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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 10 novembre 2020, n° 20/00472

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Selarl Etude Bouvet & Guyonnet (ès qual.), France Soufflage Isolation (Sarlu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ficagna

Conseillers :

M. Greiner, Mme Fouchard

Avocats :

Selarl Juliette Cochet-Barbuat Lexavoué Chambéry, SCP Lavalette Avocats Conseils, SCP Cabinet Denarie Buttin Perrier Gaudin

T. com. Annecy, du 14 févr. 2020

14 février 2020

L e 04/07/2013, M. X a créé la société DEVELOPPEMENT ET ENERGIES RENOUVELABLES (DER).

Le 12/11/2014, elle a conclu avec la société ALLIANCE 3 D FRANCHISE dirigée par M. Y et créée le 19/02/2013, un contrat de franchise aux termes duquel elle s'est vu concéder le territoire du département de la Charente Maritime pour exploiter à l'enseigne « France Soufflage Isolation » un concept d'isolation thermique par système d'injection de laine de roche.

Le 18/05/215, la ALLIANCE 3 D FRANCHISE est devenue FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION.

Par jugement du 29/09/2017, du tribunal de commerce d'Annecy, elle a été placée en redressement judiciaire, puis par jugement du 18/10/2017 liquidation judiciaire, la Selarl Bouvet & Guyonnet étant désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par acte du 31/10/2018, celle-ci a assigné devant le tribunal de commerce d'Annecy M. Y, dirigeant de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION en comblement de passif à hauteur de la somme de 301 733,97 euros.

Par jugement du 04/03/2020, le tribunal a :

- dit que M. Y a commis des fautes de gestion en ne respectant pas ses obligations en tant que franchiseur vis à vis de ses franchisés en faisant des dépenses inconsidérées par le biais d'une location par la société d'une Maserati de 17 cv ;

- dit que les fautes de gestion commises ont directement contribué à l'insuffisance d'actif ;

- condamné M. Y à payer la somme de 135 000 euros ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Suite à l'assignation du 02/01/2019 de M. X par la Selarl Bouvet & Guyonnet ès qualité, le tribunal de commerce d'Annecy a, par jugement du 14/02/2020 :

- dit que M. X a été, pour la période de février 2016 à août 2017, dirigeant de fait de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION, que pendant la même période et antérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, il a commis des fautes de gestion en ne satisfaisant pas aux obligations de cette dernière à l'égard de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION, fautes ayant entraîné directement une aggravation de l'insuffisance d'actif de 126 730,26 euros ;

- condamné M. X à payer à la Selarl Bouvet & Guyonnet, en sa qualité de liquidateur de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION, la somme de 60 000 euros ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné M. X aux dépens.

Par déclaration du 25/03/2020, M. X a relevé appel de cette décision.

Dans ses conclusions responsives d'appelant n° 2 du 28/09/2020, il conclut à l'infirmation de la décision déférée et demande à la Cour de :

- dire que le liquidateur de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION ne fait pas la démonstration d'une insuffisance d'actif certaine ;

- dire que seul Y était gérant de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION et qu'aucun élément, notamment un ou plusieurs actes positifs de direction, ne permettent de considérer que M. X puisse être qualifié, avant l'ouverture de la procédure collective de cette société, de gérant de fait ;

- dire que M. X n'a par définition, pu commettre aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION ;

- en conséquence, débouter la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet ès qualité de liquidateur de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- la condamner ès qualité au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile.

Il expose en substance que :

- seul M. Y, gérant de droit de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION a accompli des actes de gestion positifs, notamment au cours des années 2016 à 2018 ;

- suite à des relations difficiles entre le franchiseur et des franchisés en 2015/2016, il lui a été demandé d'intervenir en qualité de sous-traitant, comme animateur du réseau de franchise, moyennant le paiement de la somme mensuelle de 4 000 euros, sans s'immiscer dans le fonctionnement de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION ;

- en remplissant cette mission, il ne s'est jamais présenté comme dirigeant de la société franchiseur, un projet de partenariat capitalistique entre sa société et FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION ayant été évoqué sans aboutir ;

- les fautes de gestion alléguées ne sont pas démontrées, et en tout état de cause, sont sans lien avec l'insuffisance d'actif.

Dans ses conclusions n° 3, la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet ès qualité de liquidateur judiciaire de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION conclut au débouté de l'appelant de toutes ses prétentions et demande à la Cour de :

- déclarer M. X gérant de fait de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION ;

- dire qu'il est l'auteur de fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif et qu'il doit être condamné à supporter partie des dettes de cette société ;

- sur appel incident, le condamner au paiement de la somme de 230 133,97 euros ;

- à titre subsidiaire, confirmer le jugement déféré et condamner M. X au paiement de la somme de 60.000 euros ;

- en toute hypothèse, le condamner au paiement de la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles visés à l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Elle fait valoir notamment que :

