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Décisions

CA Limoges, ch. économique et soc., 9 novembre 2020, n° 19/00245

LIMOGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Davis (SNC), SCP Pimouguet Leuret Devos Bot (ès qual.)

Défendeur :

Heineken Entreprise (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mme Valleix, M. Colomer

Avocat :

Me Autef

T. com. Brive-la-Gaillarde, du 9 mai 201…

9 mai 2018

LA COUR

EXPOSE DU LITIGE :

Le 17 janvier 1991, M. X a constitué la SNC David en vue de l'exploitation d'un fonds de commerce de bar, tabac, presse, PMU et autres activités annexes sis à Malemort-sur-Corrèze (19).

Suivant acte sous seing privé du 28 avril 2016, la SAS Heineken entreprise s'est portée caution solidaire de la SNC David dans le cadre du remboursement d'un prêt consenti à la SNC par la banque CIC Est d'un montant de 50 550 remboursable en soixante mois dont deux mois de franchise ; prêt consenti au taux de 4,75 % l'an. Au titre de ce contrat, la banque a inscrit un nantissement sur le fonds de commerce de la SNC David.

Est prévu à l'article 3 du contrat de prêt qu'à défaut de paiement à bonne date d'une seule échéance, la totalité des sommes dues à la banque en capital, intérêts, frais et accessoires devient exigible.

En contrepartie du cautionnement, la SNC s'est engagée, aux termes d'une convention d'approvisionnement exclusif en date du 20 avril 2016, à s'approvisionner exclusivement auprès de la société Heineken entreprise pour les bières mentionnées à l'article 3 de la convention, pour une durée de cinq ans.

L'article 2.11 des conditions générales de la convention stipule que le non-respect de l'une de ses obligations par la SNC entraînera le paiement immédiat, à titre d'indemnité de rupture unilatérale de la convention, d'une somme égale à 20 % du prix des bières manquantes d'après les quantités fixées aux conditions particulières et la durée du contrat restant à courir, sur la base de la dernière facturation.

Par jugement en date du 9 mai 2018, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a placé la SNC David en redressement judiciaire, la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot étant désignée en qualité de mandataire judiciaire.

Suite au non-paiement des échéances de janvier et de mai par la SNC, la banque a prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt et a appelé en paiement la société Heineken entreprise en sa qualité de caution. Celle-ci a réglé les impayés ainsi que le capital restant dû et s'est vu délivrer une quittance subrogative par la banque.

Le 8 juin 2018 la société Heineken entreprise a déclaré sa créance entre les mains du mandataire judiciaire pour les montants de 34 151,57 échue et à titre privilégié, au titre du contrat de prêt consenti par la banque CIC Est et 26 320 à échoir à titre chirographaire, au titre de la potentielle indemnité de rupture du contrat d'approvisionnement en cas de non-respect de ses obligations par la SNC après l'ouverture de la procédure collective.

Par jugement du 8 juin 2018, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a converti le redressement en liquidation judiciaire, la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Par jugement en date du 15 juin 2018, le tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a ordonné la cession des actifs et activités de la SNC David au profit de MM. Y et Y.

Le 17 septembre 2018, le liquidateur judiciaire a informé la société Heineken entreprise du rejet de l'admission de sa créance.

Le 20 septembre 2018, ladite société a informé la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot de son intention de maintenir l'intégralité de sa créance telle que déclarée.

Par une ordonnance en date du 12 mars 2019, le juge commissaire du tribunal de commerce de Brive-la-Gaillarde a :

Admis la créance de la société Heineken entreprise à la somme de :

- 34 151,57 à titre privilégié ;

- 26 320 à titre chirographaire ;

Dit les dépens de la présente à la charge de la procédure.

M. X, ès qualités, a régulièrement interjeté appel de cette décision le 22 mars 2019, son recours portant sur l'ensemble des chefs de jugement.

Aux termes de ses écritures du 23 avril 2019, M. X, ès qualités, demande à la Cour de :

- le recevoir dans son appel ;

- réformer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

- d'admettre au passif de la SNC David la créance de la société Heineken - entreprise à titre chirographaire dans la limite de 34 064,08 ;

- rejeter la créance de la société déclarée au titre de l'indemnité de rupture ;

Subsidiairement, de :

- la déclarer manifestement excessive et la limiter à la somme de 3 000 ;

- condamner la société Heineken entreprise à la somme de 800 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. X, ès qualités, explique que la créance déclarée par la société Heineken au titre du contrat de prêt ne peut être admise qu'à titre chirographaire, la quittance subrogative émise par la banque ne subrogeant la société Heineken que dans ses droits et non pas dans ses actions, privilèges ou hypothèques comme exigé par l'article 1250 du code civil et aucune inscription en ce sens n'ayant été mentionnée en marge des inscriptions ainsi qu'il est prévu à l'article R. 143-15 du code de commerce ; le montant de cette créance devant d'ailleurs être limité à la somme versée par la société à la banque.

