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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 28 octobre 2020, n° 20/12867

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Global (SARL)

Défendeur :

Datafirst (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Chegaray, Mme Bongrand

T. com. Lyon, prés., du 31 août 2020

31 août 2020

La société de droit italien Global, qui a pour activité la production, l'assistance, la maintenance et la commercialisation de logiciels spécialisés pour le secteur automobile, a conclu, le 22 janvier 2002, avec la société Datafirst, un contrat de distribution du logiciel Datacar DMS, logiciel de gestion pour les concessionnaires automobiles, conçu par Datafirst.

Les parties ont conclu, le 26 octobre 2012, un nouveau contrat à durée déterminée de 36 mois, renouvelable par tacite reconduction d'un an, sauf dénonciation six mois avant le terme.

Par courrier en date du 28 mai 2020, la société Datafirst, invoquant le changement d'actionnaire de Global et se prévalant de l'article 6.2 de la convention les liant, résilié le contrat, devant initialement prendre fin le 25 octobre 2021, avec un préavis de quatre mois.

Par assignation en référé d'heure à heure en date du 24 juillet 2020, la société Global a assigné la société Datafirst devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par ordonnance contradictoire rendue le 31 août 2020, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a :

- débouté la société Global de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Global à payer la somme de 2.000 euros à la société Datafirst au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par déclaration du 10 septembre 2020, la société Global a interjeté appel de cette ordonnance.

Par conclusions remises le 23 septembre 2020, elle demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'y dire bien fondée ;

- constater que la relation commerciale établie entre les sociétés Datafirst et Global dure depuis le 21 janvier 2002, soit depuis plus de 18 ans ;

- constater que la société Global se trouve en état de dépendance économique vis-à-vis de la société Datafirst ;

- constater que la rupture notifiée par la société Datafirst le 28 mai 2020 sous prétexte du changement de contrôle de la société Global est intervenue plus de 10 mois après que le changement de contrôle lui ait été notifié ;

- constater que le changement de contrôle de la société Global ne constitue pas un événement grave pour la société Datafirst justifiant la résiliation sans le respect d'un préavis suffisant ;

- constater que la société Datafirst ne discute pas le principe d'un préavis au profit de la société Global ainsi que cela ressort de son courrier de rupture ;

- constater que le préavis de quatre mois octroyé par la société Datafirst à la société Global est très largement insuffisant ;

- constater que la société Datafirst a fait un usage dévoyé de la clause résolutoire de changement de contrôle prévue à l'article 6.2 du contrat ;

par conséquent,

à titre principal,

- infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 31 août 2020 en ce qu'elle a débouté la société Global de l'ensemble de ses demandes ;

- constater la rupture brutale de relation commerciale établie notifiée par la société Datafirst à la société Global le 28 mai 2020 ;

- ordonner la poursuite des effets du contrat du 26 octobre 2012 aux conditions contractuelles, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à venir, jusqu'au 27 mai 2022 ;

à titre subsidiaire,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société Global de l'ensemble de ses demandes ;

- constater que le contrat du 26 octobre 2012 sera en vigueur jusqu'au 25 octobre 2021 ;

- ordonner la poursuite des effets du contrat du 26 octobre 2012 aux conditions contractuelles, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à venir, jusqu'au 25 octobre 2021 ;

en tout état de cause,

- dire que le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon aura la faculté de liquider l'astreinte en cas de résistance opposée par la société Datafirst en application de l'article 491 du code de procédure civile ;

- infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon en ce qu'il a condamné la société Global à payer la somme de 2.000 euros à la société Datafirst au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens ;

- condamner la société Datafirst à payer à la société Global, en application de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 20.000 euros au titre des frais et honoraires irrépétibles occasionnés par la présente procédure ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me X.

Elle fait valoir que la clause de changement de contrôle prévue à l'article 6.2 du contrat a été organisée par les parties, et que, dans la commune intention des parties, il n'était pas prévu ni accord préalable de Datafirst, ni sanction automatique en cas de changement de contrôle du capital social.

Elle indique que le préavis accordé, de quatre mois, par Datafirst par son courrier de résiliation du 28 mai 2020, est manifestement insuffisant ; les éléments avancés par Datafirst et repris par le juge des référés ne permettent pas de considérer que Global « ne pouvait ignorer l'intention de la société Datafirst de résilier le contrat qui les liait du fait qu'elle n'approuvait pas le changement d'actionnaire », le caractère prévisible de la rupture ne privant pas l'auteur de la rupture de son obligation de faire précéder la résiliation d'une relation commerciale d'un préavis écrit.

