algorithmes élaborés par Google, qui ont pour but d’identifier les sites internet les plus pertinents pour la recherche considérée, à partir de différents critères (comme la fréquence de consultation des sites ou celle d’autres sites dans lesquels ils apparaissent en lien, etc.).

15. Google Search peut proposer une autre catégorie de résultats, à savoir des publicités en ligne liées aux recherches issues de Google Ads (les « annonces Google Ads »). Les annonces Google Ads apparaissent typiquement au-dessus ou en dessous des résultats issus du référencement naturel et sont accompagnées d’un label visant à informer les utilisateurs de leur caractère publicitaire. La sélection des résultats affichés est très différente de celle procédant du référencement naturel. La liste des annonces affichées dépend d’un processus d’enchères sur des mots clés, organisé par Google Ads et auquel participent les annonceurs intéressés7. Le processus d’enchères détermine à la fois l’annonce qui s’affichera et la rémunération qui sera versée à Google lorsqu’un internaute clique sur une annonce.

16. Les annonces Google Ads permettent ainsi aux annonceurs d’orienter les utilisateurs de Google Search vers leur site internet, y compris dans l’hypothèse où leur classement dans les résultats issus du référencement naturel n’est pas élevé.

2. LES PRATIQUES DENONCEES

17. Amadeus estime que Google a brutalement suspendu certains de ses comptes Google Ads dans des conditions non transparentes, non objectives et discriminatoires. Outre ces suspensions, Google aurait refusé les annonces diffusées par les comptes non suspendus d’Amadeus dans des conditions également non transparentes, non objectives et discriminatoires.

18. Seront d’abord rappelés les règles régissant le service Google Ads au moment des faits reprochés a), puis les relations commerciales entretenues depuis début 2016 par Google et Amadeus, et enfin les conditions dans lesquelles Google a suspendu les comptes actifs d’Amadeus, puis refusé la diffusion d’annonces par cette dernière b).

a)  Les conditions générales de publicité de Google et les Règles Google Ads

19. Google définit et publie des « Règles Google Ads » qui précisent les conditions dans lesquelles un annonceur peut diffuser de la publicité sur le « Réseau Google ». Ces règles font partie intégrante des Conditions Générales de Publicité de Google et sont expressément acceptées par l’annonceur lors de l’ouverture de son compte Google Ads. Les informations relatives aux Règles Google Ads sont accessibles sur les sites édités par Google, et cette dernière informe les utilisateurs des modifications des règles dans le journal des modifications.

20. Les Règles Google Ads concernent, d’une part, les pratiques publicitaires et les services admis sur la plateforme Google Ads, et, d’autre part, les Règles Google Ads applicables en cas de suspension d’annonces, de site internet et de compte Google Ads associé8.

21. Les Règles Google Ads applicables au moment de la suspension des comptes actifs d’Amadeus à partir de janvier 2018 comprenaient quatre grands domaines, à savoir :  les « Contenus interdits », par exemple le commerce d’armes ou de médicaments et la pédopornographie, les « Pratiques interdites », qui sont ici concernées, les « Contenus à diffusion contrôlée », définis comme des contenus dont on peut faire « la publicité, sous certaines conditions », par exemple les contenus érotiques, les jeux d’argent et de hasard, ou les services financiers, et les « Exigences rédactionnelles et techniques », qui s’appliquent à la façon dont les annonces sont rédigées et transmises techniquement.

22. Les Règles Google Ads relatives aux pratiques interdites contiennent une section consacrée aux « Déclarations trompeuses », qui vise les comportements des annonceurs destinés à tromper les utilisateurs sur l’identité de l’annonceur, la nature des biens ou des services proposés, leur coût, etc. (cote 6008).

23. Ainsi, les Règles Google Ads relatives aux « Déclarations trompeuses » interdisent par exemple :

- de ne pas mettre clairement en évidence la manière dont l’internaute est facturé et l’ensemble des frais à la charge de l’utilisateur (« Informations manquantes ») ;

- de faire croire à une affiliation avec un individu, une organisation, un produit ou un service, ou à une approbation par ces derniers (« Contenu trompeur ») ;

- de diffuser des annonces dont le contenu ne correspond pas à celui de la page de destination (« Pertinence du contenu peu évidente ») ;

- de cacher ou déformer des informations à propos d’une entreprise, d’un produit ou d’un  service  (« Comportement  non  fiable ») (règle  antérieurement dénommée

« Promotions indignes de confiance » et renommée, depuis mars 2018, « Pratiques commerciales inacceptables »).

