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Décisions

TUE, 1re ch. élargie, 18 novembre 2020, n° T-814/17

TRIBUNAL DE L'UNION EUROPÉENNE

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Lietuvos geležinkeliai AB

Défendeur :

Commission européenne, Orlen Lietuva AB

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Papasavvas

Juges :

M. Kanninen, Mme Półtorak (rapporteure), Mme Porchia, Mme Stancu

Avocats :

M. Deselaers, M. Apel, M. Kirst, M. Thomas, M. Conte

TUE n° T-814/17

18 novembre 2020

LE TRIBUNAL (première chambre élargie),

I. Antécédents du litige

A. Contexte factuel

1   Lietuvos geležinkeliai AB (ci-après la « requérante » ou « LG ») est la société nationale des chemins de fer de Lituanie, dont le siège se trouve à Vilnius (Lituanie). LG est une entreprise publique, dont l’actionnaire unique est l’État lituanien. En tant qu’entreprise intégrée verticalement, LG est à la fois gestionnaire des infrastructures ferroviaires, qui demeurent cependant la propriété de l’État lituanien, et fournisseur de prestations de services de transport ferroviaire, de fret et de voyageurs, en Lituanie.

2   Orlen Lietuva AB (ci-après l’« intervenante » ou « Orlen ») est une entreprise établie à Juodeikiai, dans le district de Mažeikiai (Lituanie), spécialisée dans le raffinage de pétrole brut et dans la distribution de produits pétroliers raffinés. Orlen est une filiale à 100 % de l’entreprise polonaise PKN Orlen SA.

3   Dans le cadre de ses activités, Orlen exploite différentes installations en Lituanie, dont une importante raffinerie (ci-après la « raffinerie »), située à Bugeniai, dans le district de Mažeikiai, au nord-ouest de la Lituanie, à proximité de la frontière avec la Lettonie. Cette raffinerie est l’unique installation de ce type des trois États baltes. À la fin des années 2000, 90 % de la production de produits pétroliers raffinés issus de cette raffinerie était transportée par voie ferroviaire, faisant ainsi d’Orlen l’une des clientes les plus importantes de la requérante.

4   À cette époque, Orlen produisait, au sein de la raffinerie, environ 8 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés par an. Les trois quarts de cette production étaient destinés à l’exportation, principalement par voie maritime à destination des pays d’Europe de l’Ouest. Ainsi, 4,5 à 5,5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés étaient transportées à travers la Lituanie, par train, vers le terminal maritime de Klaipėda (Lituanie).

5   Le reste de la production exportée, soit environ 1 à 1,5 million de tonnes, était acheminé, également par train, vers ou à travers la Lettonie et était principalement destiné à la consommation sur les marchés intérieurs estoniens et lettons. Environ 60 % de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Mažeikiai-Rengė », un itinéraire allant de la raffinerie, située à proximité de la jonction ferroviaire de Mažeikiai, à la ville de Rengė, en Lettonie, dont 34 km se situaient sur le territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire court vers la Lettonie »). Le reste de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Kužiai-Joniškis-Meitene », un itinéraire plus long, dont 152 km se situaient sur le territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire long vers la Lettonie »).

6   Afin de transporter ses produits sur l’itinéraire court vers la Lettonie, Orlen avait recours aux services de la requérante pour la partie lituanienne de l’itinéraire, à savoir de la raffinerie à la frontière lettonne. LG avait alors conclu un contrat de sous-traitance avec Latvijas dzelzceļš, la société nationale des chemins de fer de Lettonie (ci-après « LDZ »), pour le transport sur cette partie lituanienne de l’itinéraire. Ne disposant pas des autorisations réglementaires nécessaires pour exercer ses activités de manière indépendante sur le territoire lituanien, LDZ opérait en tant que sous-traitant de la requérante. Une fois la frontière passée, LDZ poursuivait le transport des produits d’Orlen sur le territoire letton en vertu de divers contrats.

7   Les relations commerciales entre Orlen et la requérante concernant les services de transport de celle-ci sur le réseau ferroviaire lituanien, y compris les services de transport sur l’itinéraire court vers la Lettonie, étaient régies, jusqu’en septembre 2008, par un accord signé en 1999 (ci-après l’« accord de 1999 »).

8   En plus d’encadrer les tarifs appliqués par la requérante pour les services de transport, l’accord de 1999 comprenait notamment un engagement spécifique de la part de la requérante de transporter le fret d’Orlen sur l’itinéraire court vers la Lettonie. En effet, l’article 6.1 de cet accord autorisait Orlen à « utiliser l’itinéraire Bugeniai-Rengė (environ 34 km) pour transporter du fret en Lettonie, en Estonie ou dans la Communauté des États indépendants », pour toute la durée de l’accord, à savoir jusqu’en 2024.

9   Au début de l’année 2008, un litige commercial est survenu entre la requérante et Orlen en ce qui concernait les tarifs payés par cette dernière pour le transport de ses produits pétroliers.

10 En raison du litige commercial avec la requérante portant sur les tarifs, Orlen a envisagé la possibilité de contracter directement avec LDZ pour les services de transport ferroviaire de son fret sur l’itinéraire court vers la Lettonie ainsi que de redéployer ses activités d’exportation maritimes au départ de Klaipėda, en Lituanie, vers les terminaux maritimes de Riga et de Ventspils, en Lettonie.

11 À cette fin, le 4 avril 2008, Orlen a écrit au ministère letton des Transports et des Communications pour l’informer de son projet de transférer ses activités d’exportation par voie maritime vers le terminal maritime letton de Ventspils, grâce aux services de transport ferroviaire de LDZ, et a suggéré d’organiser une réunion pour évoquer ce projet avec le ministère. Orlen a également demandé des informations sur les tarifs auxquels elle pourrait s’attendre pour les services de transport ferroviaire de LDZ. Dans sa réponse du 7 mai 2008, le ministère a indiqué à Orlen qu’il n’interférerait pas avec les décisions commerciales de LDZ, mais qu’il avait néanmoins un grand intérêt pour le développement du transport de fret en Lettonie.

12 Le 12 juin 2008, une réunion s’est tenue entre la requérante et Orlen, au cours de laquelle ce projet de redéploiement des activités d’exportation d’Orlen a été évoqué. En outre, Orlen ayant décidé unilatéralement, dès le printemps 2008, d’appliquer un taux inférieur à celui demandé par la requérante et de retenir le paiement de la différence, la requérante a, le 17 juillet 2008, entamé une procédure arbitrale contre Orlen.

13 Le 28 juillet 2008, LG a informé Orlen de la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008. Orlen a précisé, au cours de la procédure administrative devant la Commission des Communautés européennes, que la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008 avait été annoncée par LG trois jours après qu’elle avait formellement demandé à LDZ un devis afin de remplacer les services de la requérante pour le transport, depuis la raffinerie et en utilisant l’itinéraire court vers la Lettonie, d’environ 4,5 à 5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés vers les terminaux maritimes situés sur le territoire letton. Orlen a également suggéré que la requérante pouvait avoir été informée de la demande de devis directement par LDZ.

14 Le 2 septembre 2008, à la suite de la détection d’une déformation de la voie ferrée de quelques dizaines de mètres (ci-après la « déformation »), LG, en invoquant principalement des raisons de sécurité, a suspendu le trafic sur un tronçon de l’itinéraire court vers la Lettonie, long de 19 km, situé entre Mažeikiai et la frontière avec la Lettonie (ci-après la « voie ferrée »).

15 Le 3 septembre 2008, la requérante a nommé une commission d’inspection composée de cadres de sa filiale locale afin d’enquêter sur les raisons de la déformation. La commission d’inspection a présenté deux rapports, à savoir le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 et le rapport technique du 5 septembre 2008 (ci-après, pris ensemble, les « rapports du 5 septembre 2008 »).

16 D’après le rapport d’enquête du 5 septembre 2008, la déformation aurait été provoquée par la détérioration physique de nombreux éléments composant la structure de la voie ferrée. Le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 a également confirmé que le trafic devait demeurer suspendu « jusqu’à ce que tous les travaux de restauration et de réparation soient terminés ».

17 Les observations contenues dans le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 ont été confirmées par le rapport technique du 5 septembre 2008 qui, tout comme le premier rapport, se référerait uniquement au site de la déformation et identifiait la cause de celle-ci dans divers problèmes relatifs à la structure de la voie ferrée. Le rapport technique du 5 septembre 2008 a conclu que l’accident de circulation qui s’était produit sous la forme d’une déformation sur la voie ferrée devait être qualifié d’incident et qu’il était dû à l’usure physique des éléments supérieurs de la structure de la voie ferrée.

18 LDZ a présenté à Orlen une offre pour le transport de ses produits pétroliers le 29 septembre 2008, à la suite d’une réunion qui s’est tenue le 22 septembre 2008. Selon Orlen, cette offre était « concrète et attrayante ».

19 À partir du 3 octobre 2008, LG a entrepris le démantèlement complet de la voie ferrée. À la fin du mois d’octobre 2008, la voie ferrée était totalement démantelée.

20 Le 17 octobre 2008, Orlen a envoyé une lettre à LDZ pour lui confirmer son intention de transporter environ 4,5 millions de tonnes de produits pétroliers depuis la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons, puis une rencontre a eu lieu le 20 février 2009 et des discussions plus avancées ont eu cours durant le printemps de l’année 2009.

21 En janvier 2009, un nouvel accord général de transport a été conclu entre la requérante et Orlen pour une période de quinze ans, jusqu’au 1er janvier 2024 (ci-après l’« accord de 2009 »). Cet accord est venu remplacer un accord intérimaire qui avait été signé le 1er octobre 2008.

22 L’accord de 2009 reposait sur la politique de prix standard de la requérante en matière de tarification, laquelle attribuait un tarif de base à chaque voie ferroviaire en Lituanie. En outre, l’accord de 2009 appliquait un système de remises sur ces tarifs [confidentiel] (1).

23 [confidentiel]

24 Les négociations entre Orlen et LDZ se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois de juin 2009, lorsque LDZ a présenté une demande en vue d’obtenir une licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie.

25 Le 10 novembre 2009, la cour arbitrale a déclaré que la résiliation unilatérale de l’accord de 1999 par la requérante était illégale et que cet accord devait être considéré comme ayant été en vigueur jusqu’au 1er octobre 2008, date à laquelle Orlen et la requérante avaient conclu un accord de transport provisoire.

26 Selon Orlen, les discussions avec LDZ ont été interrompues au milieu de l’année 2010, lorsqu’elle a finalement estimé que la requérante n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée à court terme. À ce moment, LDZ a retiré sa demande de licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie.

B. Procédure administrative

27 Le 14 juillet 2010, Orlen a saisi la Commission d’une plainte formelle, au titre de l’article 7 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

28 Dans sa plainte, Orlen a en substance exposé que, à la suite d’un désaccord commercial l’opposant à LG, cette dernière avait supprimé la voie ferrée, ce qui avait eu pour conséquence de rendre indisponible l’itinéraire court vers la Lettonie et de la contraindre à emprunter le seul itinéraire disponible, à savoir l’itinéraire long vers la Lettonie, pour acheminer, par train, la partie de sa production destinée à être transportée vers ou à travers la Lettonie.

29 Plus spécifiquement, Orlen a expliqué que le désaccord commercial dont il s’agissait portait sur les tarifs appliqués par LG pour le transport de fret ferroviaire et que, en raison de ce désaccord, elle avait commencé à examiner la possibilité de recourir exclusivement aux services de LDZ pour transporter ses produits pétroliers raffinés sur l’itinéraire court vers la Lettonie ainsi que pour redéployer, grâce à cet itinéraire, ses activités d’exportation par voie maritime au départ du terminal maritime de Klaipėda vers les terminaux maritimes de Riga et de Ventspils, ce dont LG aurait eu connaissance. Orlen a ainsi fait valoir que les mesures prises par la requérante, à savoir la suspension du trafic, puis la suppression de la voie ferrée, n’étaient pas objectivement justifiées et visaient seulement à l’empêcher de redéployer ses exportations par voie maritime vers les terminaux maritimes lettons en faisant appel aux services de transport ferroviaire de LDZ.

30 Du 8 au 10 mars 2011, la Commission, assistée des autorités nationales de concurrence de la République de Lettonie et de la République de Lituanie, a effectué des inspections, au titre de l’article 20 du règlement no 1/2003, dans les locaux de la requérante à Vilnius et dans ceux de LDZ à Riga. Au cours de ces inspections, la Commission a notamment saisi des documents tendant, selon elle, à démontrer que la requérante était consciente de la concurrence potentielle qui aurait pu être exercée par LDZ ainsi que du risque qu’Orlen redéploie ses exportations par voie maritime vers les terminaux maritimes lettons.

31 Le 6 mars 2013, la Commission a décidé d’ouvrir à l’encontre de LG une procédure au sens de l’article 2 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).

32 Le 5 janvier 2015, la Commission a adressé à la requérante une communication des griefs. Dans cette communication des griefs, la Commission concluait, à titre préliminaire, que la requérante s’était potentiellement rendue coupable d’une violation de l’article 102 TFUE.

33 Le 25 mars 2015, Orlen a présenté des observations sur une version non confidentielle de la communication des griefs.

34 Le 8 avril 2015, la requérante a répondu à la communication des griefs et a formulé des observations à l’égard des observations d’Orlen. Une audition a par la suite été organisée le 27 mai 2015.

35 Le 23 octobre 2015, la Commission a envoyé une lettre d’exposé des faits à la requérante, à laquelle cette dernière a répondu le 2 décembre 2015. Le 29 février 2016, la requérante a de nouveau présenté des observations à la Commission.

36 Le 2 octobre 2017, la Commission a adopté la décision C(2017) 6544 final, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire AT.39813 – Baltic Rail) (ci-après la « décision attaquée »), dont un résumé a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2017, C 383, p. 7).

C. Décision attaquée

37 Dans la décision attaquée, la Commission a en substance conclu que la requérante avait abusé de sa position dominante, en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires en Lituanie, en supprimant la voie ferrée, empêchant ainsi LDZ d’entrer sur le marché lituanien. La Commission a infligé une amende à la requérante et lui a enjoint de mettre fin à l’infraction.

1. Définition des marchés pertinents et position dominante de la requérante sur ceux-ci

38 Dans la décision attaquée, la Commission a identifié deux marchés concernés, à savoir :

–   le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires ;

–   le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers.

39 Le marché géographique en cause pour la gestion des infrastructures ferroviaires est considéré comme étant le marché national lituanien. Quant au marché géographique en cause pour le transport ferroviaire de produits pétroliers, la Commission a estimé, sur la base de l’approche « point d’origine – point de destination », dite « approche O & D », qu’il s’agissait du marché du transport de fret ferroviaire au départ de la raffinerie et à destination des trois terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils.

40 La Commission a constaté que, en application de la législation nationale, la requérante détenait un monopole légal sur le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires en Lituanie. À cet égard, l’article 5, paragraphe 1, Lietuvos Respublikos geležinkelių transporto kodekso patvirtinimo, įsigaliojimo ir taikymo įstatymas (code des transports ferroviaires de la République de Lituanie), du 22 avril 2004 (Žin., 2004, no IX-2152, ci-après le « code des transports ferroviaires »), prévoyait que les infrastructures ferroviaires publiques appartenaient à l’État lituanien et étaient confiées à la requérante pour leur gestion.

41 La Commission a également constaté que LG était, à l’exception d’infimes quantités transportées par LDZ, la seule entreprise active sur le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers, ce qui, partant, lui conférait une position dominante sur ce marché.

2. Comportement abusif

42 La Commission a estimé, dans la décision attaquée, que la requérante avait abusé de sa position dominante, en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires en Lituanie, en supprimant la voie ferrée, ce qui était susceptible de produire des effets anticoncurrentiels d’éviction de la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers entre la raffinerie et les terminaux maritimes voisins, en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective. En particulier, la Commission a estimé, aux considérants 182 à 201 de la décision attaquée, que, en supprimant la voie ferrée dans son intégralité, LG avait eu recours à des méthodes autres que celles qui régissaient une concurrence normale. À cet égard, la Commission a relevé, premièrement, que LG avait connaissance du projet d’Orlen de se tourner vers les terminaux maritimes de la Lettonie en recourant aux services de LDZ, deuxièmement, que LG avait supprimé la voie en toute hâte, sans s’assurer du financement nécessaire et sans prendre aucune des mesures préparatoires normales pour sa reconstruction, troisièmement, que la suppression de la voie était contraire aux pratiques courantes du secteur, quatrièmement, que LG était consciente du risque de perte de toute activité de transport des produits d’Orlen en cas de reconstruction de la voie ferrée et, cinquièmement, que LG avait œuvré pour convaincre le gouvernement lituanien de ne pas reconstruire la voie ferrée.

43 La Commission a observé que la voie ferrée permettait d’emprunter l’itinéraire le plus court et le moins onéreux pour relier la raffinerie à un terminal maritime letton. De l’avis de la Commission, en raison de sa proximité avec la Lettonie et avec la base logistique de LDZ, cet itinéraire offrait également à LDZ la possibilité, très favorable, de faire son entrée sur le marché lituanien.

44 S’agissant des effets anticoncurrentiels découlant du comportement de la requérante, la Commission a estimé, à la suite d’une analyse réalisée aux considérants 202 à 324 de la décision attaquée, que la suppression de la voie ferrée avait été susceptible d’empêcher LDZ d’entrer sur le marché ou, à tout le moins, avait rendu beaucoup plus difficile son entrée sur le marché, et ce alors même que, de l’avis de la Commission, avant la suppression de la voie ferrée, LDZ disposait d’une opportunité crédible de transporter les produits pétroliers d’Orlen destinés à l’exportation maritime, à partir de la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons, par l’itinéraire court vers la Lettonie. Avec la suppression de la voie ferrée, tout transport ferroviaire de la raffinerie vers un terminal maritime letton devait emprunter un itinéraire beaucoup plus long sur le territoire de la Lituanie. En particulier, la Commission a estimé que, après la suppression de la voie ferrée, la seule option pour LDZ pour concurrencer la requérante aurait été d’essayer d’être active sur l’itinéraire vers Klaipėda ou sur l’itinéraire long vers la Lettonie. LDZ aurait de ce fait été contrainte de mener ses activités loin de sa base logistique en Lettonie et aurait été tributaire des services de gestion des infrastructures de son concurrent, LG. Dans ces circonstances, la Commission a considéré que, d’un point de vue ex ante, LDZ était exposée à d’importants risques commerciaux, qu’elle était moins susceptible de prendre.

45 La Commission a également estimé, aux considérants 325 à 357 de la décision attaquée, que la requérante n’avait fourni aucune justification objective concernant la suppression de la voie ferrée, en ce que les explications avancées ne concordaient pas entre elles, se contredisaient parfois et étaient peu convaincantes.

3. Amende et injonction

46 En appliquant les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 »), la Commission, compte tenu de la gravité et de la durée de l’infraction, a infligé à la requérante une amende de 27 873 000 euros.

47 La Commission a également estimé que plusieurs mesures correctives de nature comportementale ou structurelle auraient pu soit rétablir la situation concurrentielle qui existait avant la suppression de la voie ferrée, soit remédier aux désavantages auxquels faisaient face les concurrents potentiels sur les autres itinéraires menant aux terminaux maritimes. À cette fin, elle a enjoint à LG de mettre fin à l’infraction et de lui communiquer, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision attaquée, une proposition de mesures à cet effet.

4. Dispositif de la décision attaquée

48 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :

« Article premier

[LG] a enfreint l’article 102 TFUE en supprimant la voie ferrée entre Mažeikiai en Lituanie et la frontière lettonne. L’infraction a commencé le 3 octobre 2008 et se poursuit à la date d’adoption de la présente décision.

Article 2

Pour l’infraction visée à l’article 1er, une amende de 27 873 000 [euros] est infligée à [LG].

[…]

Article 3

[LG] doit mettre fin à l’infraction visée à l’article 1er et soumettre à la Commission, dans un délai de 3 mois, une proposition de mesures à cet effet. Cette proposition est suffisamment détaillée pour permettre à la Commission de procéder à une évaluation préliminaire afin de déterminer si les mesures proposées garantiront le respect effectif de la décision.

[LG] doit s’abstenir de reproduire tout comportement ayant un objet ou un effet similaire au comportement visé à l’article 1er […] »

II. Procédure et conclusions des parties

49 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 décembre 2017, la requérante a introduit le présent recours.

50 Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 5 avril 2018, Orlen a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission.

51 À la demande de la Commission, le délai pour le dépôt d’une demande de traitement confidentiel a été prorogé et fixé au 4 juin 2018.

52 Par lettres déposées au greffe du Tribunal, respectivement, le 1er et le 4 juin 2018, la Commission et la requérante ont demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’intervenante, de certains éléments contenus dans la requête et dans le mémoire en défense ainsi que dans certaines de leurs annexes. Des versions communes non confidentielles de la requête et du mémoire en défense ont été déposées par la requérante et la Commission.

53 Par lettre du 15 juin 2018, la requérante a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’intervenante, de certains éléments contenus dans la réplique et dans son annexe.

54 Par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 13 juillet 2018, Orlen a été admise à intervenir à l’appui des conclusions de la Commission. La décision sur le bien-fondé des demandes de traitement confidentiel a été réservée et des versions non confidentielles des différentes pièces de procédure, préparées par les parties principales, ont été communiquées à Orlen.

55 Par lettre du 31 juillet 2018, la Commission a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’intervenante, de certains éléments contenus dans la réplique. Le même jour, une version commune non confidentielle de la réplique a été déposée par la requérante et la Commission.

56 Par lettre du 5 août 2018, l’intervenante a contesté la confidentialité de certains passages occultés dans les versions non confidentielles de certaines pièces de procédure, à savoir les annexes A 14 et A 26.

57 Par lettre du 30 août 2018, la requérante a demandé le traitement confidentiel, à l’égard de l’intervenante, de certains éléments contenus dans la duplique. Une version commune non confidentielle de la duplique a été déposée au greffe par les parties principales.

58 Le 15 septembre 2018, l’intervenante a déposé son mémoire en intervention.

59 Par lettre du 22 septembre 2018, l’intervenante a fait savoir qu’elle n’avait pas d’objection à l’encontre des demandes de traitement confidentiel déposées par les parties principales s’agissant de certains éléments contenus dans la réplique et dans la duplique.

60 Le 24 septembre 2018, le Tribunal (troisième chambre) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, posé par écrit des questions à la requérante et à l’intervenante. Celles-ci ont répondu à ces questions dans le délai imparti.

61 Le 13 décembre 2018, le Tribunal (troisième chambre) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, du règlement de procédure, posé par écrit des questions à la requérante et à l’intervenante.

62 Le 21 décembre 2018, l’intervenante a fait suite aux questions du Tribunal en retirant ses objections concernant l’annexe A.26, alors que, le 7 janvier 2019, la requérante a retiré sa demande de traitement confidentiel de l’annexe A.14. Dès lors, aucune objection ne subsiste en ce qui concerne les demandes de traitement confidentiel présentées par la requérante.

63 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la première chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

64 Sur proposition de la première chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

65 Le 28 novembre 2019, sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (première chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites et a sollicité la production d’un document. Les parties ont déféré à ces demandes dans le délai imparti.

66 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 5 février 2020.

67 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–   annuler la décision attaquée ;

–   à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée au titre de l’article 2 de la décision attaquée ;

–   condamner la Commission aux dépens.

68 La Commission et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–   rejeter le recours dans son intégralité ;

–   condamner la requérante aux dépens.

III. En droit

A. Sur les conclusions, soulevées à titre principal, tendant à l’annulation de la décision attaquée

69 La requérante invoque cinq moyens à l’appui de ses conclusions principales, qui tendent à l’annulation de la décision attaquée. En substance, le premier moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne le caractère abusif du comportement de la requérante, le deuxième, d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne l’appréciation de la pratique en cause, le troisième, de la violation de l’article 296 TFUE et de l’article 2 du règlement no 1/2003 pour insuffisance de preuve et défaut de motivation, le quatrième, uniquement dans sa première branche, d’erreurs dans la détermination du montant de l’amende et, le cinquième, d’erreurs tenant à l’imposition d’une mesure corrective.

1. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne le caractère abusif du comportement de la requérante

70 À l’appui de son premier moyen, la requérante conteste, en substance, le critère juridique appliqué par la Commission dans la décision attaquée pour qualifier son comportement d’abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE. Selon la requérante, la Commission aurait dû apprécier la présente affaire à la lumière de la jurisprudence établie en matière de refus d’accès à des infrastructures essentielles, qui fixe un seuil beaucoup plus élevé pour conclure au caractère abusif d’une pratique que celui appliqué dans la décision attaquée.

71 Tout d’abord, selon la requérante, ce n’est pas la suppression de la voie ferrée qui présente des effets anticoncurrentiels. Ce serait en réalité la suspension du trafic, intervenue un mois plus tôt, qui aurait eu ces effets. De l’avis de la requérante, même si la voie ferrée n’avait pas été supprimée le 3 octobre 2008 et indépendamment du fait qu’elle n’a pas été réparée après la suspension du trafic le 2 septembre 2008, LDZ n’aurait, en toute hypothèse, pas pu l’utiliser. Par conséquent, d’après la requérante, la question juridique se résume à la question de savoir si, dans les circonstances de la présente affaire, l’article 102 TFUE lui imposait une obligation de réparer la voie ferrée. En l’absence d’une telle obligation, la question de l’existence ou non de justifications objectives à la suppression de la voie ferrée ne se poserait pas.

72 Ensuite, la requérante fait valoir, en substance, que l’obligation de réparer ou d’investir dans une infrastructure à laquelle une concurrente peut demander à avoir accès ne peut lui être imposée, en vertu de l’article 102 TFUE, que dans l’hypothèse où la voie ferrée serait une infrastructure essentielle, c’est-à-dire dans l’hypothèse où elle serait indispensable pour que LDZ puisse exercer ses activités sur le marché en aval pertinent et où l’absence de réparation par la requérante éliminerait toute concurrence sur le marché en aval. Cependant, selon la requérante, les deux conditions ne sont pas remplies en l’espèce. En particulier, l’accès à la voie ferrée ne serait pas indispensable pour que LDZ puisse exercer une concurrence sur le marché en aval pertinent.

73 De manière plus générale, la requérante soutient que le fait qu’une solution de remplacement puisse être moins avantageuse du point de vue d’un concurrent ne rend pas une infrastructure « essentielle » ou « indispensable ». Ainsi, la requérante subirait une restriction injustifiée de sa liberté d’entreprise et de ses droits de propriété si elle était tenue, en vertu de l’article 102 TFUE, d’investir des montants substantiels dans une infrastructure non essentielle, complètement délabrée et non opérationnelle uniquement pour permettre l’entrée sur le marché d’une seule concurrente, en mettant à sa disposition un itinéraire plus intéressant pour desservir un seul client et pour une petite partie de sa production.

74 Enfin, la requérante fait observer que le critère juridique fondé sur la jurisprudence rendue en matière d’infrastructures essentielles était celui que la Commission elle-même envisageait d’appliquer avant la communication des griefs. Lors d’une réunion avec la requérante, le 25 mars 2013, les services de la Commission auraient en effet expliqué que la théorie du préjudice était fondée sur la prémisse selon laquelle la suppression de la voie ferrée constituait un refus de fournir des services d’infrastructure essentiels à LDZ.

75 La Commission et l’intervenante contestent cette argumentation.

76 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 102 TFUE interdit, notamment, à une entreprise occupant une position dominante de mettre en œuvre des pratiques produisant des effets d’éviction pour ses concurrents considérés comme étant aussi efficaces qu’elle-même, renforçant sa position dominante en recourant à des moyens autres que ceux qui relèvent d’une concurrence par les mérites (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 136 et jurisprudence citée).

77 Selon une jurisprudence constante, il incombe à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur (voir arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission, C‑413/14 P, EU:C:2017:632, point 135 et jurisprudence citée).

78 Il est jugé, à cet égard, que l’exploitation abusive d’une position dominante interdite par l’article 102 TFUE est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (voir arrêts du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 17 et jurisprudence citée, et du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 140 et jurisprudence citée).

79 L’article 102 TFUE vise non seulement les pratiques qui causent un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice en portant atteinte au jeu de la concurrence (voir arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 20 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 171).

80 Il ne s’agit pas nécessairement de l’effet concret du comportement abusif dénoncé. Aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 102 TFUE, il y a lieu de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est susceptible d’avoir un tel effet (arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 68 ; voir, également, arrêts du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 144 et jurisprudence citée, et du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 268 et jurisprudence citée). Par ailleurs, le fait que le comportement abusif d’une entreprise occupant une position dominante ait des effets défavorables sur des marchés autres que les marchés dominés ne fait pas obstacle à l’application de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, EU:C:1996:436, point 25).

81 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’analyser les arguments avancés par la requérante à l’appui de son premier moyen.

82 En l’espèce, il convient de préciser que l’argumentation présentée par la requérante dans le premier moyen concerne uniquement le critère juridique appliqué par la Commission en vue de qualifier son comportement d’abus de position dominante.

83 Aux considérants 177 et 178 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, en supprimant la voie ferrée sans justification objective, la requérante avait abusé de sa position dominante sur le marché lituanien de la gestion des infrastructures ferroviaires. En particulier, la Commission a considéré que, dans les circonstances juridiques et factuelles en cause, la suppression de la voie ferrée n’était pas une pratique conforme à celles qui gouvernaient une concurrence normale. D’après la Commission, cela a engendré de potentiels effets anticoncurrentiels sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers entre la raffinerie et les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, et ce par la création de barrières à l’entrée sur le marché.

84 Il en résulte que, en l’espèce, le comportement incriminé par la décision attaquée consiste en la suppression de la voie ferrée en tant que telle, indépendamment de la suspension du trafic sur cette voie le 2 septembre 2008 et de son absence de réparation.

85 À cet égard, tout d’abord, dans la mesure où, par son argumentation, la requérante conteste le fait que la suppression de la voie ferrée en tant que telle puisse être qualifiée de comportement potentiellement abusif, il convient de rappeler que la liste des pratiques abusives figurant à l’article 102 TFUE n’est pas limitative, de sorte que l’énumération des pratiques abusives contenue dans cette disposition n’épuise pas les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le droit de l’Union européenne (voir arrêt du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83, point 26 et jurisprudence citée). Dès lors, en principe, tout comportement d’une entreprise en situation de position dominante et qui est susceptible de restreindre la concurrence sur un marché peut être qualifié d’abusif. Il en découle qu’il ne peut être exclu que la suppression de la voie ferrée puisse, à elle seule, indépendamment de la suspension du trafic et de l’absence de réparation, être qualifiée de comportement potentiellement abusif.

86 Partant, il y a lieu de vérifier si, en l’espèce, la Commission a appliqué, dans la décision attaquée, le critère juridique approprié pour constater que la pratique en cause, à savoir la suppression de la voie ferrée, constituait un abus de position dominante, au sens de l’article 102 TFUE.

87 À titre liminaire, il convient de souligner que la jurisprudence relative aux infrastructures essentielles concerne, en substance, les circonstances dans lesquelles un refus de fourniture, de la part d’une entreprise en position dominante, par le biais, en particulier, de l’exercice d’un droit de propriété, est susceptible de constituer un abus de position dominante. Cette jurisprudence a ainsi notamment trait aux situations dans lesquelles le libre exercice d’un droit exclusif, qui sanctionne la réalisation d’un investissement ou d’une création, peut être limité dans l’intérêt d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur (voir arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 679 et jurisprudence citée).

88 En particulier, cette limitation, qui se traduit in fine par l’imposition d’une obligation de fourniture, est admise à condition que les trois circonstances exceptionnelles, précisées par la Cour notamment dans l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569), soient réunies.

89 Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569), la Cour a considéré que, afin que le refus par une entreprise en position dominante d’accorder l’accès à un service pût constituer un abus au sens de l’article 102 TFUE, il fallait que ce refus fût de nature à éliminer toute concurrence sur le marché de la part du demandeur du service, que ce refus ne pût être objectivement justifié et que le service en lui-même fût indispensable à l’exercice de l’activité du demandeur (arrêt du 26 novembre 1998, Bronner, C‑7/97, EU:C:1998:569, point 41 ; voir, également, arrêt du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 147 et jurisprudence citée).

90 La finalité des circonstances exceptionnelles énoncées dans l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569), est de veiller à ce que l’obligation faite à une entreprise en situation de position dominante de fournir un accès à son infrastructure n’entrave pas, en définitive, la concurrence en diminuant, pour cette entreprise, l’incitation initiale à construire une telle infrastructure. En effet, une entreprise dominante serait moins encouragée à investir dans des infrastructures si ses concurrents pouvaient, sur demande, en partager les bénéfices (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner, C‑7/97, EU:C:1998:264, point 57).

91 Cependant, une telle exigence de protection de l’incitation de l’entreprise en situation de position dominante à investir dans la réalisation d’installations essentielles ne subsiste pas lorsque le cadre réglementaire applicable impose déjà une obligation de fourniture à l’entreprise en situation de position dominante ou lorsque la position dominante que l’entreprise a acquise sur le marché découle d’un ancien monopole d’État.

92 La jurisprudence a ainsi reconnu que les circonstances exceptionnelles élaborées dans l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569), avaient été édictées et appliquées dans le contexte d’affaires dans lesquelles était en jeu la question de savoir si l’article 102 TFUE pouvait être de nature à requérir de l’entreprise en position dominante qu’elle fournisse à d’autres entreprises l’accès à un produit ou à un service, en l’absence de toute obligation réglementaire en ce sens (arrêt du 13 décembre 2018, Slovak Telekom/Commission, T‑851/14, sous pourvoi, EU:T:2018:929, point 118). En effet, lorsqu’il existe une obligation légale de fourniture, la mise en balance nécessaire des incitations économiques, dont la protection justifie l’application des circonstances exceptionnelles développées dans l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569), a déjà été réalisée par le législateur au moment où une telle obligation a été imposée.

93 La jurisprudence a également reconnu que l’existence d’une position dominante trouvant son origine dans un monopole légal devait être prise en considération dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark, C‑209/10, EU:C:2012:172, point 23 et jurisprudence citée). Il en est ainsi, à plus forte raison, lorsque, dans une situation de monopole légal, l’entreprise n’a pas investi dans la réalisation de l’infrastructure, cette dernière ayant été construite et développée au moyen de fonds publics.

94 En l’espèce, en premier lieu, il y a lieu de relever que la requérante détient une position dominante sur le marché de la gestion des infrastructures ferroviaires qui découle d’un monopole légal. La requérante n’a en outre pas investi dans le réseau ferroviaire lituanien, qui appartient à l’État lituanien et a été construit et développé au moyen de fonds publics.

95 En deuxième lieu, il convient de rappeler que la requérante ne jouit pas du libre exercice d’un droit exclusif de propriété, qui sanctionne la réalisation d’un investissement ou d’une création. En sa qualité de gestionnaire des infrastructures ferroviaires lituaniennes, elle est chargée, à la fois en vertu du droit de l’Union et du droit national, d’accorder l’accès aux infrastructures ferroviaires publiques ainsi que d’assurer le bon état technique de ces infrastructures et un trafic ferroviaire sûr et ininterrompu et, en cas de perturbation du trafic ferroviaire, de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la situation normale.

96 En effet, il y a lieu de relever que l’article 10 de la directive 91/440/CEE du Conseil, du 29 juillet 1991, relative au développement de chemins de fer communautaires (JO 1991, L 237, p. 25), accordait aux entreprises ferroviaires établies dans l’Union un accès aux infrastructures ferroviaires à des conditions équitables aux fins de l’exploitation de tels services dans tous les États membres. En outre, l’article 5 de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO 2001, L 75, p. 29), conférait aux entreprises ferroviaires le droit d’accès, sur une base non discriminatoire, à l’ensemble des prestations minimales ainsi que l’accès par le réseau aux infrastructures de services décrits à l’annexe II de la même directive. De même, ainsi que cela a été relevé au considérant 131 de la décision attaquée, sur le plan national, les règles d’attribution des capacités d’infrastructure des chemins de fer publics définissent les catégories de services d’infrastructure qui correspondent à la liste de services figurant à l’annexe II de la directive 2001/14. En particulier, selon le paragraphe 57 desdites règles, le « paquet d’accès minimal » et l’accès aux infrastructures ferroviaires doivent être fournis de manière non discriminatoire.

97 En outre, ainsi que cela ressort du considérant 122 de la décision attaquée, l’article 29, paragraphe 1, de la directive 2001/14 prévoyait que, « [e]n cas de perturbation de la circulation des trains du fait d’une défaillance technique ou d’un accident, le gestionnaire des infrastructures d[eva]it prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le rétablissement de la situation normale ». De même, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, point 4, de la Lietuvos Respublikos geležinkelių transporto sektoriaus reformos įstatymas (loi sur la réforme du secteur des transports ferroviaires de la République de Lituanie), du 27 avril 2004 (Žin., 2004, no 61-2182), en vigueur jusqu’au 8 octobre 2011, la requérante était tenue d’assurer le bon état technique des infrastructures ferroviaires publiques et un trafic ferroviaire sûr et ininterrompu. De plus, le paragraphe 69 des règles d’attribution des capacités d’infrastructure ferroviaire publique, adoptées par la décision no 611 du gouvernement de la République de Lituanie le 19 mai 2004, modifiée par la décision no 167 du 15 février 2006, dispose que, en cas de perturbation du trafic ferroviaire causée par un accident de la circulation ferroviaire, le gestionnaire des infrastructures doit prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir la situation normale.

98 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que prétend la requérante, au regard du cadre réglementaire pertinent, le comportement en cause, à savoir la suppression de la totalité de la voie ferrée, ne saurait être analysé à la lumière de la jurisprudence établie en matière de refus de fournir l’accès à des infrastructures essentielles, mais doit l’être comme un comportement de nature à faire obstacle à l’entrée sur le marché en rendant l’accès à ce dernier plus difficile et à entraîner ainsi un effet d’éviction anticoncurrentielle. Il s’ensuit que la question de savoir si l’article 102 TFUE imposait à la requérante une obligation de réparer la voie ferrée est sans pertinence aux fins de la présente affaire.

99 Il en résulte que c’est sans commettre d’erreur que la Commission s’est abstenue d’apprécier si le comportement litigieux satisfaisait aux conditions tenant à l’indispensabilité du service dont l’accès avait été refusé et à l’élimination de toute concurrence édictées au point 41 de l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569). Il était en effet suffisant, sous réserve d’une éventuelle justification objective, de démontrer qu’il s’agissait d’un comportement de nature à restreindre la concurrence et, notamment, à constituer un obstacle à l’entrée sur le marché (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, points 149 et 153).

100 La requérante, en réponse à l’argumentation de la Commission, cherche à remettre en cause cette conclusion, en faisant valoir qu’elle n’était pas tenue, en vertu de l’article 102 TFUE, d’investir ses ressources dans une nouvelle infrastructure étant donné que la voie ferrée était complètement délabrée et ne pouvait plus être utilisée. En particulier, selon la requérante, aucune disposition de droit national ne lui imposait le devoir absolu d’investir ses ressources très limitées dans une nouvelle infrastructure remplaçant une voie ferrée complètement délabrée, alors que d’autres itinéraires étaient disponibles sur le réseau.

101 À cet égard, il y a lieu de relever que cette argumentation se fonde sur la prémisse selon laquelle la Commission, au lieu d’examiner en tant que pratique abusive la suppression de la voie ferrée, aurait dû examiner si, à la lumière de la jurisprudence concernant les infrastructures essentielles, l’absence de réparation de cette dernière pouvait être qualifiée de pratique abusive. Or, il ressort de l’analyse menée aux points 98 et 99 ci-dessus que cette prémisse est erronée.

102 Quant à l’argument selon lequel le critère juridique fondé sur la jurisprudence concernant l’accès aux infrastructures essentielles aurait été celui que la Commission elle-même envisageait avant la communication des griefs étant donné que, lors d’une réunion, le 25 mars 2013, avec la requérante, les services de la Commission auraient expliqué que la théorie du préjudice dans la présente affaire était fondée sur la prémisse selon laquelle la suppression de la voie ferrée constituait un refus de fournir l’accès à des services d’infrastructure essentiels à LDZ, il suffit de relever que le fait que le procès-verbal d’une réunion avec les représentants des services de la Commission antérieure à la communication des griefs, rédigé exclusivement par le conseiller juridique de la requérante et non approuvé par la Commission, indique que la « théorie du préjudice » préalablement retenue par elle pourrait avoir été un refus de fournir des services essentiels à LDZ ne saurait lier l’appréciation de la Commission dans la décision attaquée. Par ailleurs, il ressort expressément du procès-verbal en cause que les opinions exprimées lors de la réunion n’étaient que des opinions préliminaires et que d’autres théories du préjudice pouvaient également être envisagées par la Commission. En particulier, il ressort du second paragraphe de la section « Théorie du préjudice » de ce procès-verbal que, selon la Commission, la suppression de la voie ferrée pouvait également être considérée comme une restriction de la concurrence par objet, dans la mesure où cela aurait pu empêcher la concurrence dans la fourniture de services de transport ferroviaire.

103 Compte tenu de ce qui précède, il convient de conclure que la Commission n’était pas tenue d’apprécier la compatibilité du comportement de la requérante avec l’article 102 TFUE à la lumière de la jurisprudence établie en matière de refus de fournir l’accès à des infrastructures essentielles.

104 Partant, il convient d’écarter le premier moyen comme non fondé.

2. Sur le deuxième moyen, tiré d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne l’appréciation de la pratique en cause

105 Par son deuxième moyen, la requérante  allègue, en substance, une violation de l’article 102 TFUE ainsi que des erreurs manifestes d’appréciation en ce qui concerne l’appréciation de la pratique en cause, car, selon elle, dans les circonstances juridiques et factuelles du cas d’espèce, la suppression de la voie ferrée, qui était une infrastructure non essentielle et délabrée, ne constituait pas un abus de position dominante. En particulier, selon la requérante, même si la suppression d’une telle infrastructure eût pu, dans des circonstances très exceptionnelles, constituer une pratique abusive, bien que les conditions fixées par la jurisprudence et rappelées dans le cadre du premier moyen ne fussent pas remplies, la Commission n’aurait pas démontré à suffisance de droit que de telles circonstances très exceptionnelles existaient en l’espèce à propos de la voie ferrée.

106 La requérante subdivise le deuxième moyen en quatre branches.

107 À titre liminaire, il convient de rappeler que la portée du contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE s’étend à l’ensemble des éléments des décisions de la Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE dont le Tribunal assure un contrôle approfondi, en droit comme en fait, à la lumière des moyens soulevés par la partie requérante et compte tenu de l’ensemble des éléments soumis par cette dernière (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 72 et jurisprudence citée).

a) Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’erreurs dans les « doutes » exprimés par la Commission quant à la réalité des défauts de la voie ferrée

108 Par la première branche du deuxième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir commis une erreur de droit doublée d’une erreur d’appréciation en ce que les doutes dont cette dernière a fait état à propos de l’existence et de l’importance des défauts de la voie ferrée pour la sécurité du trafic seraient sans fondement. En particulier, la requérante reproche à la Commission d’avoir déclaré que la suppression de la voie ferrée n’était « pas justifiée » et que les explications techniques qu’elle avait fournies à propos de la voie ferrée et de ses défauts étaient « peu convaincantes ». Elle fait également valoir que les « doutes » exprimés à propos de l’existence et de l’importance des défauts de la voie ferrée étaient en réalité motivés par la circonstance que la Commission la soupçonnait d’avoir utilisé des problèmes de sécurité comme prétexte pour dissimuler son comportement.

109 Au soutien de cette première branche, la requérante formule quatre griefs.

1) Sur le premier grief de la première branche, tiré de l’existence de doutes quant à la survenance de la déformation de la voie ferrée

110 Par son premier grief, la requérante fait valoir que les doutes exprimés par la Commission en ce qui concerne la survenance de la déformation sont totalement dénués de fondement. La requérante soutient que les doutes exprimés par la Commission quant à l’existence de la déformation sont motivés par des soupçons attachés à la circonstance qu’elle a invoqué des problèmes de sécurité pour justifier son comportement. À cet égard, elle avance que la déformation a en effet été rapidement rapportée par plusieurs de ses salariés qui participaient à la surveillance de la voie ferrée ou en étaient responsables et que leurs rapports étaient tous cohérents dans leur description de la déformation. Dès lors, selon la requérante, il n’y a absolument aucune raison de soupçonner qu’ils aient tous pu « comploter » pour « inventer » une déformation qui n’existait pas.

111 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

112 En l’espèce, il suffit de constater que, ainsi que le reconnaît la requérante elle-même, la Commission a indiqué, au considérant 181 de la décision attaquée, que, malgré ses doutes quant à l’existence de la déformation, elle avait fondé son analyse sur l’hypothèse selon laquelle celle-ci s’était produite telle qu’elle était présentée par la requérante. En particulier, la Commission a considéré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour écarter les affirmations de la requérante concernant la survenance et l’ampleur de la déformation, ce qu’elle a de nouveau confirmé lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal. En outre, à l’instar de la requérante, la Commission a reconnu que la déformation avait été enregistrée dans divers documents écrits produits par la requérante. Il ressort également du considérant 179 de la décision attaquée que la Commission a examiné les circonstances entourant l’apparition de la déformation non pas pour tenter de démontrer que la requérante avait agi de mauvaise foi en inventant purement et simplement la déformation, mais uniquement parce que l’intervenante avait fait valoir que la déformation n’aurait pas pu se produire de la manière décrite par la requérante, ce que cette dernière a vigoureusement contesté.

113 Par conséquent, il y a lieu de constater que l’argumentation de la requérante tirée de l’existence de prétendus doutes exprimés par la Commission quant à l’existence de la déformation de la voie ferrée doit être écartée.

2) Sur le deuxième grief de la première branche, tiré d’erreurs dans l’appréciation de l’affirmation selon laquelle la suppression de la voie ferrée résultait uniquement de la déformation

114 Par son deuxième grief, la requérante conteste l’affirmation, contenue au considérant 329 de la décision attaquée, selon laquelle elle aurait initialement fait valoir, dans sa réponse à la première demande de renseignements du 6 janvier 2012, que la suppression de la totalité de la voie ferrée résultait uniquement de la survenance de la déformation. À cet égard, elle soutient qu’elle a renvoyé, dans sa réponse, à la description détaillée de la procédure qui avait conduit à la fermeture et à la suppression de la voie ferrée. Dès lors, selon la requérante, tant dans sa réponse à la première demande de renseignements que dans ses observations sur la communication des griefs, elle a avancé les mêmes arguments, à savoir que, si la déformation l’avait conduite à évaluer la voie ferrée dans sa totalité, c’était bien l’état général de la voie ferrée, et non la survenance de la seule déformation, qui avait justifié sa suppression.

115 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

116 En l’espèce, il convient de relever que, ainsi que cela a été constaté au considérant 329 de la décision attaquée, dans la réponse à la première demande de renseignements, la requérante a affirmé que « [l]a fermeture et la suppression subséquente de la partie lituanienne de la voie [ferrée avaient] été la conséquence de l’incident qui s’[était] produit sur la voie ferrée le 2 septembre 2008 ». Cependant, immédiatement après cette phrase, la requérante a renvoyé à « la description détaillée de la procédure qui a[vait] conduit à la fermeture et à la suppression [de la voie ferrée] ».

117 Or, même à supposer que l’affirmation, contenue dans la décision attaquée, selon laquelle la requérante avait initialement soutenu que la suppression de la voie ferrée était la conséquence de l’apparition de la déformation ne soit pas rapportée correctement, ainsi qu’elle le soutient, il y a lieu de constater que cette circonstance est dénuée de pertinence, dès lors que la Commission, dans la décision attaquée, n’a pas fondé son analyse sur cette affirmation, mais sur l’argumentation de la requérante avancée en réponse à la communication des griefs. En effet, l’affirmation litigieuse n’a servi qu’à exclure que la déformation à elle seule ait pu justifier la suppression de la totalité de la voie ferrée.

118 Il s’ensuit que le grief de la requérante doit être écarté.

3) Sur le troisième grief de la première branche, tiré d’erreurs dans l’appréciation des différences entre les rapports du 5 septembre 2008 et les lettres des 4 et 5 septembre 2008

119 Par son troisième grief, la requérante fait valoir que les prétendues divergences non expliquées, pointées par la Commission au considérant 334 de la décision attaquée, entre les rapports du 5 septembre 2008, d’une part, et les deux lettres du directeur local d’une succursale de la requérante (ci-après le « directeur local ») des 4 et 5 septembre 2008, d’autre part, et suivant lesquelles les rapports indiquaient, d’un côté, qu’une réparation locale du site de la déformation était suffisante alors que, de l’autre, les lettres du directeur local faisaient référence à la nécessité de travaux plus complets sur la voie ferrée, seraient dues au fait que la mission des quatre membres de la commission d’inspection était limitée à l’analyse de la déformation et qu’ils auraient examiné exclusivement le site de la déformation, et non la totalité de la voie ferrée. En revanche, la mission du directeur local, auquel les membres de la commission d’inspection ont remis leurs rapports, n’aurait pas été limitée. Il aurait en effet été le salarié le plus expérimenté, puisqu’il était responsable des infrastructures et de la sécurité du trafic dans sa région et que sa principale responsabilité aurait consisté à évaluer ce que l’incident signifiait pour la sécurité de la totalité de la voie ferrée. Sur la base de son expérience s’agissant de la voie ferrée et compte tenu du fait que toutes les mesures prises auparavant, notamment les réparations mineures et les réductions de la vitesse à 25 km/h, n’avaient pas empêché un incident aussi grave que la déformation, qui aurait pu avoir un impact potentiellement dévastateur sur l’environnement (pollution pétrolière) et qui aurait également pu se produire sur un tout autre segment de la voie ferrée, il aurait été amené à conclure qu’une rénovation, c’est-à-dire une reconstruction de la totalité de la voie ferrée, était nécessaire pour reprendre le trafic en toute sécurité. Par ailleurs, la requérante précise que la limitation de la vitesse sur la voie ferrée était bien connue d’elle, de sorte que la Commission ne pourrait tirer aucune conclusion de la circonstance que le directeur local n’avait pas mentionné expressément dans ses lettres des 4 et 5 septembre 2008 que la réduction de la vitesse maximale n’avait pas empêché la déformation.

120 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

121 À cet égard, il convient de rappeler que, le 3 septembre 2008, la requérante a nommé une commission d’inspection composée de cadres de sa filiale locale afin d’enquêter sur les raisons de la déformation. La commission d’inspection n’a visité et inspecté que le site de la déformation. Dès lors, ses conclusions concernaient l’état de la voie ferrée faisant uniquement référence à cet endroit. La commission d’inspection a présenté deux rapports, à savoir le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 et le rapport technique du 5 septembre 2008.

122 D’après le rapport d’enquête du 5 septembre 2008, la déformation aurait été provoquée par la détérioration physique de nombreux éléments composant la structure de la voie ferrée. Ce rapport d’enquête a également confirmé que le trafic devait demeurer suspendu « jusqu’à ce que tous les travaux de restauration et de réparation soient terminés ».

123 Les observations contenues dans le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 ont été confirmées par le rapport technique du 5 septembre 2008, qui, tout comme le premier rapport, se référerait uniquement au site de la déformation et identifiait la cause de la déformation dans divers problèmes concernant la structure de la voie ferrée. Le rapport technique du 5 septembre 2008 a conclu que l’accident du trafic qui s’était produit sous la forme d’une déformation sur la voie ferrée devait être qualifié d’incident et qu’il était dû à l’usure physique des éléments supérieurs de la structure de la voie ferrée.

124 Le 4 septembre 2008, un jour avant que la commission d’inspection n’ait remis les rapports du 5 septembre 2008, le directeur local a envoyé une lettre à la direction des infrastructures ferroviaires de LG. Dans cette lettre, le directeur local faisait les mêmes constats que ceux contenus dans les rapports du 5 septembre 2008, mais parvenait à la conclusion selon laquelle « une réparation partielle de la voie ferrée ne résoudrait pas le problème » et demandait l’autorisation et le financement nécessaires à la mise en œuvre d’un projet de réparation de la totalité de la voie ferrée.

125 Le directeur local a repris ses conclusions dans une seconde lettre, du 5 septembre 2008, dans laquelle il a estimé le coût des travaux à 38 millions de litas lituaniens (LTL), correspondant à environ 11,2 millions d’euros.

126 Ainsi, premièrement, il convient de relever qu’il ne ressort pas de la teneur des lettres des 4 et 5 septembre 2008 du directeur local que, ainsi que la requérante le fait valoir, son mandat n’ait pas été limité au site de la déformation, raison pour laquelle ce dernier aurait été amené à évaluer l’état de la totalité de la voie ferrée tandis que la commission d’inspection du 3 septembre 2008 avait limité son examen au site de la déformation. En effet, dans la lettre du 4 septembre 2008, l’auteur s’est borné à signaler qu’une déformation au dix-huitième kilomètre de la voie ferrée avait été signalée lors d’une inspection régulière, puis a énuméré les résultats de l’inspection concernant la cause de la déformation et a conclu en déclarant que « des réparations partielles ne résoudr[aie]nt pas le problème ». Il a conclu également en demandant l’autorisation et le financement nécessaires à la mise en œuvre d’un projet de réparation de la totalité de la voie ferrée. De même, la lettre du 5 septembre 2008 est une lettre succincte dans laquelle le directeur local a rapporté la date et l’heure de la déformation et a estimé que, afin de rétablir le trafic sur la voie ferrée, des travaux sur la totalité de cette voie étaient nécessaires. Il a estimé également le coût des travaux à 38 millions LTL et a demandé au destinataire son concours dans l’allocation de fonds pour l’exécution de ces travaux.

127 Deuxièmement, ainsi que le relève la Commission, il y a lieu de constater que les membres de la commission d’inspection du 3 septembre 2008, qui ont préparé les rapports du 5 septembre 2008 et qui ont recommandé une réparation locale de la déformation, étaient des cadres supérieurs appartenant à la même succursale de LG que le directeur local et qui, à l’instar de ce dernier, devaient connaître l’historique de la voie ferrée.

128 Troisièmement, ainsi que cela est constaté au considérant 332 de la décision attaquée, il y a lieu d’observer qu’il ressort de la comparaison des rapports du 5 septembre 2008 avec la lettre du 4 septembre 2008 du directeur local, telle que résumée dans le tableau no 2, qui figure au considérant 46 de la décision attaquée, que les trois documents font état des mêmes problèmes concernant la structure de la voie ferrée. Par conséquent, il est difficile de percevoir les raisons pour lesquelles les rapports du 5 septembre 2008 recommandaient des réparations locales à l’endroit de la déformation, alors que les lettres des 4 et 5 septembre 2008 préconisaient des travaux de réparation complets sur la totalité de la voie ferrée.

129 Quatrièmement, il y a lieu de considérer que la requérante n’est pas fondée à faire valoir que le directeur local avait conclu à la nécessité d’une suppression et d’une reconstruction intégrale de la voie ferrée sur la base de son expérience s’agissant de celle-ci et du fait que les mesures prises auparavant, notamment les réductions de la vitesse, n’avaient pas empêché la survenance de la déformation. En effet, les lettres du directeur local des 4 et 5 septembre 2008 ne font pas mention d’un prétendu échec des précédentes mesures, telles que la limitation de la vitesse. En particulier, la lettre du directeur local du 4 septembre 2008 s’est limitée à constater, sans davantage de précisions, que « des réparations partielles ne résoudr[aie]nt pas le problème ». Par ailleurs, la circonstance que la question de la limitation de vitesse sur la voie ferrée était bien connue au sein de LG, à la supposer établie, n’est pas susceptible de combler l’absence de référence à l’échec des précédentes mesures, ni, en tout état de cause, de justifier les incohérences entre les rapports du 5 septembre 2008 et les lettres du directeur local.

130 Il s’ensuit que les justifications avancées par la requérante afin d’expliquer les différences entre les rapports du 5 septembre 2008 et les lettres du directeur local des 4 et 5 septembre 2008 ne suffisent pas à invalider le constat des incohérences relevées par la Commission dans la décision attaquée.

