Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch., 19 novembre 2020, n° 19/03448

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Editions Oberthur (SAS)

Défendeur :

Viquel (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Nut

T. com. Nanterre, du 3 avr. 2019

3 avril 2019

EXPOSE DU LITIGE

La société Editions Oberthur, ci-après EO, indique être spécialisée dans la conception, la fabrication et la commercialisation d'agendas, de calendriers publicitaires et d'articles de papeterie et d'équipements scolaires.

La société Viquel déclare créer, fabriquer et commercialiser des articles de papeterie et de fournitures scolaires, de classement de bureau et de maroquinerie.

EO explique avoir constaté, lors du salon ADVEO 2015, salon regroupant les principales marques et fabricants des secteurs du matériel de bureau, scolaire et de la papeterie, que la société Viquel présentait des modèles de cartables et de sacs à dos reproduisant certaines caractéristiques de ses modèles 'haut de gamme'.

Par un courrier du 9 décembre 2015, EO a mis en demeure Viquel de « cesser immédiatement la fabrication des modèles litigieux...transmettre tous les documents comptables permettant de déterminer la portée de vos actes litigieux et le préjudice subi » en lui précisant que son comportement s'apparente à des actes de concurrence parasitaire.

Viquel a répondu par courrier du 22 janvier 2016 qu'elle n'entendait pas donner suite aux demandes de EO, au vu notamment de l'antériorité des caractéristiques des produits incriminés.

Par acte du 1er février 2017, EO a fait assigner Viquel devant le tribunal de commerce de Nanterre, aux fins de voir juger que Viquel a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire, de lui interdire la poursuite des actes litigieux, et de la condamner à lui verser des dommages et intérêts aux titres des préjudices qu'elle a subis.

Par jugement du 3 avril 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- débouté la société Editions Oberthur de l'ensemble de ses demandes relatives aux actes de concurrence déloyale et parasitaire de la société Viquel à son encontre,

- débouté la société Viquel de sa demande de condamner la société Editions Oberthur au paiement d'une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts et au paiement d'une amende civile,

- condamné la société Editions Oberthur à payer à la société Viquel la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit qu'il n'y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

- condamné la société Editions Oberthur aux entiers dépens.

Par déclaration du 13 mai 2019, la société Editions Oberthur a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 1er septembre 2020, la société Oberthur a demandé à la cour de :

- accueillir la société EDITIONS Oberthur en son appel ;

- la déclarer bien-fondée, y faisant droit ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 3 avril 2019 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a débouté la société Viquel de ses demandes reconventionnelles ;

Et, statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Viquel a commis et commet des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre des Editions Oberthur, en reprenant les éléments caractéristiques de ses produits de maroquinerie scolaire ;

- interdire à la société Viquel, la poursuite des actes litigieux, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement par toute personne physique ou morale interposée et ce, sous astreinte de 1.000 (mille) euros par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à venir ;

- dire et juger que la Cour se réservera la liquidation des astreintes ainsi ordonnées ;

- débouter la société Viquel de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Et pour le préjudice causé :

- condamner la société Viquel à verser à la société Editions Oberthur à titre de dommages et intérêts, la somme totale de 60.000 (soixante mille) euros, quitte à parfaire, en réparation du préjudice subi en raison des actes de concurrence déloyale et de parasitisme ;

- autoriser la publication de la décision à intervenir au choix des Editions Oberthur et aux frais de la société Viquel dans 3 journaux de son choix, sans que chaque insertion ne puisse excéder la somme de 4.500 (quatre mille cinq cents) euros HT ;

- ordonner la publication aux frais de la société Viquel, sur la page d'accueil de son site Internet accessible à l'adresse www.Viquel.fr, la publication de l'arrêt à intervenir, par extraits au choix des Editions Oberthur, pendant une durée de deux mois à compter de sa première mise en ligne et ce, dans un délai de 48 heures à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 Euros par jour de retard ;

- dire et juger qu'il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil susvisée, au-dessus de la ligne de flottaison, dans la partie centrale du premier écran de présentation qui s'affiche en appelant l'adresse « www.Viquel.fr », de façon visible, et en caractères « times new roman », de taille 12, sans italique, de couleur noire et sur fond blanc, sans mention ajoutée, dans un encadré de 468 x 120 pixels, en dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être immédiatement précédé du titre COMMUNIQUE JUDICIAIRE en lettres capitales, de taille 18, sans italique, de couleur noire sur fond blanc ;

- condamner la société Viquel à payer la somme de 25.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Viquel aux dépens.

Par conclusions notifiées le 24 juin 2020, la société Viquel demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 3 avril 2019 du Tribunal de commerce de Nanterre, en ce qu'il a débouté la société Oberthur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En conséquence,

- débouter Editions Oberthur de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de Viquel ;

- infirmer le jugement sur les dommages intérêts réclamés par Viquel

Statuant à nouveau sur ce point :

- condamner Editions Oberthur au paiement d'une amende civile,

- condamner Editions Oberthur à payer à la société Viquel la somme de 15.000 euros de dommages et intérêts en réparation des préjudices moral et d'image subi par Viquel du fait du caractère abusif de la présente ;

- condamner Editions Oberthur à payer à Viquel la somme 30.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Editions Oberthur aux entiers dépens ;

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2020.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la concurrence déloyale

Le jugement a retenu qu'EO reprochait à Viquel d'avoir tenté de créer une confusion entre les produits respectifs en imitant les principaux composants des produits d'EO tels la poignée, les bretelles, les renforts dorsaux, le fond en pvc antidérapant, le porte étiquette, les bandes réfléchissantes, mais que l'examen visuel et tactile des échantillons permettait de relever des différences suffisamment caractérisées, qu'il s'agissait de produits banals sans les éléments décoratifs, et que par l'effet des licences acquises par les deux sociétés pour apposer des logos reconnus sur leurs produits, ceux-ci étaient alors bien distincts les uns des autres de sorte que la similitude n'était pas établie.

EO soutient que les caractéristiques de ses produits présentent un agencement particulier qui leur est propre, puisqu'ils présentent un dos matelassé en mesh triple épaisseur, une poignée ergonomique avec un tube caoutchouc aéré, des bretelles ergonomiques avec un revers mesh, des zones réfléchissantes disposées sur le devant et les côtés ainsi que sur les bretelles, des sangles de tension et des coutures de renfort au niveau des bretelles ainsi qu'un fond antidérapant. Elle affirme que ces caractéristiques ont été reprises à l'identique dans leur combinaison par Viquel, qui les a copiées dans le même agencement, et déduit de leur analyse que les différents modèles de cartables produisent la même impression visuelle d'ensemble. Elle ajoute que les ressemblances sont d'autant plus flagrantes lorsque les modèles sont dépourvus d'éléments de fantaisie, et liste les éléments qui se retrouvent dans les deux modèles, et ce sans aucune nécessité fonctionnelle. Elle souligne que l'impression d'ensemble identique donnée par les deux cartables et le caractère très minime de leurs différences, ce qui crée un risque de confusion très important. Elle affirme qu'aucun fabriquant de bagagerie scolaire n'utilisait la combinaison présentée par ses produits, que la réunion de ses caractéristiques ne répondait à aucun impératif, et que le fait que les produits soient associés à des logos ou marques connus est indifférent, compte-tenu du consommateur de ces produits -les grandes surfaces - dont l'acte d'achat n'est pas déterminé par la présence desdites marques. Elle en déduit que Viquel a commis des actes de concurrence déloyale, soulignant qu'elle est coutumière du fait.

