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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 18 novembre 2020, n° 19/15540

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transgourmet Opérations (Sté)

Défendeur :

Slad Multifrais (SAS) , Slad Holding (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Gilles

Avocats :

Me Lallement, Me Delahaie Roth, Me Meininger Bothorel, Me Cambriel

T. com. Caen, du 6 janv. 2016

6 janvier 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société dénommée Société landaise d'achats directs produits frais (ci-après, SLAD Produits frais) exerçait une activité de grossiste en produits alimentaires destinés aux professionnels, dans le secteur de la restauration hors domicile. Elle a été absorbée à effet du 31 octobre 1998 par la société SAS SLAD Holding. La société SLAD Multifrais a acheté à effet du 1er avril 1997 le fonds de commerce de la société SLAD Produits frais.

La SAS Transgourmet opérations (ci-après société TGO) exerce une activité de grossiste dans le secteur de la restauration hors domicile tant en produits alimentaires qu'en produits d'hygiène, pour les collectivités, restaurants et traiteurs. Elle a racheté en 2005 les parts sociales de la SNC Prodirest, aux droits de laquelle elle se trouve désormais.

Les sociétés SLAD Produits frais et Prodirest ont conclu le 30 juillet 1996, pour une durée de trois années, du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1999, un contrat d'affiliation à l'achat destiné à regrouper plusieurs professionnels du secteur afin de représenter un volume d'achats supérieur leur permettant de mieux négocier avec les fournisseurs.

Considérant que la société Prodirest n'avait ni transmis les informations lui permettant de connaître les avantages négociés avec les fournisseurs pour l'année 1997, ni reversé les sommes encaissées pour son compte cette même année, la société SLAD a alors résilié le contrat d'affiliation le 29 juin 1998, avec effet au 11 juillet 1998.

Suivant acte en date du 22 décembre 2003, les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding ont assigné la société TGO, venant aux droits de la société Prodirest.

Par un jugement du 6 janvier 2016, le Tribunal de commerce de Caen a :

- donné acte aux sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais qu'elles ont expressément renoncé à leur demande de désignation d'un expert judiciaire pour chiffrer le préjudice qu'elles invoquent ;

- constaté que la société SLAD Multifrais ne demande plus la condamnation de la société TGO venant aux droits de la société Prodirest au paiement de la somme de 300 000 euros à titre de provision ;

- dit la société SLAD Holding venant aux droits de la société SLAD Produits frais recevable en ses demandes ;

- dit la société SLAD Multifrais recevable en ses demandes ;

- dit non prescrite l'action entreprise par les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding ;

- condamné la société TGO à payer aux société SLAD Holding et SLAD Multifrais la somme de 562 267 euros, outre les intérêts de cette somme calculés, depuis le 1er janvier 1999 sur la somme de 332 787 euros et depuis le 1er janvier 2000 sur la somme de 229 480 euros au taux légal majoré de cinq points dont les montants seront capitalisés par période d'une année, jusqu'à complet paiement, à charge pour les sociétés demanderesses de se répartir ces sommes en fonction des périodes allant du 1er janvier 1997 au 31 mars 1997 pour la société SLAD Holding et du 1er avril 1997 au 11 juillet 1998 pour la société SLAD Multifrais ;

- débouté la société TGO de l'ensemble de ses demandes ;

- ordonné l'exécution provisoire ;

- condamné la société TGO à payer aux sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société TGO aux entiers dépens.

Le 25 mars 2016, la société Transgourmet opération a interjeté appel de cette décision devant la cour d'appel de Caen

Par un arrêt mixte du 6 juillet 2017, la Cour d'appel de Caen a :

- confirmé le jugement rendu le 6 janvier 2016 par le tribunal de commerce de Caen dans toutes ses dispositions, à l'exception de celles, réformées, statuant sur la demande en paiement de la somme de 100 000 euros, fondée par la société TGO sur les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce ;

- sursis à statuer sur cette dernière demande ;

- ordonné la réouverture des débats ;

- enjoint aux parties de faire valoir leurs observations sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Caen et de la présente cour pour statuer sur la demande en paiement de la somme de 100 000 euros fondée par la SAS TGO sur les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de commerce, et ce avant le jeudi 12 octobre 2017 à 14 heures, date de l'audience de plaidoirie à laquelle l'affaire sera rappelée ;