24. À la date des faits, la Règle « Comportements non fiables » citait comme exemple la « Vente d’articles normalement gratuits », définie comme le fait de « facturer des frais aux utilisateurs pour des produits ou des services qui sont normalement gratuits ».

25. Toute violation des Règles Google Ads relevant de la catégorie des comportements non fiables était susceptible d’entraîner la suspension immédiate du compte Google Ads de l’annonceur. À compter de mars 2018, Google a changé ses Règles Google Ads sur l’un des points en débat dans la présente affaire. Cette modification a consisté à extraire la prohibition de la « Vente d’articles gratuits » de la catégorie « Comportement non fiable », elle-même concomitamment renommée « Pratique commerciale inacceptable ». Cette Règle Google Ads relative à la « Vente d’articles gratuits » a été intégrée aux Règles Google Ads relatives aux « Contenus interdits » dans la section « Autres activités soumises à restriction ». Partant, et dès lors que seule la violation de la règle « Comportement non fiable » devenue « Pratique commerciale inacceptable », est explicitement visée comme pouvant donner lieu à une suspension immédiate du compte Google Ads, sa violation n’est plus susceptible d’entraîner la suspension d’un compte, mais peut déboucher sur des refus d’annonces.

26. Les Règles Google Ads et les procédures qui sont applicables dans le cadre d’une suspension de compte figurent dans les Conditions Générales de Publicité de Google, ainsi que sur le site web du Centre d’aide Google Ads. L’article 13 des Conditions Générales de Publicité de Google datées du 1er septembre 2017 prévoit ainsi que : « Chaque partie peut résilier immédiatement les présentes Conditions à tout moment en notifiant l’autre partie moyennant un préavis (sauf en cas de manquement contractuel répété ou grave, notamment à une Politique), (…). Google peut suspendre la participation du Client aux Programmes à tout moment, par exemple en cas de problèmes de paiement, de manquements suspectés ou avérés aux Politiques ou aux présentes Conditions ou pour raisons légales ».

b)  Les relations commerciales entre Google et Amadeus

27. Comme cela a été souligné dans la décision « Google/Gibmedia » de l’Autorité9, Google intervient de manière proactive auprès de certains annonceurs, en mettant à leur disposition des programmes d’accompagnement personnalisés et des chargés de compte. Google dispose ainsi d’un programme d’accompagnement personnalisé dénommé « Google Digital Growth » (« Google Croissance Numérique »), également appelé « Google Growth Accelerator » (« Google Accélérateur de Croissance ») (« GGA »)10.

28. S’agissant de la société Amadeus, l’Autorité a relevé que cette société bénéficiait d’un service d’accompagnement personnalisé de Google11. Le 20 avril 2016, Google a proposé à Amadeus le bénéfice de l’accélérateur de croissance GGA12. À l’issue de sa participation au programme GGA de 90 jours, Amadeus a continué à bénéficier d’un accompagnement personnalisé de Google dans le cadre du programme « Mid Market Sales » (« Vente de Milieu de Marché ») (« MMS »).

29. Entre avril 2016 et janvier 2018, les représentants d’Amadeus ont régulièrement échangé avec leurs chargés de compte Google Ads, notamment au sujet de la stratégie commerciale d’Amadeus à l’occasion de divers évènements commerciaux organisés par Google. Les équipes de Google ont été directement impliquées dans la rédaction des annonces diffusées par Amadeus et dans l’organisation et la rédaction du contenu des pages de destination des annonces diffusées par Amadeus. Google a également apporté à Amadeus des conseils relatifs à la conformité de ses annonces et de ses pages de destination aux Règles Google Ads13.

30. Amadeus a créé au sein de son compte Google Ads un total de 13 comptes. Certains de ces comptes étaient quotidiennement utilisés pour diffuser des campagnes, d’autres uniquement à des fins d’essais, d’autres encore n’ont jamais été utilisés (un tableau synthétisant le statut des comptes d’Amadeus du 29 octobre 2018 a été transmis par Google14).

