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Décisions

CJUE, 1re ch., 11 novembre 2020, n° C-433/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ellmes Property Services Limited

Défendeur :

SP

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Bonichot

Vice-président :

Mme Silva de Lapuerta (rapporteure)

Juges :

Mme Toader, M. Safjan , M. Jääskinen

Avocat général :

M. Szpunar

Avocats :

M. Rettenwander, M. Bosio

CJUE n° C-433/19

11 novembre 2020

LA COUR (première chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 24, point 1, ainsi que de l’article 7, point 1, sous a), du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Ellmes Property Services Limited à SP au sujet de l’usage d’un bien immeuble en copropriété.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 L’article 4, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 dispose :

« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

4 L’article 7, point 1, sous a), de ce règlement prévoit :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande ;

[...] »

5 L’article 24, point 1, dudit règlement est libellé comme suit :

« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties :

1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d’immeubles, les juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé.

[...] »

 Le droit autrichien

6 L’article 2 du Wohnungseigentumsgesetz (loi sur la propriété d’appartements), dans sa version applicable au litige au principal, énonce :

« (1) La copropriété est le droit réel conféré à un copropriétaire d’un immeuble ou à un partenariat de copropriété d’avoir l’usage exclusif d’un bien en copropriété et d’en disposer seul. [...]

(2) Les biens en copropriété sont des appartements, d’autres locaux indépendants et des emplacements de stationnement pour véhicule à moteur (biens susceptibles de copropriété) sur lesquels se fonde la copropriété. Un appartement est une partie architecturalement fermée, indépendante aux yeux du public, d’un bâtiment et qui, par sa nature et sa taille, est apte à satisfaire un besoin individuel de logement des personnes. Un autre local indépendant est une partie, architecturalement fermée, indépendante aux yeux du public, d’un bâtiment et qui, par sa nature et sa taille, a une grande importance économique, telle que par exemple un local commercial ou un garage. [...]

[...]

(5) Le copropriétaire est le copropriétaire d’un immeuble auquel appartient la copropriété d’un bien en copropriété situé dans cet immeuble.

[...] »

7 L’article 3 de cette loi dispose :

« (1) La copropriété peut reposer sur le fondement

1. d’une convention écrite entre tous les copropriétaires (contrat de copropriété) [...]

[...] »

8 L’article 16 de ladite loi prévoit :

« (1) L’usage du bien en copropriété appartient au copropriétaire.

(2) Le copropriétaire a le droit d’apporter, à ses frais, des modifications (y compris des modifications de l’affectation) à son bien en copropriété, aux conditions suivantes :

1. La modification ne doit ni endommager la maison ni porter atteinte à un intérêt digne de protection d’un autre copropriétaire [...]

2. S’il est aussi recouru pour une telle modification à des parties communes de l’immeuble, il faut en outre que cette modification corresponde aux pratiques usuelles ou serve un intérêt important du copropriétaire. [...] »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

9 Ellmes Property Services est une société établie au Royaume-Uni. Cette société et SP sont copropriétaires d’un immeuble d’appartements situé à Zell am See (Autriche).

10 Ladite société est propriétaire d’un appartement dans cet immeuble, qui a été affecté à des fins d’habitation. Elle utilise cet appartement à des fins touristiques en le louant régulièrement à des vacanciers.

11 Par une action en cessation introduite devant le Bezirksgericht Zell am See (tribunal de district de Zell am See, Autriche), SP a demandé la cessation de cet « usage touristique », au motif qu’il serait contraire à l’affectation dudit immeuble et arbitraire, à défaut d’accord des autres copropriétaires, de telle sorte qu’un tel usage porterait atteinte à son droit de copropriété. S’agissant de la compétence de cette juridiction, SP s’est prévalu de la compétence exclusive prévue à l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement n° 1215/2012.

12 Ellmes Property Services a contesté la compétence territoriale et internationale de cette juridiction.

13 Cette dernière a, par une ordonnance du 5 novembre 2018, décliné sa compétence en considérant que le litige dont elle était saisie portait sur une convention d’usage de droit privé entre les copropriétaires concernés et n’affectait pas directement la situation juridique de ces derniers au regard d’un droit réel.

