Livv
Décisions

Cass. com., 18 novembre 2020, n° 19-14.828

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Tesmec SPA (Sté)

Défendeur :

Eurofor (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

Mme Beaudonnet

Avocats :

SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

T. com. Lyon, du 26 oct. 2016, n° 2011J0…

26 octobre 2016

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 14 février 2019), la société de droit italien Tesmec SPA (la société Tesmec) a conclu, le 1 avril 2004, avec la société Eurofor un contrat de distribution exclusive de trancheuses et pièces détachées, sur le territoire français, pour une durée de quatre ans, tacitement renouvelable pour une durée identique. L'article 7 de ce contrat prévoyait que chacune des parties pouvait y mettre fin avec un préavis d'un an précédant la date de son renouvellement, en motivant sa décision par des causes réelles et sérieuses. Il précisait aussi que si la rupture intervenait du fait de la société Tesmec, celle-ci s'engageait à reprendre le fonds de commerce, ainsi que les stocks, machines et pièces existant à la date de la rupture.

2. Le 21 mars 2011, alléguant de graves manquements de la part de la société Eurofor, la société Tesmec lui a notifié le non-renouvellement du contrat à sa date anniversaire du 1 avril 2012. La société Eurofor a contesté cette rupture en invoquant, notamment, l'absence de cause réelle et sérieuse ainsi que la violation de la clause d'exclusivité par la société Tesmec.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, et le quatrième moyen, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La société Tesmec fait grief à l'arrêt de la condamner, notamment, à payer à la société Eurofor plusieurs sommes au titre de la violation de la clause d'exclusivité, jugée valable, de dire qu'elle a décidé du non-renouvellement du contrat de distribution sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à verser une certaine somme à la société Eurofor à titre de dommages-intérêts destinés à réparer son préjudice résultant de la rupture injustifiée du contrat de distribution, alors « que dès lors qu'une clause d'exclusivité s'étend à l'ensemble du territoire d'un État, il existe en droit une présomption d'affectation du commerce entre États membres qui ne pourrait être écartée que si l'analyse des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel elle s'insère démontre le contraire ; qu'au cas présent, la cour d'appel a expressément constaté que la clause d'exclusivité s'étendait à l'ensemble de la France ; qu'il en résultait qu'elle était présumée affecter le commerce entre Etats membres ; qu'en jugeant que la société Tesmec ne démontrerait pas que la clause d'exclusivité était « susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres en empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence », cependant qu'il appartenait au contraire à la société Eurofor, sur laquelle pesait la charge de la preuve, de renverser cette présomption, la cour d'appel a violé l'article 1351 (lire 1315 ancien) du code civil, ensemble l'article 81 du Traité CE, devenu article 101 du TFUE, ensemble l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, L. 420-1 du code de commerce et 1315 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

5. Pour juger que la clause d'exclusivité contenue dans le contrat de distribution conclu entre les sociétés Eurofor et Tesmec était valide, puis condamner celle-ci à verser plusieurs sommes au titre de la violation de cette clause, l'arrêt, après avoir énoncé que le juge national est tenu d'appliquer le droit communautaire en vertu du principe de primauté, retient que la société Tesmec ne démontre pas que les pratiques ainsi instaurées entre les partenaires ont été susceptibles d'affecter les échanges entre États membres en empêchant, restreignant ou faussant le jeu de la concurrence. Il ajoute que l'allégation de la société Tesmec d'un faible chiffre d'affaires réalisé par la société Eurofor, motif avancé de la rupture, contredit la présomption d'affectation du commerce entre États membres.

6. En statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé que la clause d'exclusivité s'étendait à l'ensemble du territoire national et qu'il s'en déduisait une présomption d'affectation du commerce entre États membres, dont il appartenait à la société Eurofor de rapporter la preuve contraire résultant des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel la clause s'insérait, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. La société Tesmec fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'elle faisait valoir qu'en application du règlement européen d'exemption, une clause d'exclusivité, même à la supposer valable, ne pouvait interdire à d'autres fournisseurs de commercialiser leurs produits par l'intermédiaire de leur site internet, y compris sur le territoire visé par l'exclusivité, à partir du moment où il n'y a aucune action de prospection active et individualisée des clients situés sur le territoire exclusif du distributeur ; qu'elle en déduisait que l'achat par la société Beuzit d'une machine à la société italienne CMI après des recherches effectuées sur internet et sans qu'aucune prospection active ne soit établie ni même alléguée ne violait pas la clause d'exclusivité, à la supposer valable ; que la cour d'appel n'a pas répondu à ce moyen ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

8. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Un défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.

9. Pour condamner la société Tesmec à verser à la société Eurofor une certaine somme à titre de réparation pour la violation de la clause d'exclusivité résultant de la vente de matériel à la société Beuzit en 2010, l'arrêt relève que cette vente est démontrée par un constat d'huissier du 13 juillet 2011 et retient qu'il s'avère que ce matériel Tesmec, acquis par une société cliente française, devait être conclue par le distributeur exclusif de Tesmec en France, à savoir la société Eurofor, en application de l'article 3 du contrat de distribution précisant les produits concernés par l'exclusivité. Enfin, l'arrêt relève qu'il ressort des conclusions de la société Tesmec pour l'audience de mise en état du 30 octobre 2015 du tribunal de commerce, qui ont valeur d'aveu judiciaire, que la société Tesmec avait une parfaite connaissance de cette vente et de la violation de la clause d'exclusivité.

10. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles la société Tesmec faisait valoir qu'en application du règlement européen (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 de la Commission de l'Union européenne concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées, une clause d'exclusivité ne pouvait interdire à d'autres fournisseurs de commercialiser leurs produits par l'intermédiaire de leur site internet, y compris sur le territoire visé par l'exclusivité, si ces fournisseurs ne procédaient à aucune prospection active et individualisée des clients situés sur le territoire exclusif du distributeur, ce qui était, selon elle, le cas de l'achat par la société Beuzit d'une machine à la société italienne CMI, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche

11. La société Tesmec fait le même grief à l'arrêt, alors « que pour apprécier le caractère réel et sérieux de la cause du non-renouvellement du contrat décidée par la société Tesmec le 21 mars 2011, la cour d'appel devait se placer à la date de la décision de non-renouvellement ; que pour dire la cause invoquée, résidant dans la baisse du chiffre d'affaires réalisé par la société Eurofor, non réelle et sérieuse, la cour d'appel a pris en compte, et à titre essentiel, une vente intervenue le 31 mars 2012, soit plus d'un an après la décision de non-renouvellement ; qu'une telle vente ne pouvait rétrospectivement justifier la baisse du chiffre d'affaires constatée un an plus tôt et, donc, rétrospectivement rendre la cause donnée au non-renouvellement non réelle et sérieuse ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 1134 devenu 1103 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, alinéa 1 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 :

12. Aux termes de ce texte, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

13. Pour dire que s'agissant de la baisse du chiffre d'affaires réalisé par la société Eurofor avec les produits de la société Tesmec, celle-ci ne démontrait pas de cause réelle et sérieuse pouvant justifier le non-renouvellement du contrat, l'arrêt, après avoir d'abord relevé qu'il résulte du rapport de l'expert une légère dégradation de ce chiffre d'affaires à partir de 2008, qui est devenue significative en 2010, retient ensuite que, cependant, la société Tesmec a violé son obligation d'exclusivité consentie à la société Eurofor pour trois ventes de 580 000 euros en septembre 2010, de 36 720 euros en mars 2011 et de 720 000 euros en mars 2012. L'arrêt en déduit que le manquement de la société Tesmec à l'exclusivité de la société Eurofor a entraîné une chute importante et incontestable du chiffre d'affaires, ce qui exclut que la société Tesmec puisse s'en prévaloir à titre de cause réelle et sérieuse.

14. En retenant ainsi une vente intervenue le 31 mars 2012, soit plus d'un an après la décision de non-renouvellement intervenue le 21 mars 2011, impropre à caractériser l'absence de cause réelle et sérieuse qu'elle devait apprécier à la date à laquelle cette décision a été prise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquence de la cassation

15. Les moyens ne formulant aucune critique contre les motifs de l'arrêt fondant la décision de confirmer le jugement, d'une part, en ce qu'il a condamné la société Tesmec à payer à la société Eurofor les sommes de 30 000 euros au titre de l'acquisition du fonds de commerce, 75 547 euros au titre de l'acquisition des pièces détachées, 18 636 euros au titre des frais d'expertise (expert M. A.) du dossier Fulchiron sauf à dire que le chiffre exact est 18 638,46 euros TTC, d'autre part, en ce qu'il a rejeté la demande de la société Eurofor tendant à voir condamner la société Tesmec à produire une facture sous astreinte, la cassation ne peut s'étendre à ces dispositions de l'arrêt qui ne sont pas dans un lien de dépendance avec les dispositions de l'arrêt critiquées par les premier, deuxième et troisième moyens.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement, d'une part, en ce qu'il a condamné la société Tesmec à payer à la société Eurofor les sommes de 30 000 euros au titre de l'acquisition du fonds de commerce, 75 547 euros au titre de l'acquisition des pièces détachées, 18 636 euros au titre des frais d'expertise (expert M. Amiot) du dossier Fulchiron sauf à dire que le chiffre exact est 18 638,46 euros TTC, d'autre part, en ce qu'il a rejeté la demande de la société Eurofor tendant à voir condamner la société Tesmec à produire une facture sous astreinte, l'arrêt rendu le 14 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon.