CA Aix-en-Provence, ch. 3 sect. 1, 19 novembre 2020, n° 17/18607
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
L'entracte (SARL)
Défendeur :
Daikoz (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
M. Fohlen, Mme Berquet
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur Frédéric H. a déposé le 27 septembre 2010 auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque verbale « vendre ou acheter vendreouacheter » en classe 35 pour désigner des services de publicité, gestion des affaires commerciales, location d'espaces publicitaires. Monsieur H. est par ailleurs titulaire du nom de domaine « vendreouacheter.com » enregistré le 28 février 2006 et « tout vendre.com » enregistré le 15 septembre 2006.
Monsieur H. a concédé à la société L'ENTRACTE une licence d'exploitation non exclusive de la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » suivant acte enregistré au registre national des marques le 19 mars 2014 Cette société exploite les noms de domaine enregistrés par monsieur H..
Par acte en date du 13 mai 2015, monsieur H. et la société L'ENTRACTE ont fait assigner la société DAIKOZ exploitant les noms de domaine « vendreouacheter.net » et « toutvendre.fr » devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE en contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire.
Suivant jugement en date du 5 octobre 2017, le tribunal a, sur demande reconventionnelle de la société DAIKOZ, annulé la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » et a débouté monsieur H. et la société L'ENTRACTE de l'intégralité de leurs demandes, ainsi que la société DAIKOZ de ses demandes en procédure abusive et formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur H. et la société L'ENTRACTE ont interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 13 octobre 2017.
Le conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction par ordonnance en date du 27 janvier 2020 et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 24 février 2020. Cette affaire a été renvoyée en raison de l'état d'urgence sanitaire à l'audience du 12 octobre 2020.
A l'appui de leur appel, par conclusions déposées 10 juillet 2018, monsieur H. et la société L'ENTRACTE demandent en premier lieu à la cour de confirmer le jugement ayant rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société DAIKOZ, invoquant notamment l'absence de preuve de la cession des noms de domaine par l'intimée à la société EUMI, rappelant que la société L'ENTRACTE agit sur le seul fondement de la concurrence déloyale et affirmant que la prescription n'est pas en l'espèce acquise. En second lieu, monsieur H. et la société L'ENTRACTE concluent sur le fond à l'infirmation de la décision.
Ils invoquent le caractère distinctif de la marque « vendre ou acheter vendreoucheter », caractère distinctif ab initio au regard des produits et services visés dans l'enregistrement, l'analyse des premiers juges étant sur ce point erronée, du public visé, et des règles d'appréciation telles que posées notamment par l'arrêt BABY-DRY de la Cour de Justice de l'Union Européenne, mais aussi le caractère distinctif acquis par l'usage et résultant en particulier du montant des investissements consentis pour promouvoir ladite marque et de la durée de son usage constant.
La marque étant déclarée valide, les faits de contrefaçon par l'usage du nom de domaine « vendreouacheter.net » serait parfaitement constitué par reproduction ou pour le moins imitation.
La société L'ENTRACTE invoque en outre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme à savoir :
- un risque de confusion généré par l'utilisation des noms de domaine identiques, et ce alors que les deux entreprises exercent dans le même secteur. Ce risque serait accru du fait de l'absence de mentions légales sur les sites concurrents
- transfert en cours de procédure du nom de domaine « vendreouacheter.net »
- désorganisation de l'entreprise en raison de la nécessité d'arrêter au vu des agissements adverses les investissements publicitaires.
- parasitisme, la société DAIKOZ ayant bénéficié des investissements auprès de GOOGLE ADWORDS pour promouvoir le site, et la société L'ENTRACTE ayant subi de ce fait une perte d'investissements et un détournement de clientèle évalué à la somme de 100 000 €.