- M. X a exercé une véritable fonction de direction, son action en qualité d'animateur de réseau n'ayant pas fait l'objet d'un contrat de sous-traitance écrit, il s'est présenté comme co-dirigeant aux yeux des autres franchisés, il s'est investi dans la gestion de la société, il a pris des risques financiers en se portant caution en faveur de celle-ci ;

- après la liquidation judiciaire, il a souhaité acquérir la franchise, et a tenté de s'approprier un actif en réclamant à un franchisé des redevances d'août à novembre 2017, et s'est considéré comme repreneur de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION et continue à gérer le réseau comme le ferait un dirigeant et alors même qu'il n'a pas acheté la franchise ;

- si MM. X et Y avaient respecté les contrats de franchise signés avec les franchisés, la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION aurait eu un passif divisé de moitié, ce qui justifie la demande de condamnation au paiement de la somme de 230 133,97 euros.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article L.651-2 du code de commerce, « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables ».

Il convient de constater au vu des pièces du dossier que le passif admis s'élève au montant de 448 828,69 euros, alors que l'actif recouvré (compte clients) n'est que de 4 130,82 euros, soit une insuffisance d'actif de 444 689,87 euros. La première condition fixée par ce texte est ainsi remplie.

Concernant la qualité de dirigeant, est un dirigeant de fait celui qui en toute souveraineté et indépendance exerce une activité positive de gestion et de direction.

Trois types de griefs sont énoncés à l'encontre de M. X par le liquidateur judiciaire, à savoir, des fonctions d'animateur de réseau impliquant une participation à la gestion de la société, la délivrance d'un cautionnement en faveur de celle-ci et une attitude prédatrice suite à la liquidation judiciaire.

L’animation du réseau

Il sera observé au préalable, qu'il est fréquent dans des réseaux de franchise que des franchisés en assistent d'autres, pour leur faire part de leur expérience et leur éviter ainsi des faux pas. L'intimé produit à ce sujet (pièce n° 35) un document de définition de la fonction d'animateur de réseau, d'où il résulte notamment que la formation initiale du franchisé, même la plus complète possible, reste toujours insuffisante, une bonne transmission du savoir-faire, élément essentiel du contrat de franchise, devant être réitérée, ce qui est le rôle d'un animateur de réseau.

Ainsi, le seul fait pour la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION de demander à un de ses franchisés, au demeurant un des plus anciens, d'animer le réseau ne suffit pas en soi à démontrer la qualité de dirigeant de fait de l'animateur.

La lecture des mails échangés fin 2015 entre les franchisés montre que ceux-ci étaient mécontents du fonctionnement du réseau, ce qui a conduit l'un d'entre eux, M. X, à organiser une réunion pour que soient recensés les divers griefs énoncés. C'est ainsi qu'a été proposé par M. Y à M. X, qui s'était érigé en porte-parole de ses collègues et qui avait une bonne expérience en la matière, d'animer le réseau des franchisés, alors que M. D..., technico-commercial, à qui il avait proposé le poste, l'avait refusé (pièce appelant n° 52), suite au départ de la société du responsable animateur du réseau, M. Z (pièce intimé n° 3).

Certes, M. X ne produit pas de contrat écrit le liant au franchiseur. Toutefois, la réalité de cette convention est établie par la production de factures mensuelles au titre d'un « forfait de prestation d'animation réseau », d'un montant de 4 000 euros chacune, pour 10 mois en 2016 et 6 mois en 2017 ainsi que par des extraits des livres comptables du franchisé concernant le compte Alliance 3 D Franchise.

A ce sujet, Mme A, assistante de gestion administrative, atteste (pièce appelant n° 9) que « M. Y a demandé à M. X d'intervenir en tant que sous-traitant pour l'animation du réseau, fin 2015. Il a été présenté par M. Y à l'ensemble des franchisés au cours de la 1ère réunion annuelle des franchisés le 30/03/2016 dans les locaux de la société ENGIE à Lyon. Chaque mois, M. X établissait une facture que je contrôlais et transmettais à M. Y pour acceptation et bon à payer », tandis que M. B, directeur administratif et financier (pièce n° 13) qu'il avait demandé à M. Y de prendre contact avec l'avocate de l'entreprise, Me C, d'établir un contrat, ce qu'il s'est abstenu de faire.

Concernant l'activité de M. X, M. D, technico-commercial, indique (pièce n° 30) qu'il lui était toujours présenté comme animateur, le gérant étant toujours identifié en la personne de M. Y.

Plusieurs franchisés attestent de ce que le rôle de M. X en sa qualité d'animateur réseau était réel, quitte à le critiquer sévèrement sur la qualité de ses conseils. M. E le présente ainsi comme un beau parleur, organisant des formations finalement peu intéressantes du point de vue technique, mais s'il déclare que le rôle de M. X va se renforcer dans la société, ce n'est que pour le futur, c'est à dire à partir de 2018.

Si M. F quant à lui considère que le franchiseur a défailli dans sa mission d'assistance des franchisés, il indique néanmoins qu'il a bénéficié d'une assistance en octobre 2015 et avril 2016, sur quatre jours, ce qui ne suffit pas pour démontrer que M. X n'aurait strictement rien fait dans l'exécution de sa mission.

