Livv
Décisions

CA Lyon, ch. soc. A, 4 novembre 2020, n° 17/06417

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sovitrat 12 (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Palle

Conseillers :

Mme Laville, Mme Rocci

Cons. prud'h. Lyon, du 8 sept. 2017

8 septembre 2017

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant contrat de travail du 1er octobre 2013, la société SOVITRAT 12 a embauché Mme Margot T. en qualité d'attachée commerciale, chargée d'affaires, de qualification employée, niveau 4, coefficient 200 de la convention collective nationale des entreprises de travail temporaire.

Une clause de non-concurrence a été insérée au contrat.

Par lettre du 19 novembre 2014, Mme T. a informé son employeur de sa démission à compter de ce jour, « lui a confirmé tenir ses engagements concernant les clients de l'agence de Grand Clément et l'a remercié de la libérer de sa clause ».

Le 25 novembre 2014, la société SOVITRAT 12 a accusé réception de la lettre de démission du 19 novembre 2014 et a rappelé à Mme T. le préavis conventionnel d'un mois qu'il lui incombait de réaliser, de sorte que son départ serait effectif le 18 décembre 2014.

Le 1er décembre 2014, Mme T. a répondu à la société SOVITRAT 12 qu'elle était ennuyée car les conditions de levée de clause ainsi que la liste des clients de Grand Clément ne figuraient pas dans la lettre du 25 novembre 2014.

Le 9 décembre 2014, la société SOVITRAT 12 a informé Mme T. qu'elle maintenait la clause de non-concurrence incluse dans le contrat de travail, qu'elle lui demandait instamment de veiller au respect scrupuleux de ladite clause et qu'en contrepartie, Mme T. percevrait une indemnité dont les modalités de versement seraient celles prévues au contrat, rappelant que le non-respect de cette clause la contraindrait à suspendre le versement de l'indemnité de non-concurrence et à saisir la justice pour faire cesser l'activité concurrente et demander l'application de la clause pénale prévue au contrat, sans préjudice d'une action contre son nouvel employeur en concurrence déloyale.

Après avoir effectué une démarche auprès de la société SOVITRAT 12 en vue d'une issue amiable à la situation par une mainlevée de la clause de non-concurrence suivant lettre de son avocat du 11 décembre 2014, demeurée sans réponse, Mme T. a, par requête du 18 mars 2015, saisi le conseil de prud'hommes de Lyon en lui demandant d'annuler la clause de non-concurrence et de condamner la société SOVITRAT 12 à lui payer la somme de 1 650 euros par mois entre le 18 décembre 2014 et la date à laquelle interviendrait le jugement annulant la clause de non-concurrence, à titre de dommages-intérêts.

À titre subsidiaire, elle a demandé que la clause de non-concurrence soit limitée aux activités susceptibles de porter atteinte aux intérêts légitimes de la société SOVITRAT 12, soit des fonctions commerciales directement liées aux clients de l'éventuel futur employeur.

Elle a également demandé que la société SOVITRAT 12 soit condamnée à lui payer une somme à titre de rappel d'heures supplémentaires, ainsi qu'une indemnité de congés payés afférents.

Au dernier état de la procédure, Mme T. a demandé que la société SOVITRAT 12 soit condamnée à lui payer la somme de 53 279,50 euros en réparation du préjudice subi du fait du respect, pendant 18 mois, de la clause de non-concurrence illicite.

Par jugement du 8 septembre 2017, le conseil de prud'hommes a :

. dit que la clause de non-concurrence est illicite,

. condamné la société SOVITRAT 12 à payer à Mme T. la somme de 9000 euros à titre de dommages et intérêts,

. condamné la société SOVITRAT 12 à verser à Mme T. la somme de 2 461,86 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, ainsi que la somme de 246,19 euros au titre des congés payés afférents,

. débouté Mme T. du surplus de ses demandes,

. débouté la société SOVITRAT 12 de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. condamné la société SOVITRAT 12 à payer à Mme T. la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La société SOVITRAT 12 a formé appel de ce jugement, le 18 septembre 2017.

Elle demande à la cour de :

. infirmer le jugement,

Statuant à nouveau

. dire que la clause de non-concurrence est licite,

. débouter Mme T. de sa demande de dommages-intérêts,

. débouter Mme T. de sa demande d'indemnisation des jours de RTT non pris au titre d'heures supplémentaires,

. rejeter la demande de Mme T. au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. condamner Mme T. à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir :

. que la clause de non-concurrence était totalement justifiée par la protection de ses intérêts légitimes, en raison des spécificités de l'emploi de Mme T. en son sein ;

. que Mme T. était certes affectée à l'agence de Villeurbanne, mais qu'elle pouvait avoir des contacts et donc des informations avec les autres agences limitrophes ; qu'elle avait des clients présents sur le département de la Drôme, l'Isère et la Saône-et-Loire, correspondant à la zone d'intervention de l'agence de rattachement de celle-ci ; que ses salariés n'ont pas de limite géographique pour développer leur chiffre d'affaires et ont accès à la base client et intérimaire de l'entreprise ; que le conseil de prud'hommes ne pouvait donc retenir que la clause de non-concurrence était trop étendue géographiquement car portant sur des départements où elle n'était pas implantée ;

. que Mme T., qui n'a jamais justifié en quoi la clause de non-concurrence insérée à son contrat de travail l'empêchait d'exercer une quelconque activité, produit aujourd'hui les justificatifs d'un emploi occupé dès le 22 décembre 2014 avec un salaire quasiment équivalent, en qualité de gestionnaire de portefeuille, et qu'en tout état de cause, la clause n'interdisait pas à Mme T. d'exercer une activité dans le secteur de recrutement ;

. que Mme T. ne justifie pas avoir subi un préjudice ;

. que Mme T. qui avait opté pour l'attribution d'une demi-journée de repos hebdomadaire n'a pas justifié de ce qu'elle l'avait empêchée de prendre ses jours de RTT et que les autres salariés ont continué à prendre leurs jours de RTT, ce qui démontre qu'il ne s'agit nullement d'une pression de sa part.

Mme T. demande à la cour de :

. confirmer le jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages-intérêts alloués en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du respect pendant 18 mois d'une clause de non-concurrence illicite,

. condamner la société SOVITRAT 12 à lui payer à ce titre à la somme de 53 279,50 euros

. condamner la société SOVITRAT 12 à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir :

. que la conséquence immédiate du maintien de la clause par la société SOVITRAT 12 et de son respect scrupuleux par ses soins a été qu'elle a été contrainte d'accepter un poste de travail totalement déqualifié par rapport à sa formation professionnelle ;

. que la société SOVITRAT 12 n'a jamais essayé de démontrer que la clause était indispensable à la protection de ses intérêts légitimes ;

. que la société SOVITRAT 12 n'a pas justifié de l'utilité d'une clause aussi étendue géographiquement, alors qu'elle était affectée à l'agence de Villeurbanne Grand Clément qui couvrait nécessairement un rayon d'action géographique limité ; que la société SOVITRAT 12 dispose d'agences dans le département de la Loire et de la Saône-et-Loire et qu'elle n'a pas d'implantation dans le département de la Drôme, de l'Isère et de l'Ain ;

. que la liste des clients produite par la société SOVITRAT 12 couvre les années 2015 à 2017, période à laquelle elle avait déjà quitté la société, et que la pièce est fournie pour la première fois en cause d'appel, de même que le tableau du chiffre d'affaires réalisé, ce qui laisse circonspect sur l'authenticité de ces deux pièces ;

. que l'intérim et le recrutement constituent l'activité de la société et que cette activité lui a été interdite de fait par la clause de non-concurrence, l'employeur ayant même refusé une levée partielle de ladite clause ;

. que le respect par elle de la clause de non-concurrence illicite lui a causé un préjudice important, puisque pendant une longue période d'un an et demi elle s'est vu interdire de travailler dans le domaine pour lequel elle avait été exclusivement formée ; qu'elle a été contrainte d'abord d'accepter des contrats de travail en intérim jusqu'à ce qu'elle retrouve un poste de travail plus stable et mieux qualifié en qualité d'ingénieur commercial, mais que son diplôme ne lui a en définitive été d'aucune utilité pour se faire embaucher ; qu'elle a été contrainte de se réorienter professionnellement vers un tout autre métier et que le montant de l'indemnisation du salarié peut notamment être fixé en se référant à la pénalité prévue par le contrat de travail en cas de violation par le salarié de la clause de non-concurrence ;

. qu'à compter du début de l'année 2014, elle n'a pas pu bénéficier de sa demi-journée de RTT tel que prévu par l'accord de branche, soit quatre heures par semaine et 17,32 heures par mois.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 février 2020.

MOTIFS

- Sur la clause de non-concurrence

La clause de non-concurrence insérée au contrat de travail de Mme T. est rédigée en ces termes :

Le salarié s'interdit formellement en cas de cessation du présent contrat pour quelque cause que ce soit, y compris pendant la période d'essai :

. de travailler sous quelque forme ou à quelque titre que ce soit pour le compte d'une entreprise ayant une activité identique ou similaire à celle de la société

. de créer ou de s'intéresser soit pour son compte personnel, directement ou indirectement par toute personne interposée, soit pour le compte de tiers, et même à titre gracieux, à une entreprise ayant une activité identique ou similaire à celle de la société

Cette interdiction de concurrence est limitée à une période de 18 mois commençant le jour de la cessation effective du contrat et couvrant le Rhône et les départements limitrophes, la Loire, l'Ain, l'Isère, la Drôme, la Saône-et-Loire.

Le salarié convient que, compte tenu de sa formation et/ou de son expérience professionnelle, la présente clause de non-concurrence n'a pas pour effet de l'empêcher d'exercer une autre activité dans un autre secteur que celui du travail temporaire.

(...)

En contrepartie de cette obligation de non-concurrence, le salarié percevra à compter de la date de la notification de la rupture du contrat de travail et pendant la durée d'application de la clause, une contrepartie financière mensuelle d'un montant égal à 20 % de la moyenne mensuelle de sa rémunération brute au cours des trois derniers mois de présence dans l'entreprise et cela pendant une durée totale de 18 mois.

(...)

Le règlement de cette indemnité interviendra dans les 15 jours suivant la fin de chaque mois civil.

Eu égard aux fonctions occupées par Mme T. dans l'agence au niveau de qualification d'employée qui était le sien, en l'occurrence chargée d'affaires, avec mission, d'une part, de développer le portefeuille des nouveaux clients, des entreprises utilisatrices et des intérimaires, effectuer le suivi commercial, assurer les prises de commandes et leur suivi, assurer le suivi des règlements clients et gérer les litiges clients, d'autre part, d'exercer un pouvoir de décision dans le choix des intérimaires, et à l'activité d'entreprise de travail temporaire exercée par la société SOVITRAT 12, il apparaît que la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de travail de Mme T. n'était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise.

Par ailleurs, le champ géographique de la clause de non-concurrence n'était pas suffisamment limité, dès lors que Mme T. travaillait dans une agence située à VILLEURBANNE (Rhône) et qu'aucune clause de son contrat de travail ne lui attribuait une zone d'intervention commerciale située dans les six départements visés par la clause de non-concurrence.

La clause causait en conséquence une atteinte excessive au libre exercice d'une activité professionnelle par Mme T. et c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a dit qu'elle était nulle.

La société SOVITRAT 12 ne prétend pas du reste s'être acquittée du paiement de la contrepartie financière stipulée au contrat.

Mme T. est fondée à solliciter des dommages-intérêts en réparation du préjudice qu'elle a subi pour avoir été contrainte de respecter une clause nulle, dont elle avait expressément demandé la levée, ce qui lui a été refusé.

Mme T. démontre que, postérieurement à sa démission, elle a exercé une mission de travail temporaire pour la période du 22 décembre 2014 au 31 mai 2015 inclus, et a perçu à ce titre un salaire brut cumulé de 8 843 euros, soit environ 1 650 euros bruts par mois (au lieu de 1 815 euros bruts chez la société SOVITRAT 12), avant d'être embauchée le 24 août 2015 en qualité d'ingénieur commercial de niveau de cadre, soit un emploi de classification supérieure à celle qui était la sienne quand elle était salariée de la société SOVITRAT 12.

Elle n'établit pas cependant avoir renoncé à un emploi qui lui aurait été proposé dans le même secteur d'activité à LYON ou dans le département du Rhône en raison de la clause de non-concurrence et ne pas avoir pu valoriser sa formation et son expérience professionnelle dans le domaine du recrutement, au regard du paragraphe de la clause selon lequel la présente clause de non-concurrence n'a pas pour effet de l'empêcher d'exercer une autre activité dans un autre secteur que celui du travail temporaire.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le conseil de prud'hommes a inexactement évalué le préjudice subi par Mme T. résultant de la nullité de la clause de non-concurrence et il convient de réduire les dommages-intérêts alloués à la somme de 5 000 euros, tenant compte du fait que Mme T. n'a occupé dans un premier temps qu'un emploi précaire et a mis ensuite deux mois avant de retrouver un emploi.

- Sur la contrepartie des jours de RTT

Mme T. justifie de ce qu'elle n'a pas pris tous les jours de RTT auxquels elle pouvait prétendre.

C'est à l'employeur qu'il appartient d'établir qu'il s'est acquitté de l'obligation qui lui incombe de s'assurer que sa salariée a effectivement bénéficié de ses jours de repos, tels que prévus par l'accord de branche appliqué à l'entreprise.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société SOVITRAT 12 à payer à Mme T. un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et une indemnité de congés afférents dont le calcul n'est pas remis en cause devant la cour.

Compte-tenu de la solution apportée au litige, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens.

Le recours de la société SOVITRAT 12 n'étant que très partiellement accueilli, celle-ci sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme T. une somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe et contradictoirement

CONFIRME le jugement, sauf en ce qui concerne le montant des dommages- intérêts alloués en réparation du préjudice causé par la nullité de la clause de non-concurrence,

STATUANT à nouveau sur ce point,

CONDAMNE la société SOVITRAT 12 à payer à Mme Margot T. la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la nullité de la clause de non-concurrence,

CONDAMNE la société SOVITRAT 12 aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société SOVITRAT 12 à payer à Mme Margot T. la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.