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Décisions

Cass. com., 4 novembre 2020, n° 18-23.757

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Genfit (SA)

Défendeur :

Fruchart (Epoux), Finorpa SCR (SAS), CM-CIC investissement (SA), CM-CIC capital privé (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Foussard et Froger, SCP Waquet, Farge et Hazan

T. com. Lille Métropole, du 23 avr. 2015

23 avril 2015

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Douai, 5 juillet 2018), la société Genfit, société bio-pharmaceutique, créée en 1999 par M. Fruchart notamment, qui l'a dirigée jusqu'en avril 2008, a développé une molécule nommée « GFT 505 » pour le traitement des maladies d'origine métabolique. Elle a publié, les 23 et 26 novembre 2009, des communiqués relatifs à ce produit. Le 9 décembre 2009, un communiqué relatif à cette même molécule et émanant d'un « collectif » a été publié. Reprochant à M. Fruchart et à son épouse, membres de ce collectif, d'avoir dénigré son produit, la société Genfit est intervenue volontairement à une instance opposant M. et Mme Fruchart à ses actionnaires et leur a demandé réparation de son préjudice.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche  

Enoncé du moyen

2. La société Genfit fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit constitue un acte de dénigrement ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :  

3. Selon ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. L'existence d'une situation de concurrence n'est pas nécessaire à la qualification d'une faute de dénigrement.

4. Pour rejeter la demande de la société Genfit, l'arrêt retient que cette dernière fonde une part essentielle de sa démonstration sur la notion de dénigrement en matière de concurrence déloyale, sans prendre garde qu'il ne s'agit nullement d'avis émanant d'un acteur économique qui cherche à bénéficier d'un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur un produit.

5. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche  

Enoncé du moyen

6. La société Genfit fait le même grief à l'arrêt, alors « que dès lors que les juges du fond constataient la participation de M. et Mme Fruchart à l'élaboration et à tout le moins à la diffusion du communiqué du 9 décembre 2009, la circonstance qu'il ne soit pas établi qu'ils en aient été les uniques auteurs ou instigateurs était impropre à exclure leur responsabilité fondée sur le dénigrement ; que dès lors, les juges du fond ont violé les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

7. Pour rejeter la demande de la société Genfit, l'arrêt retient également qu'elle affirme plutôt qu'elle ne démontre la provenance du communiqué émanant, selon elle, des époux Fruchart, que si M. Fruchart n'a jamais contesté avoir participé à cette communication en réponse, rien ne permet de lui en attribuer la paternité et qu'il ne saurait être déduit du fait qu'il se soit présenté comme représentant d'un collectif de scientifiques qu'il en soit l'unique auteur et l'instigateur.  

8. En statuant ainsi, après avoir relevé la participation de M. Fruchart à la communication litigieuse, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. La société Genfit fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure ; qu'en s'abstenant de rechercher, comme il le leur était demandé, si le communiqué remettant en cause l'efficacité du GFT505 n'était pas dépourvu de base factuelle suffisante en ce qu'il avait été élaboré sans accès aux études cliniques relatives au GFT505, par un recours à des questions orientées, par une comparaison de résultats ne pouvant raisonnablement être comparés et sur la base d'éléments incomplets, le questionnaire ne mentionnant pas certains avantages du GFT505, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour  

Vu les articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1382, devenu 1240, du code civil :

10. Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

11. Pour rejeter la demande de la société Genfit, l'arrêt retient encore que la communication dénoncée fait suite à deux communiqués publiés par ses soins sur son site internet, et repris dans la presse, qu'elle décrit elle-même dans ses conclusions, comme « des documents synthétiques de vulgarisation, à vocation informative puisque destinés à l'ensemble des actionnaires de Genfit, en ce compris les actionnaires individuels les moins avertis », avant de préciser que « compte tenu de la technicité et de l'ampleur des données concernées, il a fallu quasiment deux ans d'études et d'exploration des données aux scientifiques de Genfit et au comité de lecture de la revue pour que le pendant scientifique de cette communication intervienne dans une revue spécialisée de référence en la matière ». Il en déduit qu'il ne saurait être reproché le caractère rapide et succinct de la réponse émanant de scientifiques, et attribuée, selon la société Genfit, à M. Fruchart, cette communauté ayant pu légitimement s'émouvoir d'une communication superficielle et vulgarisée, et n'étant pas d'ailleurs décrite comme telle dans les communiqués de la société Genfit, voire prématurée, sur un médicament encore en cours de recherche et mis en place par une société auquel, historiquement, le nom de M. Fruchart et sa renommée scientifique sont intimement liés.  

12. En se déterminant ainsi, sans vérifier, comme il lui était demandé, si les termes du communiqué litigieux produit selon lesquels « le traitement de référence par le fénofibrate ou le bézafibrate n'est pas remis en cause et qu'hélas aucune avancée notable ne peut être relevée avec le GFT505 » (...) et « les nouvelles données publiées sur GFT505 ne donnent aucune chance à cette molécule de remplacer les fibrates génériques dans le traitement des patients atteints de (…) complications des maladies métaboliques comme le diabète de type 2 », reposaient sur une base factuelle suffisante, cependant que l'objet du communiqué n'était pas de mettre en cause le mode de communication de la société Genfit sur son produit mais portait sur le produit lui-même, auquel certaines qualités étaient prêtées d'un côté et déniées de l'autre, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.