- y ajoutant :

- condamné la SAS TGO aux dépens de la procédure d'appel ;

- condamné la SAS TGO à payer aux sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais unies d'intérêts la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par un arrêt du 30 novembre 2017, la Cour d'appel de Caen a :

- déclaré recevable la demande en paiement de la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts fondée par la SAS TGO sur les dispositions de l'article L.442-6, I, 5° du code de la consommation ;

- débouté la SAS TO de cette demande ;

- condamné la SAS TO à payer aux sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais unies d'intérêts la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la SAS TO de sa demande au titre des frais irrépétibles.

La société TGO s'est pourvue en cassation contre chacun de ces deux arrêts.

Par un arrêt du 5 juin 2019, la Cour de cassation (Cass. com. 5 juin 2019, pourvois n° S 17-26.119 et H 18-10.359) statuant sur les deux pourvois, a :

- cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017, mais seulement en ce qu'il a condamné la société TGO au paiement d'une majoration de cinq points de l'intérêt au taux légal de la somme allouée en principal, à titre de dommages intérêts distincts de l'intérêt moratoire, et en ce qu'il a statué sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- cassé et annulé l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 30 novembre 2017, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité pour rupture brutale des relations commerciales établies, et en ce qu'il a statué sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris ;

- condamné les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais aux dépens ;

- vu l'article 700 du code de procédure civile, a condamné ces sociétés à payer la somme globale de 3 000 euros à la société TGO et a rejeté leur demande.

Par dernières conclusions notifiées et déposées par la voie électronique le 8 septembre 2020, la société TGO, appelante, demande à la Cour de :

- vu l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2019,

- vu les arrêts rendus par la cour d'appel de Caen les 6 juillet 2017 et 30 novembre 2017,

- vu le jugement du tribunal de commerce de Caen du 6 janvier 2016,

- vu les dispositions des articles 1153 alinéa 3 du code civil devenu 1344-1 du code civil, 1153 alinéa 4 du code civil devenu 1231-6 alinéa 3 du même code et 1153-1 du code civil devenu l'article 1231-7 de ce même code, 1347 et suivants du code civil,

- vu les dispositions des articles 624, 633, 564 et 565 du code de procédure civile,

- vu les dispositions des articles L. 442-6 I 5° du code de commerce, devenu L. 442-1 II du même code,

- recevoir la société TGO en sa saisine après cassation,

- statuant à nouveau dans les limites de la cassation :

- infirmer « le jugement et arrêts en ce qu'ils ont » débouté la société concluante de ses prétentions et accueilli les prétentions des sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding relativement aux condamnations prononcées envers la société concluante, en ce compris les dépens et au titre de l'article 700 code de procédure civile ;

- puis statuant à nouveau :

- déclarer les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding irrecevables, en tous les cas, infondées en leurs fins et prétentions ;

- les en débouter ;

- dire que la rupture de la relation commerciale par les sociétés SLAD brutale est fautive ;

- condamner la société SLAD Holding au paiement d'une somme de 83 850 euros au titre de la cotisation d'enseigne due sur la durée du contrat jusqu'à son terme initial ;

- condamner in solidum les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding à payer une somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture particulièrement abusive et brutale, sans respect du préavis contractuel et au titre du préjudice d'image et de notoriété de l'enseigne Prodirest ;

- prononcer la compensation entre la condamnation in solidum des sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding à payer la somme totale de 183 850 euros au profit de la société TGO, et la somme de 562 267 euros, montant des condamnations en principal définitivement prononcées contre la société concluante au profit des sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding ;

- dire que cette compensation prendra effet au 11 juillet 1998 ;

- à défaut, si par extraordinaire la Cour ne devait ne pas prononcer la compensation demandée :

- dire que les condamnations prononcées in solidum contre les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais produiront intérêts calculés depuis le 11 juillet 1998 au taux de l'intérêt légal et qu'ils seront annuellement capitalisés jusqu'à complet paiement de ces sommes ;

