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Décisions

ADLC, 17 septembre 2020, n° 20-D-12

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Marianne Combaldieu et Mme Frédérique Laporte, rapporteures et l’intervention de M. Joël Tozzi, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mme Fabienne Siredey-Garnier, Mme Irène Luc et M. Henry Piffaut, vice-présidents

ADLC n° 20-D-12

17 septembre 2020

L’Autorité de la concurrence (commission permanente),

Vu la décision n° 18-SO-21 du 19 décembre 2018, enregistrée sous le numéro 18/0188 F, par laquelle l’Autorité de la concurrence s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace ;

Vu l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Vu le livre IV du code de commerce et notamment l’article L. 420-1 ;

Vu la décision du rapporteur général du 3 septembre 2019 disposant que l’affaire fera l’objet d’une décision de l’Autorité de la concurrence sans établissement préalable d’un rapport ;

Vu les décisions de secret d’affaires n° 19-DSA-022 du 15 janvier 2019, n° 19-DSA-025 du 15 janvier 2019, n° 19-DSA-068 du 20 février 2019, n° 19-DSA-139 du 06 mai 2019, n° 19-DSA-148 du 10 mai 2019, n° 19-DEC-219 du 18 juin 2019 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu les observations présentées par le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace, l’Association des Viticulteurs d’Alsace, le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien et le commissaire du Gouvernement ;

Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, les représentants du Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace, de l’Association des Viticulteurs d’Alsace et du Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien et le commissaire du Gouvernement entendus lors de la séance de l’Autorité de la concurrence du 11 février 2020 ;

Adopte la décision suivante :

Résumé1 :

L’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a rendu le 17 septembre 2020 une décision par laquelle elle sanctionne deux organisations syndicales, l’une de viticulteurs, l’Association des Viticulteurs d’Alsace (ci-après « l’AVA ») et l’autre de négociants-producteurs, le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien (ci-après « le GPNVA »), ainsi qu’une organisation interprofessionnelle, le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace (ci-après « le CIVA »), pour des pratiques d’entente contraires à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article L. 420-1 du code de commerce.

Cette décision fait suite à la communication, par la DGCCRF, de plusieurs indices relatifs à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des vins d’Alsace.

En premier lieu, l’Autorité a sanctionné l’AVA, le GPNVA et le CIVA pour avoir participé à une infraction, unique, complexe et continue consistant à se coordonner pour la fixation du prix du raisin entre 2008 et 2017. Ces organismes se sont concertés afin d’établir des recommandations de prix du raisin pour chaque récolte. Sur la base de cette concertation, les recommandations ont été publiées dans la revue des Vins d’Alsace à partir de 2013.

Sont infligées au titre de ces pratiques, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 26 000 euros à l’AVA ;

- 2 000 euros au GPNVA ; et

- 139 000 euros au CIVA.

En second lieu, l’Autorité a sanctionné le CIVA, dont les ressources annuelles s’élèvent pour les années récentes à plusieurs millions d’euros de cotisations, à hauteur de 209 000 euros, pour avoir mis en œuvre, entre 1980 et 2018, une entente visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents, des recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac.

L’Autorité a considéré que la fixation de prix indicatifs du vin en vrac par le CIVA limitait le jeu de la concurrence sur le marché. En effet, les prix étaient construits sur la base d’une formule ne reflétant pas les coûts d’exploitation réels de chaque entreprise, et s’apparentaient, compte tenu notamment de leur publication concomitante au début de la commercialisation du vin en vrac, à une consigne de prix futurs.

En élaborant et diffusant des barèmes de prix, un syndicat professionnel ou une organisation interprofessionnelle incite ses adhérents à se détourner d’une appréhension directe de leur stratégie commerciale et d’une détermination indépendante de leurs prix et fausse les négociations avec les clients.

En outre, au cas d’espèce, bien que les mis en cause n’aient pas fait de demande explicite d’exemption individuelle à la prohibition des ententes, l’Autorité a indiqué qu’ils n’auraient en tout état de cause pas pu bénéficier d’une exemption, dans la mesure où la réalité du progrès économique apporté par les pratiques en cause n’était pas démontrée.

I. Constatations

A. LA PROCEDURE

1. En 2013, la brigade interrégionale d’enquêtes de concurrence de Metz a communiqué des indices à l’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») relatifs à des pratiques de fixation des prix du vin en Alsace. Courant 2016, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après « la DGCCRF ») a transmis, par bordereau, à l’Autorité de la concurrence diverses pièces recueillies par ses services, concernant également des pratiques dans le secteur des vins d’Alsace.

2. Par décision n° 18-SO-21 du 19 décembre 2018, l’Autorité s’est saisie d’office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace.

3. Par décision du 3 septembre 2019, prise en application des articles L. 463-3 et R. 463-12 du code de commerce, le rapporteur général a décidé que l’affaire serait examinée par l’Autorité sans établissement préalable d’un rapport.

4. Conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus, une notification des griefs simplifiée a été envoyée, le 3 septembre 2019, au Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace (ci-après « le CIVA »), à l’Association des Viticulteurs d’Alsace (ci-après « l’AVA »), au Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien2 (ci-après « le GPNVA ») et au commissaire du Gouvernement.

B. LE SECTEUR CONCERNE

1. LES PRODUITS CONCERNES

5. Le vignoble de la région d’Alsace, qui couvre 15 545 hectares et 19 communes viticoles, comprend cinquante-trois appellations d’origine contrôlée (ci-après « AOC »)3 :

- l’appellation Alsace représentant 73 % des volumes de production ;

- les appellations Alsace Grand Cru (51 terroirs pour autant d’appellations distinctes) représentant 4 % des volumes de production ; et

- l’appellation Crémant d’Alsace représentant 23 % des volumes de production.

6. Chacune de ces appellations répond à un cahier des charges homologué par décret, dont le respect est contrôlé par un organisme indépendant, sous l’autorité de l’Institut national de l’origine et de la qualité (ci-après « INAO »).

7. La production annuelle de vin alsacien s’élevait, en 2015, à 1,01 million d’hectolitres. Le vin d’Alsace correspondait, pour cette même année, à 30 % du marché français de vins blancs toutes catégories et représentait 143,3 millions de bouteilles commercialisées, dont 27 % le sont à l’export. En 2015, le chiffre d’affaires annuel de ventes de vin d’Alsace était évalué à 530 millions d’euros dont 140 millions à l’export.

2. LE CYCLE DE PRODUCTION ET DE COMMERCIALISATION

8. En Alsace, les vendanges ont lieu au plus tôt mi-septembre et au plus tard mi-octobre en fonction des cépages et des conditions climatiques.

9. Par la suite, le raisin est pressé, fermenté, vinifié et mis en cuve pour produire du vin en vrac.

10. Le processus de vinification diffère selon la typologie du vin :

- pour les vins blancs, ce processus s’étend sur trois à quatre mois4 ;

- pour les vins rouges, le processus peut être plus long de quelques mois5 ;

- pour les crémants, la vinification est la plus longue, dans la mesure où la première étape de la transformation du vin tranquille en vin effervescent ne peut pas avoir lieu avant le 1er janvier de l’année qui suit la récolte, et l’étape de fermentation s’effectue très lentement, pendant neuf mois minimum6.

11. Une fois le vin vinifié, il est commercialisé en vrac ou en bouteille (dans la région Alsace du fait de l’obligation de mise en bouteille sur le territoire alsacien7) à partir du 15 décembre de l’année de la récolte. La commercialisation du vin en vrac des Grands Crus et des Crémants est possible au plus tôt le 1er décembre de l’année de récolte.

3. L’ORGANISATION DU SECTEUR

12. L’organisation du secteur vitivinicole de la région d’Alsace fait intervenir une multitude d’acteurs.

a) Les viticulteurs et les vignerons

13. Les viticulteurs travaillent la vigne, récoltent le raisin mais n’interviennent pas lors de la vinification, tandis que les vignerons réalisent entièrement la production du vin. De la culture de cépage à la mise en bouteille, en passant par la vinification, ils interviennent à chaque étape de la filière. Certains vignerons se chargent également eux-mêmes de la commercialisation de leur vin. Ces vignerons indépendants, appelés « metteurs en marché », sont au nombre de 450 pour le vignoble alsacien.

b) Les caves coopératives

14. Les caves coopératives sont au nombre de douze pour la région alsacienne8. Elles achètent à leurs adhérents viticulteurs le raisin qu’elles pressent pour produire les vins qui sont commercialisés par leurs soins sans recourir à des négociants. Ces coopératives regroupent 48 % des exploitants viticoles de la filière9.

15. Les caves coopératives, fondées sur le principe de la mutualisation des coûts de production, ont un rôle au niveau de la commercialisation car elles ont leurs propres réseaux de vente, aussi bien en France qu’à l’export, et fournissent également les maisons de négoce.

c) Les négociants

16. La majorité de la production de vin d’Alsace est commercialisée en aval par le biais des maisons de négoce.

17. Les négociants achètent auprès de leurs adhérents et des caves coopératives le vin en grande quantité avant de le revendre à des négociants ou directement aux utilisateurs finals. Certains négociants, dits « manipulateurs », achètent le moût – jus de raisin – ou le raisin et assurent la transformation du vin.

18. Le rôle des maisons de négoce est donc multiple :

- elles assurent la commercialisation de vins issus de crus sélectionnés ;

- elles participent à l’élevage de vins dits « de marque » - elles assemblent des vins d’une même appellation fournis par différents viticulteurs, les élèvent ensuite dans des chais ; et

- elles produisent des vins à partir de leur propre récolte ou des raisins achetés auprès de viticulteurs.

19. Les maisons de négoce étaient au nombre de 36 en 201510.

d) Conclusion

20. Le schéma ci-dessous présente de manière simplifiée le fonctionnement de la filière des vins d’Alsace :

Figure 1 – Schéma simplifié de la filière professionnelle des vins d’Alsace

AC 1 .PNG

* Liste non exhaustive

Source : Autorité de la concurrence

4. LE CADRE JURIDIQUE

21. Au sein de l’Union européenne, le secteur viticole est régi par le règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles qui a abrogé les règlements (CEE) n° 977/72 (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil (ci-après « le règlement OCM »).

22. Le règlement OCM fixe un ensemble de règles communes aux États membres de l’Union européenne destinées à soutenir et organiser les marchés agricoles dans le cadre de la politique agricole commune (« PAC »).

23. Aux termes de l’article 42 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE »), les règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le droit dérivé, compte tenu des objectifs de la PAC énoncés à l’article 39 du même traité.

24. Dans ce contexte, le règlement OCM pose dans son article 206 le principe de l’application des règles de concurrence dans le secteur agricole, tout en prévoyant plusieurs séries de dérogations.

25. Ainsi, par exemple, l’article 209, paragraphe 1, alinéa 1er du règlement auquel renvoie l’article 206 précité prévoit un mécanisme de dérogation générale à l’application de l’article 101 paragraphe 1 pour les « accords, décisions et pratiques visés à l'article 206 du présent règlement qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » et qui ne comportent pas « une obligation de pratiquer un prix déterminé » ou qui « en vertu desquels la concurrence est exclue » (soulignement ajouté).

26. Le règlement OCM instaure par ailleurs des mécanismes spécifiques de dérogation pour certaines catégories d’acteurs du monde agricole, dont notamment les organisations de producteurs, les associations d’organisations de producteurs et les organisations interprofessionnelles reconnues par les États membres (ci-après « OI »)11.

C. LES ENTITES CONCERNEES

27. L’organisation verticale de la filière alsacienne est à la fois ancienne, concentrée et fortement coordonnée autour de l’interprofession et de deux syndicats de la production et du négoce.

1. L’ASSOCIATION DES VITICULTEURS D’ALSACE

28. L’Association des Viticulteurs d’Alsace (« AVA ») a été créée le 21 avril 1912 par la fusion du Syndicat des Vignerons du Haut-Rhin (Weinbauverband) et le Syndicat des Vignerons du Bas-Rhin (Weinbauverein)12.

29. Il s’agit d’un syndicat général de défense du vignoble d’Alsace et des diverses appellations de ses vins, qui agit pour le compte de l’ensemble des viticulteurs alsaciens.

30. Peuvent adhérer à l’association les syndicats viticoles de l’aire de production des AOC d’une liste de communes ou terroirs alsaciens, ainsi que toute personne morale ou physique établissant une déclaration de récolte dans la commune ou les communes concernées par les syndicats viticoles. L’AVA fédère ainsi 99 syndicats viticoles locaux des différents villages du vignoble alsacien13.

31. Cet organisme a été reconnu, en 2007, par l’INAO, en tant qu’Organisme de Défense et de Gestion (ci-après « ODG »)14 pour les AOC « Alsace », « Alsace Grand Cru », « Crémant d’Alsace » et « Marc d’Alsace Gewurztraminer » (eau-de-vie). En tant qu’ODG, l’AVA a pour mission de préserver la mise en valeur des terroirs, des traditions locales, du savoir-faire et des produits en application de l’article L. 642-22 du code rural et de la pêche maritime.

32. L’ODG est administré par un conseil d’administration qui se compose de 40 membres élus par l’assemblée générale et notamment de :

- 24 membres élus à raison de 4 pour chaque sous-région ;

- les représentants des appellations (AOC, Crémant, Grand cru et Gewurztraminer) ;

- les représentants des catégories professionnelles (viticulteurs coopérateurs, metteurs sur le marché, négoce, vendeurs de raisins, vendeurs de vin en vrac, jeunes viticulteurs, pépiniéristes)15.

33. Son assemblée générale qui définit les orientations générales se compose principalement des membres du conseil d’administration qui ont une voix délibérative. D’autres membres ont des voix consultatives, il s’agit notamment des membres de l’ODG présents, le président de la Fédération des Coopératives Vinicoles d’Alsace, ou encore le président du Syndicat des Vignerons Indépendants d’Alsace (ci-après « SYNVIRA »)16. La direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (ci-après « la DRAAF), service déconcentré du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, peut être représentée aux assemblées générales, sans que son absence affecte pour autant la validité des décisions qui y sont prises17.

2. LE GROUPEMENT DES PRODUCTEURS-NEGOCIANTS DU VIGNOBLE ALSACIEN

34. Créé en 193618, le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien (« GPNVA ») est une structure de défense professionnelle réunissant les entreprises spécialisées dans la vente des vins d’Alsace traditionnellement installées dans le vignoble alsacien, qui disposent d’un domaine viticole généralement important, qu’elles exploitent par elles-mêmes.

35. Il constitue, en tant que leader de la représentation du négoce, le pendant de l’AVA, s’agissant de la production.

36. À côté du GPNVA, il convient de souligner le rôle joué par deux autres syndicats.

37. Le GPNVA regroupe aujourd’hui environ quarante maisons importantes de négoce de vins d’Alsace alors qu’il en avait compté jusqu’à une soixantaine avant le phénomène de concentration des entreprises du secteur vitivinicole au cours des cinquante dernières années. Ces maisons commercialisent actuellement 42 % de la totalité des vins d’Alsace et réalisent 52 % des exportations du vignoble.19

38. Selon les statuts du GPNVA, « [l]e Groupement est représenté par un Comité, composé de seize membres élus en vote secret par l’Assemblée Générale à la majorité des suffrages. Le Syndicat des Négociants en Vins, Viticulteurs du Vignoble Alsacien est représenté d’office au Comité par son Gérant qui assiste aux réunions avec voix consultative […] Le Comité se réunit chaque fois que les affaires l’exigent, sur convocation du Président ou sur demande écrite de 3 de ses membres » (article 7)20.

39. Par ailleurs, « [l]’Assemblée Générale des membres du Groupement a lieu tous les ans à une date fixée par le Comité » (article 11)21.

3. LE COMITE INTERPROFESSIONNEL DES VINS D’ALSACE

a) Origine

40. Le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace (« CIVA ») a été créé en 1963 par décret en tant que comité interprofessionnel22. Le décret précité prévoit que le CIVA est chargé « 3° De faciliter les relations entre producteurs et acheteurs de raisins, notamment en étudiant chaque année les éléments de la fixation des prix des vendanges et les modalités de paiement applicables aux transactions les concernant. »23

41. À la suite de la promulgation de la loi du 10 juillet 1975 relative aux organisations interprofessionnelles agricoles24, le CIVA a été autorisé à conclure des accords interprofessionnels. Depuis lors, plusieurs accords ont été passés et étendus par arrêtés. Par exemple, l’arrêté du 9 août 2016 a étendu les dispositions de l’accord interprofessionnel 2016-2019 conclu dans le cadre du CIVA25.

b) Organisation

42. Le code de fonctionnement du CIVA, ratifié par son assemblée générale du 21 février 2002, décrit l’organisation de l’OI26.

Les structures professionnelles

43. Conformément à l’article 4 de son code de fonctionnement, le CIVA est composé de manière paritaire de 24 représentants désignés par les organisations les plus représentatives des secteurs de la production et du négoce en vins du vignoble d’Alsace27.

44. La liste des organisations et syndicats les plus représentatifs appelés à désigner les membres du CIVA a été établie par un arrêté du 16 février 198828 :

Figure 2 – Liste des membres titulaires élus au sein du CIVA29

AC 2.PNGLe bureau et le conseil de direction

45. Un bureau de six membres, élus annuellement, s’entoure de six autres membres pour constituer un conseil de direction de six délégués de la production et de six délégués du négoce30.

46. Le conseil de direction se réunit mensuellement pour mettre en œuvre l’ensemble des orientations définies, dans leurs grandes lignes, par l’assemblée générale et prendre toutes décisions nécessaires à la gestion du marché des vins d’Alsace. L’exécution des décisions du conseil de direction est ensuite assurée par le directeur du CIVA avec l’aide de ses services31.

L’assemblée générale

47. Elle est convoquée au moins une fois par semestre et réunit 36 membres professionnels (18 représentants de la production et 18 de la commercialisation) et 20 membres consultatifs représentant différentes administrations et organismes consulaires32.

48. Entrent notamment dans ses missions : l’approbation du budget annuel prévisionnel, l’approbation des comptes de l’exercice écoulé, la fixation du montant de la cotisation interprofessionnelle, c’est-à-dire la contribution volontaire obligatoire (ci-après « la CVO »), l’approbation des accords interprofessionnels triennaux qui rythment le fonctionnement de la filière « Vins d’Alsace », et de ses éventuels avenants de campagne33.

La commission paritaire

49. La commission paritaire – anciennement dénommée, selon les mis en cause, « commission des prix » – a été créée au sein du CIVA dès 196334. L’article 10 du code de fonctionnement du CIVA du 21 avril 2002 précise que la création d’une commission paritaire entre le CIVA, l’AVA et le GPNVA a pour fonction « d’étudier annuellement le protocole d’accord relatif au prix du raisin et à leurs modalités de paiement »35.

50. Les comptes rendus des conseils de direction du CIVA renseignent sur la genèse de cette commission.

51. Ainsi, le compte rendu du conseil de direction du 1er mars 2013 indique : « M. D... tient à rappeler que si le CIVA a 50 ans d’existence cette année, il ne faut pas oublier qu’au départ il a été fondé sur la Commission Paritaire. Elle n’a peut-être pas le droit de fixer les prix, mais c’est selon lui, la commission économique du vignoble : et c’est en son sein que les deux familles doivent trouver le consensus sur toutes les questions économiques, donc également celle des délais de paiement. »36 (soulignement ajouté).

52. Dans le compte rendu du conseil de direction du 29 avril 2013, il est écrit : « M. C... [ancien Président de l’AVA] […] rappelle que parmi les différentes missions du CIVA, il y a la Commission Paritaire, qui était au départ la raison pour le CIVA d’exister, afin de fixer un prix de raisin.

[…] Pour M. X... [Président du CIVA] il y a 2 problèmes différents qui se posent :

- Légaliser l’existence de la Commission Paritaire (en changeant éventuellement son nom et en évitant certaines publications)

- Eviter la mésentente sur la fixation de prix entre les familles.

M. Z... [Directeur du CIVA] rappelle l’historique de la création en 1963 du CIVA qui reposait sur la Commission Paritaire au sein de laquelle le prix de raisin était négocié et fixé. Dans les années 90, figuraient encore les prix de raisins fixés dans les avenants d’accords interprofessionnels, ainsi d’ailleurs que des fourchettes de prix pour le vin en vrac, mais ces publications ont dû être abandonnées par la suite. […] »37.

53. La commission paritaire est présidée par le président du CIVA, les membres de la production et du négoce sont représentés par les présidents de l’AVA et du GPNVA. Peuvent également y siéger, à titre consultatif le commissaire du Gouvernement, le directeur de COOP de France38 Alsace, le SYNVIRA, etc.39

54. Les représentants de l’AVA ont précisé, lors de leur audition par les services d’instruction, que : « […] [l]a CP [commission paritaire] se tient au sein du CIVA. Il s’agissait d’un lieu d’échange entre la production et le négoce. […] Cette CP a toujours été présidée par le CIVA. La CE [commission économique du GPNVA] quant à elle, réfléchit sur les rendements, le prix du raisin, et les systèmes de paiement ».40

55. Lors de leur audition, les représentants du CIVA ont précisé que la commission paritaire n’existe plus « depuis 2015 ».41

c) Missions

56. Les missions du CIVA incluent le marketing, la technique, la recherche et le développement ainsi que l’analyse économique (évolution des concurrents, progression d’un cépage, etc.)42.

57. Pour la réalisation de ses missions, le CIVA centralise de manière permanente toutes les études et enquêtes statistiques sur la production (déclarations de surfaces en production, de récolte et de stocks) et la commercialisation des produits (enregistrement et suivi de la totalité des ventes en vrac et en bouteilles, mesures d’échelonnement de la mise en marché, modalités de paiement des raisins, contrôles de maturité préalables aux vendanges, etc.)43.

La transmission d’informations au CIVA

58. Au titre de ses missions, deux types de contrats sont notamment transmis au CIVA : les contrats d’apports de raisins et les transactions en vrac. Le CIVA est également destinataire d’autres informations transmises par ses membres.

Les contrats d’apport de raisins

59. Les contrats de vente de raisin appelés « apports de raisins » sont communiqués par les négociants et les coopératives. Toutes les transactions entre les acheteurs et les vendeurs de raisins portant sur la récolte de raisin sont enregistrées par le CIVA à l’exception de celles qui concernent les coopératives. Elles ne concernent donc que les négociants. Les acheteurs communiquent au CIVA la surface cultivée en hectares, le prix de base et le cépage concerné.

Les contrats de vente de vin en vrac

60. Les contrats de vente de vin en vrac sont transmis au CIVA par les vignerons ou metteurs en marché (voir le paragraphe 13 ci-dessus). Ce document indique le cépage, le volume et le prix. À chaque transaction, l’acheteur ou le courtier/négociant de vin en vrac en transmet un exemplaire au CIVA.44

61. En réponse à une demande d’informations, le directeur du CIVA a ainsi indiqué que « [t]oute transaction de vins en vrac entre 2 opérateurs du vignoble alsacien donne lieu à l’établissement d’un contrat de vente, établi soit par un courtier, soit par l’acheteur lui-même. Les formulaires en 4 exemplaires sont disponibles au CIVA. Le courtier ou l’acheteur renvoie au CIVA dans les 6 jours l’original du contrat, les autres exemplaires vont aux autres acteurs de la transaction »45.

La publication des données récoltées

62. En se fondant sur les éléments qui figurent dans les contrats qui lui sont transmis par les vignerons ou les metteurs en marché, le CIVA :

- constate le prix de base porté sur les contrats d’apports de raisin communiqués par la grande majorité des entreprises et diffuse auprès de ses adhérents, une fois par an, en décembre, la moyenne des prix des raisins par cépage et leur conversion en prix indicatif du vin en vrac ;

- assure le suivi des transactions et procède à l’établissement de mercuriales46 bimensuelles des prix du vin en vrac (sur la base d’un relevé statistique des cours des transactions en vrac) ; et

- publie au 15 mars, 15 juin, et 15 août les prix du vin en vrac constatés avec leur conversion en prix du raisin.47

D. LES PRATIQUES CONSTATEES

1. LES PRATIQUES CONSTATEES SUR LE PRIX DU RAISIN

a) Les discussions relatives au prix du raisin

63. Il ressort des pièces du dossier que le CIVA, le GPNVA et l’AVA ont, entre 2008 et la fin de l’année 2012, négocié le prix du raisin au sein de la commission paritaire du CIVA, composée de représentants du négoce et de la production. Ces discussions, qui ont perduré jusqu’en 2017 au sein de diverses commissions, ont abouti à l’adoption de recommandations syndicales publiées par l’AVA.

L’objet des discussions

64. Les discussions sur le prix du raisin qui sont intervenues dans le cadre du CIVA étaient guidées par l’objectif d’augmenter les prix des vins d’Alsace et d’assurer, dès lors, une meilleure valorisation des produits vitivinicoles.

65. Cet objectif ressort notamment des comptes rendus des réunions de différentes instances des organismes concernés par la présente procédure.

66. En premier lieu, au sein du conseil de direction du CIVA du 31 mai 2013, M. X..., Président du CIVA, « insiste sur sa volonté d’augmenter les prix et ainsi valoriser les vins d’Alsace ! »48.

67. Trois ans plus tard, lors d’une réunion du 16 décembre 2016, des représentants des entités concernées ont tenu des propos dans le même sens :

- « Pour M. Y... [Représentant de la Production], il faut surtout se méfier de la Grande Distribution, qui met actuellement la pression à la baisse sur les prix.

- M. Z... [Directeur du CIVA] confirme qu’il faut profiter du fait qu’on manque de vin partout sauf en Alsace pour maintenir également les prix sur les vins d’Alsace. […]

- Pour M. T... [Représentant de la Production], on a malgré tout des arguments pour augmenter les prix de vente finaux ainsi que les prix des raisins. Il faut selon lui augmenter de 1 ou 2 % chaque année, de manière régulière, pour éviter les à-coups sur nos ventes. »49

68. Par ailleurs, au niveau de la commission paritaire, le compte rendu d’une réunion du 28 août 2012 fait également apparaître cet objectif : « Avant d’ouvrir les débats, M. X... [Président du CIVA] revient sur sa proposition de l’an passé de prendre en compte l’érosion monétaire. Il tient à rajouter que le prix de base qui est décidé au sein de cette commission, a un lien direct avec le prix de vente à la bouteille et qu’il est donc important et urgent que toutes les entreprises aient l’ambition de vendre leurs vins à un prix plus correct. Il n’est plus admissible de trouver des Vins d’Alsace à 2 ou 3 €. Il compte donc sur tous les acteurs au sein des entreprises, directs et indirects, pour revaloriser nos produits. II estime qu’il faut augmenter les tarifs au minimum de 0.40 € pour éviter des difficultés graves pour les entreprises et ce, qu’elle que soit leur structure juridique. L’équilibre de ce vignoble est en jeu. Il lui semble que le pire ennemi sur le marché ce sont les Alsaciens eux-mêmes. Il faut arrêter entre nous de se prendre les marchés. Le CIVA n’a aucun moyen pour enrayer ce phénomène si tous ensemble nous ne faisons pas le nécessaire pour tirer ce vignoble vers le haut. La meilleure communication, les meilleurs produits, ne suffisent pas si l’on ne se fixe pas comme objectif de demander un prix correct rémunérateur pour tous. Avant de se partager un bénéfice il faut d’abord le gagner. II compte donc sur TOUS. » 50 (soulignement ajouté).