131 Partant, le grief de la requérante doit être écarté.

4) Sur le quatrième grief de la première branche, tiré de ce que la Commission aurait écarté à tort les arguments relatifs aux problèmes systémiques du lit de la voie ferrée

132 Par son quatrième grief, la requérante fait valoir que les arguments qu’elle a avancés en ce qui concerne les problèmes systémiques du lit de la voie ferrée n’étaient pas, ainsi que la Commission l’a estimé dans la décision attaquée, incohérents ou peu convaincants. Ils s’expliquent, selon elle, par la circonstance particulière que ce n’est que tardivement, le 11 septembre 2008, qu’un expert spécifique en lits de voies ferrées et en ballasts a pu analyser la voie ferrée. La commission extraordinaire créée le 10 septembre 2018 et qui a examiné la voie ferrée aurait constaté, notamment, une détérioration élevée du ballast, quatre « rigoles » démontrant des « défauts de la plate-forme » ainsi qu’une largeur du lit ne correspondant pas aux réglementations techniques. Sur la base de ces constatations, la commission extraordinaire a conclu que, dans ce cas, la déformation devait avoir été provoquée par des problèmes systémiques dans le système de fixation et dans le lit de la voie ferrée. D’après la requérante, cette conclusion ne nécessitait pas d’excaver le ballast. En effet, ces défauts, parfaitement visibles, concernant notamment l’état et la forme du ballast et qui fournissaient de fortes indications sur le mauvais état du lit en général, auraient été suffisants à eux seuls pour permettre aux experts d’aboutir à leurs conclusions.

133 D’après la requérante, la voie ferrée était en outre dans un très mauvais état général et l’apparition de la déformation avait indiqué clairement à la commission extraordinaire que les mesures ponctuelles adoptées jusqu’alors (des réparations mineures de la structure de la voie et des réductions de vitesse) n’avaient pas été suffisantes pour résoudre les graves problèmes de sécurité qui se posaient. Sur la base des conclusions techniques claires de l’expert en lits de voies ferrées et en ballasts ainsi que de celles de la commission extraordinaire dans son ensemble, il n’existait par conséquent, du point de vue de la requérante, pas d’autres solutions qu’une reconstruction de la totalité de la voie ferrée pour éviter la survenance d’autres incidents dangereux, voire des accidents. Dès lors, selon la requérante, c’est cette nouvelle évaluation globale et détaillée de la voie ferrée dans son ensemble qui a constitué la base de la décision de supprimer la voie ferrée.

134 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

135 En l’espèce, il convient de rappeler que, au considérant 336 de la décision attaquée, la Commission a observé que, dans sa correspondance avec le ministre des Transports et des Communications et dans ses observations soumises au cours de la procédure administrative, la requérante avait souvent affirmé que la raison principale de la suppression de la totalité de la voie ferrée devait être recherchée dans un problème systémique dans le lit de cette voie, à savoir une détérioration du ballast qui aurait provoqué le rétrécissement du lit de la voie ferrée, pour la réparation duquel une suppression de la structure de la voie était nécessaire. Cependant, au considérant 337 de la décision attaquée, la Commission a souligné que l’état de la voie ferrée était connu au moins depuis un précédent rapport du 3 septembre 2004 et que, pourtant, aucun problème systémique dans le lit de la voie ferrée n’avait été signalé à cette époque et jusqu’à l’établissement d’un rapport d’inspection extraordinaire le 12 septembre 2008, bien que la voie ferrée ait fait l’objet de contrôles réguliers entre ces deux dates.

136 Par ailleurs, au considérant 338 de la décision attaquée, la Commission a précisé que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante avait déclaré que, contrairement à la commission d’inspection qui avait préparé les rapports du 5 septembre 2008 et qui n’avait relevé aucun problème au niveau du lit de la voie ferrée, la commission d’inspection extraordinaire créée le 10 septembre 2008 comprenait des spécialistes en lits de voies ferrées et en ballasts qui avaient estimé que, « afin d’effectuer une analyse du lit, le ballast devait être excavé, le mauvais état du lit n’étant pas visible ».

137 Cependant, il ressort du considérant 339 de la décision attaquée que, lorsque la Commission a voulu, par la suite, obtenir des précisions sur cette nouvelle explication, la requérante a indiqué que la commission d’inspection extraordinaire n’avait excavé aucun ballast de la voie ferrée.

138 En outre, il ressort du considérant 340 de la décision attaquée que, dans sa réponse à la lettre d’exposé des faits, la requérante a une nouvelle fois modifié ses explications, en soutenant que le principal objectif de la commission d’inspection extraordinaire avait été de procéder à une évaluation visuelle de la voie ferrée, afin d’y détecter les défauts visibles. Selon la requérante, ce n’était qu’après la détection de ces défauts visuels qu’une analyse spéciale aurait pu être effectuée. Au même considérant, la décision attaquée note toutefois qu’aucun de ces défauts n’avait été mentionné dans le rapport d’inspection extraordinaire du 12 septembre 2008 et que la décision de supprimer la voie ferrée avait été prise avant que la commission d’inspection ne procède à une quelconque analyse spéciale qui aurait supposément inclus une excavation du ballast.

139 Ainsi, en premier lieu, il y a lieu de constater que le rapport d’inspection de la commission extraordinaire du 12 septembre 2008 contenait deux sections différentes dont l’une concernait les caractéristiques principales de la voie ferrée et l’autre les défauts constatés le long de cette voie à la suite de la déformation. Ce rapport d’inspection ne faisait pas mention du niveau de détérioration du ballast parmi les défauts constatés le long de la voie ferrée, mais cet élément était mentionné dans la partie réservée aux caractéristiques principales de la voie ferrée, aux côtés d’autres éléments tels que, notamment, le type des rails, le type des traverses de chemin de fer et l’intensité du trafic. Il en découle que la détérioration du ballast telle que mentionnée dans le rapport d’inspection de la commission extraordinaire du 12 septembre 2008, à savoir au rang des caractéristiques constantes et objectives de la voie ferrée, n’est pas pertinente pour expliquer la nécessité de supprimer la totalité de la voie ferrée.

140 En outre, le seul défaut concernant le lit de la voie ferrée mentionné dans le rapport en cause consistait en quatre « rigoles » démontrant des « défauts du lit » ainsi qu’une largeur du lit ne correspondant pas aux réglementations techniques. Cependant, ainsi que la Commission le fait observer, la requérante n’explique pas en quoi l’apparition de quatre rigoles le long de la voie ferrée aurait nécessité la suppression de la totalité de celle-ci.

141 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel, pour que la commission extraordinaire puisse conclure à l’existence de problèmes du lit, il n’était pas nécessaire de procéder à l’excavation du ballast, il convient de relever qu’un tel argument, à le supposer établi, est en contradiction avec l’argument avancé par la requérante dans sa réponse à la communication des griefs selon lequel le mauvais état du lit n’était pas visible et son examen nécessitait une excavation du ballast. Or, cette contradiction confirme les difficultés de la requérante à apporter une justification cohérente à la suppression de la voie ferrée.

142 En troisième et dernier lieu, il convient de constater que les arguments avancés par la requérante à l’appui du quatrième grief ne suffisent pas à expliquer les autres incohérences mises en évidence par la Commission dans la décision attaquée, notamment au considérant 340 de cette dernière.

143 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en concluant que les arguments de la requérante relatifs aux problèmes systémiques du lit de la voie ferrée étaient incohérents ou peu convaincants.

144 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel le très mauvais état général de la voie ferrée, conjugué à la nouvelle évaluation globale détaillée de cette dernière dans son ensemble, effectuée par la commission extraordinaire à la suite du constat de la déformation, l’avait amenée à estimer qu’une reconstruction de la totalité de la voie ferrée était nécessaire afin de rétablir le trafic en toute sécurité. En effet, un tel argument n’est pas pertinent afin de remettre en cause les doutes que la Commission a soulevés quant aux problèmes systémiques du lit de la voie ferrée, sur la base des documents produits par la requérante. En tout état de cause, cet argument étant réitéré dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, il fera l’objet d’une analyse dans le cadre de cette dernière.

145 Partant, il y a lieu d’écarter le grief de la requérante.

146 À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de constater qu’aucun des griefs avancés par la requérante à l’appui de la première branche du deuxième moyen n’est susceptible de remettre en cause la conclusion à laquelle est parvenue la Commission dans la décision attaquée selon laquelle les explications qui ont été avancées au sujet de l’existence et de l’importance des défauts de la voie ferrée pour la sécurité du trafic étaient incompatibles entre elles, contradictoires et peu convaincantes.

147 Par conséquent, il y a lieu d’écarter la première branche du deuxième moyen.

b) Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée d’erreurs d’appréciation en ce que la Commission a estimé que la suppression de la voie ferrée était « extrêmement inhabituelle » 

148 La requérante, après avoir rappelé qu’elle disposait, sur la base des conclusions techniques rendues à la suite de l’inspection de la commission extraordinaire, de deux options, à savoir, d’un côté, des réparations initiales ciblées suivies d’une reconstruction complète de la totalité de la voie ferrée dans un délai de cinq ans (ci-après l’« option 1 ») ou, de l’autre, une reconstruction complète et immédiate de la voie ferrée (ci-après l’« option 2 »), soutient que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, la mise en œuvre immédiate de l’option 2 n’était pas « extrêmement inhabituelle », de sorte que cette circonstance ne pouvait être utilisée à titre d’élément constitutif d’une pratique abusive.

149 À cet égard, premièrement, la requérante fait valoir que c’est la voie ferrée qui était « extrêmement inhabituelle », dès lors que, au moment des faits, elle avait près de 140 ans et qu’aucune restauration d’ampleur n’avait été effectuée depuis 1972. Plusieurs défauts auraient été détectés sur l’ensemble de la voie ferrée, mais seules de petites réparations auraient été effectuées, associées à des réductions de la vitesse de circulation des trains à 25 km/h. De telles mesures, loin d’être conformes à la pratique du secteur en Europe, seraient, selon la requérante, l’expression de sa situation financière très délicate et de celle de son actionnaire unique, l’État lituanien.

150 Deuxièmement, à la suite de l’apparition de la déformation et de l’évaluation détaillée de l’état de la totalité de la voie ferrée effectuée par la commission extraordinaire, la requérante soutient qu’il était devenu évident qu’une nouvelle réparation partielle et peu coûteuse n’aurait pas résolu les problèmes de sécurité de la voie ferrée. Pour cette raison, le 19 septembre 2008, la requérante a décidé que la reconstruction de la voie ferrée (que ce soit dans le cadre de l’option 1 ou de l’option 2) était la seule manière de garantir la sécurité du trafic.

151 Troisièmement, la requérante fait valoir que, parmi les deux options entre lesquelles elle a dû choisir, l’option 2 était la seule solution pertinente et économiquement raisonnable. Selon elle, les réparations initiales n’auraient pas réellement résolu les divers problèmes étant donné que, même en mettant en œuvre l’option 1, une reconstruction de la totalité de la voie ferrée aurait été nécessaire dans un délai de cinq ans. En outre, l’option 1 aurait été, in fine, plus coûteuse que l’option 2. Par ailleurs, l’option 1 aurait exigé une importante duplication des travaux, contrairement à l’option 2, où les travaux étaient exécutés en une seule fois. De surcroît, tous les matériaux utilisés pour les réparations initiales auraient dû être remplacés à nouveau lors de la reconstruction ultérieure.

152 Quatrièmement, la requérante soutient que, étant donné que l’option 2 était la seule solution pertinente et économiquement raisonnable, elle n’avait aucune raison de retarder sa mise en œuvre. LDZ aurait d’ailleurs elle-même expliqué qu’une voie ferrée était normalement supprimée lorsqu’il n’existait aucune raison de penser qu’elle serait réutilisée. LDZ aurait également confirmé qu’une suppression était une pratique habituelle qui était requise si les rails existants devaient être remplacés par d’autres ou s’il était nécessaire d’effectuer des travaux de rénovation, par exemple la rénovation du lit et du ballast qui, sur le plan technique, ne pouvait pas être réalisée tant que les rails n’étaient pas enlevés. En outre, la requérante fait valoir qu’elle avait décidé de réutiliser certains des matériaux de la voie ferrée pour réparer d’autres voies. Selon la requérante, ces matériaux auraient été endommagés pendant l’hiver si elle ne les avait pas rapidement enlevés en octobre 2008 afin de les entreposer en toute sécurité. Enfin, la requérante allègue qu’en supprimant rapidement la voie ferrée et en demandant simultanément des fonds pour sa reconstruction, elle avait suffisamment démontré à Orlen, qui exerçait sur elle une pression constante, sa détermination à reconstruire la voie ferrée, conformément aux obligations contractuelles qui s’imposaient.

153 Cinquièmement, la requérante fait valoir que, au moment du démantèlement de la voie ferrée, à savoir le 3 octobre 2008, elle s’attendait raisonnablement à obtenir les fonds nécessaires pour la reconstruction de la voie ferrée, car elle ne ressentait pas encore les effets de la crise financière déclenchée par la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008. En particulier, selon la requérante, à l’époque des faits, elle ne pouvait pas prévoir une évolution aussi défavorable de la situation, qui l’a obligée à arrêter, à partir de la fin de l’année 2008, la mise en œuvre de ses principaux projets de rénovation, dont un se rapportait à la voie ferrée. En outre, la requérante souligne que, à l’époque des faits, il existait encore des fonds de l’Union disponibles pour de gros investissements dans les infrastructures ferroviaires pendant la période 2007-2013 et qu’elle s’attendait légitimement à pouvoir en bénéficier pour financer la reconstruction de la voie ferrée. L’allégation contenue dans la décision attaquée et selon laquelle, dans la lettre du 2 octobre 2008 adressée au ministère des Transports et des Communications, elle n’avait pas fait de véritable effort pour obtenir un financement pour la rénovation de la voie ferrée serait par conséquent sans fondement.

154 Dans ses observations sur le mémoire en intervention, la requérante précise qu’elle ne disposait pas des fonds suffisants pour réaliser l’ensemble des grands travaux de rénovation sur son réseau et qu’elle devait déterminer comment utiliser ses ressources très limitées de la façon la plus pertinente. Au moment de la suppression de la voie ferrée, des fonds de l’Union auraient été disponibles et seule subsistait la question de l’affectation d’une partie de ces fonds à la voie ferrée. Toutefois, l’incident aurait complètement modifié l’analyse des priorités. Par ailleurs, selon la requérante, compte tenu des bénéfices nets réalisés en 2008, ses seuls fonds propres auraient suffi et étaient disponibles pour financer intégralement la reconstruction de la voie ferrée dans l’hypothèse où un financement de l’Union ou de l’État n’aurait pas été obtenu.

155 La Commission et l’intervenante contestent cette argumentation.

156 Il y a lieu de constater que, par son argumentation, la requérante conteste les appréciations portées par la Commission aux considérants 184 à 198 de la décision attaquée et selon lesquelles, en substance, d’une part, la suppression de la voie ferrée a été faite en toute hâte sans qu’aucune mesure préparatoire à la reconstruction ait été adoptée (considérants 184 à 193 de la décision attaquée) et, d’autre part, cette suppression était contraire à la pratique habituelle dans le secteur ferroviaire (considérants 194 à 198 de la décision attaquée).

157 À cet égard, premièrement, il convient de rappeler que, au considérant 184 de la décision attaquée, la Commission a estimé que la requérante avait supprimé la voie ferrée en toute hâte, sans mobiliser les fonds nécessaires et sans suivre les étapes préparatoires normales en vue de sa reconstruction. Il ressort du considérant 185 de la décision attaquée que, en réponse à la demande de renseignements de la Commission, la requérante a expliqué que « [l]e segment lituanien de [la voie ferrée] a[vait] été retiré […] dans le but de mener des travaux de reconstruction et de le rouvrir à la circulation dès que possible, parce que la voie était importante pour Orlen, l’un de ses clients majeurs ». La requérante précise également avoir « agi sous une pression constante d’Orlen pour accélérer la reconstruction sur cette voie et, par conséquent, avoir fait tous les efforts possibles pour effectuer les travaux nécessaires dès que possible ».

158 Deuxièmement, au considérant 186 de la décision attaquée, la Commission a relevé que la requérante avait considéré à l’époque qu’elle ne disposait pas des fonds suffisants pour rénover la voie ferrée et qu’il était manifeste qu’une longue procédure administrative devait être menée à son terme avant que des fonds puissent être obtenus pour un projet de cette ampleur. En effet, selon les modalités fixées par l’État lituanien à l’époque, les grands travaux d’infrastructure étaient financés par des fonds de l’Union, tandis que les ressources limitées de la requérante ne devaient être utilisées que pour l’entretien courant des infrastructures. Une demande de financement de l’Union devait être étayée par des mesures préparatoires, y compris une étude de faisabilité qui, en l’espèce, a pris deux ans à être réalisée. La décision finale d’affecter des fonds structurels de l’Union à un projet devait être prise par le ministère des Transports et des Communications. Il n’existait donc aucune garantie que des fonds seraient obtenus, de sorte qu’il n’y avait aucune urgence à supprimer la voie ferrée. Enfin, au considérant 187 de la décision attaquée, la Commission a également observé que la suppression de la totalité de la voie ferrée n’aurait pas permis de gagner beaucoup de temps alors que la véritable reconstruction aurait pu commencer après l’achèvement de toutes les étapes administratives préliminaires.

159 Par ailleurs, il ressort du considérant 188 de la décision attaquée que la Commission a demandé à la requérante de lui expliquer comment la suppression de la voie ferrée en octobre 2008 aurait pu en accélérer la reconstruction, dans la mesure où une procédure longue et incertaine de demande des fonds nécessaires aurait encore dû être accomplie. Il ressort du même considérant que, dans sa réponse, la requérante a réitéré, en substance, son allégation selon laquelle le retrait de la voie ferrée était une étape nécessaire à sa reconstruction et devait servir à réduire le temps nécessaire aux travaux restants. Elle a ajouté que la procédure n’était pas longue, mais plutôt simple, que, « [l]orsqu’elle a[vait] fait la demande de financement, [elle] pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les fonds soient accordés pour ce projet » et que « [c]ette confiance a[vait] été renforcée par la circonstance qu’il lui a[vait] été demandé de présenter une étude de faisabilité pour le projet ». Selon le considérant 189 de la décision attaquée, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a répété son argument selon lequel elle avait retiré la voie avec l’unique intention de la réparer aussi vite que possible. Elle a fait valoir que le retrait de la voie ferrée n’était pas une mesure extraordinaire, mais plutôt une mesure nécessaire avant que l’itinéraire court ne puisse être entièrement réparé et que le trafic ne puisse reprendre.

160 Troisièmement, au considérant 190 de la décision attaquée, la Commission a relevé que la requérante avait adressé sa demande de financement le 2 octobre 2008 dans une brève lettre adressée au ministre des Transports et des Communications, demandant 620 millions LTL (environ 179,71 millions d’euros) pour la rénovation de huit voies ferrées différentes, dont la voie ferrée, sans qu’aucune déclaration spécifique soit faite en ce qui concerne cette dernière. En outre, la Commission a souligné que la procédure normale d’approbation devait être longue et que son résultat ne pouvait être garanti. Néanmoins, la requérante a commencé à supprimer la voie ferrée dès le lendemain, le 3 octobre 2008, sans même attendre la réponse du ministre des Transports et des Communications. Il ressort du considérant 191 de la décision attaquée que, dans la réponse qui lui est parvenue le 28 octobre 2008, le ministère des Transports et des Communications a souligné que, ces projets n’ayant pas été approuvés par le passé, aucun financement n’avait été prévu. En outre, le ministère des Transports et des Communications a rappelé à la requérante que les fonds de l’Union étaient encore disponibles et l’a invitée à identifier des projets de financement. Cependant, le succès de la demande de financement dépendant des résultats d’une étude de faisabilité et de la décision du ministère des Transports et des Communications, la requérante ne pouvait pas, selon la Commission, raisonnablement s’attendre à ce que les fonds de l’Union soient, le cas échéant, alloués dans un délai court.

161 Quatrièmement, au considérant 192 de la décision attaquée, la Commission a estimé que les actions ultérieures de la requérante démontraient également qu’elle n’avait pas cherché à reconstruire la voie ferrée. À cet égard, elle a notamment souligné que la requérante avait préparé des notes à l’attention du gouvernement lituanien pour plaider contre la reconstruction de la voie ferrée et qu’elle avait recommandé d’ajouter la rénovation de la voie ferrée à la liste de financement prioritaire uniquement parce que le gouvernement lui avait demandé de le faire.

162 En outre, aux considérants 194 et suivants de la décision attaquée, la Commission a détaillé les raisons pour lesquelles elle estimait que la suppression de la voie ferrée était « extrêmement inhabituelle » et contraire à la « pratique courante » dans le secteur ferroviaire. En effet, d’une part, la Commission a relevé que, même s’il y avait plusieurs voies ferrées en Lituanie sur lesquelles le trafic était suspendu, la requérante n’avait pas été en mesure de fournir un autre exemple de voie qui aurait été retirée avant que les travaux de rénovation ne puissent commencer.

163 D’autre part, la Commission a rappelé qu’elle avait envoyé des demandes de renseignements aux gérants d’infrastructures ferroviaires dans les deux autres États baltes, la République d’Estonie et la République de Lettonie. Le gestionnaire des infrastructures ferroviaires estonien n’a pu fournir qu’un seul exemple de suppression d’un long tronçon de voie. Dans ce cas, la voie avait été retirée parce que l’itinéraire en lui-même avait été fermé, abandonné et remplacé par un autre. Le gestionnaire des infrastructures ferroviaires estonien a également indiqué que les travaux nécessitant la suppression de voies n’étaient pas effectués en même temps sur l’ensemble d’une voie, mais par intervalles, qui interrompaient le trafic pour une durée maximale de douze heures. Les travaux de réparation majeurs, y compris le retrait d’une voie, ne commenceraient pas avant que la procédure administrative les approuvant ne soit terminée. Quant à LDZ, qui est la société gestionnaire des infrastructures ferroviaires lettonne, elle a fait savoir qu’une voie n’était, en général, retirée qu’après une période de plusieurs années pendant laquelle elle n’avait pas été utilisée et uniquement s’il n’existait aucune raison de croire qu’elle le serait à nouveau. Dans les deux exemples fournis par LDZ, les voies avaient été retirées après dix et treize ans de fermeture. En outre, le retrait d’une voie en vue de travaux de réparation serait effectué, en Lettonie, étape par étape. De tels travaux ne commenceraient pas avant que la procédure administrative ne soit terminée et que le financement ne soit assuré.

164 En l’espèce, s’agissant, en premier lieu, de la question de la suppression de la voie ferrée en toute hâte sans qu’aucune mesure préparatoire à la reconstruction ait été adoptée, premièrement, le Tribunal observe qu’il ressort de l’analyse de la première branche du deuxième moyen que la requérante n’a pas établi que, après l’apparition de la déformation et l’évaluation détaillée de l’état de la totalité de la voie ferrée, celle-ci se trouvait dans un état tel que cela justifiait sa suppression intégrale immédiate. En revanche, il y a lieu de constater que le rapport d’inspection de la commission extraordinaire du 12 septembre 2008, qui a examiné la voie ferrée dans son intégralité, n’a pas détecté de défauts sur la totalité de celle-ci, mais seulement, comme la Commission l’a relevé sur la base des informations données par la requérante, sur 1,6 km de la voie ferrée. En outre, dans une lettre envoyée le 18 septembre 2008 par la direction des infrastructures ferroviaires de LG au conseil de planification stratégique de celle-ci et rédigée sur la base du rapport d’inspection de la commission extraordinaire du 12 septembre 2008, il était précisé que seul 1,6 km de voie ferrée devait être reconstruit immédiatement. Or, ainsi que cela a été constaté, à juste titre, au considérant 348 de la décision attaquée, des problèmes concernant 1,6 km sur 19 km de la voie ferrée ne peuvent justifier sa suppression complète et immédiate. Certes, la même lettre du 18 septembre 2008 précisait également que les fixations des rails devaient être remplacées sur les 19 km de la voie ferrée, que le lit de la voie devait être réparé, que les câbles de communication devaient être remplacés sur toute la longueur de la voie et que, afin de garantir la sécurité du trafic, la voie ferrée aurait dû être entièrement réparée dans un délai de cinq ans. Cependant, elle n’indiquait pas qu’une telle réparation devait comporter la suppression complète et immédiate de la voie ferrée.

165 Deuxièmement, il y a lieu de relever que la requérante n’étaye pas à suffisance l’allégation selon laquelle les défauts qui ont provoqué l’incident du 2 septembre 2008 avaient été constatés à de nombreux autres endroits sur l’ensemble de la voie ferrée. En effet, cette affirmation se fonde sur le « rapport Wacetob », préparé par le centre pour l’avancement de la science et l’organisation de la construction de Varsovie (Pologne), que la Commission considère, dans la décision attaquée, aux considérants 349 à 356, sans être contredite par la requérante, comme étant dénué de valeur probante et non susceptible d’étayer l’argumentation de cette dernière. En outre, la constatation selon laquelle une nouvelle « réparation partielle bon marché » ne résoudrait pas les problèmes de sécurité de la voie ferrée, qui ressortait de la lettre du directeur local du 4 septembre 2008, n’a, à juste titre, ainsi que cela ressort des points 126 à 130 ci-dessus, pas été jugée cohérente avec les rapports du 5 septembre 2008, selon lesquels, en substance, une réparation locale aurait permis de rétablir le trafic en toute sécurité.

166 Dès lors, il y a lieu de constater que l’argument tiré, en substance, de la nécessité de démanteler la voie ferrée en raison de préoccupations relatives à la sécurité du trafic ferroviaire ne permet pas de constater que la Commission a commis une erreur d’appréciation.

167 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument selon lequel l’option 2 était la seule option pertinente et économiquement raisonnable, de sorte que la requérante n’avait aucune raison d’attendre pour mettre en œuvre sa décision.

168 En effet, à supposer, comme le prétend la requérante, que l’option 2 ait été la seule option pertinente et économiquement raisonnable, celle-ci n’impliquait pas nécessairement la suppression de la voie ferrée en toute hâte. À cet égard, il convient de relever que, ainsi que le souligne la Commission au considérant 187 de la décision attaquée, la suppression immédiate de la voie ferrée n’aurait pas permis de gagner de temps alors que les travaux de reconstruction n’auraient pu commencer qu’après l’achèvement de toutes les étapes administratives préliminaires, incluant notamment l’obtention du financement nécessaire. Dès lors, ne disposant pas encore du financement nécessaire pour entamer les travaux de reconstruction de la voie ferrée, la requérante n’avait aucune raison de procéder en toute hâte à la suppression celle-ci. Elle ne saurait donc faire valoir qu’il n’y avait aucune raison d’attendre pour mettre en œuvre sa décision concernant l’exécution de l’option 2, voire pour supprimer la voie ferrée.

169 Troisièmement, la prétendue pression qu’Orlen aurait exercée sur la requérante ne saurait non plus justifier la suppression en toute hâte de la voie ferrée. À cet égard, il y a lieu de relever que cet argument est contredit par le fait que la requérante a choisi de ne pas informer préalablement Orlen de son projet de suppression de la voie ferrée. Une telle réserve n’est pas justifiée eu égard à la nature des travaux engagés, et ce d’autant plus qu’Orlen était le seul client à utiliser la voie ferrée. Par ailleurs, ce constat ne saurait être remis en cause par les observations de la requérante sur le mémoire en intervention visant à faire valoir qu’aucun secret n’aurait entouré les agissements de sa direction en 2008. En effet, ainsi que cela ressort du considérant 55 de la décision attaquée, le 5 septembre 2008, Orlen a été informée par les gares ferroviaires de la simple « fermeture temporaire » de la voie ferrée. Elle n’a pas été informée de la suppression de la voie ferrée. Il ressort notamment des explications fournies par les parties lors de l’audience que le télégramme informant de la « suspension temporaire du trafic » sur la voie ferrée jusqu’à l’accomplissement de travaux de reconstruction et de réparation a été émis par la direction des infrastructures ferroviaires de la requérante pour informer les gares ainsi que LDZ de la suspension du trafic, mais qu’Orlen n’a jamais été destinataire de ce document.

170 Quatrièmement, il en va de même pour ce qui est de la prétendue nécessité de récupérer les matériaux appropriés de la voie ferrée afin d’éviter qu’ils soient endommagés pendant l’hiver, qui ne saurait davantage justifier la suppression en toute hâte de la voie ferrée. En effet, à cet égard, il suffit de constater, à l’instar de la Commission, que cet argument n’est pas étayé.

171 Cinquièmement, s’agissant de l’argument selon lequel, à l’époque de la suppression de la voie ferrée, la requérante s’attendait raisonnablement à obtenir les fonds nécessaires pour la reconstruction de la voie ferrée, il convient de l’écarter pour divers motifs.

172 Tout d’abord, il y a lieu d’observer que la requérante elle-même, dans ses observations en réponse au mémoire en intervention, admet qu’elle ne disposait pas des fonds suffisants pour réaliser l’ensemble des grands travaux de rénovation sur son réseau.

173 Ensuite, en réponse à une demande de renseignements de la Commission, visant à savoir si la requérante avait envisagé de procéder à des travaux de rénovation majeurs sur la voie ferrée avant le 2 septembre 2008, cette dernière a souligné que la voie ferrée ne faisait pas partie des lignes ferroviaires prioritaires et que, en général, l’État lituanien n’allouait pas suffisamment de fonds provenant du budget général pour la modernisation des infrastructures ferroviaires. En outre, elle a ajouté que les fonds structurels de l’Union ainsi que ses fonds propres n’étaient pas suffisants pour la modernisation des lignes ferroviaires nationales prioritaires. Il s’ensuit que la requérante était consciente du fait que, une fois la voie ferrée supprimée, elle ne disposerait pas de fonds propres pour reconstruire la voie ferrée et qu’elle obtiendrait difficilement les fonds nécessaires à sa reconstruction, de la part de l’État ou de l’Union.

174 En particulier, s’agissant des fonds de l’État, il est constant que, ainsi que cela a été relevé au considérant 190 de la décision attaquée, la requérante a adressé sa demande de financement le 2 octobre 2008 dans une brève lettre adressée au ministre des Transports et des Communications, demandant 620 millions LTL (environ 179,71 millions d’euros) pour la rénovation de huit voies différentes, dont la voie ferrée. Aucune déclaration spécifique n’a été faite en ce qui concernait cette dernière. En outre, ainsi que cela a également été constaté au considérant 190 de la décision attaquée, la procédure normale d’approbation devait être longue et son résultat ne pouvait être garanti. Nonobstant ces considérations, la requérante a commencé à supprimer la voie ferrée dès le lendemain, le 3 octobre 2008, sans même attendre la réponse du ministre des Transports et des Communications, qui lui est parvenue le 28 octobre suivant et qui indiquait que, ces projets n’ayant pas été approuvés par le passé, aucun financement n’avait été prévu.

175 À cet égard, il y a lieu de relever que, si le ministre des Transports et des Communications a certes rappelé à la requérante que les fonds de l’Union pour des investissements importants dans les infrastructures ferroviaires pour la période 2007-2013 étaient encore disponibles et s’il l’a invitée à identifier des projets de financement, il n’en demeure pas moins que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a estimé, au considérant 191 de la décision attaquée, que la requérante ne pouvait raisonnablement s’attendre à les recevoir sans engager en temps utile la procédure administrative préliminaire nécessaire à leur obtention. Ainsi que le fait observer la Commission aux considérants 63 et 64 de la décision attaquée, la requérante a entamé la préparation d’une étude de faisabilité concernant la reconstruction et le développement de huit lignes ferroviaires, mais il a fallu huit mois, après l’approbation de son conseil technique, pour recevoir l’approbation de son directeur général, le 29 juillet 2009, et trois mois supplémentaires pour publier l’appel d’offres.

176 Enfin, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de l’argument selon lequel la crise financière qui a suivi la faillite de la banque Lehman Brothers en septembre 2008 avait entraîné une dégradation de sa situation financière avec des conséquences immédiates sur sa capacité à entreprendre d’importants travaux de rénovation, tels que la reconstruction de la voie ferrée. À cet égard, il convient de relever qu’il ressort des arguments de la requérante portant sur l’état de délabrement de la voie ferrée qu’elle se trouvait dans une situation économique précaire avant même la crise financière de septembre 2008. En effet, la requérante fait elle-même valoir que c’est précisément à cause de sa situation financière difficile qu’aucuns travaux importants de réparation n’avaient été effectués sur la voie ferrée depuis 1972 et que, malgré la détection de plusieurs défauts sur l’ensemble de la voie ferrée avant septembre 2008, seules des réparations mineures avaient été effectuées, associées à des réductions de la vitesse à 25 km/h. Par ailleurs, à supposer que la crise financière de 2008 ait pu affecter la capacité de la requérante à entreprendre des travaux importants de rénovation, tels que la reconstruction de la voie ferrée, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que l’accès aux fonds de l’Union n’a pas été affecté par la crise financière. La requérante aurait pu obtenir de tels fonds si elle avait mis en place, en temps utile, la procédure administrative nécessaire à cet effet.

177 Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis une erreur d’appréciation en considérant que la suppression de la voie ferrée avait été effectuée en toute hâte et sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable.

178 S’agissant, en second lieu, du caractère inhabituel du démantèlement de la voie ferrée au regard de la pratique dans le secteur ferroviaire, d’une part, le Tribunal observe que, ainsi que la Commission l’a relevé au considérant 186 de la décision attaquée, même s’il y avait plusieurs voies ferrées en Lituanie sur lesquelles le trafic était suspendu, la requérante n’a pas été en mesure de fournir un exemple de voie qui aurait été retirée avant le début des travaux de rénovation. En outre, ainsi que la Commission le fait observer, la requérante n’a jamais supprimé la voie Bugeniai-Skuodas-Klaipėda, alors que celle-ci était fermée depuis 1995, et ce, par ailleurs, malgré l’absence de demande de trafic sur cette voie.

179 D’autre part, il y a lieu de relever que la Commission a envoyé des demandes de renseignements aux gérants d’infrastructures ferroviaires dans les deux autres États baltes, la République d’Estonie et la République de Lettonie. Le gérant des infrastructures ferroviaires estonien n’a pu fournir qu’un seul exemple de suppression d’un long tronçon de voie. Dans ce cas, la voie avait été retirée parce que l’itinéraire en lui-même était fermé, abandonné et remplacé par un autre. Le gérant des infrastructures ferroviaires estonien a également indiqué que les travaux nécessitant la suppression de voies n’étaient pas effectués en même temps sur l’ensemble d’une voie, mais par intervalles, qui interrompaient le trafic pour une durée maximale de douze heures. Les travaux de réparation majeurs, y compris le retrait d’une voie, ne commenceraient par ailleurs pas avant que la procédure administrative les approuvant ne soit terminée.

180 Quant à LDZ, la société gestionnaire des infrastructures ferroviaires lettonne, elle a répondu qu’une voie n’était, en général, retirée qu’après une période de plusieurs années pendant laquelle elle n’avait pas été utilisée et s’il n’existait aucune raison de croire qu’elle le serait à nouveau. Dans les deux exemples fournis par LDZ, les voies ont été retirées après dix et treize ans de fermeture. De la même manière qu’en Estonie, en Lettonie, le retrait d’une voie en vue de travaux de réparation est effectué étape par étape. Selon LDZ, de tels travaux ne commencent pas avant que la procédure administrative ne soit terminée et que le financement ne soit assuré.

181 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant, dans la décision attaquée, que la suppression de la voie ferrée en cause dans la présente affaire était « extrêmement inhabituelle ».

182 Par conséquent, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du deuxième moyen.

c) Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée d’erreurs dans l’appréciation faite par la Commission des intentions de LG au moment de la suppression de la voie ferrée

183 Par la troisième branche du deuxième moyen, la requérante reproche à la décision attaquée d’être entachée d’une erreur de droit doublée d’une erreur d’appréciation, dans la mesure où, lors de la suppression de la voie ferrée, elle avait, contrairement à ce qu’aurait estimé la Commission dans la décision attaquée, l’intention de la reconstruire.

184 En particulier, la requérante fait valoir que, en affirmant qu’elle n’avait, à aucun moment, cherché à reconstruire la voie ferrée, la Commission aurait présumé que la suppression de celle-ci faisait partie d’une stratégie anticoncurrentielle qui aurait été adoptée le 19 septembre ou le 3 octobre 2008 en vue d’empêcher l’exercice d’une concurrence par LDZ. La requérante prétend que la présomption qu’elle aurait agi de mauvaise foi se fonderait sur trois éléments pris en compte par la Commission, à savoir, premièrement, le fait qu’elle avait demandé à déplacer le projet de reconstruction de la voie ferrée vers la liste de réserve des fonds de l’Union, deuxièmement, le fait qu’elle avait préparé trois notes destinées au gouvernement lituanien et plaidant contre la reconstruction de la voie ferrée et, troisièmement, le fait qu’elle avait recommandé d’ajouter la rénovation de la voie ferrée à la liste des priorités uniquement parce que le gouvernement lui avait donné instruction de le faire.

1) Sur le premier grief de la troisième branche, tiré d’une erreur de droit liée à la prise en compte de l’intention anticoncurrentielle de la requérante

185 À l’appui de ce premier grief, la requérante soutient, en substance, que la décision attaquée est entachée d’une erreur de droit en ce que la Commission aurait mis en évidence le caractère abusif de la pratique en cause en se fondant, notamment, sur son intention anticoncurrentielle, alors que, selon la jurisprudence, la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché et qui ont pour effet de faire obstacle au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence, et ce indépendamment de l’intention subjective de cette entreprise.

186 En outre, la requérante fait valoir que la Commission a concrètement dû démontrer que, à l’époque des faits, à savoir le 3 octobre 2008, elle avait agi de mauvaise foi, dans le but d’empêcher LDZ de lui faire concurrence, et qu’elle n’avait pas l’intention de reconstruire la voie ferrée. Selon la requérante, ses intentions postérieures à l’époque des faits seraient sans pertinence pour évaluer la pratique en cause.

187 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

188 À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence que l’exploitation abusive d’une position dominante interdite par l’article 102 TFUE est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (voir arrêts du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 17 et jurisprudence citée, et du 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317, point 140 et jurisprudence citée).

189 Il résulte du caractère objectif de la notion d’abus que le comportement incriminé doit être apprécié sur la base d’éléments objectifs et que la démonstration du caractère délibéré de ce comportement et de la mauvaise foi de l’entreprise en position dominante n’est pas requise aux fins de l’identification d’un abus de position dominante (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 356).

190 Cependant, la Commission, dans le cadre de son examen du comportement d’une entreprise en position dominante et aux fins de l’identification d’un éventuel abus d’une telle position, est tenue de considérer l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant ledit comportement (arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 18).

191 Il convient d’observer, à cet égard, que, lorsque la Commission procède à une évaluation du comportement d’une entreprise en position dominante, cet examen étant indispensable aux fins d’une conclusion relative à l’existence d’un abus d’une telle position, elle est forcément amenée à apprécier la stratégie commerciale poursuivie par cette entreprise. Dans ce cadre, il apparaît normal que la Commission évoque des facteurs de nature subjective, à savoir les mobiles qui sous-tendent la stratégie commerciale en question (arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 19).

192 Ainsi, contrairement à ce que soutient la requérante, l’existence d’une éventuelle intention anticoncurrentielle peut constituer l’une des nombreuses circonstances factuelles susceptibles d’être prises en compte aux fins de la détermination d’un abus de position dominante (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission, C‑549/10 P, EU:C:2012:221, point 20).

193 En l’espèce, il y a lieu d’observer que, dans la décision attaquée, la Commission a identifié un abus de position dominante de la part de la requérante en tenant compte de différentes circonstances factuelles entourant la suppression de la voie ferrée et en analysant les effets potentiels sur la concurrence qu’une telle suppression avait pu induire.

194 La Commission a notamment estimé, aux considérants 182 à 201 de la décision attaquée, que LG avait eu recours à des méthodes autres que celles qui régissaient une concurrence normale en ce que, en substance, premièrement, LG avait connaissance du projet d’Orlen de se tourner vers les terminaux maritimes de la Lettonie en recourant aux services de LDZ, deuxièmement, LG avait supprimé la voie en toute hâte, sans s’assurer du financement nécessaire et sans prendre aucune des mesures préparatoires normales pour sa reconstruction, troisièmement, la suppression de la voie ferrée était contraire aux pratiques courantes du secteur et, quatrièmement, LG avait pris des mesures pour convaincre le gouvernement lituanien de ne pas reconstruire la voie ferrée.

195 En particulier, s’agissant du constat selon lequel LG avait supprimé la voie en toute hâte, sans s’assurer du financement nécessaire et sans prendre aucune des mesures préparatoires normales pour sa reconstruction, il a déjà été constaté, aux points 157 à 161 ci-dessus, que la Commission avait distingué, d’une part, aux considérants 184 à 191 de la décision attaquée, le comportement de la requérante antérieur au commencement du démantèlement de la voie ferrée, à savoir jusqu’au 2 octobre 2008, et, d’autre part, au considérant 192 de la décision attaquée et à simple titre de confirmation de constats déjà établis, le comportement de la requérante à une date postérieure au 2 octobre 2008.

196 À la suite du constat de l’ensemble de ces différentes circonstances factuelles entourant la suppression de la voie ferrée, la Commission a estimé, aux considérants 202 à 324 de la décision attaquée, que cette suppression, examinée dans son contexte, avait été susceptible d’entraver la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers. Par conséquent, il ne peut qu’être constaté que la Commission ne s’est nullement fondée sur l’intention, la stratégie anticoncurrentielle ou la mauvaise foi de LG pour justifier sa conclusion relative à l’existence d’une violation du droit de la concurrence.

197 Quant au constat, figurant au considérant 192 de la décision attaquée, selon lequel, à la suite du démantèlement de la voie ferrée, la requérante n’a pas cherché à la reconstruire, il ressort de l’économie de ladite décision qu’il vise seulement à étayer la conclusion, tirée, à partir d’un ensemble d’autres éléments, au considérant 193 de cette décision, selon laquelle la suppression de la voie ferrée a été effectuée par la requérante en toute hâte et sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable. En d’autres termes, ce constat a trait à une circonstance factuelle objective entourant, parmi d’autres, la pratique incriminée, et non à une appréciation subjective relative aux objectifs poursuivis par la requérante. Il ne saurait donc en être déduit que la Commission s’est fondée sur un élément lié à l’intention anticoncurrentielle de la requérante. Il convient également, dans ces circonstances, d’écarter la critique de la requérante fondée sur le fait que ses intentions postérieures à l’époque des faits seraient sans pertinence pour évaluer la pratique en cause.

198 Il s’ensuit que le premier grief de la troisième branche doit être écarté.

2) Sur le second grief de la troisième branche, tiré d’inexactitudes matérielles des faits pris en compte dans l’appréciation de la mauvaise foi de la requérante

199 S’agissant de prétendues inexactitudes matérielles des faits que la Commission aurait pris en compte en estimant, sur la base d’éléments postérieurs au 2 octobre 2008, que, à l’époque des faits, la requérante avait agi de mauvaise foi et sans réelle intention de reconstruire la voie ferrée, en premier lieu, la requérante avance que l’allégation de mauvaise foi est très peu plausible, étant donné que, comme l’aurait reconnu la Commission au considérant 90 de la décision attaquée, c’est une décision arbitrale du 17 décembre 2010, rendue à la suite d’une procédure engagée par Orlen dans le contexte du désaccord commercial existant entre cette dernière et elle, qui l’aurait incitée à ne plus poursuivre la reconstruction de la voie ferrée. Avant cette décision arbitrale, et en particulier à l’époque des faits, à savoir le 3 octobre 2008, la requérante soutient qu’elle poursuivait le projet de reconstruction, dans la mesure où elle estimait avoir une obligation contractuelle de reconstruire la voie ferrée.

200 En second lieu, la requérante soutient, en substance, que les trois éléments factuels, postérieurs au 2 octobre 2008, sur lesquels la Commission a fondé la présomption de mauvaise foi sont hypothétiques et de toute évidence faux. Le dossier contiendrait en revanche de nombreuses preuves, non examinées dans le cadre de la décision attaquée, démontrant que, à l’époque des faits, elle avait l’intention de reconstruire la voie ferrée, notamment les documents produits en tant qu’annexes A.10, A.30 et A.31. Des actes ultérieurs fournissent également, selon la requérante, des preuves solides démontrant que, à l’époque des faits, elle avait réellement l’intention de reconstruire la voie ferrée, jusqu’à ce qu’elle ait été incitée par la décision arbitrale du 17 décembre 2010 à reconsidérer sa position. Dès lors, selon la requérante, aucun élément factuel n’étaye l’hypothèse de la Commission soutenant qu’elle avait agi de mauvaise foi, c’est-à-dire en n’ayant pas réellement l’intention de reconstruire la voie ferrée lors de la suppression de cette dernière le 3 octobre 2008.

201 La Commission et l’intervenante contestent ce grief.

202 D’emblée, il convient de constater que, par le second grief de la troisième branche du deuxième moyen, la requérante conteste, en substance, les appréciations portées par la Commission au considérant 192 de la décision attaquée, dont le contenu a été rappelé au point 161 ci-dessus. À l’appui de son second grief, la requérante avance en substance deux arguments.

i) Sur le premier argument, tiré de la prétendue influence de la décision arbitrale du 17 décembre 2010 dans la décision de ne pas reconstruire la voie ferrée

203 Par son premier argument, la requérante fait valoir que l’allégation de mauvaise foi qui, selon elle, ressortirait du considérant 192 de la décision attaquée est très peu plausible, étant donné que c’est la décision arbitrale du 17 décembre 2010 qui l’aurait incitée à ne plus poursuivre la reconstruction de la voie ferrée. La requérante précise que, avant cette décision arbitrale, et en particulier à l’époque des faits, elle poursuivait le projet de reconstruction parce qu’elle pensait être tenue à une obligation contractuelle de reconstruire la voie ferrée.

204 Tout d’abord, il convient de relever que, ainsi que cela découle des points 196 et 197 ci-dessus, la Commission n’a pas fondé son affirmation figurant au considérant 192 de la décision attaquée sur une allégation de mauvaise foi de la requérante quant à son intention de reconstruire la voie ferrée, mais s’est seulement contentée de faire état de la circonstance factuelle selon laquelle, à la suite du démantèlement, la requérante n’avait pas cherché à reconstruire la voie ferrée. En outre, il y a lieu de relever que le constat de la Commission selon lequel, à la suite du démantèlement de la voie ferrée, la requérante ne cherchait, en réalité, pas à la reconstruire vient seulement étayer la conclusion, tirée au considérant 193 de la décision attaquée à partir d’un ensemble d’autres éléments, exposés aux considérants 184 à 191 de ladite décision, que la suppression de la voie ferrée a été effectuée par la requérante en toute hâte et sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable.

205 Ensuite, il ressort de la décision attaquée que, même avant l’adoption de la décision arbitrale du 17 décembre 2010, la requérante avait informé le gouvernement lituanien à plusieurs reprises des désavantages de reconstruire la voie ferrée (considérants 92 à 95 et 103 de la décision attaquée).

206 Enfin, la requérante ne saurait faire valoir que, avant l’adoption de la décision arbitrale du 17 décembre 2010, et, en particulier, à l’époque des faits, elle poursuivait le projet de reconstruction de la voie ferrée. En effet, pendant la période, supérieure à deux années, qui s’est écoulée entre la suppression de la voie ferrée et la décision arbitrale, la requérante n’a pas entrepris de travaux de réparation, et ce alors qu’elle affirmait dans plusieurs documents que la reconstruction aurait pu être achevée en plus ou moins deux ans.

207 Compte tenu de ce qui précède, il convient d’écarter le premier argument de la requérante.

ii) Sur le second argument, tiré des prétendues erreurs d’appréciation portant sur les trois éléments mentionnés au considérant 192 de la décision attaquée

208 Par son second argument, la requérante reproche, en substance, à la Commission d’avoir commis des erreurs d’appréciation en ce qui concerne les trois éléments mentionnés au considérant 192 de la décision attaquée. En particulier, la requérante conteste, d’une part, le bien-fondé des trois éléments et, d’autre part, la possibilité de prendre en compte les trois éléments en tant qu’éléments de preuve susceptibles de démontrer son absence d’intention de reconstruire la voie ferrée au moment de sa suppression.

209 À cet égard, il suffit de rappeler que, ainsi que cela a été constaté aux points 196 et 197 ci-dessus, la Commission ne s’est pas fondée, dans la décision attaquée, sur l’intention ou la stratégie anticoncurrentielle de LG pour justifier sa conclusion relative à l’existence d’une violation du droit de la concurrence.

210 Il en résulte que le second argument du second grief de la troisième branche du deuxième moyen doit être écarté comme étant inopérant.

211 Il s’ensuit que le second grief de la troisième branche et, partant, la troisième branche du deuxième moyen doivent être écartés.

d) Sur la quatrième branche du deuxième moyen, tirée d’erreurs d’appréciation et d’erreurs de droit dans l’analyse des effets potentiels sur la concurrence de la pratique en cause

212 Par la quatrième branche, la requérante cherche à remettre en cause le constat, établi aux considérants 202 et 203 de la décision attaquée, que, en substance, la suppression de la voie ferrée aurait privé LDZ de l’itinéraire le plus court et le plus direct de la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons de Riga et de Ventspils et que ce comportement était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels. Elle conteste également les trois considérations sur lesquelles, selon elle, cette conclusion est fondée, à savoir, premièrement, que, avant la suppression de la voie ferrée, LDZ avait une possibilité crédible de proposer des services de transport ferroviaire pour les produits pétroliers d’Orlen de la raffinerie vers un terminal maritime voisin et d’exercer ainsi une pression concurrentielle sur elle, deuxièmement, que, après la suppression de la voie ferrée, LDZ ne disposait plus de cette possibilité et, troisièmement, que cette situation aurait conduit à un verrouillage du marché de la fourniture de services de transport ferroviaire des produits pétroliers de la raffinerie vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils. Selon la requérante, aucun élément juridique ou factuel n’étayerait ces conclusions.

213 En particulier, la requérante soutient que l’argumentation de la Commission est affectée, d’une part, d’erreurs de droit (premier grief) et, d’autre part, d’erreurs d’appréciation (second grief).

1) Sur le premier grief, tiré d’erreurs de droit

214 Au soutien du premier grief, tiré d’erreurs de droit, la requérante avance, en substance, deux arguments. Par un premier argument, elle soutient que la suppression de la voie ferrée, le 3 octobre 2008, ne pouvait avoir des effets anticoncurrentiels. Par un second argument, la requérante fait valoir que l’absence de réparation de la voie ferrée n’a pas empêché LDZ d’être une concurrente efficace et de transporter le fret à destination de la Lettonie, auparavant transporté par l’itinéraire court et par conséquent affecté par la suppression de la voie ferrée, par l’itinéraire long (ci-après le « fret affecté »).

i) Sur le premier argument, tiré de l’absence d’effets anticoncurrentiels liés à la suppression de la voie ferrée

215 La requérante soutient que la suppression de la voie ferrée, le 3 octobre 2008, ne pouvait pas avoir d’effets anticoncurrentiels, étant donné que la voie ferrée était déjà indisponible à la circulation depuis la suspension du trafic le 2 septembre 2008. En effet, selon la requérante, la suppression en elle-même n’a pas privé LDZ de l’itinéraire le plus court et le plus direct de la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons de Riga et de Ventspils, puisque c’est la suspension du trafic, un mois plus tôt, qui l’en a privée. Même avant la suppression de la voie ferrée, ni LDZ ni la requérante n’avaient la possibilité de proposer des services de transport en utilisant la voie ferrée, et ce depuis le 2 septembre 2008. De l’avis de la requérante, la raison pour laquelle la voie ferrée ne pouvait plus être utilisée serait donc sans importance.

216 En outre, selon la requérante, il n’existe aucune preuve démontrant que la situation aurait été différente pour LDZ si, le 18 septembre 2008, elle avait choisi l’option 1, à savoir la reconstruction échelonnée, comprenant les réparations initiales, en lieu et place de l’option 2. La décision attaquée présumerait uniquement que, dans le cadre de ce scénario contrefactuel (à savoir l’absence de suppression de la voie ferrée le 3 octobre 2008), LG aurait pu envisager d’entreprendre les réparations initiales à un stade ultérieur. Cependant, la requérante estime ce scénario très improbable. Tout d’abord, étant donné que, en conséquence de la crise financière, elle n’aurait pas obtenu de fonds pour un investissement de 40 millions LTL pour la période 2009-2010, il n’y a aucune raison de supposer qu’elle aurait reçu les fonds substantiels requis pour les réparations initiales, se montant à 21,3 millions LTL. Elle aurait dû suivre pour les réparations initiales la même procédure que pour la reconstruction immédiate elle-même, y compris solliciter des fonds de l’État ou de l’Union. Ensuite, l’option 1, comprenant les réparations initiales, était beaucoup moins efficace que l’option 2 et il aurait été extrêmement irrationnel de sa part de choisir néanmoins l’option 1 à un moment ultérieur. Enfin, la décision arbitrale du 17 décembre 2010 l’aurait probablement également incitée à ne pas poursuivre les réparations initiales. Dès lors, selon la requérante, aucun élément n’étaye l’hypothèse de la Commission selon laquelle, en l’absence de suppression de la voie ferrée, elle aurait pu envisager une option de réparation limitée, c’est-à-dire les réparations initiales dans le cadre de la reconstruction échelonnée, à un moment ultérieur. La situation concurrentielle dans le cadre du scénario contrefactuel où la voie ferrée n’aurait pas été supprimée n’aurait donc probablement pas été différente de celle du statu quo.

217 Par ailleurs, la requérante fait observer que, en tant que gestionnaire des infrastructures, elle a une responsabilité particulière concernant notamment la sécurité de son réseau ferroviaire relativement à la conception, à l’entretien et à l’exploitation. L’obligation de minimiser les perturbations du réseau ferroviaire serait donc soumise à l’obligation supérieure de tout gestionnaire d’infrastructures d’empêcher les accidents et de garantir la sécurité du trafic.

218 La Commission et l’intervenante contestent cet argument.

219 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné le comportement de la requérante consistant à supprimer la voie ferrée en toute hâte, sans mobiliser les fonds nécessaires et sans suivre les étapes préparatoires normales en vue de sa reconstruction (considérants 182 à 201 de la décision attaquée). Elle a qualifié ce comportement de pratique abusive consistant à recourir à des moyens différents de ceux qui gouvernent une concurrence normale, capable de produire des effets anticoncurrentiels d’éviction de la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers entre la raffinerie et les terminaux maritimes voisins, en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective.

220 La Commission a donc effectivement qualifié de comportement abusif la suppression de la voie ferrée en tant que telle et a estimé que cette suppression, indépendamment de la suspension du trafic sur la voie ferrée le 2 septembre 2008, avait pu avoir des effets anticoncurrentiels sur le marché pertinent. En particulier, la Commission a estimé que la suppression de la voie ferrée était susceptible d’empêcher LDZ, agissant comme une concurrente efficace, de proposer des services sur le marché en aval pertinent et d’exercer une pression concurrentielle sur la requérante.

221 En l’espèce, premièrement, il convient de relever que, ainsi que le souligne la Commission, le cadre réglementaire applicable imposait aux gestionnaires d’infrastructures ferroviaires, tels que la requérante, l’obligation de minimiser les perturbations et d’améliorer les performances du réseau ferroviaire. En cas de perturbation du trafic ferroviaire, le gestionnaire des infrastructures ferroviaires devait prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir une situation normale.

222 Si, comme le soutient la requérante, en tant que gestionnaire des infrastructures, elle avait, en vertu du cadre réglementaire applicable, une responsabilité particulière concernant notamment la sécurité de son réseau ferroviaire s’agissant de la conception, de l’entretien et de l’exploitation de celui-ci [considérant 17 de la directive 2004/49/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la sécurité des chemins de fer communautaires et modifiant la directive 95/18/CE du Conseil concernant les licences des entreprises ferroviaires, ainsi que la directive 2001/14 (directive sur la sécurité ferroviaire) (JO 2004, L 164, p.44), et article 24 du code des transports ferroviaires], il ne peut qu’être constaté que le gestionnaire des infrastructures n’a pas, en vertu du même cadre réglementaire, uniquement l’obligation de garantir la sécurité du trafic, mais il a également l’obligation de minimiser les perturbations du réseau ferroviaire et de rétablir la situation normale à la suite d’une perturbation de la circulation des trains. Ces deux obligations doivent être prises en compte par le gestionnaire des infrastructures. Il y a donc lieu de constater que, en l’espèce, la suppression de la totalité de la voie ferrée ne pouvait être justifiée uniquement par des raisons de sécurité, la sécurité ayant déjà été dûment assurée par la suspension du trafic le 2 septembre 2008.

223 Deuxièmement, la requérante disposant d’une position dominante sur le marché pertinent, il lui incombait une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur ce marché. Dès lors, au moment de décider de la solution à apporter à la déformation de la voie ferrée, la requérante aurait dû tenir compte de la responsabilité qui lui incombait au titre de l’article 102 TFUE et éviter d’éliminer toute possibilité de remettre la voie ferrée en service à court terme, au moyen d’une reconstruction échelonnée, en se conformant à son obligation de minimiser les perturbations sur le réseau ferroviaire en rétablissant la situation normale à la suite d’une perturbation.