Au terme de leurs conclusions, monsieur H. et la société L'ENTRACTE demandent à la cour de :
CONFIRMER LE JUGEMENT entrepris en ce qu'il a dit recevables les actions de la société L'ENTRACTE et de Monsieur Frédéric H.,
INFIRMER LE JUGEMENT en ce qu'il a :
- Déclaré nulle la marque « vendre ou acheter vendreouacheter », enregistrée à l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE sous le numéro 3 769 300
- Débouté Monsieur Frédéric H. sur le fondement de la contrefaçon de sa marque « vendre ou acheter vendreouacheter »,
- Débouté la société L'ENTRACTE sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme
- Débouté les appelants du surplus de leurs demandes
- Condamné les appelants aux dépens
ET STATUANT A NOUVEAU,
DIRE ET JUGER que la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » de Monsieur Frédéric H. enregistrée à l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE sous le numéro 3769300 est distinctive ab initio, et subsidiairement par l'usage,
DÉBOUTER par voie de conséquence la société DAIKOZ de sa demande en nullité,
DIRE ET JUGER que l'enregistrement et l'exploitation par la société DAIKOZ, du nom de domaine « vendreouacheter.net » est constitutif d'une contrefaçon de la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » de Monsieur Frédéric H. sur le fondement de l'article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle et, à défaut, en raison du risque de confusion, sur celui de l'article L. 713-3 du même Code,
CONDAMNER la société DAIKOZ à payer à Monsieur Frédéric H. la somme de
100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour contrefaçon de sa marque « vendre ou acheter vendreouacheter » n°3769300,
DIRE ET JUGER que le comportement de la société DAIKOZ est constitutif d'une concurrence déloyale à l'égard de la société L'ENTRACTE en raison des fautes qu'elle a commises en :
- Créant un risque de confusion dans l'esprit du public
- Transférant le nom de domaine « vendreouacheter.net » postérieurement à sa mise en demeure
- En désorganisant l'activité de la société L'ENTRACTE
DIRE ET JUGER que ces agissements ont créé un préjudice à la société L'ENTRACTE,
CONDAMNER la société DAIKOZ à payer à la société L'ENTRACTE la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
DIRE ET JUGER que l'exploitation des noms de domaine « vendreouacheter.net » et « toutvendre.fr » par la société DAIKOZ est, compte tenu de la réutilisation des investissements publicitaires substantiels de la société L'ENTRACTE, constitutif d'acte de parasitisme à l'encontre de la société L'ENTRACTE.
CONDAMNER la société DAIKOZ à payer à la société L'ENTRACTE la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour parasitisme économique,
CONDAMNER la société DAIKOZ à cesser ses agissements en transférant gratuitement les noms de domaine « vendreouacheter.net » et « toutvendre.fr » à Monsieur Frédéric H. et à la société L'ENTRACTE, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la décision à venir,
CONDAMNER la société DAIKOZ à payer à Monsieur Frédéric H. et à la société L'ENTRACTE la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
Ainsi qu'aux entiers dépens.
La société DAIKOZ, par conclusions déposées le 22 janvier 2020, concluent à l'infirmation du jugement ayant déclaré monsieur H. et la société L'ENTRACTE recevables en leurs demandes. Ils invoquent le défaut de qualité à agir des appelants du fait de la cession du nom de domaine par la société DAIKOZ, de l'objet social de la société L'ENTRACTE, gérant une discothèque, rendant nul le contrat de licence et irrecevable l'action en concurrence déloyale, du fait de l'absence de titularité du nom de domaine « toutvendre.com ». Ils soulèvent en outre la prescription de l'action en concurrence déloyale, les appelants ayant été en mesure de connaître l'existence des faits qualifiés de délictueux dès le 19 mars 2009.