En outre, M. X soutient que la créance dont se prévaut la société Heineken au titre de l'indemnité de rupture est infondée puisqu'elle est à l'origine de celle-ci et de la mise en œuvre de la clause, ce qui ne peut être la résultante du simple fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'égard du cocontractant ; la société Heineken ne justifiant pas par ailleurs que la SNC aurait manqué à ses obligations contractuelles avant le 18 mai 2018, ni qu'elle a mis en demeure l'administrateur concernant la poursuite du contrat et l'élément déclencheur n'étant en tout état de cause pas intervenu.

A titre subsidiaire, M. X soutient que cette clause s'analyse comme une clause pénale manifestement excessive, la société Heineken n'ayant en outre subi aucun préjudice du fait de la rupture du contrat, le fonds de commerce de la SNC David ayant été cédé à un repreneur devenu nouveau client de la société.

Aux termes de ses écritures en date du 6 mai 2019, la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot, intervenante volontaire ès qualités, demande à la Cour de :

- la recevoir, ès qualités, en son intervention volontaire ;

- recevoir M. X dans son appel ;

- réformer la décision des premiers juges dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau :

- d'admettre au passif de la SNC David la créance de la société Heineken entreprise à titre chirographaire dans la limite de 34 064,08 ;

- rejeter la créance de la société déclarée au titre de l'indemnité de rupture ;

Subsidiairement de :

- la déclarer manifestement excessive et la limiter à la somme de 3 000 ;

- condamner la société Heineken entreprise à la somme de 800 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

La SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot, ès qualités, fait valoir le bienfondé de son intervention à titre volontaire, ayant intérêt en sa qualité de mandataire liquidateur de la SNC David à voir le passif de ladite société minoré en raison du succès de ses prétentions. Elle indique par ailleurs s'associer pleinement aux demandes présentées par M. X.

Aux termes de ses écritures en date du 3 juillet 2019, la société Heineken entreprise demande à la Cour de statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par M. X ; au fond, de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et en conséquence :

- d'admettre sa créance pour la somme de 34 151,57 à titre privilégié au passif de la SNC David au titre du contrat de prêt conclu le 28 avril 2016, consenti par la banque CIC Est et dont elle s'était portée caution ;

- admettre sa créance pour la somme de 26 320 à titre chirographaire au passif de la SNC David au titre de l'indemnité de rupture de la convention d'approvisionnement exclusif ;

- débouter M. X et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot, ès qualités, de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- condamner solidairement M. X et la SCP Pimouguet-Leuret-Devos Bot, ès qualités, à lui verser la somme de 1 500 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, tant de première instance que d'appel.

Elle indique, pour la somme due au titre du contrat de prêt, qu'elle a réglé entre les mains de la banque les échéances laissées impayées par la SNC David ainsi que le capital restant dû, ayant reçu de la part du créancier une quittance subrogative pour avoir réglé en sa qualité de caution lesdites sommes. Elle indique donc que l'existence de la créance n'est pas contestable sur son principe, tout comme le quantum de la créance, car bien que la quittance subrogative ne vise qu'un total de 34 064,08, est stipulé dans le contrat de prêt que toute somme exigible serait productive d'intérêts au taux de 4,75 %. Elle soutient aussi le caractère privilégié de sa créance, ayant inscrit un nantissement sur le fonds de commerce de la SNC et bénéficiant de plein droit au regard de ce qui précède de la subrogation de la banque dans ses droits et privilèges, sans qu'aucune mention supplémentaire ne soit nécessaire.

En outre, la société Heineken fait valoir la régularité de la déclaration de sa créance à échoir en cas de rupture ou de manquement à la convention d'exclusivité d'approvisionnement et le caractère infondé des demandes de M. X à ce titre. En effet, elle précise que conformément à l'article 2.11 de ladite convention, elle a déclaré sa créance à échoir, à titre chirographaire, en cas de non-paiement ; cette déclaration n'emportant en rien résiliation de la convention. Elle indique qu'au-delà de la nature de la clause prévue par le contrat, elle a bien subi un préjudice au regard de la perte économique constituée par l'absence de commande.

L'affaire a reçu fixation en application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens, des prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la créance relative au prêt cautionné

Selon l'article 2306 du code civil la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur.

En l'espèce, le contrat de prêt passé le 28 avril 2016 entre la Banque CIC EST et la SNC David pour un montant 50 000 pour une durée de 58 mois au taux de 4,75 %, prévoit la constitution de deux sûretés au profit du prêteur, soit un nantissement de 4e rang sur le fonds de commerce de débit de boissons-licence IV exploité par l'emprunteur et le cautionnement solidaire de la société Heineken entreprise.