Viquel rappelle qu'elle commercialise des sacs, cartables et trolleys bien avant 2002, année à laquelle EO aurait commercialisé son cartable, et affirme que ses produits présentaient déjà plusieurs caractéristiques revendiquées par l'appelante. Elle avance que ces éléments existaient bien depuis longtemps et étaient utilisés sur le marché, ne présentent pas d'originalité, et qu'EO s'est en fait inspirée des créations existantes, dont celles de Viquel. Elle souligne qu'EO met en exergue des éléments isolés, ou revendique des caractéristiques non protégeables, ou compare des produits qui n'ont jamais été fabriqués ou commercialisés par Viquel pour en déduire une hypothétique concurrence déloyale. Elle prétend au contraire d'EO que ce sont les éléments de fantaisie présents sur les cartables qui déclenchent l'acte d'achat, que les produits ne sont jamais commercialisés vierges de tout ornement. Elle affirme que les éléments relevés par EO existent depuis longtemps dans le domaine de la bagagerie et sont fonctionnels. Elle expose utiliser un dos en mousse double épaisseur comme la poignée en tube caoutchouc aéré depuis longtemps, que les rivets pour tenir les bretelles -de formes différentes- sont nécessaires pour renforcer leur maintien, que l'emplacement des bandes réfléchissantes est dicté par des impératifs de sécurité, que les coutures de renfort au niveau des bretelles répondent à des nécessités fonctionnelles. Elle conteste la reprise des porte-étiquettes et porte-règles à l'intérieur du rabat, tendance justifiée par la protection de l'étiquette en cas de pluie, affirme que les cartables ne donnent pas une impression d'ensemble identique, et souligne que les éléments revendiqués par EO sont utilisés par les autres opérateurs du marché.

Sur ce

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un produit puisse être librement reproduit sous réserve de l'absence de faute induite par la création d'un risque de confusion dans l'esprit du public sur l'origine du produit. L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause, la reprise d'une combinaison et d'un agencement, même individuellement usuels, pouvant caractériser des actes de concurrence déloyale s'il en résulte un risque de confusion dans l'esprit du public.

Les cartables en cause sont des sacs à dos deux compartiments 'haut de gamme' ou des cartables à dos de 38 cm selon EO, présentant les éléments caractéristiques suivants : un dos matelassé montagne en mesh triple épaisseur, une poignée ergonomique avec tube caoutchouc aéré, des bretelles ergonomiques matelassées avec revers mesh, attachée par 4 rivets positionnés à des endroits bien précis, des zones réfléchissantes sur le devant, sur les côtés de l'article, et sur les bretelles, des sangles de tension et coutures de renfort au niveau des bretelles, un fonds PVC antidérapant.

La cour observe que si EO souligne que ces éléments sont agencés de façon unique sur ces produits et révèlent un parti pris esthétique, des choix effectués qui ne sont pas dictés par des considérations fonctionnelles et qu'il en résulte une impression unique, l'action engagée est fondée sur le grief de concurrence déloyale, qui repose sur l'existence d'un risque de confusion.

EO relève de nombreuses ressemblances entre le cartable à deux compartiments qu'elle propose et celui de Viquel, notamment : le placement des bandes réfléchissantes identiques, à l'avant et sur les bretelles, le placement des rivets et coutures de renfort identiques, le placement des rivets et coutures de renfort dans le dos des bretelles, le dos matelassé montagne en deux parties moussées au niveau des omoplates et au niveau du bas du dos, le placement de la pochette zippée avec porte-clés à l'intérieur de la poche avant, le placement des coutures identiques sur le contour en polyester de la poche avant, le placement des coutures de renfort sur le bas des bretelles, la poignée en gomme et le fond en PVC.

Si EO fait état des caractéristiques de ses cartables qui sont observables sur son catalogue 2001-2002, il ressort des pièces versées par l'intimée qu'un modèle de poignée ergonomique avec un tube de caoutchouc aéré avait été déposé par une société tierce le 6 avril 1998 - quand bien même la société déposante avait pour activité principale l'ameublement- , que deux modèles de cartables sac à dos déposés en 2000 présentaient une telle poignée, et qu'une poignée similaire ou proche équipait un cartable Viquel figurant sur son catalogue 1998. Elle constitue également une tendance du moment, ainsi que le montre le catalogue d'un fournisseur chinois présentant de nombreuses variétés de poignées ergonomiques avec un tube en caoutchouc aéré.

Les rivets disposés de part et d'autre de la poignée figurent sur un cartable présent dans le catalogue Viquel de 1996 ainsi que sur plusieurs cartables du catalogue 'Disney' de Viquel de l'année 2002, dont il n'est pas contesté que les produits qui y figurent ont été créés en 2001.