- dire que les condamnations prononcées envers la société concluante à payer aux sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding la somme de 562 267 euros, soit 378 417 euros, après compensation qui sera prononcée par la présente Cour, ne portera intérêts qu'au taux légal à compter du 6 janvier 2016, jusqu'au jour de leur paiement (déjà intervenu en exécution des décisions précédentes ayant fait l'objet de la cassation) ;

- dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel devant la cour d'appel de Caen ;

- en conséquence :

- condamner in solidum les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding à rembourser à la société TGO, les montants versés en trop et à tort en application de la décision à intervenir, outre les intérêts au taux de l'intérêt légal annuellement capitalisés sur ce montant à compter du jour de la décision à intervenir ;

- en tout état de cause :

- condamner in solidum les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding à payer à la société concluante la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de la présente procédure d'appel ;

- condamner in solidum les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding aux entiers frais et dépens de la présente procédure d'appel, ainsi que de 1ère instance et d'appel devant la cour d'appel de Caen.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 14 septembre 2020 les SAS SLAD Multifrais et SLAD Holding demandent à la Cour de :

- vu les articles 1231-1, 1231-2, 1231-6 (anciennement 1147, 1149 et 1153) 1993 et 2004 du Code civil,

- vu l'article 36 de l'Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifié par l'article 14 de la Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996,

- vu les articles 122, 565, 566, 696 et 700 du code de procédure civile,

- vu le rapport d'évaluation, l'attestation des commissaires aux comptes et l'ensemble des pièces comptables produites par les sociétés intimées,

- constater que la SAS TO a, en 1997 et 1998, encaissé pour le compte des sociétés intimées la somme de 562 267 euros, et les a privées de cette trésorerie jusqu'en 2017 ;

- dire que cet événement certain, a placé pendant plusieurs années la société SLAD Multifrais dans une situation financière extrêmement précaire, qui lui a ôté la chance de se développer normalement ;

- fixer à 4 970 000 euros, le montant du préjudice de perte de chance de développement de SLAD Multifrais ;

- dire que ce préjudice, qui indemnise la perte de gain résultant de l'impossibilité de se développer normalement, est distinct du préjudice résultant du retard de paiement ;

- dire que la mauvaise foi de la société TGO est caractérisée par le détournement des fonds qu'elle a encaissés pour le compte des sociétés intimées, et par son refus de rendre compte des avantages négociés avec les fournisseurs ;

- en conséquence, condamner la SAS TO à payer à titre de dommages et intérêts à la société concluante SAS SLAD Multifrais , la somme de 4 970 000 euros ;

- déclarer irrecevables comme définitivement jugées aux termes du jugement du tribunal de commerce de Caen du 6 janvier 2016 confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017 qui n'a pas été cassé sur ces points par l'arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2019, les demandes de TO tendant :

Au paiement de la somme de 83 850 euros au titre des cotisations d'enseigne,

À faire fixer le point de départ des intérêts au taux légal qu'elle a été condamné à payer à la société concluante au 6 janvier 2016 ;

- dire que le préavis d'une dizaine de jours observé était suffisant en raison de la nature juridique du contrat d'affiliation (mandat) des relations antérieures (lettres recommandées des 15 octobre 1997 et 16 février 1998) et du fait que Prodirest ne dépendait pas économiquement de la société concluante ;

- dire en conséquence que la responsabilité de la société concluante ne peut être recherchée sur la base de l'article 36 de l'Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986, modifié par l'article 14 de la Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, applicable à l'époque des faits ;

- subsidiairement, constater qu'en détournant les sommes encaissées pour le compte de son mandant et en refusant de lui rendre compte des avantages négociés, la société TGO n'a pas exécuté ses obligations contractuelles et que ses manquements sont suffisamment graves pour avoir justifié la rupture sans préavis, des relations commerciales établies ;

- à défaut, dire que la société TGO ne démontre ni l'existence ni le montant du préjudice de 100 000 euros qu'elle allègue ;

- en conséquence, débouter la société TGO de sa demande en paiement de la somme de 100 000 euros au titre de la rupture prétendument abusive et brutale du contrat, et d'un prétendu préjudice d'image et de notoriété de l'enseigne Prodirest qui n'existe plus depuis 2008 ;

- débouter également la société TGO de ses autres demandes ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société TGO à payer aux société concluantes la somme de 50 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- y ajoutant, condamner la société TGO à payer aux sociétés concluantes, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité supplémentaire de 20 000 euros au titre de l'instance d'appel ;

- condamner la société TGO aux dépens d'appel.

