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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 novembre 2020, n° 19/04765

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Métropole Télévision (SA), EDI TV (SAS), M6 Génération (SAS)

Défendeur :

Molotov (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseiller :

Mme Depelley

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Bonnet, Me Lallement, Me Freget

T. com. Paris, du 11 févr. 2019

11 février 2019

FAITS ET PROCÉDURE

La société Métropole télévision, société mère du Groupe M6, et de ses filiales Edi TV et M6 Génération, éditent les chaînes de télévision M6, W9 et 6TER (ci-après « les chaînes »), qu'elles diffusent en clair et gratuitement via la Télévision Numérique Terrestre (TNT) et l'internet ouvert (OTT). Elles autorisent les distributeurs à reprendre les chaînes dans leurs offres de bouquets de télévision payants accessibles via différents réseaux de distribution.

La société Molotov distribue sur une plateforme internet (OTT) des services de télévision dont une partie est accessible gratuitement au public et sert de produit d'appel à d'autres services de télévision accessibles aux utilisateurs de la plateforme en contrepartie du paiement d'un abonnement.

Le 5 juin 2015, la société Molotov a signé avec la société Métropole télévision un contrat de distribution OTT portant sur la diffusion en clair des chaînes M6, W9 et 6TER et des chaînes thématiques M6 Boutique, Paris Première, TEVA, M6 Music et Girondins TV ainsi que des services de télévision de rattrapage de Paris Première et TEVA.

A l'échéance de ce contrat le 31 décembre 2017, la société Métropole télévision a informé la société Molotov de ce que tout nouvel accord devrait respecter les conditions générales de distribution (CGD) du Groupe M6, prévoyant notamment que les services devaient être regroupés au sein d'une offre de télévision payante ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair.

La société Molotov a accepté de rentrer en négociation sur cette base et les parties sont convenues de proroger l'accord en vigueur jusqu'au 31 mars 2018, date à laquelle devait intervenir le nouveau contrat.

Le 5 mars 2018, la société Métropole télévision a demandé à la société Molotov son accord sur la rémunération et le principe d'une distribution des chaînes M6, W9 et 6TER et de leurs services de fonctionnalités associés exclusivement au sein de bouquets payants ainsi que son engagement de faire payer ces chaînes à ses utilisateurs.

La société Molotov a refusé ces deux exigences par un courrier en date du 14 mars 2018 et a proposé une médiation conventionnelle. La société Métropole télévision a maintenu ses exigences par un courrier du 20 mars 2018 tout en acceptant de poursuivre ses discussions avec la société Molotov quant aux conditions de renouvellement de l'accord de distribution des chaînes payantes Paris Première, TEVA, M6 Music et Girondins TV.

La société Molotov a réitéré sa proposition de médiation conventionnelle que la société Métropole télévision a finalement rejetée.

Le 30 mars 2018 un accord a été trouvé entre les parties sur les conditions de distribution par Molotov pour 2 ans de chaînes thématiques Paris Première, TEVA, M6 Music et Girondins TV et les services de télévision de rattrapage associés mais les parties n'ont pu s'entendre sur les conditions de distribution des chaînes gratuites de la TNT, la société Molotov les considérant contraires au droit et aux accords passés avec les autres distributeurs.

La société Molotov reproche à la société Métropole télévision de subordonner la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à la modification de son modèle économique actuel pour lui imposer un bouquet basique payant incluant les chaînes gratuites de la TNT (M6, W9 et 6TER).

Molotov considère que la clause 3.1 des conditions générales de distribution, clause dite de « paywall » dispositif par lequel l'éditeur bloque l'accès à une partie du contenu proposé par un site ou l'application pour des utilisateurs non abonnés, est illicite et discriminatoire et demande la réparation du préjudice qu'elle estime avoir déjà subi.

Par acte extrajudiciaire du 4 avril 2018, la société Molotov a assigné la société Métropole télévision devant le Tribunal de commerce de Paris, selon la procédure à bref délai.

C'est dans ces conditions que le Tribunal de commerce de Paris, par jugement du 11 février 2019, a :

- dit que les demandes de la société Molotov sont recevables ;

- pris acte de l'intervention volontaire à titre principal des sociétés Edi TV et M6 Génération ;

- débouté les sociétés Métropole télévision, Edi TV et M6 Génération de leur exception de connexité ;

- pris acte du refus de la société Métropole télévision de tenter de résoudre le litige par une médiation conventionnelle dans les conditions des articles 131-1 et suivants du Code de procédure civile ;

- dit que la clause faisant l'objet de l'article 3.1 des Conditions générales de distribution du Groupe M6 est inopposable à la société Molotov ;

- condamné solidairement les sociétés Métropole télévision, Edi TV, et M6 Génération à payer à la société Molotov les sommes de :

. 100 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

. 50 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

. ordonné l'exécution provisoire ;

- débouté les parties de leurs autres demandes ;

- condamné solidairement les sociétés Métropole télévision, Edi TV et M6 Génération aux dépens.

Par déclaration au greffe du 28 février 2019, la société Métropole télévision a interjeté appel de ce jugement.

Par dernières conclusions signifiées et déposées par la voie électronique le 14 septembre 2020, la société Métropole télévision, appelant, demande à la Cour d'appel de Paris de :

- vu les articles L. 441-6, L. 442-6, I, 2° et 4° du Code de commerce ;

- vu l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 ;

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 11 février 2019, sauf en ce qu'il a rejeté l'incident de connexité avec la procédure pendante devant le tribunal judiciaire ;

- et, statuant à nouveau

- à titre principal

- dire que l'action et les prétentions de la société Molotov sont mal fondées ;

- par conséquent :

- débouter la société Molotov de son action et de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire

- débouter la société Molotov de sa demande tendant ce que la Cour prononce la nullité de la clause 3.1 des Conditions générales de distribution du Groupe M6, son inopposabilité ou encore à ce qu'elle soit réputée non écrite ;

- débouter la société Molotov de sa demande de condamnation solidaire des sociétés Métropole télévision, Edi TV et M6 Génération au paiement de la somme de 1 000 000 euros en réparation de son prétendu préjudice ;

- en tout état de cause

- condamner la société Molotov à payer aux sociétés Métropole télévision, Edi TV et M6 Génération solidairement la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées et déposées le 8 septembre 2020, la société Molotov, demande à la Cour de :

- vu les articles L. 442-6- I 2° et L. 442-6-I 4°, L. 442-5 du Code de commerce, dans leur rédaction en vigueur au moment des faits ;

- vu l'article 6 du code civil ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré illicite et discriminatoire l'article 3.1 des Conditions Générales de Distribution des services de la société Métropole Télévision ainsi que les conditions de sa négociation, au regard des dispositions des articles L. 442-6 I 2° et L. 442-6-I 4° dans leur rédaction en vigueur au moment des faits ;

- dire que l'article 3.1 des conditions générales de distribution des services de la société Métropole Télévision est encore illicite en ce qu'il contrevient aux dispositions de l'article L. 442-5 du Code de commerce dans sa rédaction en vigueur au moment des faits ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que Groupe M6 devait réparer le préjudice causé à Molotov par son comportement illicite.

- en conséquence, réformant le jugement entrepris de ces chefs :

- prononcer la nullité de la clause 3.1, clause du « paywall » des conditions générales de distribution des services de la société Métropole Télévision et subsidiairement, confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclarée inopposable à Molotov, et en tout cas dire et juger qu'elle est réputée non écrite à l'égard de Molotov ;

- condamner solidairement Métropole télévisions, EDI TV et M6 Génération au paiement de la somme de 1 000 000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi par Molotov du fait du comportement fautif de Groupe M6 relatif à la tentative d'imposition de la clause illicite de paywall, sur la période courant du mois d'octobre 2017 au 11 février 2019, date du jugement exécutoire rendu par le Tribunal de Commerce de Paris ;

- donner acte en tant que de besoin à Molotov de ce qu'elle se réserve expressément la possibilité de solliciter la réparation des préjudices qui lui sont causés par d'autres comportements fautifs de Groupe M6, devant toute juridiction compétente pour en connaître ;

- débouter les sociétés Métropole télévisions, EDI TV et M6 Génération de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

- en toute hypothèse :

- condamner solidairement les sociétés Métropole télévisions, EDI TV et M6 Génération à verser à la société Molotov la somme complémentaire de 70 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les sociétés Métropole télévisions, EDI TV et M6 Génération aux entiers dépens de première instance et d'appel.

SUR CE

LA COUR

- Sur la violation alléguée de la pratique du prix imposé ou de la marge commerciale imposée

La société Molotov, demande à la cour de tirer les conséquences de la violation par le Groupe M6 de l'article L. 442-5 du code de commerce dans sa rédaction applicable à l'époque des faits, alors que le tribunal de commerce de Paris n'a pas statué sur ce point.

Concernant le prix de revente minimal imposé, elle affirme que le Groupe M6 a refusé de renouveler l'autorisation qu'il lui avait donnée de distribuer ses chaînes TNT gratuites au motif qu'il estimait trop bas le prix qu'elle pratiquait. Elle ajoute que le Groupe M5 lui a indiqué que « les montants des abonnements facturés par Molotov pour l'accès aux Bouquets Payants ne pourront pas être assimilables à des offres gratuites et doivent permettre de préserver la valeur et l'attractivité des chaînes vis-à-vis de l'ensemble des distributeurs ».

Concernant la marge commerciale minimale imposée, la société Molotov affirme que la clause de « paywall » lui impose de commercialiser les chaînes gratuites de la TNT dans un bouquet payant composé uniquement desdites chaînes gratuites de la TNT ou dans un bouquet payant composé également d'autres chaînes, ce qui la discrimine par rapport aux offres des éditeurs à travers leurs applications, et lui impose d'augmenter les prix facturés aux consommateurs.

Toutefois, si l'article L. 442-5 du code de commerce devenu l'article L. 442-6 par l'effet de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, dispose qu'est puni d'une amende le fait par toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale, ce texte, qui procède d'une présomption irréfragable d'entente verticale et vise à garantir la libre concurrence par les prix entre les distributeurs d'un même producteur, ne peut être applicable en l'espèce dès lors que la clause litigieuse a pour effet d'empêcher que le distributeur ne distribue gratuitement par internet les chaînes gratuites de la TNT, ce qui ne peut être assimilé à l'imposition d'un prix minimal ou d'une marge commerciale minimale.

Le moyen de la société Molotov pris de la violation de l'article L. 442-5 du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et applicable au litige sera donc rejeté.

- Sur le caractère discriminatoire allégué résultant de la clause litigieuse

La société Molotov, affirme que la clause de « paywall » litigieuse permet au Groupe M6 de traiter différemment deux modes de transmission ne différant que par la technologie (fil de cuivre ou optique/ondes hertziennes) et de faire payer les utilisateurs du premier.

Selon la société Molotov, les chaînes de télévision gratuites disposent d'une autorisation et d'une convention unique dont le champ d'application n'est pas limité à l'hertzien terrestre, mais couvre tous les réseaux de distribution ; le mode de financement est, selon le moyen, un élément essentiel de leur autorisation et ne peut être modifié unilatéralement par l'éditeur qui doit respecter, conformément aux principes établis par la loi du 30 septembre 1986, l'égalité de traitement entre les distributeurs et le principe de neutralité technologique. Par conséquent les télévisions gratuites, selon la société Molotov, ne peuvent donc être gratuites pour l'usager en hertzien terrestre, tout en étant subordonnées à la souscription obligatoire d'un abonnement spécifique payant pour l'utilisateur de Molotov.

Selon la société Métropole télévision, le groupe M6 propose les mêmes CGD à tous ses distributeurs, de sorte que la clause 3.1 litigieuse des CGD n'est pas discriminatoire, puisque tous les distributeurs du Groupe M6 l'appliquent.

La société Métropole télévision fait valoir que les chaînes litigieuses sont diffusées en clair par le Groupe M6 sur le réseau TNT mais qu'elles sont en accès payant depuis 30 ans sur les autres réseaux exploités par les distributeurs qui les incluent dans leurs bouquets de télévision payants.

De ce fait, selon la société Métropole télévision, la thèse de la société Molotov, qui se fonde sur l'article 96-1 de la loi de 1986 faisant obligation aux éditeurs de chaînes de la TNT en clair de permettre à 100 % de la population du territoire métropolitain d'accéder gratuitement à leurs chaînes doit être rejetée, puisque cette obligation est effectivement respectée, dès lors que 100 % de la population du territoire métropolitain peut accéder gratuitement aux chaînes de la TNT en clair du Groupe M6.

Sur ce point, la Cour retient les éléments suivants.

L'article 3.1 litigieux des CGD se lit ainsi :

3.1. Offre de TV : offre de télévision (i) composée a minima d'un Bouquet Basique tel que visé à l'article 4.1.1. [bouquet accessible par 100 % des abonnés éligibles à la télévision sur le canal n° 6 pour le bouquet basique M6 ; idem pour le bouquet basique W9 accessible sur le canal n° 9 et pour le bouquet basique 6TER accessible sur le canal 22] incluant des chaînes thématiques, des services non linéaires associés à ces chaînes et des chaînes de la TNT (ce Bouquet ne pouvant être constitué essentiellement de chaînes de la TNT en clair et/ou de leurs services de télévision de rattrapage), (ii) commercialisée par le Distributeur directement auprès du public, dans le cadre d'un abonnement payant et (iii) exploités sous sa seule marque auprès de ses Abonnés. Cette offre est accessible en mode numérique via les Réseaux par l'intermédiaire des Terminaux d'accès.

Or, la loi du 30 septembre 1986 donne compétence au Conseil supérieur de l'audiovisuel pour statuer, sous le contrôle du juge administratif, sur le différend élevé notamment par un distributeur de services et relatif à la distribution d'un service de télévision ou de médias audiovisuels à la demande, y compris afférent aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, aux missions de service public assignées aux sociétés nationales de programme ou à leurs filiales répondant à des obligations de service public, à La Chaîne parlementaire et à la chaîne Arte, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère transparent, objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes et de services ou de leur numérotation ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services.

Toutefois, il ne résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 2006, à la charge de l'éditeur privé du service gratuit M6, aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou, comme en l'espèce, par internet (cf. CE, 07 décembre 2011, 321349 Société Métropole télévision).

Par conséquent, dès lors qu'il n'est nullement démontré par la société Molotov qu'elle a été traitée par la société Métropole télévision de manière discriminatoire dans la mise en œuvre de la clause litigieuse, le moyen pris de la violation du principe de non discrimination doit être rejeté.

- Sur l'allégation de déséquilibre significatif

La société Molotov, soutient que le Groupe M6 a procédé à une tentative de soumission, dès lors qu'elle n'a pas pu négocier effectivement la clause de « paywall », laquelle, si elle s'y était soumise, aurait entraîné un changement de son modèle économique, alors que celui-ci requiert par nécessité la possibilité de la distribution des chaînes gratuites du Groupe M6, le rapport de force entre les parties étant ainsi déséquilibré.

Elle soutient avoir été victime d'une absence de négociation effective de la part du groupe M6 qui aurait tenté de faire pression sur elle pour lui imposer une clause manifestement déséquilibrée.

La société Molotov expose qu'elle s'est heurtée au caractère intangible de la clause des conditions générales de distribution de la société Métropole télévision selon laquelle le distributeur n'est autorisé à distribuer les services du groupe M6 que dans le cadre des bouquets payants. En effet, après en avoir pris connaissance, en décembre 2017, d'abord dans les conditions générales de distribution (CGD), puis dans la version du contrat de distribution proposé par le groupe M6, la société Molotov indique avoir répondu en vain que cela pourrait risquer de la faire disparaître, raison pour laquelle elle a demandé la prolongation de la négociation. La société Molotov souligne avoir précisé qu'elle maintenait les conditions de distribution en cours et ainsi le versement d'une rémunération au profit du groupe M6. Toutefois, elle fait valoir qu'en dépit de multiples tentatives de négocier cette clause de « paywall », le groupe M6 a systématiquement et catégoriquement refusé de discuter.

La société Molotov précise que l'existence d'un « term sheet » (projet de contrat) émis par le groupe M6 n'exclut pas, par principe l'application des dispositions du code de commerce, encore faut il, selon elle, que ce projet ait pu faire l'objet d'une négociation effective et de bonne foi entre les parties.

Enfin, la société Molotov soutient que le principe de la liberté contractuelle ne peut s'appliquer à l'hypothèse où une partie indique à son partenaire que leurs relations se termineront s'il n'accepte pas une stipulation créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, et qu'il refuse toute négociation à ce sujet.

Elle rappelle enfin que le principe selon lequel les conditions générales sont le socle unique de la négociation commerciale signifie que ces conditions sont le point de départ des négociations et non leur point d'arrivée.

La société Molotov soutient qu'elle a bien démontré, comme l'a retenu le tribunal, l'existence d'un déséquilibre significatif résultant des exigences du Groupe M6, dès lors que celui-ci s'est immiscé dans son modèle économique afin de remettre en cause sa pertinence et sa pérennité, sans aucune justification ni contrepartie.

Selon la société Molotov, la demande du Groupe M6 consistant à exiger que ses chaînes soient distribuées dans un niveau de service payant est en effet illégitime dès lors qu'elle constitue une immixtion dans sa stratégie commerciale, alors même qu'elle lui verse une rémunération en contrepartie de la diffusion des chaînes gratuites de la TNT aux conditions qu'elle est seule à pouvoir déterminer. La société Molotov précise que son modèle économique repose précisément sur la mise en avant gratuite des chaînes les plus attractives, suscitant chez l'abonné l'envie de bénéficier des fonctionnalités techniques payantes qu'elle propose.

La société Molotov expose que l'affirmation du Groupe M6 selon laquelle son modèle « freemium » est un échec économique est mensongère. Elle précise que le contrat de distribution initial a été profitable au Groupe M6, qui a non seulement été directement rémunéré par elle pour les droits de distribution, mais qui a encore bénéficié pour ses chaînes d'un accroissement de leur exposition et donc d'une augmentation des revenus publicitaires, ce sans aucun investissement technique de sa part.

La société Molotov soutient que le Groupe M6 ne propose aucune contrepartie spécifique à la clause de « paywall » et s'est réservé le droit discrétionnaire de changer d'avis et de repasser dans une offre gratuite en fonction des agissements de TF1.

Selon la société Molotov, l'argument du Groupe M6 selon lequel il n'exige pas qu'elle facture ses chaînes au public est inopérant dès lors qu'il demande qu'elles soient accessibles de manière indissociables au sein d'une offre de télévision payante.

La société Molotov affirme que son refus d'accepter la clause de « paywall » ne risque pas de contraindre le Groupe M6 à changer son modèle, comme il le prétend. Elle soutient que les chaînes du Groupe M6 ont été conventionnées par le CSA dans le cadre du régime des chaînes gratuites et qu'une modification de son régime de financement pour avoir recours à une rémunération payante de la part des usagers doit être agrée par le CSA. La société Molotov ajoute que les recettes publicitaires représentent une part écrasante des recettes globales du Groupe M6.

La société Molotov insiste sur le fait que, selon elle, la clause de « paywall » n'avait pas de contrepartie pouvant lui procurer un avantage et ainsi rétablir l'équilibre.

La société Métropole télévision expose au contraire que la tentative de soumission n'est pas caractérisée, de sorte que la discussion sur l'existence en l'espèce d'un déséquilibre significatif est inutile.