31. Le 10 janvier 2018, Google a informé Amadeus de la suspension de son compte le plus actif « en raison de déclarations trompeuses » et lui a notifié la possibilité de « faire appel de cette décision » (cote 2884)15. Entre le 15 et le 29 janvier 2018, Google a informé Amadeus de la suspension de l’ensemble de ses autres comptes actifs, c’est-à-dire de ceux qui étaient effectivement utilisés afin de diffuser des annonces, « en raison de déclarations trompeuses » (cotes 2883 et 1501 à 1503) ou parce qu’ils présenteraient « des cas graves ou récurrents de non-respect de nos règles en matière de publicité » (cote 455). Aucune de ces suspensions n’a fait l’objet d’un préavis ou n’a été consécutive à un refus d’annonce pour le même motif.

32. Les 15 et 16 mars 2018, Google a informé Amadeus de la réactivation des comptes au sujet desquels un recours interne avait été formé, après « vérification des données bancaires et respect du règlement ». Si les comptes ont été réactivés, la plupart des annonces diffusées depuis les comptes d’Amadeus ont néanmoins été refusées, au motif de « vente d’articles gratuits »

33. Dans ce contexte, Amadeus a mis en demeure Google, le 28 mars 2018, « d’autoriser la publication des annonces attachées aux comptes (suspendus), dès lors qu’elles sont licites et respectent les conditions d’utilisation Adwords, et ce au plus tard dans les 48 heures » (cotes 474 à 476). Par lettre du 4 avril 2018 (cotes 478 à 480), les conseils de Google ont finalement apporté à Amadeus des éléments explicatifs sur la suspension de ses comptes et les refus d’annonces. Dans ce courrier, Google indique que les comportements d’Amadeus seraient contraires tant à la règle relative à la « Vente d’articles gratuits » qu’à l’ensemble des Règles Google Ads relatives aux « Déclarations trompeuses ».

34. Les 2 mai, 18 juin et 10 aout 2018, les principaux comptes Google Ads d’Amadeus ont de nouveau été successivement suspendus, cette suspension étant cette fois justifiée par la violation de la règle portant sur le « Contournement des systèmes » (cotes 3875, 3876 et 3999). Ils n’ont plus été réactivés depuis.

B. LES DECISIONS N° 19-MC-01 ET N° 19-D-26 DE L’AUTORITE  DE LA CONCURRENCE

35. L’instruction au fond de la saisine d’Amadeus fait suite à l’instruction de sa demande d’octroi de mesures conservatoires, qui a donné lieu à l’adoption de la décision   n° 19-MC-01. Elle s’inscrit également dans le cadre de la décision n° 19-D-26 statuant sur la saisine de la société Gibmedia.

36. Par lettre du 6 mars 2015, la société Gibmedia a saisi l’Autorité de pratiques mises en œuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, reprochant à cette dernière d’avoir suspendu abusivement ses comptes AdWords (devenu Google Ads). Par décision n° 19-D-26 « Google/Gibmedia » du 19 décembre 2019, l’Autorité a estimé que Google avait commis un abus de position dominante consistant à avoir défini et appliqué les Règles Google Ads de manière non-transparente, non-objective et discriminatoire, et a condamné Google à une amende de 150 millions d’euros, en assortissant cette décision d’un certain nombre d’injonctions adressées à Google. Pour fonder cette décision de condamnation, l’Autorité s’est appuyée notamment sur des éléments de fait dénoncés par la société Amadeus dans le cadre de la présente procédure, ces éléments ayant été régulièrement versés au dossier constitué à la suite de la plainte de Gibmedia par les rapporteurs pendant la phase d’instruction.

1. LA DECISION   N° 19-MC-01  RELATIVE A LA DEMANDE DE MESURES CONSERVATOIRES D’AMADEUS

37. Parallèlement à sa saisine au fond, Amadeus a sollicité le prononcé de mesures conservatoires visant : (i) à la mise en place d’une politique de contenus Google Ads objective, transparente et non discriminatoire, (ii) à la mise en place d’une procédure de suspension de comptes des annonceurs prévoyant un avertissement formel et un préavis suffisant, (iii) au rétablissement de son compte Google Ads sous 48h à compter de la notification de la décision, et (iv) à distinguer de façon claire et non équivoque les résultats de recherches naturels des annonces publicitaires Adwords.

38. L’Autorité a, dans sa décision n° 19-MC-01 du 30 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus, considéré que les pratiques de Google étaient susceptibles de caractériser une rupture brutale des relations commerciales avec Amadeus dans des conditions ni objectives, ni transparentes. Ce constat est fondé notamment sur le fait que la suspension des comptes d’Amadeus est intervenue sans avertissement, ni mention claire des manquements reprochés et alors même que les services commerciaux de Google étaient étroitement impliqués dans l’élaboration des campagnes publicitaires considérées comme non conformes à sa politique de contenus.