224 Il en découle que, indépendamment de la suspension du trafic intervenue auparavant, en supprimant la totalité de la voie ferrée, dans les circonstances factuelles et juridiques prises en considération dans la décision attaquée, la requérante n’a pas tenu compte de la responsabilité particulière qui lui incombait en vertu de l’article 102 TFUE.

225 Troisièmement, il convient de relever que, si la suspension du trafic sur la voie ferrée le 2 septembre 2008 avait certes déjà privé LDZ de la possibilité d’utiliser l’itinéraire court pour entrer sur le territoire lituanien, ainsi que le fait valoir la requérante, il ne saurait être contesté que, ainsi que la Commission le relève, la suppression de la voie ferrée a aggravé la situation qui prévalait après la suspension du trafic. En effet, la suppression de la voie ferrée a transformé la suspension du trafic, situation temporaire par nature, en une situation permanente d’impossibilité totale d’utilisation de la voie ferrée. Or, le changement d’une situation temporaire en une situation permanente est susceptible d’avoir une incidence sur la situation concurrentielle, en ce que des concurrents potentiels ne se comporteront pas de la même manière selon qu’ils estiment qu’un rétablissement de la situation « normale » pourra intervenir à brève échéance, à moyenne échéance ou ne jamais intervenir. À cet égard, il y a d’ailleurs lieu de relever que c’est lorsqu’Orlen a finalement estimé que la requérante n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée à court terme que LDZ a retiré sa demande de licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie (voir point 26 ci-dessus). En outre, la suppression de la voie ferrée a rendu de facto impossible la réalisation de l’option 1, étant donné que la première étape de celle-ci, à savoir les réparations locales aux endroits de la voie ferrée qui ne permettaient pas un trafic ferroviaire sûr, ne pouvait désormais plus être envisagée. De plus, la suppression de la voie ferrée, en toute hâte et sans obtenir, au préalable, les fonds nécessaires à sa reconstruction, a augmenté le risque, réalisé en l’espèce, qu’un trafic ferroviaire sûr ne soit rétabli sur l’itinéraire court que plus de dix années plus tard.

226 Cette suppression pouvait comporter des effets d’éviction du marché, consistant à rendre l’accès à ce dernier plus difficile, car soumis à des conditions moins avantageuses. Dès lors, il y a lieu de constater que la suppression de la voie ferrée était susceptible d’entraîner des effets anticoncurrentiels sur le marché pertinent.

227 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que c’est à tort que la requérante affirme que, dans le cadre du scénario contrefactuel, la situation concurrentielle n’aurait pas été différente de celle du statu quo. En effet, cette situation aurait pu être différente, dès lors que la suppression de la voie ferrée, en toute hâte et sans sécuriser les fonds nécessaires à sa reconstruction, a aggravé la situation existante au moment de la suspension du trafic, en transformant cette suspension, par nature temporaire, en une situation d’impossibilité totale d’utilisation de la voie ferrée. Elle a également rendu la réparation de la voie ferrée plus difficile, car elle a rendu l’option 1 impossible et n’a pas permis à l’option 2 d’être réalisée de manière complète.

228 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante.

229 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel la requérante, n’ayant pas, en raison de la crise financière, obtenu de fonds pour un investissement de 40 millions LTL pour la reconstruction pour la période 2009-2010, n’avait aucune raison de supposer qu’elle aurait reçu les fonds substantiels requis pour les réparations initiales, d’un montant de 21,3 millions LTL, et ce d’autant moins qu’elle aurait dû suivre, pour ces réparations initiales, la même procédure que celle suivie pour la reconstruction immédiate elle-même, y compris solliciter des fonds de l’État ou de l’Union, il convient de constater que, par cet argument, la requérante vise, en substance, à justifier la mise en œuvre de l’option 2. Cependant, la Commission ne reproche pas à cette dernière d’avoir choisi l’option 2 au lieu de l’option 1, mais plutôt les modalités de mise en œuvre de l’option 2, et, notamment, le fait que les travaux de suppression de la voie ferrée ont été engagés par la requérante sans aucune préparation pour la reconstruction, ce qui a rendu impossible la réalisation de l’option 1. Dès lors que la suppression de la voie ferrée a eu pour conséquence de limiter le choix des options et a empêché que le trafic soit rétabli sur l’itinéraire court vers la Lettonie, la requérante ne pouvait se conformer aux obligations qui lui incombaient en tant qu’entreprise en situation de monopole chargée par l’État de la gestion du réseau ferroviaire. Partant, la question de savoir si la requérante aurait pu recevoir des fonds substantiels en vue des réparations initiales n’est pas de nature à remettre en cause l’analyse de la Commission.

230 En tout état de cause, par cet argument, la requérante confirme qu’elle était consciente de la démarche appropriée qu’elle aurait dû entreprendre à la suite de la suspension du trafic sur la voie ferrée le 2 septembre 2008. À cet égard, la Commission a relevé, au considérant 49 de la décision attaquée, que la requérante avait dépensé 107 000 euros pour supprimer en toute hâte la voie ferrée, sans solliciter les fonds nécessaires à sa reconstruction ni entamer la procédure administrative en vue de leur obtention. Or, en l’espèce, la requérante a non seulement sollicité tardivement les fonds étatiques (voir point 173 ci-dessus), mais elle a également omis de compléter la procédure administrative nécessaire à l’obtention des fonds de l’Union (voir point 175 ci-dessus).

231 Deuxièmement, l’argument selon lequel l’option 1 était beaucoup moins efficace que l’option 2 et il aurait été extrêmement irrationnel de la part de la requérante de réaliser néanmoins l’option 1 à un moment ultérieur ne saurait prospérer, étant donné que la Commission n’a pas reproché à la requérante d’avoir choisi l’option 2 au lieu de l’option 1, mais plutôt d’avoir supprimé la voie ferrée en tout hâte et sans sécuriser au préalable les fonds nécessaires à sa reconstruction.

232 Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la décision arbitrale du 17 décembre 2010 aurait probablement également incité  la requérante à ne pas poursuivre les réparations initiales dans le cadre de la mise en œuvre hypothétique de l’option 1, il convient de rappeler, ainsi que cela a été relevé par la Commission au considérant 89 de la décision attaquée, que cette décision arbitrale avait une portée limitée quant à l’objet de son analyse et quant à la période prise en considération. En effet, la décision arbitrale en cause portait uniquement sur l’interprétation d’un article d’un accord commercial passé en 1999 entre la requérante et Orlen et analysait les faits s’étant déroulés jusqu’au 30 septembre 2008. Ainsi, cette décision arbitrale n’a pas examiné la suppression de la voie ferrée intervenue en octobre 2008. En outre, il convient de rappeler que la requérante était tenue, par le cadre réglementaire applicable, de prendre toutes les mesures nécessaires pour rétablir une situation normale sur la voie ferrée après une perturbation. Dès lors, la requérante ne saurait se prévaloir de la décision arbitrale du 17 décembre 2010 pour faire valoir qu’il lui était loisible de décider de ne pas solliciter les fonds nécessaires pour effectuer les travaux de reconstruction de la voie ferrée et rétablir le trafic sur celle-ci.

233 Partant, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur de droit que la Commission a estimé, dans la décision attaquée, que la suppression de la voie ferrée en tant que telle, indépendamment de la suspension préalable du trafic sur celle-ci, était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels sur le marché.

234 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter le premier argument du premier grief de la quatrième branche.

ii) Sur le second argument, tiré de ce que l’absence de réparation de la voie ferrée n’a pas empêché LDZ d’être une concurrente efficace

235 La requérante soutient que l’absence de réparation de la voie ferrée n’a pas empêché LDZ d’être une concurrente efficace et de transporter le fret affecté par l’itinéraire long vers la Lettonie. Premièrement, elle fait valoir que, après la suspension du trafic le 2 septembre 2008, la voie ferrée ne pouvait être réutilisée qu’après des travaux importants de rénovation, et ce que l’option 1 ou l’option 2 eût été mise en œuvre. Par conséquent, selon la requérante, la seule question juridique importante consiste à déterminer si l’absence de réparation de la voie ferrée pouvait empêcher LDZ, agissant comme une concurrente efficace, de proposer des services sur le marché pertinent et d’exercer une pression concurrentielle sur ce marché. Cependant, la décision attaquée n’aurait pas examiné cette question en qualifiant seulement la suppression de la voie ferrée de comportement anticoncurrentiel alors que, en tant que telle, cette suppression n’aurait eu aucun effet sur la concurrence. Deuxièmement, la Commission n’aurait pas démontré que l’absence de réparation aurait probablement eu un effet d’éviction, mais elle aurait uniquement mentionné, à tort, un critère juridique beaucoup moins strict, à savoir celui de la restriction potentielle de concurrence. Troisièmement, la décision attaquée n’examinerait pas non plus si, après la suspension du trafic, LDZ pouvait faire concurrence à LG pour le fret affecté sur le même itinéraire, c’est-à-dire l’itinéraire long vers la Lettonie.

236 La Commission et l’intervenante contestent cet argument.

237 En l’espèce, s’agissant du fait que la suppression de la voie ferrée n’aurait pas d’effet sur la concurrence, dans la mesure où ce serait l’absence de réparation, à la suite de la suspension du trafic, qui aurait un tel effet, il convient de constater, d’emblée, que la décision attaquée n’examine pas si l’absence de réparation de la voie ferrée pouvait empêcher LDZ de proposer des services sur le marché pertinent et d’exercer une pression concurrentielle sur la requérante. Cependant, dans la mesure où la Commission est parvenue à démontrer que la suppression de la voie ferrée en tant que telle pouvait être qualifiée de pratique potentiellement abusive, cet examen n’était pas requis.

238 Dès lors, contrairement à ce que prétend la requérante, dans la mesure où la Commission est parvenue à démontrer que la suppression de la voie ferrée était susceptible d’avoir des effets potentiels sur la concurrence, elle n’était pas obligée d’examiner si l’absence de réparation de la voie ferrée pouvait également avoir de tels effets. En tout état de cause, il y a lieu de relever que l’absence de réparation de la voie ferrée a été prise en considération par la Commission dans le cadre de son analyse des effets anticoncurrentiels de la suppression de la voie ferrée. En effet, la Commission a examiné l’incidence de la suppression de la voie ferrée sur la possibilité de réparer celle-ci et donc sur la possibilité, pour la requérante, de se conformer à l’obligation de rétablir la situation normale à la suite de la déformation, obligation lui incombant en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires lituaniennes et entreprise en situation de position dominante sur le marché.

239 S’agissant du fait que la Commission n’aurait pas établi à suffisance de droit que l’absence de réparation de la voie ferrée était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels en se contentant d’un critère juridique moins strict que celui de l’existence d’un effet d’éviction, indépendamment de la question de savoir si les termes « capable » (capable en anglais) et « probable » (likely en anglais) sont, comme le soutient la Commission, interchangeables, il y a lieu d’observer qu’elle a, en l’espèce, examiné les effets probables de la suppression de la voie ferrée (décision attaquée, considérants 317 à 324 et 363).

240 S’agissant du fait que la Commission aurait dû examiner si l’absence de réparation de la voie ferrée, après la suspension du trafic, pouvait empêcher LDZ de concurrencer la requérante sur l’itinéraire long vers la Lettonie pour le fret affecté, c’est-à-dire pour les volumes qui étaient expédiés par l’itinéraire court jusqu’au 2 septembre 2008, il convient d’observer, à l’instar de la Commission, que cet argument repose sur le postulat selon lequel seuls les volumes transportés par l’itinéraire court vers la Lettonie jusqu’au 2 septembre 2008 auraient été affectés par la suppression de la voie ferrée.

241 Or, au considérant 158 de la décision attaquée, la Commission a défini le marché pertinent, sur la base de l’approche O & D, comme étant celui des produits pétroliers d’Orlen exportés par voie maritime, soit le marché du transport ferroviaire des produits pétroliers depuis la raffinerie et vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils. Dès lors, le fret potentiellement atteint par la suppression de la voie ferrée ne se limitait pas aux volumes relativement faibles de produits pétroliers transportés par la voie ferrée avant la suspension du trafic en septembre 2008, mais représentait une partie très importante de la production de la raffinerie d’Orlen qui était destinée à une exportation par voie maritime vers les marchés internationaux.

242 La requérante n’ayant pas contesté la définition du marché pertinent proposée par la décision attaquée, aucune erreur ne peut être reprochée à la Commission pour ne pas avoir examiné si l’absence de réparation de la voie ferrée, après la suspension du trafic, pouvait empêcher LDZ de concurrencer la requérante sur l’itinéraire long vers la Lettonie pour le seul fret affecté.

243 Compte tenu de tout ce qui précède, il convient de constater qu’aucune erreur ne peut être reprochée à la Commission pour avoir omis d’examiner si l’absence de réparation de la voie ferrée pouvait avoir des effets anticoncurrentiels sur le marché en cause.

244 Dès lors, il y a lieu d’écarter le second argument du premier grief de la quatrième branche et, partant, d’écarter le premier grief dans son ensemble.

2) Sur le second grief, tiré d’erreurs d’appréciation quant à la possibilité dont disposait LDZ de faire concurrence à LG sur l’itinéraire long vers la Lettonie

245 Par son second grief, la requérante reproche, en substance, à la Commission d’avoir commis une erreur d’appréciation en estimant que LDZ disposait d’une possibilité crédible de lui faire concurrence par l’itinéraire court vers la Lettonie, mais non par l’itinéraire long.

246 À l’appui de son second grief, la requérante avance, en substance, deux séries d’arguments. Par une première série d’arguments, la requérante conteste l’analyse de la décision attaquée concernant l’existence de barrières à l’entrée sur le marché et, notamment, la conclusion selon laquelle, sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons, LDZ aurait été dépendante de LG dans une plus large mesure (considérants 290 à 308 de la décision attaquée). Par une seconde série d’arguments, la requérante cherche à remettre en cause la conclusion de la décision attaquée selon laquelle les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons n’auraient pas été rentables comparés à l’itinéraire vers Klaipėda (considérants 309 à 316 de la décision attaquée).

i) Sur les arguments visant à contester l’existence de barrières à l’entrée sur le marché

247 Par une première série d’arguments, la requérante conteste l’existence de prétendues barrières à l’entrée sur le marché et, notamment, l’affirmation de la décision attaquée selon laquelle LDZ aurait été dépendante, dans une plus large mesure (considérant 300 de la décision attaquée), de l’opérateur en place, verticalement intégré (considérant 293 de la décision attaquée), à savoir la requérante elle-même, non seulement sur une distance de 34 km sur le territoire lituanien (itinéraire court), mais aussi sur une distance plus longue de 152 km (itinéraire long). La requérante conteste également la conclusion de la décision attaquée selon laquelle, d’un point de vue ex ante, cette situation présentait un risque considérablement plus élevé pour LDZ que d’exercer ses activités sur les itinéraires courts vers les terminaux maritimes lettons (considérant 301 de la décision attaquée). Plus précisément, la requérante cherche à remettre en cause la conclusion de la décision attaquée selon laquelle la demande d’attribution de capacités concernant l’itinéraire long vers la Lettonie, déposée par LDZ, aurait porté sur des itinéraires beaucoup plus longs et considérablement plus fréquentés en Lituanie et aurait par conséquent été plus complexe, ce qui aurait augmenté la tension avec le gestionnaire des infrastructures ferroviaires, à savoir LG (considérant 297 de la décision attaquée).

248 À cet égard, premièrement, la requérante fait valoir que les décisions relatives à la répartition des capacités d’infrastructure en Lituanie ne sont pas adoptées par elle, mais par le corps d’inspection des chemins de fer lituanien (ci-après « VGI »), sous la supervision du ministère des Transports et des Communications. VGI doit adopter les décisions de manière non discriminatoire et dans un délai strict de quatre mois. Deuxièmement, LDZ aurait obtenu, dans le délai de 28 jours suivant sa demande, toutes les autorisations réglementaires nécessaires pour exercer ses activités de manière indépendante sur la première partie de l’itinéraire long en Lituanie, c’est-à-dire de la frontière lettonne jusqu’à Radviliškis (Lituanie). Rien n’indiquerait qu’il aurait été difficile, ou plus complexe, pour LDZ d’obtenir également les autorisations nécessaires pour le deuxième tronçon de l’itinéraire long. Troisièmement, la Commission reconnaîtrait, dans la décision attaquée, qu’il n’y avait pas de risques de surcapacité sur l’itinéraire long et, par conséquent, pas de risque de tension avec la requérante. Quatrièmement, en tant que seule gestionnaire des infrastructures ferroviaires en Lituanie, la requérante aurait été soumise à une obligation de non-discrimination également à l’égard des services ferroviaires complémentaires. Rien ne permettrait de supposer qu’elle n’aurait pas respecté ses obligations. Cinquièmement, il serait extrêmement peu plausible que la procédure d’approbation ainsi que la fourniture des services complémentaires aient été faciles en ce qui concernait 34 km (itinéraire court) ou 60 km (premier tronçon de l’itinéraire long) sur le territoire lituanien, mais très difficiles pour 92 km supplémentaires (deuxième tronçon de l’itinéraire long).

249 En outre, la requérante conteste le fait que LDZ ait pu être davantage dépendante d’elle pour obtenir des informations sur les conditions d’accès et les redevances relatives à l’itinéraire long que sur celles relatives à l’itinéraire court. En effet, selon la requérante, toutes les informations pertinentes sont publiées au Journal officiel lituanien et sur le site Internet de VGI, lequel est tenu de garantir un accès non discriminatoire aux infrastructures et de fixer les redevances. Bien que le document de référence du réseau pour la période 2008-2009 ne précise pas le montant exact des redevances pour les services ferroviaires complémentaires, toutes les redevances d’infrastructures étaient publiées et connues du public. Les formules appliquées pour calculer les redevances figureraient en outre parmi ces informations. Une fois que VGI avait calculé ces redevances, elles étaient publiées, avant que ne soit mis en place un horaire de train particulier, ce qui permettait à tout demandeur de calculer facilement les redevances effectives. De plus, même s’il existait encore une certaine incertitude à propos du montant exact des redevances pour les services complémentaires, il ne serait pas plausible que cette prétendue absence de transparence ne constitue pas une barrière à l’entrée sur l’itinéraire court et le premier tronçon de l’itinéraire long en Lituanie (pour lequel LDZ avait obtenu toutes les autorisations requises), mais constitue une barrière importante à l’entrée en ce qui concerne le deuxième tronçon de l’itinéraire long.

250 La Commission et l’intervenante contestent cette série d’arguments.

251 À cet égard, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que la suppression de la totalité des 19 km de la voie ferrée, ayant rendu l’itinéraire le plus court et le plus direct de la raffinerie à la frontière lettonne inaccessible aux concurrents, était un comportement consistant à recourir à des moyens différents de ceux qui gouvernaient une concurrence normale et susceptible d’entraîner des effets anticoncurrentiels potentiels sur le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire des produits pétroliers à destination des terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils (considérants 2, 177 et 202 de la décision attaquée).

252 Tout d’abord, la Commission a estimé que, avant la suppression de la voie ferrée, LDZ avait une opportunité crédible de transporter les produits pétroliers d’Orlen destinés à l’exportation maritime depuis la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons par l’itinéraire court vers la Lettonie. La Commission a également relevé que la requérante était sérieusement préoccupée par la possibilité qu’Orlen ait recours aux services de transport ferroviaire de LDZ. En outre, la Commission a observé qu’Orlen et LDZ avaient passé deux années à explorer cette possibilité, que le président du conseil d’administration d’Orlen avait déclaré que ces négociations avaient eu pour effet de faire pression sur LG et que LDZ avait introduit une demande pour pouvoir obtenir une licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie, mais pas sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons. Néanmoins, la Commission a, dans un second temps, mené une analyse des capacités et des coûts de transport. En effet, pour confirmer cette appréciation, la Commission a relevé, premièrement, que, sur la base de considérations techniques et de capacités, les produits pétroliers d’Orlen pouvaient être transportés vers les terminaux maritimes lettons, deuxièmement, que les terminaux maritimes lettons constituaient une alternative crédible au port de Klaipėda pour la manipulation de produits pétroliers, troisièmement, que, pour Orlen, la question du coût du transport ferroviaire était l’élément principal dans le choix d’un itinéraire, quatrièmement, que le coût du transport ferroviaire dépendait de la distance du trajet et de l’État membre où il était effectué et, cinquièmement, que LDZ était en mesure de présenter une offre compétitive sur l’itinéraire court vers les terminaux maritimes lettons.

253 Ensuite, la Commission a considéré que, à la suite de la suppression de la voie ferrée, LDZ ne jouissait plus de cette possibilité d’offrir des services de transport ferroviaire compétitifs pour les produits pétroliers d’Orlen, au départ de la raffinerie et à destination des terminaux maritimes voisins, et ne pouvait plus, partant, exercer une pression concurrentielle sur LG en raison de l’existence d’importantes barrières à l’entrée dans le secteur ferroviaire et des désavantages compétitifs inhérents à ce secteur dont souffraient les opérateurs ferroviaires concurrents de l’opérateur déjà actif sur le marché et qui était également chargé de la gestion des infrastructures.

254 Selon la Commission, la seule possibilité pour LDZ d’offrir des services de transport ferroviaire compétitifs pour les produits pétroliers d’Orlen aurait été d’essayer d’être active sur l’itinéraire vers Klaipėda ou sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons. Or, la Commission a relevé que l’itinéraire vers Klaipėda, long de 228 km, était entièrement situé sur le territoire de la Lituanie et que les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons traversaient, pour une part importante, le territoire de la Lituanie (152 km). La Commission a donc estimé que la requérante avait un avantage concurrentiel sur son propre réseau et que la position concurrentielle de LDZ sur l’itinéraire vers Klaipėda et sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons était plus faible que sur les itinéraires courts vers ces terminaux maritimes.

255 La Commission a également détaillé les barrières à l’entrée sur le marché et les désavantages concurrentiels auxquels un concurrent potentiel, tel que LDZ, pouvait faire face sur le réseau de la requérante. La Commission s’est concentrée sur les barrières à l’entrée les plus importantes, à savoir l’accès aux infrastructures ferroviaires et aux services ferroviaires complémentaires (considérants 293 à 304 de la décision attaquée) et le manque d’informations et de transparence sur les conditions d’entrée sur le marché (considérants 305 à 308 de la décision attaquée). Elle a ajouté que, même si LDZ avait été en mesure d’offrir des services de transport ferroviaire pour les produits pétroliers d’Orlen sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons sans rencontrer d’obstacles à l’entrée, ces itinéraires auraient été moins rentables par rapport à l’itinéraire vers Klaipėda, de sorte que ces itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons ne constituaient pas une alternative compétitive à l’itinéraire vers Klaipėda.

256 Enfin, la Commission a conclu qu’il en avait résulté un verrouillage du marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers de la raffinerie vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils.

257 En premier lieu, en l’espèce, il y a d’emblée lieu de relever que, par son argumentation, la requérante ne vise qu’à contester les appréciations complémentaires portées par la Commission aux considérants 208 et suivants de la décision attaquée, mais ne remet pas en question les appréciations principales qui figurent aux considérants 205 à 207 de la décision attaquée et selon lesquelles, en substance, avant la suppression de la voie ferrée, LDZ avait une opportunité crédible de transporter les produits pétroliers d’Orlen destinés à l’exportation maritime depuis la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons par l’itinéraire court vers la Lettonie. S’agissant des décisions relatives à l’attribution des capacités d’infrastructures ferroviaires, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée ne conteste pas le fait que ces décisions sont prises par VGI. À cet égard, au considérant 296 de la décision attaquée, la Commission a reconnu que, en ce qui concernait l’attribution de capacités en Lituanie, les demandes d’accès aux infrastructures ferroviaires étaient soumises à VGI, qui en vérifiait l’intégralité. Cependant, la Commission a poursuivi en expliquant, sans être contredite par la requérante sur ce point, que c’était cette dernière qui effectuait l’évaluation technique des demandes et qui préparait un projet d’horaire ferroviaire pour VGI. Dès lors, ainsi que l’affirme la Commission, la demande d’allocation de capacités de LDZ dépendait concrètement de l’évaluation faite par la requérante. Par ailleurs, la demande d’allocation de capacités différait de la demande visant à obtenir des autorisations réglementaires telles que le certificat de sécurité nécessaire pour opérer en Lituanie. Par conséquent, ainsi que le relève la Commission à juste titre, il est sans importance qu’il ait fallu, comme l’affirme la requérante, 28 jours à LDZ pour obtenir toutes les autorisations réglementaires nécessaires à la suite de sa demande visant à opérer indépendamment sur une partie de la section lituanienne des itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons. En effet, l’évaluation des barrières à l’entrée réalisée dans la décision attaquée n’est pas fondée sur la difficulté d’obtenir des autorisations réglementaires, mais sur la difficulté d’obtenir l’attribution de capacités.

258 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument portant sur les prétendues contraintes de capacités pesant sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée n’a pas affirmé qu’il existait de telles contraintes sur ces itinéraires. La décision attaquée a mentionné, en revanche, que les demandes de capacités auraient été plus complexes. En effet, ces demandes dépendaient de l’évaluation réalisée par la requérante pour un itinéraire plus long en Lituanie et plus fréquenté que la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie (considérant 297 de la décision attaquée). Les risques de conflits de sillons ferroviaires étaient plus élevés sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons, étant donné que ces itinéraires étaient déjà utilisés, tandis que la partie lituanienne de l’itinéraire court était utilisée exclusivement pour le transport des produits pétroliers d’Orlen (considérant 298 de la décision attaquée).

259 En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la requérante était soumise à une obligation de non-discrimination également à l’égard des services ferroviaires complémentaires, il convient de relever que la décision attaquée, aux considérants 293 à 300 et 303, a mentionné que la transposition du principe de non-discrimination consacré par la directive 2001/14 dans le droit lituanien laissait une marge de manœuvre à la requérante lui permettant d’imposer des conditions défavorables pour l’accès aux infrastructures ferroviaires et la fourniture de services ferroviaires complémentaires. En particulier, aux considérants 293 et 294 de la décision attaquée, la Commission a précisé que la fourniture de services ferroviaires complémentaires n’était pas nécessairement réglementée ou qu’elle était réglementée d’une manière qui laissait une certaine marge de manœuvre en ce qui concernait les prix et la qualité du service fourni. Ce serait le cas de certains services d’entretien (pour le matériel roulant), d’accès à certaines installations (telles que des gares de triage ou des installations de stationnement et de nettoyage du matériel roulant) ou de secours (notamment dans l’hypothèse où un train tomberait en panne et perturberait le trafic). Dès lors, si un nouvel opérateur, tel que LDZ, utilisait les services de l’opérateur historique, en l’espèce la requérante, celui-ci pouvait en grande partie imposer les conditions dans lesquelles ces services étaient fournis, ce qui créait une incertitude quant à la qualité et au coût de ceux-ci. Or, il y a lieu d’observer que tous ces constats ne sont pas contredits par la requérante, qui se borne simplement à faire valoir que rien ne permettait de supposer qu’elle n’aurait pas respecté ses obligations.

260 En quatrième lieu, s’agissant des arguments visant à remettre en cause la conclusion de la décision attaquée selon laquelle LDZ aurait été plus dépendante de la requérante pour obtenir des informations sur les conditions d’accès et les redevances relatives à l’itinéraire long que sur celles relatives à l’itinéraire court, il convient de préciser, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée reconnaît que les formules utilisées pour calculer les redevances d’infrastructure ont été rendues publiques. Cependant, elle a également estimé que, sur un itinéraire plus long en Lituanie, LDZ aurait été d’autant plus exposée au manque d’informations et de transparence sur les conditions d’accès et les prix pour les services ferroviaires complémentaires. En particulier, au considérant 308 de la décision attaquée, la Commission a souligné que le document de référence du réseau pour la période 2008-2009 (Network Statement of 2008-2009) de la requérante ne définissait que la formule de calcul des redevances d’accès aux infrastructures ferroviaires lituaniennes. En effet, ce document ne précisait pas les redevances réelles concernant les services ferroviaires complémentaires, mais mentionnait seulement que ces services complémentaires étaient facturés conformément à la réglementation en vigueur. Or, cette affirmation ne semble pas être contestée par la requérante, laquelle, dans ses écritures, fait valoir que, même s’il existait encore une certaine incertitude à propos du montant exact des redevances pour les services complémentaires, il ne serait pas plausible d’analyser que cette prétendue absence de transparence n’ait pas constitué une barrière à l’entrée sur l’itinéraire court et sur le premier tronçon de l’itinéraire long en Lituanie, mais qu’elle ait constitué une barrière importante à l’entrée en ce qui concerne le deuxième tronçon de l’itinéraire long. Par ailleurs, par l’argument selon lequel, bien que le document de référence du réseau pour la période 2008-2009 ne précisât pas le montant exact des redevances pour les services ferroviaires complémentaires, toutes les redevances d’infrastructure étaient publiées et connues du public, la requérante confirme implicitement que le document ne précisait pas les redevances réelles concernant les services ferroviaires complémentaires. À cet égard, il convient de relever que ce document a été communiqué au Tribunal en réponse à l’une des mesures d’organisation de la procédure adoptées dans la présente affaire (voir point 65 ci-dessus) et que celui-ci ne précise effectivement pas le montant des redevances réelles concernant les services ferroviaires complémentaires. De plus, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée n’a pas conclu qu’il existait uniquement un manque de transparence en ce qui concernait l’itinéraire long vers la Lettonie, mais que le manque de transparence des prix facturés pour les services ferroviaires complémentaires augmentait le risque pour LDZ à la fois sur l’itinéraire long, mais aussi sur l’itinéraire vers Klaipėda, alors que tel n’était pas le cas sur l’itinéraire court, dès lors que, sur ce dernier, LDZ ne dépendait pas des services supplémentaires de la requérante ou, à tout le moins, en dépendait dans une plus faible mesure (considérant 307 de la décision attaquée).