69. À l’assemblée générale de l’AVA du 21 mars 2013, M. A..., Président de l’AVA, a indiqué, dans le même sens, qu’« [i]l faut maintenant arrêter les chamailleries en définissant une orientation du prix du raisin à la hausse ! Oui, j’ose le dire en public, pas besoin de se cacher, en prenant même l’administration à témoin et croyez-moi je l’assumerais, c’est çà [sic] le syndicalisme, trouvons un accord ! D’autres régions sont capables de le faire, alors pourquoi pas nous. C’est trop facile de se cacher derrière des lois et de vouloir laver plus blanc que blanc ! çà [sic] suffit ! Les efforts faits par les vignerons conjugués avec l’augmentation des charges ne permettent plus de rester sur un statu quo ».51

70. Enfin, le compte rendu de l’assemblée générale du 31 mai 2013 du GPNVA précise que « [l]es discussions qui s’engagent sur les orientations à donner aux prix des raisins de la campagne 2013 sont animées par le souci de mieux valoriser les vins d’Alsace tout en préservant des marges décentes permettant de pérenniser les entreprises et d’investir dans l’outil de production et dans la commercialisation ».52 (soulignement ajouté).

Le cadre dans lequel les discussions se sont tenues

71. Avant la fin de l’année 2012, les discussions entre les entités concernées relatives au prix du raisin ne sont intervenues qu’au sein de la commission paritaire du CIVA. À compter de la fin de l’année 2012, des discussions de nature similaire ont eu lieu au sein de différents organes des trois entités concernées par la présente procédure.

Discussions jusqu’à la fin de l’année 2012

72. Jusqu’à la fin de l’année 2012, les discussions au sein du CIVA relatives au prix du raisin ont porté, d’une part, sur la méthode pour parvenir à l’adoption en commun d’un prix du raisin et, d’autre part, l’insertion du prix du raisin au sein d’un contrat-type rendu obligatoire pour les acteurs du marché.

* S’agissant de la méthode pour parvenir à l’adoption d’un prix en commun du raisin

73. Il ressort des comptes rendus des réunions de la commission paritaire que le principe de l’adoption en commun du prix de vente des raisins était acquis pour les participants, si bien que les discussions ont porté non sur le principe lui-même mais sur la méthode à suivre pour déterminer le prix du raisin.

74. C’est, dès 2008, la méthode de l’indexation par cépage qui a été retenue dans ce cadre. Selon cette méthode, le prix de base du raisin est indexé sur les cours du vin en vrac constatés au cours de l’année.

75. En conséquence, afin de parvenir à un accord sur le prix du raisin, les discussions au sein de la commission paritaire ont porté sur le prix de base du raisin par cépage et le niveau de son indexation. Les résultats des négociations du prix du raisin pour les récoltes de 2008 à 2012 sont exposés ci-après.

Tableau 1 – Résultat des négociations du prix des cépages des récoltes 2008 à 2012

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76. Il ressort de ce tableau que s’agissant des récoltes de 2008 à 2011, les acteurs de la production et du négoce sont, pour chaque récolte, parvenus à un accord en ce qui concerne le prix des cépages de l’AOC Alsace ainsi que ceux du Crémant d’Alsace. S’agissant de la récolte de 2012, après de longues discussions, un accord a uniquement été obtenu pour le Crémant.

77. Pour les récoltes de 2011 et de 2012, la méthode de l’indexation sur le cours du vrac a soulevé de nombreuses interrogations de la part du négoce. Ces interrogations ont conduit à l’absence d’accord entre les acteurs du négoce et de la production sur l’indexation des cépages pour la récolte de 2012.

* S’agissant de l’insertion du prix du raisin dans un contrat-type rendu obligatoire

78. Les contrats d’apports de raisin, pluri-annuels et annuels, sont, selon le CIVA, intégrés aux accords interprofessionnels triennaux depuis 2004 ou 200553. À partir de 2008, l’interprofession a envisagé de rendre obligatoire le respect de ces contrats.

79. À cet égard, lors de la réunion de la commission paritaire du 2 juillet 2008, M. D..., en charge d’un groupe de travail « prix des raisins », a présenté un projet de contrat-type de transport de raisin obligatoire. Un tel contrat permettrait, selon lui, d’assurer « une meilleure maitrise »54 des volumes. M. Z..., Directeur du CIVA, a ajouté qu’une contractualisation permettrait également « d’aller vers une solution de partenariat à long terme. […], d’assurer l’approvisionnement de l’acheteur et, d’autre part, assurer la rémunération du vendeur. La solution pour le rendre obligatoire serait de l’intégrer dans l’accord interprofessionnel ».55

80. La réunion de la commission paritaire du 2 juillet 2008 a, en ce sens, acté « l’idée d’un contrat rendu obligatoire par accord interprofessionnel »56.

81. Par la suite, lors de la réunion de la commission paritaire du 7 août 200857, M. Z..., Directeur du CIVA, a indiqué, alors qu’un projet de contrat avait été préparé par le CIVA, que la branche production de la filière souhaitait que figure un prix sur le contrat-type. Le contrat-type tient en effet selon lui « […] compte des souhaits émis par les uns et les autres :

- la Production souhaitait que figure un prix. Il ne s’agit pas d’imposer un prix mais que les parties contractantes se mettent d’accord sur un prix qui pourrait, bien entendu, être fixé librement par les différents contractants […] ».

82. Par ailleurs, toujours selon M. Z..., Directeur du CIVA, l’objectif est alors également de rendre ce contrat obligatoire pour l’ensemble de l’interprofession : « [i]l s’agissait également de trouver les moyens sur lesquels s’appuyer pour rendre le contrat obligatoire par l’interprofession. Deux pistes avalent été dégagées :

1) La traçabilité. Or il s’avère que la traçabilité n’est pas du ressort de l’Interprofession

2) La transparence du marché : permettre à l’Interprofession de collationner des éléments pour publier des constats de prix. Ce qui se fait déjà au niveau des contrats pour les transactions en vrac. Bien entendu seules des données consolidées sont ensuite diffusées. Les données individuelles restant internes au CIVA qui est lié par le sceau du secret professionnel. » (soulignement ajouté).

83. Il ressort des comptes rendus de réunion de la commission paritaire entre 2009 et 2010 que la nature obligatoire du contrat-type est actée. Néanmoins, l’insertion du prix du raisin dans le contrat n’est, en pratique, pas automatique.

Tableau 2 – Discussions relatives au contrat-type et au prix du raisin mentionné dans le contrat

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84. Postérieurement à 2010, si le principe de la référence au prix dans les contrats d'apports de raisin est acté, elle ne semble pas systématique.

85. Certes, lors de la commission paritaire du 14 novembre 2012, M. B…, Président du GPNVA, a souligné que les contrats d’apports de raisin étaient signés avec la mention du prix : « […]

Il rappelle que la viticulture avait accepté de baisser le butoir de 100 à 90 hl/ha. Il se peut qu’il y ait encore des efforts à faire. Mais pour cette année, les contrats sont signés avec indication des prix, il ne souhaite pas y revenir. »62 (soulignement ajouté).

86. Toutefois, sur le site d’informations Vitisphère, un article du 4 septembre 2015 retranscrivant le contenu d’une assemblée générale de l’AVA présente un état des lieux contraire « […] la mention du prix n’est pas encore pratiquée par tous les opérateurs. “Il arrive que la place réservée au prix dans un contrat type soit laissée vide ou remplacée par une tournure grammaticale sujette à interprétation”, signale M. O… [vice-président de l’AVA]. L’Ava estime qu’un peu plus d’un contrat sur deux ne remplit pas encore cette condition, pourtant obligatoire. Il reste donc du chemin à faire » (soulignements ajoutés).63

87. S’agissant des contrats mentionnant un prix du raisin, plusieurs vignerons ont fourni, en réponse à un questionnaire des services d’instruction64, des contrats d’apports de raisin dans lesquels il est fait référence à un prix des raisins négocié au sein du CIVA. En effet, il ressort des stipulations de trois contrats transmis par les vignerons répondants que « le paiement des raisins sera effectué au prix et conditions constatés par la Commission Paritaire du Comité Interprofessionnel du Vin d’Alsace »65, que « les prix des raisins seront ceux définis par la Commission Paritaire du CIVA »66, ou encore que les prix des raisins seront fixés « selon [les] prix constatés par l’interprofession (CIVA) » et qu’ils « seront indexés suivant le constat effectué par le CIVA »67.

88. De même, un avenant au contrat de livraison de raisins stipule que les prix de base des raisins « feront l’objet d’une indexation trimestrielle en fonction des variations des cours des vins en vrac à la propriété, selon les constatations effectuées par le CIVA (indexation calculée en fonction de la fluctuation des cours du vrac issu des mercuriales). Cette indexation sera limitée à 10 % en plus ou en moins pour les cépages. Le prix de l’Edelzwicker repli est net et non indexé »68.

* Conclusion

89. Entre 2008 et 2012, les données récoltées par le CIVA (voir le paragraphe 62 ci-dessus) ont servi de base à des discussions sur le prix du raisin au sein de la commission paritaire. Ces discussions ont porté sur la méthode visant à atteindre un prix négocié du raisin, et ont abouti à l’adoption pour certaines récoltes de recommandations de prix par cépage pour la profession.

Discussions à partir de la fin de l’année 2012

90. À la suite de l’échec des négociations lors de la réunion de la commission paritaire du 14 novembre 2012, c’est l’AVA qui prend l’initiative des discussions relatives au prix du raisin.

91. À cet égard, lors de son audition du 24 juillet 2018, les représentants de l’AVA ont déclaré : « A l’époque, nous avons décidé de reprendre la question pour les orientations [sur les prix] qui se sont fait au sein du groupe économique. Nous les proposons au CA [conseil d’administration] de l’AVA et nous décidons si nous les présentons en AG [assemblée générale] » 69.

92. Si le CIVA n’est pas, en tant que personne morale, représenté au sein du conseil d’administration et de l’assemblée générale de l’AVA, le président du CIVA depuis 201670 en est membre en tant que président de la sous-région de Barr71 (voir le paragraphe 32 ci-dessus).

93. Par ailleurs, il est rappelé que les instances de l’AVA se tiennent notamment en présence du représentant du GPNVA et du CIVA. Ainsi, au sein du conseil d’administration de l’AVA siègent le président du CIVA et celui du GPNVA72.

94. Cette organisation est confirmée par la lecture des procès-verbaux des conseils d’administration.

95. Le procès-verbal du conseil d’administration de l’AVA de novembre 2012 précise, à cet égard, que : « […] le débat a lieu au conseil d’administration de l’AVA ou sont présentes toutes les familles professionnelles ».73 De même il résulte du procès-verbal du conseil d’administration de l’AVA du 22 juin 2015 que : « l’AVA représente l’ensemble des producteurs. Le futur Président du CIVA doit siéger au Conseil d’administration de l’AVA et le Président du CIVA doit être invité au Conseil d’administration de l’AVA. Il est précisé que M. F... [Président du CIVA] a été invité à ce Conseil, mais qu’il n’a pas donné de nouvelles ».74

96. Il ressort de la composition de ces différentes instances que les prix continuent à être discutés et communiqués entre les représentants des organismes en cause.

97. Les éléments qui figurent au dossier – synthétisés dans le tableau qui figure ci-après –attestent que les prix du raisin ont continué à être discutés entre les représentants des organismes :

Tableau 3 – Échanges sur le prix du raisin entre les organismes mis en cause à partir de la fin de l’année 2012

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98. Il ressort des comptes rendus des différentes réunions reproduits ci-dessus que les échanges entre les organismes en cause sur des prix du raisin par cépage ont perduré après la fin de l’année 2012, y compris hors du cadre de la commission paritaire du CIVA.

b) La publication de prix recommandés du raisin

99. Lors de leur audition par les services d’instruction, les représentants de l’AVA ont précisé que « […] sur le prix du raisin, depuis 2013 les grilles de recommandation syndicales sont faites uniquement au sein de l’AVA. »75 Ainsi qu’il ressort des paragraphes 90 et suivants ci-dessus, ces recommandations annuelles étaient proposées et discutées par les représentants du négoce et de l’interprofession.

100. Il ressort des comptes rendus des assemblées générales de l’AVA que l’objectif de ces recommandations était d’assurer une augmentation du prix du raisin (voir paragraphes 104, 0, 111 et 113 ci-dessous), comme en témoigne d’ailleurs l’augmentation annuelle constante de l’ensemble du prix minimum des cépages prévue par les recommandations (voir infra).

101. Enfin, pour les récoltes 2013 à 2016, ces recommandations sont publiées par l’AVA dans la « revue des vins d’Alsace » avec les comptes rendus des assemblées générales.

Récolte 2013

102. L’AVA a indiqué pour cette campagne dans la revue des vins d’Alsace qu’« au niveau des représentants de la production il est recommandé aux producteurs de demander au minimum […] » (soulignement ajouté) 76 les prix suivants :

Figure 4 – Recommandation 2013 de l’AVA concernant les prix des raisins

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103. Pour la même année, M. 11..., en qualité de Président de Coop de France Section Alsace, a constaté lors de l’assemblée générale de l’AVA que : « Coop de France Section Alsace a demandé aux coopératives de suivre l’orientation syndicale et d’appliquer sur les prix de base constatés de la récolte 2011 une majoration de 3 à 5 %. Il demande également une rencontre aux représentants du négoce afin de trouver des orientations concernant le Riesling. »77

Récolte 2014

104. Lors de l’assemblée générale de l’AVA de 2014, M. A..., Président de l’AVA, a précisé que « La profession manque de fierté et d’audace, le cépage le plus connu est le Riesling il faut se mettre d’accord pour faire remonter son prix. J’attends des actes de la production, mais aussi du négoce. On peut si on le décide collectivement faire augmenter les prix des raisins et les prix des vins en vrac. » 78 (soulignement ajouté).

105. Par ailleurs, M. A... a déclaré qu’ :

- « “Étant donné que personne n’est enclin à discuter de prix et de rentabilité”, l’Ava avait “pris ses responsabilités” l’an dernier, en prônant une augmentation de 3 % du prix du raisin pour tous les cépages » ; et

- « Certaines entreprises n’ont pas apprécié, mais notre rôle est de défendre les vignerons. Tous les maillons de la chaîne méritent une juste rémunération ».79

106. Compte tenu de l’évolution de l’inflation et du marché, l’AVA recommande ainsi une hausse de 2 % du prix du raisin pour tous les cépages.80

Récolte 2015

107. Dans « l’édito » de la revue des vins d’Alsace pour les vendanges 2015, M. G..., vice-président du CIVA, a présenté la réflexion de l’AVA sur le prix du raisin en ces termes : « Le travail syndical mené par l’AVA ces dernières années, sur la revalorisation du prix de raisins, porte ses fruits. Je salue les entreprises, coopératives ou négoces qui accompagnent ce mouvement en se calant sur le prix “syndical” ou comme certaines, en faisant mieux encore. Notre revendication portant sur l’abandon de l’indexation des raisins par rapport au cours du vrac a, elle aussi, été suivie par la plupart de ces entreprises81 ».

108. Les recommandations syndicales publiées dans la revue sont les suivantes82 :

Figure 5 – Recommandation 2015 de l’AVA concernant les prix des raisins

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109. Sur le site Internet d’information Vitisphère, il est indiqué dans un article du 4 septembre 2015 relatif à cette assemblée générale que : « [d]epuis 2013, l’Association des viticulteurs d’Alsace (Ava) publie une recommandation syndicale de prix indiquant un niveau de paiement propre à assurer une rémunération correcte de l’apporteur. Le syndicat a ainsi enclenché une mécanique qui se met en marche millésime après millésime. “Notre recommandation fonctionne. Elle contribue à faire augmenter le prix des raisins”, se félicite

M. A..., président de l’Ava. Lors de son assemblée générale 2015, le mardi 1er septembre, à Colmar (Haut- Rhin), l’Ava a présenté un résumé des prix de base effectivement mentionnés dans les contrats réceptionnés par l’interprofession (Civa) pour la campagne 2014. Il en ressort que 40 % de la surface des raisins sylvaner ont été payés entre 1,02 et 1,09 €/kg et 60 % entre 1,10 et 1,15 €/kg, pour un prix recommandé par l’Ava de 1,10 €/kg. Plus de la moitié de la surface des raisins gewurztraminers (sic) a été réglée entre 1,95 et 1,99 €/kg, proche de la consigne du syndicat (1,97 €/kg). Le riesling reste un cépage qui inquiète. Plus de la moitié de la surface des raisins a été rémunérée entre 1,18 et 1,34 €/kg, bien loin du minimum syndical fixé en 2014 à 1,44 €/kg. “Le riesling paye son positionnement durant la période 2011-2012 pendant laquelle des opérateurs ont laissé filer son prix”, juge O…, vice-président de l’Ava. […]

En outre, la mention du prix n’est pas encore pratiquée par tous les opérateurs. “Il arrive que la place réservée au prix dans un contrat type soit laissée vide ou remplacée par une tournure grammaticale sujette à interprétation”, signale O…

L’Ava estime qu’un peu plus d’un contrat sur deux ne remplit pas encore cette condition, pourtant obligatoire. Il reste donc du chemin à faire. Pour le millésime 2015, l’Ava a publié une grille de prix en hausse de 2 % sur 2014, soit 1,12 € le kilo de sylvaner, 1,47 € le kilo de riesling et 2,01 € le kilo de gewurztraminer. En Alsace, un peu plus de 55 % d’une récolte (de 1 à 1,2 million d’hl selon les années), fait l’objet d’une vente de raisin (coopératives comprises) »83.

Récolte 2016

110. Lors de l’assemblée générale de l’AVA de mars 2016, les recommandations suivantes ont été présentées. Elles ont été ensuite publiées dans la revue des vins d’Alsace d’avril 201684 :

Figure 6 – Recommandation 2016 de l’AVA concernant les prix des raisins

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111. La revue retranscrit par ailleurs des propos de M. A..., Président de l’AVA, lors de l’assemblée générale de l’AVA de septembre 2016 sur le rôle joué par les acteurs du secteur par rapport aux prix du raisin : «M. A... remercie l’ensemble des acteurs de la filière pour le coup de pouce que chacun a donné au niveau des prix des raisins. Il précise que le travail accompli commence à porter ses fruits. Il souligne que des efforts restent à faire sur les prix des raisins Pinot gris »85.

Récolte 2017

112. Pour la récolte 2017, aucune consigne syndicale n’a été publiée par l’AVA. Les représentants de l’AVA ont déclaré, lors de l’audition du 24 juillet 2018, que « [c]es recommandations étaient diffusées dans la revue des vins d’Alsace jusqu’à votre venue fin 2017 [16 novembre 2017] ou nous avons arrêté. Nous sommes d’ailleurs régulièrement sollicités par nos adhérents ainsi que par le négoce qui sont perdus devant l’absence de visibilité du marché. »86

113. La revue des Vins d’Alsace indique par ailleurs que, lors d’une assemblée générale de 2017, il a été indiqué : « [l]e travail sur les revendications syndicales suit son cours. L’orientation serait de demander une revalorisation de l’ensemble des cépages de l’ordre de plus de 1 à 2 % et de donner un gros coup de pouce au cépage Riesling. »87

Conclusion

114. Il résulte de ce qui précède qu’à partir de 2013, l’AVA a élaboré et publié des grilles de recommandations de prix visant à promouvoir des hausses annuelles de prix minimum différenciés selon les cépages.

c) Les prises de position de l’administration

115. Lors de leur audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont déclaré que « [l]a DGCCRF et la DRAF [DRAAF] étaient présents » à la commission paritaire. Il ressort toutefois des pièces du dossier que la présence de l’administration, en particulier, celle de la DGCCRF, n’était pas systématique.

116. Selon les représentants du CIVA, « […] c’est la DRAF [DRAAF] qui nous [leur] a demandé d’arrêter certaines discussions comme les problématiques de prix constaté »88.

117. En effet, il ressort des comptes rendus de réunion qui figurent au dossier que le CIVA a été informé par l’administration des risques juridiques inhérents aux discussions sur les prix du raisin au sein des organisations professionnelles.

2012

118. En 2012, le Ministère de l’Agriculture a mis en garde l’interprofession sur les dangers associés à la diffusion des prix du raisin négociés au sein de la commission paritaire. En effet, le compte rendu de la réunion du conseil de direction du CIVA du 23 mars 2012 indique : « Mise en garde du Ministère sur nos accords des prix et notamment les délais prévus pour le paiement des raisins […] M. X... [Président du CIVA] fait part de la mise en garde du CNIV [Comité national des interprofessions des vins] de ne surtout pas diffuser de documents pouvant laisser supposer qu’il y a des accords de tarif ! La filière de la Farine vient d’être condamnée à une amende de 200 millions d’Euros pour entente sur les prix ! »89.

2013

119. En 2013, il ressort des comptes rendus des réunions du conseil de direction du CIVA et de la commission paritaire que l’administration s’est préoccupée de l’activité du CIVA, notamment en ce qui concerne le prix du raisin :

- le compte rendu de la réunion du 8 février 2013 du conseil de direction fait référence au fait que le Ministère de l’Agriculture enquête sur la commission paritaire et bloque ainsi l’homologation des avenants : « Par ailleurs il est signalé que l’avenant sur la CVO 2013, approuvé par l’Assemblée Générale de juin, n’est toujours pas homologué car le Ministère de l’Agriculture enquête sur la Commission Paritaire du CIVA : nous avons dû rédiger un argumentaire en collaboration avec la DRAAF (Mme L...) afin de répondre aux interrogations de la DGCCRF. Il [Directeur du CIVA] rappelle à cet égard que certains syndicats dans le sud (pays d’Oc) ont pris des positions sur les prix, mais cela n’a jamais pu donner lieu à des accords interprofessionnels. Il résume la situation en disant que l’interprofession alsacienne se trouve prise en étau entre ceux qui la jugent trop complaisante (notamment les administrations centrales) et ceux qui la considèrent trop légaliste (les professionnels), mais que l’Etat attend réponse à ses questions concernant la Commission Paritaire avant d’homologuer l’avenant sur la CVO »90 (soulignement ajouté) ;

- le compte rendu de la réunion du 29 avril 2013 du conseil de direction précise que « [s]uite à la réunion de la Commission Paritaire, M. Z... [Directeur du CIVA] présente les courriers reçus de l’AVA : un sur le fonctionnement et la procédure de la Commission Paritaire et l’autre sur l’échec concernant la négociation sur les prix de raisins. La Production ne souhaite pas voir réduit le rôle de cette Commission Paritaire par rapport à ses attributions historiques, et souhaite donc la voir continuer de débattre sans exclusive aussi bien des délais de paiement, des mesures qualitatives, des prix… Mais selon lui, le CIVA se trouve pris en étau entre le souhait exprimé par les professionnels et le cadre légal rappelé par les autorités (Ministère de l’Agriculture) : sur le principe de fonctionnement, il rappelle que les autorités sont de plus en plus regardantes en relatant la rencontre entre les services du CIVA et la DRAAF le 4 avril dernier, afin de clarifier les missions admises de la Commission Paritaire : elles doivent pour la DRAAF se limiter à : la publication de constats de prix, voire de coûts de production mais en aucun cas de fixation ni même d’orientations sur les prix ! La DRAAF a prévu de nous livrer un Vade-Mecum sur le cadre d’actions de la Commission Paritaire et sa recommandation sur le changement d’intitulé en “Commission Economique” »91 (soulignement ajouté) ;

- le compte rendu de la réunion de la commission paritaire du 11 mars 2013 précise que « [a]vant d’ouvrir les débats, il [M. Z... – Directeur du CIVA] ajoute encore qu’aujourd’hui les Interprofessions sont sous « la loupe» de la DGCCRF. Pour exemple, l’avenant relatif à la CVO, voté en AG en juin dernier, n’a toujours pas été étendu, la Direction Nationale de la DGCCRF nous demandant des éclaircissements quant au fonctionnement de la Commission paritaire. […] »92 (soulignement ajouté) ;

- le compte rendu de la réunion du conseil de direction du 31 mai 2013 indique que « M. Z... [Directeur du CIVA] rappelle que M. H... du Ministère de l’Agriculture est connu pour ralentir la signature des accords interprofessionnels et se dit donc très étonné d’apprendre que ce dernier donnerait plus de liberté quant aux missions économiques des interprofessions ! En outre il signale que désormais les accords interprofessionnels ont pour obligation de passer par l’Autorité de la Concurrence alors qu’auparavant ceux-ci étaient gérés par le Ministère de l’Agriculture avec l’implication ponctuelle de la DGDDI et de la DGCCRF. Il indique que lorsqu’il y a sanction, les autorités ont le droit de pénaliser de manière rétroactive… Il confirme que si les prix sont concordants en Champagne, rien ne figure dans les documents du CIVC [Comité interprofessionnel du vin de Champagne]. Les seules publications de constatations de prix possibles proviennent des contrats. Nous attendons toujours un VADE MECUM du Ministère pour clarifier les droits, notamment sur la non-participation de la DRAAF aux réunions (ceci pour éviter la proximité entre l’Administration et les interprofessions). […]

M. X... [Président du CIVA] comprend très bien les difficultés rencontrées par M. Z... [Directeur du CIVA], qui se trouve entre l’Administration (Ministère…) et les Professionnels. Il attire l’attention sur l’importance du choix du nom et la pérennité de la Commission Paritaire. On parle aujourd’hui de Commission de constatation des prix, mais il admet que si elle n’est là que pour constater, elle n’a plus besoin de se réunir. Elle doit aussi rester un lieu d’échanges. […]

Selon M. C... [ancien Président de l’AVA], il y a des personnes qui ne souhaitent pas qu’il y ait une discussion sur les prix du raisin, car selon eux, les viticulteurs doivent être livrés à eux-mêmes. Et ceci dans toutes structures. Le Conseil de Direction est bien conscient de la situation par rapport aux constatations de prix au sein de la Commission Paritaire et souhaite que les réflexions sur cette mission soient poursuivies, mais qu’on n’évoque plus cette question dans le Rapport d’Activité du CIVA. »93 (soulignements ajoutés).

120. Lors de la commission paritaire du 25 juillet 2013, la DRAAF, par le biais de M. I..., a fait part de la position de l’administration sur le fonctionnement de la commission paritaire :

« Il [M. I...] revient tout d’abord sur l’historique du CIVA et de ses missions, dont l’une d’elles consiste à faciliter les relations entre producteurs et acheteurs de raisins. Il ajoute que cette mission reste et garde tout son intérêt.