39. L’Autorité a également constaté qu’en l’état des éléments produits au débat, les pratiques dénoncées par Amadeus étaient susceptibles d’être regardées comme discriminatoires. Ce constat est fondé notamment sur le fait que des fournisseurs de services de renseignements par voie électronique ont été en mesure de diffuser des annonces via Google Ads alors même que des annonces rédigées par Amadeus en des termes identiques étaient refusées.

40. Estimant que les comportements de Google relatés par la saisine d’Amadeus constituaient une atteinte grave et immédiate à l’entreprise plaignante, l’Autorité a prononcé des mesures conservatoires visant : (i) à la clarification des Règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements par voie électronique, (ii) à la mise en place d’une procédure de suspension de comptes des annonceurs prévoyant un avertissement formel et un préavis suffisant, (iii) à la formation des personnels commerciaux portant sur le contenu des Règles Google Ads clarifiées et (iv) à la revue manuelle de la conformité des campagnes proposées par les comptes non suspendus d’Amadeus.

41. Le 4 avril 2019, un arrêt de la cour d’appel de Paris a confirmé pour l’essentiel la décision de 19-MC-0116. La cour a notamment jugé que :

- c’était « à juste titre que l’Autorité a considéré que les pratiques reprochées à la société Google étaient susceptibles de caractériser une pratique abusive, résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies avec la société Amadeus dans des conditions ni objectives ni transparentes » ;

- les pratiques en cause étaient « susceptibles d’être discriminatoires et d’avoir eu, comme telles, des effets anticoncurrentiels ».

2. LA DECISION N° 19-D-26 STATUANT SUR LA SAISINE DE LA SOCIETE GIBMEDIA

42. La décision n° 19-D-26 « Google/Gibmedia » du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches a été adoptée à la suite de la saisine de la société Gibmedia au cours de l’année 2015.

43. Cette société a deux activités principales, l’édition de sites et d’applications mobiles, ainsi que la mise à disposition des éditeurs de sites de solutions de paiement sur internet. À la date de la saisine, Gibmedia éditait plusieurs sites qui fournissent de « l’information payante sans publicité » : annuaires téléphoniques ; prévisions météorologiques; informations juridiques et financières sur les entreprises. Les services de Gibmedia sont facturés grâce à des solutions de paiement mises à disposition par les principaux opérateurs de communications électroniques français, Orange, Free, Bouygues Telecom et SFR.

44. Le 7 janvier 2015, Google a envoyé à Gibmedia des courriers électroniques lui notifiant la suspension des annonces vers quatre sites internet qu’elle édite, puis, le 8 janvier 2015, un courrier électronique l’informant de la suspension définitive de ses deux comptes AdWords. Ces courriers indiquaient que les Règles Google Ads relatives aux « promotions indignes de confiance » n’avaient pas été respectées par Gibmedia.

45. Dans sa saisine, Gibmedia reprochait à Google d’avoir suspendu le compte Google Ads utilisé par ses sites, dont ceux d’annuaires téléphoniques, de manière brutale et dans des conditions qui ne seraient pas objectives, transparentes et non discriminatoires. Elle contestait la définition et les conditions d’application par Google des Règles Google Ads relatives à la publicité, ainsi que celles portant sur la suspension des comptes.

46. L’instruction menée a conduit à la notification d’un grief au mois d’octobre 2018 portant sur la mise en œuvre non transparente, non objective et discriminatoire des Règles Google Ads.

47. Au stade du rapport, les services d’instruction ont demandé à Amadeus de communiquer l’intégralité de ses échanges avec Google relatifs au service Google Ads. À cet égard, l’Autorité a considéré que les informations communiquées par Amadeus « ne visent aucune nouvelle pratique et n’étendent ni ne modifient le grief notifié à Google dans le cadre de la présente procédure »17. Elle a également précisé que « le versement au dossier des pièces transmises par Amadeus dans le cadre de cette procédure n’a pas pour effet d’opérer de jonction avec la procédure 18/0047F qui demeure distincte et dont l’instruction est actuellement toujours en cours »18.