261 Dès lors, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que l’absence de transparence à propos du montant exact des redevances pour les services complémentaires constituait une barrière à l’entrée sur l’itinéraire long ainsi que sur l’itinéraire vers Klaipėda.

262 En cinquième et dernier lieu, s’agissant de l’argument avancé par la requérante dans la réplique selon lequel la note manuscrite non datée évoquée par la Commission dans son mémoire en défense ne traitait pas de la question de savoir si le fait d’opérer sur l’itinéraire long présentait un risque plus élevé pour LDZ (considérant 283 de la décision attaquée), il convient de souligner d’emblée que, bien que le document en cause soit mentionné aux considérants 97 à 99 ainsi qu’au considérant 316, point 3, de la décision attaquée, la requérante ne l’a contesté que dans sa réplique. En outre, si le document ne concernait pas explicitement LDZ, mais un opérateur letton, concurrent potentiel de LG, il examine les menaces potentielles pour les intérêts du terminal maritime de Klaipėda et énumère, à la rubrique « Défense de la Lettonie », diverses barrières à l’entrée que la requérante aurait été en mesure de mettre en place à l’encontre de tout concurrent en provenance de Lettonie, y compris LDZ. Dès lors, contrairement à ce que la requérante prétend, le document en cause pouvait être analysé, dans la décision attaquée, comme l’une des preuves que le fait d’opérer sur l’itinéraire long présentait un risque sensiblement plus élevé pour LDZ.

263 Il ressort de tout ce qui précède qu’aucun des arguments avancés par la requérante n’est susceptible de remettre en cause les constatations de la décision attaquée concernant les barrières à l’entrée sur le marché et, notamment, la conclusion selon laquelle LDZ aurait été dépendante dans une plus large mesure de la requérante en sa qualité d’opérateur en place, verticalement intégré.

264 Il s’ensuit qu’il convient d’écarter la première série d’arguments du second grief de la quatrième branche.

ii) Sur les arguments visant à contester le fait que les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons n’aient pas été compétitifs comparés à l’itinéraire vers Klaipėda

265 Par une seconde série d’arguments, la requérante conteste l’allégation de la décision attaquée selon laquelle les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons n’auraient pas été compétitifs comparés à l’itinéraire vers Klaipėda (considérants 288 et 310 de la décision attaquée), de sorte que LDZ n’aurait pu exercer une pression concurrentielle sur LG que sur les itinéraires courts vers ces terminaux, c’est-à-dire si la voie ferrée avait été réparée.

266 En premier lieu, selon la requérante, cette allégation n’est pas plausible pour diverses raisons.

267 Premièrement, LDZ aurait proposé à Orlen, après la suspension du trafic et par lettre du 29 septembre 2008, de lui fournir des services de transport ferroviaire vers Riga tant par l’itinéraire court que par l’itinéraire long vers la Lettonie. LDZ aurait donc apparemment présumé elle-même qu’elle était en mesure d’exercer une concurrence effective sur l’itinéraire long également pour la production d’Orlen transportée, par LG, à Klaipėda. Deuxièmement, LG aurait conclu, dans un document interne de 2009, que les différences entre l’itinéraire court et l’itinéraire long n’étaient pas essentielles en termes de distance et de prix. Il ne serait par conséquent pas plausible que LDZ ait pu faire concurrence à LG uniquement sur l’itinéraire court, mais pas sur l’itinéraire long. Troisièmement, il n’existerait pas de différences de coût significatives entre les trois itinéraires, ce qui semble également naturel étant donné qu’ils font tous partie du même marché géographique. La circonstance que LDZ aurait pu exercer une pression sur la requérante pour la production d’Orlen transportée à Klaipėda uniquement par l’itinéraire court (dans l’hypothèse où la voie ferrée aurait été reconstruite ou réparée) serait par conséquent extrêmement peu plausible.

268 En second lieu, selon la requérante, la comparaison des coûts qu’a effectuée la Commission comprend également de nombreuses erreurs.

269 Selon la requérante, les termes utilisés par la Commission démontrent déjà que la comparaison des coûts n’était pas fondée sur une analyse solide et fiable. Ainsi, la Commission reconnaît qu’« elle ne peut pas quantifier exactement l’impact de ces différences structurelles sur les coûts du transport » et que « les méthodes de répartition des coûts utilisées par LG et LDZ peuvent avoir été différentes, ce qui peut avoir eu une influence sur leurs estimations [des coûts] ». Elle indique également qu’il n’apparaît pas clairement « si » les ports lettons présentaient un avantage concurrentiel important par rapport à Klaipėda en ce qui concernait le total des coûts du transport maritime et précise que l’itinéraire court vers Riga « semble être le plus intéressant ». En outre, lorsque la Commission a comparé la ventilation des coûts de la requérante et de LDZ, l’élément de coût le plus important de LDZ sur le tronçon letton de l’itinéraire long vers Riga était la catégorie « autre », alors que les « autres » coûts de la requérante ne représentaient qu’un pourcentage bien moindre du total de ses coûts sur le tronçon lituanien de l’itinéraire long vers Riga ou Ventspils. En outre, la Commission n’aurait pas tenu compte du fait que la requérante et LDZ utilisaient des méthodes de répartition des coûts totalement différentes, ce qui rendait toute comparaison des coûts arbitraire. À titre d’exemple, sur la base des données utilisées par la Commission, le coût de la requérante par tonne-kilomètre (tkm) était assez statique et ne variait pas selon la distance, alors que les coûts estimés de LDZ baissaient sur les itinéraires plus longs, en raison de l’estimation selon laquelle les coûts de chargement et de déchargement du fret étaient des frais fixes, auxquels étaient ensuite ajoutés les coûts de transport réels proportionnellement à la longueur de l’itinéraire et au volume du fret.

270 En outre, selon la requérante, même si les données figurant dans le tableau no 5 de la décision attaquée, intitulé « Coûts par tonne pour le transport des produits pétroliers d’Orlen (itinéraires longs et itinéraire vers Klaipėda) », étaient fondées sur des méthodes de ventilation des coûts comparables, elles n’étayeraient pas l’affirmation selon laquelle LDZ n’aurait pas pu exercer une concurrence crédible sur l’itinéraire long à l’égard de la production d’Orlen transportée vers Klaipėda. Par ailleurs, la requérante souligne que la Commission, dans la décision attaquée, a reconnu que les coûts retenus dans le tableau no 5 pour les itinéraires longs étaient probablement surestimés. Nonobstant, les coûts sur ces itinéraires sembleraient être largement comparables aux coûts sur l’itinéraire vers Klaipėda, de sorte que LDZ aurait été en mesure d’exercer une pression concurrentielle, notamment en tenant compte des avantages généraux en termes de coûts dont, selon la Commission, elle disposait par rapport à la requérante en ce qui concernait, par exemple, les prix de l’énergie et les coûts salariaux ainsi que les coûts du transport maritime. De l’avis de la requérante, tous ces éléments sont confirmés par le fait que LDZ a proposé à Orlen en septembre 2008 de transporter sa production de Klaipėda vers les terminaux maritimes lettons sur l’itinéraire long. De plus, les données sur les coûts utilisées dans le tableau no 5 seraient nettement inférieures aux prix qu’Orlen a effectivement payés par tonne pour les services de transport ferroviaire sur l’itinéraire vers Klaipėda en 2008 et en 2009.

271 La Commission et l’intervenante contestent cette série d’arguments.

272 En l’espèce, premièrement, s’agissant de la lettre du 29 septembre 2008, par laquelle LDZ aurait présenté une offre à Orlen pour des services de transport ferroviaire vers Riga tant par l’itinéraire court que par l’itinéraire long vers les terminaux maritimes lettons, il convient de préciser que, par cette lettre, LDZ a proposé un projet de tarification pour l’année 2008 pour le transport de produits pétroliers par le territoire de la Lettonie en direction du port de Riga. En particulier, il ressort de la teneur de cette lettre que le projet de tarification offert par LDZ concernait uniquement les tronçons lettons des itinéraires longs et courts vers Riga. En effet, la lettre mentionnait les itinéraires Maitene – Mangali (Riga) et Rengė – Mangali (Riga). Dès lors, la requérante ne saurait conclure, sur la seule base de la lettre en cause, à la compétitivité de l’offre de LDZ, étant donné que cette dernière ne tenait pas compte des prix qu’elle appliquait sur les tronçons lituaniens des deux itinéraires. Par ailleurs, la requérante n’apporte aucun élément de preuve visant à étayer son argument avancé dans la réplique selon lequel, au moment de soumettre l’offre à Orlen, LDZ était, de toute évidence, parfaitement au fait de la situation concurrentielle et des prix et des coûts pertinents. De plus, la simple existence d’une offre n’implique pas que celle-ci soit effectivement compétitive et, en tout état de cause, aussi compétitive qu’elle aurait pu l’être si la voie ferrée n’avait pas été supprimée. Dès lors, la requérante ne saurait tirer de cette lettre aucune conclusion en ce qui concerne la capacité de LDZ à exercer une pression concurrentielle effective sur elle sur l’itinéraire long.

273 Deuxièmement, s’agissant du document interne de 2009 par lequel la requérante aurait conclu que les différences entre l’itinéraire court et l’itinéraire long n’étaient pas essentielles en termes de distance et de prix, il y a lieu de souligner que le document en cause est le document portant la référence ES 9/VJ6. La conclusion à laquelle la requérante fait référence est contenue à la troisième et dernière page de ce document, dans laquelle elle comparait le transport des produits d’Orlen vers Jelgava (Lettonie) par Šiauliai (Lituanie) avec le transport direct via Rengė. Dès lors, cette conclusion ne compare pas les coûts des itinéraires entiers vers les terminaux maritimes lettons et ne concerne pas le transport des produits pétroliers d’Orlen en vue d’une exportation par voie maritime. De plus, la circonstance que, pour la requérante, les différences entre l’itinéraire court et l’itinéraire long vers les terminaux maritimes lettons ne soient pas essentielles en termes de distance et de prix ne vaut pas nécessairement pour LDZ.

274 Il en découle que ni l’offre mentionnée au point 272 ci-dessus ni le document interne mentionné au point 273 ci-dessus ne sauraient remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons auraient été moins rentables comparés à l’itinéraire vers Klaipėda.

275 Troisièmement, s’agissant de l’argument selon lequel il n’existerait pas de différences de coût significatives entre les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons, les itinéraires courts vers les terminaux maritimes lettons et l’itinéraire vers Klaipėda, il convient de relever que, s’il est vrai que, contrairement à l’itinéraire vers Klaipėda, l’itinéraire long vers Riga comprenait une partie importante (86 km) en Lettonie, où, selon la décision attaquée, les coûts du transport ferroviaire, notamment le prix de l’énergie et les coûts salariaux, étaient plus bas qu’en Lituanie (considérant 253 de la décision attaquée), il est également vrai que l’itinéraire long vers Riga comprenait une partie, à savoir 152 km, en Lituanie. Dès lors, étant donné que la Commission a calculé les coûts concernant les itinéraires vers les terminaux maritimes lettons en faisant la somme des coûts de la requérante et de LDZ sur leurs étapes respectives de l’itinéraire, afin d’apprécier la différence de coûts entre les itinéraires, aux coûts relatifs à la partie lettonne de l’itinéraire long vers Riga doivent être ajoutés les coûts relatifs à la partie lituanienne du même itinéraire. Par ailleurs, il en va de même pour ce qui est du calcul des coûts concernant l’itinéraire long vers Ventspils. En outre, la requérante ne conteste pas les coûts présentés par la Commission dans le tableau no 5, au considérant 311 de la décision attaquée. Ce tableau illustre que, contrairement à ce que la requérante soutient, en 2008 et en 2009, les coûts du transport de produits pétroliers d’Orlen par tonne étaient entre [confidentiel] et [confidentiel] % plus élevés sur l’itinéraire long vers Riga que sur l’itinéraire vers Klaipėda et entre [confidentiel] et [confidentiel] % plus élevés sur l’itinéraire long vers Ventspils que sur l’itinéraire vers Klaipėda. Par conséquent, contrairement à ce que la requérante fait valoir, il n’existe pas d’éléments suffisamment probants démontrant que LDZ aurait pu, en tant que concurrente efficace, proposer des services sur le marché pertinent en concurrence avec la requérante sur l’itinéraire long et exercer ainsi une pression concurrentielle sur celle-ci.

276 Quatrièmement, s’agissant des arguments visant à remettre en cause la comparaison des coûts effectuée par la Commission, il convient de relever ce qui suit.

277 D’une part, s’agissant des considérations concernant les termes utilisés par la Commission dans son analyse portant sur la comparaison des coûts, il y a lieu de relever qu’il n’est pas possible de déduire de certains termes utilisés que la comparaison des coûts n’est pas fondée sur une analyse solide et fiable. Par ailleurs, il convient de souligner, à l’instar de la Commission, que la mention de l’impossibilité de quantifier avec exactitude l’impact de ces différences structurelles sur les coûts de transport (considérant 253 de la décision attaquée) fait partie d’une analyse des facteurs ayant une incidence sur le coût du transport ferroviaire et ne modifie en rien la conclusion de l’analyse relative à la rentabilité de l’itinéraire court vers Riga (considérants 254 et 255 de la décision attaquée). La mention de ce que les méthodologies de répartition des coûts utilisées par la requérante et LDZ pourraient avoir été différentes, ce qui pourrait avoir influencé leurs estimations des coûts (considérants 271 à 273 de la décision attaquée), est clarifiée par la décision attaquée, laquelle explique pourquoi cet élément est dénué d’importance et n’affecte pas la comparaison des coûts de la requérante et LDZ. En outre, l’une des phrases de la décision attaquée contestée par la requérante est sortie de son contexte. La phrase entière de la décision était, en effet, la suivante : « [l]es ports de Riga et Ventspils auraient donc pu constituer à tout le moins une solution crédible de remplacement du port de Klaipėda, indépendamment du fait qu’ils puissent également être considérés comme ayant eu un avantage concurrentiel significatif sur le plan des coûts totaux de transport maritime » (considérant 240 de la décision attaquée). Enfin, en ce qui concerne la mention, qui provient d’une autre section de la décision attaquée, de ce que, sur la base d’une analyse des facteurs ayant une incidence sur le coût du transport ferroviaire, l’itinéraire court vers Riga semble être le plus attrayant, cette affirmation est ensuite étayée par une comparaison plus détaillée des coûts des itinéraires, aux considérants 255 à 266 de la décision attaquée, démontrant que l’itinéraire court vers Riga est effectivement le plus attrayant.

278 D’autre part, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée ne compare pas « des pommes avec des pommes », c’est à juste titre que la Commission relève que la décision attaquée répond longuement aux arguments de la requérante relatifs à l’analyse des coûts, et notamment aux objections quant à la possibilité de les comparer. En effet, il ressort du considérant 269 de la décision attaquée que la requérante avait déjà prétendu, dans sa réponse à la communication des griefs, que ses coûts et ceux de LDZ n’étaient pas comparables. La Commission a réfuté les arguments de la requérante de manière détaillée aux considérants 270 à 284 de la décision attaquée. Elle a notamment expliqué, aux considérants 272 et 273 de cette dernière, avoir pris en compte la circonstance que les méthodes de calcul des coûts de la requérante et de LDZ pouvaient avoir été différentes et que cela pouvait avoir influencé leurs estimations d’une composante de coût, telle que les dépenses administratives. Cependant, elle a également précisé qu’une telle différence de méthodologie ne pouvait avoir entraîné qu’une différence légère en termes de coûts. De même, au considérant 274 de la décision attaquée, la Commission a expliqué pour quelle raison elle avait considéré que l’estimation des coûts de la requérante et de LDZ couvrait les mêmes services et comprenait les mêmes composantes de coût, au moins pour l’année 2009. En effet, ainsi qu’il ressort de la note en bas de page no 406 de la décision attaquée, dès lors que la requérante n’a pas fourni de ventilation des coûts pour l’année 2008, la Commission a analysé les données concernant les coûts de la requérante pour l’année 2009.

279 Dès lors, la requérante ne saurait se prévaloir de l’argument selon lequel la méthodologie d’évaluation des coûts serait erronée pour remettre en cause la comparaison des coûts effectuée par la Commission dans la décision attaquée et faire valoir que cette comparaison est arbitraire.

280 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments de la requérante.

281 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel, même si les données figurant dans le tableau no 5 de la décision attaquée étaient fondées sur des méthodes de ventilation des coûts comparables, elles n’étayeraient pas l’affirmation que LDZ n’aurait pas pu être une concurrente crédible sur les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons, il convient de constater que la requérante ne fournit pas les éléments visant à prouver que la différence de [confidentiel] % entre les coûts sur l’itinéraire long vers Riga en 2008 [confidentiel] et les coûts sur l’itinéraire vers Klaipėda [confidentiel] aurait dû complètement disparaître compte tenu du fait que les coûts retenus par la Commission dans le tableau no 5 de la décision attaquée pour les itinéraires longs avaient été « probablement surestimés ». Par ailleurs, dans la mesure où, par son argument, la requérante vise à faire valoir que la différence de [confidentiel] % entre les coûts sur l’itinéraire long vers Riga en 2008 [confidentiel] et les coûts sur l’itinéraire vers Klaipėda [confidentiel] n’était pas significative, il convient de souligner, à l’instar de la Commission, que la décision attaquée a également démontré que, même en suivant une approche prudente, les coûts de l’itinéraire long vers Ventspils étaient plus élevés de [confidentiel] % en 2008 et de [confidentiel] % en 2009 que ceux de l’itinéraire vers Klaipėda. Or, une différence de [confidentiel] % ou de [confidentiel] % est significative et difficilement susceptible d’être remise en cause par une surestimation.

282 Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel les données sur les coûts utilisées dans le tableau no 5 [confidentiel] seraient nettement inférieures aux prix qu’Orlen a effectivement payés par tonne pour les services de transport ferroviaire sur l’itinéraire vers Klaipėda en 2008 [confidentiel] et en 2009 [confidentiel], de sorte que, selon la logique appliquée par la Commission aux considérants 281 à 284 de la décision attaquée, LDZ aurait pu exercer une pression concurrentielle sur la requérante si elle avait décidé de le faire, il convient de relever que, contrairement à ce que la requérante soutient, les coûts calculés par la Commission pour l’itinéraire long vers Riga ne sont que très légèrement inférieurs aux prix qu’Orlen a effectivement payés pour les services de transport ferroviaire sur l’itinéraire vers Klaipėda. Or, s’agissant de coûts, et non de prix, il convient d’y ajouter une marge bénéficiaire, même faible, venant réduire d’autant plus la différence avec les prix qu’Orlen a effectivement payés pour les services de transport ferroviaire sur l’itinéraire vers Klaipėda.

283 Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu de constater qu’aucune erreur d’appréciation ne peut être reprochée à la Commission pour avoir conclu que les itinéraires longs vers les terminaux maritimes lettons n’auraient pas été compétitifs par rapport à l’itinéraire vers Klaipėda.

284 Par conséquent, le second grief de la quatrième branche et, partant, la quatrième branche du deuxième moyen du recours dans son ensemble doivent être écartés.

285 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme non fondé.

3. Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 296 TFUE et de l’article 2 du règlement no 1/2003 pour insuffisance de preuve et défaut de motivation

286 Par le troisième moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la Commission a violé l’article 296 TFUE en raison d’un défaut de motivation ainsi que l’article 2 du règlement no 1/2003 dans la mesure où elle n’aurait pas fourni suffisamment de preuves à l’appui de sa constatation, dans la décision attaquée, d’une infraction à l’article 102 TFUE.

287 La Commission et l’intervenante contestent cette argumentation.

288 Le troisième moyen du recours se compose, en substance, de deux branches, la première visant à faire valoir la violation de l’article 296 TFUE en raison d’un défaut de motivation et la seconde visant à invoquer la violation de l’article 2 du règlement no 1/2003.

a) Sur la première branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’article 296 TFUE en raison d’un défaut de motivation

289 À l’appui de la première branche, la requérante avance, en substance, deux griefs qu’il convient d’examiner ensemble. Le premier est tiré de ce que la Commission n’aurait pas indiqué pourquoi elle s’était écartée de la jurisprudence établie en matière de refus de fournir des infrastructures essentielles et le second est tiré de ce que la Commission n’aurait pas fourni de raisons suffisantes démontrant qu’il existait en l’espèce des circonstances exceptionnelles concernant la voie ferrée qui justifiaient la constatation d’une pratique abusive.

290 D’emblée, il convient de relever que les arguments développés par la requérante à l’appui des deux griefs de la première branche ne visent pas un défaut ou une insuffisance de motivation de la décision attaquée. En effet, ces arguments se confondent, en réalité, avec la critique du bien-fondé de la décision attaquée. Or, l’obligation de motiver des décisions constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. La motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels elle repose. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond de la décision, mais non sa motivation, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 181 et jurisprudence citée). Il y a lieu d’observer par ailleurs que de tels arguments ont déjà été avancés, examinés et écartés dans le cadre des premier et deuxième moyens.

291 Il s’ensuit que la première branche du troisième moyen doit être écartée.

b) Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’article 2 du règlement no 1/2003

292 À titre liminaire, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que, hormis une brève mention de l’article 2 du règlement no 1/2003 au point 143 de la requête, la requérante n’étaye pas son allégation, en indiquant les passages de la décision attaquée qui, selon elle, souffriraient d’une insuffisance de preuves. Cependant, la requérante a précisé son argument aux points 28 et 29 de ses observations sur le mémoire en intervention. En particulier, au point 29 de ces observations, elle fait valoir que la Commission ne s’est pas fondée sur des preuves directes ou documentaires, précises et concluantes, démontrant l’infraction à suffisance de droit. En tout état de cause, la requérante soutient qu’elle a, conformément à la jurisprudence, avancé une argumentation qui donnerait un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permettrait ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction.

293 À cet égard, il convient de relever qu’il ressort de l’article 2 du règlement no 1/2003 ainsi que d’une jurisprudence constante que, dans le domaine du droit de la concurrence, en cas de litige sur l’existence d’une infraction, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et d’établir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir arrêt du 12 avril 2013, GEMA/Commission, T‑410/08, non publié, EU:T:2013:171, point 68 et jurisprudence citée).

294 S’il est nécessaire que la Commission fasse état de preuves précises et concordantes pour fonder la ferme conviction que l’infraction a été commise, il importe de souligner que chacune des preuves apportées par la Commission ne doit pas nécessairement répondre à ces critères par rapport à chaque élément de l’infraction. Il suffit que le faisceau d’indices invoqué par l’institution, apprécié globalement, réponde à cette exigence, ainsi que le retient la jurisprudence concernant la mise en œuvre de l’article 101 TFUE. Ce principe s’applique également dans des affaires concernant la mise en œuvre de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, point 477 et jurisprudence citée).

295 S’agissant de la force probante des éléments de preuve retenus par la Commission, il convient de distinguer deux situations.

296 D’une part, lorsque la Commission constate une infraction aux règles de concurrence en se fondant sur la supposition selon laquelle les faits établis ne peuvent être expliqués autrement qu’en fonction de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, le juge de l’Union sera amené à annuler la décision en question lorsque les entreprises concernées avancent une argumentation qui donne un éclairage différent aux faits établis par la Commission et qui permet ainsi de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction. En effet, dans un tel cas, il ne saurait être considéré que la Commission a apporté la preuve de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 1984, Compagnie royale asturienne des mines et Rheinzink/Commission, 29/83 et 30/83, EU:C:1984:130, point 16, et du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, points 126 et 127).

297 D’autre part, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve qui sont, en principe, suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction, il ne suffit pas à l’entreprise concernée d’évoquer la possibilité qu’une circonstance se soit produite qui pourrait affecter la valeur probante de ces éléments de preuve pour que la Commission supporte la charge de prouver que cette circonstance n’a pas pu affecter la valeur probante de ceux-ci. Au contraire, sauf dans les cas où une telle preuve ne pourrait pas être fournie par l’entreprise concernée en raison du comportement de la Commission elle-même, il appartient à l’entreprise concernée d’établir à suffisance de droit, premièrement, l’existence de la circonstance qu’elle invoque et, deuxièmement, que cette circonstance met en cause la valeur probante des éléments de preuve sur lesquels se fonde la Commission (voir arrêt du 15 décembre 2010, E.ON Energie/Commission, T‑141/08, EU:T:2010:516, point 56 et jurisprudence citée).

298 En l’espèce, il ressort de l’analyse du deuxième moyen du recours que la Commission n’a pas constaté un abus de position dominante en se fondant sur la supposition que les faits établis ne pouvaient pas être expliqués autrement qu’en raison de l’existence d’un comportement anticoncurrentiel. En revanche, elle s’est fondée sur des éléments de preuve qui, en principe, étaient suffisants pour démontrer l’existence de l’infraction contestée. Par ailleurs, l’argumentation que la requérante avance afin de donner un éclairage différent aux faits établis par la Commission ne permet pas de substituer une autre explication plausible des faits à celle retenue par la Commission pour conclure à l’existence d’une infraction.

299 Dès lors, eu égard à la jurisprudence mentionnée aux points 292 à 297 ci-dessus, il convient de constater que la Commission n’a pas violé l’article 2 du règlement no 1/2003.

300 Il s’ensuit qu’il y a lieu d’écarter la seconde branche du troisième moyen et, partant, le troisième moyen du recours dans son intégralité.

4. Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 7 du règlement no 1/2003, en ce que la décision a ordonné une mesure corrective disproportionnée

301 Par son cinquième moyen, la requérante fait valoir que la décision attaquée viole l’article 7 du règlement no 1/2003, en ce qu’elle lui ordonne une mesure corrective disproportionnée.

302 En particulier, premièrement, la requérante fait valoir que, en vertu de l’article 7 du règlement no 1/2003, elle ne pouvait être tenue que de rétablir la situation concurrentielle qui existait avant la suppression de la voie ferrée et que, avant cette suppression, la voie ferrée ne pouvait déjà plus être utilisée depuis la suspension du trafic le 2 septembre 2008. L’investissement requis dans une nouvelle infrastructure, non essentielle, irait au-delà du rétablissement de la situation antérieure et serait inédit et disproportionné.  

303 Deuxièmement, la requérante soutient que, dans la mesure où, avant la suspension du trafic, la voie ferrée n’était utilisée que par un seul client, pour une petite partie de sa production, et que celui-ci utilise désormais un autre itinéraire, il n’était pas certain que ce client utiliserait la nouvelle voie ferrée.

304 Troisièmement, la requérante prétend que la reconstruction en cause exigerait un investissement très important qui l’obligerait à affecter ses ressources en faveur d’un seul client, dont la demande est limitée, et ce au détriment d’autres itinéraires.

305 Quatrièmement, la requérante fait valoir que l’obligation de reconstruire la voie ferrée serait une mesure disproportionnée dans l’hypothèse où elle ne serait pas autorisée à exiger que les deux seuls bénéficiaires potentiels de la nouvelle infrastructure paient une part équitable et raisonnable des coûts de reconstruction.

306 Cinquièmement, la requérante soutient, en réponse au mémoire en défense de la Commission, que, à la différence de l’« affaire Microsoft » invoquée par la Commission, il s’agit en l’espèce d’un investissement dans une infrastructure entièrement nouvelle, et non du partage d’une infrastructure existante.