La société Métropole télévision soutient à cet égard que :

- le groupe M6 et la société Molotov ne sont pas des « partenaires » au sens de l'article L. 442-6, I, 2° mais qu'elles négociaient un partenariat éventuel ;

- le fait pour un fournisseur de négocier un contrat sur la base de ses CGD n'est pas fautif ; les CGD et le projet de « term sheet » adressé par le Groupe M6 qui énonçait des conditions particulières formaient en réalité une offre faite à Molotov qui était libre d'accepter ou de refuser ;

- la liberté contractuelle permet de choisir son cocontractant, un fournisseur pouvant tout à fait refuser d'engager une relation commerciale avec un distributeur.

La société Métropole télévision soutient également que les CGD du Groupe M6 ne prévoient pas d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

Elle expose à cet égard que :

- les CGD dans leur ensemble reflètent le modèle de distribution des chaînes du Groupe M6 ; de ce fait, le tribunal de commerce n'aurait pas dû analyser la clause 3.1 des CGD de manière isolée et de surcroît en considération de contreparties économiques et stratégiques extérieures ; le Tribunal aurait dû tenir compte du contexte et de l'économie générale des accords de distribution conclus par le Groupe M6 avec tous les distributeurs de ses chaînes ;

- la distribution des chaînes dans une offre gratuite met en danger le modèle de distribution du Groupe M6 ;

- les conditions de l'offre de distribution des chaînes sont équilibrées : d'un côté les éditeurs autorisent le distributeur à inclure les chaînes dans leurs offres payantes, en vertu de leur droit voisin visé à l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle ; d'un autre côté, le distributeur s'engage à rémunérer les éditeurs des chaînes ;

- ainsi, les conditions du contrat de distribution des chaînes dans un bouquet payant sont équilibrées, objectives et non discriminatoires ;

- depuis longtemps, les chaînes de la TNT en clair sont présentes dans les offres payantes de distributeurs qui rémunèrent cette présence de nature à rendre leurs offres plus attractives ;

- de ce fait, le Groupe M6 demande seulement qu'elles soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante ; ensuite, le distributeur fixe librement le prix de l'abonnement à ses offres ;

- les CGD n'obligent pas la société Molotov à modifier le prix de ses offres payantes du fait de l'intégration des Chaînes, ni à facturer un abonnement spécifique aux téléspectateurs;

- les CGD n'obligent pas non plus la société Molotov à abandonner le principe d'une offre gratuite mais seulement à ne pas y intégrer les chaînes ;

- aucune loi, notamment pas la loi sur l'audiovisuel du 30 septembre 1986, n'oblige le Groupe M6 à mettre ses chaînes à la disposition d'un intermédiaire ;

- il n'est pas démontré que la présence des chaînes dans l'offre gratuite de Molotov soit indispensable au succès de son modèle « freemium », les chiffres d'audience des chaînes sur la plateforme de Molotov étant très faibles.

Sur ce, la Cour retient ce qui suit.

Concernant la soumission ou tentative de soumission, qui est le premier élément constitutif de la pratique de déséquilibre significatif, cette condition implique de démontrer l'absence de négociation effective de la clause litigieuse, pour un motif tenant au rapport de force déséquilibré au détriment de la société Molotov, ou l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant spécifiquement à forcer l'acceptation de cette clause, dans la mesure où celle-ci se trouverait être défavorable à la société Molotov.

L'accord du 5 juin 2015 intervenu entre les parties, permettant notamment la distribution avec accès gratuit par la société Molotov des chaînes M6, W9, 6TER et M6 Boutique & Co, bien qu'il ait été souscrit à titre expérimental pour la durée de deux années non renouvelable par tacite reconduction, avec faculté de résiliation anticipée à l'issue de la première année en cas de non atteinte de l'objectif minimum d'un million d'utilisateurs, a été modifié par avenant le 2 décembre 2016 sur des points sans rapport avec cet objectif minimum et la durée stipulée.

Alors que le terme contractuel était fixé au 31 décembre 2017, la société Métropole télévision a écrit à la société Molotov le 30 octobre 2017, en prévision des éventuelles négociations à venir, pour l'avertir s'agissant des chaînes de la TNT en clair, de ce que « tout nouvel accord devra s'inscrire dans le cadre des conditions générales de distribution qui prévoient notamment que ceux-ci doivent être repris uniquement au sein d'une offre de télévision payante ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair ».

La société Métropole télévision a précisé dans cette lettre qu'à défaut de conclusion d'un nouvel accord, la distribution prendrait fin à l'échéance, le 1er janvier 2018 à minuit.

L'analyse de la correspondance entre les parties démontre qu'il s'agit de la première mention de cette importante modification.

Par exemple, si le 6 juillet 2017, la société Métropole télévision a écrit une lettre recommandée à la société Molotov pour évoquer, notamment, l'éventualité de rencontres « afin de discuter du principe et des conditions dans lesquelles [les parties pourraient] convenir d'un nouvel accord de distribution à compter du 1er janvier 2018 » il est seulement exposé, au regard des objectifs de la négociation : « Nous souhaiterions en particulier revenir lors de cette rencontre sur les modalités et conditions d'accès des utilisateurs de la plateforme Molotov à nos chaînes et aux services de télévision de rattrapage de Paris Première et Téva ainsi que sur les conditions d'utilisation du NPVR pour nos chaînes ».

Il est établi que la société Métropole télévision a communiqué les CGD contenant la clause 3.1 litigieuse à la société Molotov par lettre recommandée datée du 27 novembre 2017.

Exposant avoir reçu les CGD le 4 décembre 2017 seulement, la société Molotov a, par lettre du 12 décembre 2017,

- proposé des dates pour négocier avec la société Métropole télévision sur la base des CGD, faisant état d'une argumentation précise concernant les modifications substantielles induites par les CGD et visant notamment à faire revenir la société Métropole télévision sur son exigence nouvelle visant à subordonner l'accès aux services à un abonnement payant ;

- demandé une période de transition raisonnable sans coupure du signal de M6 au 1er janvier 2018.

Il est établi que les parties se sont rencontrées le 14 décembre 2017 et, par lettre recommandée datée du 19 décembre 2017, la société Molotov a indiqué à la société Métropole télévision qu'elle souhaitait négocier en vue d'étudier comment il lui serait possible d'adapter son modèle économique aux trois exigences nouvelles les plus importantes, à savoir l'imposition du « paywall », la définition de l'offre de service associée et la cohabitation avec une concurrence gratuite. La société Molotov a exposé dans cette lettre - dont elle a voulu qu'elle puisse engager la société Métropole télévision par le fait de la lui retourner signée - qu'en contrepartie, elle « prenait acte de ce que M6 autorise Molotov à distribuer les chaînes et services M6, W9, 6Ter jusqu'au 31 mars 2018 en ce inclus « les services du groupe M6 » et « le service 6 Play », avec paiement d'un montant forfaitaire mensuel de 100 000 euros ».

Par lettre recommandée du 5 mars 2018, la société Métropole télévision a imparti jusqu'au 9 mars 2018, soit quatre jours, à la société Molotov pour que celle-ci donne son accord sur « la rémunération et le principe d'une distribution [des] chaînes M6, W9 et 6TER et leurs services et fonctionnalités associés au sein de ... bouquets payants », sous peine de fin de distribution dès le 31 mars 2018. Par lettre recommandée du 12 mars 2018, la société Métropole télévision a annoncé à la société Molotov que faute d'accord sur ce point, la cessation de la distribution se produirait au 31 mars 2018.

Par lettre du 14 mars 2018, la société Molotov exposait au Groupe M6 son désaccord persistant sur les deux seuls points suivants qu'elle a ainsi formulés :

- l'exigence par le Groupe M6 du principe de « la rémunération des chaînes gratuites » ;

- l'exigence que les chaînes gratuites soient obligatoirement facturées au consommateur (placées derrière un paywall).

Par lettre recommandée du 20 mars 2018 marquant la fin des négociations, la société Métropole télévision répondait que :

- contrairement à ses attentes, sur 5 millions d'utilisateurs du service Molotov, seulement 7 300 s'étaient abonnés à l'offre « Extended » référençant les chaînes thématiques, soulignant le manque d'effet d'entraînement de la mise à disposition gratuite des chaînes en clair de la TNT ;

- le modèle Freemium de Molotov ne permet pas de valoriser les chaînes du Groupe M6 ;

- le refus de rémunérer les chaînes en clair venant d'être exprimé brusquement et de mauvaise foi par la société Molotov, motif pris d'éléments de droit inexacts, revient sur la position contenue dans la lettre du 19 décembre 2017 déjà mentionnée, alors même que nulle réserve n'avait jamais été formulée sur le principe d'un paiement pour la diffusion des chaînes en clair de la TNT tel que prévu dans l'accord du 5 juin 2015 ;

- la négociation en cours ne porte pas sur la rémunération des signaux des chaînes en clair, mais sur la reprise d'un ensemble indissociable de services conformément aux Conditions Générales de Distribution, en contrepartie d'une redevance forfaitaire de 1.2 M€ HT à laquelle il convient d'ajouter la redevance due au titre de la distribution des chaînes thématiques et de leurs services associés ;

- la société Molotov soutient à tort que le Groupe M6 exigerait que ses services en clair soient facturés au consommateur, alors qu'il est demandé en réalité, conformément au modèle économique du groupe appliqué à tous les distributeurs, que l'ensemble des services soit accessible de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante, sans pour autant que le consommateur se voie facturer l'accès au signal des chaînes en clair.

Il résulte de cette correspondance entre les parties qu'il n'est pas démontré que la société Molotov aurait précisé à la société Métropole télévision que, pour le nouvel accord en négociation au moment de la rupture, elle maintenait les conditions de distribution en cours et ainsi le versement d'une rémunération au profit du Groupe M6 s'agissant des chaînes en clair de la TNT.

Au contraire, il est établi que la société Molotov a finalement exigé de la société Métropole télévision, dans sa lettre du 14 mars 2018, non seulement qu'elle renonce à sa prétention que les chaînes en clair de la TNT soient obligatoirement incluses dans une offre payante du distributeur, mais encore qu'elle renonce au principe même par lequel le Groupe M6 - à bon droit - entend être rémunéré pour la distribution des chaînes en clair de la TNT, dès lors qu'elles sont diffusées par internet.

Or, ce seul point était bien de nature à lui seul à faire échouer toute négociation, dès lors que jamais la société Métropole télévision n'avait accepté, ne serait-ce qu'à titre temporaire ou expérimental, le principe de gratuité prétendu tel que défendu par la société Molotov.

Au demeurant, alors qu'il n'est nullement soutenu que l'attitude de la société Métropole télévision relativement au maintien ou non de la clause 3.1 litigieuse aurait été différente si la société Molotov n'avait pas fait d'erreur sur l'étendue de ses droits lorsqu'elle a exigé, dans le cours de la négociation en cause, de pouvoir distribuer gratuitement par internet les chaînes en clair de la TNT, il est établi par les circonstances de la cause et les déclarations de la société Métropole télévision dans le cadre de la présente instance, que celle-ci n'aurait pas consenti pour autant à aménager la clause litigieuse dans le sens voulu par la société Molotov, si celle-ci s'était abstenue d'invoquer à tort un prétendu principe de gratuité pour la diffusion par internet des chaînes en clair de la TNT.

L'impossibilité alléguée de toute négociation sur ce point doit donc être admise.

Par ailleurs, force est de reconnaître que compte tenu du nombre limité d'acteurs susceptibles de conférer à la société Molotov des droits sur des chaînes en clair de la TNT susceptibles de lui permettre de constituer les bouquets de son offre « freemium », il doit être reconnu en l'espèce l'existence d'un rapport de force au détriment de la société Molotov, qui dépend dans une large mesure de la société Métropole télévision laquelle, par l'adoption de la clause 3.1 de ses CGD a fait nécessairement perdre beaucoup d'intérêt du public pour ce type d'offre, par la nécessité de renoncer aux importantes chaînes en clair du Groupe M6..

Il est donc nécessaire de déterminer si les obligations en cause par l'effet de la clause litigieuse sont significativement déséquilibrées au détriment de la société Molotov, engageant la responsabilité de la société Métropole télévision, ou si celle-ci a seulement fait un usage légitime de sa liberté contractuelle, d'une part, en manifestant sa fermeté dans la défense de la clause litigieuse à l'occasion d'une négociation aux termes de laquelle la société Molotov a prétendu lui imposer pour des motifs juridiques erronés un principe de gratuité qu'elle n'avait jamais consenti et, d'autre part, en se prévalant à bon droit du terme contractuel pour mettre fin à la diffusion du signal.

A cet égard, pour l'appréciation du déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, la Cour doit procéder à une appréciation concrète et globale des contrats en cause et apprécier le contexte dans lequel ils ont été conclus ou proposés à la négociation.

Or, force est de constater que la société Métropole télévision, aux termes de la clause litigieuse qui doit être appréciée, d'une part, à la lumière de l'ensemble des clauses des CGD et du contrat dont la négociation a été rompue, notamment de celle par laquelle la société Métropole télévision exige paiement pour la diffusion par internet des chaînes en clair de la TNT et, d'autre part, en fonction du contexte particulier né du droit voisin dont cette société est titulaire sur les programmes des chaînes en clair de la TNT qui sont en cause, ne place pas le distributeur dans une obligation dépourvue de contrepartie.

En effet, le Groupe M6 demande essentiellement, au titre de la clause litigieuse des CGD, que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante, tandis que le distributeur fixe librement le prix de l'abonnement à ses offres et qu'il verse à la société Métropole télévision une rémunération.

Or, il s'agit là seulement de la mise en œuvre, selon une modalité non dépourvue de contrepartie pour la société Molotov, des droits conférés à la société Métropole télévision en vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle exploitant un service de communication audiovisuelle au sens de la loi du 30 septembre 1986 déjà indiquée la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci, moyennant paiement d'un droit d'entrée. La circonstance que la société Métropole télévision exige un paiement pour une telle autorisation, en même temps qu'elle impose au distributeur de ne pas diffuser ces mêmes chaînes en dehors de bouquets payants, ne caractérise nullement une absence de contrepartie à cette dernière obligation, ni aucune autre forme de déséquilibre significatif.

La circonstance que la position adoptée par la société Métropole télévision vienne fragiliser la pertinence et la pérennité du modèle d'affaire « freemium » de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué.

Le jugement sera donc infirmé sur ce point, le déséquilibre significatif ne pouvant être retenu en l'espèce, faute de caractérisation d'une tentative de soumission à un déséquilibre significatif.

- Sur l'allégation de condition abusive imposée à la société Molotov sous la menace de non reconduction du contrat de distribution

La société Molotov affirme qu'elle entretient des relations commerciales établies avec le Groupe M6 et que leur comportement traduit la volonté de chacune des parties de développer des relations stables et suivies. La société Molotov fait valoir que le Groupe M6 l'a qualifiée de « distributeurs historiques »

Elle précise, qu'à l'expiration de l'accord initial, le Groupe M6 ne lui a pas indiqué que leurs relations prenaient fin, mais lui a proposé de reconduire leur accord de distribution sur la base de nouvelles CGD. Elle ajoute, qu'en l'absence de nouvel accord, le Groupe M6 a accepté de prolonger de trois mois l'accord initial.

Elle affirme également qu'elles n'ont pas pu formaliser un nouveau contrat en raison, uniquement, du refus qu'elle a opposé à la clause de « paywall », qu'elle considère illicite.

La société Molotov soutient que, de ce fait, l'attitude de la société Métropole télévision caractérise la pratique prohibée par l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce dans sa rédaction applicable à la date des faits.

La Cour rappelle que l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et applicable au litige prohibe le fait pour tout producteur, commerçant ou industriel d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant notamment les prix ou les modalités de vente. Les dispositions de ce texte n'imposent pas que la relation commerciale en cause ait été établie, si bien que les considérations de la société Métropole télévision sur le caractère expérimental de la relation commerciale entre les parties ou futur de la relation partenariale envisagée sont inopérantes.

Depuis l'accord du 5 juin 2015, les parties étaient bien en relations commerciales.

Or, ainsi qu'il a déjà été dit, par lettre recommandée du 5 mars 2018, la société Métropole télévision a imparti jusqu'au 9 mars 2018, soit quatre jours, à la société Molotov pour que celle-ci donne son accord sur « la rémunération et le principe d'une distribution [des] chaînes M6, W9 et 6TER et leurs services et fonctionnalités associés au sein de ... bouquets payants », sous peine de fin de distribution dès le 31 mars 2018. Par lettre recommandée du 12 mars 2018, la société Métropole télévision a annoncé à la société Molotov que faute d'accord sur ce point, la cessation de la distribution se produirait au 31 mars 2018.

Il résulte de ces éléments de fait que si la société Métropole télévision a bien tenté, par sa lettre du 5 mars 2018, d'obtenir l'acceptation par la société Molotov de la clause 3.1 des CGD sous la menace d'une rupture totale ou partielle des relations commerciales, la société Métropole télévision ne peut être coupable en l'espèce d'avoir usé de menace de rompre brutalement cette relation commerciale, en ce que la date du 31 mars 2018 avait été négociée dans des conditions exclusives de croyance légitime de la société Molotov dans la poursuite de la relation commerciale après cette date.

En outre, il résulte de ce qui a déjà été jugé par le présent arrêt ayant rejeté le moyen pris du déséquilibre significatif, que la clause 3.1 litigieuse des CGD ne contribue nullement à caractériser des conditions manifestement abusives concernant les prix ou les modalités de vente.

Le moyen pris de la violation de l'article L. 442-6, I, 4° du code de commerce sera donc rejeté.

- Sur les autres fondements invoqués par la société Molotov à l'appui de la responsabilité de la société Métropole télévision

La société Molotov soutient encore que la clause de « paywall » est contraire au droit de la concurrence en ce qu'elle constitue, selon l'autorité de la concurrence (ADLC, décision n° 20-D-08), une restriction verticale, tenant à la fixation des prix aux consommateurs, contraire aux articles L. 420-1 du code du commerce et 101 TFUE.

Toutefois, alors que dans la décision alléguée de l'Autorité de la concurrence, la société Molotov a vu sa saisine rejetée au motif qu'elle n'apportait pas d'éléments suffisamment probants, la Cour rappelle qu'elle a jugé aux termes du présent arrêt que la clause litigieuse des CGD ne constituait pas une pratique prohibée de prix imposé, d'où il résulte qu'elle ne peut être contraire au règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010.

Par ailleurs, pour la société Molotov l'exigence du Groupe M6 serait contraire à l'article L. 121-11 du code de consommation.

Toutefois, ce texte incrimine tant le fait de refuser sans motif légitime à un consommateur une vente ou une prestation de service que de subordonner une vente ou une prestation de service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit, dès lors que cette subordination constitue une pratique déloyale.

Or, en l'espèce, nul refus de prestation de service à un consommateur ni aucune pratique déloyale ne se trouve caractérisée.

Par conséquent, la société Molotov sera déboutée de toutes ses demandes.

Le jugement entrepris sera réformé en toutes ses dispositions.

- Sur les frais

La société Molotov, qui succombe, sera condamnée en équité à verser à la société Métropole télévision une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel , dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

La société Molotov supportera également la charge des dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Réforme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Déboute la société Molotov de toutes ses demandes,

La condamne à payer à la société Métropole télévision une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel,

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toute autre demande.