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Décisions

Cass. com., 4 novembre 2020, n° 19-13.205

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Dyson Technology Limited (Sté), Dyson (SAS)

Défendeur :

Babyliss (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

Mme Champalaune

Avocat général :

M. Debacq

Avocats :

SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer, SCP Piwnica et Molinié

Versailles, 14e ch., du 31 janv. 2019

31 janvier 2019

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 janvier 2019), les sociétés Dyson Technology Limited et Dyson (les sociétés Dyson), se plaignant d'agissements constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire et de dénigrement commis par la société Babyliss à l'occasion du lancement, en juillet 2017, d'un produit concurrent du sèche-cheveux qu'elles-mêmes avaient mis sur le marché français en 2016, ont saisi sur requête un président d'un tribunal de commerce aux fins de voir désigner un huissier de justice pour effectuer diverses opérations d'investigation au siège de sa concurrente.  

2. La requête ayant été accueillie et les opérations effectuées, la société Babyliss a demandé la rétractation de l'ordonnance et la restitution des pièces saisies.  

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. Les sociétés Dyson font grief à l'arrêt de rétracter l'ordonnance et d'ordonner la restitution à la société Babyliss de l'intégralité des copies réalisées par l'huissier de justice désigné, alors « qu'après avoir exposé, sur plus de dix pages, un contexte laissant craindre une concurrence déloyale, la requête et l'ordonnance justifiaient la dérogation au principe de la contradiction en invoquant l'existence, en cas de débat contradictoire avec la société Babyliss, d'un risque de déperdition des éléments de preuve nécessaires à l'action envisagée, dès lors que la mesure sollicitée avait "pour objet de conserver les preuves des agissements fautifs de cette société", c'est-à-dire des actes de concurrence déloyale dénoncés, et que les éléments de preuve recherchés, constitués de messages électroniques, fichiers informatiques et documents sur support papier, étaient susceptibles d'être aisément dissimulés ou détruits de façon définitive ; qu'en affirmant que les motifs de la requête et de l'ordonnance se contentaient de " faire état d'un risque de dépérissement et de destruction des preuves à travers des formules générales non circonstanciées, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce", cependant que la requête et l'ordonnance, qui relevaient que les sociétés Dyson soupçonnaient la société Babyliss d'avoir commis des actes de concurrence déloyale à leur encontre et que les éléments destinés à rapporter la preuve de ces actes étaient susceptibles d'être aisément dissimulés ou détruits, justifiaient que la mesure ne soit pas prise contradictoirement eu égard au risque de déperdition des documents si la société Babyliss venait à être avertie de la mesure ordonnée, la cour d'appel a violé les articles 145, 493 et 875 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

Vu les articles 145 et 493 du code de procédure civile :  

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

5. Pour estimer qu'il n'était pas justifié de porter atteinte au principe de la contradiction, l'arrêt, après avoir relevé que la requête énonçait que les mesures sollicitées par Dyson devaient sans nul doute être ordonnées à l'insu de la société Babyliss afin de permettre de garantir la préservation des éléments de preuves recherchés, dès lors que ces éléments, ayant pour objet de conserver les preuves des agissements fautifs de la société Babyliss étaient formés de messages électroniques, de fichiers informatiques et documents sur supports papier qui sont susceptibles d'être aisément dissimulés ou détruits de façon définitive, retient que la seule invocation d'un risque de destruction de documents et fichiers sur supports informatiques relève de l'affirmation de principe, constituant un motif de portée générale susceptible d'être appliqué en toutes circonstances et que les motifs de la requête se contentent de faire état d'un risque de dépérissement et de destruction des preuves à travers des formules générales non circonstanciées, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce.

6. En statuant ainsi, alors que les sociétés Dyson, qui indiquaient rechercher la preuve de faits constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire et d'un dénigrement à l'occasion de la campagne publicitaire effectuée par la société Babyliss pour son nouveau produit et d'actions de formation menées par cette même société, faisaient valoir que les éléments déloyaux recherchés ressortaient par nature des correspondances et documents internes à la société Babyliss ou avec des tiers qui étaient hors de sa portée et que l'ordonnance indiquait que des indices suffisants des faits considérés par les demanderesses comme fautifs étaient produits, qui justifiaient le recours à une procédure non contradictoire eu égard au risque évident de déperdition des éléments de preuve nécessaires à l'action envisagée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche  

Enoncé du moyen

7. Les sociétés Dyson font le même grief à l'arrêt, alors « qu'en toute hypothèse, pour justifier d'un motif légitime à conserver ou établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, le demandeur doit simplement établir l'existence d'un litige potentiel mais n'a pas à établir le bien-fondé de l'action envisagée ; qu'en l'espèce, sans nier la réalité des points de similitudes invoqués par les sociétés Dyson entre les éléments de communication du Dyson "Supersonic" et ceux utilisés par la société Babyliss pour son produit "Digital Sensor", la cour d'appel s'est livrée à une analyse détaillée de chacun de ces éléments, au terme de laquelle elle a estimé qu'il s'agirait de "clés de communication usuelles" et que l'utilisation publicitaire de vidéos en noir et blanc avec une présentation du produit en couleur serait également courante ; qu'en déduisant l'absence d'"indices plausibles et suffisants d'un quelconque parasitisme et/ou agissement déloyal" d'un tel examen, la cour d'appel, qui a ainsi jugé du bien-fondé de l'action envisagée par les sociétés Dyson et subordonné la démonstration du motif légitime à la caractérisation du bien-fondé de cette future action, a violé l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