307 Par ailleurs, il convient de signaler que, le 9 mars 2018, la requérante a publié un communiqué de presse indiquant qu’elle avait conclu un plan d’action en accord avec la Commission en vertu duquel la voie ferrée serait remise en état avant la fin de l’année 2019. Selon les informations divulguées par la presse, un accord ayant pour objet la réouverture du trafic sur la voie ferrée a été, en outre, signé par la requérante et Orlen le 14 août 2018. Lors de l’audience, la requérante et l’intervenante ont confirmé que les travaux de reconstruction de la voie ferrée avaient été achevés en décembre 2019 et que, à la suite d’essais qui étaient en cours au jour de l’audience, la voie ferrée devait être rouverte au trafic avant la fin du mois de février 2020.

308 La Commission et l’intervenante contestent l’argumentation de la requérante.

309 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 dispose, notamment, que, si la Commission, agissant d’office ou saisie d’une plainte, constate l’existence d’une infraction aux dispositions des articles 101 ou 102 TFUE, elle peut obliger, par voie de décision, les entreprises et associations d’entreprises intéressées à mettre fin à l’infraction constatée. Ce paragraphe prévoit par ailleurs que, lorsque la Commission y a un intérêt légitime, elle peut également constater qu’une infraction a été commise dans le passé (arrêt du 9 septembre 2015, Philips/Commission, T‑92/13, non publié, EU:T:2015:605, point 132).

310 Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑111/08, EU:T:2012:260, point 323 et jurisprudence citée).

311 À cet égard, la Cour a déjà jugé que l’article 7 du règlement no 1/2003 indiquait expressément l’ampleur de la portée de l’application du principe de proportionnalité dans les situations relevant de son champ d’application. En effet, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, la Commission peut imposer aux entreprises intéressées toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale qui soit proportionnée à l’infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l’infraction (arrêt du 29 juin 2010, Commission/Alrosa, C‑441/07 P, EU:C:2010:377, point 39).

312 En outre, il a été précisé que, si la Commission avait, certes, le pouvoir de constater l’infraction et d’ordonner aux parties concernées d’y mettre fin, il ne lui appartenait ni d’imposer aux parties son choix parmi les différentes possibilités de conduite toutes conformes au traité (arrêt du 18 septembre 1992, Automec/Commission, T‑24/90, EU:T:1992:97, point 52), ni de décider des modalités précises de mise en œuvre des différentes possibilités de conduite (voir, en ce sens, ordonnance du 20 novembre 2008, SIAE/Commission, T‑433/08 R, non publiée, EU:T:2008:520, point 37).

313 En l’espèce, la décision attaquée, en plus d’infliger, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, une amende d’un montant de 27 873 000 euros, a exigé, en application de l’article 7 de ce même règlement, que la requérante mette fin à l’infraction, en soumettant à la Commission, dans un délai de trois mois, une proposition de mesures en ce sens (considérant 395 et article 3 de la décision attaquée). En particulier, au considérant 394 de la décision attaquée, la Commission a relevé que plusieurs solutions structurelles ou comportementales pourraient permettre de mettre fin à l’infraction en rétablissant la situation concurrentielle qui existait avant la suppression de la voie ferrée, soit en la reconstruisant, soit en éliminant les désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils décrits au point 7.4.2 de la décision attaquée.

314 Dès lors, la décision attaquée a ordonné à la requérante de mettre effectivement un terme à l’infraction et, en estimant que plusieurs solutions structurelles ou comportementales pourraient être pertinentes à cet effet, a suggéré, ainsi que la requérante l’admet, deux options, à savoir la reconstruction de la voie ferrée ou l’élimination des désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils. Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 311 et 312 ci-dessus, la décision attaquée a prévu différentes mesures correctives susceptibles de faire cesser l’infraction sans imposer de choix parmi celles-ci. En effet, en invitant la requérante à soumettre une proposition de mesures correctives, la Commission l’a laissée libre de décider comment intervenir afin de mettre un terme à l’infraction. En particulier, la Commission a laissé la requérante libre de choisir comment éliminer les désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, dans l’hypothèse où cette dernière n’aurait pas opté pour la reconstruction de la voie ferrée.

315 En premier lieu, la requérante fait valoir que la seconde option, à savoir l’élimination des désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, n’était pas une solution viable. En effet, l’élimination de ces désavantages, et, notamment, de la dépendance de LDZ à son égard en tant qu’opérateur en place verticalement intégré, impliquerait qu’elle soit démembrée en vue de céder les fonctions de gestionnaire d’infrastructures ferroviaires à une autre entité et de ne maintenir que les activités réalisées à titre de fournisseur de services de transport ferroviaire. Un tel démembrement requiert, selon la requérante, l’adoption d’une nouvelle législation par le Parlement lituanien, sur lequel elle n’aurait aucune influence. En outre, elle ne pourrait pas survivre économiquement dans un tel scénario parce qu’elle devrait faire face à la concurrence des transporteurs de fret ferroviaire provenant des pays de la Communauté des États indépendants (CEI). De ce fait, la seule option viable était la reconstruction de la voie ferrée. Dans sa réplique, elle ajoute qu’une action législative serait également nécessaire pour la décharger de la responsabilité qui lui incombait, en vertu de l’article 24, point 6, du code des transports ferroviaires, de fournir une évaluation technique à VGI.

316 À cet égard, il convient de relever que, ainsi que cela a été constaté au point 314 ci-dessus, conformément à la jurisprudence rappelée au point 312 ci-dessus, la Commission n’a ni imposé ni déterminé de modalités spécifiques visant à éliminer les désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, dans l’hypothèse où la requérante n’aurait pas opté pour la reconstruction de la voie ferrée. En particulier, la Commission n’a pas imposé un démembrement de l’entreprise ni l’adoption d’une nouvelle législation.

317 En tout état de cause, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que l’argument de la requérante selon lequel l’élimination des désavantages rencontrés par les concurrents sur les autres itinéraires menant aux terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils nécessiterait obligatoirement un démembrement total de la propriété n’est pas étayé. La circonstance que, lors de la procédure administrative, la Commission ait exigé un tel démembrement de la propriété à titre de condition d’une décision d’engagements fondée sur l’article 9 du règlement no 1/2003, à la supposer établie, ne prouve pas qu’un tel démembrement ait été la seule manière d’éliminer les désavantages auxquels faisaient face les concurrents sur les autres itinéraires menant aux terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, et notamment la dépendance de LDZ à l’égard de la requérante. Il en va de même pour ce qui est de l’échec, dû aux pressions de différentes parties prenantes, de la proposition initialement faite par la Commission, dans le cadre du quatrième paquet ferroviaire, d’instaurer une séparation stricte entre le gestionnaire des infrastructures et l’opérateur ferroviaire. En effet, si le document du Parlement européen intitulé « Le quatrième paquet ferroviaire » et daté de mars 2016, auquel la requérante fait référence, dispose que la version finale de la proposition du quatrième paquet ferroviaire ne prévoit pas de « découplage obligatoire », il ajoute que les entreprises verticalement intégrées sont autorisées, à condition que le gestionnaire des infrastructures soit totalement indépendant et dispose de droits de décision effectifs. Il s’ensuit que le document mentionné par la requérante elle-même confirme qu’il existe une alternative au démembrement total de la propriété.

318 Force est de constater que, compte tenu de l’analyse des effets anticoncurrentiels conduite par la Commission dans la décision attaquée, l’élimination des désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, décrits au point 7.4.2 de la décision attaquée, constituait une mesure corrective appropriée à la cessation de l’infraction contestée. Cette mesure corrective, en tant que l’une des options possibles pour mettre fin à l’infraction (considérant 394 de la décision attaquée), constituait, dès lors, une mesure proportionnelle à la cessation de l’infraction contestée.

319 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la reconstruction de la voie ferrée constitue une mesure corrective disproportionnée et sans précédent.

320 À cet égard, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que la mesure corrective consistant à reconstruire la voie ferrée, en tant que l’une des options possibles pour assurer l’effectivité de la décision attaquée (considérant 394), constitue la conséquence directe de la constatation de l’illégalité commise par la requérante, à savoir la suppression de cette voie, et se borne à faire cesser l’infraction en cause (voir, en ce sens, arrêt du 24 mai 2012, MasterCard e.a./Commission, T‑111/08, EU:T:2012:260, point 325).

321 Cette conclusion ne saurait être infirmée par les autres arguments de la requérante.

322 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel, avant sa suppression, la voie ferrée était en très mauvais état et ne pouvait plus être utilisée depuis la suspension du trafic le 2 septembre 2008 et que la Commission n’a pas examiné si la requérante était tenue, en vertu de l’article 102 TFUE, d’entreprendre des travaux de réparation, force est de constater que cet argument se fonde sur une prémisse erronée. Il s’agit de la prémisse selon laquelle la Commission aurait dû qualifier de comportement abusif l’absence de réparation de la voie ferrée après la suspension du trafic sur celle-ci et examiner la présente affaire à la lumière de la jurisprudence concernant l’accès aux infrastructures essentielles. Dès lors, compte tenu des observations développées dans le cadre de l’analyse du premier moyen, cet argument ne saurait prospérer.

323 Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel la décision attaquée semble exiger que la requérante investisse dans une nouvelle infrastructure, accessible uniquement pour aider une concurrente, ce qui irait bien au-delà d’un simple rétablissement de la situation antérieure et serait non seulement sans précédent, mais également disproportionné, il convient de relever que, contrairement à ce que la requérante prétend, la décision attaquée n’a pas exigé qu’elle investisse ses ressources dans une nouvelle infrastructure, accessible uniquement pour aider une concurrente. Au contraire, il ressort de la décision attaquée que la requérante était obligée, par la réglementation en vigueur, d’assurer de bonnes conditions de circulation sur la voie ferrée et que l’État aurait dû en assurer le financement. En particulier, il ressort de la réglementation nationale que la requérante était obligée de prendre toutes les mesures nécessaires pour réparer la voie ferrée, y compris s’adresser au gouvernement lituanien pour obtenir la décision favorable à l’exécution des travaux de réparation ou de reconstruction de la voie ferrée ainsi que les fonds publics nécessaires à cette exécution. Dès lors, contrairement à ce que la requérante fait valoir, en demandant de reconstruire la voie ferrée, la décision attaquée ne va pas au-delà d’un simple rétablissement de la situation antérieure.

324 Par ailleurs, les décisions de la Commission mentionnées par la requérante afin de prouver le caractère sans précédent de la mesure corrective en cause ne sauraient remettre en cause ce constat, étant donné qu’elles concernent, à la différence de la présente affaire, des refus de fournir un accès à une infrastructure essentielle. De plus, il est sans importance que, avant la suspension du trafic, le 2 septembre 2008, la voie ferrée n’ait été utilisée que par un seul client et uniquement pour une partie prétendument faible de sa production. De même, il est sans importance qu’il existe un autre itinéraire, que ce client a utilisé immédiatement après la suspension du trafic.

325 En outre, la requérante ne saurait se prévaloir de l’argument selon lequel la reconstruction de la voie ferrée exigerait un investissement très important (environ 40 millions LTL en 2008) et l’obligerait à affecter ses ressources très limitées pour favoriser un seul client afin de contester le caractère non proportionné du remède imposé. En effet, si la requérante se trouve à devoir reconstruire la voie ferrée sans disposer des ressources nécessaires, ce n’est que la conséquence de son comportement, à savoir de sa décision de supprimer la voie ferrée en toute hâte et sans solliciter l’accord de l’État ni sécuriser les fonds nécessaires à sa reconstruction.

326 Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’obligation de reconstruire la voie ferrée serait disproportionnée si elle n’était pas autorisée à exiger que les deux seuls bénéficiaires potentiels de cette nouvelle infrastructure, à savoir Orlen et LDZ, participent aux coûts de la reconstruction, il convient de relever ce qui suit.

327 En premier lieu, ainsi qu’il ressort des considérants 73 et 74 de la décision attaquée, le 22 octobre 2009, Orlen avait contacté la requérante par courrier en se déclarant prête à couvrir les coûts de reconstruction de la voie ferrée et à discuter des possibilités de récupérer son investissement. Orlen n’a jamais reçu de réponse officielle à son offre et n’a été informée que verbalement lors d’une réunion avec le président du conseil d’administration de la requérante (et à l’époque vice-ministre des Transports et des Communications) du refus de cette dernière. En particulier, la requérante a précisé que, conformément à la loi régissant les activités de gestion d’infrastructures ferroviaires, la création, la modernisation et le développement d’infrastructures ferroviaires publiques ne pouvaient pas être financés par des investissements privés. En outre, dans son plan d’activité stratégique de 2009 visant la période 2010-2012, la requérante a fourni deux autres explications quant au rejet de l’offre d’Orlen. En effet, elle a précisé, d’une part, que, pour pouvoir contracter un emprunt, elle aurait dû lancer un appel d’offres ouvert pour lequel le succès d’Orlen ne pouvait pas être garanti et, d’autre part, qu’elle avait atteint sa limite d’emprunt et n’aurait pas pu emprunter davantage sans le consentement de ses créanciers. Dès lors, la requérante ne saurait invoquer le caractère prétendument disproportionné de la mesure corrective imposée au motif qu’elle n’était pas autorisée à exiger qu’Orlen et LDZ participent aux coûts de la reconstruction.

328 En second lieu, la requérante ne pouvait pas attendre de la Commission qu’elle l’autorise à demander à Orlen et à LDZ de participer aux coûts de reconstruction dans la mesure où une telle autorisation lui aurait permis de transformer les avantages de l’abus en rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Microsoft/Commission, T‑167/08, EU:T:2012:323, points 141 et 142). À cet égard, la comparaison opérée par la requérante avec l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98), n’est pas pertinente. En effet, l’abus constaté dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt concernait un refus d’accorder l’accès à des informations brutes contenues dans les grilles de programmes de télévision. Or, celui-ci est normalement soumis au paiement d’une redevance en contrepartie.

329 Il s’ensuit que, en imposant à la requérante de mettre fin à l’infraction, soit en rétablissant la situation concurrentielle qui existait avant la suppression de la voie ferrée en la reconstruisant, soit en éliminant les désavantages des concurrents sur les itinéraires alternatifs vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, la Commission n’a pas violé l’article 7 du règlement no 1/2003.

330 Dès lors, il y a lieu d’écarter le cinquième moyen du recours dans son ensemble.

5. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, en ce que la décision attaquée serait entachée d’erreurs de droit et d’erreurs d’appréciation quant à la fixation du montant de l’amende

331 À l’appui de son quatrième moyen, la requérante reproche à la Commission d’avoir commis diverses erreurs de droit et d’appréciation en lui infligeant une amende.

332 Ce moyen se subdivise, en substance, en deux branches. Par une première branche, la requérante soutient que, en lui infligeant une amende, la Commission a commis une erreur de droit et d’appréciation. Par une seconde branche, avancée à titre subsidiaire et tendant à la réduction du montant de l’amende, la requérante reproche à la Commission une erreur de droit et d’appréciation en raison de la fixation d’une amende d’un montant disproportionné. Cette seconde branche, à l’exception d’un argument du deuxième grief, qui porte sur la durée prétendument excessive de la procédure et qui tend à l’annulation de la décision attaquée, sera par conséquent examinée ci-après, dans la partie du présent arrêt consacrée aux conclusions, soulevées à titre subsidiaire, tendant à la réduction du montant de l’amende.

333 À l’appui de la première branche du quatrième moyen, la requérante fait valoir que la Commission a commis des erreurs de droit et d’appréciation en lui infligeant une amende. À cet égard, après avoir rappelé que, en vertu de l’article 23 du règlement no 1/2003, la Commission peut infliger une amende à une entreprise ayant enfreint l’article 102 TFUE, mais n’en a pas l’obligation, la requérante soutient que le fait d’infliger une amende est disproportionné lorsqu’une affaire est nouvelle, ce qui serait le cas en l’espèce. En particulier, la Commission et la Cour de justice de l’Union européenne auraient confirmé que les amendes n’étaient pas appropriées dans les affaires qui présentaient de nouvelles théories du préjudice. En outre, la Commission aurait confirmé qu’une amende n’était pas appropriée en estimant que l’affaire pouvait faire l’objet d’une décision d’engagements.

334 D’une part, la requérante soutient que l’affaire serait nouvelle et dépourvue de précédent dans la mesure où il a été présumé qu’il incombait à une entreprise dominante une obligation d’investir dans une infrastructure, bien que l’accès à celle-ci ne soit ni essentiel ni indispensable pour permettre à une autre entreprise de lui faire concurrence. En outre, la requérante n’aurait pas pu anticiper que des doutes sur la gravité des défauts de la voie ferrée ainsi que ses intentions puissent être considérés comme des circonstances suffisantes pour établir une pratique abusive.

335 D’autre part, la requérante conteste avoir agi au moins par négligence. Au contraire, elle soutient que la décision de suppression de la voie ferrée a été prise de bonne foi, dans l’intention de la reconstruire ultérieurement. Le caractère nouveau de la théorie sur laquelle la décision attaquée est fondée exclurait qu’il y ait eu une intention de commettre une infraction ou une négligence à cet égard.

336 Par le deuxième grief de la seconde branche du quatrième moyen, la requérante soutient que la Commission a commis des erreurs de droit et d’appréciation quant à la durée de l’infraction alléguée en retenant que l’infraction avait commencé au moins au début des travaux d’enlèvement de la voie ferrée en octobre 2008 et aurait été encore en cours à la date d’adoption de la décision attaquée. En premier lieu, selon la requérante, l’infraction en cause n’aurait pu commencer, au plus tôt, que lorsqu’elle a décidé de ne plus poursuivre activement le projet de reconstruction, à savoir après la décision arbitrale du 17 décembre 2010. En second lieu, la requérante estime que la procédure administrative devant la Commission a eu une durée excessive qui, d’une part, aurait indûment allongé la durée de l’infraction alléguée et, d’autre part, aurait violé ses droits de la défense dans la mesure où certains de ses salariés impliqués dans le processus de décision auraient, au cours de cette période, quitté l’entreprise, ce qui aurait nui à la préparation de son recours. Par conséquent, la requérante estime que le montant de l’amende devrait être substantiellement réduit.

337 La Commission conteste l’argumentation de la requérante.

a) Sur le premier grief de la première branche, tiré du caractère nouveau de la théorie juridique sur laquelle la décision attaquée est fondée

338 Par son premier grief, la requérante vise, en substance, à faire valoir que le comportement reproché dans la décision attaquée constitue une nouvelle catégorie d’abus dont elle ignorait le caractère illégal.

339 À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que l’argument de la requérante portant sur le caractère prétendument nouveau du comportement abusif contesté se fonde sur une interprétation erronée de la décision attaquée. En effet, contrairement à ce que la requérante prétend et ainsi que cela a déjà été relevé, la décision attaquée ne lui a pas imposé une obligation d’investir dans une infrastructure qui n’est ni essentielle ni indispensable pour permettre à une concurrente de lui faire concurrence. Elle n’a pas non plus imposé à la requérante, en tant qu’entreprise en position dominante, de subventionner une concurrente uniquement pour réduire ses risques d’entrée sur le marché. Ainsi que cela a déjà été constaté à plusieurs reprises, la Commission a relevé, dans la décision attaquée, à juste titre, que, en supprimant la voie ferrée en toute hâte, sans mobiliser les fonds nécessaires et sans suivre les étapes préparatoires normales en vue de sa reconstruction (considérants 182 à 201 de la décision attaquée), la requérante avait adopté un comportement abusif consistant à recourir à des moyens différents de ceux qui gouvernaient une concurrence normale. Elle a également constaté que ce comportement était susceptible de produire des effets anticoncurrentiels potentiels d’éviction de la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers entre la raffinerie et les terminaux maritimes voisins, en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective. Or, à cet égard, il convient de relever que le caractère abusif d’un comportement tel que celui de la requérante, visant à tenir les concurrents éloignés du marché, a déjà été condamné par les juridictions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 164). Partant, le caractère abusif d’un tel comportement ne peut être qualifié de nouveau.

340 En second lieu, il y a lieu d’observer que le fait que le comportement contesté par la Commission puisse être qualifié de nouveau n’exclut pas l’imposition d’une amende. En effet, le Tribunal a déjà constaté que, s’il existait des affaires dans lesquelles la Commission n’avait imposé aucune amende ou avait imposé une amende symbolique en l’absence de précédents, dans d’autres affaires, la Commission avait imposé des amendes élevées même dans des situations dans lesquelles il n’existait pas de précédent relatif à un comportement présentant les mêmes caractéristiques (voir, en ce sens, arrêt du 26 octobre 2017, Marine Harvest/Commission, T‑704/14, EU:T:2017:753, point 392). Par ailleurs, il convient de préciser que la décision mentionnée par la requérante à l’appui de son argumentation, à savoir la décision C(2014) 2892 final de la Commission, du 29 avril 2014, relative à une procédure d’application de l’article 102 [TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.39985 – Motorola – Respect des brevets essentiels pour la norme GPRS, point 561), n’apparaît pas pertinente. En effet, cette décision ne s’appuie pas seulement sur la circonstance selon laquelle le comportement en cause n’avait jusqu’alors jamais été qualifié d’abusif par le juge de l’Union, mais également sur le fait que des tribunaux nationaux avaient abouti à des conclusions divergentes sur cette question.

341 En outre, il ressort de la jurisprudence que la circonstance qu’un abus est inédit ne saurait remettre en cause le caractère grave d’une infraction ni conduire à réduire le montant de l’amende. En particulier, même dans le domaine du calcul des amendes, le Tribunal a déjà constaté que le fait qu’un comportement présentant les mêmes caractéristiques n’ait pas encore été examiné dans des décisions antérieures n’exonérait pas l’entreprise de sa responsabilité (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313, point 107, et du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266, points 901 à 903).

342 Compte tenu de ce qui précède, il convient d’écarter le premier grief de la première branche.

b) Sur le second grief de la première branche, tiré de ce que la requérante n’aurait pas agi par négligence

343 S’agissant du second grief, tiré de ce que la requérante n’aurait pas agi au moins par négligence, il convient de rappeler que, au considérant 371 de la décision attaquée, la Commission a considéré que, sur la base des faits décrits dans la décision attaquée et de l’évaluation qui y figurait, l’infraction avait été commise soit avec l’intention de verrouiller la concurrence, soit au moins par négligence, car la requérante n’avait pas tenu compte du fait que, en supprimant la voie ferrée, elle empêcherait la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers entre la raffinerie et les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils.

344 La requérante conteste cette conclusion en faisant en substance valoir que, lorsqu’elle a mis en œuvre sa décision de choisir l’option 2 en supprimant la voie ferrée, qui constituait selon elle la première étape nécessaire de ce choix, elle aurait agi de bonne foi et avec l’intention de reconstruire la voie ferrée plus tard.

345 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle l’infraction a été commise de propos délibéré ou par négligence est remplie dès lors que l’entreprise en cause ne peut ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement, qu’elle ait eu ou non conscience d’enfreindre les règles de concurrence du traité. Une entreprise est consciente du caractère anticoncurrentiel de son comportement lorsque les éléments de fait matériels justifiant tant la constatation d’une position dominante sur le marché concerné que l’appréciation par la Commission d’un abus de cette position étaient connus par elle (arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, points 319 et 320 ; voir, également, arrêt du 13 juillet 2018, Stührk Delikatessen Import/Commission, T‑58/14, non publié, EU:T:2018:474, point 226 et jurisprudence citée).

346 Il ressort également de la jurisprudence qu’il ne saurait faire de doute, pour un opérateur économique avisé, que la possession de parts de marché importantes, si elle n’est pas nécessairement et dans tous les cas le seul indice déterminant de l’existence d’une position dominante, a cependant une importance considérable qui doit nécessairement être prise en considération par lui en ce qui concerne son comportement éventuel sur le marché (arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, EU:C:1979:36, point 133). Ainsi, LG, opérateur ferroviaire historique et gestionnaire de la seule infrastructure existante en Lituanie pour la fourniture de services de transport de fret ferroviaire, ne pouvait ignorer qu’elle détenait une position dominante sur les marchés pertinents.

347 En outre, il y a lieu de relever que l’intention ou la prétendue bonne foi de la requérante ne sont pas pertinentes en vue de faire échec au constat selon lequel l’infraction en cause a été commise de propos délibéré ou par négligence et qu’elle est, de ce fait, susceptible d’être sanctionnée par une amende, au sens de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens, arrêt du 6 avril 1995, Boël/Commission, T‑142/89, EU:T:1995:63, point 116 et jurisprudence citée). En effet, en tant qu’opérateur économique diligent, LG aurait dû être familiarisée avec les principes régissant le droit de la concurrence et, le cas échéant, recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé, tel que, en l’espèce, la suppression de la voie ferrée. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-il être attendu d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (voir, en ce sens, arrêt du 29 mars 2012, Telefónica et Telefónica de España/Commission, T‑336/07, EU:T:2012:172, point 323 et jurisprudence citée).

348 Partant, le Tribunal estime que la requérante ne pouvait ignorer que la pratique en cause pouvait entraîner des restrictions sérieuses à la concurrence, compte tenu en particulier de sa position de monopole, légal ou de fait, sur les marchés pertinents, de sorte que la Commission était fondée à considérer que l’infraction en cause avait été commise au moins par négligence et justifiait, de ce fait, d’être sanctionnée par une amende.

349 De surcroît, la requérante ne saurait se prévaloir du caractère prétendument nouveau de la théorie sur laquelle la décision attaquée est fondée pour exclure qu’il y ait eu intention de commettre une infraction ou une négligence à cet égard. En effet, force est de constater qu’une telle argumentation vise uniquement à démontrer le fait qu’elle ignorait le caractère illégal du comportement reproché dans la décision attaquée au regard de l’article 102 TFUE. Elle doit, dès lors, être rejetée en vertu de la jurisprudence mentionnée au point 341 ci-dessus. En tout état de cause, pour les raisons exposées au point 339 ci-dessus, en l’espèce, la requérante ne pouvait ignorer le caractère anticoncurrentiel de son comportement.

350 Il en découle que c’est sans commettre d’erreurs de droit ou d’erreur d’appréciation que la Commission a estimé que la requérante avait agi au moins par négligence (considérant 371 de la décision attaquée).

351 Cette conclusion ne saurait par ailleurs être remise en cause par la circonstance que, au cours de la procédure administrative, la Commission ait estimé que l’affaire pouvait faire l’objet d’une décision d’engagements. En effet, ainsi que le relève la Commission, la circonstance que, dans le cadre de la procédure administrative, elle ait pu envisager d’accepter une proposition d’engagements de la part de la requérante comme un moyen pour éviter une amende ne signifie pas qu’elle aurait considéré comme n’étant pas appropriée la fixation d’une telle amende, mais simplement qu’elle n’a pas exclu la possibilité de ne pas constater d’infraction et de ne pas infliger d’amende. Cette circonstance n’empêchait donc pas la Commission de conclure en définitive qu’il était nécessaire de constater l’existence d’une infraction et d’infliger une amende.

352 Compte tenu de tout ce qui précède, il convient d’écarter le second grief et, partant, la première branche du quatrième moyen du recours.

c) Sur le deuxième grief de la seconde branche, en tant qu’il porte sur la durée prétendument excessive de la procédure

353 S’agissant de l’argument portant sur la prétendue durée excessive de la procédure administrative, il convient de relever que la requérante fait valoir, d’une part, qu’elle a affecté ses droits de la défense et, d’autre part, qu’elle devrait conduire à la réduction du montant de l’amende qui lui a été imposée dans la décision attaquée.

354 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’observation d’un délai raisonnable dans la conduite des procédures administratives en matière de politique de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union dont les juridictions de l’Union assurent le respect (voir arrêt du 19 décembre 2012, Heineken Nederland et Heineken/Commission, C‑452/11 P, non publié, EU:C:2012:829, point 97 et jurisprudence citée).

355 Le principe du délai raisonnable dans le cadre d’une procédure administrative a été réaffirmé par l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en vertu duquel « toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l’Union » (voir arrêt du 5 juin 2012, Imperial Chemical Industries/Commission, T‑214/06, EU:T:2012:275, point 284 et jurisprudence citée).

356 Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence que, lorsque la violation du principe du délai raisonnable a eu une incidence possible sur l’issue de la procédure, une telle violation est de nature à entraîner l’annulation de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, EU:C:2006:593, point 48 et jurisprudence citée).

357 Il convient de préciser que, s’agissant de l’application des règles de concurrence, le dépassement du délai raisonnable ne peut constituer un motif d’annulation des décisions constatant des infractions que s’il a été établi que la violation du principe du délai raisonnable avait porté atteinte aux droits de la défense des entreprises concernées. En dehors de cette hypothèse spécifique, le non-respect de l’obligation de statuer dans un délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative au titre du règlement no 1/2003 (arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, point 42).

358 Il s’ensuit que, même à supposer qu’un éventuel caractère excessif de la durée globale de la procédure administrative et la violation du principe du délai raisonnable aient été constatés, une telle constatation ne serait pas suffisante, à elle seule, au regard de la jurisprudence citée aux points 356 et 357 ci-dessus, pour conclure à l’annulation de la décision attaquée.

359 Par ailleurs, il convient de rappeler qu’il a été jugé que la durée excessive de la première phase administrative pouvait avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci étaient invoqués dans la seconde phase, en raison de l’écoulement du temps et de la difficulté qui en résultait de recueillir des éléments à décharge. Il importe, toutefois, dans un tel cas, que les entreprises concernées démontrent de manière suffisamment précise qu’elles ont éprouvé des difficultés pour se défendre contre les allégations de la Commission en précisant quels sont les documents ou les témoignages qu’elles ne pourraient plus solliciter et les raisons pour lesquelles cela serait de nature à compromettre leur défense (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2006, Technische Unie/Commission, C‑113/04 P, EU:C:2006:593, points 54 et 60 à 71, et du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C‑201/09 P et C‑216/09 P, EU:C:2011:190, point 118).

360 En l’espèce, bien que faisant valoir un argument tiré de difficultés à collecter certaines preuves à décharge, en raison du départ de certains de ses salariés, la requérante a omis d’étayer cette allégation par des éléments concrets. En effet, si elle précise certes la date à laquelle les salariés concernés ont quitté l’entreprise, elle omet cependant d’indiquer les raisons précises pour lesquelles il aurait été crucial d’obtenir des renseignements auprès de ces personnes pour l’exercice des droits de la défense et, surtout, les circonstances pour lesquelles il n’était plus possible d’obtenir des renseignements auprès de ces personnes (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Bavaria/Commission, T‑235/07, EU:T:2011:283, point 331).

361 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas démontré l’existence d’une atteinte à ses droits de la défense résultant de la durée excessive de la procédure administrative.

362 À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu d’écarter le deuxième grief de la seconde branche du quatrième moyen, en tant qu’il porte sur la durée prétendument excessive de la procédure administrative.

363 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les conclusions soulevées à titre principal visant à l’annulation de la décision attaquée doivent être intégralement rejetées.

B. Sur les conclusions, soulevées à titre subsidiaire, portant sur le montant de l’amende

364 Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal, à titre subsidiaire, de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée au titre de l’article 2 de la décision attaquée, en raison de la fixation de cette amende à un montant disproportionné. Elle conteste, en substance, premièrement, le pourcentage de la valeur des ventes retenu par la Commission au titre du facteur de gravité, deuxièmement, la durée de l’infraction et, troisièmement, la décision d’inclure, dans le montant de base, un montant supplémentaire au titre de la dissuasion. Par ses conclusions, la requérante conteste le montant de l’amende au motif de la méconnaissance du principe de proportionnalité et demande au Tribunal de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée.

1. Sur les griefs relatifs à la proportionnalité du montant de l’amende 

a) Sur le premier grief, tiré du caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité de [confidentiel] % retenu par la Commission

365 À l’appui du premier grief, la requérante soutient que le coefficient de gravité de [confidentiel] % retenu par la Commission serait disproportionné et qu’aucune raison ne serait avancée quant à la nature ou à la gravité du comportement reproché. En premier lieu, la requérante invoque le caractère nouveau du comportement en cause. En deuxième lieu, le trafic sur la voie ferrée ayant d’ores et déjà été rendu impossible à compter de la suspension du trafic le 2 septembre 2008, la suppression de celle-ci n’aurait eu aucun effet d’éviction ni aucun autre effet négatif sur la poursuite de la consolidation de l’espace ferroviaire unique européen, invoqué par la Commission dans la décision attaquée. En troisième lieu, il n’existerait aucune certitude quant à la probabilité que, en l’absence de la suppression de la voie ferrée, les travaux de réparation nécessaires auraient effectivement été entrepris. En quatrième lieu, le coefficient de gravité retenu serait disproportionné à la lumière de la pratique de la Commission dans des cas comparables d’application de l’article 102 TFUE.

366 À cet égard, il convient de rappeler que, aux considérants 377 à 380 de la décision attaquée, afin de déterminer le degré de gravité de l’infraction en cause, la Commission a pris en considération les quatre éléments suivants :

–   premièrement, la nature de l’infraction, en particulier le fait que le comportement consistant à supprimer une voie ferrée publique située entre deux États membres portait préjudice à la consolidation du marché unique, notamment au marché ferroviaire unique européen ;

–   deuxièmement, la situation sur les marchés pertinents de la requérante, à savoir le fait que la requérante était le seul fournisseur de services en Lituanie, tant sur le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires que sur celui, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers ;

–   troisièmement, la portée géographique de l’infraction, qui s’étendait aux liaisons ferroviaires entre la raffinerie et les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils, dans deux États membres, à savoir la Lituanie et la Lettonie ;

–   quatrièmement, les modalités de mise en œuvre effective de l’infraction, à savoir que le comportement abusif de suppression de la voie ferrée avait commencé le 3 octobre 2008.

367 Au considérant 381 de la décision attaquée, après avoir mis en balance, d’une part, la portée géographique limitée de l’infraction et, d’autre part, les très importantes parts de marché détenues par la requérante ainsi que l’incidence négative de l’infraction en cause sur la consolidation du marché unique, la Commission a considéré que la proportion de la valeur des ventes qui devait être prise en considération, au titre du facteur de gravité, était de [confidentiel] %, ce qui l’a conduite à retenir un montant de [confidentiel] euros.

368 En l’espèce, en premier lieu, en ce que la requérante renvoie aux arguments avancés au soutien de la première branche du quatrième moyen concernant le caractère prétendument nouveau et sans précédent de l’affaire, et ce afin de contester le caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité de [confidentiel] % retenu par la Commission, il suffit de relever que le caractère abusif d’un comportement tel que celui de la requérante, visant à tenir les concurrents éloignés du marché, a, ainsi que cela a déjà été relevé au point 339 ci-dessus, été condamné à plusieurs reprises par les juridictions de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission, C‑457/10 P, EU:C:2012:770, point 164). Partant, un tel comportement ne peut être qualifié de nouveau et la requérante ne saurait valablement prétendre qu’il s’agit d’une nouvelle catégorie d’abus dont elle ignorait le caractère illégal. L’argumentation de la requérante à cet égard ne saurait donc conduire à considérer que le coefficient de gravité de [confidentiel] % serait disproportionné.

369 En deuxième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la suppression de la voie ferrée n’a eu aucun effet d’éviction ni aucun autre effet négatif sur la poursuite de la consolidation de l’espace ferroviaire unique européen, il convient de relever que, ainsi qu’il a été jugé, au point 233 ci-dessus, la Commission a estimé à juste titre, dans la décision attaquée, que la suppression de la voie ferrée en tant que telle, indépendamment de la suspension préalable du trafic sur celle-ci, était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels sur le marché. Il résulte en particulier de l’examen du deuxième moyen que, ainsi que la Commission l’a constaté dans la décision attaquée, la suppression de la voie ferrée a induit un verrouillage du marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers de la raffinerie vers les terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils. Dans ces conditions, la requérante ne saurait valablement invoquer l’absence d’effets d’exclusion ou négatif aux fins de démontrer que le coefficient de gravité de [confidentiel] % serait disproportionné.

370 En outre, c’est à tort que la requérante fait valoir que la suppression de la voie ferrée n’a eu aucun effet d’éviction ni aucun autre effet négatif sur la poursuite de la consolidation de l’espace ferroviaire unique européen. Ainsi que la Commission l’a relevé, au considérant 361 de la décision attaquée, supprimer, sans justification objective, un tronçon de voie ferrée de 19 km reliant deux États membres (en l’occurrence la République de Lituanie et la République de Lettonie), ce qui est susceptible d’empêcher un important client de recourir aux services d’un autre opérateur ferroviaire, affecte le commerce entre États membres et constitue un comportement qui paraît être contraire aux objectifs qui sous-tendent la consolidation du marché unique des services ferroviaires et, en particulier, du marché du fret ferroviaire de l’Union. En effet, la consolidation d’un tel marché serait entravée si un opérateur ferroviaire, jouissant d’une position dominante sur le marché, pouvait se prémunir de la concurrence en supprimant, sans aucune justification objective, des infrastructures ferroviaires publiques reliant deux États membres.

371 C’est donc sans commettre d’erreur que, au considérant 381 de la décision attaquée, compte tenu de la nature de l’infraction et, notamment, du fait que la suppression d’une voie ferrée publique située entre deux États membres portait préjudice à la consolidation du marché ferroviaire unique européen et compte tenu de la portée géographique limitée de l’infraction, la Commission a pu considérer que la proportion de la valeur des ventes qui devait être prise en considération au titre du facteur de gravité en l’espèce pouvait être de [confidentiel] %.

372 En troisième lieu, s’agissant de l’argument selon lequel le coefficient de gravité de [confidentiel] % serait également disproportionné à la lumière de la pratique de la Commission dans des cas comparables d’application de l’article 102 TFUE et violerait de ce fait le principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne saurait servir de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et que des décisions concernant d’autres affaires ne revêtent qu’un caractère indicatif en ce qui concerne l’existence éventuelle d’une violation du principe d’égalité de traitement, étant donné qu’il est peu vraisemblable que les circonstances propres à celles-ci, telles que les marchés, les produits, les entreprises et les périodes concernés, soient identiques (voir, en ce sens, arrêts du 21 septembre 2006, JCB Service/Commission, C‑167/04 P, EU:C:2006:594, points 201 et 205 ; du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, EU:C:2007:326, point 60, et du 16 juin 2011, Caffaro/Commission, T‑192/06, EU:T:2011:278, point 46).

373 Néanmoins, le respect du principe d’égalité de traitement, qui s’oppose à ce que des situations comparables soient traitées de manière différente et à ce que des situations différentes soient traitées de manière semblable, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié, s’impose à la Commission lorsqu’elle inflige une amende à une entreprise pour infraction aux règles de concurrence comme à toute institution dans toutes ses activités. Il n’en demeure pas moins que les décisions antérieures de la Commission en matière d’amende ne peuvent être pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement que s’il est démontré que les données circonstancielles des affaires relatives à ces autres décisions, telles que les marchés, les produits, les pays, les entreprises et les périodes concernés, sont comparables à celles de l’espèce (voir arrêt du 29 juin 2012, E.ON Ruhrgas et E.ON/Commission, T‑360/09, EU:T:2012:332, points 261 et 262 et jurisprudence citée).

374 Or, en l’espèce, la requérante ne démontre pas que les données circonstancielles des affaires relatives aux décisions antérieures qu’elle invoque sont comparables à celles de l’espèce. En effet, la requérante invoque la décision de la Commission du 20 septembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.39759 – ARA Verrouillage du marché). À cet égard, force est cependant de constater que cette décision concernait un comportement abusif qui n’est pas comparable, contrairement à ce que fait valoir la requérante, à celui faisant l’objet de la présente affaire. En effet, cette précédente affaire concernait un refus d’accès à une infrastructure essentielle, alors que, en l’espèce, il a été établi, dans le cadre de l’examen du premier moyen du recours, que la suppression de la voie ferrée, dans le but de garder les concurrents éloignés du marché en leur donnant accès au marché à des conditions moins avantageuses, ne pouvait s’analyser comme tel. De même, s’agissant de la décision de la Commission du 13 mai 2009, relative à une procédure d’application de l’article [102 TFUE] et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire COMP/C‑3/37.990 – Intel), en soulignant que le comportement contesté par cette décision concernait des rabais conditionnels, la requérante elle-même démontre que les données circonstancielles de cette affaire ne sont pas comparables à celles de l’espèce. Par conséquent, ces décisions ne sont pas pertinentes au regard du respect du principe d’égalité de traitement.

375 À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de constater que la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité en fixant à [confidentiel] % la proportion de la valeur des ventes retenue au titre du facteur de gravité aux fins de la détermination du montant de base de l’amende infligée à la requérante.

b) Sur le deuxième grief, en tant qu’il porte sur la durée excessive de l’infraction du fait d’un choix erroné quant à la date du début de celle-ci

376 S’agissant des arguments visant à contester la durée de l’infraction du fait de la date de début choisie par la Commission, il convient de rappeler que, dans la décision attaquée, après avoir constaté que l’infraction avait commencé le 3 octobre 2008 et était toujours en cours à la date d’adoption de la décision attaquée, la Commission a fixé à neuf le coefficient multiplicateur à appliquer à la proportion de la valeur des ventes retenue.

377 Ainsi, il suffit de relever que l’argument de la requérante selon lequel elle aurait pris la décision de ne pas reconstruire la voie ferrée uniquement après la décision arbitrale du 17 décembre 2010 a été déjà écarté dans le cadre de l’analyse du deuxième moyen du recours. Dès lors, la requérante ne saurait se prévaloir de cette décision arbitrale pour faire valoir qu’elle n’était plus obligée de reconstruire la voie ferrée.

378 Il en résulte que c’est à juste titre que, dans la décision attaquée, la Commission a constaté que l’infraction avait débuté le 3 octobre 2008, lorsque la requérante avait commencé à supprimer la voie ferrée, et que c’était la suppression de la voie ferrée, indépendamment de la suspension du trafic, qui était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels. C’est donc sans commettre d’erreur que la Commission a fixé à neuf le coefficient multiplicateur à appliquer à la proportion de la valeur des ventes retenue afin de tenir compte de la durée de l’infraction.

379 S’agissant de la demande faite par la requérante de réduire de manière substantielle l’amende qui lui a été infligée, en raison de la durée excessive de la procédure administrative, il suffit de rappeler, pour la rejeter, que la Cour a déjà jugé que, si la violation du principe du respect du délai raisonnable par la Commission était susceptible de justifier l’annulation d’une décision prise par celle-ci à l’issue d’une procédure administrative fondée sur les articles 101 et 102 TFUE dès lors qu’elle emportait également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée, une telle violation du principe du respect du délai raisonnable, à la supposer établie, n’était pas susceptible de conduire à une réduction du montant de l’amende infligée (voir arrêt du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission, C‑644/13 P, EU:C:2017:59, point 79 et jurisprudence citée).

380 Il a en outre été également jugé qu’une demande en indemnité introduite contre l’Union sur le fondement de l’article 268 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE constituait, en ce qu’elle pouvait couvrir toutes les situations de dépassement du délai raisonnable d’une procédure, un remède effectif et d’application générale pour faire valoir et sanctionner une telle violation (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2013, Groupe Gascogne/Commission, C‑58/12 P, EU:C:2013:770, point 82).

c) Sur le troisième grief, tiré du prétendu caractère disproportionné du montant additionnel de [confidentiel] % retenu par la Commission

381 Par son troisième grief, la requérante affirme que l’application d’un montant supplémentaire de dissuasion de [confidentiel] % serait également disproportionnée. Tout d’abord, l’affaire étant nouvelle selon la requérante, elle n’aurait pas été en mesure de prévoir l’application d’un critère juridique nouveau et beaucoup moins strict. Ensuite, la Commission n’aurait infligé de montant supplémentaire à propos d’une infraction autonome au titre de l’article 102 TFUE dans aucune autre affaire et n’aurait fourni aucun élément permettant d’expliquer pourquoi elle se serait écartée de sa pratique antérieure. En outre, le montant de l’amende serait déjà dissuasif, au regard de la taille de l’entreprise, de son mode de financement et de son bénéfice. Enfin, tout facteur de dissuasion devrait être réduit pour les motifs exposés à propos du facteur de gravité.

382 À titre liminaire, il convient de rappeler que, au considérant 383 de la décision attaquée, la Commission a souligné que, conformément au paragraphe 25 des lignes directrices de 2006, indépendamment de la durée de participation à l’infraction de l’entreprise en cause, elle pouvait inclure dans le montant de base de l’amende un montant supplémentaire ne dépassant pas 25 % de la valeur des ventes au titre de la dissuasion. Elle a également rappelé, au même considérant, que, pour déterminer la valeur des ventes à prendre en compte dans une affaire en cause, elle tenait compte d’un certain nombre de facteurs et, en particulier, de ceux visés au paragraphe 22 des lignes directrices de 2006. Au considérant 384 de la décision attaquée, la Commission a donc imposé, au regard de la nature de l’infraction (voir considérant 377 de la décision attaquée), un montant additionnel de [confidentiel] % de la valeur des ventes, soit [confidentiel] euros.

383 S’agissant du premier argument, force est de constater qu’il ne se distingue pas de celui avancé à l’appui du premier grief de la seconde branche du quatrième moyen afin de contester la gravité de l’infraction. Dans la mesure où cet argument a été écarté dans le cadre de l’examen du premier grief de la seconde branche du quatrième moyen, celui-ci doit être également écarté en ce qu’il vise à contester le caractère disproportionné du montant additionnel de [confidentiel] %.

384 S’agissant du deuxième argument, tiré de ce que la Commission n’aurait infligé de montant supplémentaire à propos d’une infraction autonome, au titre de l’article 102 TFUE, dans aucune autre affaire et n’aurait fourni aucun élément permettant d’expliquer pourquoi elle se serait écartée de sa pratique antérieure, il convient de rappeler que, à la date d’adoption de la décision attaquée, la Commission avait déjà appliqué un montant supplémentaire à propos d’une infraction autonome, au titre de l’article 102 TFUE, dans au moins une décision adoptée à une date antérieure, à savoir la décision C(2017) 4444 final, du 27 juin 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article 54 de l’accord EEE [Affaire AT.39740 – Moteur de recherche Google (Shopping)]. En outre, il convient de rappeler, d’une part, que, selon une jurisprudence constante et sous réserve du respect du principe d’égalité de traitement, la pratique décisionnelle antérieure de la Commission ne sert pas de cadre juridique aux amendes en matière de concurrence et, d’autre part, que la Commission dispose, dans le cadre du règlement no 1/2003, d’une marge d’appréciation dans la fixation du montant des amendes afin d’orienter le comportement des entreprises dans le sens du respect des règles de concurrence et de pouvoir à tout moment adapter le niveau des amendes aux besoins de cette politique (arrêt du 16 juin 2011, Bavaria/Commission, T‑235/07, EU:T:2011:283, point 288 ; voir, également, arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 345 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que cette pratique de la Commission n’était pas nouvelle et que, en toute hypothèse, la Commission n’aurait pas été tenue d’avancer, dans la décision attaquée, des raisons visant à expliquer pourquoi elle se serait, le cas échéant, écartée de sa pratique antérieure.

385 En outre, le paragraphe 25 des lignes directrices de 2006 dispose qu’un montant additionnel peut être imposé dans le cas d’infractions qui ne sont pas relatives à des ententes. En effet, ce paragraphe indique ce qui suit :

« [I]ndépendamment de la durée de la participation d’une entreprise à l’infraction, la Commission inclura dans le montant de base une somme comprise entre 15 % et 25 % de la valeur des ventes telle que définie à la section A ci-dessus, afin de dissuader les entreprises de même participer à des accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production. La Commission peut également appliquer un tel montant supplémentaire dans le cas d’autres infractions. En vue de décider la proportion de la valeur des ventes à prendre en compte dans un cas donné, la Commission tiendra compte d’un certain nombre de facteurs, en particulier ceux identifiés au point 22. »

386 En l’espèce, la Commission a, conformément au paragraphe 22 des lignes directrices de 2006, justifié l’application du montant additionnel au regard de la nature de l’infraction et, notamment, du fait que cette dernière, consistant en la suppression d’une voie ferrée publique située entre deux États membres, portait préjudice à la consolidation du marché unique, et en particulier du marché ferroviaire unique européen (considérants 377 et 384 de la décision attaquée).

387 S’agissant du troisième argument soulevé par la requérante, selon lequel l’amende serait d’une ampleur sans précédent pour une petite compagnie ferroviaire qui ne dégage qu’un bénéfice minimal, voire nul, il convient de rappeler que la requérante est la société nationale des chemins de fer de Lituanie, qu’elle jouit d’un monopole légal en Lituanie sur la gestion des infrastructures ferroviaires et d’un monopole de fait sur le marché du fret ferroviaire en Lituanie et que, en 2016, son chiffre d’affaires total s’élevait, ainsi que cela ressort du considérant 5 de la décision attaquée, à 409,5 millions d’euros. Au regard de ces éléments, elle ne saurait être qualifiée de petite compagnie ferroviaire. En toute hypothèse, la Commission n’est pas tenue de diminuer le montant des amendes lorsque les entreprises concernées sont des petites et moyennes entreprises. La taille de l’entreprise est, en effet, déjà prise en considération par le plafond fixé par l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 et par les dispositions des lignes directrices de 2006. À part ces considérations relatives à la taille, il n’y a aucune raison de traiter les petites et moyennes entreprises différemment des autres entreprises. Le fait que les entreprises concernées soient des petites et moyennes entreprises ne les exonère pas de leur devoir de respecter les règles de la concurrence (arrêt du 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission, T‑446/05, EU:T:2010:165, point 200).

388 Enfin, dans la mesure où, par son quatrième argument, la requérante vise à demander une réduction du montant additionnel inclus dans le montant de base en raison de la durée prétendument excessive de la procédure administrative, force est de constater que cet argument doit être écarté pour les mêmes raisons que celles développées aux points 379 et 380 ci-dessus.

2. Sur la détermination du montant final de l’amende infligée à la requérante dans le cadre de la compétence de pleine juridiction

389 À titre liminaire, il convient de rappeler que ce n’est qu’après que le juge de l’Union a achevé de contrôler la légalité de la décision qui lui a été soumise, au vu des moyens qui lui ont été présentés comme de ceux qu’il a, le cas échéant, soulevés d’office, qu’il lui revient, en l’absence d’annulation totale de cette décision, d’exercer sa compétence de pleine juridiction afin, d’une part, de tirer les conséquences de son jugement relatif à la légalité de cette même décision et, d’autre part, en fonction des éléments qui ont été portés à son examen, de déterminer s’il y a lieu, à la date à laquelle il adopte sa décision, de substituer sa propre appréciation à celle de la Commission, de sorte que le montant de l’amende soit approprié (voir arrêts du 17 décembre 2015, Orange Polska/Commission, T‑486/11, EU:T:2015:1002, point 67 et jurisprudence citée, et du 12 juillet 2019, Hitachi-LG Data Storage et Hitachi-LG Data Storage Korea/Commission, T‑1/16, EU:T:2019:514, point 56 et jurisprudence citée).

390 Il convient également de rappeler que, lorsqu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer, pour la détermination du montant de cette sanction, sa propre appréciation à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé, à l’exclusion, néanmoins, de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 75 à 77).

391 En conséquence, le juge de l’Union peut réformer l’acte attaqué, d’ailleurs même en l’absence d’annulation, afin de supprimer, de réduire ou de majorer l’amende infligée, l’exercice de cette compétence emportant le transfert définitif à ce dernier du pouvoir d’infliger des sanctions (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, points 692 et 693 ; du 3 septembre 2009, Prym et Prym Consumer/Commission, C‑534/07 P, EU:C:2009:505, point 86, et ordonnance du 7 juillet 2016, Westfälische Drahtindustrie et Pampus Industriebeteiligungen/Commission, C‑523/15 P, EU:C:2016:541, points 32 à 34).

392 L’appréciation, par le Tribunal, du caractère approprié du montant des amendes au regard des critères fixés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 peut justifier la production et la prise en considération d’éléments complémentaires d’information qui ne sont pas mentionnés dans la décision de la Commission infligeant l’amende (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C‑286/98 P, EU:C:2000:630, point 57, et du 12 juillet 2011, Fuji Electric/Commission, T‑132/07, EU:T:2011:344, point 209).

393 Dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il appartient donc au Tribunal de déterminer le montant de l’amende, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 26 septembre 2013, Alliance One International/Commission, C‑679/11 P, non publié, EU:C:2013:606, point 104, et du 16 juin 2011, Putters International/Commission, T‑211/08, EU:T:2011:289, point 75).

394 Cet exercice suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération la gravité de l’infraction commise par la requérante ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect, notamment, des principes de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement, le Tribunal n’étant en revanche pas lié par les règles indicatives définies par la Commission dans les lignes directrices de 2006 (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90 et jurisprudence citée).

395 Il en résulte que, dans la limite du plafond de 10 % du chiffre d’affaires total de l’entreprise concernée au cours de l’exercice social précédent, le pouvoir d’appréciation du Tribunal est uniquement limité par les critères relatifs à la gravité et à la durée de l’infraction, énoncés à l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, lequel confère une large marge d’appréciation à l’autorité compétente, sous réserve du respect des principes rappelés au point 394 ci-dessus.

396 Cela étant, dans le cadre de son obligation de motivation, il incombe au Tribunal d’exposer de manière détaillée les facteurs dont il tient compte en fixant le montant de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C‑519/15 P, EU:C:2016:682, point 52).

397 En l’espèce, d’une part, en ce qui concerne l’application du critère légal de la gravité de l’infraction, il est de jurisprudence constante que la fixation d’une amende par le Tribunal n’est pas un exercice arithmétique précis (arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 266, et du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission, T‑389/10 et T‑419/10, EU:T:2015:513, point 436).

398 Néanmoins, il incombe au Tribunal de déterminer un montant de l’amende qui soit proportionné, au regard des critères qu’il estime adéquats, à la gravité de l’infraction commise par la requérante et qui soit également suffisamment dissuasif.

399 Le Tribunal estime approprié de prendre en considération, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, la nature de l’infraction, la situation de LG sur les marchés pertinents ainsi que l’étendue géographique de cette infraction.

400 Tout d’abord, s’agissant de la nature de l’infraction, il y a lieu de relever qu’il ressort des éléments du dossier que le démantèlement complet du tronçon de l’itinéraire court de 19 km sur lequel le trafic avait initialement été suspendu et qui permettait d’emprunter l’itinéraire le plus court et le moins onéreux pour relier la raffinerie de l’intervenante à un terminal maritime letton est susceptible d’avoir eu un effet anticoncurrentiel d’éviction de la concurrence sur le marché de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers, entre la raffinerie et les terminaux maritimes voisins, en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective.

401 Ensuite, s’agissant de la situation de LG sur les marchés pertinents, il convient de relever que cette dernière était en situation de monopole sur le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires en Lituanie et la seule entreprise active sur le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers, ce qui, partant, lui conférait une position monopolistique sur ce marché. En raison de cette position, il incombait à LG une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché.

402 Enfin, s’agissant de l’étendue géographique de l’infraction, il y a lieu de constater que cette dernière, bien qu’ayant eu un impact sur une partie du territoire de deux États membres, demeure cependant relativement limitée. En effet, la suppression de la voie ferrée n’a concerné qu’un tronçon d’une voie permettant d’assurer l’une des différentes liaisons ferroviaires possibles entre la Lettonie et la Lituanie.

403 D’autre part, s’agissant de la durée de l’infraction, il y a lieu de relever que celle-ci a débuté le 3 octobre 2008 et s’est poursuivie jusqu’à la date d’adoption de la décision attaquée.

404 Dès lors, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation de la gravité de l’infraction et de la durée de celle-ci en fixant le montant de l’amende à 20 068 650 euros.

405 Par ailleurs, le Tribunal constate que le montant de l’amende est approprié, compte tenu de la nécessité d’imposer à la requérante une amende d’un montant dissuasif.

406 Par conséquent, il y a lieu de fixer le montant de l’amende auquel est tenue la requérante à 20 068 650 euros.

 Sur les dépens

407 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

408 En l’espèce, il y a lieu de condamner la requérante et la Commission à supporter leurs propres dépens.

409 En outre, aux termes de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut ordonner qu’une partie intervenante autre que celles mentionnées aux paragraphes 1 et 2 de cet article supporte ses propres dépens. En l’espèce, il y a lieu de décider qu’Orlen supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre élargie)

déclare et arrête :

1) Le montant de l’amende infligée à Lietuvos geležinkeliai AB par l’article 2 de la décision C(2017) 6544 final de la Commission européenne, du 2 octobre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire AT.39813 – Baltic Rail) est fixé à 20 068 650 euros.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Lietuvos geležinkeliai et la Commission supporteront leurs propres dépens.

4) Orlen Lietuva AB supportera ses propres dépens.