Elle précise que la société Datafirst a attendu plus de 10 mois après l'information reçue du changement de contrôle de Global pour résilier le contrat par lettre recommandée du 28 mai 2020, ce qui démontre à l'évidence l'absence de gravité dans le motif de résiliation retenu. En outre, la société Datafirst ne peut se prévaloir des stipulations de l'article 6.2 du contrat, le changement de contrôle ne présentant pas un événement d'une gravité suffisante pour déroger aux dispositions d'ordre public prévues à l'article L. 442-1 du code de commerce.

Elle ajoute que la société Global n'a pas bénéficié pas d'un préavis de quatre mois effectifs : les mois de juillet et d'août étant inclus dans la période de préavis, Global a bénéficié en réalité, au mieux, d'un préavis de 3 mois, en raison des congés estivaux ; un préavis de quatre mois était, en tout état de cause, manifestement insuffisant pour permettre à Global de réorganiser son activité et trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement eu égard à l'état de dépendance économique vis-à-vis de la société Datafirst et le volume d'affaire réalisé avec cette dernière ; elle fait à cet égard valoir que le préjudice encouru par Global est considérable dans la mesure où plus de 650 contrats conclus entre Global et ses clients finaux sont concernés ; la rupture notifiée par Datafirst à Global constitue, en conséquence, un trouble manifestement illicite auquel il convient de mettre un terme en ordonnant à Datafirst de poursuivre la relation contractuelle avec Global dans les termes du contrat pendant une période de préavis fixée à 2 ans à compter de la date de la notification de la résiliation, soit jusqu'au 27 mai 2022.

La société Datafirst, par conclusions remises le 2 octobre 2020, demande, au visa des articles 873 et 873-1 du code de procédure civile, L. 442-1 et L. 442-4 du code de commerce, 699 et 700 du code de procédure civile, de :

- déclarer la société Global mal fondée en toutes ses demandes, fins et conclusions et l'en débouter purement et simplement ;

- confirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce de Lyon du 31 août 2020 ;

- condamner la société Global à verser à la société DataFirst la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Global aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Me Yves D., avocat, sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que le maintien de la relation commerciale était impossible en raison de circonstances graves tenant à la prise de contrôle du capital social de Global par Visual, leader de l'édition de logiciels DMS sur le marché italien et, à ce titre, concurrent direct et principal de DataFirst, cette situation, non contestée, caractérisant pleinement le conflit d'intérêt dans lequel Global se trouve, au détriment de DataFirst. DataFirst était parfaitement fondée à résilier le contrat de distribution.

Elle précise que le délai de 10 mois entre le changement de contrôle et l'envoi du courrier de résiliation ne permet pas d'exclure la gravité que constitue pour DataFirst le changement d'actionnaire majoritaire. L'octroi par DataFirst d'un préavis de quatre mois est lui aussi indifférent, puisqu'il s'agissait en réalité du délai qu'elle estimait nécessaire et suffisant pour lui permettre de s'assurer de la bonne réception de tous les codes sources développés par Global et de leur transfert au nouveau distributeur.

Global avait d'ailleurs parfaitement connaissance de l'intention définitive de DataFirst de contracter avec un nouveau distributeur dès septembre 2019. DataFirst affirme que le délai écoulé à partir de juillet 2019 s'analyse non comme un acquiescement à la prise de contrôle, mais comme le temps nécessaire pour rechercher un nouveau distributeur et pour tenter de récupérer, auprès de Global, les codes sources.

Elle ajoute que la spécificité du partenariat invoquée pour Global pour justifier de son prétendu droit à préavis est infondée : Global passe sous silence le fait qu'elle est titulaire des certifications de nombreux constructeurs ; or, ces certifications acquises, il est parfaitement facile et rapide pour Global de commercialiser un logiciel DMS distinct de Datacar DMS.

MOTIFS

L'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

L'article L. 442-1 II du code de commerce dispose que :

« Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

La rupture immédiate de relations commerciales établies suppose qu'une partie manque à ses obligations de façon suffisamment grave, au point de rendre impossible le maintien du lien contractuel.