8. Pour décider que les sociétés Dyson n'établissaient pas l'existence d'un motif légitime et rétracter l'ordonnance, l'arrêt retient que les éléments présentés par ces sociétés dans leur requête relatifs aux codes de communication utilisés ne constituent pas des indices plausibles et suffisants d'un quelconque parasitisme et/ou agissement déloyal de la part de la société Babyliss et que les éléments invoqués au soutien du dénigrement allégué ne constituent pas plus un indice suffisant d'un comportement déloyal de la société concurrente Babyliss.

9. En statuant ainsi, en exigeant que soit établi au stade de la requête le bien-fondé de l'action en vue de laquelle la mesure d'instruction était sollicitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le moyen, pris en sa sixième branche  

Enoncé du moyen

10. Les sociétés Dyson font encore le même grief à l'arrêt, alors « que la mesure d'instruction ordonnée à leur requête visait notamment à établir, dans l'éventualité d'un procès en concurrence déloyale et parasitisme, le dénigrement auquel la société Babyliss était suspectée de s'être livrée en associant le sèche-cheveux "Supersonic " de Dyson à un séchoir de voiture et en critiquant ce sèche-cheveux lors de formations dispensées aux vendeurs conseils de grandes enseignes de distribution ; qu'en affirmant, à supposer les motifs de l'ordonnance adoptés, que "les sociétés Dyson n'ont pas suffisamment explicité en quoi les mots "voiture", "car", et "industrie automobile" étaient pertinents, utiles aux recherches, et s'ils n'allaient pas conduire à des résultats sans rapport avec l'objectif poursuivi voire même à des non sens" et que le choix des noms "Darty", "Boulanger" et "Fnac" était "sans lien avec la conception d'une stratégie publicitaire et de communication pour le lancement d'un nouveau produit, que le risque était trop grand ici de toucher aux rapports commerciaux de la société Babyliss avec les distributeurs, à ses accords de promotion/publicité/référencement", sans rechercher, comme elle y était invitée, si le choix, comme critère de recherche par combinaison de mots clés, de ces termes ne constituait pas le seul moyen d'établir le dénigrement que la société Babyliss était suspectée d'avoir commis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :  

11. Pour rétracter l'ordonnance, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que les sociétés Dyson n'ont pas suffisamment explicité en quoi les mots « voiture », « car », « industrie automobile » étaient pertinents et utiles aux recherches et s'ils n'allaient pas conduire à des résultats sans rapport avec l'objectif poursuivi, voire à des non-sens tels que celui relevé par la société Babyliss concernant « car » qui se retrouve dans des noms et noms de personnes sans rapport avec l'emballage et la brochure publicitaire de ce sèche-cheveux.  

12. En se déterminant ainsi, sans rechercher si le choix des mots-clefs litigieux et leur combinaison n'étaient pas nécessaires à l'établissement des faits de dénigrement, par comparaison de leur produit avec un séchoir de voiture, dont les sociétés Dyson alléguaient avoir été victimes, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. Et sur le moyen, pris en sa huitième branche

Enoncé du moyen

13. Les sociétés Dyson font toujours le même grief à l'arrêt, alors « que l'instance en rétractation a pour seul objet de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire ; que le juge de la rétractation ne peut donc se fonder sur le résultat des mesures d'instruction ordonnées pour déterminer a posteriori si ces mesures étaient suffisamment circonscrites ; qu'en l'espèce, pour juger que la mesure ordonnée serait disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi, la cour d'appel a retenu que les investigations menées par l'huissier avaient abouti à "la saisie de plus de 3 000 fichiers", qu'elles avaient donné lieu à « des errances dans les systèmes informatiques de la société Babyliss", et qu'elles s'étaient "traduites par des résultats non conformes à l'objectif poursuivi" ; qu'en se fondant ainsi sur des circonstances tenant à l'exécution de la mesure, cependant qu'il lui appartenait seulement de se prononcer sur la régularité de son autorisation, la cour d'appel a violé les articles 496 et 497 du code de procédure civile, ensemble l'article 145 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :  

14. Pour rétracter l'ordonnance, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que plus de 3 000 fichiers ont été saisis, que le choix par les sociétés Dyson d'un trop grand nombre de mots clés s'est traduit en errances dans les systèmes informatiques de la société Babyliss, sans qu'elles démontrent l'utilité, notamment pratique, et la pertinence de tels résultats, que ces investigations se sont traduites dans des résultats non conformes à l'objectif poursuivi et que les mesures ordonnées étaient ainsi disproportionnées.

15. En statuant ainsi, alors que les résultats de l'exécution des mesures ordonnées ne peuvent être pris en considération pour apprécier la régularité de leur autorisation, laquelle doit être appréciée au moment de son prononcé, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.