Par ailleurs, les comptes-rendus de réunions annuelles des franchisés font état toujours de la présence de M. X, ce qui montre que celui-ci a joué un rôle actif dans le développement de la franchise.

Si la démonstration d'une activité positive est nécessaire pour qualifier une gérance de fait, encore faut-il que soit établie une participation au pouvoir au sein de l'entreprise. En effet, le dirigeant est celui qui arrête la politique de l'entreprise, qui décide de son sort commercial ou industriel et financier, qui prend les décisions concernant sa marche, qui l'engage et assume seul son administration ou participe à celle-ci. En conséquence, n'est pas concerné celui qui limite son intervention à des décisions mineures ou qui accomplit un acte isolé, mais seulement celui qui intervient de façon effective et constante dans la direction de l'affaire.

Or, à aucun moment M. X n'a pris de décisions financières ou économiques concernant l'entreprise FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION. Ainsi, M. F, lorsqu'il critique le fonctionnement de la franchise (pièce intimé n° 13), il ne fait qu'incriminer M. Y, sans aucune allusion à M. X, Ainsi, à ses dires, c'est bien M. Y qui l'a rencontré en septembre 2016 pour lui faire signer un bon de livraison d'un véhicule Ford Transit et d'une machine à souffler Krendl et qui était présent lors de la formation du 09/12/2016.

De nombreux franchisés ont assigné la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION devant le tribunal de commerce d'Annecy en résiliation de leur contrat. Pour autant, les griefs adressés à cette société (défaut de livraison de matériel, dysfonctionnements divers du réseau, dissimulation d'informations) ne concernent que M. Y, les éléments fournis au tribunal ne mettant pas en évidence une immixtion de M. X dans la gestion du franchiseur.

Enfin, pour être dirigeant de fait, il faut pouvoir agir en toute indépendance et souveraineté.

Or, Mme A déclare que M. Y était son seul et unique supérieur, et qu'elle n'agissait qu'après validation totale par celui-ci.

M. B expose quant à lui qu'il passait les commandes, s'occupait de la comptabilité, négociait avec les fournisseurs avec un autre salarié de la société, M. F., ajoutant : « M. X n'a jamais été au courant de ces discussions et nous ne risquions pas de l'informer, cela serait revenu à lui dévoiler la marge commerciale du franchiseur », précisant enfin que M. Y avait pour projet de faire rentrer au capital M. X, pour sauver l'entreprise.

Il en ressort que ce dernier, s'il a pu informer les autres franchisés d'une possibilité de son entrée au capital de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION, ne l'a finalement pas fait et qu'il n'était pas au courant de la situation réelle de la société.

Dès lors, le fait qu'il ait occupé les fonctions d'animateur du réseau est insuffisant pour démontrer l'existence d'une gérance de fait, les prestations fournies à cette occasion l'ayant toujours été dans le cadre fixé par le dirigeant de droit.

Le cautionnement donné par M. X

La société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION a contracté le 24/11/2016 un crédit bancaire de 75 000 euros pour financer son besoin en fonds de roulement, avec la caution de M. X à hauteur de 22 500 euros.

S'il s'agit d'un acte positif accompli dans l'intérêt du franchiseur, cet élément est là encore insuffisant pour caractériser une gestion de fait : le montant cautionné est relativement modeste, il était aussi de l'intérêt de M. X de voir la société franchiseur en bonne santé financière, de façon à ce que la marque continue à exister, et il sera observé en outre qu'à cette époque, son entrée au capital était envisagée.

Les actes postérieurs à l'ouverture de la procédure collective

L'action en comblement de passif vise des actes constitutifs d'une faute de gestion, ce qui suppose qu'ils soient accomplis durant la période de la vie de la société et non plus une fois que l'activité de celle-ci ait cessé.

Les griefs énoncés par l'intimé ne seront donc pas retenus par la Cour.

Dans ces conditions, il convient de considérer que l'existence d'une gestion de fait de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION de la part de M. X n'est pas prouvée. En conséquence, l'action en comblement de passif ne peut prospérer, et M. X sera mis hors de cause, le jugement déféré étant réformé.

En revanche, l'équité ne commande pas l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés par l'appelant.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORME le jugement déféré,

STATUANT A NOUVEAU,

DIT que M. X n'a pas été gérant de fait de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION,

DIT en conséquence qu'il n'a pu commettre aucune faute de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actif de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION,

DEBOUTE la Selarl Etude Bouvet & Guyonnet, ès qualité de mandataire liquidateur de la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION de ses demandes,

DIT n'y avoir lieu à paiement des frais visés à l'article 700 du code de procédure civile exposés par M. X,

CONDAMNE la société FRANCE SOUFFLAGE ISOLATION représentée par son mandataire liquidateur aux dépens de première instance et d'appel,

AUTORISE la Selarl COCHET BARBUAT, avocat, à recouvrer directement les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.