Un modèle de cartable avec un dos matelassé en mesh avait été déposé dès 1997, deux autres ont été déposés en 2011 et 2012 ; par ailleurs, le positionnement de ces zones de mousse est dicté par la morphologie des enfants, et la nécessité d'apporter une plus grande protection dans les zones du bas du dos et des omoplates ; il résulte des pièces versées que de nombreux articles de type cartables ou sac à dos disposent d'un dos moussé, afin d'obtenir un plus grand confort, de sorte qu'il s'agit d'une tendance de la mode de ces articles.

En outre, il ressort de la comparaison des produits qu'ils disposent d'un matelassage du dos significativement différent, puisque le cartable EO contesté - soit le modèle figurant au catalogue 2017 - présente une partie moussée en trois parties, soit une en bas du dos et deux autres au niveau de chacune des omoplates, alors que le cartable Viquel ne présente que deux parties moussées, une en bas du dos et une en haut occupant toute la largeur du dos.

Le placement des coutures de renfort est dicté par un impératif fonctionnel, celui d'apporter un renforcement aux points d'exercice de tension comme les bretelles, les attaches des bretelles et la poignée, ce qui explique qu'elles se trouvent aux mêmes endroits sur les cartables, et il en est de même s'agissant du placement des rivets pour fixer la poignée et les bretelles.

La présence de bandes réfléchissantes sur les cartables s'explique par la nécessité d'améliorer la visibilité des enfants dans l'obscurité, ce qui justifie leur présence sur le devant du sac et sur les bretelles, afin qu'ils puissent être vus de dos comme de face, et il n'est pas contesté que de nombreux fabricants de cartables positionnent les bandes réfléchissantes sur leurs articles aux mêmes endroits que sur les cartables d'EO et de Viquel.

Le fond en PVC répond également à une considération de solidité, et est présent depuis longtemps dans le domaine de la bagagerie ou dans celui des articles de sport.

Enfin, l'emplacement de la pochette à l'intérieur du sac est utilisé par d'autres fabricants, peut s'expliquer par l'intérêt d'assurer une protection en cas d'intempérie tout en restant d'accès facile, la cour relevant à titre surabondant que s'agissant d'un détail se trouvant à l'intérieur des articles, il ne saurait créer un risque de confusion dans l'esprit du public.

S'agissant des cartables 38cm, EO relève également la reprise par Viquel du placement de cinq bandes réfléchissantes identiques (une à l'avant, deux sur les côtés, deux sur les bretelles), du placement des rivets et coutures de renfort dans le dos des bretelles, du dos matelassé montagne avec deux parties moussées, du placement identique des poches « emplois du temps » « carte d'identité » et « règle », de la poignée en gomme et du fond en PVC.

Toutefois, les développements précédents répondent aux griefs identiques s'agissant de la reprise du fonds en PVC, de la poignée en gomme, du dos matelassé avec parties moussées, du placement des rivets et des coutures de renfort dans le dos des bretelles, du placement identique des bandes réfléchissantes, le fait que deux bandes réfléchissantes soient sur les produits placés sur les côtés s'expliquant par la nécessité d'assurer la plus grande visibilité de l'enfant porteur du cartable, ce qui induit un certain positionnement identique ou proche des zones réfléchissantes sur les produits considérés. En ce qui concerne le placement des étiquettes et pochettes aux mêmes endroits, il ressort des éléments produits qu'il s'agit d'une tendance des fabricants de cartables que de disposer sur leurs articles deux porte-étiquettes, à l'intérieur et à l'extérieur du rabat du cartable, celle située à l'intérieur étant ainsi protégée des intempéries, celle à l'extérieur étant des plus classiques pour des cartables, et la présence d'un porte-règle apparaît également anecdotique.

Il s'en suit que les caractéristiques revendiquées par EO, dont la reprise par Viquel révélerait une concurrence déloyale, sont pour la plupart dictées par des impératifs fonctionnels, s'inscrivent dans une certaine tendance de la mode pour les sacs à dos et cartables, ou sont banals, de sorte que l'association de plusieurs d'entre eux ne peut suffire à établir un acte de concurrence déloyale, qui nécessite que la reprise de leur combinaison et de leur agencement révèle l'existence d'un risque de confusion.