SUR CE

LA COUR

- Sur la portée de la cassation partielle s'agissant du taux et du point de départ des intérêts assortissant la condamnation de la société Transgourmets opérations à payer la somme en principal de 562 267 euros

La cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017 est intervenue pour la violation des dispositions de l'article 1153 alinéa 4 du code civil devenu 1231-6 du même code, au motif que la cour d'appel, pour condamner la société TGO à payer une majoration de cinq points de l'intérêt au taux légal à titre de dommages intérêts distincts de l'intérêt moratoire, a statué par des motifs impropres à caractériser tant la mauvaise foi de la société TGO que l'existence d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement.

Dès lors que la cassation porte sur la réparation d'un préjudice distinct de celui résultant du retard de paiement, l'ensemble de la réparation allouée par la cour d'appel est affectée par la cassation.

Or, dans l'arrêt cassé, cette réparation est constituée de manière indissociable, au regard de l'article du code civil déjà indiqué, tant par le taux d'intérêt que par le point de départ du cours des intérêts.

Il s'ensuit qu'il n'est pas valablement soutenu que la cassation n'a porté que sur le taux d'intérêt et non sur le point de départ du cours des intérêts.

- Sur la recevabilité de la demande de la société TGO en fixation du point de départ des intérêts au taux légal qu'elle a été condamnée à payer aux société SLAD Holding et SLAD Multifrais au 6 janvier 2016

Il résulte de ce qui précède que nulle autorité de chose jugée tirée de la portée de la cassation partielle de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017 ne conduit à dire irrecevable la demande de la société TGO en fixation du départ du cours des intérêts au 6 janvier 2016, jour du prononcé du jugement entrepris.

La fin de non-recevoir opposée par les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais sera donc rejetée.

- Sur la recevabilité de la demande de la société TGO en paiement d'une somme de 83 850 euros au titre de la cotisation d'enseigne due sur la durée du contrat initial

Les sociétés intimées font valoir, à juste raison, que l'arrêt de la Cour de cassation ne casse pas le chef de l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017, confirmatif sur ce point, qui a débouté la société TGO de sa demande en paiement de la somme de 83 850 euros au motif que le manquement contractuel de la SNC Prodirest pour ne pas avoir reversé à son affiliée la totalité des avantages commerciaux auxquels elle pouvait prétendre autorisait la société SLAD Multifrais à résilier le contrat, ce qui a privé la SNC Prodirest, aux droits de laquelle vient la société TGO, de tout droit au paiement des cotisations d'enseigne à échoir jusqu'au terme du contrat d'affiliation.

- Sur le bien-fondé de la demande de la société TGO en dommages intérêts pour rupture abusive et brutale sans respect du préavis contractuel et au titre du préjudice d'image et de notoriété de l'enseigne Prodirest

La société SLAD Multifrais a résilié unilatéralement le contrat d'affiliation signé le 30 juillet 1996, à effet du 11 juillet 1998, indiquant que de multiples demandes et une mise en demeure par lettre recommandée reçue le 17 février 1998 étaient restées sans réponse, reprochant à la société Prodirest, notamment, d'occulter la majeure partie des informations relatives aux accords conclus avec les fournisseurs et de ne reverser qu'une partie seulement des remises différées et rien sur les divers budgets, exposant que ce manquement grave et renouvelé présentait un caratère pénalisant et fragilisait dangereusement l'exploitation.

Par lettre du 8 juillet 1998 la société Prodirest a mis en demeure la société SLAD Multifrais de poursuivre le contrat, affirmant avoir toujours répondu aux questions posées.

Alors qu'il est établi que la société SLAD Multifrais a adressé le 16 février 1998 à la société Prodirest, qui l'a reçue, une lettre très circonstanciée avec mise en demeure de lui payer une somme de 1 535 KF et d'adresser les détails des budgets 97 perçus pour le compte de l'affiliée avant le 10 mars 1998, la destinataire n'y a pas répondu, malgré une relance du 1er avril 1998.