Il liste ensuite les différentes évolutions de la PAC depuis 50 ans avec l’ouverture mondiale des marchés agricoles. Les droits européens et français ont de ce fait évolué au niveau du Droit de la concurrence. Il cite quelques cas au niveau national, de condamnations avec fortes pénalités financières.

Il évoque ensuite les signes de fragilité juridique des travaux de la CP, qui ont amené récemment la DRAAF à revoir sa position. Entre autres :

- le report de la signature du dernier accord triennal de campagne à la demande de la DGCCRF qui a posé des questions insistantes sur le fonctionnement de la CP

- les questions insistantes du pôle C de la DIRECCTE [Direction des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi] sur son fonctionnement

- l’Administration Centrale qui a demandé à la DRAAF ne plus participer à ses travaux.

Il met également en parallèle, 2 avis de l’Autorité de la Concurrence qui doivent servir de doctrine au fonctionnement des interprofessions et à l’élaboration de contrats-types (Vins de Bergerac et Dinde).

Il relève quelques points sensibles au niveau juridique dans l’avis relatif aux vins de Bergerac et qui peuvent interférer dans le fonctionnement de la CP :

- les OI (organisations interprofessionnelles) peuvent définir des règles de commercialisation qui ne doivent pas autoriser la fixation de prix, y compris à titre indicatif ou de recommandation (il souligne notamment la notion de “prix civa” « que l’on a pu lire dans la Presse et qu’il est conseillé fortement d’éviter)

- Les informations fournies par les OI ne doivent pas provenir de valeurs de référence transmises par l’OI à ses membres

- Si les OI sont tout à fait légitimes pour discuter de contrats-type, les clauses de détermination des prix dans ces contrats-types ne peuvent reposer que sur la publication de mercuriales ou d’indices. Dans ce domaine une attention particulière doit être accordée aux questions d’indexation.

En conclusion, la Commission Paritaire en tant que lieu de discussion entre producteurs et acheteurs de raisins n’est pas remise en cause, à condition d’éviter que ses travaux puissent être perçus comme contrevenant aux règles de la concurrence. Elle peut tout à fait poursuivre son travail de constatation des prix de raisins sur la base des contrats collectés par le CIVA.

Elle peut en outre être un lieu d’échange économique pour discuter par exemple des conditions économiques de la production des raisins, de l’élaboration des vins, des conditions de valorisation de ces vins. Elle peut également poursuivre ses travaux sur les contrats types en réfléchissant aux clauses relatives à la détermination des prix, la durée des contrats, les délais de paiement, etc...)

Enfin il informe que les représentants de la DRAAF ne souhaitent plus s’associer et cautionner des discussions de prix. Ils peuvent cependant continuer à participer aux travaux de la CP mais se verront contraints de quitter la salle en cas de négociation de prix. Il ajoute qu’il ne s’agit pas de protéger la DRAAF, mais bien de protéger l’activité du CIVA […] » 94 (soulignements ajoutés).

121. À la suite de la présentation de la position de l’administration, les comptes rendus de réunion consignent les discussions qui se sont tenues entre la DRAAF et les participants sur ce point :

« […] M. F... [Vice-président du CIVA] s’interroge sur le nom de la Commission. Le fait de remplacer “Commission Paritaire” par “Commission Economique” pourrait être une solution.

Selon M. I... [Représentant de la DRAAF] le terme “paritaire” ne soulève pas d’objections.

M. A... [Représentant de la production] tient à préciser que contrairement aux dossiers “farine” et “endives” [de l’Autorité de la concurrence95], il n’y a pas en Alsace d’entente ou de fixation de prix. Il suffit pour cela de consulter les contrats des entreprises pour constater que le prix n’est pas le même d’un contrat à un autre.

M. I... [Représentant de la DRAAF] est d’accord pour dire qu’il n’y a pas de fixation de prix, puisque les opérateurs restent libres, mais il constate cependant que certains opérateurs font encore référence aux “prix CIVA”. En revanche il ne voit pas d’objection à ce que les syndicats de la Production ou du Négoce fassent de leur côté des recommandations de prix, puisqu’il ne s’agit pas d’organisations interprofessionnelles […] ».96

« PRIX DES RAISINS 2013

[…] M. J... [Représentant de la production] regrette qu’en 2012 aucun consensus n’ait été trouvé. Quelle image donnons-nous à nos commerciaux qui sont censés ensuite négocier avec les acheteurs ! Nous avons ici l’occasion de donner une impulsion à notre appellation qui est suffisamment critiquée actuellement.

M. K... [Représentant de la production] interroge l’Administration sur la possibilité pour une famille professionnelle, d’une part de fixer des prix de raisins, et d’autre part, de les annoncer par voie de Presse.

Mme L... [Représentante de la DRAAF] répond que s’agissant d’une “entente” ce n’est pas autorisé »97 (soulignements ajoutés).

122. À l’assemblée générale de l’AVA du 18 septembre 2013, M. M..., Directeur régional de la DRAAF, a clairement précisé « que les services de la DRAAF peuvent participer aux travaux de la commission paritaire, s’il s’agit d’aborder les coûts de production ou des constatations de prix. Ils ne peuvent pas siéger si on aborde la négociation des prix ».98

Postérieurement à 2013

123. La lecture des comptes rendus des réunions de différentes instances des mis en cause postérieures à juillet 2013 démontre une connaissance par l’interprofession des conséquences de l’application des règles de concurrence à la négociation du prix du raisin.

124. Lors de l’assemblée générale de l’AVA du 18 septembre 2013, M. G..., vice-président de l’AVA, a souligné que : « [c]omme l’a évoqué M. A... [Président de l’AVA] en introduction et bien que nous ayons pour la récolte 2013 un accord régional, le soutien de l’administration locale et un avis favorable du Ministre, nous sommes toujours en attente d’une autorisation formelle de la part des services de FRANCEAGRIMER. Cette situation n’est pas nouvelle ; durant les trois dernières campagnes, nous avons été habitues par cette administration, a ce qu’elle nous délivre ces autorisations in extremis et à contrecœur. A défaut de réponse, nous pratiquerons une petite opération syndicale avec de beaux marcs frais qui ne seraient pas pour nous déplaire. Par ailleurs, je vous rappelle que nous nous sommes abstenus durant la « phase d’expérimentation » à engager des recours contentieux contre l’administration. Alors que tout au long des derniers mois, l’on nous bassine avec le traite de Rome et la libre concurrence, pour nous empêcher de proposer des prix d’orientation de raisins ; je vois mal comment l’administration pourrait justifier, par ailleurs, du maintien d’un système monopolistique discriminatoire, jouissant de surcroit, d’une pseudo-protection réglementaire. D’ores et déjà, notre appui juridique est prêt à une telle éventualité et nous engagerons, si nécessaire, une action en justice […] » (soulignement ajouté)99.

125. Lors du conseil de direction du CIVA du 19 décembre 2014 : « M. A... [Président de l’AVA] rappelle qu’en matière de prix, nous ne prenons aucun risque, nous nous contentons d’enregistrer les prix constatés. M. Q... [Vice-Président du CIVA] appelle lui-aussi à la prudence. Il fait part d’un courrier qui a été envoyé par la DGCCRF récemment au Négoce du Val de Loire, et qui va jusqu’à mettre en cause certains débats professionnels même sur des constats de prix ou de prix de revient des matières premières. Selon lui, le principal grief qui est fait au Syndicat, c’est d’entamer des discussions qui sont susceptibles de mettre en cause la libre fixation des prix par les opérateurs individuellement. Il faudra selon lui être très prudent sur la manière de communiquer aussi bien au niveau de nos familles respectives qu’entre familles »100 (soulignement ajouté).

126. Lors du conseil de direction du CIVA du 25 janvier 2016 : «M. 15... [Directeur du CNIV] rappelle que la fixation des prix par l’Interprofession est interdite et qu’aujourd’hui toutes les interprofessions ont clarifié leur situation par rapport à ça. Par contre, l’observation des prix reste tout à fait possible à condition qu’elle repose sur un constat du passé donc de la réalité des transactions. Il rappelle que ceci est vérifié de près notamment par l’Autorité de la Concurrence. Il faut donc rester très prudent. Selon lui, la seule possibilité qui pourrait être envisagée et qui pourrait peut-être être acceptée par la Commission de Bruxelles dans l’évolution du système, c’est la mise en place d’un observatoire des coûts de production notamment dans les différents signes de qualité qui ont effectivement des obligations qui ressortent des cahiers des charges.

Pour M. A... [Président de l’AVA], les coûts de production ne peuvent amener qu’à un prix-plancher, alors que l’ambition doit porter sur les prix d’objectif !

Pour M. 15..., ce serait plus délicat, car si on recommande un prix, on peut être assimilé à une entente. Il souligne au passage qu’il faut faire très attention car les marchés au cadran, qui existaient dans certaines filières, ont été condamnés récemment. Il rappelle qu’en 1985, le BNIC avait été condamné sur une entente de prix, ce qui a conduit à la disparition de toute forme de fixation de prix dans les actions des Interprofessions »101 (soulignements ajoutés).

2. LES PRATIQUES CONSTATEES SUR LE PRIX DU VIN EN VRAC

127. Sur la base des éléments recueillis par les services d’instruction102, le CIVA, diffuse, après les vendanges, pour tous les opérateurs « une fois par an à tout le moins depuis 1980 »103 un document intitulé « PRIX DE BASE DES RAISINS DE LA RECOLTE année x » faisant état d’une part, du prix moyen de base constaté des raisins par cépage, et d’autre part d’« un prix indicatif du vin fait » (vin en vrac) par cépage.

128. À titre d’exemple, la publication des prix indicatifs de décembre 2012104 se présentait ainsi :

Figure 7 – Prix indicatifs du vin en vrac publiés par le CIVA (décembre 2012)

AC FIGURE 7.PNG

129. En réponse à une demande d’informations des services d’instruction, le CIVA a indiqué que le « prix indicatif du vin fait » porté dans les tableaux pour chaque récolte résulte de l’application d’une première formule élaborée en 1980 et utilisée jusqu’en 2016, et d’une nouvelle formule établie et utilisée depuis 2017105.

130. Ces formules ont pour objet de convertir le prix du kg de raisin de l’année en cours, en prix de l’hectolitre du vin fait à partir de ce raisin. Le prix moyen de base constaté par cépage (voir par exemple la 1ère colonne du tableau en Figure 7) correspond à la moyenne des prix que le CIVA constate dans les contrats d’apport de raisin par cépage conclus dans l’année et dont un exemplaire lui revient106 (voir le paragraphe 62 ci-dessus).

a) Formule de 1980

131. S’agissant des postes et de la méthodologie retenus dans la formule de conversion élaborée en 1980, les représentants du CIVA entendus lors de l’audition en date de 2 avril 2019107 ont fourni les éléments suivants :

- la formule de conversion est établie par cépage ;

- le prix du kg de raisin d’un cépage est d’abord majoré des frais financiers (9,6 %), (majoration de 2,4 % par trimestre soit 9,6 % sur le prix du raisin au terme d’une année), freintes108 (majoration de 2 %), bourbes109 et lies110 (majoration de 5 %), ces derniers frais n’étant supportés qu’au stade du pressurage du raisin non fermenté111 ;

- ces taux de majoration permettant de tenir compte des frais financiers et des frais de freintes, boudes et lies, ont été fixés en 1980. Ces postes représentent, selon le CIVA, une majoration du prix du raisin de 13,0 %112. Le taux de majoration du prix d’un kg de raisin retenu est toutefois de 12,5 %113 ;

- le produit entre le prix du kg de raisin d’un cépage donné et le taux total de majoration est ensuite divisé par le taux d’extraction du même cépage, pour établir le prix du litre de vin fait auquel s’additionnent finalement les frais de pressurage et de chaptalisation114.

132. Les représentants du CIVA ont déclaré, lors de l’audition du 2 avril 2019, ne pas pouvoir donner plus d’explications sur les coûts retenus dans la mesure où ils n’étaient pas à l’origine de l’élaboration de la formule115.

133. Enfin, les représentants du CIVA ont également précisé, en réponse à une demande de documents des services d’instruction116, que les taux d’extraction différenciés par cépage ont été déterminés lors d’une réunion de 1977 où étaient présents le directeur du CIVA, trois représentants du négoce et deux représentants de la production. Les cinq représentants ont apporté leurs propres données. Les frais de pressurage et de chaptalisation ont été estimés par cépage de la même manière et à la même époque117.

b) Formule révisée de 2017

134. S’agissant de la formule révisée en 2017, les représentants du CIVA ont déclaré, lors de leur audition du 2 avril 2019 : « À notre connaissance les postes sont les mêmes car c’est la seule formule qui permet de transformer le kg en hl, ce sont les mêmes techniques »118. Les représentants du CIVA ont également déclaré que l’AOC Crémant d’Alsace a été ajoutée en 2017 aux cépages de l’AOC Alsace concernés par la formule119.

135. Le CIVA a indiqué dans les documents produits à la suite de l’audition de ses représentants : « Inchangé depuis plus de 37 ans, le paramétrage de cette formule a donc été revu en 2017. En effet, l’impact du cout (sic) de l’inflation des années 80 n’était plus du tout d’actualité, les taux d’extractions ont été lissés sur 5 ans pour que le modèle de conversion soit basé sur des taux plus structurels et moins conjoncturels. La simplification qui était en 1980 de considérer le cout du pressurage et de la chaptalisation a été abandonnés pour prendre ici en compte l’ensemble des coûts (sic) du moment où le raisin arrive chez l’opérateur jusqu’à la mise en bouteille (étape non incluse). Les pertes (lies, bourbes …) ont été réévaluées à hauteur de 2 % ».120

136. À la suite de leur audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont produit des documents préparatoires fournis par un échantillon d’une vingtaine d’entreprises volontaires pour actualiser en 2017 la formule de 1980121. Il ressort de l’analyse de ces éléments que les formules (de 1980 et de 2017) ne tiennent pas compte des coûts du foncier.

137. Par ailleurs, en 1980, les frais financiers, freintes, bourbes et lies venaient majorer le prix du raisin et cette valeur était ensuite divisée par le taux d’extraction122. Depuis 2017, ces majorations semblent avoir disparu. Enfin, les coûts du pressurage et de la chaptalisation ont été abandonnés pour tenir compte désormais de « l’ensemble des coûts » de production hors foncier123.

c) Conclusion

138. Il résulte de ce qui précède que le CIVA publie, à tout le moins depuis 1980, à l’issue de chaque récolte de raisins destinée à la production de vins d’Alsace, un prix indicatif du vin en vrac qui sera commercialisable à partir du mois de décembre de l’année de récolte. Ces prix indicatifs sont calculés selon une méthodologie datant de 1980, actualisée en 2017.

E. LES GRIEFS NOTIFIES

139. Aux termes de la notification des griefs :

« Grief n°1

Il est fait grief :

- au conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (CIVA),

- à l’organisme de défense et de gestion de l’appellation Alsace de l’association des viticulteurs d’Alsace (ODG AVA) et,

- au groupement national des producteurs de vin d’Alsace (GPNVA), d’avoir, du 2 juillet 2008 au 30 novembre 2017, sur le secteur des vins d’Alsace, mis en œuvre une entente unique, complexe et continue afin de fixer un prix minimum du raisin dans l’objectif de réduire l’incertitude concurrentielle et d’augmenter les prix de vente des vins d’Alsace, portant ainsi atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché.

Cette pratique est prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce et l’article 101, paragraphe 1, du TFUE.

Grief n°2

Il est fait grief au conseil interprofessionnel des vins d’Alsace (CIVA), d’avoir, sur le secteur des vins d’Alsace, mis en œuvre une entente, visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac par cépage pour l’AOC ALSACE depuis 1980 et jusqu’en 2018 et pour l’AOC CREMANT de 2017 à 2018.

Cette pratique a eu pour objet et a pu avoir pour effet, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché du négoce des vins en vrac destinés à la production des vins d’Alsace et est contraire aux articles 101 §1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

La présente notification de griefs ouvre un délai de deux mois aux entreprises et au commissaire du Gouvernement pour consulter le dossier au siège de l’Autorité de la concurrence et présenter des observations conformément aux articles L. 463-3 et R. 463-12 du code de commerce. Elle ne préjuge pas de la décision qu’il appartiendra à l’Autorité de la concurrence de prendre ».

II. Discussion

140. Seront successivement abordées ci-après les questions relatives à la compétence matérielle de l’Autorité (A), à l’applicabilité du droit de la concurrence de l’Union européenne (B), à l’absence d’exclusion des pratiques en cause du champ du droit de la concurrence au titre du règlement OCM (C), à la définition du marché pertinent (D), au bien-fondé des griefs notifiés (E), à l’imputabilité des pratiques (F) aux sanctions (G) ainsi qu’aux injonctions de publication et de communication (H).

A. SUR LA COMPETENCE MATERIELLE DE L’AUTORITE

141. Dans ses observations en réponse à la notification des griefs, l’AVA soutient qu’en sa qualité de syndicat professionnel de vignerons dédié à la seule défense de leurs intérêts collectifs, elle n’est pas soumise au droit de la concurrence. Elle relève que, dans le contexte des pratiques qui lui sont reprochées par les services d’instruction, elle n’a fait qu’exercer sa mission de défense de l’intérêt de ses membres. Elle en conclut qu’au regard de la jurisprudence applicable, elle ne peut être considérée comme une entreprise au sens du droit de la concurrence, si bien que le droit de la concurrence ne lui est pas applicable.

142. Dans le même sens, le CIVA soutient que les pratiques qui lui sont reprochées entrent pleinement dans ses missions interprofessionnelles. En particulier, selon cet organisme, l’élaboration et la diffusion d’indicateurs de prix figurent explicitement à l’article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime, parmi les missions confiées par la loi aux organisations interprofessionnelles.

1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

143. Selon une pratique décisionnelle et une jurisprudence constante des juridictions françaises et européennes, les comportements des organisations professionnelles, dès lors qu’elles interviennent sur un marché, ne sont pas soustraits à l’application des règles de concurrence.

144. Le Conseil de la concurrence a ainsi considéré, dans sa décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne que : « Une organisation syndicale ou un ordre professionnel, lorsqu’il sort de la mission d’information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie et qu’il intervient sur un marché, est, au sens du droit de la concurrence, une entreprise susceptible d’être sanctionnée sur le fondement de l’article L. 420-1 du code de commerce ».

145. Dans le même sens, dans sa décision n° 10-D-11 du 24 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le Syndicat national des ophtalmologistes de France, le Conseil de la concurrence a indiqué que « pour trancher la question de la compétence de l’Autorité à l’égard des actes émanant d'organisations professionnelles, il convient de faire la part entre :

- les comportements qui, parce qu'ils invitent des opérateurs économiques à adopter telle ou telle attitude sur le marché, en particulier sous la forme de mises en garde ou de consignes, constituent une intervention sur un marché ;

- et ceux qui relèvent purement de la défense des intérêts professionnels des membres de l'organisation sans constituer une intervention sur un marché »124.

146. De même, dans la décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, l’Autorité a indiqué qu’« une organisation syndicale lorsqu’elle sort de la mission d’information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie, en adoptant un comportement de nature à influer directement ou indirectement sur la concurrence que se livrent ses membres, enfreint l’article L. 420-1 du code de commerce »125.

147. Il ressort, par ailleurs, d’un arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 juin 2013, qu’une pratique anticoncurrentielle peut résulter de différents actes émanant des organes d’un groupement professionnel, tels qu’un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. Ainsi, « l’élaboration et la diffusion, à l’initiative d’un syndicat professionnel, d’un document destiné à l’ensemble de ses adhérents peuvent en effet constituer une entente, une action concertée contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce si ceux-ci ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence »126.

148. Plus particulièrement, la cour d’appel de Paris a ainsi indiqué dans un arrêt du 17 novembre 2000 qu’un syndicat sort de sa mission lorsqu’il diffuse à ses membres « des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise »127.

149. Par ailleurs, le Conseil de la concurrence a sanctionné le Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises, organisme interprofessionnel regroupant les producteurs et les négociants du secteur, dont le rôle est, par le biais d’un système de quotas de vente par producteur et la constitution de stocks, de réguler les cours, pour avoir « outrepassé son rôle en fixant des prix minima de vente d’huiles essentielles de lavande et de lavandin […]. Ces prix qualifiés de “conseillés” ont été perçus par tous les intervenants comme des prix minima imposés et ont été respectés par tous »128.

150. La pratique et la jurisprudence en droit de l’Union vont dans le même sens. Ainsi, la Commission européenne a, dans l’affaire dite des viandes bovines françaises, sanctionné un accord anticoncurrentiel entre plusieurs organisations professionnelles129. En réponse à l’argument de la FNSEA qui soutenait que le comportement qui lui était reproché relevait du seul exercice de la liberté syndicale, la Commission a indiqué qu’elle « reconnaît l’importance de la liberté syndicale qui, ainsi que l’a souligné la FNSEA, est notamment visée à l’article 12, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne). En particulier, la Commission ne sous-estime nullement la mission d’information, de conseil et de défense des intérêts professionnels qui incombe aux organisations professionnelles. Toutefois, de telles organisations sortent des limites de cette mission lorsqu’elles prêtent leur concours à la conclusion et à la mise en œuvre d’accords méconnaissant des règles d’ordre public, telles que les règles de concurrence. En l’occurrence, la conclusion d’un accord entre organisations agricoles et organisations d’opérateurs en aval qui tend à suspendre les importations et à convenir d’un prix minimal d’achat sort des limites de l’action syndicale légitime »130 (soulignement ajouté).

151. Appelé à se prononcer sur le recours dirigé contre cette décision, le Tribunal a estimé qu’il n’y a avait pas lieu de soustraire l’accord concerné au champ d’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, compte tenu de sa nature et de son objet. Le juge de Luxembourg a ainsi souligné que si les requérantes « en tant que fédérations de syndicats agricoles, peuvent certes légitimement jouer un rôle de défense des intérêts de leurs membres, elles ne sauraient, en l’occurrence, se prévaloir de la liberté syndicale pour justifier des actions concrètes contraires à l’article 81, paragraphe 1, CE »131.

2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

152. Il ressort des principes exposés ci-avant que l’Autorité est compétente pour apprécier le caractère anticoncurrentiel des pratiques mises en œuvre par une organisation professionnelle, dès lors que cette dernière intervient sur un marché.

153. Au titre du grief n° 1, il est reproché à l’AVA, au GPNVA et au CIVA d’avoir participé à une entente unique complexe et continue qui comporte deux branches : d’une part, une concertation sur le prix du raisin au sein de la commission paritaire du CIVA, et d’autre part, une concertation sur le prix du raisin sous l’égide de l’AVA – qui a notamment conduit à la publication de recommandations de prix du raisin dans la revue des Vins d’Alsace.

154. Au titre du grief n° 2, les services d’instruction ont retenu que le CIVA avait « mis en œuvre une entente, visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents des consignes tarifaires sur un prix minimum du vin en vrac ».

155. S’agissant des pratiques mises en œuvre par l’AVA, qui ont reposé, d’une part, sur une négociation commune du prix du raisin avec d’autres organismes professionnels et, d’autre part, sur la publication de recommandations de prix dans la presse, elles excèdent la légitime défense des intérêts syndicaux et constituent des interventions sur le marché.

156. Le CIVA est également intervenu sur le marché, tant pour les pratiques visées au grief n° 1 que pour celles visées au grief n° 2.

157. Il résulte de ce qui précède que les règles de concurrence sont applicables à la présente espèce et que l’Autorité est compétente pour apprécier la légalité des pratiques qui ont fait l’objet des griefs notifiés.

B. SUR L’APPLICABILITE DU DROIT DE LA CONCURRENCE DE L’UNION EUROPEENNE

1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

158. Selon la jurisprudence de l’Union synthétisée dans la Communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 du TFUE, trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : l’existence d’échanges, à tout le moins potentiels, entre les États membres portant sur les produits ou les services en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette affectation.

159. S’agissant du deuxième élément, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 31 janvier 2012, France Télécom, que les termes « susceptible d’affecter» énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire »132.

160. À cet égard, la Cour de Justice a précisé dans un arrêt BNIC, visé dans la communication citée supra, qu’« [i]l échet à cet égard d'observer que tout accord ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence par la fixation des prix minimaux d'achat d'un produit semi-fini est susceptible d'affecter le commerce intracommunautaire, même si ce produit semi-fini ne fait pas lui-même l'objet d'un commerce entre les États membres, lorsqu'un tel produit constitue la matière première d'un autre produit commercialisé ailleurs dans la Communauté. Le fait que le produit fini bénéficie d'une appellation d'origine est sans pertinence »133.

161. Enfin, s’agissant du troisième élément relatif au caractère sensible de l’affectation, la Cour de cassation a également jugé, dans l’arrêt France Télécom précité, que sa démonstration, dans les cas où les pratiques anticoncurrentielles sont commises sur une partie seulement d’un État membre, « résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause » sont amenés à être pris en compte , « le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n’étant qu’un élément parmi d’autres ».

2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

162. S’agissant du premier élément, même si le raisin, du fait de l’obligation de mise en bouteille dans la région Haut et Bas-Rhin, n’est pas vendu en dehors de cette région, il constitue la matière première du vin d’Alsace, dont 27% de la production est exporté chaque année, notamment à destination d’autres pays de l’Union (voir le paragraphe 7 ci-dessus).

163. S’agissant du deuxième élément, les pratiques en cause, qui ont consisté en la détermination en commun du prix du raisin, au stade de la production et du commerce de gros ainsi que du prix du vin en vrac ont des conséquences directes sur les prix de vente des vins eux-mêmes dont une partie est vendue dans l’Union européenne.

164. S’agissant du troisième élément, les pratiques en cause en l’espèce concernent l’ensemble des acteurs du vignoble alsacien. Les différents opérateurs économiques en cause sont des récoltants, des producteurs et des négociants. Selon les chiffres du CIVA, le vignoble alsacien, avec ses 143,3 millions de bouteilles commercialisées, réalise environ 530 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel (dont 140 millions d’euros à l’export) (voir le paragraphe 7 ci-dessus).

165. Il résulte de ce qui précède que les pratiques en cause sont susceptibles d’affecter de façon sensible le commerce entre États membres. Elles seront par conséquent analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l’Union.

C. SUR L’ABSENCE D’EXCLUSION DES PRATIQUES EN CAUSE DU CHAMP DU DROIT DE LA CONCURRENCE AU TITRE DU REGLEMENT OCM

1. RAPPEL DES PRINCIPES APPLICABLES

166. L’article 206 du règlement OCM pose le principe de l’application des règles de concurrence aux activités de production et de commercialisation des produits agricoles, sauf dispositions contraires dudit règlement.

167. Il précise : « Sauf si le présent règlement en dispose autrement et conformément à l’article 42 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les articles 101 à 106 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et leurs modalités d’exécution s’appliquent, sous réserve des dispositions des articles 207 à 210 du présent règlement, à l’ensemble des accords, décisions et pratiques visés à l'article 101, paragraphe 1, et à l'article 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se rapportant à la production ou au commerce des produits agricoles » (soulignements ajoutés).

168. Le règlement OCM envisage ainsi deux séries de dérogations au principe de l’application du droit de la concurrence au secteur agricole :

- une dérogation générale : « sous réserve des articles 207 à 210 du présent règlement » ; et

- une dérogation spéciale : « sauf si le présent règlement en dispose autrement ».

a) Dérogation générale

169. En premier lieu, l’article 209, paragraphe 1, alinéa 1er, du règlement OCM prévoit un mécanisme de dérogation générale à l’application de l’article 101, paragraphe 1, pour les « accords, décisions et pratiques visés à l'article 206 du présent règlement qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l'article 39 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne » et qui ne comportent pas « une obligation de pratiquer un prix déterminé » ou « en vertu desquels la concurrence est exclue » (soulignements ajoutés). Devant une autorité de concurrence, c’est à la partie qui demande le bénéfice de cette dérogation d’apporter la preuve que ces conditions sont remplies134.

170. En second lieu, le règlement OCM prévoit des règles dérogatoires distinctes concernant les pratiques mises en œuvre par certaines catégories d’opérateurs :

- les agriculteurs, associations d’agriculteurs, associations de ces associations, organisations de producteurs (ci-après « OP ») et les associations d’organisations de producteurs (ci-après « AOP ») ; et

- les organisations interprofessionnelles (OI).

171. En ce qui concerne la première catégorie d’opérateurs, l’article 209, paragraphe 1, alinéa 2 du règlement OCM prévoit l’inapplicabilité de l’article 101 du TFUE aux pratiques qu’ils mettent en œuvre dans le cas où les objectifs de l’article 39 du TFUE sont menacés, sauf si les pratiques en cause comportent une obligation de pratiquer un prix déterminé ou excluent la concurrence sur le marché. Aucune décision préalable de la Commission n’est requise pour constater cette inapplication. Toutefois, s’ils le souhaitent, les auteurs des pratiques concernées peuvent solliciter l’avis de la Commission sur la compatibilité de leurs pratiques avec les objectifs de l’article 39 du TFUE. C’est à la partie qui sollicite le bénéfice de cette dérogation que pèse la charge d’apporter la preuve que ces conditions sont remplies135.

172. En ce qui concerne les OI, l’article 210, paragraphe 1, du règlement prévoit l’inapplication de l’article 101 du TFUE aux « accords, décisions et pratiques concertées des organisations interprofessionnelles reconnues au titre de l’article 157 du présent règlement, ayant pour objet l’exercice des activités mentionnées à l’article 157, paragraphe 1, point c » (soulignement ajouté).

173. Aux termes de l’article 157, paragraphe 1, dudit règlement : « 1. Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les organisations interprofessionnelles dans un secteur précis visé à l’article 1er, paragraphe 2 qui : […] c) poursuivent un but précis prenant en compte les intérêts de [ses] membres et ceux des consommateurs », qui peut inclure une série d’objectifs listés par l’article.

174. Cette exception à l’application de principe de l’article 101 du TFUE n’est pas automatique : elle ne s’applique que si les pratiques en cause « ont été notifiées à la Commission » et que, dans un délai de deux mois suivant la communication des « éléments d’appréciation nécessaires », ces dernières n’ont pas été déclarées « incompatibles avec la réglementation de l’Union » (article 210 paragraphe 2) par la Commission.

b) Dérogation spéciale

175. Le règlement OCM prévoit également une dérogation spéciale qui ne vaut que pour les missions dévolues aux OP et AOP « reconnues », décrites à l’article 152 paragraphe 1 bis du règlement :

« Par dérogation à l'article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, une organisation de producteurs reconnue en vertu du paragraphe 1 du présent article peut planifier la production, optimiser les coûts de production, mettre sur le marché et négocier des contrats concernant l'offre de produits agricoles, au nom de ses membres, pour tout ou partie de leur production totale […] ».

176. Aucune dérogation comparable n’est prévue par le règlement pour les activités des OI.

2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

177. Au cas d’espèce, les pratiques visées par les griefs notifiés ne sauraient être exclues du champ d’application du droit de la concurrence.

178. En effet, en premier lieu, le CIVA, le GPNVA et l’AVA ne constituent pas des OP ou AOP au sens du règlement OCM. Aucun de ces organismes ne peut donc bénéficier d’une dérogation spéciale sur le fondement de l’article 152 paragraphe 1 bis du règlement OCM.

179. En second lieu, ces organismes ne sauraient non plus bénéficier de la dérogation générale au titre de l’article 209 du règlement OCM, dans la mesure où elles n’ont pas prouvé que ses conditions d’application étaient remplies, conformément au paragraphe 2 alinéa 4 de cet article ; elles ne constituent pas des OP ou AOP au sens de l’alinéa 2 du paragraphe 1 du même article, de sorte qu’elles ne peuvent bénéficier des règles dérogatoires rappelées supra au paragraphe 171 de la présente décision ; enfin, s’agissant du CIVA, les conditions posées par l’article 210 paragraphe 2 du règlement OCM rappelées au paragraphe 174 ci-dessus pour que les pratiques des OI échappent à l’application de l’article 101 du TFUE, ne sont pas remplies. En effet, les pratiques de l’espèce n’ont pas été notifiées à la Commission européenne.

180. En troisième lieu, comme l’a relevé le CIVA lors de la séance de l’Autorité, une organisation interprofessionnelle ne peut, sur le fondement de l’article 210 du règlement OCM, notifier les pratiques qu’elle envisage de mettre en œuvre afin de solliciter l’inapplication du droit de la concurrence dès lors que celles-ci ont d’ores et déjà été mises en œuvre avant l’entrée en vigueur du règlement, le 1er janvier 2014.

181. Nonobstant l’argument susvisé, le CIVA était néanmoins en mesure, avant la mise en œuvre des pratiques litigieuses, de solliciter de la Commission européenne une décision constatant l’inapplication du droit de la concurrence aux pratiques, sur le fondement des règlements européens relatifs au secteur agricole qui étaient en vigueur avant 2014136.

182. Le CIVA pouvait également notifier les pratiques en cause à la Commission européenne, avant leur mise en œuvre – dans la mesure où celles-ci ont été mises en place avant l’entrée en vigueur du règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité [devenus articles 101 et 102 TFUE] – sur le fondement des articles 85, paragraphe 3 CE (devenu 101, paragraphe 3 TFUE) et 4 du règlement (CEE) n° 17/62 du 6 février 1962 d’application des articles 85 et 86 du TCE pour en solliciter l’exemption.

183. Enfin, et en toute hypothèse, nonobstant l’absence de notification préalable à la Commission européenne, les autorités de concurrence sont en mesure de constater l’inapplication de l’article 101, paragraphe 1 TFUE au cas d’espèce lorsque la preuve du respect des conditions posées par l’article 209, paragraphe 1, alinéa 1er du règlement OCMest apportée par la partie qui l’invoque, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (voir le paragraphe 179 ci-dessus).

D. SUR LE MARCHE PERTINENT

184. Dans le secteur vitivinicole, la pratique décisionnelle nationale distingue plusieurs marchés, en amont et en aval. Elle a ainsi identifié :

- du point de vue des fournisseurs/producteurs, le marché de l’agrofourniture pour le vignoble, le marché de l’approvisionnement en raisin ou en vins et le marché de la commercialisation de vins tranquilles et effervescents ; et

- du point de vue des acheteurs/distributeurs, le marché de l’approvisionnement en vins tranquilles et effervescents et le marché de la vente au détail.137

185. Au sein du marché des vins tranquilles, plusieurs segmentations ont été envisagées selon la couleur rouge, blanc ou rosé, selon la catégorie, appellation d’origine protégée (« AOP »), indication géographique protégée (« IGP »), sans indication géographique (« SIG »), et selon le positionnement commercial (marque de fabricant, marque de distributeur, marque de premier prix et marque de hard discount). Une segmentation plus fine selon le type d’appellation a également été envisagée. L’Autorité a ainsi estimé qu’une segmentation des vins AOP en fonction de leur origine géographique semblait pertinente et a émis la possibilité de distinguer, soit entre différentes régions regroupant plusieurs AOP perçues comme interchangeables, soit entre chaque appellation.138

186. Il ressort de ce qui précède que l’analyse concurrentielle peut, en l’espèce, être menée sur le marché de la production et du négoce des vins d’Alsace, mettant en relation les producteurs, d’une part, et les négociants, de l’autre.

187. La pratique décisionnelle nationale et européenne précitée considère, avec constance, que les différents marchés des spiritueux et vins ont une dimension géographique nationale en raison de l’existence d’habitudes de consommation qui diffèrent selon les États. Cette délimitation n’est pas contestée par les organismes mis en cause.

188. En tout état de cause, il est constant que lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c’est le cas en l’espèce, il n’est pas nécessaire de définir le marché avec précision, dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en oeuvre.139

E. SUR LE BIEN-FONDE DES GRIEFS NOTIFIES

1. SUR LES PRATIQUES RELATIVES AU PRIX DU RAISIN

a) Sur l’existence d’une infraction unique, complexe et continue

Rappel des principes applicables

L’accord de volontés

189. En vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction.

190. De même, l’article L. 420-1 du code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

191. L’existence d’un accord est établie dès lors que les entreprises ont exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée140.

192. L’existence d’une pratique concertée peut être démontrée par des éléments convergents prouvant que des contacts ont eu lieu entre un certain nombre d’entreprises et qu’elles poursuivaient le but commun d’éliminer ou de réduire l’incertitude relative à leur comportement futur sur le marché141.

193. Dans ce cadre, la circonstance que les parties à l’accord de volontés soient des associations d’entreprises et non des entreprises ne fait pas obstacle à l’identification d’un accord de volontés pour la démonstration d’une entente au sens des articles précités142. À cet égard, compte tenu de la finalité de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE, la notion d’association d’entreprises doit être interprétée comme pouvant également appréhender des associations elles-mêmes constituées d’associations d’entreprises143.

194. La jurisprudence comme la pratique décisionnelle, estime par ailleurs, de manière constante, que la participation, même passive, d’une entreprise à une réunion dont l’objet est anticoncurrentiel suffit à prouver son adhésion à l’accord de volontés et sa participation à l’entente, sauf si cette entreprise démontre qu’elle n’a pas souscrit aux pratiques anticoncurrentielles décidées lors de ladite réunion, en s’en distanciant publiquement144. À cet égard, il est constant, d’une part, qu’il incombe à l’entreprise de prouver sa désapprobation ferme et claire de l’entente en s’en distanciant publiquement et, d’autre part, dès lors qu’il s’agit d’un élément d’exonération de la responsabilité, cette notion doit être interprétée de manière restrictive145.

Restriction par objet

195. Les ententes, pratiques concertées et décisions d’association d’entreprises sont prohibées par les articles 101, paragraphe 1 TFUE, et L. 420-1 du code de commerce lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché́.

196. Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que l’objet et l’effet anticoncurrentiels d’une pratique sont des conditions alternatives pour la mise en œuvre de l’interdiction prévue par celles-ci.

197. Dans ce cadre, la Cour de justice a précisé qu’il convenait d’examiner, en premier lieu, l’objet même de l’accord, et qu’il ne convenait, en second lieu, d’en examiner les effets que si l’analyse de l’objet de l’accord ne révélait pas un degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence pour caractériser une entente prohibée146.

198. À cet égard, la Cour de justice a souligné que « [...] certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence [...] »147. Il en va notamment ainsi des pratiques portant sur des éléments du prix dès lors qu’elles visent à fausser l’évolution des prix sur le marché, qui ne résulte plus du seul jeu de la concurrence148.

199. De manière générale, l’appréciation de l’existence d’un degré suffisant de nocivité nécessite d’examiner concrètement et cumulativement la teneur et les objectifs de la disposition restrictive de concurrence, ainsi que le contexte économique et juridique dans lequel elle s’insère149.

200. S’agissant de pratiques consistant en l’élaboration et la diffusion de barèmes de prix par un groupement professionnel, l’Autorité́, comme le Conseil avant elle, considère qu’elles ont un objet anticoncurrentiel, nonobstant le caractère non impératif des consignes tarifaires données, dès lors qu’elles détournent les opérateurs d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence150. Ces principes ont notamment été repris par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 17 octobre 2000, Syndicat national des ambulanciers de montagne n° 2000/05907 et dans un arrêt du 29 janvier 2008, Union française des orthoprothésistes n° 2007/04524.

Infraction unique, complexe et continue

201. Aux termes de la pratique décisionnelle et de la jurisprudence tant internes que de l’Union européenne, un comportement qui se manifeste par plusieurs agissements poursuivant un objectif économique unique peut être qualifié d’infraction unique, complexe et continue pour la période pendant laquelle il est mis en œuvre.

202. Selon une pratique décisionnelle et une jurisprudence constante, les accords et les pratiques concertées visés aux articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l’infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d’exécution choisies ou envisagées.

203. Il s’ensuit qu’une violation des règles relatives aux ententes peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu. Cette interprétation ne saurait être contestée au motif qu’un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation des règles de concurrence. Lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, l’Autorité de concurrence est en droit d’imputer à chaque mis en cause la responsabilité de ces actions en fonction de sa participation à l’infraction considérée dans son ensemble 151.

204. La question de savoir si un ensemble d’accords ou de pratiques constitue une infraction unique et continue est une question qui dépend uniquement de facteurs objectifs, parmi lesquels l’existence d’un plan d’ensemble commun poursuivi par lesdits accords ou pratiques. Ce point doit être apprécié au regard du seul contenu de ces accords ou pratiques et ne doit pas être confondu avec l’intention subjective des différentes entreprises de participer à une entente unique et continue. Cette intention subjective ne peut être prise en compte que dans le cadre de l’appréciation de la participation individuelle d’une entreprise à une telle infraction unique et continue152.

205. Pour déterminer si un ensemble d’accords ou de pratiques concertées constitue une infraction unique et continue, l’Autorité de concurrence n’est pas tenue d’examiner une condition supplémentaire de complémentarité entre les agissements en cause. En revanche, la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » au sens défini ci-avant153.

Application au cas d’espèce

Sur l’accord de volontés

206. Au titre du grief n° 1, il est reproché à l’AVA, au GPNVA et au CIVA d’avoir participé à une entente unique complexe et continue qui comporte deux branches qui ont été mises en œuvre successivement. La première a consisté en une concertation sur le prix du raisin au sein de la commission paritaire du CIVA. La seconde a consisté en une concertation sur le prix du raisin sous l’égide de l’AVA, dont la résultante est la publication de recommandations de prix du raisin dans la revue des Vins d’Alsace.

207. À titre liminaire, l’Autorité relève que l’AVA, le GPNVA et le CIVA constituent des associations d’entreprises au sens de l’article 101 du TFUE.

208. Selon une jurisprudence constante, la notion d’entreprise comprend, dans le contexte du droit de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement154. Constitue une activité économique toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné155.

209. Au cas d’espèce, l’AVA fédère des organisations syndicales locales de viticulteurs (voir le paragraphe 30 ci-dessus). L’activité des viticulteurs présente un caractère économique, de sorte que, conformément à la jurisprudence, ceux-ci constituent des entreprises et l’AVA constitue dès lors une association d’entreprises.

210. Comme relevé au paragraphe 34 ci-dessus, le GPNVA réunit des entreprises spécialisées dans la vente de vins d’Alsace. Elle constitue dès lors une association d’entreprises.

211. Enfin, comme indiqué au paragraphe 43, le CIVA est composé de manière paritaire de 24 représentants désignés par les organisations les plus représentatives des secteurs de la production et du négoce en vin du vignoble d’Alsace. Or, ces organisations, pour au moins deux d’entre elles, à savoir l’AVA et le GPNVA, constituent elles-mêmes respectivement une association d’entreprises. Dès lors, conformément à la jurisprudence, le CIVA constitue également une association d’entreprises.

212. Au cas d’espèce, il ressort des paragraphes 64 et suivants ci-dessus, que les discussions entretenues au cours des réunions au sein de différentes instances et les recommandations tarifaires adoptées sur cette base sont l’expression d’un accord de volontés du CIVA, de l’AVA et du GPNVA.

Sur la restriction par objet

* Teneur et objectifs des pratiques

213. Les organismes en cause soutiennent que les pratiques notifiées ne sauraient être qualifiées d’infractions anticoncurrentielles par objet dans la mesure où, d’une part, les recommandations formulées par le CIVA, le GPNVA et l’AVA ne présentaient aucun caractère contraignant pour les producteurs et, d’autre part, ne concernaient pas le prix de revente du vin aux consommateurs, mais uniquement le prix du raisin, qui est un produit intermédiaire.

214. À titre liminaire, il convient de rappeler que la diffusion de recommandations en matière de prix, même lorsqu’elles ne revêtent pas un caractère impératif, sont prohibées par le droit de la concurrence dans la mesure où elles peuvent avoir pour effet d’inciter les concurrents à ne pas déterminer leurs prix de façon autonome et à aligner leurs comportements (voir le paragraphe 200 ci-dessus). Par ailleurs, la pratique décisionnelle ne distingue pas les recommandations de prix selon qu’elles concernent le prix de vente aux consommateurs ou aux intermédiaires. En tout état de cause, au cas d’espèce, il a été constaté que le renchérissement du produit intermédiaire n’avait d’autre objectif que d’augmenter le prix de revente du produit final aux consommateurs (voir les paragraphes 64 et suivants ci-dessus).

215. Au cas d’espèce, les pratiques en cause ont consisté en une concertation sur le prix du raisin au sein de la commission paritaire du CIVA, d’une part, et une concertation sur le prix du raisin sous l’égide de l’AVA dont la résultante est la publication de recommandations de prix du raisin au sein de la revue des Vins d’Alsace, d’autre part.

216. Comme relevé aux paragraphes 64 à 70 ci-dessus, les opérateurs réunis au sein du CIVA et de l’AVA ont exprimé, sans ambiguïté, leur volonté d’augmenter le prix d’achat du raisin afin de renchérir in fine le prix des vins d’Alsace.

- La concertation sur le prix du raisin jusqu’à la fin de l’année 2012

217. Il ressort des pièces du dossier que le CIVA, en s’appuyant sur des données récoltées dans le cadre de sa mission interprofessionnelle, a organisé, au sein de la commission paritaire qu’il préside, des échanges entre les représentants de la production (l’AVA) et les représentants du négoce (le GPNVA) visant à fixer le prix du raisin, notamment en indexant celui-ci sur les cours du vin en vrac (mercuriales élaborées par le CIVA).

218. Les décisions adoptées, sur la base de ces échanges, par la commission paritaire établissent ainsi une référence de prix pour le prix du raisin devant servir de base aux négociations conduites, au cas par cas, par chaque opérateur. Elles constituent des recommandations à l’attention des professionnels du secteur.

219. Afin d’assurer une meilleure maîtrise des volumes sur le marché, les membres de l’interprofession ont proposé d’imposer l’utilisation d’un contrat type « apporteur de raisin » prévu dans les accords interprofessionnels156. En 2008, la commission paritaire a acté la volonté de mettre en place un contrat rendu « obligatoire » dans l’accord interprofessionnel triennal. Afin d’assurer la transparence sur le marché, ce contrat devait, en pratique, être communiqué au CIVA après sa conclusion et devait comporter la mention du prix, la détermination duquel se trouvait mécaniquement influencée par le « prix CIVA » décidé par les organisations professionnelles.

220. En effet, comme le souligne un membre de la commission paritaire, ce système est, de par sa nature même, susceptible d’uniformiser les prix : « L’accent a été mis ensuite sur la contradiction de ce système, qui demande aux entreprises d'indiquer des prix pour permettre au CIVA de constater officiellement des prix, qui sont au préalable déjà orientés par la Commission Paritaire. La plupart des entreprises indiquent donc forcément les mêmes prix sur les contrats ».157

221. Ainsi, jusqu’à la fin de l’année 2012, le CIVA a incité ses membres à signer des contrats d’apports de raisin avec indication d’un prix orienté mécaniquement par le CIVA et sans corrélation directe avec les coûts réellement constatés dans les exploitations agricoles productrices de raisin.

- La concertation sur le prix du raisin à partir de la fin de l’année 2012

222. Il ressort des pièces du dossier qu’à partir de la fin de l’année 2012 et à la suite de l’échec des négociations pour la campagne de 2012 (voir paragraphes 75 à 77 ci-dessus), l’AVA a souhaité prendre l’initiative des discussions sur le prix du raisin.

223. Ces discussions ont abouti à la fixation d’un prix du raisin par cépage fondé non plus sur l’indexation sur les cours du vin en vrac, mais sur le coût de la vie. M. O..., représentant des viticulteurs coopérateurs, déclarait ainsi, lors du Conseil d’administration de l’AVA du 27 novembre 2014, que « pour la revalorisation annuelle, le groupe a étudié́ différents indices pour apprécier l’évolution des prix dans le temps. Après réflexion, il a été décidé de se caler sur l’évolution annuelle du SMIC » (soulignement ajouté)158.

224. Les propositions de hausse du prix du raisin élaborée par l’AVA étaient régulièrement présentées au négoce et à l’interprofession lors de la tenue de réunions au sein de diverses instances des organismes. Sur la base de ces discussions, l’AVA a publié les prix négociés sous forme de recommandations syndicales dans la revue des Vins d’Alsace pour les récoltes 2013 à 2016 (voir paragraphes 99 à 114 ci-dessus). Tout comme au cours de la période antérieure (voir paragraphes 73 à 77), ces prix uniques par cépage étaient sans corrélation directe avec les coûts réellement constatés dans les exploitations agricoles productrices de raisin.

225. Il ressort également du dossier que l’AVA a organisé le suivi du respect des recommandations syndicales sur les prix d’achat du raisin. Par exemple, le conseil d’administration de l’AVA du 23 octobre 2014 faisant état de travaux de recensement d’application des consignes syndicales a relaté : « […] Il est à noter qu’un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d’achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale. […] il faut maintenant que l'effort d’augmentation des prix se reflète sur les prix des vins en vrac et sur les prix des vins en bouteilles […]. »159.

* Le contexte économique et juridique des pratiques

- Sur la situation de fragilité du secteur

226. Le CIVA, l’AVA et le GPNVA soutiennent que les pratiques décrites aux paragraphes 63 et suivants ci-dessus ont été mises en œuvre dans un contexte économique singulier propre au secteur viticole que les services d’instruction auraient ignoré au stade de la notification des griefs. Elles soulignent ainsi la situation de fragilité du secteur, compte tenu notamment du caractère atomisé de l’offre – à l’origine d’un grave déséquilibre en faveur des acheteurs – de la soumission de l’activité à des conditions climatiques imprévisibles, du caractère volatil des prix et des aléas de nature politique ou diplomatique. Ces difficultés se seraient, par ailleurs, aggravées ces dernières années en raison de la suppression progressive des mécanismes d’intervention directe de la puissance publique sur les marchés, du développement d’une forte concurrence internationale, des attentes croissantes des consommateurs en matière de qualité des produits et de respect de l’environnement ou encore de la conclusion d’accords de coopération à l’achat entre les grands acteurs de la grande distribution.

227. Toutefois, à considérer même que l’existence d’une fragilité sectorielle des vins d'Alsace soit avérée – ce qui n’est pas démontré en l’espèce s’agissant de la période en litige – il convient de rappeler que selon une jurisprudence constante « il ne ressort, [...] ni des termes de l'article 85, paragraphe 1, du traité [devenu article 101 TFUE], ni de la jurisprudence et encore moins du préambule du traité CE, [...], que l'existence d'une crise sur le marché serait de nature à enlever à des ententes sur les prix leur caractère anticoncurrentiel »160. Conformément à ce principe, les recommandations tarifaires adoptées dans le cadre de filières en crise, dont la situation objective va bien au-delà d’une fragilité sectorielle, tombent sous le coup du droit des ententes et sont régulièrement sanctionnées, notamment dans le secteur agricole161. Au cas d’espèce, au surplus, il ne ressort pas du dossier d’instruction que les pratiques mises en œuvre par les parties inhérentes à la singularité du contexte économique dans lequel opéraient les organismes en cause.

- Sur l’avis Vin de Cahors

228. Les mis en cause soutiennent par ailleurs que conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité postérieure à l’avis du 20 novembre 1980 rendu par la Commission de la concurrence (devenue Conseil de la concurrence puis Autorité de la concurrence) sur le Vin de Cahors162 (ci-après « avis Vin de Cahors »), les pratiques en cause doivent échapper à la qualification d’infraction au droit de la concurrence. Elles soulignent notamment que cet avis a été cité dans une décision et dans plusieurs avis de l’Autorité.163

229. Dans son avis concernant le secteur des vins de Cahors, la Commission de la concurrence s’était fondée sur les articles 50 et 51 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 relative au prix pour analyser les pratiques en cause.

230. En effet, dans cet avis, elle avait tout d’abord énoncé que ces pratiques étaient contraires à l’article 50 de l’ordonnance qui interdisait les ententes, puis, ensuite, analysé, ensuite, si le syndicat interprofessionnel des vins de Cahors pouvait bénéficier des dispositions de l’article 51, 2° qui prévoyait que « ne sont pas visées par les dispositions de l’article précédent les actions concertées, conventions ou ententes ainsi que les activités d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises occupant une position dominante : […] 2° Dans la mesure où leurs auteurs peuvent en justifier lorsqu’elles ont pour effet d’assurer le développement du progrès économique, notamment par l’accroissement de la productivité ».

231. À cet égard, l’Autorité relève que l’ordonnance n° 45-1483 n’est plus applicable depuis le 1er janvier 1987, date de son abrogation. Ce texte n’était donc plus en vigueur au cours de la période durant laquelle les pratiques en cause ont été mises en œuvre et ne permet pas, en tout état de cause, d’échapper à la prohibition des ententes prévue par l’article 101, paragraphe 1 du TFUE. Si l’Autorité de la concurrence a pu faire référence à cet avis dans une décision et plusieurs avis, c’était aux fins de renseigner sur le champ de sa compétence en matière agricole et non comme un élément d’appréciation de la légalité des questions générales de concurrence ou des pratiques en cause.

232. En conséquence, les organismes mis en cause ne sauraient utilement se référer à l’avis Vin de Cahors au titre du contexte économique et juridique dans l’analyse de l’objet des pratiques.

Sur la contribution des pratiques au progrès économique

* Sur l’avis Vin de Cahors

233. Dans leurs observations, les mis en cause considèrent qu’il découle également de l’avis Vin de Cahors précité que des pratiques de fixation de prix portant sur le vin en vrac peuvent échapper à la prohibition des ententes lorsqu’elles permettent de garantir le revenu des viticulteurs et d’améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs. Or, au cas d’espèce, dans la mesure où les pratiques reprochées au titre du premier grief répondraient, dans un contexte sectoriel particulier (voir paragraphe 226), à la nécessité de maintenir la viabilité économique de l’activité des vignerons ainsi que la qualité des vins offerts aux consommateurs, elles ne pourraient, partant, être qualifiées d’infractions au droit de la concurrence.

234. Comme il a été mentionné au paragraphe 231, l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 n’étant plus applicable, l’avis Vin de Cahors ne peut avoir aujourd’hui qu’une portée illustrative.

235. Au demeurant, il peut être relevé que dans cette espèce, le mis en cause, le Syndicat interprofessionnel du vin de Cahors (ci-après « S.I.V.C. »), avait mis en oeuvre deux pratiques qui ont été analysées par la Commission de la concurrence : d’une part, la fixation de prix planchers pour la vente en vrac et, d’autre part, une obligation d’embouteillage dans la zone de production.

236. La Commission de la concurrence avait admis alors que : « Considérant que le S.I.V.C. n’a pas eu pour seul objet de restreindre la concurrence, mais aussi de contribuer à mieux garantir la qualité et l’authenticité d’un vin de qualité ; que tel était l’objectif de l’accord tendant à fixer des prix planchers pour le vin vendu en vrac, départ propriété, ; que c’est dans le but de promouvoir une politique de qualité, d’une part, et de garantir les revenus des viticulteurs, d’autre part, que l’administration avait avalisé sur ce point les accords qui lui étaient soumis ;

Considérant toutefois qu’il appartenait au S.I.V.C. de justifier que la poursuite de cet objectif, qui correspond à un progrès économique, impliquait la mise en œuvre de l’ensemble des pratiques anticoncurrentielles examinées ci-dessus ; qu’à cet égard une distinction doit être faite entre, d’une part les accords qui ont pour objet la fixation de prix planchers à la production, dont la mise en œuvre a effectivement concouru à la réalisation de progrès économiques et, d’autre part, les accords relatifs à l’embouteillage obligatoire dans l’aire de production, à l’exclusion des négociants extérieurs à cette zone, et, enfin, au prix minimum du vin en bouteilles ; que ces derniers accords ne peuvent bénéficier de l’application des dispositions de l’article 51, 2°, faute que leurs auteurs aient justifié qu’ils avaient pour effet d’assurer le développement du progrès économique » (soulignements ajoutés).

237. On relèvera donc que, dans l’analyse menée par la Commission de la concurrence, celle-ci avait pris en compte l’existence d’une contribution au progrès économique, prenant la forme d’un maintien de la qualité du vin et qui venait contrebalancer l’atteinte à la concurrence.

238. Au cas d'espèce, si les mis en cause considèrent que les pratiques contribuent également au progrès économique, leur démonstration doit être menée non par référence à l’avis Vin de Cahors, qui relève d’un cadre législatif qui n’est plus en vigueur depuis 1987 (voir paragraphe 231 ci-dessus), mais au titre des articles 101 paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.

* Sur l’exemption individuelle

239. Bien que les mis en cause ne formulent aucune demande expresse en ce sens, l’Autorité souligne qu’en l’espèce, les pratiques en cause ne sauraient, sur le fondement des éléments dont elle dispose, justifier, en tout état de cause, l’octroi d’une exemption individuelle au sens des articles 101, paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.

240. Pour rappel, des pratiques telles que celles en cause, qui sont prohibées par les articles 101, paragraphe, 1 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, peuvent néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE et de l’article L. 420-4 du code de commerce.

241. Le paragraphe 3 de l’article 101 du TFUE dispose que « […] les dispositions du paragraphe 1 peuvent être déclarées inapplicables à tout accord ou catégorie d'accords entre entreprises, à toute décision ou catégorie de décisions d'associations d'entreprises et à toute pratique concertée ou catégorie de pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, et sans :

a) imposer aux entreprises intéressées des restrictions qui ne sont pas indispensables pour atteindre ces objectifs ;

b) donner à des entreprises la possibilité, pour une partie substantielle des produits en cause, d'éliminer la concurrence ».

242. Le 2° du I de l’article L. 420-4 du code de commerce prévoit que : « ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : […] Dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. Ces pratiques qui peuvent consister à organiser, pour les produits agricoles ou d'origine agricole, sous une même marque ou enseigne, les volumes et la qualité de production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun ne doivent imposer des restrictions à la concurrence, que dans la mesure où elles sont indispensables pour atteindre cet objectif de progrès ».

243. Il résulte tant de la jurisprudence de l’Union européenne que de la jurisprudence interne, qu’il incombe à celui qui se prévaut des dispositions en question de démontrer, au moyen d’arguments et d’éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d’une exemption sont réunies164.

244. Quatre critères doivent être satisfaits à cette fin : la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l’obtenir, l’existence d’un bénéfice pour les consommateurs et l’absence d’élimination de toute concurrence. Chacune de ces quatre conditions doit être remplie pour que le bénéfice d’une exemption individuelle soit accordé165.

245. Par ailleurs, lorsque sont en cause, comme en l’espèce, des pratiques susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, le bénéfice de l’exemption prévue par l’article L. 420-4 du code de commerce ne peut être accordé que pour autant que les conditions prévues par l’article 101, paragraphe 3, du TFUE soient cumulativement réunies.

246. En l’espèce, les organismes mis en cause soutiennent dans leurs écritures que les pratiques concernées permettent de garantir le revenu des viticulteurs et d’améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs. Sur ce dernier point, elles soulignent que pour parvenir à répondre aux spécifications d’un cahier des charges particulièrement contraignant (voir le paragraphe 6 ci-dessus), un coût supplémentaire serait justifié.

247. Il ressort toutefois d’une analyse des éléments apportés par les organismes en cause – qui ne présentent pas de caractère circonstancié – que la réunion des critères cumulatifs fixés par les articles L. 420-4 du code de commerce et de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE fait défaut au cas d’espèce.

248. Au titre du premier critère, les organismes ne démontrent pas, tout d’abord, en quoi les pratiques en l’espèce amélioraient effectivement la qualité des vins. Par ailleurs, le maintien de la viabilité économique de l’activité des vignerons soulevé par les mis en cause ne saurait non plus, en tant que tel, suffire à la démonstration du premier critère. En effet, l’Autorité a rappelé, dans la décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives : « “le progrès économique allégué ne pourrait pas se limiter à la seule amélioration de la situation des producteurs de fruits et légumes”. La raison en est qu’il est de la nature de tout accord anticoncurrentiel, s’il est bien conçu, de comporter des avantages pour les parties qui l’ont mis en place. C’est la raison pour laquelle, comme il a été rappelé plus haut, la jurisprudence de l’Union européenne exige, au-delà, que soient démontrés des avantages objectifs sensibles, qui ne sauraient se rapporter aux seuls bénéfices que les participants à l’accord en attendent pour eux-mêmes, mais à des avantages objectifs sensibles de nature à compenser les inconvénients qui en résultent pour la concurrence » (paragraphe 575) 166.

249. En outre, à considérer même que la réalité du progrès économique eut été démontré par les mis en cause – quod non –, le caractère indispensable et adéquat des pratiques en cause – par lesquelles les professionnels du secteur s’accordent pour renchérir le prix des vins d’Alsace – pour atteindre cet objectif n’est pas utilement démontré.

250. Les critères prévus par les articles L. 420-4 du code de commerce et 101, paragraphe 1 du TFUE étant cumulatifs (voir paragraphe 244 ci-dessus), il n’est pas nécessaire, dès lors que les deux premiers critères ne sont pas remplis, d’examiner les deux autres. L’exemption individuelle ne peut ainsi, en tout état de cause, trouver à s’appliquer.

Conclusion

251. Les pratiques de concertation mises en œuvre par le CIVA, l’AVA et le GPNVA sur le prix du raisin présentent un caractère anticoncurrentiel, dès lors qu’elles ont incité les vignerons à se détourner d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence.

252. Ces pratiques ont faussé l’évolution normale des prix des raisins dans la mesure où même si les prix négociés ne revêtent pas un caractère impératif, ils fournissent à chaque entreprise une indication sur les prix. Ce faisant, elles incitent les concurrents à aligner leur comportement sur celui des autres sans tenir compte de leurs propres coûts167.

253. Il en résulte que ces pratiques constituent, eu égard à leur nocivité, des restrictions de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

254. Enfin, comme indiqué supra, le dispositif d’exemption individuelle prévu par les articles 101 paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ne peut, en tout état de cause, trouver à s’appliquer au cas d’espèce.

Sur le plan d’ensemble

255. Il ressort des pièces du dossier que les pratiques relatives au prix du raisin ont été mises en œuvre dans le but d’augmenter le prix des raisins et d’assurer une meilleure revalorisation des vins d’Alsace (voir notamment paragraphes 64 à 70 ci-dessus).

256. Dans cette logique, les différentes pratiques en cause présentent plusieurs caractéristiques communes relatives notamment au produit concerné, au champ géographique en cause, à leurs modalités de mise en œuvre, à leur nature ou encore à leurs participants.

257. Sur ce dernier point, le CIVA, le GPNVA et l’AVA ont tous participé aux discussions au sein de la commission paritaire, puis de différentes instances, dans le but de trouver un accord sur les méthodes d’indexation du prix des raisins.

258. Par ailleurs, si l’AVA assurait seule la publication des recommandations syndicales dans la revue des Vins d’Alsace, les recommandations envisagées étaient régulièrement présentées au négoce et à l’interprofession lors de la tenue de réunions au sein de diverses instances des organismes.

259. Dans ces conditions, l’ensemble des pratiques décrites supra ont poursuivi un objectif anticoncurrentiel unique qui s’est matérialisé dans un plan d’ensemble.

b) Sur la durée des pratiques

260. La première pièce matérielle identifiant des pratiques de concertation sur le prix est un compte rendu de « la commission paritaire de constatation des prix » du 2 juillet 2008168.

261. Le 2 juillet 2008 peut donc être retenu comme date de début des pratiques.

262. Les pièces du dossier démontrent des échanges réguliers entre les organismes en cause jusqu’en 2017 (comptes rendus de commission paritaire, conseils d’administration de l’AVA, conseil de direction du CIVA, compte rendu de commission économique, comptes rendus du comité et de l’assemblée générale du GPNVA).

263. Selon les déclarations de l’AVA, les pratiques de diffusion des recommandations tarifaires auraient cessé à la suite de l’audition de l’AVA, le 16 novembre 2017, par les services d’instruction. En effet, les représentants de l’AVA ont déclaré, lors de l’audition du 24 juillet 2018, que « [c]es recommandations étaient diffusées dans la revue des vins d’Alsace jusqu’à votre venue fin 2017 ou nous avons arrêté. »169.

264. En conséquence, il y a lieu de considérer que les pratiques ont ainsi pris fin le 16 novembre 2017.

265. Les pratiques de concertation sur le prix du prix du raisin ont été mises en œuvre de façon continue lors de chaque récolte.

c) Sur la participation individuelle des entités en cause

Rappel des principes

Sur le standard de preuve de l’accord de volontés à une entente horizontale

266. En ce qui concerne le standard de preuve de la participation d’une entreprise à une entente horizontale, il ressort de la pratique décisionnelle de l’Autorité que deux situations doivent être distinguées : celles dans lesquelles la concertation anticoncurrentielle se déroule au cours de réunions tenues dans le cadre statutaire d’une organisation professionnelle, et celles dans lesquelles l’entente est mise au point au cours de réunions informelles, de nature le plus souvent occultes ou secrètes, et auxquelles participent de leur propre initiative les entreprises concurrentes.

267. L’Autorité a rappelé, à l’occasion de la décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins :

« aux termes de la pratique décisionnelle, le seul fait d’avoir participé à une seule réunion tenue dans le cadre statutaire d’une organisation professionnelle est donc insuffisant pour démontrer l’adhésion d’une entreprise à une entente, lorsque l’entreprise n’est pas en mesure d’appréhender le caractère anticoncurrentiel de la réunion et qu’il ne lui est révélé que par une évolution imprévisible de l’ordre du jour, dans la mesure où sa bonne foi a pu être surprise, compte tenu du cadre statutaire dans lequel la réunion se déroulait. En revanche, si le caractère anticoncurrentiel de la réunion est suffisamment révélé à l’entreprise et qu’elle y participe en toute connaissance de cause, cela suffit à caractériser son adhésion volontaire à l’entente, sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’elle y a souscrit par d’autres moyens » (paragraphe 310).

268. Dans cette même décision, l’Autorité a précisé que « dans l’hypothèse où le caractère anticoncurrentiel d’une réunion n’était pas prévisible, l’adhésion à l’entente peut toutefois être démontrée si l’entreprise en cause donne son accord exprès à l’entente, si elle diffuse les consignes arrêtées lors de la réunion, si elle applique les mesures concrètes décidées lors de la réunion ou enfin si elle participe à une autre réunion ayant le même objet anticoncurrentiel. » (paragraphe 311)170.

269. La responsabilité d’une entreprise déterminée est ainsi valablement retenue lorsqu’elle a participé à des réunions en ayant connaissance de leur objet anticoncurrentiel. Son assiduité plus ou moins grande à ces réunions, la durée de sa participation à l’entente ainsi que la mise en œuvre plus ou moins complète des mesures convenues peuvent avoir des conséquences non pas sur l’existence de sa responsabilité, mais sur l’étendue de celle-ci et donc sur le niveau de la sanction171.

270. Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, dès lors qu’une entreprise participe, même sans y prendre une part active, à des réunions entre entreprises ayant un objet anticoncurrentiel et qu’elle ne se distancie pas publiquement du contenu de celles-ci, donnant ainsi à penser aux autres participants qu’elle souscrit au résultat des réunions et qu’elle s’y conformera, il peut être considéré comme établi qu’elle participe à l’entente résultant de ces réunions172.

271. S’agissant de la notion de distanciation publique, le Tribunal a jugé que : « […] il convient de rappeler que la notion de distanciation publique en tant qu’élément d’exonération de la responsabilité doit être interprétée de manière restrictive. Afin de se dissocier effectivement des discussions anticoncurrentielles, il incombe à l’entreprise concernée d’indiquer à ses concurrents qu’elle ne souhaite en aucun cas être considérée comme membre de l’entente et participer à des réunions anticoncurrentielles. En tout état de cause, le silence observé par un opérateur dans une réunion au cours de laquelle une discussion anticoncurrentielle illicite a lieu ne peut être assimilé à l’expression d’une désapprobation ferme et claire. En effet, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T-303/02, Rec. p. I-4567, points 103 et 124) »173.

Sur le standard de preuve de l’adhésion à une infraction unique, complexe et continue

272. Une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas l’Autorité de la concurrence est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque174. Dans un tel cas, l’Autorité est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle-ci dans son ensemble.175

273. Ainsi, afin d’établir la participation à une infraction unique et continue, il convient de démontrer la contribution personnelle de l’entreprise au plan d’ensemble et le fait qu’elle avait connaissance (prouvée ou présumée) des comportements infractionnels des autres participants176.

274. Enfin, la participation, directe ou indirecte d’une entreprise à tous les éléments constitutifs d’une entente ou à certains d’entre eux, est indépendante de l’établissement de l’infraction. Ces éléments sont pris en considération pour l’appréciation de la gravité de l’infraction et, le cas échéant, de la détermination de l’amende177.

Application au cas d’espèce

Sur la participation du CIVA

275. Le CIVA soutient qu’il n’a plus participé aux pratiques concernées à partir de 2013. À cet égard, il met en avant, d’une part, plusieurs pièces attestant de son désengagement sur les prix du raisin dès la fin de l’année 2012 (notamment le compte rendu du conseil d’administration de l’AVA du 15 novembre 2012178) et, d’autre part, le fait que les discussions postérieures à 2012 auxquelles il aurait participé n’abordaient pas la question du prix du raisin.

276. Il ressort des pièces du dossier que le CIVA a joué un rôle de premier plan dans l’organisation, la gestion et la coordination des différentes composantes de l’entente jusqu’à la fin de l’année 2012. La commission paritaire du CIVA a ainsi servi de lieu de concertation en vue d’édicter une recommandation annuelle des prix du raisin alsacien par cépage pour la fixation du prix au stade de la production et du commerce de gros.

277. S’il est exact qu’à compter de la fin de l’année 2012, les discussions entre les mis en cause n’avaient plus officiellement lieu au sein de la commission paritaire du CIVA, comme en atteste le compte rendu du conseil d’administration de l’AVA du 15 novembre 2012179, il n’en demeure pas moins que des échanges relatifs au prix du raisin ont eu lieu, pendant la période pendant laquelle les pratiques ont été mises en œuvre, soit au sein même du CIVA (jusqu’à la fin de l’année 2012), soit dans d’autres enceintes mais toujours en présence de représentants du CIVA (à compter de la fin de l’année 2012).

278. En effet, en premier lieu, des discussions sur les méthodes d’indexation ont eu lieu au sein de la commission paritaire du CIVA comme en attestent les comptes rendus des réunions du 11 mars 2014180, du 19 janvier 2015181 et du 3 août 2015182.

279. En deuxième lieu, le prix des raisins faisait l’objet de discussions dans le cadre de la commission économique du CIVA183 et du conseil de direction du CIVA184 ce dont atteste d’ailleurs le compte rendu de la réunion du 15 janvier 2015 du conseil d’administration de l’AVA185.

280. En troisième lieu, la participation de représentants du CIVA aux réunions du conseil d’administration de l’AVA, est établie pour l’ensemble des réunions à l’occasion desquelles l’orientation du prix des raisins était discutée et votée186.

281. Par ailleurs, le compte rendu de la réunion du 13 avril 2017 du conseil d’administration de l’AVA187 confirme que deux représentants du CIVA siégeaient dans une commission dite Commission « valorisation » au sein de laquelle ils ont débattu, avec des représentants du GPNVA et de l’AVA, des orientations relatives au prix des raisins.

282. De plus, le compte rendu de la réunion du conseil d’administration de l’AVA du 16 avril 2015 confirme le rôle joué par le CIVA dans la fixation du prix des raisins et, partant, l’élaboration des recommandations syndicales de l’AVA : « Le Directeur du CIVA propose des pistes qui vont à l’encontre des intérêts des producteurs […] Il en va de même au niveau du CIVA. Il n’y a aucune stratégie claire et surtout aucune volonté de construire. Leur proposition en termes de prix fixés annuellement est du grand n’importe quoi »188.

283. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier que plusieurs représentants du CIVA étaient membres du GPNVA189 et qu’ils assistaient régulièrement aux réunions du comité du GPNVA lors desquelles le montant du prix du raisin était débattu190. Ces mêmes représentants, à savoir MM. 18..., F... et N..., qui se sont succédé à la présidence du CIVA depuis 2007, étaient également présents aux assemblées générales du GPNVA191.

284. S’agissant de la publication des recommandations syndicales dans la revue des Vins d’Alsace, le CIVA était informé en amont des recommandations envisagées, comme l’illustre le compte rendu du comité du GPNVA du 16 mai 2017 dont l’ordre du jour est « Prix des raisins suite aux échanges dans le cadre de la Commission Économique du CIVA »192.

285. Il résulte de ce qui précède que la participation du CIVA à l’infraction unique, complexe et continue est établie jusqu’en novembre 2017.

Sur la participation de l’AVA

286. S’agissant de l’AVA, sa participation aux pratiques en cause est établie depuis leur commencement.

287. Il a été constaté que le président de l’AVA ainsi que certains membres du conseil d’administration de l’AVA ont régulièrement participé aux réunions de la commission paritaire du CIVA au cours desquelles les pratiques anticoncurrentielles examinées ci-dessus ont été conduites.

288. Il ressort du dossier que l’AVA a participé aux réunions de la commission paritaire du 2 juillet 2008, du 7 août 2008, du 15 juillet 2009, du 25 août 2009, du 3 août 2010, du 27 avril 2011, du 25 mai 2011, du 22 juillet 2011, du 31 janvier 2012, du 3 septembre 2012 et du 14 novembre 2012193.

289. Dès lors, l’AVA doit être tenue responsable des pratiques de concertation intervenues au sein de la commission paritaire du CIVA jusqu’à la fin de l’année 2012.

290. Par ailleurs, le dossier révèle que, depuis cette date, l’AVA a poursuivi, de son propre chef, les pratiques anticoncurrentielles mises en oeuvre par le CIVA.

291. En effet, les discussions sur les prix des raisins se sont poursuivies au sein de la commission économique de l’AVA et au sein des conseils d’administration de l’AVA où toutes les familles professionnelles étaient représentées194. En parallèle, l’AVA et le GPNVA se sont réunis à plusieurs reprises, notamment au sein d’une « Commission mixte », comme en atteste le compte rendu de la réunion du conseil d’administration de l’AVA en date du 19 février 2015 dans lequel on peut lire que « après la Commission paritaire, l’AVA avait proposé au Négoce de se réunir dans un cadre paritaire pour discuter des avenants. B… [Président du GPNVA] l’a invité pour participer au Comité du GPNVA. Même si au départ, les discussions ont été tendues, l'esprit a été très constructif et la rencontre intéressante. Nous avons passé en revue les propositions sur le contrat. Le Négoce est globalement d’accord avec ces propositions […] M. A... [Président de l’AVA] a proposé que les recommandations syndicales se fassent conjointement avec le Négoce »195.

292. De même, le dossier comporte également un compte rendu de la réunion du conseil d’administration de l’AVA du 16 avril 2015 qui confirme l’objet et la régularité des échanges entre l’AVA et le GPNVA : « Les remarques faites par le GPNVA concernant les accords professionnels ont été envoyées aux membres du Conseil d'administration. Il est surprenant de constater que leurs responsables ne répondent pas aux problèmes posés. D'une part, ils ne proposent rien concernant l'accord et, d'autre part, demandent le maintien de l’indexation et la revalorisation annuelle des prix de raisins en fonction des performances commerciales. Ils demandent également de faire des propositions concernant les prix de raisins Grand cru, alors qu'ils n'arrêtent pas de nous dire, depuis plusieurs années, qu'ils en achètent peu et ne sont pas concernés […] M. A... [Président de l’AVA] propose que l’AVA rédige un courrier à l’attention du Président du GPNVA et qu'on informe le CIVA que l'accord ne sera reconduit que pour un an et que la Production attend des propositions concrètes du Négoce pour le prochain accord »196 (soulignements ajoutés).

293. Sur la base de ces discussions, les instances dirigeantes de l’AVA (assemblée générale et conseil d’administration) ont élaboré des recommandations tarifaires, sous forme de grilles de prix des raisins par cépage, qui étaient discutées et ensuite publiées dans la revue des vins d’Alsace de 2013 à 2016197 et dont l’application était surveillée.198

294. Compte tenu de ce qui précède, la participation de l’AVA à l’infraction unique, complexe et continue est établie jusqu’en novembre 2017.

Sur la participation du GPNVA

295. S’agissant du GPNVA, le dossier comporte un ensemble de pièces qui attestent de sa participation aux pratiques menées sous l’égide du CIVA, puis de l’AVA.

296. Ainsi, il a été constaté que le GPNVA était présent aux réunions de la commission paritaire du CIVA, du 2 juillet 2008, du 7 août 2008 199, du 15 juillet 2009, du 25 août 2009, du 3 août 2010, du 27 avril 2011, du 25 mai 2011, du 22 juillet 2011, du 31 janvier 2012, du 3 septembre 2012, du 14 novembre 2012, du 11 mars 2014, 19 janvier et 3 août 2015200.

297. Le rôle joué par le GPNVA dans la fixation du prix des raisins jusqu’à la fin de l’année 2012 ressort sans ambiguïté des comptes rendus des réunions de la commission paritaire et notamment de celle du 25 août 2009 au cours de laquelle son président a déclaré qu’« après consultation de l'ensemble de ses collègues, qui sont tous d'accord sur le fait qu'il est préférable d'arriver à un accord, fait une nouvelle proposition dont il espère qu'elle sera accueillie favorablement […] »201. Il convient de constater que s’agissant de cette réunion la proposition du GPNVA a été adoptée à l’issue de la réunion.

298. Par ailleurs, la participation du GPNVA aux discussions sur les recommandations syndicales à partir de la fin de l’année 2012 est également établie. Des représentants du GPNVA participaient aux réunions du conseil d’administration de l’AVA au cours desquelles le contenu des recommandations syndicales était décidé et voté, notamment celles des 15 novembre 2012, 23 octobre 2014, 27 novembre 2014, 22 juin 2015, 16 juillet 2015, 15 mars 2016, 13 mars 2017, 13 avril 2017, et du 13 juillet 2017202.

299. Enfin, les comptes rendus des conseils d’administration de l’AVA démontrent que l’AVA et le GPNVA se tenaient régulièrement informés des prises de position relatives à la fixation du prix des raisins adoptées par leurs instances décisionnelles respectives et qu’ils se sont réunis, avec des membres du CIVA, au sein d’une commission dite commission « valorisation » au sein de laquelle ils ont débattu des orientations relatives au prix des raisins (voir notamment les réunions des 13 avril 2017 et 13 juillet 2017).

300. Compte tenu de ce qui précède, la participation du GPNVA à l’infraction unique, complexe et continue est établie jusqu’en novembre 2017.

d) Sur la présence de l’administration à certaines réunions organisées par les organismes en cause

301. Selon les organismes mis en cause, des représentants de l’administration étaient systématiquement conviés aux réunions de la commission paritaire et y ont souvent siégé. Ils auraient, de surcroît, participé aux discussions sur le prix du raisin.

302. Selon le CIVA, l’administration n’a jamais émis, jusqu’en 2013, d’objections quant à la légalité des pratiques en l’espèce.

303. L’AVA et le GPNVA évoquent également la participation de l’administration aux réunions de la commission paritaire jusqu’en 2013. Au cours de la période postérieure, l’administration aurait maintenu une attitude ambigüe vis-à-vis des pratiques concernées. Les mis en cause soulignent que des représentants de la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (« DRAAF ») et/ou de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (« DIRECCTE ») étaient régulièrement présents aux assemblées générales de l’AVA, auxquelles assistait un représentant du GPNVA. Au soutien de leur argumentation, ils font également référence aux positions exprimées par l’administration dans un extrait de courriel qui aurait été adressé par un agent du Ministère de l’Agriculture le 26 juillet 2013 à l’attention du président de l’AVA, reproduit dans ses écritures et à un procès-verbal d’une réunion du conseil de direction du GPNVA du 17 juin 2016.

304. Les organismes mis en cause en concluent que la participation de l’administration aux discussions avec les mis en cause doit être prise en compte par l’Autorité pour qualifier les pratiques concernées au regard du droit de la concurrence.

305. En droit de l’Union comme en droit national, les comportements anticoncurrentiels ne sont répréhensibles que s’ils ont été adoptés par des entreprises disposant d’une autonomie de volonté203. Le juge de l’Union a précisé à cet égard qu’en l’absence de disposition légale contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel et ne laissant aucune place aux entreprises pour des comportements indépendants, il ne peut être conclu à une absence d’autonomie des entreprises « que s’il apparaît sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l’exercice de pressions irrésistibles telles que, par exemple, la menace de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes »204.

306. Dans son arrêt du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission205 rendu dans l’affaire dite de la « viande bovine », le Tribunal de première instance a rappelé, s’agissant du rôle joué par le ministre de l’agriculture français dans la conclusion de l’accord litigieux, que, selon une jurisprudence constante, la circonstance que le comportement des entreprises a été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales était sans influence sur l’applicabilité de l’article 81 du Traité établissant la Communauté européenne [devenu article 101 du TFUE]. Conformément à la jurisprudence communautaire, l’Autorité de la concurrence considère que le fait que des pratiques anticoncurrentielles aient été approuvées ou encouragées par les pouvoirs publics n’est pas suffisant pour dégager les entreprises mises en cause de leur responsabilité. Une intervention publique ne peut constituer une telle cause d’exonération que si le cadre juridique qu’elle fixe est contraignant pour les entreprises concernées206.

307. Au cas d’espèce, s’il ressort des pièces du dossier qu’un représentant de l’administration était régulièrement présent lors des réunions et pouvait, à cette occasion, intervenir au cours de ces discussions (voir les paragraphes 115 et suivants ci-dessus), cette circonstance ne permet pas d’établir que la concertation sur le prix du raisin ait été imposée par les pouvoirs publics aux organismes en cause.

308. À cet égard, il ne peut être tenu compte du courriel du 26 juillet 2013 mentionné par l’AVA dans ses observations en réponse à la notification des griefs, qui n’a d’ailleurs pas été communiqué par l’AVA aux services d’instruction et n’est pas présent au dossier. Le contenu du procès-verbal de la réunion du conseil de direction du GPNVA du 17 juin 2016 qui attesterait de la participation active de l’administration aux discussions sur le prix du raisin, ne permet pas quant à lui de soutenir la position alléguée.

309. En effet, l’extrait du procès-verbal cité par le GPNVA ne démontre en rien que l’administration aurait contraint les organismes dans la réalisation des pratiques en cause :

« Suite aux remarques du Ministère de l’Agriculture, une réunion s’est tenue entre représentants de la production et du Négoce en présence de Monsieur R..., DGCCRF, le 3 juin dernier, afin d’avoir les précisions nécessaires. En collaboration avec Mme S... [Représentante de la Production], un nouveau projet a été rédigé. Les modifications ont porté essentiellement sur : (…) L’abandon de “la référence au SMIC” remplacé par “Indice libre entre contractants” ».

310. Il peut en revanche être constaté que la présence de l’administration aux réunions en cause a permis à son représentant d’avertir explicitement les mis en cause du caractère anticoncurrentiel de leurs discussions, ce qui aurait pu les inciter, au demeurant, à y mettre un terme.

311. Ainsi, lors de leur audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont indiqué que c’est la DRAAF qui lui avait « demandé d’arrêter certaines discussions comme les problématiques de prix constatés »207. Par ailleurs, dès 2012, le Ministère de l’Agriculture a mis en garde l’interprofession sur les dangers associés à la diffusion des prix du raisin négociés en son sein. En effet, le compte rendu de la réunion du conseil de direction du CIVA du 23 mars 2012 : « Mise en garde du Ministère sur nos accords des prix et notamment les délais prévus pour le paiement des raisins […] M. X... [Président du CIVA] fait part de la mise en garde du CNIV [Comité national des interprofessions des vins] de ne surtout pas diffuser de documents pouvant laisser supposer qu’il y a des accords de tarif ! La filière de la Farine vient d’être condamnée à une amende de 200 millions d’Euros pour entente sur les prix ! ».208

312. En conséquence, il résulte que la présence de l’administration aux réunions organisées par les organismes en cause ne peut exonérer les organismes en cause de leur responsabilité dans la mise en œuvre des pratiques litigieuses.

2. SUR LES PRATIQUES RELATIVES AU PRIX DU VIN EN VRAC

a) Sur l’existence d’une infraction

Rappel des principes applicables

Accord de volontés

313. En vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun, et notamment ceux qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction.

314. De même, l’article L. 420-1 du code de commerce prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

315. À l’image des notions d’« accord » et de « pratique concertée », celle de « décisions d’associations d’entreprises » n’appréhende, du point de vue subjectif, qu’une forme de collusion particulière qui partage avec les deux premières la même nature et ne s’en distingue que par son intensité et par les formes dans lesquelles elle se manifeste209. La notion de « décisions d’associations d’entreprises » vise donc « les formes institutionnalisées de coopération, c’est-à-dire les situations où les opérateurs économiques agissent par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun »210.

316. Une telle qualification requiert, en premier lieu, que l’association soit composée d’entreprises211. Compte tenu de la finalité de l’article 101 paragraphe 1 du TFUE, la notion d’association d’entreprises doit être interprétée comme pouvant également appréhender des associations elles-mêmes constituées d’associations d’entreprises212.

317. En second lieu, la décision en cause doit constituer l’expression fidèle de la volonté de l’association de coordonner le comportement de ses membres sur le marché213. En d’autres termes, la décision doit constituer « l’expression de la volonté de représentants des membres d’une profession tendant à obtenir de ceux-ci qu’ils adoptent un comportement déterminé dans le cadre de leur activité économique »214. Une recommandation de prix émanant de l’association, quel qu’en soit le statut juridique exact, et indépendamment du fait qu’elle revête un caractère obligatoire ou non, peut être considérée comme constituant une telle « décision »215.

Restriction par objet

318. L’Autorité renvoie à cet égard aux développements consacrés à cette question aux paragraphes 195 à 200 de la présente décision.

319. S’agissant du secteur agricole, la possibilité pour les organisations interprofessionnelles d’élaborer et de diffuser des indicateurs de prix est strictement encadrée, tant par le droit de l’Union européenne que par le droit national.

320. Comme indiqué au paragraphe 173 ci-dessus, aux termes de l’article 157, paragraphe 1, du règlement OCM : « 1. Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les organisations interprofessionnelles dans un secteur précis visé à l’article 1er, paragraphe 2 qui : […] c) poursuivent un but précis prenant en compte les intérêts de [ses] membres et ceux des consommateurs », qui peut inclure une série d’objectifs listés par l’article. Parmi ces objectifs, figure notamment :

- « i) améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnés le cas échéant d’indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d’évolution du marché au niveau régional, national ou international ».

321. Dans son avis n° 18-A-04 relatif au secteur agricole, l’Autorité a analysé l’articulation de l’élaboration et de la diffusion des indicateurs de prix avec le droit de la concurrence.

322. En premier lieu, l’Autorité a indiqué que les organisations interprofessionnelles doivent être particulièrement vigilantes lorsqu’elles élaborent un indicateur destiné à leurs membres car une telle activité implique nécessairement des échanges d’informations au sein de l’organisation.

323. À cet égard, l’Autorité a précisé que les organisations interprofessionnelles peuvent diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d’indices si les données statistiques en cause sont passées, anonymes et suffisamment agrégées. Elle a détaillé la portée de ce principe aux paragraphes 191 à 203 de l’avis.

324. À ce titre, elle s’est notamment référée à l’examen, par la Commission européenne, des indicateurs du Comité national interprofessionnel de la pomme de terre sur la base du mécanisme de l’article 210 du règlement OCM (voir paragraphe 174 de l’avis). Elle a ainsi indiqué que les indicateurs « présentaient un certain nombre de garanties concernant la collecte des données sur la base de déclarations volontaires des vendeurs et des acheteurs. Les données avaient vocation à être collectées d’une façon hermétiquement séparée, sans permettre aux différentes sociétés participantes de connaître les déclarations des autres. Les données des producteurs seraient collectées par l’organisation les représentant au sein du CNIPT via une interface de leur site sécurisée et dédiée aux producteurs, cette même précaution étant retenue pour les acheteurs. Les données transiteraient ensuite de manière sécurisée et automatisée vers un serveur unique spécifiquement dédié où elles seraient traitées informatiquement en vue de l’élaboration des indicateurs. Les indicateurs de prix seraient donc générés de manière anonyme, en respectant un protocole sécurisé et une charte de confidentialité. Le système d’élaboration des indicateurs et les indicateurs eux-mêmes ne permettraient pas d’identifier des données stratégiques. L’ensemble des précautions qui viennent d’être rappelées peuvent utilement servir de référence pour la collecte de données servant à l’élaboration d’indicateurs par les OI » (paragraphe 197, soulignement ajouté).

325. En second lieu, l’Autorité a rappelé que « la diffusion d’indicateurs et d’indices par les OI ne doit pas aboutir à un accord collectif sur les niveaux de prix pratiqués par des opérateurs concurrents ni à une uniformisation des prix 216 » (paragraphe 206).

326. En ce sens, elle est venue préciser que « pour ne pas générer de risque au regard des règles de concurrence, la diffusion d’indicateurs par l’OI reconnue - que ces indicateurs émanent d’organismes publics ou soient construits par elle - ne doit en aucun cas être assimilable à une forme de recommandation de prix. L’élaboration et la diffusion d’indicateurs ou d’indices ne sont compatibles avec le droit de la concurrence national et européen, que si elles ne conduisent pas à une application pure et simple de recommandations émises par l’interprofession. Chaque opérateur économique doit ainsi être libre d’individualiser des prix compte tenu de ses charges, de ses coûts divers à partir d’informations relatives au passé et en utilisant, le cas échéant, des indicateurs de tendance, dès lors qu’ils ne présentent aucun caractère normatif émis par l’interprofession217 (soulignements ajoutés).

Il ne revient donc pas à une OI d’inciter les acteurs d’une filière déterminée, appelés à contracter entre eux, à appliquer purement et simplement les recommandations de l’interprofession, que ce soit du point de vue des prix de départ ou des indicateurs de tendance218 » (paragraphes 204 à 205).

327. Un dispositif similaire à l’article 157 du règlement OCM a été introduit en droit interne par l’article 5 de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (ci-après « loi EGALIM »). Il est prévu par les articles L. 631-24 et L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime.

328. L’article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que, dans le cadre de leurs missions et conformément au règlement OCM, les organisations interprofessionnelles reconnues peuvent élaborer et diffuser des indicateurs mentionnés à l’article L. 631-24 du code.

329. À cet égard, l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime prévoit, depuis le 1er février 2019, que tout contrat de vente écrit relatif à la cession au premier acheteur de produits agricoles destinés à la revente ou à la transformation en vue de la revente doit comporter une clause relative « au prix ou aux critères et modalités de détermination et de révision du prix ». Les critères et modalités figurant dans ces clauses « prennent en compte un ou plusieurs indicateurs », relatifs (i) aux coûts pertinents de production en agriculture et à l’évolution de ces coûts, (ii) aux prix de produits agricoles et alimentaires constatés sur le ou les marchés sur lesquels opère l’acheteur et à l’évolution de ces prix, ainsi que (iii) aux quantités, à la composition, à la qualité, à l’origine et à la traçabilité des produits ou au respect d’un cahier des charges.

330. Dans son avis sur le projet de loi EGALIM rendu le 25 janvier 2018, le Conseil d’État a relevé, s’agissant du dispositif introduit par l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime, que : « […] la règle selon laquelle les critères et modalités de détermination du prix figurant dans le contrat, à défaut ou en complément de prix fixe, doivent prendre en compte notamment un ou plusieurs indicateurs relatifs aux coûts de production en agriculture ou à l’évolution de ces coûts et un ou plusieurs indicateurs relatifs aux prix des produits agricoles et alimentaires constatés sur les marchés sur lesquels opère l’acheteur, ne méconnaît pas le principe de libre négociation fixé par le règlement, dans la mesure où les opérateurs restent libres, tant du choix ou de la création des indicateurs, que de la façon de les prendre en compte »219 (soulignement ajouté).

331. De manière analogue aux indicateurs de référence prévus par l’article 157 du règlement OCM, l’élaboration et la diffusion d’indicateurs sur la base du code rural et de la pêche maritime ne sont compatibles avec le droit de la concurrence que si elles ne conduisent pas à donner une orientation tarifaire aux agriculteurs.

332. En tout état de cause, dans la mesure où l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime ne fait référence à des indicateurs que depuis le 1er février 2019 – soit une date postérieure à la fin des pratiques visées dans ce grief – les indicateurs adoptés au cas d’espèce n’ont pu être fondés sur cet article.

Application au cas d’espèce

Sur l’accord de volontés

333. Il a été constaté que le CIVA publie, depuis 1980, à l’issue de chaque récolte de raisins destinée à la production de vins d’Alsace, des prix indicatifs sur le vin en vrac qui sera commercialisable à partir du mois de décembre de l’année de récolte (référence croisée).

334. C’est au sein même du CIVA qu’ont été élaborées les formules de conversion utilisées pour le calcul des prix indicatifs. Lors de leur audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont précisé que le service économique du CIVA s’en chargeait. Ils ont ajouté que le conseil de direction du CIVA avait décidé, en 2017, de mettre à jour la formule.220

335. Comme indiqué au paragraphe 211 ci-dessus, le CIVA constitue une association d’entreprises au sens de l’article 101 du TFUE.

336. L’élaboration et la diffusion des prix indicatifs du vin en vrac constituent donc la résultante du concours de volonté des membres du CIVA. Elles sont, conformément à la jurisprudence susvisée, l’expression fidèle de la volonté de l’organisation interprofessionnelle de coordonner le comportement de ses membres sur le marché.

Sur la restriction par objet

337. Le CIVA soutient que la publication annuelle intitulée « prix indicatif du vin fait » ne constitue pas une recommandation tarifaire mais un indicateur de prix au sens de l’article 157 du règlement OCM et de l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime.

338. Selon lui, en premier lieu, la formule appliquée ne constitue pas une formule d’indexation générale sur un objectif de hausse de prix. Elle vise uniquement à convertir des coûts portant sur un intrant (le raisin), et exprimés en euros par kilogramme, en coûts portant sur un produit intermédiaire (le vin en vrac) et exprimés en euro par litre.

339. En deuxième lieu, le CIVA allègue que la formule utilisée pour parvenir au « prix indicatif du vin fait » reflète les coûts d’exploitation réels des exploitants viticoles. Sur ce point, le CIVA soutient que l’indicateur prend en compte les « coûts pertinents de la production » évoqués à l’article L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime. Selon lui, les « coûts pertinents de production » ne sauraient être compris comme les coûts individuels et personnels des exploitants. À l’inverse, selon cet organisme, ces coûts correspondent à ceux identifiés par le Conseil d’État dans son avis du 25 janvier 2018 sur le projet de loi à l’origine de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (EGALIM), c’est-à-dire l’ensemble des coûts calculés « au regard de la production agricole concernée et non pas des coûts moyens en agriculture ». En effet, toujours selon lui, ce serait bien le cas en l’espèce puisque le « prix indicatif du vin fait » repose sur le prix des raisins constaté et sur une formule de conversion qui tient compte de coûts propres à la fabrication du vin.

340. En troisième lieu, le CIVA allègue que l’indicateur en cause correspond en tous points au dispositif prévu par la loi EGALIM, dès lors notamment qu’il n’empêche pas les opérateurs, si, par exemple, ils s’estiment plus compétitifs que la moyenne des viticulteurs de la région, de proposer des prix plus attractifs que le « prix indicatif du vin fait ».

341. Le CIVA souligne, plus généralement, qu’une approche exagérément restrictive de la notion d’indicateur de prix reviendrait à vider totalement de leur substance les articles 157 et du règlement OCM et L. 631-24 du code rural et de la pêche maritime.

342. Enfin, le CIVA soutient, à nouveau s’agissant du présent grief, que conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité postérieure à l’avis Vin de Cahors221, les pratiques en cause doivent échapper à la qualification d’infraction au droit de la concurrence.

* L’absence d’appréhension directe et personnelle des coûts des exploitants

343. Les formules – de 1980 et de 2017 – utilisées par le CIVA reposent sur :

- la détermination d’un prix de base du kilogramme de raisin qui correspond à une moyenne des prix pratiqués par les entreprises ; et

- l’application d’un pourcentage identique chaque année qui correspond aux coûts de la production du vin en vrac à partir du raisin.

344. Ces formulent ne permettent pas une appréhension directe et personnelle du coût des exploitants pour la production du vin en vrac.

345. En effet, en premier lieu, le prix indicatif du vin en vrac n’est pas élaboré sur la base du prix de revient effectif du raisin par cépage et par exploitant pour l’année N. Il est en effet calculé à partir d’une moyenne des prix du raisin pratiqués par les exploitants.

346. En deuxième lieu, les formules élaborées par le CIVA conduisent à appliquer un pourcentage identique chaque année par cépage au prix du kg de raisin, alors que les coûts effectifs d’exploitation diffèrent d’un exploitant viticole à un autre.

347. En troisième lieu, il ressort du dossier qu’aucune justification économique n’a été apportée quant au choix des paramètres retenus dans les deux formules. Au cours de leur audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont eux-mêmes déclaré, comme rappelé ci-avant au paragraphe 132, qu’ils n’étaient pas en mesure d’expliquer les coûts retenus dans la formule de 1980 dès lors qu’ils n’étaient pas à l’origine de son élaboration222. De même, ni les déclarations des représentants du CIVA postérieures à cette audition223, ni les documents préparatoires à la mise à jour de la formule de 1980224, ne permettent de justifier les différences de coûts retenus entre la formule de 1980 et celle de 2017.

348. S’agissant de la formule de conversion élaborée en 1980, il ressort de la note explicative produite par le CIVA en réponse à une demande des services d’instruction, qu’elle s’articule de la manière suivante : « le prix du raisin est d’abord majoré des ‘frais financiers, freintes, bourbes et lies’ de 12.5% (1) ; cette valeur est ensuite divisée par le taux d’extraction (2) pour établir la valeur en litre, à laquelle se rajoutent ensuite les frais de pressurage et de chaptalisation »225. Or la pondération des frais financiers, freintes, bourbes et lies a été déterminée en 1980, les taux d’extraction ainsi que les frais de chaptalisation en 1977226. Quant aux frais de pressurage, ils ont été réévalués en 1980227. Partant, la formule de conversion de 1980 ne peut refléter les coûts réels d’exploitation supportés par les exploitants viticoles au fil des années, dans la mesure où les paramètres sur lesquels elle repose sont restés inchangés depuis 1980 et n’ont été actualisés qu’en 2017.

349. S’agissant de la formule de conversion révisée en 2017, il résulte des documents produits par le CIVA à la suite de l’audition de ses représentants du 2 avril 2019 qu’une partie des coûts supportés par les exploitants viticoles ne sont pris en compte ni dans la formule de 2017 ni d’ailleurs dans celle de 1980, notamment le coût du foncier qui peut être très variable d’une exploitation à l’autre228. De plus, les paramètres de la formule ont été déterminés sur la base d’un échantillon non représentatif de 18 entreprises, dont certaines n’auraient participé que partiellement à la mise à jour de la formule229 alors que la filière vitivinicole alsacienne compte 4 000 exploitants230. Enfin, à supposer que l’échantillon retenu ait été représentatif de l’ensemble des exploitants viticoles, la formule révisée en 2017 revient à appliquer un pourcentage par cépage qui est calculé sur une moyenne des coûts, et non pas à partir de leur véritable coût de revient individuel.

350. En toute hypothèse, à supposer que les paramètres retenus dans les deux formules aient été justifiés, les formules de conversion, par essence, ne reflètent pas les coûts d’exploitation réels dont chaque entreprise doit tenir compte afin d’établir sa propre politique de prix de manière indépendante (voir paragraphe 346).

* L’orientation sur le prix futur du vin en vrac

351. Comme indiqué supra, les formules de conversion utilisées pour déterminer le prix indicatif du vin en vrac conduisent à appliquer un pourcentage unique à une moyenne des prix du raisin pratiqués par les producteurs de raisin. Il ressort en effet, du dossier que les formules se fondent sur un constat du prix du raisin par cépage qui correspond à une moyenne élaborée en fin d’année à partir des contrats d’apports de raisin communiqués en octobre et novembre par les exploitants viticoles au CIVA231.

352. Les éléments du dossier232, corroborés par les déclarations des représentants du CIVA233, attestent que la publication du document intitulé « PRIX DE BASE DES RAISINS DE LA RECOLTE année x », faisant état, d’une part, du prix moyen de base constaté des raisins par cépage, et d’autre part, du « prix indicatif de vin fait », intervient tous les ans au mois de décembre. Dans la mesure où les prix du raisin constatés dans les contrats d’apports par le CIVA, ont été recueillis par le CIVA quelques semaines avant la publication du document, ils sont quasiment contemporains de la publication du document.

353. En outre, la commercialisation des vins en vrac de l’appellation « Alsace », de l’appellation « Alsace Grands crus » et de l’appellation « Crémants d’Alsace » est autorisée à partir du mois de décembre de l’année de la récolte234.

354. Dans un tel contexte, en diffusant un « prix indicatif du vin fait » au mois de décembre pour l’année suivante, le CIVA transmet à la profession un prix du vin en vrac à un moment où le produit en cours de production devient commercialisable. Ces recommandations tarifaires annuelles, couplées aux diffusions fréquentes de mercuriales de vins en vrac, réduisent l’incertitude nécessaire à la libre fixation des prix, et constituent une invitation à respecter un prix spécifique du vin en vrac pour l’année à venir.

355. La diffusion du « prix indicatif du vin fait » constitue ainsi une orientation sur le prix futur du vin en vrac et présente un caractère normatif. Elle empêche les exploitants agricoles de fixer leur prix librement en tenant compte de leurs coûts propres ainsi que de leur situation individuelle sur le marché, et ne permet pas au libre jeu de la concurrence de s’exercer sur ce marché.

356. Conformément à la pratique décisionnelle de l’Autorité rappelée au paragraphe 200, la circonstance que cette recommandation tarifaire ne soit pas contraignante pour les exploitants ne permet pas d’exclure la qualification d’entente dans la mesure où, comme démontré supra, elle détourne les opérateurs d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence.

* L’avis Vin de Cahors

357. Le CIVA ne peut se prévaloir de l’avis Vin de Cahors précité pour considérer que la pratique d’élaboration et de diffusion du « prix indicatif du vin fait » échapperait à l’interdiction du droit de la concurrence.

358. En effet, en premier lieu, le raisonnement de la Commission de la concurrence basé sur l’ordonnance du 30 juin 1945 est sans fondement depuis le 1er janvier 1987, date d’abrogation de cette ordonnance.

359. En second lieu, si l’Autorité de la concurrence a pu faire référence à cet avis dans une décision et plusieurs avis, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, c’était à titre purement illustratif et non comme un élément de qualification d’une pratique.

360. En conséquence, les organismes mis en cause ne sauraient utilement se référer à l’avis Vin de Cahors, au titre du contexte économique et juridique, dans l’analyse de l’objet des pratiques.

Sur la contribution des pratiques au progrès économique

361. Dans leurs observations, les mis en cause considèrent qu’il découle de l’avis Vin de Cahors précité que des pratiques de fixation de prix portant sur le vin en vrac peuvent échapper à la prohibition des ententes lorsqu’elles permettent de garantir le revenu des viticulteurs et d’améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs. Le CIVA soutient que, dans la mesure où les pratiques reprochées au titre du premier grief répondent, dans le contexte décrit plus haut, à la nécessité de maintenir la viabilité économique de l’activité des vignerons ainsi que la qualité des vins offerts aux consommateurs, ces dernières ne pourraient, dans la lignée de cet avis, être qualifiées d’infractions au droit de la concurrence.

362. Au cas d'espèce, comme indiqué supra pour le grief n° 1, si les mis en cause considèrent que les pratiques contribuent également au progrès économique, leur démonstration doit être menée non par référence à l’avis Vin de Cahors, qui relève d’un cadre législatif qui n’est plus en vigueur depuis 1987 (voir paragraphe 231 ci-dessus), mais au titre des articles 101 paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce.

363. Bien que les mis en cause ne formulent aucune demande expresse, en ce sens, cette référence à l’avis Vin de Cahors peut être interprétée comme une implicite demande d’octroi d’une exemption individuelle au sens de l’article L. 420-4 du code de commerce et de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE.

364. Toutefois, la réunion de l’ensemble des conditions posées par le droit national et par le droit de l’Union européenne (voir paragraphe 244 ci-dessus) n’est pas démontrée par le CIVA.

365. En effet, le premier critère tenant à la réalité du progrès économique apporté par les pratiques n’est pas rempli. Le CIVA ne démontre pas en quoi les pratiques en l’espèce amélioraient effectivement la qualité des vins. Par ailleurs, comme indiqué au paragraphe 245, le maintien de la viabilité économique de l’activité des vignerons ne saurait, en tant que telle, suffire à la démonstration d’un progrès économique.

366. Le dispositif d’exemption individuelle ne peut donc, en tout état de cause, s’appliquer.

Conclusion

367. Il résulte de ce qui précède que la pratique consistant, pour le CIVA, à élaborer et à diffuser, à chaque campagne viticole, le « prix indicatif du vin fait », constitue une pratique dont l’objet présente un caractère anticoncurrentiel, dès lors qu’elle a créé un point focal qui conduisait les exploitants à utiliser une même référence pour leurs prix futurs. Ce faisant, elle a limité le libre jeu de la concurrence.

368. Il en résulte que cette pratique constitue, de par sa nocivité, une restriction de concurrence par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

369. Enfin, comme indiqué supra, le dispositif d’exemption individuelle prévue par les articles 101 paragraphe 3 du TFUE et L. 420-4 du code de commerce ne peut, en tout état de cause, s’appliquer au cas d’espèce.

b) Sur la durée des pratiques

370. Selon les représentants du CIVA, la formule utilisée pour fixer le prix du vin en vrac par cépage pour l’AOC Alsace est appliquée depuis 1980. Or, les consignes tarifaires sont diffusées, chaque année, à compter du mois de décembre de l’année de chaque récolte. Le 31 décembre 1980 peut ainsi être retenu comme la date de début des pratiques.

371. Les pratiques étaient toujours en cours à la date d’envoi de la notification des griefs tant pour l’AOC Alsace que l’AOC Crémant d’Alsace. Dans la mesure où la dernière diffusion du prix indicatif du vin en vrac est intervenue en décembre 2018, le 1er décembre 2018 peut être retenu comme date de fin des pratiques.

372. La publication du prix indicatif du vin en vrac a été mise en œuvre de façon continue lors de chaque cycle de production du vin en vrac.

c) Sur la participation de l’entité en cause

373. Lorsque les pratiques étudiées impliquent un organisme collectif, l’Autorité, selon les circonstances de l’espèce, retient soit la responsabilité de l’organisme seul, soit y adjoint celle de ses membres235. La première solution est retenue dès lors que ce sont les organes dirigeants de l’organisme qui, soit directement, soit par délégation, apparaissent comme étant les auteurs des pratiques d’entente entre ses membres.236.