La société DataFirst se prévaut de l'article 6.2 du contrat qui stipule : « DataFirst pourra résilier le contrat avec effet immédiat par I'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception... si les actionnaires ou propriétaires actuels du DCSP cessent de contrôler le DCSP à moins que DataFirst n'approuve le tranfert de propriété. DataFirst ne peut refuser son accord pour des motifs déraisonnables. »

Il est constant toutefois que les stipulations contractuelles ne peuvent faire échec aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-1 II du code de commerce ; ainsi, en matière de rupture brutale des relations commerciales, lorsqu'il apprécie la gravité d'une faute, le juge n'est pas tenu par les dispositions du contrat et il lui appartient, en cette matière, de déterminer si l'inexécution contractuelle alléguée est de nature à caractériser un manquement suffisamment grave aux obligations contractuelles justifiant la rupture sans préavis, ou avec un préavis insuffisant, de la relation commerciale. L'auteur de la rupture ne peut ainsi invoquer un manquement grave dispensant de l'octroi d'un préavis adapté :

- ni en l'absence de gravité suffisante du manquement allégué ;

- ni lorsqu'un préavis, même bref, a été octroyé.

Il est établi, en l'espèce, que la société DataFirst a été informée dès le 22 juillet 2019, par Global, du changement de contrôle de son capital social, Global lui a fait part, à cette date, du rachat de la majorité de son capital social par le Groupe Zucchetti (pièce Global n° 5 - courriel de la société Global à la société DataFirst en date du 22 juillet 2019 : « Je tiens à vous informer personnellement et en amont, que les actionnaires de Global ont décidé de céder la majorité des parts de la société au groupe Zucchetti. Le closing aura lieu cette semaine. Néanmoins, tant Global que le nouvel actionnaire, souhaitent vous faire part de leur intention de maintenir pleinement la relation actuelle avec DataFirst. »). DataFirst ne conteste pas, par ailleurs, avoir eu connaissance du communiqué de presse de Global du 23 juillet 2019 par lequel il était publiquement révélé que le distributeur de DataFirst avait été racheté par Visual (pièce DataFirst n° 2).

Cette information, suffisamment complète pour permettre à DataFirst d'identifier précisément le nouvel actionnaire majoritaire de Global, n'a néanmoins fait obstacle ni à la poursuite de la relation de juillet 2019 à mai 2020, ni au renouvellement tacite du contrat le 26 octobre 2019. La société DataFirst ne saurait invoquer le caractère prévisible la rupture, un tel caractère, pour autant qu'il soit en l'espèce établi, ne dispensant pas le partenaire de son obligation de notification d'un acte manifestant son intention de ne pas poursuivre la relation commerciale et faisant courir un délai de préavis.

La société DataFirst ne démontre pas, dans ces conditions, que le manquement imputé à la société Global était d'une gravité telle qu'il justifiait de déroger au principe de l'octroi d'un préavis suffisant.

Le délai de préavis de quatre mois appliqué par DataFirst pour la rupture des relations commerciales établies avec Global depuis 18 années est manifestement insuffisant compte tenu de l'ancienneté de la relation et du poids global que représente DataFirst dans l'activité de celle-ci - l'intimée ne contestant pas qu'ainsi que l'affirme Global, plus de 650 contrats conclus entre Global et ses clients finaux sont concernés, ni que le pourcentage du chiffre d'affaires de Global reposant sur les logiciels DataFirst varie entre 42 % et 44 % du chiffre d'affaires de Global (pièces Global n°11 à 13) ; l'insuffisance de ce préavis caractérise la rupture brutale visée par l'article L. 442-6 précité, de sorte que l'appelante justifie subir un trouble manifestement illicite commandant que des mesures provisoires soient prises pour le faire cesser.

La survenance du dommage en résultant est certaine dès lors que la perte de chiffre d'affaires impose une réorganisation de l'activité dans un délai à l'évidence insuffisant.

Il s'ensuit qu'eu égard à l'ancienneté de la relation commerciale et aux caractéristiques de l'activité, un préavis de 12 mois aurait dû être accordé à Global, de sorte que le contrat ne peut prendre fin qu'au 27 mai 2021 ; la poursuite des relations commerciales doit être ordonnée jusqu'à ce terme sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée. L'ordonnance entreprise sera infirmée en ce sens.

PAR CES MOTIFS

Infirme l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau ;

Ordonne la poursuite des relations commerciales entre les sociétés Global et DataFirst jusqu'au 27 mai 2021, aux conditions contractuelles, sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée ;

Dit que le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon aura la faculté de liquider l'astreinte en cas de résistance opposée par la société DataFirst en application de l'article 491 du code de procédure civile ;

Condamne la société DataFirst aux dépens de première instance et d'appel, distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société DataFirst à verser à la société Global la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.