14 Saisi par SP d’un recours contre cette ordonnance, le Landesgericht Salzburg (tribunal régional de Salzbourg, Autriche) a, par une ordonnance du 30 janvier 2019, réformé celle-ci en rejetant l’exception d’incompétence soulevée par Ellmes Property Services. Selon cette juridiction, l’affectation d’un bien faisant partie d’une copropriété repose sur un accord de droit privé des copropriétaires, prenant la forme, en principe, d’un contrat de copropriété, et l’affectation de ce bien à un usage déterminé ainsi que le respect de l’usage ainsi défini font partie des droits réels des copropriétaires bénéficiant d’une protection absolue.

15 Ellmes Property Services a introduit un recours en Revision contre cette dernière ordonnance devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche).

16 Selon cette juridiction, la compétence exclusive prévue à l’article 24, point 1, premier alinéa, du règlement n° 1215/2012 et, à titre subsidiaire, la compétence spéciale prévue à l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement sont envisageables.

17 À cet égard, ladite juridiction indique que, selon la jurisprudence des juridictions autrichiennes, chaque copropriétaire peut introduire une action tendant à l’abstention ou à la cessation contre tout copropriétaire qui, arbitrairement, sans l’accord de tous les autres copropriétaires ou sans une décision judiciaire ayant force de chose jugée remplaçant un tel accord, apporte des modifications à son bien en copropriété, y compris des modifications de son affectation. Elle indique également qu’une telle action ne relève pas des questions d’administration à l’égard desquelles la communauté de tous les copropriétaires dispose de la personnalité juridique et que l’affectation d’un bien en copropriété en tant que logement ou local commercial repose sur la convention de droit privé conclue par tous les copropriétaires, qui, en règle générale, se matérialise dans un contrat de copropriété. Elle précise qu’une utilisation touristique d’un bien en copropriété affecté à l’habitation constitue une modification de l’affectation de ce bien. Elle ajoute que l’affectation d’un bien en copropriété et le respect de l’usage défini par cette affectation font partie du droit bénéficiant d’une protection absolue de tout copropriétaire.

18 Dans ce contexte, la même juridiction relève que, dans le droit autrichien, la copropriété, en tant que droit d’un copropriétaire d’avoir l’usage exclusif d’un bien en copropriété, constitue un droit réel protégé contre les atteintes des tiers et contre celles des autres copropriétaires. Elle relève également que, dans ce droit, les copropriétaires se trouvent, du fait du contrat de copropriété, dans une relation contractuelle librement consentie.

19 C’est dans ces conditions que l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 24, point 1, premier alinéa, première alternative, du règlement [n° 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens que les actions d’un copropriétaire tendant à interdire à un autre copropriétaire de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, son bien en copropriété, notamment l’affectation de celui‑ci, ont pour objet de faire valoir un droit réel ?

2) Dans l’hypothèse où il serait répondu par la négative à cette question :

L’article 7, point 1, sous a), du règlement [n° 1215/2012] doit-il être interprété en ce sens que les actions évoquées [dans la première question] ont pour objet des obligations contractuelles qui doivent être exécutées au lieu où se situe la chose ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

20 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, l’affectation de son bien en copropriété doit être regardée comme constituant une action « en matière de droits réels immobiliers », au sens de cette disposition.

21 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la compétence prévue à l’article 4 du règlement n° 1215/2012, à savoir celle des juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le défendeur a son domicile, constitue la règle générale et que ce n’est que par dérogation à cette règle générale que ce règlement prévoit des règles de compétence spéciale et exclusive dans des cas limitativement énumérés dans lesquels le défendeur peut ou doit, selon le cas, être attrait devant une juridiction d’un autre État membre (arrêt du 5 décembre 2019, Ordre des avocats du barreau de Dinant, C‑421/18, EU:C:2019:1053, point 24 et jurisprudence citée).

22 L’article 24 dudit règlement prévoit des règles de compétence exclusive, notamment en matière de droits réels immobiliers, qui, en tant que dérogation à ladite règle générale, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 38).

23 S’agissant de la compétence exclusive des juridictions de l’État membre où l’immeuble est situé, prévue à l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, il y a lieu de rappeler également que le sens de l’expression « en matière de droits réels immobiliers » doit être interprété de manière autonome, en vue d’assurer l’application uniforme de celle-ci dans tous les États membres (arrêt du 14 février 2019, Milivojević, C‑630/17, EU:C:2019:123, point 97 et jurisprudence citée).

24 Cette compétence englobe non pas l’ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles d’entre elles qui, tout à la fois, entrent dans le champ d’application de ce règlement et sont au nombre de celles qui tendent, d’une part, à déterminer l’étendue, la consistance, la propriété, la possession d’un bien immobilier ou l’existence d’autres droits réels sur ces biens et, d’autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre (arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

25 Dans ce contexte, la Cour a également jugé qu’il ne suffit pas qu’un droit réel immobilier soit concerné par l’action ou que l’action ait un lien avec un immeuble pour entraîner la compétence de la juridiction de l’État membre où l’immeuble est situé. Il faut, au contraire, que l’action soit fondée sur un droit réel et non sur un droit personnel (arrêt du 10 juillet 2019, Reitbauer e.a., C‑722/17, EU:C:2019:577, point 45 ainsi que jurisprudence citée).

26 Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, la différence entre un droit réel et un droit personnel réside dans le fait que le premier, grevant un bien corporel, produit ses effets à l’égard de tous, alors que le second ne peut être invoqué que contre le débiteur (arrêt du 16 novembre 2016, Schmidt, C‑417/15, EU:C:2016:881, point 31 et jurisprudence citée).

27 En l’occurrence, le litige au principal porte sur la question de savoir si les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel un bien immeuble en copropriété est situé sont compétentes pour connaître d’une action par laquelle un copropriétaire demande la cessation, par un autre copropriétaire, de l’usage à des fins touristiques d’un appartement, au motif que cet usage n’est pas conforme à celui prévu par le contrat de copropriété relatif à ce bien immeuble, à savoir un usage à des fins d’habitation.

28 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que l’article 2, paragraphe 1, de la loi sur la propriété d’appartements prévoit que la copropriété est le droit réel conféré à un copropriétaire d’un immeuble ou à un partenariat de copropriété d’avoir l’usage exclusif d’un bien en copropriété et d’en disposer seul.

29 Selon la juridiction de renvoi, dans le droit autrichien, l’affectation d’un bien immeuble en copropriété, qui résulte d’une convention de droit privé entre tous les copropriétaires prenant généralement la forme d’un contrat de copropriété, et le respect de l’usage défini par cette affectation font partie du droit bénéficiant d’une protection absolue de tout copropriétaire. Par ailleurs, cette juridiction indique que la copropriété constitue un droit réel protégé contre les atteintes des tiers et contre celles des autres copropriétaires.

30 À la lumière de ces éléments, il apparaît qu’une action en cessation telle que celle en cause au principal s’apparente à une demande tendant à assurer aux copropriétaires d’un bien immeuble la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre, en particulier s’agissant de l’affectation de ce bien immeuble, qui est prévue dans le contrat de copropriété.

31 Toutefois, afin de déterminer si une telle action est fondée sur un droit réel immobilier, au sens de l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, il convient d’examiner, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 26 du présent arrêt, si l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété, en l’occurrence un usage à des fins d’habitation, produit ses effets à l’égard de tous.

32 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 45 de ses conclusions, en substance, tel serait le cas si un copropriétaire pouvait opposer cette affectation non seulement aux autres copropriétaires, mais également aux personnes ne pouvant pas être considérées comme étant parties à ce contrat. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer les vérifications nécessaires à cet égard.

33 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, l’affectation de son bien en copropriété, telle que prévue par un contrat de copropriété, doit être regardée comme constituant une action « en matière de droits réels immobiliers », au sens de cette disposition, à la condition que cette affectation soit opposable non seulement aux copropriétaires dudit immeuble, mais également à tous, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

 Sur la seconde question

34 Dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi conclurait que l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété n’est pas opposable à tous et que, dès lors, elle ne saurait fonder la compétence des juridictions autrichiennes sur l’article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, celles-ci pourraient toutefois être compétentes en vertu de l’article 7, point 1, sous a), de ce règlement. Partant, il y a lieu de répondre à la seconde question.

35 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété n’est pas opposable à tous, une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, cette affectation doit être regardée comme constituant une action « en matière contractuelle », au sens de cette disposition. Le cas échéant, cette juridiction cherche à savoir si le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à cette action est celui où ledit bien est situé.

36 Il convient de rappeler que la conclusion d’un contrat ne constitue pas une condition d’application de la règle de compétence spéciale prévue en matière contractuelle à cette disposition (arrêt du 5 décembre 2019, Ordre des avocats du barreau de Dinant, C‑421/18, EU:C:2019:1053, point 25 et jurisprudence citée).

37 L’identification d’une obligation est néanmoins indispensable à l’application de ladite disposition, étant donné que la compétence juridictionnelle en vertu de celle-ci est établie en fonction du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Ainsi, l’application de cette règle présuppose la détermination d’une obligation juridique librement consentie par une personne à l’égard d’une autre et sur laquelle se fonde l’action du demandeur (arrêt du 5 décembre 2019, Ordre des avocats du barreau de Dinant, C‑421/18, EU:C:2019:1053, point 26 et jurisprudence citée).

38 Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que l’entrée dans la copropriété d’un immeuble d’appartements se fait par un acte d’acquisition volontaire conjointe d’un appartement et de parts de copropriété dans les parties communes de cet immeuble, de telle sorte qu’une obligation des copropriétaires à l’égard de la copropriété doit être considérée comme étant une obligation juridique librement consentie (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 27, ainsi que ordonnance du 19 novembre 2019, INA e.a., C‑200/19, non publiée, EU:C:2019:985, point 27).

39 En outre, la circonstance qu’un copropriétaire n’était pas partie au contrat de copropriété conclu par les copropriétaires initiaux est sans incidence sur l’application de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 à un litige relatif à ladite obligation. En effet, en devenant et en demeurant copropriétaire d’un immeuble, chaque copropriétaire consent à se soumettre à l’ensemble des dispositions réglementant la propriété concernée ainsi qu’aux décisions adoptées par l’assemblée générale des copropriétaires de cet immeuble (arrêt du 8 mai 2019, Kerr, C‑25/18, EU:C:2019:376, point 29, ainsi que ordonnance du 19 novembre 2019, INA e.a., C‑200/19, non publiée, EU:C:2019:985, point 29).

40 En l’occurrence, il convient de constater que, selon la juridiction de renvoi, dans le droit autrichien, les copropriétaires se trouvent, du fait du contrat de copropriété, dans une relation contractuelle librement consentie.

41 Il s’ensuit que l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété n’est pas opposable à tous, une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, cette affectation doit être regardée comme constituant une action « en matière contractuelle », au sens de cette disposition.

42 S’agissant de la question de savoir si le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à cette action est celui où ledit bien est situé, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012, les litiges en matière contractuelle peuvent être examinés par la juridiction du lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande, c’est-à-dire l’obligation correspondant au droit contractuel sur lequel se fonde l’action du demandeur (arrêt du 16 novembre 2016, Schmidt, C‑417/15, EU:C:2016:881, point 39).

43 En l’occurrence, l’action de SP vise à obliger Ellmes Property Services soit à faire un usage de son bien en copropriété conforme à l’affectation prévue par le contrat de copropriété, soit à cesser de modifier cette affectation.

44 Il ressort de la décision de renvoi que l’obligation de respecter l’usage défini par ladite affectation fait partie du droit bénéficiant d’une protection absolue de tout copropriétaire. Il semble que cette obligation vise ainsi à garantir au propriétaire d’un bien en copropriété la jouissance paisible de ce bien. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, ladite obligation se rapporte à l’usage concret d’un tel bien et doit être exécutée au lieu où se situe celui-ci.

45 Une telle conclusion répond à l’objectif de prévisibilité des règles de compétence prévues par le règlement n° 1215/2012, puisqu’un copropriétaire lié par un contrat de copropriété fixant une telle affectation peut, lorsqu’il modifie arbitrairement et unilatéralement cette dernière, raisonnablement s’attendre à être attrait devant les juridictions du lieu où se situe le bien immeuble concerné.

46 En outre, compte tenu du lien étroit existant entre ces juridictions et le litige au principal, il apparaît que celles-ci sont les mieux placées pour connaître de ce litige et qu’une attribution de compétence auxdites juridictions est de nature à faciliter une bonne administration de la justice.

47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la seconde question que l’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété n’est pas opposable à tous, une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, cette affectation doit être regardée comme constituant une action « en matière contractuelle », au sens de cette disposition. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à cette action est celui où ledit bien est situé.

 Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1) L’article 24, point 1, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, l’affectation de son bien en copropriété, telle que prévue par un contrat de copropriété, doit être regardée comme constituant une action « en matière de droits réels immobiliers », au sens de cette disposition, à la condition que cette affectation soit opposable non seulement aux copropriétaires dudit immeuble, mais également à tous, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

2) L’article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que, dans l’hypothèse où l’affectation d’un bien immeuble en copropriété prévue par un contrat de copropriété n’est pas opposable à tous, une action par laquelle un copropriétaire d’un immeuble tend à faire interdire à un autre copropriétaire de cet immeuble de modifier, arbitrairement et sans l’accord des autres copropriétaires, cette affectation doit être regardée comme constituant une action « en matière contractuelle », au sens de cette disposition. Sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à cette action est celui où ledit bien est situé.