48. Dans sa décision, l’Autorité a considéré que sur le marché français de la publicité en ligne liée aux recherches, Google détient une position dominante qui présente, à bien des égards, des caractéristiques « extraordinaires ».

49. La décision établit que « La position des éditeurs à l’égard de l’offre de Google est donc particulièrement contrainte, n’ayant d’autre choix que d’accepter les Règles et le traitement aléatoire de leur application, ou de renoncer à recourir aux services de Google Ads. Leur mise en œuvre est ainsi inéquitable, au sens du a) du deuxième alinéa de l’article 102 du TFUE »19.

50. L’Autorité a estimé que « les Règles de Google présentent la caractéristique de n’être ni objectives, ni transparentes, ni appliquées uniformément. Elles ne correspondent pas à une prise en compte proportionnée des objectifs de protection du consommateur de Google » 20.

51. Elle a conclu que « En particulier, ces Règles laissent à Google toute marge d’appréciation pour les interpréter dans le sens qu’elle souhaite. L’examen de la Règle sur la « vente d’articles gratuits » permet ainsi de constater que sa formulation laisse à Google toute discrétion pour interpréter ce qui doit être considéré comme gratuit ou payant sur les sites des annonceurs» 21.

52. L’Autorité a également constaté que le « comportement de Google à l’égard des annonceurs apparaît très ambigu, voire incohérent. Alors même que Google reproche à certains annonceurs de ne pas appliquer correctement ses Règles, et procède pour cette raison à des suspensions de comptes, il propose parallèlement aux mêmes annonceurs des services d’accompagnement personnalisé destinés, via son offre publicitaire Google Ads, à maximiser la couverture des internautes effectuant des recherches sur des mots clés correspondant à l’offre de ces sites »22. Elle a relevé notamment, que « Google est intervenue de manière proactive afin de développer la présence des services de renseignements téléphoniques de la société Amadeus » 23.

53. Au terme de l’article 1er de la décision, l’Autorité a considéré qu’il « est établi que les sociétés Alphabet Inc., Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France ont enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, en définissant et en appliquant les Règles de la plateforme publicitaire Google Ads (anciennement Adwords) de manière non transparente, non objective, et discriminatoire ».

54. L’Autorité a décidé d’imposer des sanctions pécuniaires et des injonctions à Google. Outre une amende de 150 000 000 € infligée aux entités de Google concernées par la pratique, l’Autorité a prononcé des injonctions pour une durée de cinq ans, imposant à Google de : (i) clarifier les Règles Google Ads, (ii) clarifier les procédures de suspension afin d’éviter que celles-ci revêtent un caractère brutal et injustifié, et (iii) mettre en place des mesures de prévention, de détection et de traitement des violations aux Règles Google Ads (paragraphes 566 à 590 de la décision n° 19-D-26). Enfin, l’Autorité a enjoint à Google de publier le résumé de la décision, accessible par un lien html intitulé « Google condamnée par l’Autorité de la concurrence française » sur la page d’accueil des sites internet www.google.fr, www.google.com et www.ads.google.com accessibles de France, pendant une durée de 7 jours consécutifs.

55. Ainsi, la décision n° 19-D-26 couvre les faits dénoncés par Amadeus dans sa saisine. Par ailleurs, la décision impose à Google un certain nombre d’injonctions qui reprennent, en les élargissant, l’économie des mesures conservatoires imposées à Google dans la décision  n° 19-MC-01.

II.  Discussion

56. Aux termes du quatrième alinéa de l’article L. 462-8 du code de commerce, l’Autorité peut rejeter la saisine « lorsqu'elle est informée qu'une autre autorité nationale de concurrence d'un État membre de la Communauté européenne ou la Commission européenne a traité des mêmes faits relevant des dispositions prévues aux articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne [devenus articles 101 et 102 du TFUE] ». Qu’il en est de même lorsque l’Autorité a traité des mêmes faits par une décision.

57. L’Autorité considère que les faits dénoncés par Amadeus dans sa saisine ont déjà été traités, qualifiés et sanctionnés dans le cadre de la décision n° 19-D-26 et que les injonctions imposées à Google dans cette décision viennent encadrer les pratiques dénoncées par Amadeus, à l’instar des mesures qui avaient été imposées, à titre conservatoire, dans la décision n° 19-MC-01.

A. SUR LES FAITS DENONCES PAR AMADEUS

58. L’Autorité relève que les faits dénoncés par Amadeus dans sa saisine ont été traités, qualifiés et sanctionnés dans le cadre de la décision n° 19-D-26.