Subsidiairement, la société DAIKOZ conclut à la confirmation de la décision ayant annulé la marque pour défaut de distinctivité, ab initio ou par usage, soulevant en outre l'absence de disponibilité de cette marque au moment de son enregistrement et l'absence de preuve du moindre préjudice. Elle conclut de même à la confirmation du jugement ayant débouté la société DAIKOZ de sa demande en concurrence déloyale, affirmant que ni l'existence d'une faute, ni l'existence d'un préjudice, ni encore l'existence d'un lien de causalité entre les deux ne sont démontrées. La société DAIKOZ demande en conséquence à la cour de :
A titre principal,
lnfirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré Monsieur H. et la société L'Entracte recevables en leurs demandes ;
Dire et juger que les demandes au titre de la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » et du nom de domaine « vendreouachetercom » sont irrecevables pour défaut de qualité et d'intérêt à agir de Monsieur H. et de la société L'Entracte ;
Dire et juger que les demandes de Monsieur H. et de la société L'Entracte au titre du nom de domaine « toutvendrecom » sont prescrites ;
Débouter Monsieur H. et la société L'Entracte de l'ensemble de leurs fins et conclusions à l'encontre de la société Daikoz ;
Confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement entrepris ;
Dire et juger que la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » est nulle pour défaut de distinctivité et de disponibilité ;
Débouter Monsieur H. et la société L'Entracte de leur demande de condamnation de la société Daikoz pour contrefaçon sur le fondement des articles L. 713-2 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle ;
Constater l'absence de distinctivité des noms de domaine « vendreouachetercom » et
« toutvendrecom » ;
Débouter Monsieur H. et la société L'Entracte de leur demande de condamnation de la société Daikoz pour concurrence déloyale sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
Débouter Monsieur H. et la société L'Entracte de leur demande de condamnation de la société Daikoz pour parasitisme économique sur le fondement de l'article 1382 du Code civil ;
En tout état de cause
Débouter Monsieur H. et la société L'Entracte de l'intégralité de leurs demandes ;
Condamner solidairement Monsieur H. et la société L'Entracte à payer à la société Daikoz la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée ;
Condamner solidairement Monsieur Frédéric H. et la société L'Entracte à verser à la société Daikoz la somme de 30 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner solidairement Monsieur Frédéric H. et la société L'Entracte aux entiers dépens.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité des demandes formées au titre de la contrefaçon de marque
Les premiers juges ont fait une exacte appréciation des pièces versées aux débats, et tout particulièrement de l'attestation du gérant de la société EUMI en date du 3 février 2016 et des rapports de performances du site « vendreouacheter.net », en constatant que la société DAIKOZ a cédé la propriété et l'exploitation du site et du nom de domaine « vendreouacheter.net » à la société EUMI le 19 juillet 2013, soit antérieurement à l'introduction de l'instance par monsieur H. et la société L'ENTRACTE.
La contrefaçon d'une marque se caractérise par l'usage, par la reproduction ou l'imitation de cette marque dans la vie des affaires ; en l'espèce, ainsi qu'il vient d'être constaté, si la société DAIKOZ est à l'origine du dépôt du nom de domaine « vendreouacheter.net », elle n'utilisait plus ce signe au jour où monsieur H. et la société L'ENTRACTE l'ont fait assigner ; à cette date, aucune atteinte à ses droits tirés des marques déposées ne pouvait en conséquence être imputée à la défenderesse ; c'est dès lors à bon droit que la société DAIKOZ affirme que les actions sont mal dirigées et que les demandes formées à son encontre du fait de l'utilisation du nom de domaine « vendreouacheter.net » sont irrecevables.
La société DAIKOZ n'étant plus au jour de l'introduction de l'instance titulaire du nom de domaine litigieux, elle n'a pas intérêt à agir pour demander, fut ce à titre subsidiaire, la nullité de la marque « vendre ou acheter vendreouacheter ».
Le jugement ayant déclaré l'action en contrefaçon de marque recevable, mais aussi ayant prononcé la nullité de la marque, sera infirmé sur ces deux points.
Sur la demande formée au titre de la concurrence déloyale
Comme l'ont rappelé les premiers juges, le point de départ du délai de prescription en matière délictuelle doit être fixé au jour où la victime a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance du fait à l'origine du préjudice qu'il invoque ; en l'espèce, le nom de domaine « toutvendre.fr » a été enregistré le 19 mars 2009 ; il importe peu de constater que cet enregistrement a été effectué par monsieur D., et non par la société DAIKOZ, société qui a revêtu une existence légale qu'au jour de son début d'activité, soit le 3 janvier 2011 ; par contre, il doit être constaté qu'aucun élément ne permet d'affirmer que ce nom de domaine a été effectivement exploité à compter de sa date d'enregistrement ; il n'existe de même aucun document permettant de dater la connaissance que monsieur H. aurait pu avoir de ce nom de domaine, ni de déterminer dans quelles circonstances il aurait dû être informé de son exploitation effective ; le seul élément invoqué est un échange de courriel en date du 10 janvier 2012 entre l'adresse « [email protected] » Et « [email protected] » ; à supposer que monsieur H. soit le titulaire de l'adresse « [email protected] » et qu'en conséquence le courriel demandant le transfert du nom de domaine « toutvendre.fr » lui soit attribuable, il sera retenu qu'en toute hypothèse ce document a été adressé moins de cinq ans avant la date de l'assignation ; en conséquence, à bon droit, les premiers juges ont conclu à l'absence de prescription, la preuve de la connaissance par le demandeur du nom de domaine dans un délai de cinq ans avant l'assignation n'étant pas rapportée.
L'utilisation de noms de domaines de nature à créer une confusion dans l'esprit du consommateur, et ce afin de détourner la clientèle d'une société concurrente, est constitutive d'un acte de concurrence déloyale.
La société DAIKOZ a déposé et utilisé les noms de domaine « vendreouacheter.net » et « toutvendre.fr », nom de domaines qui ne différent des noms de domaine exploités par la société L'ENTRACTE, soit « vendreouacheter.com » et « toutvendre.com », que par le seul suffixe ; à juste titre, la société L'ENTRACTE fait observer que les deux sociétés exercent dans le même secteur d'activité, à savoir la diffusion de petites annonces sur internet ; cependant, au cas d'espèce, ces deux circonstances ne suffisent pas à établir un risque de confusion pour le consommateur dès lors que les termes « tout vendre » et « vendre ou acheter » appartiennent au langage usuel et décrivent de manière flagrante l'activité des sites désignés, à savoir la mise en relation de personnes afin de vendre ou acheter des produits ou services ; le consommateur faisant des recherches sur internet ne peut manifestement pas considérer que ces expressions désignent un site particulier, et en conséquence faire une confusion entre deux sites utilisant même de manière parfaitement similaire les mêmes termes ; en l'absence de risque de confusion, les premiers juges ont à bon droit écarté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale.
La société DAIKOZ justifie l'existence de mentions légales prévues par la loi du 21 juin 2004 concernant les sites par elle exploités, et les arguments avancés de ce chef par les appelants seront en conséquence écartés.
Monsieur H. et la société L'ENTRACTE ne démontrent pas en quoi le transfert du nom de domaine « vendreouacheter.net » en cours de procédure par la société DAIKOZ aurait été de nature à désorganiser leur activité commerciale, ni même à leur occasionner un quelconque préjudice ; de même, en raison de l'absence de risque de confusion tel que caractérisé plus haut, l'exploitation de ce site ou du site « tout vendre » ne peut être jugée comme constituant une cause de désorganisation.
Ainsi qu'il a été rappelé plus haut, les termes « tout vendre » ou « vendre ou acheter » sont purement descriptifs et appartiennent au langage courant ; monsieur H. et la société L'ENTRACTE ne peuvent dès lors soutenir qu'en les utilisant à son tour dans les noms de domaines affectés à ses propres sites, la société DAIKOZ a voulu se placer dans leur sillage et profiter de leur investissement intellectuel et publicitaire ; le jugement ayant débouté monsieur H. et la société L'ENTRACTE de leur demande fondée sur la notion de parasitisme sera confirmé.
Sur les demandes accessoires
L'intention de nuire de monsieur H. et de la société L'ENTRACTE n'apparaît pas établie et la demande reconventionnelle en dommages intérêts pour procédure abusive sera écartée.
Monsieur H. et la société L'ENTRACTE succombant en leur appel, ils devront verser une somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR
INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de MARSEILLE en date du 5 octobre 2017 en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées par monsieur H. et la société L'ENTRACTE au titre de la contrefaçon de marque et à titre reconventionnel a annulé la marque « vendre ou acheter vendreouacheter » déposée par monsieur H..
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés
- DÉCLARE les demandes formées par monsieur H. et la société L'ENTRACTE au titre de la contrefaçon irrecevables comme mal dirigées.
- DÉCLARE irrecevable la demande en annulation de marque formée reconventionnellement par la société DAIKOZ,
CONFIRME pour le surplus la décision déférée,
Y ajoutant,
- DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ...
- CONDAMNE monsieur H. et la société L'ENTRACTE in solidum à verser à la société DAIKOZ la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- MET l'intégralité des dépens in solidum à la charge de monsieur H. et de la société L'ENTRACTE.