Le nantissement a fait l'objet d'une inscription le 17 août 2016, pour un montant de 50 000 outre intérêts conventionnels de 4,75 %, et commissions, frais, accessoire, pénalités de retard, indemnités conventionnelles au titre du contrat de crédit et débours pour un montant évalué à 10 110.

Il n'est pas contesté que la société Heineken entreprise a réglé au CIC EST les sommes restant dues par la SNC David au titre du prêt à compter de l'échéance impayée du 20 mai 2018 à hauteur de la somme de 32 096,40, en suite de quoi le prêteur lui a délivré une quittance subrogative, aux termes de laquelle elle subroge « à due concurrence des montants susvisés, la société Heineken entreprise dans (nos) droits contre le débiteur principal ».

Ainsi en payant la dette de la SNC David en sa qualité de caution solidaire, la société Heineken entreprise s'est trouvée subrogée dans tous les droits attachés à la créance d'origine et découlant du contrat de prêt, conformément aux dispositions susvisées, y compris dans le bénéfice de la sûreté consentie sur le fonds de commerce et régulièrement inscrite, l'absence de mention secondaire de la subrogation en marge de l'inscription primaire, dans les formes prévues à l'article R. 143-15 du code de commerce, n'ayant pas pour effet de faire perdre le bénéfice de la sûreté au créancier subrogé, investi de tous les accessoires de la créance du prêteur de deniers.

Il s'en déduit que la créance de 34 151,57, déclarée le 8 juin 2018, doit être inscrite au passif de la SNC David à titre privilégié. L'ordonnance du juge commissaire sera donc confirmée sur ce point.

Sur la créance relative à l'indemnité de rupture de la convention d'approvisionnement exclusif

Aux termes de l'article 1231-5 du code civil, lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.

Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.

Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.

Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.

Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.

En l'espèce, aux termes de l'article 2.11 des conditions générales afférent à la convention d'approvisionnement exclusif, il est spécifié que « le non-respect total ou partiel, volontaire ou involontaire, par le CLIENT de l'une ou l'autre de ses obligations, entraînera de plein droit, sans formalité, outre le remboursement immédiat ou le paiement immédiat de toutes sommes restant dues, ou encore le paiement immédiat de toutes sommes correspondant au montant des avantages dont le CLIENT a bénéficié pour son exploitation, le paiement également immédiat, à titre d'indemnité de rupture unilatérale de la présente convention, d'une somme égale à vingt pour cent (20 %) du prix des bières manquantes d'après les quantités fixées aux conditions particulières et la durée du contrat restant à courir sur la base de la dernière facturation. »

En application de cette clause, à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire la société Heineken entreprise a déclaré le 8 juin 2018 au titre des créances à échoir la somme de 26 320,00 à titre de pénalités en exécution de cette clause, ainsi qu'elle était recevable à le faire à cette date.

Après le jugement du 8 juin 2018, prononçant la conversion du redressement judiciaire de la SNC David en liquidation judiciaire, le contrat d'approvisionnement en cours a cessé d'être exécuté de sorte que la clause prévoyant une indemnité de rupture unilatérale de la convention est susceptible de recevoir application, la créance de la société Heineken entreprise à ce titre, calculée selon les modalités prévues à l'article 2-11 sur la base de la dernière facturation, devenant exigible.

Cette indemnité de rupture s'analyse en une clause pénale destinée à compenser le préjudice économique né de la rupture anticipée d'un contrat d'approvisionnement d'une durée de cinq ans qui n'a été exécuté en définitive que 25 mois, ce qui est de nature à générer un conséquent manque à gagner pour la société Heineken entreprise, n'étant pas démontré par ailleurs que celui-ci a pu être compensé par la poursuite du contrat avec le repreneur de l'activité commerciale, alors que la convention d'approvisionnement exclusif ne fait pas partie des contrats nécessaires à l'activité repris au titre de l'article L. 642-7 du code de commerce aux termes du jugement prononçant la cession des actifs et actifs de la société Heineken entreprise le 15 juin 2018.

En outre la production par la SNC David d'une grille tarifaire émanant d'une société tierce n'a aucun caractère probant quant à la disproportion de la grille tarifaire pratiquée entre lui et la société Heineken entreprise dans le cadre de la convention d'approvisionnement en fûts de bière.

Par conséquent, il ne peut être considéré au regard des éléments de l'espèce que la clause pénale en question est manifestement excessive, de sorte que la créance de la société Heineken entreprise de ce chef doit être admise à titre chirographaire à hauteur de 26 320,00 par voie de confirmation de la décision déférée sur ce point également.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire et chaque partie supportera la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort, par mise à disposition au greffe, après en avoir délibéré conformément à la loi.

Confirme l'ordonnance rendue par le juge commissaire à la liquidation de la SNC David le 12 mars 2019,

Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.