Alors que par lettre du 15 octobre 1997, la société SLAD Multifrais demandait à la société Prodirest de payer les factures publicitaires de 1994 à 1996, déjà demandées par lettre du 30 janvier 1997 et soulignait la difficulté d'être en situation de conflit financier son avec partenaire tout en vivant en harmonie commerciale avec lui, la société Prodirest opposait une fin de non-recevoir, dans sa lettre du 25 novembre 1997, en répondant notamment : « Nous n'entendons pas entretenir une polémique épistolaire stérile sur des questions qui ont déjà reçu de notre part des réponses circonstanciées ».

Il résulte des dispositions définitives de l'arrêt du 6 juillet 2017 de la cour d'appel de Caen que le contrat d'affiliation liant la société SLAD Multifrais à la société Prodirest a fait l'objet de manquements de la part de cette seule société.

Il est établi, en particulier, que la société Prodirest, affiliant a, en violation des dispositions de l'article 4 du contrat - qui l'obligeait à transmettre à l'affilié « les conditions traitées avec les fournisseurs, au titre des accords nationaux annuels ainsi que toutes les conditions d'achats permanentes ou promotionnelles et de budgets »- omis de révéler à l'affilié l'intégralité des avantages appliqués par les fournisseurs à son chiffre d'affaires.

De même, il est établi qu'alors même qu'aucune disposition du contrat d'affiliation n'autorisait l'affiliant à percevoir sur les achats de l'affilié des avantages qu'il ne lui reverserait pas et qu'il se trouvait déjà rémunéré par une cotisation pour le service rendu, l'affiliant n'a rétrocédé que partiellement à l'affilié les fonds encaissés, conservant la fraction représentée par les conditions occultées.

C'est dans ces conditions que la société Prodirest a causé aux sociétés intimées un préjudice de 562 267 euros sur la période du 1er janvier 1997 au 30 juin 1998.

La société Prodirest peut d'autant moins se défausser valablement sur la société Genedis qui était antérieurement l'affiliant de la société SLAD que, dans l'acte extrajudiciaire de protestation à sommation de payer qu'elle a fait délivrer par huissier aux sociétés SLAD et SLAD mutifrais le 27 mai 1999, elle explique « que divers contrats ont été passés par les sociétés SLAD ou SLAD Multifrais tant avec la société Genedis, Réseau « Primo », qu'avec la société Prodirest concernant les produits liés à cette enseigne, que ces contrats et leurs avenants ont été régularisés entre 1993 et 1996 » et que « les sociétés SLAD et SLAD Multifrais ont toujours feint de manifester une incompréhension totale du système des ristournes fournisseurs au sein du Groupe Promodès bien que de multiples courriers parfaitement clairs lui aient été adressés pour leur en expliquer le fonctionnement, l'assiette des ristournes ainsi que la périodicité des règlements. »

Semblablement, il n'est nullement établi en quoi, à la date de cet acte extrajudiciaire, la société Prodirest pouvait être de bonne foi empêchée de déterminer et de payer les sommes qu'elle restait devoir à son ex affiliée au titre de l'année 1997.

L'affirmation contenue dans la protestation à sommation de payer, selon laquelle le litige est survenu du fait de l'incompréhension par l'affilié des obligations des parties n'est que la reprise de la position affichée dans la lettre de l'affiliant à l'affilié du 25 novembre 1997 déjà citée.

Les circonstances ci avant rappelées démontrent la mauvaise foi avec laquelle la société Prodirest, se prévalant d'un système de ristournes au sein de son groupe, avait sciemment entrepris de causer un préjudice à son affiliée, par la méconnaissance délibérée des obligations nées de l'article 4 du contrat d'affiliation lorsque, le 29 juin 1998, la société SLAD Multifrais a résilé ce contrat d'affiliation.

C'est pourquoi la société SLAD Multifrais a pu, sans commettre de manquement contractuel, résilier le contrat aux torts de la société Prodirest sans respecter le préavis contractuel de six mois.

Mais encore, la particulière gravité des manquements contractuels résultant de la mauvaise foi de la société affiliante dans la conclusion et l'exécution du contrat conduisent à retenir que nulle faute de la société SLAD Multifrais n'est caractérisée sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

C'est pourquoi, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la société TGO de sa demande à ce titre.

- Sur la recevabilité de la demande en dommages intérêts nouvelle en appel formée par les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais à hauteur de 4 970 000 euros contre la société TGO

La société TGO soutient que cette demande, en ce qu'elle serait fondée, désormais, sur un manque à gagner qui aurait été perçu avec certitude et non plus sur une perte de chance de développer une clientèle, de pénétrer un marché ou d'investir, porterait en réalité sur un préjudice qui n'a pas fait l'objet d'une demande d'indemnisation en première instance.

La société TGO en déduit que cette demande, qui ne tend pas à la même fin que la demande formée en première instance, doit être déclarée irrecevable.

Sur ce point, dès lors que l'article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent, et que, les "fins" s'entendent du but recherché par le plaideur, la Cour retient en l'espèce que la demande portée devant les premiers juges par les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais, aux termes de laquelle il était demandé la majoration de cinq points au-dessus du taux de l'intérêt légal avait la même fin que la présente demande, à savoir l'indemnisation du coût de la perte certaine de l'opportunité favorable d'avoir disposé dans la trésorerie de l'entreprise de la somme de 562 267 euros qui était due par la société TGO.

En outre, la majoration en appel du montant de la demande n'est pas susceptible d'entraîner l'irrecevabilité de la demande dès lors qu'il s'agit de la même fin d'indemnisation.

Par ailleurs, la renonciation à l'expertise judiciaire initialement demandée par les sociétés intimées devant les premiers juges pour la quantification de leur préjudice n'entraîne aucune irrecevabilité de la présente demande en indemnisation.

La demande litigieuse formée pour la première fois devant la Cour est donc recevable, en vertu de l'article 565 du code de procédure civile.

Si la société TGO soutient également l'irrecevabilité de cette demande, au moyen que pour la première fois en appel les sociétés intimées se fonderaient sur un manque à gagner certain, préjudice distinct de la perte de chance d'investir, de s'agrandir ou d'évoluer sur un marché, qui était seule invoquée devant les premiers juges, de sorte qu'un tel préjudice distinct ne pourrait être qualifié d'accessoire, de conséquence ou de complément nécessaire de l'indemnisation sollicitée en première instance, il résulte de ce qui précède que, dans le dernier état de leurs conclusions, les sociétés intimées, loin de demander l'indemnisation d'un manque à gagner certain, demandent au contraire expressément une indemnisation pour perte de chance de se développer par suite de la privation de la somme allouée en principal par le jugement entrepris.

En outre, la demande d'indemnisation litigieuse, qui vient d'être déclarée recevable en vertu de l'article 565 du code de procédure civile, ne peut être irrecevable au moyen que les prétentions nouvelles ne seraient pas l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des prétentions soumises aux premiers juges.

- Sur le bien-fondé de la demande en dommages intérêts formée par les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais à hauteur de 4 970 000 euros contre la société TGO

A l'appui de cette demande, les sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais :

- se prévalent d'un rapport d'évaluation établi par l'expert-comptable de ces parties (cabinet Acom audit) qui opère le retraitement du montant de 454 207 euros enregistré en produits à recevoir au titre de l'exercice 1998, faisant apparaître des capitaux propres en réel négatifs de [moins] 241 403 euros à cette date, en dépit de l'apparence comptable tenant compte des produits à recevoir avec lesquels les capitaux propres étaient valorisés à hauteur de 212 801 euros ;

- font valoir que cette situation nette négative a considérablement retardé le développement de l'entreprise de 1997 à 2006, exercice au cours duquel les capitaux propres réellement disponibles ont rattrapé un niveau comparable à ce qu'ils auraient dû être en 1998, le chiffre d'affaires n'ayant pas pu se développer jusqu'en 2006 en raison de ce manque de capitaux propres par la faute de la société TGO ;

- font valoir qu'en enlevant le produit à recevoir imputé en 1998, le bénéfice apparent de cet exercice cède la place à une perte de 442 916 euros, avec pour toutes liquidités une encaisse à la banque de seulement 38 815 euros ;