EO ne peut se fonder sur des produits non distribués par Viquel -fut-ce en reproduisant un cartable Viquel dépourvu de toute illustration - pour établir l'existence de ressemblances flagrantes et d'un risque de confusion - de tels articles ne se trouvant pas tels quels dans le commerce.

Par ailleurs, l'existence de plusieurs systèmes de fermeture ne saurait ôter au dispositif de 'boucle clip' à attache rapide utilisé par EO sur ses cartables sa banalité, de sorte que l'utilisation d'un même système sur les sacs de Viquel ne saurait révéler une quelconque concurrence déloyale de la part de celle-ci. Il en est de même des coutures de renfort, qui sont des plus communes.

Il convient de relever qu'EO cite à plusieurs reprises la reprise de l'usage de mesh triple épaisseur par Viquel, alors que celle-ci affirme n'utiliser qu'un mesh double épaisseur, sans être véritablement contestée sur ce point, -EO n'établissant à tout le moins pas que Viquel utilise un mesh triple épaisseur-.

Comme déjà indiqué, et ainsi que le jugement l'a relevé, la mousse est positionnée dans le dos des cartables d'EO en trois parties distinctes, une en bas du dos et une au niveau de chaque omoplate, alors que les cartables Viquel ne présentent que deux parties moussées, une en bas du dos et une en haut occupant toute la largeur du haut du dos, et cette différence sera immédiatement appréhendée par le consommateur face à ces produits.

De même notera-t-il, sur cette face des cartables, les différences de forme des bandes réfléchissantes sur les bretelles des cartables, celles d'EO ont une forme en partie circulaire, en croissant de lune, alors que celles de Viquel sont des bandes rectangulaires placées perpendiculairement de la bretelle.

La cour observe que les poches extérieures ont des formes bien distinctes, arrondies ou en arc de cercle sur les cartables EO, de forme beaucoup plus rectangulaires sur ceux de Viquel, ce qui participe à conférer un aspect visuel d'ensemble aux cartables, et que le consommateur - face à ces produits- relèvera.

En outre, c'est la présence d'illustrations sur le sac, évoquant des personnages appréciés des enfants ou des marques connues, qui va susciter l'acte d'achat du consommateur final, et l'acheteur de centrales d'achat prendra en considération ces éléments de fantaisie, déterminants du choix de ce consommateur final.

Si EO dénonce la reprise des éléments figurant sur ses produits dans leur combinaison, celle-ci est constituée d'éléments banals pour de tels articles, ou répondant à des impératifs fonctionnels dans leur présence comme dans leur disposition, existant antérieurement ou s'inscrivant dans un courant de la mode.

Aussi, et au vu des différences relevées entre les produits, les éléments avancés par EO ne permettent pas de retenir que les cartables Viquel ont repris l'agencement des éléments de ses cartables qui ne seraient pas fonctionnels ou communément utilisés par les acteurs de ce secteur, révélant ainsi l'existence d'un risque de confusion, que ne saurait établir le fait qu'un acheteur d'une grande surface belge aurait renvoyé à EO un sac Viquel.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté EO de sa demande au titre de la concurrence déloyale.

Sur le parasitisme

Le jugement a retenu qu'EO ne justifiait, au titre de ses investissements, qu'un total de factures de 12152 euros au titre des années 2000/2002 et qu'il n'était pas justifié que cette somme était encore le support des produits commercialisés en 2015, de sorte qu'elle ne justifiait ni de ses investissements, ni ne démontrait que Viquel se place dans son sillage.

EO soutient que la reprise de la combinaison des éléments caractéristiques d'un produit qui s'est forgé une identité, et qui se distingue des autres produits présents sur le marché, est fautive. Elle ajoute que c'est au début des années 2000 qu'elle a mis au point la combinaison des éléments composant ses produits, que Viquel a repris fautivement, réalisant ainsi l'économie de dépenses de développement. Elle dénonce notamment la reprise de l'étiquette de présentation de ses produits, qu'elle utilise depuis 15 ans, comme le fait que Viquel ait fait appel au prestataire extérieur avec lequel elle-même avait travaillé précédemment, ou qu'il existe un lien entre la société hong-kongaise qui fabrique ses cartables et une société chinoise fournisseur de Viquel.

Viquel relève qu'EO invoque les mêmes faits à ce titre que ceux qu'elle a dénoncés au titre de la concurrence déloyale, mais ne justifie pas des efforts ou des moyens qu'elle a engagés pour le développement de ses produits. Elle conteste avoir eu recours au même graphiste qu'EO pour reprendre les caractéristiques de ses produits, alors que l'appelante n'avait eu recours à ses services que pour un travail d'habillage des formes des plans déjà définis. Elle affirme qu'EO cherche à interdire à ses concurrents l'utilisation d'éléments communs présents sur le marché et utilisés déjà par d'autres fabricants. Elle déclare que les prix 2017 de ses produits sont plus élevés que ceux d'EO, ce qui révélerait l'absence de parasitisme.

Sur ce

Le parasitisme repose, comme la concurrence déloyale, sur l'article 1240 du code civil, mais il s'en distingue car la concurrence déloyale repose sur l'existence d'un risque de confusion, critère étranger au parasitisme qui requiert la circonstance qu'une personne morale ou physique s'inspire ou copie, à titre lucratif et de manière injustifiée, une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements. Il consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements réalisés.

Comme l'a relevé le tribunal de commerce, la société qui se prétend victime de parasitisme doit justifier des investissements qu'elle a réalisés pour développer ses produits, investissements dont profiterait indûment son concurrent en se plaçant dans son sillage.

Or, EO s'appuie sur trois dessins techniques de cartables datés à la main de 2001, sur un catalogue de présentation de ses produits pour l'année 2001-2002, ainsi que sur quatre notes d'honoraires de Mme B., graphiste-illustratrice, trois du 29 juin 2000 et une du 29 juillet 2002.

Les trois notes d'honoraires du 29 juin 2000 (d'un montant TTC de 13156 francs et de deux fois 11840,40 francs) et celle du 29 juillet 2002 (de 6158,20 euros TTC) portent toutes sur la conception et la réalisation de dessins couleurs pour les illustrations de maroquinerie scolaire de différentes lignes ne sauraient, à elles seules, justifier des investissements réalisés par EO fondant une demande présentée au titre du parasitisme initiée en 2017, faute de démontrer que les prestations alors financées servent encore de support aux produits commercialisés.

Les catalogues de vente ne peuvent non plus suffire à démontrer les investissements engagés par EO pour le développement de ses produits.

Au vu de ces seuls éléments, il apparaît qu'EO ne justifie pas suffisamment de ses investissements, et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande présentée au titre du parasitisme.

Il ne sera par conséquent pas fait droit aux demandes subséquentes d'EO.

Sur les autres demandes

Le jugement a débouté Viquel de sa demande de dommages et intérêts et de condamnation d'EO au paiement d'une amende civile, en retenant que Viquel ne rapportait pas la preuve de son préjudice, et que le choix d'EO d'agir en concurrence déloyale ne traduisait pas un comportement abusif.

L'exercice d'une action en justice constituant un droit et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à l'octroi de dommages et intérêts que lorsqu'est établie une faute en lien de causalité directe avec un préjudice.

Faute de rapporter la preuve de la réunion de ces trois éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Viquel de sa demande de dommages et intérêts.

Il en sera de même s'agissant de la demande d'amende civile, le caractère dilatoire ou abusif de la demande présentée par EO n'étant pas démontré.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné EO au paiement des dépens de 1ère instance et d'une somme de 3000 euros au titre des frais irrépétibles engagés par Viquel.

Succombant en son recours, EO sera condamnée au paiement des dépens d'appel, outre au versement d'une somme supplémentaire de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à Viquel.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du 3 avril 2019 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne Editions Oberthur à payer à Viquel la somme 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Editions Oberthur aux entiers dépens.