59. Premièrement, les saisines de Gibmedia et d’Amadeus dénoncent toutes deux les suspensions de leurs comptes Google Ads, qui ont été justifiées par Google à titre principal par la violation des Règles Google Ads, en particulier celle relative à la « vente d’articles gratuits ». Comme Amadeus, Gibmedia reprochait « à Google d’avoir suspendu le compte Google Ads utilisé par ses sites de manière brutale et dans des conditions qui ne seraient pas objectives, transparentes et non discriminatoires ». Dans ce cadre, elle contestait « la définition et les conditions d’application par Google des règles relatives à la publicité, ainsi que celles portant sur la suspension des comptes ».

60. Deuxièmement, les pratiques dénoncées par Amadeus dans sa saisine, et qui ont fait l’objet d’une première évaluation, au stade des mesures  conservatoires,  dans  la décision n° 19-MC-01, ont été considérées par l’Autorité de la concurrence dans sa décision n° 19-D-26 comme constitutives d’un abus de position dominante. Les pratiques dénoncées par Amadeus ont été mises en œuvre au cours du premier semestre 2018, avant la notification des griefs dans la procédure initiée à la suite de la saisine de Gibmedia. L’Autorité a considéré que les pratiques de Google ont enfreint « les dispositions des articles L. 420-2 du code de commerce et 102 du TFUE, en définissant et en appliquant les Règles de la plateforme publicitaire Google Ads (anciennement Adwords) de manière non transparente, non objective, et discriminatoire »24. Dans la décision n° 19-MC-01 de mesures conservatoires relative à Amadeus, l’Autorité avait considéré, de manière similaire, que les pratiques de Google étaient susceptibles de « caractériser une rupture brutale des relations commerciales dans des conditions qui ne sont ni objectives, ni transparentes » et susceptibles d’être « discriminatoires et d’avoir eu, comme telles, des effets anticoncurrentiels »25. L’Autorité avait, en particulier, estimé que les règles en cause, qui iinterdisaient de « facturer des frais » pour des « services normalement gratuits » n’étaient ni objectives ni transparentes.

61. Troisièmement, l’Autorité relève que la situation d’Amadeus a été prise en compte dans le cadre de l’instruction réalisée à la suite de la saisine de Gibmedia, ainsi que dans la décision n° 19-D-26 ayant statué au fond.

62. Ainsi, la notification de griefs fait expressément référence à la société Amadeus et à son site 118001.fr dans le cadre de l’analyse des effets des pratiques de Google (décision n° 19-D-26, point 257). Dans ses observations en réponse à la notification de griefs, Google mentionne la suspension du compte d’Amadeus pour contester l’existence d’effets anticoncurrentiels des pratiques et identifie le site 118001.fr comme un concurrent direct de Gibmedia dans le secteur des annuaires (décision n° 19-D-26, point 257). Au stade du rapport, les services d’instruction ont notamment demandé à Amadeus de communiquer l’intégralité de ses échanges avec Google relatifs au service Google Ads.

63. La décision n° 19-D-26 a analysé en détail les services d’accompagnement personnalisés proposés par Google à certains annonceurs, dont Amadeus. Ainsi, Ecométrie, une société détenue par la même société mère que Gibmedia, qui édite un service d’annuaire téléphonique, a pu bénéficier d’un service équivalent à celui d’Amadeus. La décision décrit également les échanges de Google avec la DGCRRF et la Direction Interministérielle du Numérique et du Système d’Information et de Communication (« DINSIC ») transmis par Google. L’Autorité a constaté que les comptes Google Ads d’Amadeus avaient été suspendus en janvier et juillet 2018, alors même que Google est intervenue de manière proactive afin de développer la présence des services de renseignements téléphoniques de la société Amadeus, sur sa stratégie commerciale, sur l’évolution de la concurrence dans le secteur des renseignements et des annuaires téléphoniques, et sur la mise en œuvre des campagnes de ces sites sur Google Ads26. La décision n° 19-D-26 a pris en compte ce comportement incohérent de la part de Google pour établir le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en œuvre par Google à l’encontre des annonceurs, y compris Amadeus.

64. Il ressort de ce qui précède que les faits qui ont été dénoncés par Amadeus dans sa saisine ont déjà été traités et qualifiés comme étant contraires aux articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce et sanctionnés par l’Autorité dans le cadre de la décision  n° 19-D-26. L’Autorité a prononcé une amende forfaitaire de 150 millions d’euros ainsi que des injonctions visant à mettre fin au comportement anticoncurrentiel de Google.

B. LES INJONCTIONS DE LA DECISION N° 19-D-26

65. Les injonctions imposées à Google dans la décision n° 19-D-26 viennent encadrer les pratiques dénoncées par Amadeus, à l’instar des injonctions qui avaient été imposées à titre conservatoire dans la décision n° 19-MC-01.

66. Dans la décision n° 19-D-26, l’Autorité a enjoint à Google de « clarifier » les Règles Google Ads applicables aux services payants de renseignements et de mettre à disposition des annonceurs « ces règles dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires ». Dans le cadre de l’exécution de mesures conservatoires imposées par la décision n° 19-MC-01 du 30 janvier 2019, Google avait déjà précisé la Règle relative à  la « vente d’articles gratuits » en ajoutant une liste non-exhaustive d’exemples de comportements prohibés et avait intégré dans cette Règle un « outil de dépannage » dédié aux services de renseignements téléphoniques payants. Google avait également précisé la Règle « informations manquantes », en mettant à jour un document appelé « outil de dépannage ». La décision n° 19-MC-01 contraignait également Google à prévoir « dans les procédures Google Ads pouvant conduire à la suspension du compte d’un annonceur actif dans le secteur des services payants de renseignements par voie électronique, un avertissement se référant aux Règles Google Ads clarifiées, qui précisera la nature du ou des manquements reprochés, justifiant la suspension du compte Google Ads envisagée »27.

67. Dans la décision « Google/Gibmedia » n° 19-D-26, l’Autorité a prononcé des injonctions qui viennent également encadrer les pratiques de Google relatives à la définition et à l’application des Règles Google Ads, qui ont été dénoncées par Gibmedia en 2015, puis par Amadeus en 2018.

68. L’Autorité a en particulier enjoint à Google de « clarifier la rédaction des Règles Google Ads qui ont pour objet de protéger les utilisateurs de son moteur de recherche en ligne Google Search contre les annonces et les sites malveillants (ci-après : les « Règles Protectrices des Internautes »). […] À cet égard, la formulation des Règles Protectrices des Internautes doit comprendre non seulement leur définition, mais aussi leur nature en précisant le degré de gravité du manquement ». L’Autorité a précisé que les Règles Protectrices des Internautes doivent reposer « sur des critères objectifs, transparents et non discriminatoires d’identification des manquements éventuels »28.

69. Il s’ensuit que les modifications des Règles Google Ads, notamment celles qui seraient susceptibles d’affecter les intérêts d’Amadeus ou qui seraient contraires aux mesures conservatoires prononcées dans la décision n° 19-MC-0129, réalisées par Google postérieurement à la saisine d’Amadeus, sont couvertes par les injonctions de la décision n° 19-D-26. Elles pourraient, par ailleurs, faire l’objet, le cas échéant, d’une sanction dans le cadre de la procédure spécifique visée à l’article L. 464-3 du code de commerce si elles n’étaient pas conformes aux injonctions précitées.

III. Conclusion

70. La plainte d’Amadeus enregistrée sous le numéro 18/0047 F est devenue sans objet, l’Autorité ayant déjà traité les mêmes faits dénoncés par cette société dans le cadre de la décision n° 19-D-26 qui donne satisfaction à Amadeus. Pour cette raison elle doit être rejetée en vertu de l’article L. 462-8 du code de commerce.

DECISION

Article unique : La saisine de la société Amadeus enregistrée sous le numéro 18/0047 F est rejetée.

NOTES

1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Cotes 632 à 634 et 638 à 640.

3 Cote 3545.

4 Cote 7.

5 Pour une description des services de recherche en ligne et de publicité en ligne proposés par Google, voir la décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphes 14 à 28.

6 Dans le cas du référencement spécialisé, Google propose directement des services répondant aux recherches portant sur l’actualité (Google Actualités), les comparateurs de prix (Google Shopping), la cartographie (Google Maps, enrichi par le développement de Google Street View, service qui fournit des photographies en 3D des rues), les vidéos (via le site Youtube). Ces recherches, qui orientent les internautes vers des services gérés par Google, sont également désignées sous le terme de « recherches verticales ».

7 L’affichage des annonces Google Ads en réponse à la requête d’un utilisateur implique, plus particulièrement, un processus en deux temps :

- dans un premier temps, Google Ads identifie un ensemble d’annonces pertinentes en associant les mots clés que les annonceurs ont attachés à leur annonce avec ceux utilisés dans la requête de l’utilisateur. Ce filtre correspond à la recherche d’un résultat pertinent par rapport aux souhaits de l’internaute.

- dans un second temps, Google Ads classe les annonces pertinentes selon leur « Ad Rank » (« Classement d’annonce »). Le classement d’une annonce dépend de deux facteurs : le prix maximum indiqué par un annonceur pour chaque clic sur son annonce dans une enchère, et le classement qualitatif de cette annonce (le « Quality Score »). Les annonces Google Ads qui sont affichées de la façon la plus proéminente sont celles qui disposent de l’ « Ad Rank », ou classement, le plus élevé.

Lorsqu’un utilisateur clique sur une annonce Google Ads, Google perçoit une rémunération correspondant à ce clic de la part de l’annonceur. L’annonceur ne paye ainsi pour son annonce qu’en fonction des clics effectués par les internautes, la rémunération étant appelée « CPC » ou coût par clic.

8 Pour une description des Règles Google Ads, voir la décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre par Google sur le marché de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphes 95 et suivants.

9 Décision de l’Autorité n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphes 224 et suivants.

10 Cotes 416 à 418.

11 Décision de l’Autorité n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphes 239 et suivants.

12 Amadeus avait été sélectionné par Google comme bénéficiaire de ce programme d’accompagnement personnalisé en considération de sa place particulière au sein des opérateurs 118 et au vu de son potentiel de croissance dans le cadre d’une optimisation de sa pratique de diffusion d’annonces via Google Ads. Il a aussi été précisé qu’Amadeus était, sur la période considérée, de très loin le premier annonceur Google Ads parmi les opérateurs 118, en considération des sommes dépensées auprès du service Google Ads.

13 Voir en ce sens, la décision de l’Autorité n° 19-D-26 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la publicité en ligne, paragraphes 239 à 241 et 493.

14 Cotes 3874 à 3876.

15 Cette suspension n’a pas fait l’objet d’un préavis et n’est pas non plus consécutive à un refus d’annonces pour le même motif. Le courriel de notification de la suspension contenait un lien hypertexte qui renvoyait vers la page dédiée aux « déclarations trompeuses » du Centre de Règles Google Ads.

16 La cour d’appel de Paris a confirmé que le comportement de Google était susceptible de constituer un abus de position dominante. La cour a confirmé que la condition d’urgence était satisfaite et que les injonctions étaient proportionnées pour remédier à l’atteinte causée par les comportements de Google, à l’exception de l’obligation de formation des salariés de Google (article 3 de la décision).

17 Décision de l’Autorité n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphe 258.

18 Ibid, paragraphe 260.

19 Ibid, paragraphe 431.

20 Ibid, paragraphe 426.

21 Ibid, paragraphes 427 et 428.

22 Ibid, paragraphe 247.

23 Ibid, paragraphe 240.

24 Article 1er de la décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches.

25 Décision n° 19-MC-01 du 31 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus.

26 Les informations communiquées par Amadeus montrent que Google a été impliquée dans la rédaction des annonces et l’édition des pages d’accueil des sites d’Amadeus. La décision ajoute que Google a incité Amadeus à développer des campagnes publicitaires portant sur des mots clés relatifs à des services publics tels que les impôts, la sécurité sociale, afin de faire croître le volume d’appels vers les numéros surtaxés d’Amadeus.

27 Article 2 de la décision n° 19-MC-01 du 30 janvier 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus.

28 Décision n° 19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, paragraphe 568.

29 Au mois de mars 2020, Google a adopté un « nouveau règlement sur les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d’enregistrement des appels » au terme duquel Google annonce qu’elle « mettra à jour le règlement sur les autres activités soumises à restriction en vue de ne plus autoriser les annonces pour les services de renseignements téléphoniques, de transfert et d'enregistrement des appels. Ces services invitent généralement les utilisateurs à appeler un numéro de téléphone pour en obtenir un autre (ou pour obtenir des informations sur un établissement, comme son adresse) ou pour être mis en relation avec un autre service. Ce règlement ne s'appliquera pas aux annonces pour les services d'annuaires en ligne ou les logiciels d'enregistrement des appels ».