374. Les éléments au dossier démontrent la participation active de plusieurs organes du CIVA pour mettre en œuvre les pratiques reprochées. C’est au sein même du CIVA qu’ont été élaborées les formules de conversion utilisées pour le calcul des prix indicatifs. Lors de l’audition par les services d’instruction, les représentants du CIVA ont précisé que le service économique du CIVA « s’en chargeait ». Ils ont ajouté que le conseil de direction du CIVA avait décidé, en 2017, de mettre à jour la formule.237

375. Le CIVA peut donc être tenu, dans les circonstances de l’espèce, responsable de l’infraction au droit de la concurrence constatée.

F. SUR L’IMPUTABILITE DES PRATIQUES

376. Il ressort d’une jurisprudence constante que les griefs doivent être notifiés à une personne juridique pouvant être tenue responsable de l’infraction au droit de la concurrence238.

377. Les pratiques litigieuses ont été mises en œuvre par une organisation interprofessionnelle, le CIVA, et deux organisations syndicales, l’AVA et le GPNVA, qui sont des unités économiques constituées de plusieurs personnes physiques ou morales. Ces entités sont des regroupements de syndicats ou de représentants de familles vitivinicoles qui sont sortis de leur rôle en participant à des pratiques anticoncurrentielles. Ce faisant, elles peuvent se voir imputer les pratiques, indépendamment de leurs membres.

378. Ainsi, les pratiques visées au grief n° 1 sont imputables au CIVA, GPNVA et à l’AVA et les pratiques visées au grief n° 2 sont imputables au CIVA.

G. SUR LES SANCTIONS

1. RAPPEL DES REGLES APPLICABLES

379. Le I de l’article L. 464-2 du code de commerce habilite l’Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

380. Aux termes du quatrième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce « si le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d’euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l’entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d’affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l’entreprise consolidante ou combinante ».

381. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 du code de commerce prévoit que « les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie, à la situation individuelle de l’organisme ou de l’entreprise sanctionné ou du groupe auquel l’entreprise appartient et à l’éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ».

382. L’article L. 464-5 du code de commerce dispose que l’Autorité peut, lorsqu’elle met en oeuvre la procédure simplifiée prévue à l’article L. 463-3 du code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l’article L. 464-2 de ce code. Toutefois, la sanction ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées.

383. L’Autorité apprécie, en principe, les critères légaux rappelés ci-avant selon les modalités décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après « communiqué sanctions »), « sauf à ce qu’elle explique, dans la motivation de sa décision, les circonstances particulières ou les raisons d’intérêt général la conduisant à s’en écarter dans un cas donné » (paragraphe 7 du communiqué sanctions).

2. APPLICATION AU CAS D’ESPECE

384. La pratique décisionnelle de l’Autorité relative aux organismes (syndicats, associations, etc.) distingue ceux qui poursuivent une activité économique propre sur le ou les marchés concernés de ceux qui se bornent à représenter les intérêts de leurs membres actifs sur le ou les marchés concernés et qui ne disposent pas, dès lors, d’un chiffre d’affaires ou d’une valeur de ventes en relation avec le produit ou le service concerné par les pratiques.

385. Dans ce dernier cas, l’Autorité considère que « [l]a sanction pécuniaire doit être déterminée selon des modalités propres au cas d’espèce (paragraphe 7 du communiqué sanction) »239. En effet, l’absence de valeur des ventes de l’organisme constitue une des « circonstances particulières » prévues au paragraphe 7 du communiqué sanctions cité ci-dessus.

386. En l’espèce, en tant qu’organisation interprofessionnelle ou syndicat en charge de la représentation et de la défense des intérêts de leurs membres, le CIVA, l’AVA et le GPNVA ne disposent pas eux-mêmes d’un chiffre d’affaires relatif à la production et la commercialisation des vins d’Alsace. Dès lors, les sanctions pécuniaires qui leur sont infligées doivent être déterminées selon des modalités propres au cas d’espèce, en application du paragraphe 7 du communiqué sanctions.

387. L’Autorité relève à cet égard que les organismes en cause disposent de ressources propres constituées notamment de cotisations perçues annuellement auprès de leurs membres. Ainsi, le montant des cotisations perçues par le GPNVA, l’AVA et le CIVA s’élevaient respectivement à plus d’une centaine de milliers d’euros (pour 2017240), plus d’un million d’euros (pour 2018241) et plusieurs millions d’euros (pour 2017242).

388. L’Autorité tiendra compte, dans le cadre de la détermination des sanctions, du fait que les organismes en cause ont la possibilité, au-delà de leurs ressources immédiatement disponibles, de faire appel à leurs membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de leur sanction pécuniaire243.

a) En ce qui concerne les pratiques relatives au prix du raisin

La gravité des pratiques

389. Afin d’apprécier la gravité de la pratique en cause, il convient d’examiner successivement la nature de l’infraction, ses conditions de mise en œuvre et les circonstances qui lui sont propres.

390. Les organismes mis en cause soutiennent, en premier lieu, que les pratiques ne visaient pas à fixer les prix, mais uniquement à établir une référence pouvant servir de base de négociations aux opérateurs. Les recommandations en cause n’auraient, d’ailleurs, pas été suivies en pratique. En deuxième lieu, ils soulignent que les pratiques n’étaient pas sophistiquées et qu’aucune mesure de surveillance ou de police n’a jamais été mise en œuvre pour s’assurer du respect des recommandations. Pour cette raison, leur gravité en aurait été atténuée. En troisième lieu, les pratiques auraient été mises en œuvre de bonne foi et en toute transparence, ce dont attesterait le fait que des agents de l’administration étaient présents lors des différentes réunions litigieuses. En quatrième lieu, ils soulignent que la DGCCRF a constaté récemment des pratiques de recommandation tarifaire dans le secteur viticole, sans toutefois que ces enquêtes aboutissent à l’imposition de la moindre sanction pécuniaire.

391. Par ailleurs, le CIVA considère que la difficulté d’appréhension et la complexité du cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent les pratiques doivent être prises en compte pour apprécier leur gravité.

392. À titre liminaire, il sera rappelé que les pratiques consistant à coordonner les prix d’entreprises concurrentes sont considérées comme relevant des pratiques les plus graves en droit national et européen de la concurrence, compte tenu de leurs conséquences sur l’effectivité du jeu concurrentiel.

393. En l’espèce, l’infraction constatée consiste en une concertation entre le CIVA, le GPNVA et l’AVA sur le prix du raisin. En établissant en commun des recommandations tarifaires sur le prix du raisin, les organismes en cause ont manipulé un paramètre essentiel du jeu de la concurrence.

394. Ces pratiques ont faussé l’évolution normale des prix des raisins dans la mesure où même si les prix négociés ne revêtent pas un caractère impératif, ils fournissent à chaque entreprise une indication sur les prix attendus par la profession. Ce faisant, elles incitent les concurrents à aligner leur comportement sur celui des autres sans tenir compte de leurs propres coûts.

395. De telles pratiques présentent, de surcroît, un caractère particulièrement grave dans la mesure où elles ont été mises en œuvre par des organisations professionnelles – syndicales et interprofessionnelle – qui, du fait de leur mission, sont tenus de veiller au respect de la légalité et de diffusion du droit applicable.

396. La gravité des pratiques est accentuée par leur durée. Il a, en effet, été constaté que les pratiques relatives au prix du raisin ont été mises en œuvre de façon continue à l’occasion de chaque récolte de 2008 à 2017, soit une période de 9 ans.

397. Contrairement à ce que soutiennent les entités mises en cause, la seule présence de représentants de l’administration lors de certaines réunions n’est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques. C’est également le cas des prises de position de l’administration au cours des discussions avec les mis en cause.

398. En effet, le communiqué sanctions prévoit que peut être pris en compte comme circonstance atténuante le fait que « l’infraction a été autorisée ou encouragé par les autorités publiques » (paragraphe 45). Bien qu’il ne soit pas appliqué au cas d’espèce, il « synthétise la pratique décisionnelle de l’Autorité en matière de sanctions pécuniaires, telle que celle-ci s’est développée sous le contrôle juridictionnel de la cour d’appel de Paris, elle-même placée sous celui de la Cour de cassation » (paragraphe 6).

399. Or, au cas d’espèce, l’administration n’a pas encouragé ou autorisé les pratiques, que ce soit à travers sa présence lors des réunions des mis en cause ou sa participation aux discussions menées dans ce cadre.

400. Le cas d’espèce contraste à cet égard avec celui qui a donné lieu à la décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône. En effet, dans cette décision, l’Autorité avait retenu comme facteur d’atténuation de la gravité des pratiques la circonstance que, sur la base d’échanges avec l’administration, l’entité sanctionnée avait pu estimer qu’elle pouvait bénéficier d’une exemption individuelle sur les pratiques qu’elle envisageait de mettre en œuvre : « selon les dires du syndicat, après les échanges intervenus, dès octobre 2010, avec la Direccte PACA sur les pratiques qu’ils envisageaient, et en dépit de contacts par ailleurs fréquents entre la Direccte et les instances syndicales, ces dernières auraient estimé pouvoir bénéficier de l’exemption prévue au L. 420-4 du code du commerce, au moins jusqu’à la réception de la lettre de mise en garde de l’administration en janvier 2012 »244 (soulignement ajouté).

401. À l’inverse, comme indiqué au paragraphe 310 ci-dessus, la participation de l’administration aux réunions en cause n’a aucunement conduit à évoquer le bénéfice d’une exemption mais a, au contraire, permis d’avertir explicitement les mis en cause du caractère anticoncurrentiel de leurs discussions.

402. En outre, l’Autorité relève qu’à la suite de cette mise en garde, certaines déclarations tenues par un représentant des producteurs-négociants et un membre élu de l’AVA lors de réunions au sein de l’AVA témoignent d’une volonté d’organiser les discussions sur le prix du raisin, en dehors de la présence de l’administration (Tableau 3 – comptes rendus des réunions du conseil d’administration de l’AVA du 19 février 2015 et du 16 juillet 2015).

403. Par ailleurs, la circonstance que la DGCCRF ait pu enjoindre, dans plusieurs décisions, à des organismes professionnels de cesser des pratiques de recommandations tarifaires et d’informer leurs membres du caractère illicite des pratiques de concertation tarifaire245, sans pour autant prononcer des sanctions pécuniaires, ne peut justifier une atténuation de la gravité des pratiques.

404. En effet, d’une part, l’Autorité n’est pas liée par les choix du ministre chargé de l’économie d’ordonner des injonctions et/ou de proposer des transactions, conformément à l’article L. 464-9 du code de commerce lorsqu’elle examine des pratiques mises en oeuvre dans le même secteur ou impliquant les mêmes organismes. D’autre part, l’Autorité relève que le ministre chargé de l’économie a déjà conclu une transaction dans le secteur de la commercialisation des vins du Languedoc pour des pratiques de recommandation tarifaire246 et qu’elle a elle-même prononcé des sanctions pécuniaires pour des pratiques de recommandations tarifaires dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône247, de sorte que les organismes mis en cause ne sauraient utilement arguer de l’absence de précédents pour justifier la méconnaissance des règles de concurrence en l’espèce.

405. Contrairement à ce que soutient le CIVA, le motif tiré de la complexité du cadre réglementaire applicable au secteur n’est pas de nature à atténuer la gravité des pratiques dans la mesure où, d’une part, il existe une pratique décisionnelle abondante des autorités de concurrence s’agissant des pratiques de coordination en matière tarifaire et, d’autre part, le cadre réglementaire applicable était dépourvu d’ambiguïté. Au surplus, il convient de souligner qu’à supposer que le CIVA ait douté de la légalité des pratiques en cause, il était en mesure de solliciter la Commission européenne avant de les mettre en oeuvre afin qu’elle se prononce sur l’application des règles de concurrence aux pratiques en cause, selon les modalités décrites au paragraphe 181 ci-dessus, ce qu’il n’a pas fait.

406. Néanmoins, certaines caractéristiques propres aux pratiques en cause permettent d’en atténuer la gravité.

407. Tout d’abord, les éléments au dossier révèlent leur absence de sophistication248. En effet, les recommandations étaient élaborées dans le cadre du fonctionnement ordinaire des organismes en cause, au cours des réunions de leurs instances dirigeantes.

408. Par ailleurs, il ne résulte pas de l’instruction que les recommandations tarifaires se soient accompagnées de pression ou de représailles ou de sanction à l’encontre des opérateurs qui ne les auraient pas respectées. Ces éléments sont de nature à tempérer la gravité des pratiques249.

Le dommage à l’économie

409. Afin d’apprécier le dommage causé à l’économie par cette pratique, il convient d’examiner successivement l’ampleur de l’infraction en cause, les caractéristiques économiques des activités concernées et les conséquences conjoncturelles de la pratique.

410. Les organismes mis en cause considèrent que les pratiques en cause n’ont pas pu avoir le moindre effet sur le marché dans la mesure où il n’est pas établi que les recommandations tarifaires ont été effectivement suivies par les opérateurs. Elles ajoutent que les discussions sur le prix des raisins ne concernaient que le négoce, de sorte qu’elles excluaient les coopératives, ce qui doit conduire à relativiser fortement le dommage à l’économie. Enfin, selon les entités en cause, les relations déséquilibrées du fait de la puissance de la grande distribution excluent tout effet des pratiques sur les prix pratiqués aux consommateurs. En conséquence, aucun dommage à l’économie ne pourrait en l’occurrence être établi.

411. Néanmoins, s’agissant de l’ampleur des pratiques, il a été constaté qu’elles ont été mises en œuvre sur l’ensemble du territoire national et couvraient l’ensemble des cépages alsaciens (Chasselas, Sylvaner, Pinot Blanc, Riesling, Muscat, Pinot Gris, Gewurztraminer et Pinot Noir).

412. Les pratiques ont, en outre, été mises en œuvre par trois organismes professionnels représentant, ensemble, la totalité des viticulteurs, vignerons, et négociants professionnels du vignoble alsacien. Contrairement à ce que soutiennent les parties, ces pratiques ont bien concerné les caves coopératives, qui sont, à travers Coop de France Alsace, membres de l’AVA et ont, en tout état de cause, pu être incités à respecter les recommandations tarifaires sur le prix du raisin250.

413. S’agissant des caractéristiques du secteur, la cour d’appel de Paris a considéré que « les éventuelles difficultés du secteur concerné par les pratiques ne figurent pas parmi les critères énumérés par l’article L. 464-2 du code de commerce pour l’évaluation des sanctions »251.

414. Cependant, certaines caractéristiques du secteur, telles que l’hétérogénéité des exploitations vinicoles, ont pu limiter l’efficacité de consignes de prix relativement générales, qui n’étaient pas nécessairement adaptées à la situation individuelle des exploitations.

415. S’agissant des conséquences conjoncturelles des pratiques, les pratiques ont été de nature à inciter, compte tenu du rôle des organismes en cause, des concurrents à aligner leur comportement sur un niveau de prix qui ne résulte pas du libre jeu de la concurrence.

416. Il ressort, en effet, du dossier que certains contrats de transferts de raisin antérieurs à la fin de l’année 2012 faisaient bien référence au prix CIVA (voir paragraphes 87 et 88 ci-dessus) et que certaines déclarations postérieures indiquent que les recommandations de prix sont dans l’ensemble respectées (voir Tableau 3 – Comptes rendus du conseil d’administration de l’AVA du 23 octobre 2014 et du 13 avril 2017).

417. Pour autant, plusieurs déclarations des acteurs du secteur attestent des écarts qui pouvaient parfois exister entre les prix recommandés et les prix effectivement pratiqués. À titre d’exemple, selon les déclarations de l’AVA, lors de son rassemblement général de 2015 et rappelées par la revue spécialisée Vitisphère, les prix de base pour certains cépages mentionnés dans des contrats de transfert de raisins réceptionnés par le CIVA pour la campagne 2014 étaient en partie inférieurs aux prix recommandés252 :

« Lors de son assemblée générale 2015, le mardi 1er septembre, à Colmar (Haut- Rhin), l’Ava a présenté un résumé des prix de base effectivement mentionnés dans les contrats réceptionnés par l’interprofession (Civa) pour la campagne 2014. Il en ressort que 40 % de la surface des raisins sylvaner ont été payés entre 1,02 et 1,09 €/kg et 60 % entre 1,10 et 1,15 €/kg, pour un prix recommandé par l’Ava de 1,10 €/kg. Plus de la moitié de la surface des raisins gewurztraminers (sic) a été réglée entre 1,95 et 1,99 €/kg, proche de la consigne du syndicat (1,97 €/kg). Le riesling reste un cépage qui inquiète. Plus de la moitié de la surface des raisins a été rémunérée entre 1,18 et 1,34 €/kg, bien loin du minimum syndical fixé en 2014 à 1,44 €/kg » (soulignements ajoutés).

418. De même, si l’AVA a reconnu elle-même lors de ce rassemblement que sa recommandation contribuait « à faire augmenter le prix du raisin » 253, d’autres déclarations de l’AVA peuvent laisser penser que les hausses du prix des raisins obtenues n’étaient pas pleinement répercutées sur les prix des vins en vrac et des vins en bouteille.

419. En ce sens, le compte rendu du conseil d’administration de l’AVA du 23 octobre 2014 relate : « M. A... [Membre élu de l’AVA] : […] Il est à noter qu’un grand nombre d'entreprises du vignoble a augmenté les prix d'achat des raisins pour la récolte 2014 et joué le jeu en suivant la recommandation syndicale. […], il faut maintenant que l’effort d’augmentation des prix se reflète sur les prix des vins en vrac et sur les prix des vins en bouteilles. Il indique que les chiffres communiqués par le CIVA sont encourageants et souligne l’élan commercial formidable au niveau des ventes de vins d’Alsace à l’export. Il faut continuer à travailler sur la valorisation du produit et des raisins. »254 (soulignement ajouté).

420. Enfin, les effets de la concertation sur le prix des raisins ont pu, au moins en partie, être atténués dans le contexte de l’espèce, où les acteurs du secteur étaient susceptibles d’être confrontés aux pressions sur les prix exercées par les opérateurs situés en aval (notamment la grande distribution).

421. Compte tenu de ce qui précède, il convient de considérer que les pratiques ont causé un dommage certain mais très limité à l’économie.

L’individualisation des sanctions

422. Les organismes mis en cause soutiennent chacun que, dans l’hypothèse où, au titre du communiqué sanctions, l’Autorité devait retenir l’ensemble de leurs ressources et cotisations en lien avec la commercialisation des vins pour déterminer la valeur des ventes, elle devrait constater que chaque organisme exerce des missions en lien avec une activité « mono-produit », et ce conformément au paragraphe 48 du communiqué sanctions. Dès lors, une réduction de leur sanction devrait être appliquée.

423. Toutefois, comme expliqué infra, dès lors que les mis en cause ne disposent pas eux-mêmes d’un chiffre d’affaires, la méthode prévue par le communiqué sanctions n’est pas applicable au cas d’espèce.

424. Au cas d’espèce, il n’y a pas lieu de retenir de circonstance aggravante ou atténuante propre à la situation individuelle des mis en cause.

Le montant des sanctions

425. Compte tenu de la gravité des pratiques, du dommage qu’elles ont causé à l’économie et en l’absence de circonstance aggravante et atténuante, l’Autorité inflige une sanction pécuniaire de 26 000 euros à l’égard de l’AVA, 2 000 euros à l’égard du GPNVA et 139 000 euros à l’égard du CIVA.

La vérification du respect du maximum légal

426. Aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce, « lorsque le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 3 millions d’euros ». Cependant, le choix de la mise en œuvre de la procédure simplifiée entraîne un abaissement du plafond de l’amende, qui ne peut alors excéder 750 000 euros. Ce plafond n’est atteint en l’espèce aucune des parties.

b) En ce qui concerne les pratiques relatives au prix du vin en vrac

La gravité des pratiques

427. Le CIVA soutient, en premier lieu, que les pratiques en cause ne constituent pas une « consigne tarifaire » mais s’inscrivent dans le champ des dispositions du règlement OCM et du code rural et de la pêche maritime. En deuxième lieu, il souligne que les pratiques n’étaient pas sophistiquées et qu’aucune mesure de surveillance ou de police n’a jamais été mise en œuvre pour s’assurer du respect des recommandations. En troisième lieu, la DGCCRF a constaté récemment des pratiques de recommandation tarifaire dans le secteur viticole, sans toutefois que ces enquêtes n’aboutissent à l’imposition de la moindre sanction pécuniaire. Enfin, le CIVA considère que la difficulté d’appréhension, et la complexité du cadre réglementaire dans lequel s’inscrivent les pratiques, doivent être prises en compte pour apprécier leur gravité.

428. S’agissant de la nature de l’infraction, comme indiqué au paragraphe 392 ci-dessus, les pratiques consistant à coordonner les prix d’entreprises concurrentes sont considérées comme relevant des pratiques les plus graves en droit national et européen de la concurrence, au vu de leurs conséquences sur l’effectivité du jeu concurrentiel.

429. Ces pratiques ont incité des producteurs concurrents à se détourner d’une fixation de leurs prix sur la base d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts respectifs, limitant ainsi le libre jeu de la concurrence.

430. La gravité des pratiques reprochées au CIVA est accentuée par la circonstance que celles-ci ont été mises en œuvre sur une période exceptionnellement longue, à savoir 37 ans.

431. La gravité est également accentuée par la circonstance que les pratiques ont été mises en œuvre par une organisation interprofessionnelle – reconnue depuis 2014 par l’État – qui collecte dans le cadre de ses missions des données qui ont été exploitées à des fins anticoncurrentielles.

432. L’argument du CIVA tiré de la circonstance que les pratiques en cause ne constitueraient pas une « consigne tarifaire » renvoie à la qualification des pratiques, dont la nature anticoncurrentielle par objet a été démontrée supra.

433. Par ailleurs, comme indiqué au paragraphe 403 ci-dessus, la circonstance que la DGCCRF ait pu constater des pratiques de recommandations tarifaires dans le secteur viticole, sans que des sanctions pécuniaires aient été prononcées, ne peut justifier une atténuation de la gravité des pratiques.

434. S’agissant de la complexité et de la difficulté d’appréhension alléguées du cadre réglementaire, l’Autorité renvoie à ses développements au paragraphe 405 ci-dessus.

435. Néanmoins, certaines caractéristiques propres aux pratiques en cause permettent d’en atténuer la gravité. En effet, les pratiques en cause sont marquées par leur faible degré de sophistication et l’absence de mécanisme de représailles. Or, ces éléments sont, à la lumière de la pratique décisionnelle, autant d’éléments qui peuvent venir tempérer la gravité des faits sanctionnés255.

Le dommage à l’économie

436. Afin d’apprécier le dommage causé à l’économie par cette pratique, il convient d’examiner successivement l’ampleur de l’infraction en cause, les caractéristiques économiques des activités concernées et les conséquences conjoncturelles de la pratique.

437. Selon le CIVA, il n’est pas établi que les recommandations tarifaires ont été effectivement suivies par les opérateurs.

438. Par ailleurs, toujours selon le CIVA, la puissance de la grande distribution et le caractère, partant, déséquilibré des relations entre opérateurs, excluent tout effet des pratiques sur les prix pratiqués aux consommateurs. En conséquence, aucun dommage à l’économie ne serait démontré, en l’espèce.

439. S’agissant de l’ampleur des pratiques, l’Autorité renvoie au paragraphe 411 ci-dessus qui s’applique pour les pratiques en cause. En outre, il convient de relever que celles-ci ont été mises en œuvre par le CIVA, organisation interprofessionnelle, qui regroupe l’ensemble des acteurs de la production et du négoce (dont l’AVA et le GPNVA).

440. S’agissant des caractéristiques du secteur, l’Autorité renvoie aux paragraphes 412 et 414 ci-dessus qui s’appliquent également aux pratiques litigieuses.

441. S’agissant des conséquences conjoncturelles des pratiques, si celles-ci ont incité, compte tenu notamment du rôle de l’interprofession, les producteurs de vin en vrac à se détourner d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, il ne peut être affirmé, sur la base du dossier d’instruction, que les recommandations tarifaires étaient respectées pendant la durée des pratiques.

442. En tout état de cause, les effets de la concertation sur le prix du vin en vrac ont pu au moins en partie être atténués dans le contexte de l’espèce, où les acteurs du secteur sont susceptibles de faire face aux pressions sur les prix exercées par les opérateurs situés en aval (notamment la grande distribution).

443. Compte tenu de la durée exceptionnellement longue des pratiques et du poids particulier des recommandations de l’organisation interprofessionnelle de la filière, l’Autorité estime dans les circonstances de l’espèce que le dommage à l’économie est certain mais sans doute d’envergure limitée.

L’individualisation des sanctions

444. Les organismes mis en cause soutiennent chacun que dans l’hypothèse où, au titre du communiqué sanctions, l’Autorité devait retenir l’ensemble de leurs ressources et cotisations en lien avec la commercialisation des vins pour déterminer la valeur des ventes, elle devrait constater que chaque organisme exerce des missions en lien avec une activité « mono-produit », et ce conformément au paragraphe 48 du communiqué sanctions. Dès lors, une réduction de leur sanction devrait être appliquée.

445. Toutefois, comme expliqué infra, dès lors que les mis en cause ne disposent pas eux-mêmes d’un chiffre d’affaires, la méthode prévue par le communiqué sanctions n’est pas applicable au cas d’espèce.

446. Au cas d’espèce, il n’y a pas lieu de retenir de circonstance aggravante ou atténuante propre à la situation individuelle du CIVA.

Le montant des sanctions

447. Compte tenu de la gravité des pratiques, du dommage qu’elle a causé à l’économie et en l’absence de circonstance aggravante et atténuante, l’Autorité inflige une sanction pécuniaire de 209 000 euros à l’égard du CIVA.

La vérification du respect du maximum légal

448. Aux termes de l’article L. 464-2 du code de commerce, « lorsque le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 3 millions d’euros ». Cependant, le choix de la mise en œuvre de la procédure simplifiée entraîne un abaissement du plafond de l’amende, qui ne peut alors excéder 750 000 euros. Ce plafond n’est pas atteint en l’espèce.

H. SUR LES INJONCTIONS DE PUBLICATION ET DE COMMUNICATION

449. Compte tenu des faits constatés par la présente décision et des pratiques sanctionnées, il y a lieu d’ordonner la publication, aux frais partagés des parties et au prorata des sanctions pécuniaires, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal « L’Alsace » ainsi que dans la « revue des vins d’Alsace » du résumé de la présente décision figurant ci-après :

L’Autorité de la concurrence (ci-après « l’Autorité ») a rendu le 17 septembre 2020 une décision par laquelle elle sanctionne deux organisations syndicales, l’Association des Viticulteurs d’Alsace (ci-après « l’AVA ») et le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien (ci-après « le GPNVA »), ainsi qu’une organisation interprofessionnelle, le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace (ci-après « le CIVA »), pour des pratiques contraires à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article L. 420-1 du code de commerce.

Cette décision fait suite à la communication par la DGCCRF de différentes pièces relatives à des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des vins d’Alsace.

En premier lieu, l’Autorité a sanctionné l’AVA, le GPNVA et le CIVA pour avoir participé à une infraction, unique, complexe et continue relative au prix du raisin entre 2008 et 2017. Ces organismes se sont concertés afin d’établir des recommandations de prix du raisin pour chaque récolte. Sur la base de cette concertation, les recommandations ont été publiées dans la revue des Vins d’Alsace à partir de 2013.

Sont infligées au titre de ces pratiques, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 26 000 euros à l’AVA ;

- 2 000 euros au GPNVA ; et

- 139 000 euros au CIVA.

En second lieu, l’Autorité a sanctionné le CIVA, à hauteur de 209 000 euros, pour avoir mis en oeuvre entre 1980 et 2018 une entente visant à donner, pour chaque récolte, à ses adhérents, des recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac. Ces recommandations étaient publiées chaque année au mois de décembre, au moment où le vin en vrac devient commercialisable.

En élaborant et diffusant des consignes de prix, un syndicat professionnel ou une organisation interprofessionnelle incite ses adhérents à se détourner d’une appréhension directe de leur stratégie commerciale leur permettant d’établir leur prix de façon indépendante et fausse les négociations avec les clients.

En outre, l’Autorité a indiqué que les pratiques de ces organisations ne pouvaient bénéficier d’une exemption individuelle à la prohibition des ententes dans la mesure où la réalité du progrès économique apporté par ces pratiques n’était pas avérée.

Le texte intégral de la décision de l’Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr.

450. En outre, il est enjoint au GPNVA et à l’AVA d’envoyer le résumé figurant au paragraphe 449, à leurs membres et au CIVA, de l’envoyer à ses membres titulaires. Cet envoi interviendra par le biais d’une lettre d’information.

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que l’Association des Viticulteurs d’Alsace, le Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien et le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace ont enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre, entre le 2 juillet 2008 et le 16 novembre 2017, une infraction unique, complexe et continue relative au prix du raisin.

Article 2 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l’article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :

- 26 000 euros à l’Association des Viticulteurs d’Alsace ;

- 2 000 euros au Groupement des Producteurs-Négociants du Vignoble Alsacien ; et

- 139 000 euros au Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace.

Article 3 : Il est établi que le Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace a enfreint les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du code de commerce en mettant en œuvre, entre le 31 décembre 1980 et le 1er décembre 2018, une entente consistant en l’élaboration et la diffusion de recommandations tarifaires sur le prix du vin en vrac.

Article 4 : Est infligée, au titre des pratiques visées à l’article 3, la sanction pécuniaire suivante :

- 209 000 euros au Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace.

Article 5 : Il est enjoint aux entités sanctionnées d’insérer, à frais partagés et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, le texte figurant au paragraphe 449 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans l’édition papier et sur le site Internet du journal « L’Alsace » ainsi que dans la « revue des vins d’Alsace ». Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : « Décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-D-12 du 17 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace ». Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris si un tel recours est exercé. Les entités sanctionnées adresseront, sous pli recommandé, au service de la procédure, copie de cette publication, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision.

Article 6 : L’ensemble des entités sanctionnées enverront le texte figurant au paragraphe 449 de la présente décision, à leurs membres. S’agissant du Comité Interprofessionnel des Vins d’Alsace, le texte devra être envoyé à ses membres titulaires. Ce message sera intitulé : « Décision de l’Autorité de la concurrence n° 20-D-12 du 17 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des vins d’Alsace » et portera le résumé en corps de texte ; celui-ci pourra être suivi de la mention selon laquelle la décision a fait l’objet de recours devant la cour d’appel de Paris si un tel recours est exercé. Les entités sanctionnées adresseront, sous pli recommandé, au service de la procédure, copie de cet envoi, qui interviendra par le biais d’une lettre d’information, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision.

NOTES :

1 Ce résumé a un caractère strictement indicatif. Seuls font foi les motifs de la décision numérotés ci-après.

2 Également appelé dans la notification de griefs, le groupement national des producteurs de vin d’Alsace.

3 Cote 17.

4 https://www.vinsalsace.com/fr/terroirs/travaux-de-la-vigne/category/vinification-en-blanc/#!/filtration/

5 https://www.vinsalsace.com/fr/terroirs/travaux-de-la-vigne/category/vinification-en-rouge/#!/embouteillage- rouge/

6 https://www.vinsalsace.com/fr/terroirs/travaux-de-la-vigne/category/elaboration-du-cremant-dalsace/#!/la- seconde-fermentation/

7 Loi n° 72-628 du 5 juillet 1972 relative à la commercialisation des vins à appellation d'origine contrôlée « Vin d'Alsace » ou « Alsace ».

8 Cote 17.

9 Cote 14575.

10 Cote 17.

11 Voir les articles 209, 210 et 152 paragraphe 1 du règlement OCM.

12 L’organisation professionnelle du vignoble d’Alsace, Pierre Bouard, Revue d’Alsace, 137/2011, pp. 135-149, paragraphe 10, disponible à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/alsace/1193.

13 Cote 2546.

14 Cote 537.

15 Cote 2554.

16 Cote 2549.

17 Voir les feuilles de présence aux assemblées générales de l’AVA (cotes 2 431 à 2 487).

18 Cote 484.

19 L’organisation professionnelle du vignoble d’Alsace, Pierre Bouard, Revue d’Alsace, 137/2011, pp. 135-149, paragraphes 43 et 44, disponible à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/alsace/1193.

20 Cote 2157.

21 Cote 2158.

22 Décret du 22 avril 1963 modifié portant création d'un comité interprofessionnel du vin d'Alsace.

23 Cote 488.

24 Loi n° 75-600 du 10 juillet 1975 relative à l'organisation interprofessionnelle agricole.

25 Arrêté du 9 août 2016 relatif à l'extension de l'accord interprofessionnel 2016-2019 conclu dans le cadre du comité interprofessionnel du vin d'Alsace (CIVA).

26 Cotes 495 à 500.

27 Cote 496.

28 Arrêté du 16 février 1988 relatif à la liste des organisations et syndicats les plus représentatifs appelés à désigner les membres du comité interprofessionnel du vin d'alsace.

29 Voir les rapports d’activité du CIVA cotes 414 à 477 et notamment cote 421 ou cote 442.

30 Cote 421.

31 Cote 421.

32 Préfet de la Région Alsace, Commissaire du Gouvernement près le CIVA ou son représentant, le Directeur Régional de l’Agriculture et de la Forêt de la région Alsace, Directeur Départemental de l’Agriculture et de la Forêt du Bas-Rhin, Commissaire-Adjoint du Gouvernement près le CIVA ou son représentant, le Président de l’Institut National des Appellations d’Origine ou son représentant, le Directeur Départemental de l’Agriculture et de la Forêt du Haut-Rhin ou son représentant, les Directeurs Régionaux des Douanes et des Droits Indirects des circonscriptions de Strasbourg et Mulhouse ou leurs représentants, le Directeur Régional de la Concurrence, Consommation et Répression des Fraudes ou son représentant, les Présidents des Chambres d’agriculture du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ou leurs représentants. Voir le code de fonctionnement du CIVA (cotes 496 et 497).

33 Cote 497.

34 Cotes 488 et 489.

35 Cote 499.

36 Cote 105.

37 Cote 239.

38 La COOP de France, devenue en décembre 2019 « La Coopération Agricole », est la représentation unifiée des coopératives agricoles, agroalimentaires, agro-industrielles et forestières françaises.

39 Voir à titre d’exemple la composition cote 1863 pour 2006 et cote 1872 pour 2016.

40 Cotes 1905 et 1906.

41 Cote 2570.

42 Cote 83.

43 Cote 480.

44 Cote 2569.

45 Cote 1756.

46 Prix courants des produits agricoles sur les marchés.

47 Cote 16129.

48 Cote 274.

49 Cote 97.

50 Cote 1813.

51 Cote 621.

52 Cotes 1968 et 1969.

53 Cote 1756.

54 Cote 1758.

55 Cote 1759.

56 Cote 1759.

57 Cote 1763.

58 Cote 1772.

59 Cote 1778.

60 Cote 1778.

61 Cote 1781.

62 Cote 1826

63 Cotes 534 et 535.

64 Cotes 14013 à 14015.

65 Cote 14222.

66 Cotes 14490 et 14493.

67 Cotes 14181 et 14188.

68 Cote 14415.

69 Cote 1906.

70 Cote 83.

71 Cotes 870 et 1927.

72 Cote 1855.

73 Cote 1069.

74 Cote 1436.

75 Cote 1906.

76 Cote 625.

77 Cote 626.

78 Cote 632.

79 Cote 531.

80 Cote 531.

81 Cote 14579.

82 Cote 640.

83 Cotes 534 et 535.

84 Cote 644.

85 Cote 642.

86 Cote 1908.

87 Cote 651.

88 Cote 84.

89 Cotes 252 et 253.

90 Cote 225.

91 Cotes 238 et 239.

92 Cotes 1831 et 1833.

93 Cotes 274 et 275.

94 Cotes 1837 et 1838.

95 Décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires et décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives.

96 Cote 1837.

97 Cote 1842.

98 Cote 629.

99 Cote 627.

100 Cotes 298 et 299.

101 Cote 132.

102 Cotes 14494, 2339, 581, 2349, 2357 et 2 365.

103 Cote 14625.

104 Cote 2339.

105 Cotes 14584 à 14591.

106 Cote 14625.

107 Cotes 14622 à 14629.

108 Perte de volume ou de poids subie par une marchandise lors de sa fabrication ou de son transport.

109 Les bourbes sont les déchets issus du pressurage du raisin non fermenté, elles contiennent des particules solides issues des peaux et des pépins.

110 Levures mortes et résidus végétaux qui sédimentent à l’issue de la fermentation du vin formant alors des particules solides.

111 Cote 14591.

112 Ce résultat est obtenu par le calcul de la moyenne de la majoration totale estimée par trimestre. Le taux est égal à 5,0 % + 2,0 % + 2,4 % au premier trimestre, à 5,0 % + 2,0 % + 2 x 2,4 % au deuxième trimestre, etc.

113 Cote 14 591.

114 Ajout réglementé de sucre au moût de raisin avant ou pendant la fermentation, afin d'obtenir un meilleur équilibre du vin.

115 Cote 14626.

116 Cote 16161.

117 Cotes 16161 et 16162.

118 Cote 14627.

119 Cote 14581.

120 Cote 16130.

121 Cotes 17968 et 17969.

122 Cote 14591.

123 Cote 14586.

124 Décision n° 10-D-11 du 24 mars 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par le Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF) concernant le renouvellement des lunettes de vue, paragraphe 53.

125 Décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequin, paragraphe 235.

126 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 6 juin 2013, Gefil, n° 2012/02945, page 8. Voir également en ce sens décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques s’opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l’occasion d’appels d’offres en matière d’examens anatomo-cyto- pathologiques, paragraphe 111.

127 Arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 octobre 2000, Syndicat national des ambulanciers de montagne, N° 2000/05907.

128 Décision n° 05-D-55 du 12 octobre 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la production d'huiles essentielles de lavande et de lavandin, paragraphe 96.

129 Décision de la Commission européenne du 2 avril 2003 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire COMP/C.38.279/F3 — Viandes bovines françaises).

130 Décision de la Commission européenne du 2 avril 2003 relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (Affaire COMP/C.38.279/F3 — Viandes bovines françaises), paragraphes 112 et 114.

131 Arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV) et Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et autres contre Commission des Communautés européennes, T-217/03 et T-245/03, points 99 à 101, confirmé par la Cour de justice (arrêt du 18 décembre 2008, Coop de France bétail et viande e.a. contre Commission européenne, C-107/07 P et C-110/07 P).

132 Arrêt de la Cour de cassation du 31 janvier 2012, France Télécom, n°10-25772, 10-25775 et 10-25882.

133 Arrêt de la Cour de Justice du 30 janvier 1985, Bureau national interprofessionnel du cognac/Guy Clair, affaire 123/83, point 29.

134Règlement (UE) n ° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, article 209 paragraphe 2 alinéa 4.

135Règlement (UE) n ° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil, article 209 paragraphe 2 alinéa 4.

136 Voir Règlement (CEE) n° 26 du Conseil du 4 avril 1962 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles, Règlement (CE) n° 1184/2006 du Conseil du 24 juillet 2006 portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles et Règlement (CE) n° 1234/2007 du Conseil du 22 octobre 2007 portant organisation commune des marchés dans le secteur agricole et dispositions spécifiques en ce qui concerne certains produits de ce secteur (règlement OCM unique).

137 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-41 du 24 mars 2014 relative à la prise de contrôle conjoint d’actifs vinicoles par les sociétés Castel Frères et Domaines Listel, paragraphe 9.

138 Voir notamment les décisions de la Commission du 17 juillet 2008, COMP/M.5114, Pernod Ricard/V & S, et du 31 mars 2011, COMP/M.6149, Suntory/Castel GMdF/Savour Club/MAAF Subsidiaries ; et de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-41 du 24 mars 2014, précitée, points 13 et 17.

139 Voir notamment arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30/05, point 86 ; et décision de l’Autorité de la concurrence n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques, paragraphes 574 et 575.

140 Voir notamment arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni SpA, C-49/92, point 40.

141 Voir notamment arrêt de la Cour de justice du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a, 40/73, points 175 et 179. 142 Arrêts de la Cour de justice du 15 mai 1975, Frubo contre Commission, 71/74, point 30 et arrêt de la Cour de justice du 30 janvier 1985, Clair, 123/83, point 20.

143 Voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T-193/02, Rec. p. II-209, point 69 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Eurofer/Commission, T-136/94, Rec. p. II-263, point 9.

144 Voir notamment arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, point 232, du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, point 98, du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, points 85 et 86, et du 20 mars 2002, T-21/99, Dansk Rorindustri/Commission, point 48 et décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express.

145 Voir notamment l’arrêt du Tribunal du 12 juillet 2018, Silec Cable SAS, T-438/14, point 151.

146 Voir notamment, arrêt de la Cour de justice du 2 avril 2020, C-228/18, Gazdasági Versenyhivatal c./ Budapest Bank Nyrt. e.a.,, points 37 et 38.

147 Voir notamment, arrêt précité du 2 avril 2020, C-228/18, point 35, arrêt de la Cour de justice du    20 janvier 2016, Toshiba Corporation/Commission, C-373/14 P, point 26 et arrêt de la Cour de justice du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C-382/12 P, points 184 et 185.

148 Décision n° 15-D-19 du 15 décembre 2015 relative à des pratiques mises en œuvre dans les secteurs de la messagerie et de la messagerie express, paragraphe 668. Voir au niveau européen à titre d’illustration, Commission européenne, décision du 5 février 1992, dossier 31.572 et 32.571, Industrie de la construction aux Pays-Bas ou encore Commission européenne, décision du 30 octobre 1996, dossier 34.503, Compagnies de ferries.

149 Voir notamment, arrêt de la Cour de justice du 14 mars 2013, précité, point 36.

150 Voir notamment décision n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme.

151 Voir arrêt de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, points 79 à 81, arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, Affaires jointes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, point 258, arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Commission européenne contre Verhuizingen Coppens NV, C-441/11 P, point 41 et arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce Inc. contre Commission européenne et Commission européenne contre Fresh Del Monte Produce Inc, C-293/13 P et C-294/13 P, point 156.

152 Arrêt du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens, T-110/07, point 246.

153 Arrêt de la Cour de justice, 19 décembre 2013, Siemens, C-239/11 P, point 248.

154 Arrêt de la Cour de justice du 11 décembre 1997, Job Centre, C-55/96, Rec. p. I-7119, point 21).

155 Arrêt du Tribunal du 30 mars 2000, Consiglio Nazionale degli Spedizionieri Doganali/Commission, T-513/93, Rec. p. II-1807, point 36).

156 Cote 1758.

157 Cote 1781.

158 Cote 1341.

159 Cote 1329.

160 Arrêt de la Cour de justice du 15 octobre 2002, affaire C-238/99, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a.  c/ Commission, point 57.

161 Décision du Conseil n° 05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne, décision du Conseil n° 07-D-16 du 9 mai 2007 relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales, décision de l’Autorité n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.

162 Avis n° 81/14 de la Commission de la concurrence du 20 novembre 1980 relatif à des pratiques constatées sur le marché du vin de Cahors.

163 Voir notamment Avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer, paragraphe 427.

164 Voir l’arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline, C-501/06 P, Rec. 2009, p. II-09291, point 82, et l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 décembre 2011, Compagnie Emirates.

165 Décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, paragraphe 559. Voir également arrêt de la Cour de justice du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, Rec. p. 19 ; arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM, T-213/00, Rec. p. II-00913, point 226.

166 Décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, paragraphe 575.

167 Voir, en ce sens, les décisions du Conseil de la concurrence n° 97-D-41 du 4 mars 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par différents syndicats du bâtiment affiliés à la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises (CAPEB), et n° 98-D-61 du 6 octobre 1998 relative à la situation de concurrence dans le secteur du traitement des ordures ménagères en Ile-de-France, et de l’Autorité de la concurrence n° 07-D-21 du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien du linge, et n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.

168 Cotes 1758 à 1761.

169 Cote 1908.

170 Voir, dans le même sens, les décisions n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme, paragraphe 111 ; n° 06-D-03 bis du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation, paragraphe 687 et n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne, paragraphe 107.

171 Arrêt de la Cour de justice Dansk Rørindustri e.a./Commission, précité, point 145.

172 Arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec.p. II-1711, point 232, du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 98, du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, points 85 et 86, et du 20 mars 2002, T-21/99, Dansk Rorindustri/Commission, Rec. 2002, p.II-1681, points 41 à 56).

173 Arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C 293/13 P et C 294/13 P, EU:C:2015:416, point 157.

174 Arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Commission européenne contre Verhuizingen Coppens NV, C-441/11 P, point 42, arrêt de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland A/S e.a / Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, point 83, arrêt du Tribunal du 19 septembre 2013, Masco Corp. e.a. / Commission, T-378/10, point 24 et arrêt de la Cour de justice du  8 juillet 1999, Anic Partecipazioni SpA, C-49/92, point 83.

175 Voir arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 janvier 2014, page 22.

176 Arrêt du Tribunal du 16 juin 2011, Team Relocations NV e.a / Commission, T-204/08 et T-212/08,  point 37.

177 Arrêts de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Verhuizingen Coppens, C-441/11 P, points 41 à 44, du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni précité, point 90, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland, point 86.

178 Cote 1068.

179 Cote 1068.

180 Cote 1853.

181 Cotes 1854 à 1857.

182 Cotes 1858 à 1862.

183 Cotes 2135 et 2136.

184 Cotes 298, 132 et 198.

185 Cote 1369.

186 Voir les comptes rendus des réunions qui se sont tenues en novembre 2012, octobre 2014, novembre 2014, décembre 2014 janvier 2015, février 2015, avril 2015, mai 2015, juin 2015, juillet 2015, août 2015, mars 2016, mars 2017, avril 2017, mai 2017, et en août 2017 (Cotes 1063, 1339,1352, 1365, 1378, 1395, 1417, 1428, 1441,1458, 1469, 1546, 1668, 1682, 1695 et 1737).

187 Cote 1678.

188 Cotes 1408 et 1410.

189 Cotes 2163, 2165, 2170, 2172 à 2176, 2178, 2180 et 2186.

190 Ce dont attestent les comptes rendus des réunions du comité de juillet 2008, janvier 2009, mars 2009, août 2009, mars 2010, mai 2011, janvier 2013, novembre 2013, aout 2014, novembre 2014, janvier 2015 et avril 2015 (Cotes 2008, 2015, 2018, 2024, 2031, 2050, 2074, 2077, 2092, 2101, 2108 et 2116).

191 Notamment celles de juin 2009, mai 2013, juin 2014, juin 2015 et mars 2016 (Cotes 1944, 1965, 1972, 1979 et 1987).

192 Cotes 2134 à 2136.

193 Cotes 1758 à 1761, 1762 à 1765, 1768 à 1772, 1777 à 1778, 1783 à 1786, 1787 à 1794, 1795 à 1798, 1802 à 1805, 1806 à 1810, 1817 à 1822, 1823 à 1827, 1831 à 1836 et 1837 à 1842. L’AVA était également représentée aux réunions de la commission paritaire des 11 mars 2014, 19 janvier et 3 août 2015 (cotes 1849 à 1862).

194 Cotes 1855 et 1069.

195 Cotes 1380 et 1381.

196 Cotes 1408 et 1410.

197 Cotes 625, 640, 644 et 1908.

198 Cote 534.

199 Cotes 1758 à 1765.

200 Cotes 1768 à 1772, 1777 à 1778, 1787 à 1794, 1783 à 1786, 1795 à 1798, 1802 à 1805, 1806 à 1810, 1817 à 1822, 1823 à 1827, 1831 à 1836, 1837 à 1842 et 1849 à 1862.

201 Cote 1777.

202 Cotes 1063 à 1075, 1326 à 1340, 1341 à 1353, 1431 à 1443, 1444 à 1459, 1535 à 1547, 1670 à 1684, 1658 à 1669 et 1711 à 1724.

203 Voir, notamment, l’arrêt de la Cour de justice du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, point 33.

204 Arrêt du Tribunal du 18 septembre 1996, Asia Motor France e.a./Commission, T-387/94, point 65.

205 Arrêt du Tribunal du 13 décembre 2006, Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV) et Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et autres contre Commission des Communautés européennes, T-217/03 et T-245/03.

206 Voir, en ce sens, la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-10 du 15 mars 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du chou-fleur de Bretagne.

207 Cote 84.

208 Cotes 252 et 253.

209 Arrêt de la Cour du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, C-8/08, point 23.

210 Arrêt du Tribunal du 24 mai 2012, MasterCard, T-111/08, point 243.

211 Arrêt de la Cour de justice du 12 septembre 2000, Pavel Pavlov, C-180/98 à C-184/98, points 73 à 77 et développements supra 252 et suivants. Le fait que les entreprises concernées exercent une profession réglementée est indifférent (arrêt de la Cour de justice, Pavel Pavlov, précité, point 77).

212 Voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 26 janvier 2005, Piau/Commission, T-193/02, Rec. p. II-209,  point 69 ; voir également, par analogie, arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Eurofer/Commission, T-136/94, Rec. p. II-263, point 9.

213 Arrêt de la Cour de justice du 27 janvier 1987, Verband der Sachversicherer, 45/85, points 29 à 32.

214 Arrêt de la Cour de justice du 19 février 2002, Wouters, C-309/99, point 64.

215 Arrêts de la Cour Consiglio nazionale dei geologi, précité, point 46 et Verband der Sachversicherer, précité, point 30.

216 Avis de l’Autorité n° 10-A-20 du 13 décembre 2010 relatif à deux projets de décrets imposant la contractualisation dans des secteurs agricoles.

217 Avis de l’Autorité n° 11-A-03 du 15 février 2011 relatif à un accord interprofessionnel dans le secteur ovin, paragraphes 85 à 87, avis n° 11-A-11 § 62 et 63.

218 Avis de l’Autorité n° 10-A-20 du 13 décembre 2010 relatif à deux projets de décrets imposant la contractualisation dans des secteurs agricoles.

219 Avis consultatif du Conseil d’État du 31 janvier 2018 sur un projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, paragraphe 7.

220 Cote 14626.

221 Avis n° 81/14 de la Commission de la concurrence du 20 novembre 1980 relatif à des pratiques constatées sur le marché du vin de Cahors.

222 Cotes 14626 et 14627.

223 Cotes 16127 à 16156 (documents produits à la suite de l’audition – question 12).

224 Cotes 16127 à 16156 (documents produits à la suite de l’audition – question 13 et tableaux Excel).

225 Cote 16159.

226 Cotes 16161 et 16162.

227 Cote 16162.

228 Cote 16130 (documents produits à la suite de l’audition question 12).

229 Cote 14587.

230 Cote 14575.

231 Cotes 14628 et suivantes.

232 Cotes 581, 2 349, 2357 et 2365.

233 Cote 14624.

234 Cotes 14624 et 14625.

235 Décision n° 94-D-51 du 4 octobre 1994 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du déménagement, décision n° 01-D-41 du 11 juillet 2001 relative à des pratiques mises en œuvre sur les marchés des titres restaurant et des titres emploi service, décision n° 04-D-07 du 11 mars 2004 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne et décision n° 12-D-06 du 26 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des agrégats et des marchés avals à Saint-Pierre et Miquelon.

236 Décision n° 94-D-51 précitée.

237 Cote 14 26.

238 Arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2016, Euro cargo rail, n° 14-28224 et de la cour d’appel de Paris du 26 octobre 2017, Caisse des dépôts et consignations, n° 17/01658, pp. 9 et 10.

239 Voir notamment le paragraphe 463 de la décision n° 16-D-20 du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins, confirmée par l’arrêt de la cour d’appel du 6 juillet 2017, société Smith & Smith Characters, n° 2016/22365.

240 Cote 16168.

241 Cote 14633.

242 Cote 16172.

243 Voir, en ce sens, la décision n° 07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d’orthoprothèses, paragraphe 93.

244 Décision n° 18-D-06 du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône, paragraphe 146.

245 Lettres de décision du 19 septembre 2013 au Comité interprofessionnel des Vins de Savoie et au Syndicat régional des Vins de Savoie et lettres de décision du 30 mars 2015 à la Fédération viticole de l’Anjou et de Saumur, au SDAOC Muscadet et à l’Union des maisons et des marques de vins de Loire.

246 Transactions conclues avec le Comité interprofessionnel des vins du Languedoc, Coop de France Languedoc-Roussillon et la Fédération régionale des vignerons indépendants du Languedoc-Roussillon en janvier et février 2015.

247 Décision précitée du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.

248 Voir en ce sens décision précitée du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins et décision précitée du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.

249 Voir en ce sens décision précitée du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins et décision précitée du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.

250 Cote 14575.

251 Arrêt de la cour d’appel du 26 janvier 2010, société Adecco France S.A.S, n° 2009/03532, confirmé par un arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, société Manpower France holding, pourvoi n° 10-12.913.

252 Cotes 534 et 535.

253 Cote 534.

254 Cote 1329.

255 Voir en ce sens décision précitée du 29 septembre 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations réalisées par les agences de mannequins et décision précitée du 23 mai 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des vins en vrac AOC des Côtes du Rhône.