- expliquent que, pour éviter le dépôt de bilan, il a été procédé à un apport en capital de 750 000 francs, outre l'apport de la totalité des actions de l'entreprise au groupe GMD, contre le tiers du capital de cette dernière société, avec garantie de passif et d'actif en faveur de celle-ci et maintien des cautionnements personnels donnés aux banques en garantie de dettes de la société SLAD Multifrais ;

- font valoir le 'retrait' de deux établissements bancaires, Crédit agricole en 1998 et X en 2001 ;

- se prévalent d'une perte réelle de chance d'avoir connu une progression de chiffres d'affaires à compter de 1998 comparable à celle qui a été observée à partir de 2007, lorsque le niveau des capitaux propres a été rétabli, évaluée en fonction d'un taux de marge moyen sur 10 ans appliqué au chiffre d'affaires perdu annuellement ainsi qu'en fonction des charges variables estimées correspondantes, à une perte annuelle moyenne de 261 661 euros par an avant impôts, soit sur la période de 19 ans une somme de 4 971 559 euros.

Pour s'opposer à ces prétentions, la société TGO se prévaut d'un rapport de son propre technicien amiable (SORGEM évaluation) qui, en substance, estime que la perte d'opportunité invoquée par les intimées n'est pas démontrée, en l'absence de preuve du préjudice direct et certain distinct du retard de paiement et découlant du défaut de versement de la somme de 562 267 euros.

Sur ce la Cour retiendra les éléments de faits qui suivent.

La circonstance du cautionnement personnel de M. C en garantie de la société SLAD Multifrais et au bénéfice des banques Crédit Lyonnais, Crédit coopératif et BNP est sans conséquence pour la démonstration du préjudice alléguée.

Si le Crédit agricole a procédé le 14 novembre 1998, au vu de l'insuffisance des éléments communiqués au 31 octobre 1998 et en l'absence d'un plan d'entreprise complet avec éléments de réorganisation, à la diminution de moitié d'une ligne de crédit entre le 15 décembre 1998 et le 15 décembre 1999, avec suppression totale après cette date et à mise à zéro du plafond d'escompte au 15 décembre 1998, il est établi en effet par la propre lettre de l'établissement de crédit que cette décision défavorable est en lien de causalité avec les difficultés nées des ristournes non versées par Prodirest

Toutefois, rien ne démontre que cette difficulté, qui a abouti à la fin de la relation de la société SLAD Multifrais avec cette banque, n'a pas été surmontée auprès d'une autre banque dans des conditions au moins aussi avantageuses.

C'est ainsi qu'une lettre non datée de la X à la société SLAD Multifrais et insuffisamment précise fait état d'un refus d'augmentation des concours mais, également, de l'acceptation de la reconduction jusqu'à fin février 2001 des concours existants.

Il n'est donc pas démontré en quoi les sociétés intimées ont perdu la chance de réaliser des investissements identifiés à cause du non-paiement en temps et heure de la somme due par l'appelante.

Rien n'établit en l'espèce que le non paiement de cette somme en temps et heure, qui a certainement abouti à la priver de liquidités, l'a privée de la possibilité de réaliser des opérations profitables, la Cour ne pouvant admettre en l'état que toute augmentation des liquidités de l'entreprise disponibles en 1998 se serait traduite par une évolution de sa croissance comparable à ce qui a été observé en 2006.

L'hypothèse retenue par le rapport du technicien amiable des sociétés intimées est insuffisante pour établir la perte de chance alléguée, notamment par suite d'une totale absence d'analyse du contexte économique des marchés dans lesquels elles évoluaient.

Si le chiffre d'affaires a stagné de 1997 à 2006, rien ne prouve qu'il aurait eu une chance d'évoluer favorablement entre ces deux dates, en permettant à l'entreprise de dégager une marge bénéficiaire, pour la seule raison que la somme de 562 267 euros aurait été encaissée en temps et heure.

C'est pourquoi il sera retenu que les sociétés intimées ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de la réalité de la perte de chance qu'elles allèguent.

Leur demande en indemnité pour préjudice distinct du retard de paiement sera donc rejetée.

- Sur le point de départ des intérêts moratoires

Si la société TGO a été déclarée recevable à demander que les intérêts moratoires au taux légal soient décomptés à partir de la date du jugement entrepris, les sociétés intimées tendent sur ce point à la confirmation du jugement entrepris, dès lors qu’elles considèrent que la demande en modification de l'appelante est irrecevable

L'arrêt cassé enseigne que les sociétés intimées ont demandé devant la cour d'appel de Caen la somme de 562 787 euros outre les intérêts calculés depuis le 1er janvier 1999 sur la somme de 332 787 euros et depuis le 1er janvier 2000 sur la somme de 229 480 euros au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente à la date de l'arrêt à intervenir, majoré de 10 points en application de l'article L.441-6 du code de commerce.

Etant admis, à la suite de l'arrêt de cassation et par suite de l'échec des sociétés intimées dans l'administration de la preuve à caractériser un préjudice distinct du retard de paiement, que seuls les intérêts moratoires au taux légal peuvent être appliqués sur la somme définitivement allouée de 562 267 euros, la présente Cour ne trouve pas dans les motifs du jugement entrepris ni les pièces produites de justificatifs permettant de retenir les dates des 1er janvier 1999 et 1er janvier 2000 permettant de faire partir les intérêts au taux légal sur la somme de 332 787 euros concernant la première date et sur la somme de 229 480 euros concernant la seconde.

La réformation du jugement entrepris s'impose donc et sera ordonnée.

En l'absence de prétention formulée au fond sur ce point par les intimées, la Cour fera droit à la demande de la société appelante, qui est conforme aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

- Sur les autres demandes

La demande en compensation de la société TGO est sans objet en l'absence de créance reconnue à cette société aux termes du présent arrêt.

Si le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné la société TGO aux dépens, il sera réformé sur le montant de l'indemnité qu'il a allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et, en équité, il sera alloué aux sociétés intimées une somme correspondant aux frais de première instance et d'appel, dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 5 juin 2019 ;

Statuant dans les limites du renvoi,

Dit que la cassation de l'arrêt la cour d'appel de Caen du 6 juillet 2017, en ce qu'il condamne la société TGO au paiement d'une majoration de cinq points de l'intérêt au taux légal de la somme allouée en principal, à titre de dommages intérêts distincts de l'intérêt moratoire, a entraîné la cassation du chef de l'arrêt confirmatif sur ce point qui a alloué les intérêts de cette somme en principal calculés, depuis le 1er janvier 1999 sur la somme de 332 787 euros et depuis le 1er janvier 2000, sur la somme de 229 480 euros,

Dit que la société TGO est irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 83 850 euros au titre de la cotisation d'enseigne due sur la durée du contrat jusqu'à son terme initial,

Déclare recevable mais non fondée les sociétés SLAD Multifrais et SLAD Holding en leur demande en dommages intérêts pour perte de chance de développement de SLAD Multifrais,

Les en déboute ;

Déclare recevable la demande de la société TGO en fixation du point de départ des intérêts au taux légal qu'elle a été condamnée à payer aux société SLAD Holding et SLAD Multifrais au 6 janvier 2016 ;

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la somme de 562 267 euros allouée en principal aux sociétés SLAD Holding et SLAD Mutifrais porterait intérêt depuis le 1er janvier 1999 sur la somme de 332 787 euros et depuis le 1er janvier 2000 sur la somme de 229 480 euros au taux légal majoré de cinq points dont les montants seront capitalisés par période d'une année, jusqu'à complet paiement, à charge pour les sociétés demanderesses de se répartir ces sommes en fonction des périodes allant du 1er janvier 1997 au 31 mars 1997pour la société SLAD Holding et du 1er avril 1997 au 11 juillet 1998 pour la société SLAD Multifrais,

Statuant de nouveau de ce chef,

Dit que la somme de 562 267 euros portera intérêt au taux légal à compter du 6 janvier 2016, date du jugement entrepris,

Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a alloué une indemnité de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Pour le surplus :

Confirme le jugement entrepris,

Condamne la société TGO à payer aux sociétés SLAD Holding et SLAD Multifrais une somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel,

Condamne la société TGO aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande.